5.3. Priorités multiples ou priorité partielle pour une seule revendication
Durant la période qui a suivi l'avis G 2/98 (JO 2001, 413), la condition ci-dessus, énoncée par la Grande Chambre de recours au sujet des revendications génériques du type "OU", a donné lieu à des divergences dans la jurisprudence des chambres, divergences qui ont ensuite fait l'objet de la décision G 1/15 de la Grande Chambre de recours (JO 2017, A82 ; voir également le présent chapitre, II.D.5.3.2 ci-dessous).
Dans certaines de ces affaires, il a été considéré que des éléments divulgués dans le document de priorité et compris dans la revendication générique de la demande de brevet européen ultérieure ne pouvaient pas bénéficier de la priorité (partielle), au motif que la condition énoncée par la Grande Chambre de recours n'était pas remplie. Une telle approche pourrait parfois aboutir, au titre de l'art. 54(3) CBE, à une "collision" avec un autre membre de la même famille du brevet européen (notamment dans les situations impliquant ce que l'on appelle parfois une "priorité toxique" ou une "demande divisionnaire empoisonnée" – voir aussi le résumé de la décision T 557/13 du 17 juillet 2015 date: 2015-07-17, JO 2016, A87, dans la section suivante). Dans la décision G 1/15 (JO 2017, A82), la Grande Chambre de recours a fait observer que dans un certain nombre de décisions, les termes de la condition avaient été interprétés comme définissant une exigence supplémentaire devant être observée pour que le droit à une priorité partielle soit reconnu. La Grande Chambre a rejeté cette interprétation, si bien que l'approche retenue dans les décisions T 1127/00, T 1443/05, T 1877/08, T 476/09, et d'autres décisions citées dans la décision G 1/15, au point 2.2 des motifs, ne peut plus être suivie.
Néanmoins, d'autres décisions rendues après l'avis G 2/98 ont reconnu l'existence d'une priorité partielle dans des circonstances comparables.
Ainsi, dans l'affaire T 665/00, la chambre a indiqué que l'objet d'un usage antérieur public présumé, survenu pendant le délai de priorité, était à la fois décrit dans le document de priorité et compris dans l'étendue des revendications du brevet litigieux, mais que le document de priorité ne décrivait pas nécessairement l'ensemble des objets revendiqués. Se référant à l'art. 88(3) CBE 1973 et à l'avis G 2/98 (JO 2001, 413), la chambre a estimé que différents éléments d'une demande de brevet pouvaient bénéficier de différentes dates de priorité et que cette approche s'appliquait également à une revendication unique dans la mesure où celle-ci englobait des variantes (alternatives) et pouvait donc être divisée en plusieurs objets. Parmi les différentes alternatives que regroupe la revendication 10 (concernant une poudre contenant des microsphères creuses dont la masse spécifique est caractérisée par le terme générique "inférieure à 0,1 g/cm3") les poudres non compactées contenant les microsphères "Expancel DE" bénéficient de la date de priorité revendiquée. L'usage antérieur invoqué, survenu après la date de priorité et mettant en jeu un produit qui contenait les mêmes microsphères "Expancel DE", ne pouvait donc pas détruire la nouveauté. Voir également T 135/01.
La signification de la condition énoncée dans l'avis G 2/98 pour ce qui est des revendications du type "OU" a fait l'objet de nombreuses observations incidentes dans la décision T 1222/11. D'après la chambre, la condition selon laquelle l'utilisation d'un terme ou d'une formule générique doit conduire "à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis" devrait recevoir un sens différent de celui qui lui a été donné dans les affaires T 1877/08, T 476/09, T 1443/05 et T 1127/00. Cette condition ne peut désigner la manière dont l'objet de la revendication de type "OU" doit être défini. Cela serait, du moins en ce qui concernait des termes génériques, en opposition avec le test de l'étendue de l'exposé, qui s'appuie sur le principe d'une divulgation sans équivoque et directe (cf. G 3/89, JO 1993, 117). Aux fins de l'examen requis par l'art. 88(3) CBE, la chambre a considéré que la condition précitée renvoie à la capacité d'identifier conceptuellement, par comparaison de l'objet de la revendication de type "OU" avec la divulgation contenue dans les documents de priorité multiples, un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis auxquels les droits de priorité multiples pourraient ou non être rattachés (voir exemples figurant dans le mémorandum de la FICPI (M/48/I, partie C) pour la Conférence diplomatique de Munich en 1973, tel que cité dans l'avis G 2/98).
Dans l'affaire T 571/10, la chambre a suivi expressément l'approche développée dans la décision T 1222/11. La demande en cause, qui concernait un composé pharmaceutique, et le document D9, qui était également une demande européenne, avaient la même date de dépôt et revendiquaient la priorité de la même demande nationale antérieure. En comparant l'objet générique de la revendication 1 en cause avec le document de priorité, la chambre a considéré que deux variantes (a) et (b) clairement définies étaient englobées par la revendication, sans y être exposées explicitement. Seule la variante (a) était entièrement divulguée dans le document de priorité et bénéficiait par conséquent du droit de priorité revendiqué. D9 ne pouvait faire partie de l'état de la technique en vertu de l'art. 54(3) CBE que dans la mesure où la priorité de la demande en cause n'était pas valablement revendiquée alors que la priorité de D9 l'était. S'agissant de la variante (a) de la revendication 1, cela n'était pas le cas, puisque D9 n'avait pas de date de priorité antérieure valable. En ce qui concerne la variante (b) de la revendication 1, D9 faisait partie de l'état de la technique en vertu de l'art. 54(3) CBE uniquement à l'égard de l'objet pour lequel la priorité de D9 était valable, à savoir la variante (a). Cet objet ne détruisait pas la nouveauté de l'objet de la variante (b) de la revendication 1, étant donné qu'il ne se recoupait pas avec ce dernier.
Le sommaire de la décision était rédigé comme suit : "Lorsqu'une seule priorité est revendiquée pour une demande particulière et que plusieurs caractéristiques d'une revendication de ladite demande sont des généralisations de caractéristiques spécifiques divulguées dans le document de priorité, une priorité partielle doit être admise tant qu'il est possible de déterminer mentalement, en comparant l'objet revendiqué avec la divulgation figurant dans le document de priorité, un nombre limité de variantes clairement définies, y compris parmi celles-ci les modes de réalisation spécifiques qui peuvent être déduits directement et sans ambiguïté du document de priorité. Pour que cette condition soit remplie, il n'est pas nécessaire que les variantes clairement définies soient mentionnées en détail en tant que telles dans la demande, ni que le terme "ou" soit effectivement utilisé. Cette condition s'applique également en présence de priorités multiples. Dans ce cas, il est nécessaire d'effectuer une comparaison avec la divulgation contenue dans chaque document de priorité, et pour chacune des variantes clairement définies, il y a lieu de reconnaître la priorité la plus ancienne d'où peut être déduite directement et sans ambiguïté la variante."