CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision intermédiaire de la Chambre de recours technique 3.4.2, en date du 11 novembre 1992 – T 384/91 - 3.4.21
(Traduction)
Composition de la Chambre:
Président : | E. Turrini |
Membres : | W. Hofmann |
| C. Payraudeau |
Demandeur/requérant : Advanced Semiconductor Products Opposant/intimé : Mitsui Petrochemical Industries Ltd.
Référence : "Conflit" entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE"
Article : 112(1)a), 123(2) et (3) CBE
Mot-clé : "Exigences contradictoires des paragraphes 2 et 3 de l'article 123" CBE "Saisine de la Grande Chambre de recours"
Sommaire
La question de droit ci-après est soumise à la Grande Chambre de recours pour décision :
"Si l'objet d'un brevet européen tel qu'il a été délivré s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, tout en limitant l'étendue de la protection conférée par les revendications, peut-on lors de la procédure d'opposition maintenir le brevet, au regard des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE ?"
Exposé des faits et conclusions
I. Le brevet européen n° 0 084221 a été délivré le 28 octobre 1987 sur la base de la demande de brevet européen n°82306422.5. Le brevet délivré contient 20 revendications portant sur un procédé pour réaliser une membrane optique. La revendication 1 s'énonce comme suit :
"Un procédé pour réaliser une membrane optique à partir d'une solution comprenant au moins un polymère et au moins un solvant, caractérisé par les étapes consistant à : déposer la solution sur une surface horizontale d'un support (8) pouvant tourner autour d'un axe pratiquement vertical; accélérer le support (8) depuis une première vitesse de rotation jusqu'à une seconde vitesse de rotation de manière à étaler par effet centrifuge la solution radialement vers l'extérieur; former la membrane pendant la rotation du support (8) par évaporation du solvant dans la solution, les contraintes radiales imposées à la membrane ainsi que l'évaporation du solvant faisant en sorte que la membrane soit tendue sur la surface et pratiquement dépourvue de stries; et retirer la membrane, après formation, de la surface du support (8)."
II. L'intimé (opposant) a fait opposition au brevet. L'opposition était fondée sur l'article 100a), b), c) CBE.
III. La division d'opposition a révoqué le brevet européen en vertu de l'article 102(1) CBE.
Elle a estimé que la revendication 1 contenait une caractéristique, exprimée par le membre de phrase "pratiquement dépourvue de stries", qui s'étendait au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée (article 123(2) CBE). Le document suivant était notamment mentionné dans la décision :
(D3) Webster's Dictionary, définition du mot "stria" (strie).
IV. Le titulaire du brevet (requérant) s'est pourvu contre cette décision. Il a produit une déclaration d'un expert en matière d'optique et a cité le document suivant :
(D6) Dictionary of Science and Technology, nouvelle édition remaniée, W & R Chambers, définition des termes "stria", "striation" et "striae" (strie, striation, striures).
V. Dans une notification établie conformément à l'article 11(2) du règlement de procédure des chambres de recours, la Chambre a examiné la question de l'admissibilité des revendications au regard de l'article 123(2) et (3) CBE, et a cité le document ci-après :
(D8) Applied Optics and Optical Engineering, éd. par R. Kingslake, vol. 1, Academic Press, 1965, pages 170 et 171.
VI. Une procédure orale s'est tenue à la demande du requérant et de l'intimé.
VII. Le requérant a demandé que la décision attaquée soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à la division d'opposition pour qu'elle procède à l'examen de l'opposition sur la base des documents de brevet conformément aux requêtes principale et subsidiaires ci-après, qui avaient été déposées au cours de la procédure orale.
Requête principale:
brevet tel que délivré, modifié comme suit :
- dans la revendication 1, l'expression "au moins un solvant" est remplacée par "un solvant" et l'expression "sur la surface" est supprimée,
- dans les revendications 4, 5, 6 et 7, l'expression "au moins" devant "partiellement contrôlée" est supprimée.
Première requête subsidiaire :
brevet tel que délivré, modifié comme suit :
- dans la revendication 1, l'expression "au moins un solvant" est remplacée par "un solvant" ;
- dans les revendications 4, 5, 6 et 7, l'expression "au moins" devant "partiellement contrôlée" est supprimée.
Deuxième requête subsidiaire :
brevet tel que délivré, modifié comme suit :
- dans la revendication 1, l'expression "au moins un solvant" est remplacée par "un solvant" et l'expression "pratiquement dépourvue de stries" par "d'une épaisseur pratiquement uniforme" ;
- dans les revendications 4, 5, 6 et 7, l'expression "au moins" devant "partiellement contrôlé" est supprimée.
Troisième requête subsidiaire:
brevet tel que délivré, modifié comme suit :
- revendications selon la première requête subsidiaire,
- insertion, à la fin de la description, de la phrase suivante :
"les termes "pratiquement dépourvue de stries" figurant dans la revendication 1 n'apparaissaient pas dans la demande telle que déposée. Toutefois, les dispositions de l'article 123(2) CBE n'ont pas été transgressées, parce que ces termes doivent être entendus comme signifiant "d'une épaisseur pratiquement uniforme".
Quatrième requête subsidiaire:
brevet tel que délivré, modifié comme suit:
- dans la revendication 1, l'expression "au moins un solvant" est remplacée par "un solvant" ; l'expression "sur la surface" est supprimée et l'expression "pratiquement dépourvue de stries" est remplacée par "d'une épaisseur pratiquement uniforme" ;
- dans les revendications 4, 5, 6 et 7, l'expression "au moins" devant "partiellement contrôlée" est supprimée.
Cinquième requête subsidiaire:
brevet tel que délivré, modifié comme suit :
- revendications selon la requête principale ;
- insertion, à la fin de la description, de la phrase énoncée dans la troisième requête subsidiaire.
Le requérant demande également que la question de la recevabilité des requêtes subsidiaires 2 à 5 soit soumise à la Grande Chambre de recours (sixième requête subsidiaire).
VIII. L'intimé demande le rejet du recours.
IX. Les arguments du requérant peuvent être résumés comme suit:
II n'est pas correct de révoquer le brevet au motif que l'expression "pratiquement dépourvue de stries" dans la revendication 1 donne lieu à une extension de l'objet au-delà du contenu de la demande telle que déposée. Il est essentiel d'interpréter correctement cette caractéristique, afin de déterminer s'il y a eu extension de l'objet, tout en veillant, conformément à l'article 69(1) CBE, à ce qu'une telle signification ne soit pas établie isolément, sans prendre en considération le reste du texte du brevet. Cette opinion correspond à la jurisprudence établie, telle qu'elle découle du point 4 des motifs de la décision G 2/88 rendue par la Grande Chambre de recours (JO OEB 1990, 93), et des points 2.3 et 2.4 des motifs de la décision T 371/88 (JO OEB 1992, 157). Etant donné que l'absence de striation est revendiquée, il est inutile de savoir ce que leur présence pourrait indiquer ou avec quoi elles pourraient être associées. La caractéristique "pratiquement dépourvue de stries", considérée dans le contexte du brevet, doit être interprétée comme signifiant
"d'une épaisseur pratiquement uniforme", l'étendue de cette expression étant indiquée dans la demande telle qu'elle a été déposée initialement le 2 décembre 1982, page 1, lignes 6 à 14. L'exactitude de cette interprétation est confirmée par la déclaration produite par un homme du métier. Etant donné que la revendication 1 du brevet délivré ne contrevient pas aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 123 CBE, aucun problème ne se pose en rapport avec le paragraphe 3.
(Il convient de noter que les numéros de page et de ligne de la demande initiale qui sont cités ici et dans ce qui suit se réfèrent au document déposé le 2 décembre 1982 et non pas à la copie retapée qui a été déposée le 4 février 1983.)
X. L'intimé a contesté l'avis du requérant et a présenté pour l'essentiel les arguments suivants.
La présente affaire ne porte pas sur la question de savoir de quelle manière il convient d'interpréter des mots qui ont toujours figuré dans le fascicule du brevet. Il n'est donc pas correct d'essayer d'interpréter les termes litigieux en relation avec le reste du fascicule, comme s'ils figuraient là à juste titre. En d'autres termes, il n'est pas justifié de prendre une expression et de chercher dans l'ensemble de la demande telle que déposée un passage susceptible d'étayer cette expression. L'approche adéquate du problème consiste à établir ce que l'expression signifie ou pourrait signifier et, ensuite, à déterminer si la ou les significations, au cas où il y en existerait plus d'une possible, "découle(nt) directement et sans ambiguïté" du texte initial. Le fait que les termes litigieux ne soient pas clairs de prime abord est très important. Si une ou plusieurs significations possibles s'étendent au delà de la divulgation initiale, ces termes ne sont pas admissibles. Il ne suffit pas que le requérant allègue qu'il y a une signification ne donnant pas lieu à une extension de l'objet, s'il existe par ailleurs d'autres significations possibles qui entraînent une telle extension. Dans la présente affaire, l'expression "pratiquement dépourvue de stries" est obscure, ambiguë et équivoque, bien que l'on ne puisse pas dire qu'elle soit dénuée de toute signification. L'état de la technique donne diverses interprétations du terme "stries", telles que des rainures ou des cannelures étroites ou des variations de l'indice de réfraction, interprétations qui, toutefois, ne trouvent aucun fondement dans la demande telle que déposée. En outre, les étapes du procédé telles que divulguées initialement sont par trop générales pour fournir une quelconque information sur la manière dont la formation de stries pourrait être évitée. Etant donné qu'il n'est pas possible de supprimer la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries", une telle suppression contrevenant à l'article 123(3) CBE, la révocation du brevet devrait être confirmée. La solution consistant à insérer une phrase dans la description, conformément aux troisième et cinquième requêtes subsidiaires, n'est pas admissible parce qu'elle donnerait lieu à une extension de l'objet.
Motifs de la décision
1. Modifications
1.1 Si l'on excepte la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries", l'objet de la revendication 1 selon la requête principale et la première requête subsidiaire ne s'étend pas au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.
La caractéristique "tendue", avec ou sans la précision supplémentaire "sur la surface", est considérée comme initialement divulguée à la page 10, lignes 8 à 11. En effet, si la membrane est tendue après évaporation du solvant et que l'évaporation a eu lieu lorsque la membrane se trouvait sur la surface du support, la membrane doit nécessairement être tendue sur la surface. L'étendue de la protection conférée par la revendication 1 est également indépendante de la présence de la précision "sur la surface", puisque la revendication 1 doit dans tous les cas être comprise dans ce sens.
1.2 Toutefois, les termes "pratiquement dépourvue de stries" ne figurent pas expressément dans la demande telle que déposée, ce fait étant reconnu par le requérant lui-même (cf. lettre en date du 10 mars 1989, point 4 des observations). Pour déterminer si la demande initiale contient des informations susceptibles d'introduire par implication technique la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries", il y a lieu d'établir la signification de ladite caractéristique et, par voie de conséquence, celle du terme "strie".
La Chambre est d'accord avec le requérant sur le fait que pour examiner une extension présumée de l'objet d'une demande de brevet européen ou d'un brevet au-delà du contenu de la demande telle que déposée initialement, il y a lieu de comparer l'objet de la demande ou du brevet dans son ensemble avec le contenu initial de la demande. De même, lorsqu'on examine la question de savoir si la protection conférée par une revendication a été étendue après délivrance, il convient de recourir à la description et aux dessins pour interpréter les revendications, au sens de l'article 69(1) CBE, y compris le protocole interprétatif de cet article. La Chambre souscrit donc totalement aux conclusions des décisions G 2/88 et T 371/88 citées par le requérant.
Toutefois, cela ne signifie nullement qu'une caractéristique revendiquée, qui ne trouve aucune correspondance dans la description, revêtirait automatiquement une signification et une étendue selon la divulgation de la description, quel qu'en soit l'éloignement par rapport à la caractéristique revendiquée.
Dans la présente affaire, étant donné que le terme "strie" n'est défini à aucun moment dans le brevet délivré lui-même, la seule manière de procéder consiste à partir de la signification communément admise dans le domaine de l'optique, lequel est considéré comme le domaine technique pertinent, afin d'apprécier si l'objet du brevet, y compris la caractéristique attaquée, s'étend ou non au-delà du contenu de la demande initiale.
1.3 D'après le document D8, un manuel d'optique appliquée et de génie optique, les caractéristiques et les variations du procédé de fabrication peuvent donner lieu à la présence dans le verre optique de zones ayant un indice de réfraction qui s'écarte considérablement du gros de la moyenne; ces zones ont habituellement la forme de filaments appelés "stries". L'auteur de la déclaration produite avec la lettre en date du 5 mai 1992 (cf. point 3, "... j'ai d'abord pensé que ...") confirme qu'il s'agit d'une signification tout à fait commune, à laquelle l'homme du métier songe en premier lieu. Le chapitre du document D8 qui donne cette définition concerne spécifiquement les verres optiques. Toutefois, cette définition devrait également s'appliquer aux polymères optiques, étant donné que ces deux types de matériaux sont utilisés de manière équivalente en optique. L'auteur de ladite déclaration estime qu'une telle signification est incompatible avec le fait que le brevet porte sur de fines membranes optiques. Toutefois, la Chambre ne voit pas pourquoi des variations en forme de filament de l'indice de réfraction ne seraient pas non plus concevables dans de fines membranes optiques. De plus, le reste du texte du brevet n'exclut pas une telle possibilité.
En conséquence, l'une des significations de la revendication 1 en cause est que les étapes du procédé pour réaliser la membrane optique donnent lieu à une membrane qui ne présente pratiquement pas de zones filamenteuses, qui ont un indice de réfraction s'écartant considérablement du gros de la moyenne.
D'après le document D6, le terme "strie" signifie également "fine nervure ou fin sillon, rayure, marque linéaire" ; cette définition correspond au sens commun du terme, tel qu'il découle du dictionnaire D3 s'adressant au grand public. Cette signification est également valable dans la présente affaire, étant donné que le document D6 est un dictionnaire de science et de technologie. Par conséquent, la revendication 1 en cause peut également être interprétée en ce sens que les étapes du procédé pour réaliser une membrane optique donnent une membrane ne présentant pratiquement pas de nervure ou de sillon fin, de rayure, ou de marque linéaire. Rien dans le reste du brevet n'indique qu'une telle interprétation est déraisonnable.
Il s'ensuit donc que la caractéristique ajoutée de la revendication 1 "pratiquement dépourvue de stries" n'est pas dénuée de signification technique, même si elle manque de précision quant à sa portée. Bien que portant sur le produit, elle forme une caractéristique restrictive dans la revendication de procédé 1, puisqu'elle détermine que les étapes du procédé doivent être telles qu'il en résulte une absence presque totale de stries. Que ce résultat puisse déjà être automatiquement atteint par les étapes du procédé spécifiquement mentionnées dans la revendication n'est pas plausible, et aucun argument n'a été présenté en ce sens par le requérant.
1.4 D'autre part, la demande déposée initialement divulgue notamment des procédés pour mesurer avec précision l'indice de réfraction d'une fine membrane optique (cf. page 4, ligne 10 à page 6, ligne 27) et pour réaliser une telle membrane (cf. page 8, ligne 1 à page 10, ligne 12 et figure 1).S'agissant des caractéristiques du procédé de fabrication, il est dit à la page 9, lignes 1 à 5 que "l'épaisseur et le diamètre de la membrane dépendent essentiellement des viscosités du polymère et du solvant, du taux d'accélération et de la vitesse du support rotatif sur lequel nous formons la membrane, ainsi que de la vitesse finale de rotation". De plus, il est mentionné à la page 9, lignes 16 à 18, que des "variations de l'épaisseur de la membrane peuvent être contrôlées en adaptant le taux d'évaporation ainsi que le type et la quantité de l'éventuel traitement thermal auquel est soumise la membrane après formation". L'influence des caractéristiques du procédé de fabrication sur les paramètres physiques de la membrane, tels que l'épaisseur et le diamètre, est donc explicitement mentionnée. Il n'est toutefois divulgué à aucun endroit dans la description, explicitement ou implicitement, que lesdites caractéristiques du procédé sont choisies de telle manière que la membrane réalisée selon ledit procédé ne présente aucune zone filamenteuse ayant un indice de réfraction s'écartant considérablement du gros de la moyenne.
En ce qui concerne la signification du terme "strie", à savoir "fine nervure ou fin sillon, rayure ou marque linéaire", la demande initiale ne contient aucun passage d'où il pourrait découler sans ambiguïté que les caractéristiques du procédé sont choisies de telle manière que la membrane réalisée selon ledit procédé ne présente pas de fine nervure ou de fin sillon, de rayure ou de marque linéaire. Bien que la description mentionne l'influence exercée par les caractéristiques du procédé de fabrication sur les paramètres physiques de la membrane, comme indiqué ci-dessus, et qu'elle souligne l'importance de l'uniformité de l'épaisseur (cf. page 1, lignes 6 à 14), elle ne divulgue pas l'uniformité de la membrane à cet égard. Or, une épaisseur uniforme n'implique pas nécessairement l'absence de stries dans le sens de rayures visibles, par exemple colorées, et de marques linéaires sans déformation superficielle, et l'absence de striures dans le sens de fines nervures ou de fins sillons n'implique pas nécessairement une épaisseur uniforme.
1.5 Par conséquent, vu que la signification de la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries" telle que mentionnée ci-dessus ne peut être déduite de la demande telle que déposée, la caractéristique litigieuse contenue dans la revendication 1 selon la requête principale et la première requête subsidiaire, donne lieu, au sens de l'article 123(2) CBE, à une extension de l'objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée.
1.6 La revendication 1 selon les deuxième et quatrième requêtes subsidiaires ne donne pas lieu à une extension de l'objet au-delà de la demande telle que déposée initialement. En ce qui concerne notamment la caractéristique "d'une épaisseur pratiquement uniforme", qui remplace désormais "pratiquement dépourvue de stries", elle est divulguée à la page 1, lignes 6 et 7 de la description initiale. Par conséquent, cette modification ne contrevient pas aux dispositions de l'article 123(2) CBE.
Elle affecte cependant l'étendue de la protection conférée par la revendication 1. Tandis que la revendication 1 du brevet délivré protège uniquement un procédé dont les paramètres sont choisis de façon à obtenir une membrane pratiquement dépourvue de stries, la revendication 1 modifiée protège quant à elle également un procédé qui, bien qu'ayant pour résultat une épaisseur pratiquement uniforme, produit toutefois des stries. Cela pourrait être aisément le cas si, par exemple, les stries étaient des variations de l'indice de réfraction ou d'autres rayures ou marques linéaires visibles sans déformation superficielle. En outre, même dans le cas d'une variation d'épaisseur, il est très douteux que les mêmes considérations relatives aux limites définies par le terme "pratiquement" s'appliquent à la condition plus générale "épaisseur uniforme", de même qu'à condition plus spéciale "dépourvue de stries". De fines ondulations, inacceptables dans le cas d'une membrane pratiquement dépourvue de stries, pourraient être acceptées dans le cas d'une membrane d'épaisseur pratiquement uniforme, ce qui, comme il ressort de la présente demande, exige que l'épaisseur de la membrane ne varie pas de plus de 2 % d'un bord à l'autre.
Par conséquent, la modification de la revendication 1 selon les deuxième et quatrième requêtes subsidiaires étend la protection conférée au sens de l'article 123(3) CBE.
1.7 Le libellé de la revendication 1 selon les troisième et cinquième requêtes subsidiaires équivaut au libellé de la revendication 1 selon la première requête subsidiaire et la requête principale. Il est fort douteux que le sens de la caractéristique revendiquée "pratiquement dépourvue de stries" puisse être modifié par le biais de l'insertion requise dans la description. Mais en tout état d ecause, l'insertion elle-même, à la fin de la description, de la phrase proposée va au-delà du contenu de la demande telle que déposée, au sens de l'article 123(2) CBE, parce que le membre de phrase "pratiquement dépour vue de stries", d'une part, et l'allégation selon laquelle il équivaut à "d'une épaisseur pratiquement uniforme", d'autre part, ne trouvent aucun fondement dans la divulgation initiale.
1.8 II ressort que, dans les circonstances de la présente affaire, les conditions requises pour satisfaire aux dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE sont opposées, vu que toute tentative de suppression de la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries", indûment ajoutée avant la délivrance, aurait pour conséquence d'étendre la protection conférée par la revendication 1 du brevet délivré.
2. Relation entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE
2.1 Aucune difficulté ne se manifeste entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE, lorsque le brevet a été correctement délivré. La nature spéciale de la présente affaire réside dans le fait que la situation mentionnée au paragraphe 1.8 supra n'était pas prédéterminée à la date de dépôt par le contenu de la demande et/ou par l'état de la technique existant, mais qu'elle est apparue au cours de la procédure d'examen. Bien que le demandeur (requérant) soit entièrement responsable des modifications apportées aux documents de la demande qu'il dépose ou qu'il approuve, une certaine part de responsabilité incombe également à la division d'examen qui n'a pas élevé d'objections à l'encontre de la modification susmentionnée. La question de la divulgation initiale d'une caractéristique est certainement une affaire d'appréciation, et une modification peut être apportée par un demandeur croyant en toute bonne foi que celle-ci est admissible. Il n'est guère satisfaisant qu'un demandeur ne puisse jamais avoir la certitude que les modifications qu'il propose ou accepte au cours de la procédure d'examen ne vont pas l'entraîner dans une embûche inextricable.
2.2 De telles situations se sont produites dans le passé.
Dans l'affaire T 231/89 (JO OEB 1993, 13), une caractéristique restrictive supplémentaire avait été ajoutée à la revendication durant la procédure d'examen, et ce avec l'approbation de l'OEB. La division d'opposition a considéré que la caractéristique n'avait pas été divulguée initialement, que sa suppression dans la revendication du brevet délivré contrevenait à l'article 123(3) CBE, et qu'elle était par conséquent inadmissible (cf. point 3.1), la Chambre 3.2.2 a estimé que :
"il serait injuste de déclarer un brevet non valable, en se fondant sur l'article 100c) CBE, au seul motif qu'une modification introduisant une caractéristique restrictive pendant la procédure, avec l'approbation ou sur la recommandation de l'Office, étendrait l'objet du brevet au-delà du contenu de la demande, alors que, par ailleurs, l'article 123(3) CBE dispose que la suppression de cette même caractéristique doit être évitée. Une interprétation raisonnable et justifiée des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE est nécessaire dans de telles espèces. Cependant, l'application conjointe de ces deux paragraphes, considérés dans l'absolu et indépendamment l'un de l'autre, entraînerait un résultat paradoxal, conduisant, en pareil cas, à la révocation du brevet délivré, mesure que la Chambre juge inopportune et non voulue par les auteurs de la Convention. Cette situation contradictoire n'est donc évitable que si les deux paragraphes sont interprétés l'un par rapport à l'autre, autrement dit si l'un est appliqué comme paragraphe principal, c'est-à-dire indépendant, et l'autre comme paragraphe secondaire, donc dépendant. D'où l'alternative suivante :
a) le paragraphe 2 est considéré comme indépendant, et la caractéristique ajoutée doit donc être supprimée dans la revendication du brevet délivré, nonobstant le paragraphe 3, ou
b) le paragraphe 3 est considéré comme indépendant, et la caractéristique ajoutée peut donc rester dans la revendication du brevet délivré, nonobstant le paragraphe 2.
La Chambre estime que lorsque la caractéristique limitant l'étendue de l'invention dans une revendication n'est pas pertinente quant à la nouveauté et à l'activité inventive de l'objet revendiqué, il semble approprié et raisonnable d'appliquer la partie b) de l'alternative....Si d'autre part, dans le contexte donné, une caractéristique effectivement ajoutée dans une revendication est dépourvue de sens technique, la partie a) de l'alternative mentionnée plus haut, c'est-à-dire la suppression de cette caractéristique, paraîtrait justifiée ..."
Dans la présente affaire, la caractéristique "pratiquement dépourvue de stries" n'est pas dénuée de sens technique, de sorte que la partie a) de l'alternative donnée dans la décision T 231/89 ne s'appliquerait pas.
Pour vérifier si la partie b) de l'alternative s'applique, la Chambre devrait examiner si la caractéristique susmentionnée est sans pertinence quant à la nouveauté et à l'activité inventive. Toutefois, à l'instar de ce qui se passe probablement dans nombre d'affaires similaires, les questions de la nouveauté et de l'activité inventive n'ont pas encore été tranchées définitivement par la division d'opposition, et la Chambre devrait dans une certaine mesure lier la première instance par son jugement sur la nouveauté et l'activité inventive. En outre, d'une manière tout à fait générale, la Chambre est d'avis que la pertinence d'une caractéristique quant à la nouveauté et à l'activité inventive ne pourrait pas maintenant être établie définitivement, étant donné que cette situation pourrait changer lors de procédures ultérieures portant sur le brevet (poursuite de la procédure d'opposition, action en nullité). Mais, en premier lieu, la Chambre doute qu'il soit possible de contester l'application d'un article inconditionnel de la CBE, même s'il peut apparaître moins pertinent dans une affaire donnée.
2.3 Dans l'affaire T 938/90 (non publiée), la division d'examen avait introduit une caractéristique dans la revendication principale et délivré un brevet. La division d'opposition a révoqué le brevet au motif que l'objet de la revendication principale s'étendait au-delà du contenu de la demande telle que déposée. La Chambre 3.3.3 a estimé que dans cette affaire, la situation était entièrement différente de celle de l'affaire T 231/89, parce que la caractéristique ajoutée n'était pas du tout dépourvue de signification technique et ne pouvait pas être ignorée lors de l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive. C'est pour cette raison que la Chambre n'a pas suivi la décision précédente T 231/89 et qu'elle a confirmé la révocation du brevet.
En général, une telle décision peut sembler dure (et parfois injuste) au vu des faits mentionnés au point 2.1 supra.
2.4 Il serait également intéressant d'examiner la manière dont la jurisprudence allemande a traité des problèmes qui s'avèrent pertinents dans la présente affaire (cf. notamment l'article de H. Schwanhäusser paru dans GRUR 1991, n 3, pages 165à 169, et GRUR 1992, pages 295, 296, ainsi que la décision "Flanschverbindung" rendue par le Bundespatentgericht le 28 juin 1988(GRUR 1990, n 2, pages 114 à 116) et le livre de R. Schulte, Patentgesetz, 4e édition, 1987,Carl Heymanns Verlag KG, page 234, paragraphes 4.22 et 4.23). Il est intéressant de noter que la révocation ou l'annulation de la totalité du brevet ne sont pas considérées comme une conséquence inévitable dans les cas où l'adjonction d'un objet ne peut être supprimée sans étendre la protection conférée par la revendication du brevet délivré. En fait, il est permis soit de maintenir dans la revendication la caractéristique ajoutée, soit de l'en retirer, et on tente d'éviter la violation correspondante du droit des brevets en insérant dans la description une déclaration sur la nature et les conséquences juridiques de ladite caractéristique. Dans la présente affaire, les troisième et cinquième requêtes subsidiaires correspondraient à cette conception, bien que de l'avis de la Chambre, la phrase ajoutée dans la description ne soit pas formulée comme elle le devrait.
2.5 Vu ce qui précède et compte tenu du fait que :
- l'interprétation de la relation entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE représente une question de droit d'importance fondamentale, qui doit être clarifiée,
- la révocation du brevet est considérée comme une mesure insatisfaisante et injuste, qui ne semble pas nécessaire pour protéger dûment les droits des tiers, et que dans la présente affaire,
- la caractéristique ajoutée a une signification technique (sinon elle ne pourrait pas limiter l'étendue de la protection conférée par la revendication) et il n'est pas encore possible de décider si ladite caractéristique sera sans pertinence quant à la nouveauté et à l'activité inventive,
- aucune caractéristique ne peut être identifiée dans la demande telle que déposée, qui pourrait remplacer la caractéristique ajoutée sans étendre la protection de la revendication,
la Chambre parvient à la conclusion qu'une décision de la Grande Chambre de recours est requise, afin de clarifier cette question de droit et d'assurer une application uniforme du droit (article 112(1)a) CBE).
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La question de droit ci-après est soumise à la Grande Chambre de recours pour décision :
"Si l'objet d'un brevet européen tel qu'il a été délivré s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée, tout en limitant l'étendue de la protection conférée par les revendications, peut-on lors de la procédure d'opposition maintenir le brevet, au regard des paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE?"