CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Grande Chambre de recours
Décision de la Grande Chambre de recours en date du 2 février 1994 - G 1/93*
(Traduction)
Composition de la Chambre:
Président: | P. Gori |
Membres: | E. Persson |
| P. Lançon |
| G.D. Paterson |
| C. Payraudeau |
| R. Schulte |
| P. van den Berg |
Titulaire du brevet/requérant: Advanced Semiconductor Products
Opposant/intimé: Mitsui Petrochemical Industries Ltd
Référence: Caractéristique restrictive/ADVANCED SEMICONDUCTOR PRODUCTS
Mot-clé: "Exigences contradictoires des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE"
Sommaire
I. Si un brevet européen tel que délivré contient un élément qui étend l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée au sens de l'article 123(2) CBE, tout en limitant l'étendue de la protection conférée par le brevet, celui-ci ne peut être maintenu au cours de la procédure d'opposition sans être modifié, car le motif d'opposition visé à l'article 100c) CBE s'oppose au maintien du brevet. Le brevet ne saurait davantage être modifié par suppression de l'élément restrictif des revendications, parce que cette modification donnerait lieu à une extension de la protection conférée, ce qui est interdit par l'article 123(3) CBE. Par conséquent, un tel brevet ne peut être maintenu que si l'on peut se fonder sur la demande telle que déposée pour remplacer l'élément en question sans contrevenir à l'article 123(3) CBE.
II. Une caractéristique qui n'a pas été divulguée dans la demande telle que déposée, mais a été ajoutée à celle-ci au cours de la procédure d'examen et qui, sans apporter de contribution technique à l'objet de l'invention revendiquée, ne fait que limiter la protection conférée par le brevet tel que délivré en excluant de la protection une partie de l'objet de l'invention revendiquée par la demande telle que déposée, ne doit pas être considérée comme un élément étendant l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée au sens de l'article 123(2) CBE. Le motif d'opposition visé à l'article 100c) CBE ne s'oppose donc pas au maintien d'un brevet européen comportant une telle caractéristique.
Exposé des faits et conclusions
I. Le brevet européen n° 84 221 portant sur un procédé de fabrication d'une membrane optique fine a été délivré en 1987. La revendication indépendante 1 s'énonce comme suit:
"Procédé pour réaliser une membrane optique à partir d'une solution comprenant au moins un polymère et au moins un solvant, caractérisé par les étapes consistant à : déposer la solution sur une surface horizontale d'un support (8) pouvant tourner autour d'un axe pratiquement vertical; accélérer le support (8) depuis une première vitesse de rotation jusqu'à une seconde vitesse de rotation de manière à étaler par effet centrifuge la solution radialement vers l'extérieur; former la membrane pendant la rotation du support (8) par évaporation du solvant dans la solution, les contraintes radiales imposées à la membrane ainsi que l'évaporation du solvant faisant en sorte que la membrane soit tendue sur la surface et pratiquement dépourvue de stries (c'est la Chambre qui souligne); et retirer la membrane, après formation, de la surface du support (8)."
II. Une opposition fondée sur tous les motifs énoncés à l'article 100 CBE a été formée contre le brevet. S'agissant du motif d'opposition visé à l'article 100c) CBE, il a été allégué notamment que la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries" dans la revendication 1 du brevet, qui avait été ajoutée durant l'examen de la demande de brevet, constituait une extension de l'objet au-delà du contenu de la demande telle que déposée. La division d'opposition a accepté cet argument et a révoqué le brevet conformément à l'article 102(1) CBE (sans examiner les autres motifs d'opposition invoqués par l'opposant).
III. Le titulaire du brevet s'est pourvu contre la décision de la division d'opposition et a demandé devant la chambre de recours technique 3.4.2 que l'affaire soit renvoyée à la première instance pour poursuite de la procédure sur la base de revendications modifiées du brevet litigieux. S'agissant de la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries" figurant dans la revendication 1, il a suggéré, au moyen de requêtes subsidiaires, de remplacer cette expression par "d'une épaisseur pratiquement uniforme" ou d'insérer à la fin de la description la phrase suivante: "les termes "pratiquement dépourvue de stries", figurant dans la revendication 1, n'apparaissaient pas dans la demande telle que déposée. Toutefois, les dispositions de l'article 123(2) CBE n'ont pas été transgressées, parce que ces termes doivent être entendus comme signifiant "d'une épaisseur pratiquement uniforme".
L'opposant a demandé le rejet du recours.
IV. La chambre de recours technique 3.4.2 a analysé quelle était l'implication technique, dans ce contexte, du terme "strie", que l'on peut considérer, aux fins de la présente affaire devant la Grande Chambre de recours, comme une sorte d'irrégularité dans la membrane optique (filament, fine nervure, etc.) provoquant une distorsion de la lumière traversant la membrane. Dans sa décision intermédiaire en date du 11 novembre 1992, elle est parvenue à la conclusion que la caractéristique ajoutée "pratiquement dépourvue de stries" n'était pas dénuée de signification technique, même si elle manquait de précision quant à sa portée. Elle a en outre estimé que cette caractéristique, bien que portant sur le produit, formait une caractéristique restrictive dans la revendication de procédé 1, puisqu'elle déterminait que les étapes du procédé devaient être telles qu'il en résultât une absence presque totale de stries. Etant donné que la caractéristique litigieuse ne pouvait pas être déduite de la demande de brevet telle que déposée, la chambre, comme la division d'opposition, a estimé qu'elle donnait lieu, au sens de l'article 123(2) CBE, à une extension de l'objet au-delà du contenu de la demande telle que déposée.
V. La chambre de recours technique 3.4.2 a par ailleurs estimé que si l'on remplaçait la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries" par "d'une épaisseur pratiquement uniforme", comme le suggère le titulaire du brevet, cela ne contreviendrait pas aux dispositions de l'article 123(2) CBE, le remplacement de cette caractéristique étant dûment couvert par la description initiale. Toutefois, cela étendrait la protection conférée par la revendication 1 du brevet tel que délivré au sens de l'article 123(3) CBE, étant donné que la revendication protégerait non seulement un procédé dont les paramètres sont choisis de façon à obtenir une membrane pratiquement dépourvue de stries, mais également un procédé qui, bien qu'ayant pour résultat une épaisseur pratiquement uniforme, produirait toutefois des stries (la Chambre a considéré que cela pourrait être aisément le cas pour des raisons techniques).
VI. Examinant la proposition d'insertion, à la fin de la description, de la phrase mentionnée au paragraphe III supra, la chambre de recours technique 3.4.2 a estimé qu'il était fort douteux que le sens de la caractéristique ajoutée "pratiquement dépourvue de stries" puisse être modifié par le biais d'une telle insertion. En tout état de cause, elle a considéré que l'insertion elle-même irait au-delà du contenu de la demande telle que déposée, au sens de l'article 123(3) CBE, parce que le membre de phrase "pratiquement dépourvue de stries", d'une part, et l'allégation selon laquelle il équivaut à "d'une épaisseur pratiquement uniforme", d'autre part, ne trouvent aucun fondement dans la divulgation initiale.
VII. D'après la chambre de recours technique 3.4.2, il ressortait que dans les circonstances de l'affaire dont elle était saisie, les conditions requises pour satisfaire aux paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE étaient opposées et que toute tentative de suppression, dans la revendication 1 du brevet litigieux, de la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries", indûment ajoutée avant la délivrance, aurait pour conséquence d'étendre la protection conférée par le brevet.
VIII. S'agissant de la relation fondamentale entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE, la chambre de recours technique 3.4.2 a noté qu'aucune difficulté ne se manifeste lorsque le brevet a été correctement délivré, et que les problèmes posés dans l'affaire dont elle était saisie étaient apparus au cours de la procédure d'examen. Selon la chambre, bien qu'un demandeur soit entièrement responsable des modifications qu'il a apportées à la demande ou qu'il a approuvées au cours de la procédure d'examen, une certaine part de responsabilité incombe également à la division d'examen si celle-ci n'élève aucune objection à l'encontre de modifications non admissibles proposées par le demandeur. De l'avis de la chambre, il n'est guère satisfaisant qu'un demandeur, agissant en toute bonne foi, ne puisse jamais avoir la certitude que les modifications qu'il a proposées ou acceptées au cours de la procédure d'examen ne vont pas l'entraîner dans une embûche inextricable.
IX. Ayant également examiné, entre autres choses, de quelle manière le problème ci-dessus avait jusqu'à présent été traité dans la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB ainsi que du Tribunal fédéral allemand des brevets (Bundespatentgericht), la chambre de recours technique 3.4.2 a conclu que la relation entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE représente une question de droit d'importance fondamentale qui doit être clarifiée afin d'assurer une application uniforme du droit. Par conséquent, conformément à l'article 112(1)a) CBE, elle a soumis à la Grande Chambre de recours la question ci-après:
"Si l'objet d'un brevet européen tel qu'il a été délivré s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, tout en limitant l'étendue de la protection conférée par les revendications, peut-on lors de la procédure d'opposition maintenir le brevet, au regard des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE?"
X. En réponse à une notification en date du 17 février 1993, les parties à la procédure de recours, qui sont également parties à la procédure devant la Grande Chambre de recours en vertu de l'article 112(2) CBE, ont présenté leurs observations sur la question de droit soumise à la Grande Chambre ; sur requête des deux parties, une procédure orale s'est tenue le 19 octobre 1993; le titulaire du brevet (requérant) et l'opposant (intimé) ont été représentés respectivement par M. David Young Q. C. et M. Nicholas Pumfrey Q. C.
Motifs de la décision
1. Etant donné que dans les conclusions qu'elles ont présentées à la Grande Chambre de recours, les parties ont mentionné les faits dont il est question dans l'affaire portée devant la chambre de recours technique 3.4.2, la Grande Chambre fait observer qu'elle est uniquement saisie de la question de droit qui lui a été soumise et que les faits de l'espèce ne peuvent que servir à illustrer certains aspects pratiques de la question fondamentale qui est posée. Il convient également de noter qu'il n'entre pas dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre d'examiner, dans la présente affaire, des questions de procédure qui ne sont pas directement liées à la question dont elle a été saisie. Par conséquent, la Grande Chambre n'examinera pas les points soulevés aux paragraphes 7 et 8 de la lettre de l'opposant en date du 16 juin 1993, qui portent sur la manière dont les divisions d'opposition devraient traiter les oppositions qui se fondent sur plusieurs motifs, ainsi que sur la façon dont les chambres de recours devraient motiver leurs décisions.
2. Dans la question soumise à la Grande Chambre concernant la possibilité, dans certaines circonstances, de maintenir un brevet européen lors de la procédure d'opposition, il est fait référence aux paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE. D'un point de vue formel, il y a lieu de noter, comme l'ont également reconnu les parties, que dans la procédure d'opposition, ce ne sont pas les dispositions de l'article 123(2) CBE qui entrent directement en ligne de compte, mais plutôt celles de l'article 100c) ensemble l'article 101 CBE. La question qu'il convient de se poser est en fait de savoir si le motif d'opposition visé à l'article 100c) CBE, selon lequel l'objet du brevet européen s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, s'oppose au maintien du brevet. Ce motif d'opposition est lié à l'article 123(2) CBE, en ce sens qu'il ne s'applique que dans le cas où la demande a été modifiée au cours de la procédure avant la délivrance et que la modification ainsi apportée est contraire aux dispositions de l'article 123(2) CBE. Une telle modification inadmissible peut également constituer, conformément à l'article 138(1)c) CBE, une cause de nullité du brevet européen en vertu de la législation d'un Etat partie à la CBE.
3. S'agissant de l'article 123(3) CBE, en vertu duquel les revendications d'un brevet européen ne peuvent être modifiées au cours de la procédure d'opposition, de façon à étendre la protection conférée par le brevet, il est bien évident que cette disposition concerne uniquement la procédure après la délivrance. Toute modification contrevenant à l'article 123(3) CBE peut, comme le prévoit l'article 138(1)d) CBE, constituer une cause de nullité du brevet européen en vertu de la législation d'un Etat partie à la CBE.
4. Les problèmes liés à l'application de l'article 123(2) et (3) CBE ont déjà été traités dans plusieurs décisions des chambres de recours; certaines d'entre elles ont été mentionnées et commentées par les parties au cours de la procédure devant la Grande Chambre dans la présente espèce, et notamment les décisions T 194/84 (JO OEB 1990, 59), T 371/88 (JO OEB 1992, 157), T 231/89 (JO OEB 1993, 13), T 938/90 (EPOR 1993, 287) et T 108/91 (EPOR 1993, 407 et JO OEB 1994, 228). Ces affaires ne semblent pas prêter à controverse dans la mesure où les chambres de recours concernées ont estimé que l'on pouvait se fonder sur les demandes initiales pour remplacer des caractéristiques techniques ajoutées non divulguées par d'autres caractéristiques, sans enfreindre l'article 123(3) CBE. Il ne semble pas davantage contesté qu'une caractéristique ajoutée non divulguée, qui est dépourvue de sens technique, puisse être supprimée de la revendication sans contrevenir à l'article 123(3) CBE, ainsi qu'il a été estimé dans la décision T 231/89. Toutefois, le coeur du problème dont est saisie la Grande Chambre de recours dans la présente affaire est plutôt de savoir ce qu'il convient de faire lorsque, avant la délivrance, une caractéristique restrictive non divulguée et ayant un sens technique a été ajoutée dans une revendication, et que cette caractéristique ne peut être ni supprimée, ni remplacée par toute autre caractéristique dûment divulguée dans la demande telle qu'elle a été déposée, sans étendre la protection conférée par le brevet tel que délivré, en violation de l'article 123(3) CBE. Jusqu'à présent, cette question fondamentale n'a été examinée de façon assez approfondie que dans l'affaire T 231/89; elle a également été abordée dans les affaires T 938/90 et T 108/91.
5. Dans l'affaire T 231/89, la chambre de recours a estimé qu'une caractéristique limitant l'étendue de l'invention dans une revendication, qui a été ajoutée avant la délivrance en violation de l'article 123(2) CBE, peut rester dans la revendication, bien que sa nature soit celle d'un élément ajouté, à condition qu'une telle caractéristique soit sans importance en ce qui concerne la nouveauté et l'activité inventive de l'objet revendiqué. L'opposant a critiqué cette argumentation, estimant qu'elle relevait d'une spéculation non pertinente établissant une relation entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE, qui n'était pas nécessaire aux fins de la décision à rendre en l'espèce et à laquelle on s'était livré sans avancer aucun argument sur la question. Il a également attiré l'attention de la Grande Chambre sur le fait que dans sa décision de saisine, la chambre de recours technique 3.4.2 avait elle-même exprimé des doutes quant à l'argumentation ci-dessus. De l'avis de l'opposant, les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE reflètent des principes fondamentaux tout à fait distincts en droit européen des brevets, qui sont d'importance égale et doivent être appliqués par l'OEB conformément à leur énoncé.
6. Au cours de la procédure devant la Grande Chambre, mention a également été faite des jurisprudences et doctrines britannique et allemande concernant l'ajout d'éléments non divulgués. Ce qu'il est convenu d'appeler "la solution de la note en bas de page", telle qu'appliquée par exemple dans une décision du Bundespatentgericht en date du 28 juin 1988 ("Flanschverbindung"; GRUR 1990, 114) a notamment été examiné. Cette solution consiste à ajouter à la description du brevet litigieux une note précisant que la caractéristique non divulguée (qui est maintenue dans la revendication afin d'éviter une extension de la protection conférée) représente une extension non admissible dont il ne peut découler aucun droit. Le titulaire du brevet a allégué qu'une solution de ce type pourrait permettre de "neutraliser" l'effet produit par une caractéristique ajoutée non divulguée, tandis que l'opposant, arguant que la "solution de la note en bas de page" devait être considérée comme fondée sur une disposition spéciale de la Loi allemande (article 38 de la Loi sur les brevets de 1981), sans aucune correspondance dans la CBE, a déclaré que l'ajout d'une note à la description conformément à la "solution de la note en bas de page" ne produirait aucun effet de "neutralisation", mais équivaudrait en réalité à rajouter un nouvel élément non divulgué. L'opposant a également attiré l'attention sur le fait que la solution en question n'avait pas encore été examinée, et encore moins approuvée par la Cour Fédérale de Justice allemande (Bundesgerichtshof).
7. Le titulaire du brevet s'est également référé à la pratique bien établie qui consiste à autoriser des disclaimers afin de limiter la protection conférée au regard de l'état de la technique porté à la connaissance des demandeurs durant la procédure d'examen, et il a fait valoir qu'il serait conforme à cette pratique d'autoriser le maintien dans une revendication d'une caractéristique à l'évidence restrictive, comme celle qui est examinée dans la présente affaire, sans pour autant invalider le brevet. La chambre de recours a avancé un argument en ce sens dans l'affaire T 231/89 dont il est question plus haut.
8. Les deux parties ont mentionné et largement commenté les finalités et les fonctions des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE au sein du système juridique du brevet européen. De l'avis de la Grande Chambre, il semble qu'il y ait unanimité quant à la finalité principale de ces dispositions, à savoir créer un juste équilibre entre les intérêts des demandeurs et des titulaires de brevet, d'une part, et les concurrents et les autres parties, d'autre part, comme le reflète également le protocole interprétatif de l'article 69 CBE. Toutefois, le problème est bien entendu de déterminer ce qui constitue un juste équilibre dans les circonstances de chaque espèce.
9. En ce qui concerne l'article 123(2) CBE, il est clair que l'idée sous-jacente de cette disposition est d'interdire à un demandeur de conforter sa position par l'ajout d'un élément non divulgué dans la demande telle qu'elle a été déposée, ce qui lui procurerait un avantage injustifié et pourrait porter préjudice à la sécurité juridique des tiers se fondant sur le contenu de la demande initiale. L'article 123(3) CBE a quant à lui pour objectif de protéger les intérêts des tiers en interdisant toute extension de la protection conférée par les revendications d'un brevet délivré, même si une telle extension trouve un fondement dans la demande telle qu'elle a été déposée.
10. L'étendue de la protection conférée par un brevet européen ou une demande de brevet européen est régie par les dispositions de l'article 69 CBE. A cet égard, il y a lieu de noter qu'en vertu de l'article 69(2) CBE, le brevet européen tel que délivré ou modifié au cours de la procédure d'opposition détermine rétroactivement cette protection pour autant que celle-ci n'est pas étendue. En d'autres termes, même si les revendications du brevet tel que délivré ont une portée plus vaste que celles de la demande telle que publiée, ce qui peut être le cas à condition que l'on en trouve un fondement dans la demande telle que déposée, les droits des tiers ne sont pas affectés par une telle extension pour la période allant jusqu'à la délivrance du brevet. Si, au contraire, les revendications du brevet tel que délivré sont de portée plus étroite que celles de la demande telle que publiée, cela constitue un avantage pour les tiers dès le début.
11. Pour les tiers qui se fondent sur le contenu de la demande de brevet telle qu'elle a été déposée et publiée, l'ajout d'un élément non divulgué, susceptible d'étendre la protection conférée par le brevet tel que délivré par rapport à ce qui a été divulgué et revendiqué dans la demande telle que déposée, représente à l'évidence un réel danger du point de vue de la sécurité juridique. Un tel ajout peut consister à généraliser des caractéristiques ou des modes de réalisation spécifiques et à introduire de nouvelles solutions de rechange. En principe, il importe peu que l'ajout concerne les revendications, la description ou les dessins, étant donné que la protection conférée par le brevet doit être déterminée par tous ces éléments conformément à l'article 69 CBE et à son protocole interprétatif. Toutefois, il ne fait aucun doute que les revendications constituent à cet égard l'élément le plus important. Si, au cours de l'examen de la demande, un élément non restrictif est ajouté en violation de l'article 123(2) CBE et qu'une objection est soulevée au cours de la procédure d'opposition en vertu de l'article 100c) CBE, il est possible de supprimer du brevet l'élément ajouté sans contrevenir à l'article 123(3) CBE, étant donné que la protection conférée par le brevet n'est pas étendue mais au contraire restreinte, et que le brevet est maintenu dans sa forme modifiée sur la base du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, conformément à l'article 102(3) CBE. En d'autres termes, il est possible de rétablir un juste équilibre entre les intérêts du titulaire du brevet et ceux des tiers.
12. Toutefois, la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours dans la présente affaire ne porte pas sur la situation évoquée ci-dessus, mais sur le cas spécial de l'adjonction, au cours de la procédure d'examen, d'une caractéristique technique non divulguée, qui limite l'étendue de la protection conférée par les revendications du brevet tel que délivré par rapport à la demande telle qu'elle a été déposée et publiée. Du point de vue de la sécurité juridique des tiers, il est bien évident que ce cas diffère fondamentalement de la situation ci-dessus dans la mesure où les tiers, qui se sont fondés sur la demande telle qu'elle a été déposée et publiée, n'ont pas affaire à un brevet conférant une protection plus vaste que ce qui pouvait être prévu, mais à un brevet conférant une protection moins grande et interférant donc à un moindre degré avec leurs activités.
13. La Grande Chambre partage l'avis de l'opposant selon lequel rien dans la CBE ne vient étayer l'idée exprimée par la chambre de recours dans l'affaire T 231/89, à savoir que les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE sont interdépendants, l'un devant être appliqué comme paragraphe principal et l'autre comme paragraphe secondaire en fonction des faits de l'espèce. Cette interprétation n'est pas conforme au caractère obligatoire de l'article 123(2) CBE, comme l'a expliqué la Grande Chambre dans l'affaire G 3/89 (JO OEB 1993, 117). Les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE sont indépendants l'un de l'autre. Par conséquent, si une caractéristique restrictive est considérée comme relevant de l'article 123(2) CBE, il n'est pas possible de la maintenir dans le brevet eu égard à l'article 100c) CBE, ni de la supprimer des revendications sans enfreindre l'article 123(3) CBE. Ce n'est que si l'on peut remplacer la caractéristique ajoutée par une autre caractéristique divulguée dans la demande telle que déposée, sans contrevenir à l'article 123(3) CBE, que le brevet peut être maintenu (dans sa forme modifiée). En pratique, ce cas devrait se présenter rarement. En ce sens, il faut bien admettre que l'application combinée des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE peut entraîner des conséquences plutôt sévères pour le demandeur, lequel risque d'être pris dans une embûche inextricable et de tout perdre en modifiant sa demande, même si la modification limite la portée de la protection. Toutefois, comme l'a dit l'opposant, cette sévérité n'est pas en soi suffisante pour justifier la non-application de l'article 123(2) CBE tel qu'il est énoncé, afin de protéger dûment les intérêts du public. De même, il n'importe pas en principe qu'une telle modification ait été approuvée par la division d'examen. En tout état de cause, c'est le demandeur (ou le titulaire du brevet) qui, en définitive, demeure responsable de toute modification apportée à une demande de brevet (ou à un brevet).
14. La Grande Chambre partage également l'avis de l'opposant selon lequel rien dans la CBE ne vient étayer la "solution de la note en bas de page", telle que mentionnée au point 6 supra. Cela découle du caractère et de l'effet obligatoires des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE, comme exposé au point précédent, ainsi que des fonctions dévolues à la description et aux revendications d'un brevet délivré dans le cadre du système du brevet européen.
La description d'un brevet européen a pour principale fonction de divulguer l'invention de façon à ce qu'elle puisse être exécutée (article 83 CBE). Les revendications ont pour fonction de définir, en indiquant les caractéristiques techniques de l'invention, l'objet de la demande pour lequel la protection est recherchée (article 84 et règle 29(1) CBE). Lorsqu'une caractéristique ayant un sens technique est introduite dans une revendication d'un brevet délivré, l'article 69(1) CBE exige qu'une telle caractéristique soit prise en considération en liaison avec les autres caractéristiques de la revendication par exemple par une juridiction nationale, lorsque celle-ci détermine, au cours d'une action en contrefaçon, l'étendue de la protection conférée par le brevet, conformément aux dispositions de la législation nationale, comme le prévoit l'article 64(3) CBE. D'après l'article 69(1) CBE et son protocole interprétatif, il est permis de se référer à la description du brevet pour interpréter ces caractéristiques techniques, telles que formulées dans la revendication, et pour déterminer l'objet pour lequel la protection est demandée. Toutefois, aucune des dispositions de la CBE mentionnées ci-dessus ne prévoit, ni ne permet d'inclure une note dans la description d'un brevet pour préciser les droits pouvant découler de la présence d'une caractéristique technique particulière dans une revendication de ce brevet. De l'avis de la Grande Chambre, l'introduction d'une telle note dans un brevet durant la procédure d'opposition, comme le prévoit la "solution de la note en bas de page", serait incompatible avec le système du brevet européen eu égard aux dispositions susmentionnées de la CBE, et dépasserait les compétences de l'OEB dans le cadre de ce système.
15. Les conclusions ci-dessus se fondent sur l'hypothèse que l'adjonction de la caractéristique en question équivaut à une extension de l'objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée au sens de l'article 123(2) CBE. Il reste cependant à examiner si l'adjonction d'une caractéristique restrictive doit nécessairement toujours être considérée comme une telle extension. Il convient de répondre à cette question à la lumière de la finalité générale de l'article 123(2) et (3) CBE, qui est de créer un juste équilibre entre les intérêts de tous, comme expliqué aux points 8 et 9 supra, et compte tenu également de l'effet produit par l'article 69(2) CBE, tel que mentionné au point 10 supra.
16. La question de savoir si l'adjonction d'une caractéristique non divulguée, qui limite l'étendue de la protection conférée par le brevet tel que délivré, est contraire ou non à la finalité de l'article 123(2) CBE, à savoir empêcher un demandeur d'obtenir un avantage injustifié en bénéficiant d'une protection par brevet pour un élément qu'il n'avait pas dûment divulgué, voire même pas inventé à la date de dépôt de la demande, dépend des circonstances. Si une telle caractéristique ajoutée, bien que limitant l'étendue de la protection conférée par le brevet, devait être considérée comme un apport technique à l'objet de l'invention revendiquée, elle accorderait au titulaire du brevet, de l'avis de la Grande Chambre, un avantage injustifié contraire à la finalité susmentionnée de l'article 123(2) CBE. Par conséquent, une telle caractéristique constituerait un élément ajouté au sens de cette disposition. Un exemple typique de ce cas de figure semble se présenter lorsque la caractéristique restrictive crée une sélection inventive non divulguée dans la demande telle que déposée ou qui ne peut en être déduite d'une quelconque façon. En revanche, si la caractéristique en question ne fait qu'exclure de la protection une partie de l'objet de l'invention revendiquée, couvert par la demande telle que déposée, on ne peut raisonnablement considérer que l'ajout d'une telle caractéristique accorde au demandeur un avantage injustifié. De même, les intérêts des tiers ne sont pas lésés (cf. point 12 ci-dessus). De l'avis de la Grande Chambre, si l'on interprète correctement l'article 123(2) CBE, une telle caractéristique ne doit donc pas être considérée comme une extension de l'objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée au sens de cette disposition. Il s'ensuit qu'un brevet contenant une telle caractéristique dans les revendications peut être maintenu sans contrevenir à l'article 123(2) CBE, ni donner lieu à un motif d'opposition selon l'article 100c) CBE. La caractéristique étant maintenue dans les revendications, il ne saurait pas davantage y avoir transgression de l'article 123(3) CBE.
17. La question de savoir si une caractéristique restrictive doit être considérée comme un élément ajouté au sens de l'article 123(2) CBE ne peut bien entendu être tranchée qu'au cas par cas, sur la base des faits de l'espèce.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit:
La Grande Chambre de recours apporte la réponse suivante à la question qui lui a été soumise:
1. Si un brevet européen tel que délivré contient un élément qui étend l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée au sens de l'article 123(2) CBE, tout en limitant l'étendue de la protection conférée par le brevet, celui-ci ne peut être maintenu au cours de la procédure d'opposition sans être modifié, car le motif d'opposition visé à l'article 100c) CBE s'oppose au maintien du brevet. Le brevet ne saurait davantage être modifié par suppression de l'élément restrictif des revendications, parce que cette modification donnerait lieu à une extension de la protection conférée, ce qui est interdit par l'article 123(3) CBE. Par conséquent, un tel brevet ne peut être maintenu que si l'on peut se fonder sur la demande telle que déposée pour remplacer l'élément en question sans contrevenir à l'article 123(3) CBE.
2. Une caractéristique qui n'a pas été divulguée dans la demande telle que déposée, mais a été ajoutée à celle-ci au cours de la procédure d'examen et qui, sans apporter de contribution technique à l'objet de l'invention revendiquée, ne fait que limiter la protection conférée par le brevet tel que délivré en excluant de la protection une partie de l'objet de l'invention revendiquée par la demande telle que déposée, ne doit pas être considérée comme un élément étendant l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, au sens de l'article 123(2) CBE. Le motif d'opposition visé à l'article 100c) CBE ne s'oppose donc pas au maintien d'un brevet européen comportant une telle caractéristique.
* La décision T 384/91 de la chambre de recours 3.4.2 est publiée au JO OEB 1994, 169.