8.1. Définition de l'homme du métier
La notion d'homme du métier en biotechnologie est bien définie par la jurisprudence des chambres de recours. Dans ce domaine, l'homme du métier adopte une attitude prudente. Il n'irait jamais à l'encontre de préjugés bien établis, pas plus qu'il ne tenterait de s'aventurer dans des domaines imprévisibles, et ne prendrait pas de risques incalculables. Il effectuerait, à partir d'un domaine voisin, un transfert de technologie dans son domaine spécifique, si un tel transfert implique uniquement des expériences de routine (T 455/91, JO 1995, 684 ; T 500/91 ; T 387/94 ; T 441/93 ; T 1102/00).
Dans l'affaire T 60/89 (JO 1992, 268), la chambre a émis l'avis que l'homme du métier dans le domaine du génie génétique en 1978 ne saurait être défini comme un lauréat du prix Nobel, même si un certain nombre de scientifiques travaillant dans ce domaine à l'époque se sont effectivement vu attribuer le prix Nobel. L'homme du métier est plutôt un scientifique titulaire d'un diplôme universitaire ou une équipe de scientifiques de ce niveau, travaillant dans des laboratoires qui, à cette époque, ont évolué de la génétique moléculaire aux techniques du génie génétique. Voir aussi T 500/91, où la chambre a déclaré que le développement de la technique normalement attendu de l'homme du métier abstrait – qui peut être représenté par une équipe de spécialistes compétents (T 141/87) – n'incluait pas la solution de problèmes techniques impliquant des recherches scientifiques dans des domaines encore inexplorés (voir aussi T 441/93).
Dans l'affaire T 223/92, la chambre était appelée à examiner les connaissances et les compétences de l'homme du métier dans le domaine du génie génétique en octobre 1981, plus d'un an après l'affaire T 500/91. A cette époque, un nombre bien plus important de gènes avaient fait l'objet de méthodes de clonage et d'expression, si bien que le savoir-faire et l'expérience dans ce domaine technique progressaient rapidement. Il y a lieu de considérer que les connaissances de l'homme du métier correspondent à celles d'une équipe de spécialistes au fait de toutes les difficultés prévisibles lorsqu'ils envisagent de cloner un nouveau gène. Cependant, il faut supposer que l'homme du métier n'a pas l'imagination inventive pour résoudre des problèmes pour lesquels il n'existe encore aucune méthode de résolution courante.
On ne saurait attendre de l'homme du métier autre chose que de réaliser des expériences avec des moyens de routine et que, ce faisant, il comble des lacunes dans ses connaissances en recourant aux connaissances existantes (T 886/91, T 223/92, T 530/95, T 791/96).
Dans l'affaire T 207/94 (JO 1999, 273), la chambre de recours a déclaré qu'il convenait de supposer que l'homme du métier de compétence moyenne ne ferait pas preuve de créativité. On peut toutefois prévoir qu'il réagira à tout moment d'une manière commune à tous les hommes du métier, à savoir que toute supposition ou hypothèse sur un éventuel obstacle à la pleine réalisation d'un projet doit toujours se fonder sur des faits. C'est pourquoi, de l'avis de la chambre, l'absence de toute preuve établissant qu'une caractéristique déterminée serait susceptible de faire obstacle à la mise en œuvre d'une invention ne serait pas considérée comme un indice que cette invention serait ou non réalisable.
Dans l'affaire T 412/93, le brevet portait sur la production d'érythropoïétine. Les parties ont convenu que dans cette affaire, l'homme du métier devait en fait être une équipe composée de trois membres, dont un chercheur titulaire d'un doctorat et bénéficiant de plusieurs années d'expérience dans le domaine concerné du génie génétique ou de la biochimie, assisté de deux techniciens de laboratoire versés dans les techniques connues pertinentes à l'aspect concerné. Selon les différents aspects examinés, la composition de l'équipe peut varier en fonction des connaissances et des compétences requises pour l'aspect particulier abordé.
Dans l'affaire T 455/91 (JO 1995, 684), la chambre a constaté que l'homme du métier spécialiste du domaine considéré sait parfaitement qu'une modification structurelle, même mineure, apportée à un produit (tel qu'un vecteur, une protéine, une séquence d'ADN) ou à un procédé (par ex. un procédé de purification) peut entraîner des changements fonctionnels considérables. Dans ces conditions, il adopterait, de l'avis de la chambre, une attitude prudente. C'est ainsi qu'il n'irait pas à l'encontre de préjugés bien établis, pas plus qu'il ne tenterait de s'aventurer dans des domaines considérés comme "sacro-saints" ou imprévisibles, et ne prendrait pas de risques incalculables. Cet homme du métier s'efforcerait toutefois, dans le cadre des procédures habituelles de mise au point, d'apporter des changements ou adaptations appropriés qui s'imposent à l'évidence, ne nécessitent que peu d'efforts ou de travail, et ne présentent aucun risque, ou uniquement des risques mesurables, ceci en vue notamment d'obtenir un produit plus commode ou plus pratique, ou de simplifier un procédé. Voir aussi T 441/93, T 867/13.
Si l'homme du métier estime au contraire que des travaux de routine définis ne suffisent pas, mais qu'il est nécessaire d'effectuer des recherches scientifiques pour transférer une technologie mise au point tout d'abord dans un domaine de recherche spécifique (procédé de transformation de cellules entières de saccharomyces-cerevisiae) à un domaine voisin (procédé de transformation de cellules entières de kluyveromyces), on peut reconnaître l'existence d'une activité inventive (T 441/93).
Dans l'affaire T 493/01, l'invention concernait un antigène protecteur potentiellement utile dans un vaccin contre la coqueluche. La chambre a fait remarquer que dans la décision T 455/91 (JO 1995, 684), l'homme du métier dans le domaine de la biotechnologie était déjà défini comme prudent et conservateur. La chambre a déclaré que cela ne signifie pas que l'homme du métier s'abstiendra de prendre en considération une information parce qu'elle ne concerne pas le courant de recherche principal dans son domaine de spécialisation ou parce qu'elle ne s'applique qu'à certaines parties du monde. L'expertise et les connaissances de l'homme du métier ne sont pas limitées géographiquement ; son point de vue aura plutôt un caractère global. Par conséquent, si un agent pathogène constitue une menace connue dans certaines parties limitées du monde, comme dans le cas présent, l'homme du métier ne s'abstiendra pas de tenir compte des connaissances antérieures relatives audit agent pathogène, ni de les utiliser comme base de ses activités.