CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Grande Chambre de recours
Avis de la Grande Chambre de recours, en date du 31 mai 2001 - G 2/98
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | P. Messerli |
Membres : | W. Moser |
| C. Andries |
| G. Davies |
| J-C Saisset |
| R. Teschemacher |
| E. Turrini |
Référence: Condition requise pour qu'il puisse être revendiqué la priorité d'une demande portant sur la "même invention"
Article: 54(2), (3), 56, 60(2), 83, 84, 87(1), (4), 88(2), (3), (4)89, 93, 112(1)(b), 123(2) et (3) CBE
Convention de Paris, art. 4A(1), 4C(4), 4F, 4H, 19
RPGCR, art. 11ter
Mot -clé: "Interprétation de la notion de "même invention" mentionnée à l'article 87(1) CBE" - "Compatibilité de l'interprétation avec la Convention de Paris et la CBE" - "Conformité de l'interprétation avec les principes de l'égalité de traitement et de la sécurité juridique, et avec l'exigence de cohérence dans l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive"
Sommaire
La condition requise à l'article 87(1) CBE pour qu'il puisse être revendiqué la priorité d'une demande portant sur "la même invention" signifie qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'article 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble.
Rappel de la procédure
I. Le 29 juillet 1998, le Président de l'OEB, usant du pouvoir que lui confère l'article 112(1)b) CBE, a soumis la question suivante à la Grande Chambre de recours :
"1a) La condition énoncée à l'article 87(1) CBE relative à la "même invention" signifie-t-elle que l'étendue du droit de priorité issu d'une demande antérieure pour une demande ultérieure est déterminée par l'objet qui est au moins implicitement divulgué dans la demande antérieure et se limite en même temps à cet objet ?
1b) Ou bien un degré moindre de correspondance entre la demande antérieure et l'objet revendiqué dans la demande ultérieure est-il suffisant à cet égard et justifie-t-il toujours le droit de priorité ?
2) En cas de réponse affirmative à la question 1 b), selon quels critères faut-il examiner si la revendication contenue dans la demande ultérieure a trait à la même invention que dans la demande antérieure ?
3) Plus précisément, lorsque des caractéristiques qui n'ont pas été divulguées, même implicitement, dans la demande antérieure, ont été ajoutées à la revendication concernée de la demande ultérieure ou lorsque des caractéristiques définies dans des termes plus généraux dans la demande antérieure l'ont été de façon plus précise ou plus étroite dans la demande ultérieure, un droit de priorité peut-il néanmoins découler de la demande antérieure et, le cas échéant, quels sont les critères à remplir pour justifier la priorité dans ce cas ?"
II. Dans les motifs de sa demande de saisine, le Président de l'OEB a signalé que les chambres de recours avaient rendu des décisions contradictoires à propos de la question de droit posée ci-dessus, et a fait valoir essentiellement les arguments suivants :
(i) Traditionnellement, l'OEB estimait que l'étendue du droit de revendiquer la priorité d'une première demande antérieure était déterminée et limitée par la mesure dans laquelle l'objet revendiqué dans la demande ultérieure avait été divulgué, au moins implicitement, dans la première demande (cf. décisions T 116/84, en date du 28 novembre 1984 [non publiée au JO OEB], point 2 des motifs ; T 184/84, en date du 4 avril 1986 [non publiée au JO OEB], points 2 et 3 des motifs ; T 85/87, en date du 21 juillet 1988 [non publiée au JO OEB], points 3 et 4 des motifs ; T 295/87 "Polyéthercétones/ICI" [JO OEB 1990, 470], points 6.2 et 6.4 des motifs).
(ii) Il était considéré que les principes ci-dessus s'appliquaient non seulement dans le cas où les revendications figurant dans la demande ultérieure ont été élargies par rapport à l'exposé fait de l'invention dans la demande antérieure, mais également dans le cas où, pour ce qui est de l'étendue de la protection conférée, l'invention était définie dans la demande européenne de manière plus étroite que dans la demande antérieure. Dans cette jurisprudence, il était considéré que le critère de l'exposé au moins implicite appliqué pour le test de la nouveauté au regard de l'article 54(2) et (3) CBE et que le critère utilisé pour le test de l'étendue de l'exposé au regard de l'article 123(2) CBE valent également dans le cas où les revendications de la demande de brevet européen comportent une ou plusieurs caractéristiques additionnelles par rapport à l'exposé fait de l'invention dans la demande antérieure, ou dans le cas où les caractéristiques ont été définies de façon plus spécifique que dans l'exposé plus général fait dans la demande antérieure. L'on estimait qu'il importait peu à cet égard que les caractéristiques ajoutées, non divulguées dans la demande antérieure, constituent ou non des éléments essentiels de l'invention revendiquée, bien qu'il ait toujours été reconnu clairement que la priorité ne pouvait être revendiquée si des caractéristiques essentielles de l'invention ne se retrouvaient pas dans la demande antérieure, ou avaient été omises dans la demande de brevet européen comparée avec la demande antérieure.
(iii) Cette approche partait de l'idée selon laquelle, en vertu de la CBE, le droit à la protection par brevet qu'un demandeur peut obtenir et les limites de cette protection sont fonction de l'exposé qui a été fait de l'invention dans une demande déposée à une certaine date. Aux termes de l'article 60(2) CBE, le droit au brevet européen n'appartient pas au premier inventeur, mais à la personne qui a déposé la demande de brevet dont la date de dépôt est la plus ancienne. En vertu de l'article 54(3) CBE, une telle demande était considérée comme faisant partie de l'état de la technique par rapport à une demande ultérieure, même si le dernier demandeur était en fait le premier inventeur. En vertu de l'article 123(2) CBE, la protection par brevet que pouvait obtenir un demandeur était fonction de l'exposé qui avait été fait de l'invention dans la demande telle que déposée (demande à la date du dépôt) et était limitée à cet exposé. Par conséquent, selon le point de vue traditionnel, il devait en aller de même pour la détermination de l'étendue du droit de priorité conféré par un premier dépôt antérieur. Il était considéré que ce principe trouvait son expression à l'article 88(3) CBE, qui prévoit que lorsqu'une ou plusieurs priorités sont revendiquées, le droit de priorité ne couvre que les éléments de la demande qui sont contenus dans la demande ou dans les demandes dont la priorité est revendiquée, et que ce principe découlait également de l'article 88(4) CBE.
(iv) En revanche, dans la décision T 73/88 "Aliment à croquer/HOWARD" (JO OEB 1992, 557), il avait été reconnu qu'une revendication principale qui contenait une caractéristique technique (caractéristique additionnelle) qui n'avait pas été divulguée dans la demande antérieure bénéficiait néanmoins de la priorité d'une première demande antérieure, car il avait été estimé que cette caractéristique était sans rapport avec la fonction et l'effet de l'invention, et par conséquent avec le caractère et la nature de l'invention. Par conséquent, le fait qu'elle ne fût pas exposée dans la demande antérieure n'entraînait pas de perte de priorité du moment que, par ailleurs, la revendication se rapportait pour le fond à la même invention que celle qui avait été exposée dans la demande antérieure. Une caractéristique technique qui est d'une importance essentielle pour la détermination de l'étendue de la protection conférée (du fait qu'elle limite la protection revendiquée) n'était pas nécessairement une caractéristique essentielle pour la détermination de la priorité. Pour savoir si une caractéristique particulière était essentielle pour la détermination de la priorité et devait par conséquent avoir été exposée spécifiquement dans la demande antérieure, il convenait d'examiner son rapport avec le caractère et la nature de l'invention. En particulier, si une caractéristique technique constituait une réalisation plus spécifique d'une caractéristique qui avait été exposée de manière plus générale dans le document antérieur, il n'y avait pas de perte de priorité, à condition que l'introduction de cette caractéristique technique plus spécifique ne modifie pas le caractère et la nature de l'invention revendiquée. En outre, peu importait en principe, pour la détermination de la priorité, la raison exacte pour laquelle cette caractéristique avait été ajoutée dans les revendications de la demande de brevet européen, p.ex. pour permettre d'établir la nouveauté de l'objet revendiqué par rapport à l'état de la technique. Les auteurs de la décision considéraient que la démarche consistant, pour la détermination du droit de priorité, à examiner si la caractéristique revendiquée avait ou non fait l'objet d'un exposé spécifique (même implicite) dans la demande antérieure était une approche trop étroite et trop littérale qui ne correspondait pas à ce qui est exigé à l'article 87(1) CBE.
La décision précitée a par la suite été confirmée et suivie à plusieurs reprises, par exemple dans les décisions T 16/87 "Catalyseur/PROCATALYSE" (JO OEB 1992, 212), T 582/91 en date du 11 novembre 1992 (non publiée au JO OEB), T 255/91 "Priorité/AIR PRODUCTS AND CHEMICALS" (JO OEB 1993, 318), T 669/93 en date du 13 février 1995 (non publiée au JO OEB), T 1056/93 en date du 16 janvier 1996 (non publiée au JO OEB) et T 364/95 en date du 20 novembre 1996 (non publiée au JO OEB). Dans la décision T 16/87, le titulaire du brevet a reconnu que la caractéristique supplémentaire n'avait été introduite dans la revendication que pour permettre de mieux délimiter cette revendication par rapport à un droit national antérieur. Dans les décisions T 582/91 et T 364/95 ainsi que dans la décision T 73/88, la caractéristique ajoutée avait été considérée comme une simple limitation "volontaire" de la portée de la revendication, qui ne constituait pas un élément essentiel de l'objet de la revendication, et il avait également été estimé que pour l'appréciation de la validité de la priorité, il convenait d'examiner si un effet ou une fonction particulière pouvait être attribué à la caractéristique qui avait été modifiée ou précisée.
(v) Dans d'autres décisions, les chambres de recours ont continué à appliquer l'approche traditionnelle, à savoir la méthode dite du "test de la nouveauté". Cette expression était un mot-clé utilisé pour distinguer cette approche de l'approche adoptée dans la décision T 73/88. Toutefois, cette méthode d'examen de la validité de la priorité revendiquée ne correspondait pas à tous égards à l'examen de la nouveauté si le document antérieur constituait l'état de la technique par rapport à la revendication considérée. En fait, il pouvait y avoir des cas, p.ex. lorsque la revendication avait été élargie dans la demande ultérieure par rapport à l'exposé plus spécifique figurant dans la demande antérieure, dans lesquels, bien que la revendication ne fût pas nouvelle par rapport à l'exposé plus spécifique figurant dans la demande antérieure, la priorité de la demande antérieure ne pouvait néanmoins pas être valablement revendiquée pour la revendication plus large figurant dans la demande ultérieure (cf. par exemple la décision T 77/97 du 3 juillet 1997 [non publiée au JO OEB], points 6.4 et 6.5 des motifs).
Ainsi, ce que l'on entendait par l'expression "test de la nouveauté" était en réalité synonyme d'un "test de l'exposé", c'est-à-dire que pour l'examen de la validité de la priorité revendiquée, il convenait de déterminer quel était l'exposé explicite et implicite qui figurait dans la demande antérieure.
(vi) Il ressort de l'avis G 3/93 "Délai de priorité" rendu par la Grande Chambre de recours (JO OEB 1995, 18) que la Grande Chambre considère qu'une combinaison revendiquée comprenant les caractéristiques A+B+C est une invention différente d'une combinaison ne comprenant que les éléments A+B, quelle que soit la nature de l'élément ajouté.
(vii) Dans la décision T 77/97, il était dit que l'expression "même invention" utilisée à l'article 87(1) CBE devait être interprétée conformément à l'article 88 (2), (3) et (4) CBE, et notamment conformément à l'article 88(4) CBE, qui prévoit que les éléments pour lesquels la priorité est revendiquée doivent avoir été révélés spécifiquement dans (l'ensemble des pièces de) la demande antérieure. Par conséquent, dans le cas d'une revendication dépendante comportant des éléments supplémentaires qui n'étaient pas présents dans la revendication indépendante correspondante, ces éléments supplémentaires devaient eux aussi avoir été révélés spécifiquement. Il ne suffisait pas que la revendication se fonde sur l'exposé de l'invention au sens de l'article 83 CBE qui avait été fait dans la demande antérieure, et à plus forte raison, il ne pouvait suffire que l'objet de la revendication dépendante spécifique soit englobé dans l'exposé plus général qui figurait dans la demande antérieure. Le critère à appliquer pour la détermination de la validité de la priorité revendiquée était plutôt celui de l'existence ou non d'un exposé au moins implicite dans la demande antérieure. Les règles à appliquer pour la constatation de l'existence de cet exposé implicite étaient identiques dans tous les cas, et le résultat devait être le même quelle que soit la nature du document concerné.
III. Pour souligner l'importance de la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours, le Président de l'OEB a fait valoir essentiellement les arguments suivants :
(i) La réponse qui sera donnée à la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours aura une importance considérable, non seulement pour le demandeur qui souhaite se prévaloir de la priorité d'une ou plusieurs demandes antérieures, mais aussi pour les tiers qui sont affectés par la date de priorité qui est attribuée à la demande de brevet européen, et notamment pour les demandeurs qui ont déposé des demandes qui risquent d'être interférentes.
(ii) Non sans raison la chambre compétente a fait valoir dans la décision T 73/88 que le titulaire d'un brevet ne doit pas être privé de son droit de priorité du seul fait que la protection conférée par le brevet est limitée par rapport à ce qui a été exposé dans la demande antérieure (cf. point 2.4 des motifs). Néanmoins, cette approche peut également défavoriser le demandeur qui, dans le cas où il existe deux demandes nationales antérieures, se prévaut du délai de priorité de la demande nationale la plus récente, dont le contenu spécifique est strictement identique à ce qu'il revendique ensuite dans sa demande européenne. En effet, la définition de la notion de "même invention" revêt également de l'importance lorsqu'il s'agit d'examiner laquelle de ces demandes antérieures doit être considérée comme la première demande portant sur la "même invention" au sens de l'article 87(1) CBE.
(iii) Dans l'article 54(3) CBE, il est considéré que lorsque deux demandes ont le même objet, le droit au brevet revient à celui qui a déposé la demande qui a la première exposé l'objet en question. Par conséquent, c'était uniquement le critère de la nouveauté qu'il convenait d'appliquer pour trancher la question de savoir si une demande de brevet européen constituait ou non un état de la technique pouvant faire obstacle à la brevetabilité d'une autre demande en vertu de l'article 54(3) CBE. Par conséquent, si l'article 89 CBE prévoit, même pour ce qui concerne l'article 54(3) CBE, qu'une priorité valablement revendiquée doit être prise en compte, ceci ne cadrait à l'évidence avec l'article 54(3) CBE que parce que et dans la mesure où l'objet de la demande ultérieure avait effectivement déjà été exposé dans la demande antérieure.
(iv) Lorsqu'il s'agit de déterminer laquelle de deux demandes européennes peut revendiquer la date de priorité la plus ancienne, il est souvent capital de savoir si la priorité a été ou non valablement revendiquée du point de vue du droit matériel, ce qui, dans l'approche adoptée dans la décision T 73/88, dépendait de la question de savoir si la caractéristique ajoutée était ou non une caractéristique essentielle. Toutefois, une interprétation large voire extensive de la notion de "même invention" selon cette approche pourrait aboutir à un résultat regrettable. Il pourrait être délivré un brevet européen sur la base d'une demande de brevet européen A, alors qu'une demande européenne B déposée ultérieurement qui revendiquerait les mêmes éléments serait rejetée, et ceci même si la demande antérieure dont la priorité était revendiquée par la demande de brevet européen B déposée ultérieurement était en fait la première demande à avoir exposé l'objet revendiqué.
(v) Dans l'approche problème-solution, le problème résolu par l'invention considérée doit être défini objectivement, par détermination de la contribution apportée par l'invention par rapport à l'état de la technique. Par conséquent, le problème résolu objectivement par l'invention ne peut à tout moment être déterminé une fois pour toutes. Au contraire, il se peut qu'il doive faire l'objet d'une vaste redéfinition au cours du traitement de la demande et même plus tard, chaque antériorité nouvelle découverte par la suite devant être prise en compte. Dès lors, ce qui, à un certain moment, apparaissait comme un effet "secondaire" négligeable de l'invention revendiquée, pouvait très bien se révéler plus tard comme étant la contribution (réelle) de l'invention à l'état de la technique. Mais même en l'absence de toute nouvelle antériorité, la définition du problème objectivement résolu et de ce qui constitue la nature essentielle des caractéristiques peut changer radicalement au cours de la procédure. Ainsi, à l'instar de la nouveauté et de l'activité inventive, la validité de la priorité revendiquée pourrait également être contestée pendant toute la durée de vie du brevet, notamment sur la base de nouvelles antériorités, aussi longtemps que la procédure le permet.
Ces problèmes se posent avec une acuité particulière dans les domaines techniques en rapide évolution, tels le domaine de la biotechnologie, dans lequel de nombreux chercheurs travaillent en vue d'atteindre les mêmes objectifs, chaque perfectionnement faisant immédiatement l'objet d'une demande de brevet.
(vi) Aux fins de l'interprétation de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (Convention de Paris), et notamment de son article 4A(1), il est généralement considéré que le dépôt ultérieur doit porter sur le même objet que le premier dépôt sur lequel se fonde la revendication du droit de priorité.
IV. Plusieurs déclarations de tiers ont été adressées à la Grande Chambre en application de l'article 11ter du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours. En ce qui concerne la condition relative à la "même invention" dont il est question à l'article 87(1) CBE, ces déclarations sont l'expression de deux points de vue différents ; selon les uns, même si une revendication d'une demande de brevet européen comporte une caractéristique qui n'a pas été exposée dans la demande antérieure, il peut être reconnu que cette revendication peut bénéficier du droit de priorité si ladite caractéristique n'est pas en rapport avec la fonction et avec l'effet de l'invention revendiquée et n'apporte aucune contribution technique supplémentaire par rapport à l'invention. Selon les autres, il est considéré que, sur la base de l'article 4F de la Convention de Paris, une telle revendication peut bénéficier du droit de priorité s'il y a unité d'invention entre l'invention telle que définie dans cette revendication et l'objet exposé dans la demande antérieure.
Motifs de l'avis
1. Dans la décision T 73/88 (cf. point II.(iv) ci-dessus), il a été reconnu qu'une revendication pouvait bénéficier de la priorité d'une première demande antérieure, bien que cette revendication contînt une caractéristique supplémentaire qui n'avait pas été divulguée dans la demande antérieure. Néanmoins, dans certaines décisions rendues après la décision T 73/88 et après la publication de cette décision dans le Journal officiel de l'OEB, notamment dans les décisions T 311/93 du 16 janvier 1997 (non publiée au JO OEB) et T 77/97 (cf. point II.(v) ci-dessus), les chambres de recours ont continué à appliquer pour l'examen de la validité d'une priorité revendiquée le critère de l'exposé au moins implicite qui est appliqué pour le test de l'étendue de l'exposé au regard de l'article 123(2) CBE, si bien que, comme l'exige l'article 112(1)(b) CBE, des décisions divergentes ont été rendues sur la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours par le Président de l'OEB. La demande de saisine est donc recevable.
2. Pour répondre à la question 1a) soulevée dans la demande de saisine, à savoir si la notion de "même invention" mentionnée à l'article 87(1) CBE "signifie que l'étendue du droit de priorité issu d'une demande antérieure dont peut bénéficier une demande ultérieure est déterminée par l'objet qui est au moins implicitement exposé dans la demande antérieure et se limite en même temps à cet objet", il convient d'examiner tout d'abord si l'interprétation étroite ou stricte de cette notion, considérée comme équivalente à la notion de "même objet" qui figure à l'article 87(4) CBE, est compatible avec les dispositions pertinentes de la Convention de Paris et de la CBE. Dans cette interprétation étroite ou stricte, il est exigé que l'objet d'une revendication définissant l'invention dans la demande de brevet européen, à savoir la combinaison spécifique de caractéristiques présentes dans la revendication, soit exposé au moins de façon implicite dans la demande dont la priorité est revendiquée.
3. Aux termes de son préambule, la CBE constitue un arrangement particulier au sens de l'article 19 de la Convention de Paris. Il est clair par conséquent que dans les articles 87, 88 et 89 CBE, qui constituent une réglementation complète et autonome du droit de revendication d'une priorité pour une demande de brevet européen (cf. décision J 15/80, JO OEB 1981, 213), le législateur n'avait pas l'intention de contrevenir aux principes fondamentaux énoncés en matière de priorité dans la Convention de Paris (cf. décision T 301/87 "Interférons alpha/BIOGEN", JO OEB 1990, 335 ; point 7.5 des motifs).
4. L'article 4H de la Convention de Paris prévoit que "la priorité ne peut être refusée pour le motif que certains éléments de l'invention pour lesquels on revendique la priorité ne figurent pas parmi les revendications formulées dans la demande" dont la priorité est revendiquée, "pourvu que l'ensemble des pièces de la demande révèle d'une façon précise lesdits éléments". Il s'ensuit qu'il convient de reconnaître qu'une revendication, à savoir un "élément de l'invention" au sens de l'article 4H de la Convention de Paris, peut bénéficier du droit de priorité si l'objet de cette revendication est exposé de façon précise, explicitement ou implicitement, dans les pièces de la demande exposant l'invention, notamment sous la forme d'une revendication, d'un mode de réalisation ou d'un exemple cité dans la description de la demande dont la priorité est revendiquée, et qu'il y a lieu de refuser de faire bénéficier la revendication de ce droit de priorité, si ce n'est pas le cas.
L'article 4F de la Convention de Paris, premier paragraphe, prévoit notamment que la priorité ne peut être refusée "pour le motif qu'une demande revendiquant une ou plusieurs priorités contient un ou plusieurs éléments qui n'étaient pas compris dans la ou les demandes dont la priorité est revendiquée, à la condition qu'il y ait unité d'invention au sens de la loi du pays". Il ressort du deuxième paragraphe du même article que, en ce qui concerne ces éléments, "le dépôt de la demande ultérieure donne naissance à un droit de priorité dans les conditions ordinaires". Les éléments en question seraient alors contenus dans la demande dont la priorité est revendiquée pour une autre demande. Comme en vertu de l'article 4H de la Convention de Paris, l'invention pour laquelle est revendiquée la priorité ne doit pas nécessairement être définie dans une revendication de la demande dont la priorité est revendiquée (cf. ci-dessus), un "élément" au sens de l'article 4F de la Convention de Paris est un objet qui a été exposé de façon précise, explicitement ou implicitement, dans les pièces de la demande exposant l'invention, notamment sous la forme d'une revendication, d'un mode de réalisation ou d'un exemple cité dans la description de la demande qui revendique une ou plusieurs priorités. Ceci est conforme à l'esprit de l'article 4F de la Convention de Paris. La possibilité de revendiquer des priorités multiples a été introduite dans la Convention de Paris afin d'éviter que le demandeur ait à déposer des demandes de brevets d'addition pour faire protéger des perfectionnements de l'invention initiale. Ceci montre clairement que le terme "élément" ne devait pas désigner une caractéristique, mais un mode de réalisation (Actes de la Conférence de Washington de 1911, Berne 1911, p. 45 s.).
En outre, puisqu'il est possible de refuser de faire bénéficier une revendication du droit de priorité en vertu de l'article 4H de la Convention de Paris si l'objet de la revendication n'est pas exposé dans la demande dont la priorité est revendiquée (cf. ci-dessus), l'unité d'invention exigée en vertu du premier paragraphe de l'article 4F de la Convention de Paris est une unité qui doit exister entre deux ou plusieurs inventions exposées dans la demande revendiquant une ou plusieurs priorités, et non pas, comme il est affirmé dans certaines déclarations de tiers adressées à la Grande Chambre en application de l'article 11ter du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours (cf. point IV supra), entre une invention exposée dans la demande revendiquant une ou plusieurs priorités et une invention exposée dans une demande dont la priorité est revendiquée.
5. En fait, une interprétation étroite ou stricte de la notion de "même invention" mentionnée à l'article 87(1) CBE, considérée comme équivalente à la notion de "même objet" qui figure à l'article 87(4) CBE (cf. point 2 ci-dessus), est parfaitement compatible avec les articles 4F et 4H de la Convention de Paris, qui constituent des dispositions du droit matériel. En outre, la condition relative au "même objet" n'est pas contraire à l'article 4A(1) de la Convention de Paris, bien que cette disposition ne mentionne pas l'objet de la demande ultérieure. On estime toutefois généralement que le dépôt ultérieur doit avoir le même objet que le premier dépôt sur lequel se fonde le droit de priorité (cf. Wieczorek, Die Unionspriorität im Patentrecht, Cologne, Berlin, Bonn, Munich, 1975, p. 149). Ceci découle de la finalité et de l'objectif mêmes du droit de priorité : la protection contre les divulgations destructrices de nouveauté pendant une période de douze mois à compter de la date de dépôt de la première demande n'est nécessaire que dans le cas du dépôt d'une demande ultérieure relative à la même invention. Enfin, une interprétation aussi étroite est également compatible avec l'article 4C(4) de la Convention de Paris, selon lequel "doit être considérée comme première demande" "une demande ultérieure ayant le même objet qu'une première demande antérieure", "à la condition que cette demande antérieure, à la date du dépôt de la demande ultérieure", satisfasse à certaines conditions ; il n'y a aucune raison d'interpréter différemment la notion de "même invention" dans ce cas de figure.
6. Les paragraphes 2 à 4 de l'article 88 CBE régissent des aspects de fond de la revendication d'une priorité, ainsi qu'il a été constaté dans l'avis G 3/93 (cf. point II. (vi) ci-dessus), point 6 des motifs, duquel il ressort que, bien que "l'article 88 CBE se rapporte principalement aux aspects procéduraux et formels de la revendication de priorité", il a également trait aux questions de fond relatives à la revendication de priorité, lesquelles doivent "être traitées conformément aux principes de base posés à l'article 87(1) CBE".
6.1 Sur le fond, l'article 88(2), première phrase et l'article 88(3) CBE correspondent à l'article 4F de la Convention de Paris, et l'article 88(4) CBE correspond presque mot pour mot à l'article 4H de la Convention de Paris.
6.2 L'article 88(4) CBE dispose que la priorité peut être accordée même "si certains éléments de l'invention pour lesquels la priorité est revendiquée ne figurent pas parmi les revendications formulées dans la demande antérieure", à condition que "l'ensemble des pièces de la demande antérieure révèle d'une façon précise lesdits éléments". Aux termes de l'article 88(3) CBE, "lorsqu'une ou plusieurs priorités sont revendiquées pour la demande de brevet européen, le droit de priorité ne couvre que les éléments de la demande de brevet européen qui sont contenus dans la demande ou dans les demandes dont la priorité est revendiquée". Etant donné que, selon l'article 84 CBE, "les revendications définissent l'objet de la protection demandée" et, par conséquent, déterminent l'objet pour lequel la priorité peut être revendiquée, l'expression "éléments de l'invention" utilisée à l'article 88(4) CBE et l'expression "éléments de la demande de brevet européen" utilisée à l'article 88(3) CBE doivent être considérées comme synonymes. Les "éléments de l'invention" et les "éléments de la demande de brevet européen" constituent en réalité l'objet de l'invention tel qu'il est défini dans une revendication de la demande de brevet européen.
6.3 L'article 88(2) CBE, deuxième phrase, prévoit que, "le cas échéant, des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une même revendication". Afin de comprendre quelle était l'intention des auteurs de cette disposition, il convient de consulter les documents préparatoires à la CBE, notamment les documents M/19, M/22, M/23, M 48/I et M/PR/I.
6.4 Des propositions avancées par trois Organisations non gouvernementales : l'UNICE (Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe) (cf. M/19, point 8), le CIFE (Conseil des fédérations industrielles d'Europe) (cf. M/22, point 4) et la FEMIPI (Fédération européenne des Mandataires de l'industrie en propriété industrielle) (cf. M/23, point 23) sont à l'origine de cette disposition de la CBE. Ces propositions ont été analysées par la suite dans un mémorandum de la FICPI (Fédération internationale des conseils en propriété industrielle), autre Organisation non gouvernementale (cf. M 48/I, partie C). La disposition prévoyant que des priorités multiples peuvent être revendiquées pour une revendication (art. 88(2) CBE, deuxième phrase) a été finalement adoptée sur la base de ce mémorandum après que la délégation de la République fédérale d'Allemagne eut retiré sa réserve vis-à-vis d'une telle modification (cf. M/PR/I, point 317). Ainsi, on peut considérer que ce mémorandum traduit l'intention des auteurs de l'article 88(2) CBE, deuxième phrase.
6.5 D'après le mémorandum, "lorsque l'on examine s'il existe une justification pour revendiquer des priorités multiples pour une seule et même revendication de la demande, il faut distinguer les situations suivantes" :
(i) revendication du type "ET"
(ii) revendication du type "OU".
6.6 En ce qui concerne les revendications du type "ET" (point 6.5 (i) supra), il est dit dans le mémorandum que "lorsqu'un premier document de priorité contient une caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour son utilisation simultanée avec A, une revendication A + B ne peut bénéficier de la priorité partielle de la première date de priorité parce que l'invention A + B n'a été décrite qu'à la date du second document de priorité". Il découle clairement de ce passage que, dans l'esprit du législateur, il ne peut être revendiqué de priorités multiples pour une revendication du type "ET". L'on doit dès lors renoncer à appliquer la théorie dite du "parapluie", qui veut que la caractéristique A figurant dans la revendication portant sur A + B bénéficie d'une priorité partielle à compter de la première date de priorité, si bien que la caractéristique A ne pourrait en aucune façon apparaître comme l'état de la technique par rapport à l'invention A + B revendiquée. En outre, l'application de la théorie dite du "parapluie" serait manifestement contraire à l'article 88(4) CBE.
6.7 En ce qui concerne les revendications de type "OU" (point 6.5(ii) supra), il est dit dans le mémorandum que "si un premier document de priorité contient la caractéristique A, et un second document de priorité contient la caractéristique B pour être utilisée en alternative avec A", alors une revendication pour A ou B peut bénéficier de "la première priorité pour la partie A de la revendication et de la seconde priorité pour la partie B". Il est en outre suggéré que ces deux priorités peuvent également être revendiquées pour une revendication portant sur C, si la caractéristique C, soit sous forme de terme ou de formule générique, soit d'une quelconque autre façon, englobe à la fois la caractéristique A et la caractéristique B. L'utilisation d'un terme ou d'une formule générique dans une revendication pour laquelle des priorités multiples sont revendiquées conformément à l'article 88(2) CBE, deuxième phrase est parfaitement acceptable au regard des articles 87(1) et 88(3) CBE, à condition qu'elle conduise à revendiquer un nombre limité d'objets alternatifs clairement définis.
6.8 Il semble dès lors qu'une interprétation étroite ou stricte de la notion de "même invention" qui figure à l'article 87(1) CBE, considérée comme équivalente à la notion de "même objet" mentionnée à l'article 87(4) CBE (cf. point 2 ci-dessus), est parfaitement en accord avec les paragraphes 2 à 4 de l'article 88 CBE. Cette interprétation étroite ou stricte est également compatible avec l'article 87(4) CBE, correspondant à l'article 4C(4) de la Convention de Paris, qui prévoit qu'"une demande ultérieure ayant le même objet qu'une première demande antérieure" est "considérée comme première demande pour la détermination de la priorité, à la "condition que cette demande antérieure, à la date de dépôt de la demande ultérieure", satisfasse à certaines conditions ; il n'y a aucune raison en pareil cas d'interpréter différemment la notion de "même invention" (cf. point 5 supra).
7. En ce qui concerne les Etats parties à la CBE, la notion de "même invention" présentée comme condition de fond pour la revendication d'une priorité est expressément mentionnée dans les lois sur les brevets de certains de ces Etats, et il est considéré en outre qu'elle dérive implicitement des lois sur les brevets de certains autres de ces Etats. L'interprétation de cette notion dans ces Etats contractants peut aller d'une interprétation étroite ou stricte (cf. point 2 supra) à une interprétation large, voire extensive, plus ou moins dans la ligne de la décision T 73/88 (cf. point II.(iv) ci-dessus). Par conséquent, ni les conditions de fond pour la revendication d'une priorité qui sont requises dans les lois sur les brevets des Etats contractants, ni leur interprétation par les instances nationales compétentes ne permettent de donner une réponse sans équivoque à la question qui se pose en l'occurrence, qui est de savoir dans quelle mesure l'objet d'une invention doit être exposé dans le document antérieur afin de pouvoir bénéficier d'un droit de priorité.
8. Pour la fixation des critères applicables lorsqu'il s'agit de déterminer si une revendication figurant dans une demande de brevet européen ultérieure porte sur la même invention au sens de l'article 87(1) CBE que celle exposée dans la demande antérieure, il convient de prendre en considération les aspects suivants du problème :
8.1 Aux termes de l'article 89 CBE, "par l'effet du droit de priorité, la date de priorité est considérée comme celle du dépôt de la demande de brevet européen pour l'application de l'article 54, paragraphes 2 et 3" CBE. Lorsque l'on a affaire à deux demandes de brevet européen (ou à deux brevets européens) susceptibles d'interférer pour lesquel (le)s on revendique des priorités, et qu'il s'agit de déterminer lequel (laquelle) des deux doit se voir reconnaître la date de dépôt la plus ancienne aux fins de l'application de l'article 54(3) CBE, les critères applicables pour apprécier s'il s'agit de la notion de "même invention" au sens de l'article 87(1) CBE doivent être strictement identiques pour les deux demandes, comme le veut le principe de l'égalité de traitement entre le demandeur et les tiers. Dans ce contexte, il convient de prendre en compte les exemples suivants représentant deux cas de figure possibles mentionnés dans la demande de saisine présentée par le Président de l'OEB :
1.10.1998 | 1.12.1998 | 30.9.1999 | 30.11.1999 | ||||
GB1 | GB2 | EP1, prio. GB1 | EP2, prio. GB2 | ||||
demandeur X | demandeur Y | demandeur X | demandeur Y | ||||
Ex. 1 | A+B | A+B' | A+B' | A+B' | |||
Ex. 2 | A+B | A+B+C | A+B+C | A+B+C |
Si la priorité de la demande de brevet britannique GB1 est reconnue pour la demande de brevet européen EP1 parce que B' constitue une modification de B ne présentant pas un caractère essentiel (ex. 1) ou parce que l'ajout de C à la combinaison A+B revient à ajouter une caractéristique ne présentant pas un caractère essentiel (ex. 2), EP1 se voit attribuer la date de dépôt de la demande antérieure et constitue un état de la technique opposable à la demande européenne EP2 au titre de l'article 54(3) CBE. Il s'ensuit à l'évidence qu'une interprétation large voire extensive de la notion de "même invention", dans la ligne par exemple de la décision T 73/88 (cf. point II.(iv) supra), peut défavoriser le demandeur d'un brevet européen qui, à l'instar du demandeur Y susmentionné, se prévaut lui-même de la priorité d'une première demande au sens de l'article 87(1) CBE, qui est en réalité la première à avoir exposé l'objet revendiqué. Des problèmes correspondants se posent dans l'appréciation de la nouveauté au titre de l'article 54(2) CBE.
De surcroît, l'article 54(3) CBE, considéré en liaison avec l'article 89 CBE, prévoit que le contenu d'une demande de brevet européen EP1 telle qu'elle a été déposée, qui a une date de dépôt antérieure à la date de priorité d'une demande de brevet européen EP2 et qui a été publiée, en vertu de l'article 93 CBE, à la date de priorité de EP2 ou à une date postérieure, est considéré comme compris dans l'état de la technique pertinent pour EP2. Il découle de l'article 56 CBE, deuxième phrase, que le contenu de la demande EP1 telle que déposée ne doit être pris en considération que pour l'appréciation de la nouveauté de l'objet de la demande EP2, ce qui est parfaitement en accord avec l'esprit et la finalité de l'article 54(3) CBE, qui part du principe que lorsque deux demandes de brevet européen se rapportent au même objet, le droit au brevet doit être attribué à la demande qui est effectivement la première à avoir exposé cet objet. Toutefois, si l'on considère les exemples 1 et 2 cités ci-dessus, il apparaît qu'une interprétation large, voire extensive, de la notion de "même invention" (cf. supra) pourrait aller à l'encontre de ce principe.
8.2 En outre, les problèmes que pose une interprétation large, voire extensive, de la notion de "même invention" (cf. point 8.1 supra) peuvent être illustrés de la façon suivante : un demandeur dépose une demande nationale portant sur A+B, et deux mois plus tard, une demande nationale portant sur A+B+C. Par la suite, il dépose une demande de brevet européen portant sur A+B+C, onze mois après la date de dépôt de la demande nationale portant sur A+B+C, en faisant jouer la priorité de cette dernière. Si, par exemple, la caractéristique "C" venait alors à être jugée comme une caractéristique non essentielle, la priorité de la demande nationale portant sur A+B+C ne pourrait pas être reconnue dans le cas d'une interprétation large ou par extension de la notion de "même invention" (cf. point 8.1 supra), car dans ce cas la demande nationale portant sur A+B+C ne constituerait pas une première demande au sens de l'article 87 CBE.
En pareille situation, pour éviter toute contradiction, il faut appliquer des critères identiques lorsqu'il s'agit d'apprécier (i) si une demande doit être considérée comme la première demande aux fins de la détermination de la priorité et (ii) si une revendication figurant dans une demande de brevet européen ultérieure porte sur la même invention au sens de l'article 87(1) CBE que celle exposée dans la demande antérieure. Par conséquent, si une interprétation large, voire extensive, de la notion de "même invention" (cf. point 8.1 supra) conduit à reconnaître qu'une demande nationale portant sur A+B permet à une demande de brevet européen portant sur A+B' ou A+B+C de bénéficier du droit de priorité conféré par cette demande nationale, cette demande de brevet européen ne peut pas en même temps être considérée comme la première demande pour la détermination de la priorité dans le cadre d'une interprétation étroite ou stricte de ladite notion, considérée comme équivalente à la notion de "même objet" figurant à l'article 87(4) CBE (cf. point 2 supra). Il ressort clairement de cette disposition que les critères applicables pour déterminer si une demande doit être considérée comme première demande doivent être plutôt stricts lorsqu'il s'agit d'interpréter la notion de "même invention". Pour les raisons qui viennent d'être exposées, il est donc impératif d'appliquer les mêmes critères pour déterminer si une revendication figurant dans une demande de brevet européen ultérieure porte sur la même invention que celle exposée dans la demande antérieure (art. 87(1) CBE).
8.3 Lorsqu'il s'est agi de trancher la question de savoir si une revendication figurant dans une demande de brevet européen ultérieure porte sur la même invention au sens de l'article 87(1) CBE que celle exposée dans la demande antérieure, il a été distingué dans la décision T 73/88 (cf. point II.(iv) supra) et dans une déclaration de tiers effectuée au titre de l'article 11ter du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours (cf. point IV supra), entre les caractéristiques techniques en rapport avec la fonction et l'effet de l'invention, et les caractéristiques techniques sans rapport avec cette fonction et cet effet. Cette approche pose des problèmes, car il n'existe pas de critères clairs et objectifs permettant d'opérer une telle distinction, qui pourrait donc être arbitraire. En fait, les caractéristiques d'une revendication définissant l'invention selon le schéma A+B+C ne s'ajoutent pas simplement les unes aux autres, mais sont normalement liées entre elles de par leur nature même. Par conséquent, s'il y a lieu d'établir la distinction susmentionnée, la réponse à la question de savoir si l'invention revendiquée reste la même dans le cas où l'une des caractéristiques est modifiée ou supprimée, ou dans le cas où il est ajouté une nouvelle caractéristique D, dépendra étroitement de l'appréciation réelle donnée des faits et des circonstances de l'espèce par chaque instance particulière amenée à trancher. Les conclusions tirées de l'analyse de ces faits et circonstances pourront donc varier d'une instance à l'autre. En outre, comme l'a fait observer le Président de l'OEB dans sa demande de saisine (cf. point III.(v) supra), il ne faut pas oublier que la réponse donnée par ces différentes instances à la question de savoir si certaines caractéristiques techniques sont ou non en rapport avec la fonction et l'effet de l'invention revendiquée peut changer du tout au tout au cours de la procédure. C'est le cas notamment lorsqu'il y a lieu de tenir compte de nouvelles antériorités, avec le risque d'une remise en question de la validité d'un droit de priorité qui avait été reconnu jusque là. Or, une telle dépendance serait en contradiction avec le principe de sécurité juridique.
8.4 Si l'invention revendiquée dans une demande de brevet européen ultérieure constitue une "invention de sélection" (consistant à choisir des entités individuelles parmi des groupes plus vastes ou des fractions de plage à l'intérieur de plages plus larges de valeurs numériques) par rapport à l'objet qui a été exposé dans une première demande dont la priorité est revendiquée, les critères appliqués par l'OEB pour la détermination de la nouveauté d'une invention de sélection par rapport à l'état de la technique doivent également être examinés avec soin lorsqu'il s'agit d'apprécier si la revendication figurant dans la demande de brevet européen porte sur la même invention au sens de l'article 87(1) CBE que celle qui a été exposée dans la demande antérieure. La protection par brevet des inventions de sélection, notamment dans le domaine de la chimie, pourrait sinon être sérieusement compromise si les critères précités n'étaient pas scrupuleusement appliqués lors de l'examen du bien-fondé de revendications de priorité pour des inventions de sélection. Par conséquent, il ne doit pas être fait droit à de telles revendications de priorité si les inventions de sélection en question sont considérées comme "nouvelles" en application desdits critères.
9. Il découle de l'analyse qui vient d'être faite ci-dessus au point 8 qu'une interprétation large, voire extensive, de la notion de "même invention" mentionnée à l'article 87(1) CBE serait inappropriée et préjudiciable à l'exercice correct des droits de priorité, dans la mesure où il serait établi une distinction entre des caractéristiques techniques en rapport avec la fonction et l'effet de l'invention et des caractéristiques sans rapport avec cette fonction et cet effet, ce qui pourrait conduire à considérer que l'invention revendiquée reste la même, même si une caractéristique a été modifiée ou supprimée ou s'il a été ajouté une caractéristique supplémentaire (cf. point 8.3 supra). En fait, selon cette analyse, pour que les droits de priorité soient exercés correctement, en pleine conformité en particulier avec le principe de l'égalité de traitement entre le demandeur et les tiers (cf. point 8.1 supra) et avec le principe de la sécurité juridique (cf. point 8.3 supra), et également en accord avec l'exigence de cohérence dans l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive (cf. point 8.1 supra), il est nécessaire d'adopter une interprétation étroite ou stricte de la notion de "même invention", et de la considérer comme équivalente à la notion de "même objet" figurant à l'article 87(4) CBE (cf. point 2 supra). Une telle interprétation se fonde incontestablement sur les dispositions de la Convention de Paris (cf. point 5 supra) et de la CBE (cf. point 6.8 supra), et elle est parfaitement en accord avec l'avis G 3/93 (cf. point II.(vi) supra), ce qui signifie qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'article 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble.
10. Dans la décision G 1/93 "Caractéristique restrictive/ADVANCED SEMICONDUCTOR PRODUCTS" (JO OEB 1994, 541), dans laquelle il est question des exigences contradictoires des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE, il est établi une distinction entre les caractéristiques qui apportent une contribution technique par rapport à l'objet de l'invention revendiquée, et celles qui, sans apporter une telle contribution, ne font qu'exclure de la protection une partie de l'objet de l'invention revendiquée par la demande telle que déposée. La situation juridique est donc complètement différente dans cette décision.
11. Comme il est répondu affirmativement à la question 1a) (cf. point 9 supra), il n'est pas nécessaire de répondre aux questions 1b), 2) et 3).
Conclusion
Par ces motifs,
il est répondu comme suit à la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours par le Président de l'OEB :
La condition requise à l'article 87(1) CBE pour qu'il puisse être revendiqué la priorité d'une demande portant sur la "même invention" signifie qu'il ne convient de reconnaître qu'une revendication figurant dans une demande de brevet européen bénéficie de la priorité d'une demande antérieure conformément à l'article 88 CBE que si l'homme du métier peut, en faisant appel à ses connaissances générales, déduire directement et sans ambiguïté l'objet de cette revendication de la demande antérieure considérée dans son ensemble.