5. Exposé clair et complet
Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, l'exigence d'un exposé suffisant est respectée si un homme du métier peut réaliser l'invention telle que définie dans les revendications, et ce dans toute la portée des revendications, sans effort excessif et en utilisant ses connaissances générales (voir par exemple T 409/91, JO 1994, 653 ; T 435/91, JO 1995, 188).
En effet, d'après les décisions T 409/91 (JO 1994, 653), T 435/91 (JO 1995, 188) et T 172/99, la divulgation d'un seul mode de réalisation de l'invention est suffisante dès lors qu'elle permet d'exécuter l'invention dans toute sa portée, telle que revendiquée, et non pas uniquement d'obtenir certains membres de la classe revendiquée. Il s'agit d'une question de fait. L'exposé d'une invention est considéré comme suffisant si l'homme du métier peut mettre en œuvre pratiquement tous les modes de réalisation couverts par les revendications. Les chambres ont également partagé cet avis dans de nombreuses décisions, par exemple dans T 19/90 (JO 1990, 476), T 418/91, T 548/91, T 659/93, T 435/91 (JO 1995, 188) et T 923/92 (JO 1996, 564 ; plus récemment encore, question abordée en détail dans T 1727/12 ("Biogen sufficiency")). Ce principe est applicable à toute invention, indépendamment de la manière dont elle est définie, et qu'il est donc indifférent qu'elle soit ou non définie au moyen d'une caractéristique fonctionnelle. La définition fonctionnelle d'une caractéristique technique a ceci de particulier qu'elle est fondée sur les effets liés à cette caractéristique. Ce type de définition englobe un champ indéterminé et abstrait de solutions possibles, ce qui est acceptable dans la mesure où toutes les solutions sont disponibles et aboutissent au résultat souhaité ; par conséquent, il convient d'établir si le brevet divulgue un concept technique susceptible d'être généralisé qui met à la disposition de l'homme du métier la multitude de variantes couvertes par la définition fonctionnelle (T 1121/03 (absence de concept technique susceptible d'être généralisé – effort excessif pour exécuter l'invention dans l'ensemble du domaine revendiqué – programme de recherche), T 369/05, voir aussi T 2128/13). Dans l'affaire T 1051/09, la chambre a conclu, à propos d'un procédé revendiqué défini de manière fonctionnelle, c'est-à-dire par son résultat, que ce qui manquait était un enseignement généralisable pouvant s'appliquer dans le champ couvert par les revendications et allant donc au-delà des exemples spécifiques.
Il peut s'avérer nécessaire de fournir de plus amples détails techniques et plus d'un exemple au soutien des revendications de vaste portée (T 612/92, T 694/92, JO 1997, 408 ; T 187/93). Il convient de trancher cette question au cas par cas. La chambre doit s'assurer, en premier lieu, que le fascicule du brevet mettait à la disposition de l'homme du métier au moins un mode de réalisation de l'invention revendiquée et, deuxièmement, que l'homme du métier pouvait mettre en œuvre l'invention dans toute l'étendue de la revendication. Si la chambre n'est pas convaincue que la première condition est remplie, il n'y a pas lieu d'examiner la seconde (T 792/00).
Selon la décision T 517/98 (grains de matière super-conductrice – densité), le brevet en cause avait seulement indiqué la façon d'atteindre l'objectif dans une certaine mesure et dans des limites fixées, mais certainement pas dans toute l'étendue de la revendication. Selon la chambre, une large protection telle que demandée n'était pas justifiée dans la mesure où la revendication couvrait un objet spéculatif qui ne pouvait pas être produit par l'homme du métier sans activité inventive (voir également T 409/91). Il n'a pas été fait droit à la requête principale (art. 83 CBE).
Dans l'affaire T 1064/15, l'invention concernait des combinaisons d'aiguilles de sutures barbelées utiles pour connecter des tissus corporels dans divers contextes chirurgicaux. Les exigences de la revendication 1 pouvaient être appliquées aux sections transversales circulaires, mais la question de la suffisance de l'exposé se posait pour les sections transversales non circulaires. L'intimé (titulaire du brevet) lui-même entendait que l'enseignement du brevet soit applicable aux sections transversales circulaires et non-circulaires et recherchait spécifiquement une protection pour les deux types de modes de réalisation. Ce serait insuffisant et disproportionné si la seule possibilité divulguée de réaliser l'invention avec des corps allongés à section transversale circulaire suffisait pour satisfaire aux exigences de suffisance de l'exposé de l'invention. Le législateur ne pouvait avoir voulu une telle approche, car, selon la chambre, cela irait à l'encontre du principe général que la protection obtenue avec le brevet doit correspondre à l'enseignement divulgué. En ce qui concerne les sections transversales non-circulaires, ce n'était pas le cas pour le brevet en cause. Compte tenu de l'exposé du brevet dans son ensemble et des connaissances générales de base, l'homme du métier n'était pas en mesure de déterminer quelle dimension était désignée par le diamètre (SD) pour une partie essentielle de la revendication, ou en d'autres termes, avec une aiguille ayant un diamètre donné, il ne savait pas comment choisir la dimension en coupe transversale d'une suture non-circulaire afin d'améliorer la résistance de la fermeture, ce qui était supposé être une part essentielle de l'enseignement du brevet en cause (T 1064/15 citée et résumée par T 1756/16).
Dans l'affaire T 713/15, le brevet portait sur un agent préventif et/ou thérapeutique innovant (récepteur anticorps anti IL-6) pour le vasculitis en général et ne distinguait pas entre les différents types de vasculitis. Aucune information n'était apportée dans la demande sur la manière de traiter le vasculitis sous toutes ses formes (comme par exemple la maladie de Behçet). L'objet de la revendication 1 de la demande principale n'était par conséquent pas assez exposé pour couvrir toute l'étendue de la revendication. Les déclarations de l'expert fournies par le titulaire du brevet, qui étaient fondées sur des données cliniques, mais ne traitaient pas des documents D(49) et D(50) déposés par l'opposant, n'apportaient aucune contribution essentielle.
Dans l'affaire T 553/10, la chambre a fait remarquer que les passages cités par le requérant divulguaient un procédé de production d'oxydes de cobalt-nickel-manganèse-lithium tombant dans le champ de la revendication 1 ou en dehors de celle-ci. Il manquait une étape de procédé supplémentaire indispensable pour préparer des oxydes entrant dans le champ de la revendication 1. La demande ne contenait pas suffisamment d'informations, et il ne pouvait pas être remédié à cette lacune en faisant appel aux connaissances générales. Une déclaration rédigée par un employé du requérant avait donc peu de valeur probante pour établir ce qui constituait en l'occurrence les connaissances générales de l'homme du métier.
Dans l'affaire T 239/13 du 5 juillet 2017 date: 2017-07-05, la revendication 1 du brevet tel que délivré n'exigeait pas que les "granulés" soient acides. La chambre a estimé qu'une solution des granulés revendiqués pouvait avoir en soi un pH alcalin malgré la présence de certains composants acides. S'agissant des granulés acides, la description – qui traitait exclusivement de granulés acides – fournissait à l'homme du métier des informations et des directives techniques suffisantes pour lui permettre de préparer, sans effort excessif, des granulés acides présentant des "propriétés de stockage améliorées" dans tout le champ d'application de la revendication 1. Quant aux granulés alcalins, en l'absence d'un enseignement concret, l'homme du métier serait tenu de démarrer un programme de recherche. La chambre a conclu que, conformément à l'enseignement de la description, l'homme du métier ne disposait pas d'informations techniques et de directives suffisantes pour lui permettre de préparer les granulés tels que revendiqués sans effort excessif et sur l'ensemble de la revendication 1.
Dans l'affaire T 1994/12 (composé à base de caoutchouc), sur l'argument que l'exigence de suffisance de l'exposé n'était pas remplie car l'homme du métier, étant donné l'existence d'une ambiguïté concernant la nature de l'asphalte, ne pourrait pas reproduire les exemples du brevet, la chambre a déclaré que la suffisance de l'exposé ne portait pas sur l'invention que le demandeur pouvait avoir à l'esprit au moment de la rédaction de la demande, mais bien sur l'invention définie par les revendications en termes de caractéristiques techniques de l'invention (voir R. 43(1) CBE), comme c'est le cas pour apprécier d'autres critères de brevetabilité, tels que la nouveauté et l'activité inventive.
Dans l'affaire T 116/18 (JO 2022, A76), le synergisme ne représentait pas une caractéristique de la revendication du brevet en cause. Par conséquent, la question de savoir si cet effet était obtenu dans toute l'étendue des revendications ne devait pas être évaluée en vertu de l'art. 100b) CBE mais de l'art. 56 CBE (G 1/03 (JO 2004, 413), point 2.5.2 des motifs). L'affaire T 116/18 est une saisine pendante sous le numéro G 2/21.
Dans l'affaire T 623/16 (OLED), la description proposait de modifier plusieurs paramètres pour élaborer un dispositif émettant de la lumière blanche. Les revendications n'indiquaient pas que plusieurs paramètres, comme la concentration et l'épaisseur d'une part, et l'ajout d'une couche bloquante d'autre part (ou d'autres paramètres), devaient être modifiés en même temps. Lorsque l'homme du métier procède à une première expérience et obtient un dispositif n'émettant pas de la lumière blanche, il ne trouvait pas d'orientation explicite dans le brevet afin de décider par quoi commencer pour émettre une lumière blanche. Ainsi, des orientations devaient être données dans les revendications pour savoir quelles caractéristiques étaient essentielles aux fins de réalisation de l'invention sur toute l'étendue pour parvenir à élaborer un dispositif émetteur de lumière blanche. Une fois que l'homme de métier avait compris que ces caractéristiques étaient essentielles pour mettre en œuvre l'invention, la modification de la concentration et de l'épaisseur ne représentaient plus un effort excessif. La description donnait assez de détails afin d'exécuter l'invention. La revendication 1 de la requête principale ne comprenait pas des caractéristiques essentielles pour l'invention et fondamentales pour exécuter l'invention sur toute la portée revendiquée. L'omission de ces caractéristiques donnait lieu à un dispositif n'émettant pas de lumière blanche (exigences de l'art. 83 CBE non remplies). Avec les modifications introduisant les caractéristiques essentielles, cela ne représentait plus un effort excessif pour l'homme du métier (la nouvelle première requête subsidiaire satisfaisait aux exigences de l'art. 83 CBE).
Dans l'affaire T 2773/18 (domaine mécanique), le brevet portait sur une éolienne avec un dispositif de refroidissement utilisant de l'air externe, notamment dans les environnements marins. Eu égard à l'insuffisance de l'exposé concernant l'expression "partie supérieure de la tour", le requérant (opposant) a fait valoir que la revendication non seulement ne se limitait pas à une éolienne offshore mais qu'en outre la dimension des pièces inférieures et supérieures ne se limitait pas à une taille ou hauteur minimum. La portée de la revendication 1 couvrait ainsi des modes de réalisation dans le cadre desquels l'entrée d'air se trouvait très bas au-dessus du niveau de la mer et par conséquent n'était pas capable de réaliser l'effet technique consistant à puiser de l'air depuis l'extérieur avec un faible contenu en eau et en sel. Cet argument n'a pas convaincu la chambre du fait notamment qu'il appliquait de façon erronée à une invention revendiquée dans le domaine de la mécanique, même si elle ne revendiquait aucune gamme, la jurisprudence dans le domaine de la chimie selon laquelle une invention revendiquée réside dans une plage de composition ou une autre plage de valeurs, les effets associés étant néanmoins susceptibles de ne pas être prouvés ou plausibles pour de larges parties de cette gamme. Par nature, une revendication dans le domaine mécanique qui tente – souvent en termes fonctionnels ou génériques – de saisir l'essence d'une machine ou d'une structure mécanique concrète (ou son fonctionnement) est schématique, ce qui permet une certaine interprétation. Il se peut que dans le cadre d'une interprétation ingénieuse, un objet soit considéré comme compris dans la portée de la revendication, sans pour autant résoudre le problème ou atteindre le résultat souhaité. Néanmoins, ceci ne représente pas un problème d'insuffisance d'exposé, mais d'interprétation de la revendication. Le fait que les revendications, la description et les figures fournissent à l'homme du métier suffisamment d'informations pour réaliser une invention représente une question purement technique, distincte de la question de savoir ce qui est raisonnablement couvert par le libellé de la revendication. Selon la chambre, si un homme du métier, ayant examiné l'ensemble de l'exposé et en ayant éventuellement recours à ses connaissances générales peut déduire ce qui va marcher et ce qui ne va pas marcher, une invention revendiquée est suffisamment exposée, même lorsqu'une large interprétation est également susceptible de couvrir ce qui ne marche pas. En l'espèce, l'homme du métier serait à même de directement reconnaître et exclure les modes de réalisation qui ne permettaient manifestement pas d'atteindre l'effet souhaité. En particulier, l'homme du métier ne tiendrait pas compte des pièces supérieures qui sont placées plus bas que 30 mètres au-dessus du niveau de la mer. La chambre a ainsi confirmé la décision de la division d'opposition qui avait conclu au caractère suffisant de l'exposé conformément à l'art. 100b) CBE.
Dans l'affaire T 1583/17, l'invention portait sur l'utilisation de films revêtus. La chambre a déclaré qu'il était important de noter qu'il y avait une différence entre le fait pour un produit de répondre ou non à une exigence de qualité prédéfinie (en l'espèce, l'absence de tâches brillantes), et un produit répondant ou non aux exigences exposées dans une revendication. Le fait que la qualité du revêtement obtenu ne réponde pas à la norme de qualité visée n'impliquait pas que le revêtement ne répondait aux exigences de la revendication 1, ce qui représentait le seul point pertinent dans le cadre de l'examen du caractère suffisant de l'exposé. La prétendue absence d'activation sur toute l'étendue n'avait pas été démontrée.
Voir aussi le présent chapitre, II.C.7.1.2.
Objection d'exposé insuffisant fondée sur l'objet d'une revendication dépendante.
Dans l'affaire T 2007/16, la division d'opposition s'est rapportée à ce qui est désigné en tant que "règle générale" de l'art. 83 CBE, selon laquelle, il suffit d'une seule manière de mettre en œuvre l'invention qui soit claire pour l'homme du métier. Elle a fait valoir qu'un brevet ne pouvait pas contrevenir à l'art. 83 CBE si l'homme du métier peut réaliser l'objet d'une revendication indépendante, peu importe qu'il ait pu réaliser l'objet d'une revendication dépendante. La chambre n'a pas validé cette approche ; la "règle générale" affirmée par la division d'opposition ne reposait sur aucun fondement dans la CBE ou dans la jurisprudence des chambres de recours. Une revendication dépendante visant un mode de réalisation spécifique peut donner lieu à une objection en vertu de art. 83 CBE si l'homme du métier ignore comment obtenir ce mode de réalisation. En outre, une revendication dépendante portant sur un objet que l'homme du métier ignore comment obtenir indique que l'invention définie dans la revendication indépendante n'est pas suffisamment exposée par rapport à toute l'étendue de la revendication. En outre, une revendication dépendante portant sur un mode de réalisation que l'homme du métier ne saurait obtenir indique que l'invention définie dans la revendication indépendante n'est pas suffisamment décrite dans l'ensemble du domaine revendiqué.
- T 1311/22
Orientierungssatz:
Funktionelle Merkmale und Ausführbarkeit, siehe Gründe 3.2 bis 3.4 und 3.5.1.
- T 867/21
Catchword: Im vorliegenden Fall konnte von der Beschwerdeführerin nicht erwartet werden, auf einen einzelnen Aspekt einer in ihrer Gesamtheit nicht überzeugenden Argumentationslinie in der angefochtenen Entscheidung der Prüfungsabteilung mit auf diesen Aspekt gerichteten Änderungen, die alle Einwände der Beschwerdekammer ausräumen, bereits bei Einlegen der Beschwerde zu reagieren.
- T 149/21
Catchword:
Zur Ausführbarkeit der beanspruchten Erfindung "im gesamten beanspruchten Bereich": siehe Punkt 3 der Entscheidungsgründe.
- T 500/20
Catchword:
Reasons 3.6. In claimed inventions that do not involve a range of parameter values or compositions but are directed at a concept expressed in terms of generic structural or functional features of an apparatus or of a method, it is not enough to demonstrate insufficiency to conceive of an example that falls within the terms of the claim that does not work because it does not achieve the claimed effect fully or at all so that therefore the invention would not be sufficiently disclosed across the entire breadth of the claim.
- T 1983/19
Catchword:
Ausführbarkeit der Erfindung "über den gesamten beanspruchten Bereich" auf dem Gebiet der Mechanik (siehe Punkt 2.1.3 der Entscheidungsgründe)
- Compilation 2023 “Abstracts of decisions”