9. Preuve
Cette partie a été mise à jour pour refléter la jurisprudence et les changements législatifs jusqu'au 31 décembre 2023. Pour la version précédente de cette partie, veuillez vous référer à "La Jurisprudence des chambres de recours", 10e édition (PDF). |
Selon la jurisprudence constante des chambres de recours, pour qu'une objection fondée sur l'insuffisance d'un exposé aboutisse, il est nécessaire de se trouver en présence de doutes sérieux, étayés par des faits vérifiables. Dans le cadre des procédures inter partes, la charge de la preuve incombe initialement à l'opposant, qui doit démontrer, sur la base de la balance des probabilités, qu'un homme du métier lisant le brevet et recourant à ses connaissances générales ne serait pas capable d'exécuter l'invention. La charge qui incombe initialement à l'opposant peut être transférée au titulaire du brevet une fois que l'opposant s'est libéré avec succès de la charge de la preuve.
En effet, une objection relative à l'insuffisance de l'exposé de l'invention ne peut prospérer que si de sérieux doutes peuvent être formulés, étayés par des faits vérifiables (voir, par exemple, décision T 19/90, JO 1990, 476 et décision T 890/02, JO 2005, 497). Pour que l'insuffisance de l'exposé soit établie dans des procédures inter partes, il appartient à l'opposant de prouver, selon la balance des probabilités, qu'un homme du métier lisant le brevet serait incapable d'exécuter l'invention à partir de ses connaissances générales de base (voir décision T 182/89, JO 1991, 391). A cet égard citant T 182/89, la chambre dans T 406/91 dit qu'il ne suffit pas en principe à l'opposant -pour être libéré de sa charge de prouver- de simplement affirmer que l'un des exemples cités dans un brevet a été reproduit une fois "exactement comme décrit", sans pouvoir obtenir exactement les résultats revendiqués dans le brevet (cf. T 406/91, également T 418/91, T 548/91 et T 588/93, T 465/97, T 998/97, T 499/00, T 751/00 et T 967/09).
À ce stade sur la question de savoir sur qui pèse la charge de la preuve au stade du recours, le lecteur peut se reporter à T 1138/20 pour des considérations générales, et T 1076/21 plus spécifiquement quant aux objections tirées de l'art. 83 CBE.
En raison de toutes les questions abordées, de la réaffirmation et clarification sur des concepts clefs ainsi que l'articulation entre ces concepts posées par T 1076/21, spécifiquement sur l'art. 83/100(b) CBE et le droit de la preuve, cette décision récente mérite ici un résumé étoffé.
-Réaffirmation et clarification par T 1076/21 des principes du droit de la preuve en lien avec l'art. 83 CBE :
Dans l'affaire T 1076/21, par référence à l'affaire T 585/92, l'intimé (opposant) faisait valoir que le requérant (titulaire du brevet) supportait la charge de prouver que le brevet était suffisamment divulgué car la division d'opposition avait révoqué le brevet. Le requérant contestait que l'intimé se fût suffisamment acquitté de la charge initiale de la preuve reposant sur lui. La chambre a conclu que la charge de la preuve concernant les faits, les arguments et les preuves sur le fond de l'affaire (qui incombe initialement à l'opposant) n'est pas transférée au titulaire du brevet simplement car le brevet a été révoqué pour une insuffisance de l'exposé prétendue. La chambre a rappelé que ce n'est qu'en cas de doutes sérieux, étayés par des faits vérifiables, qu'une demande (ou un brevet) peut conduire à une objection pour insuffisance de l'exposé (T 19/90). Après la délivrance du brevet, il existe une présomption légale que le brevet satisfait aux exigences de la CBE. Cette présomption peut être réfutée. Le poids des arguments requis pour la réfuter dépend de la force de cette présomption. Une forte présomption exige des arguments plus substantiels qu'une faible présomption. S'agissant du motif d'opposition sur la suffisance de l'exposé, la force dépend de la manière dont l'invention est divulguée dans le brevet (T 63/06, T 55/18). La charge initiale de l'opposant de fournir des faits, des arguments et des preuves pour une allégation d'insuffisance de l'exposé peut être transférée au titulaire du brevet lorsque l'opposant s'est libéré avec succès de la charge de la preuve en ayant soumis des faits, arguments et preuves suffisants pour réfuter la présomption de suffisance (T 338/10, T 2218/16). Toutefois, ce renversement ne peut résulter que d'arguments suffisants sur le fond ; de simples raisons formelles, comme la simple existence de la décision de la division d'opposition de révocation du brevet, n'entraînent pas de transfert de la charge de la preuve sur le fond. Si le raisonnement de la décision contestée en tant que telle s'avère erroné, il ne peut y avoir de transfert de la "charge de la preuve sur le fond" (T 499/00, T 1608/13).
La charge de la preuve est liée à la "charge de motiver ses prétentions" ("burden to substantiate a case"). Ainsi, un opposant doit d'abord fournir des faits et expliquer pourquoi ces faits soutiennent son affirmation (T 182/89). Cette charge d'étayer les faits et les arguments est ensuite suivie par la charge de prouver ces faits, ce qui se fait normalement en soumettant des preuves. Ce n'est que dans le cas exceptionnel d'une faible présomption de validité due à un manque d'informations dans le brevet que la seule présentation d'arguments plausibles peut suffire (T 63/06, T 1558/11). Souvent, ces deux aspects sont désignés tous deux sous le terme de "charge de la preuve".
Cela a pu conduire à l'idée erronée que toute décision concluant à une insuffisance entraînerait un transfert de la charge de la preuve au titulaire du brevet. Toutefois, en distinguant la "charge de motiver ses prétentions" de la "charge de la preuve sur le fond", la chambre estime qu'il peut être clairement déduit de la jurisprudence qu'après une décision de la division d'opposition faisant droit à une objection d'insuffisance, il incombe au titulaire du brevet d'expliquer au stade du recours en quoi cette décision est erronée. La charge de la preuve sur le fond (et ce faisant le bénéfice du doute) n'est cependant transférée que lorsque l'évaluation de la division d'opposition, selon laquelle les faits, arguments et preuves présentés sont suffisants pour libérer l'opposant de la charge de la preuve, s'avère correcte. C'est le requérant qui a la charge de motiver le recours. Toutefois, la chambre a fait observer qu'un recours ne doit pas nécessairement être étayé par la présentation de faits et de preuves qui contredisent les arguments et les preuves présentés par l'opposant. Il peut également être motivé en expliquant pourquoi le raisonnement de la division d'opposition sur l'insuffisance est erroné et pourquoi la charge de la preuve sur le fond pèse encore sur l'opposant.
Dans l'affaire T 1076/21, le titulaire du brevet avait motivé son recours. L'intimé n'avait pas apporté la preuve que les indications contenues dans le brevet étaient insuffisantes, et il n'avait pas non plus démontré que le paramètre prétendument inhabituel était effectivement inhabituel ; il ne s'était pas libéré de la charge de la preuve sur le fond. La division d'opposition n'avait dès lors pas pu fonder sa décision sur des faits vérifiables comme requis. La charge de la preuve n'avait donc pas été transférée au titulaire du brevet. S'agissant d'un autre aspect, la chambre a conclu qu'étant donné que les parties avaient fait des affirmations contradictoires, mais non étayées, concernant les faits, le titulaire du brevet devait se voir accorder le bénéfice du doute (T 72/04).
Dans les sections suivantes, le lecteur trouvera certains aspects liés aux preuves. Quant au cas particulier des paramètres, voir aussi ce chapitre II.C.5.5.3. Pour ce qui est des deuxièmes utilisations médicales, cf. chapitres II.C.6.8 (Documents publiés ultérieurement) et II.C.7.2 supra ainsi que, par exemple, les décisions récentes T 1394/21, T 2790/17, T 1210/20, et T 1779/21 qui se réfèrent à la décision G 2/21 (JO 2023, A85, points 74 et 77 des motifs).