1. Notion d'"application industrielle"
L'application industrielle est une condition qui s'ajoute aux autres critères de brevetabilité. L'art. 57 CBE n'exclut de la brevetabilité qu'un petit nombre d'inventions qui ne sont pas déjà couvertes par l'art. 52(2) CBE, ou exclues de la brevetabilité au titre de l'art. 53 CBE. En particulier, l'activité médicale, autrefois exclue de la brevetabilité à l'art. 52(4) CBE 1973 sur la base du critère d'application industrielle, est maintenant couverte par l'art. 53 c) CBE. La possibilité d'une application industrielle fait également défaut lorsque le produit ou le procédé contredit certaines lois de la physique (T 541/96), comme ce serait le cas pour un mécanisme à mouvement perpétuel (Directives G‑III, 3 – version de mars 2022).
S'il est vrai que le caractère technique de l'invention et son application industrielle constituent deux conditions de brevetabilité distinctes en vertu de la CBE, il n'en reste pas moins que ces deux aspects sont souvent discutés conjointement.
Dans l'affaire T 953/94, la chambre a déclaré que comme le montre la Convention (art. 52(1) CBE 1973), l'exigence (définie à l'art. 52(2) et (3) CBE 1973) selon laquelle l'objet revendiqué doit être une "invention" est distincte de l'exigence (définie à l'art. 57 CBE 1973), selon laquelle l'invention revendiquée doit être "susceptible d'application industrielle". Même si l'on peut considérer, avec certaines réserves, que la première condition revient à exiger la présence d'une contribution "technique", elle n'est pas semblable à l'exigence d'applicabilité "industrielle". Les termes "technique" et "industriel" ne sont pas synonymes, du moins dans ce contexte. En effet, le terme "industriel" utilisé à l'art. 57 CBE 1973 vise à l'évidence à couvrir les applications commerciales, ce qui découle d'ailleurs clairement du terme "gewerblich" utilisé dans la version allemande. En revanche, ce n'est manifestement pas le cas pour le terme "technique" dans le contexte de l'art. 52(2) CBE 1973. C'est parce que, à la différence de la signification qu'il revêt dans le contexte de l'art. 57 CBE 1973, l'adjectif "industriel" doit être compris comme concernant la "commande d'un processus" en ce sens qu'il se rapporte uniquement aux procédés techniques propres à l'"industrie" (ce terme étant ici compris au sens étroit de ce que l'on appellerait en allemand "die Industrie") et ne comprend donc pas les applications "commerciales", voire "financières" (voir aussi T 208/84, JO 1987, 14 et T 854/90, JO 1993, 669).
Dans la décision T 533/09, la chambre considère que le train d'impulsions revendiqué est de nature concrète dans la mesure où il résulte de la modulation d'un signal électrique (décharge d'un condensateur dans un but de défibrillation) et que son intensité est mesurable à tout instant. Un tel signal tombe ainsi bel et bien sous la définition de "physical entity" au sens de la décision G 2/88 (JO 1990, 93), dans sa version d'origine. La chambre conclut que la nature de l'objet de la revendication 1 de la requête principale ne constitue pas un obstacle à sa brevetabilité. De plus, la possibilité de réaliser et d'utiliser un tel signal à des fins de défibrillation ne faisant aucun doute, l'objet de la revendication 1 de la requête principale est bel et bien susceptible d'application industrielle et remplit donc les conditions de l'art. 57 CBE 1973. En conclusion, la chambre a constaté que la formulation des art. 52 à 57 CBE de la CBE, relatifs à la brevetabilité, telle que retenue par le législateur, ne lie aucunement la notion d'invention brevetable à une quelconque condition quant à la nécessité du caractère tangible, au sens de matériel, que devrait présenter une telle invention (cf. point 7.2 des motifs).
Dans l'affaire T 204/93, la chambre a estimé qu'une utilisation commerciale peut être considérée comme une caractéristique satisfaisant à l'exigence selon laquelle l'invention doit être susceptible d'application industrielle (art. 52(1) CBE 1973), c'est-à-dire qu'elle peut être fabriquée ou utilisée dans tout genre d'industrie (art. 57 CBE 1973), dès lors qu'il ne s'agit pas d'une méthode dans le domaine économique, laquelle est exclue de la brevetabilité en vertu de l'art. 52(2)c) et (3) CBE 1973. Référence avait notamment été faite au terme "gewerblich" utilisé dans le texte allemand de cette disposition. La chambre a relevé à cet égard qu'il n'était pas contesté que des programmes d'ordinateur puissent être exploités à des fins commerciales. L'art. 52(2) et (3) CBE 1973, qui énumère les objets exclus de la brevetabilité, ne fait pas référence à l'exigence d'"application industrielle" prévue au paragraphe 1 de cet article, mais à l'exigence énoncée dans ce même article selon laquelle l'objet revendiqué doit être une "invention". On considère généralement que les objets exclus de la brevetabilité en vertu de l'art. 52(2) et (3) CBE 1973 ont ceci de commun qu'ils sont dépourvus de caractère technique, et non pas que ces objets ne pourraient être fabriqués ou utilisés, par exemple commercialisés. En l'espèce, la chambre a estimé que l'invention était dépourvue de caractère technique et, à ce titre, non brevetable.