4.3.3 Preuves publiées ultérieurement et effet technique allégué, tel qu'invoqué pour fonder l'activité inventive ("plausibilité")
Cette partie a été mise à jour pour refléter la jurisprudence et les changements législatifs jusqu'au 31 décembre 2023. Pour la version précédente de cette partie, veuillez vous référer à "La Jurisprudence des chambres de recours", 10e édition (PDF). |
Dans les décisions qui suivent, toutes rendues avant la décision G 2/21 (JO 2023, A85) et correspondant (en grande partie) à celles analysées dans cette décision de la Grande Chambre, il est encore fait référence aux notions de plausibilité et de défaut de plausibilité, des concepts sans base juridique dans la CBE selon la Grande Chambre. Cependant, comme indiqué ci-dessus au chapitre I.D.4.3.3 a), la Grande Chambre a souligné qu'elle comprend comme faisant consensus dans la jurisprudence des chambres de recours que la question centrale consiste à déterminer ce que l'homme du métier considère, à la date de dépôt de la demande telle qu'elle a été déposée initialement et en s'appuyant sur ses connaissances générales, comme étant l'enseignement technique de l'invention revendiquée. Appliquant cette interprétation aux décisions analysées, pour vérifier sa propre conception, la Grande Chambre a été convaincue que le résultat dans chaque affaire n'aurait pas été différent de la conclusion à laquelle la chambre concernée est effectivement parvenue.
i) Considérations d'ordre général
Dans l'affaire T 1329/04, la chambre de recours n'a pas pris en considération les moyens de preuve publiés ultérieurement et a finalement refusé de reconnaître l'activité inventive de l'objet revendiqué parce que la demande telle que déposée initialement ne contenait pas suffisamment de preuves permettant de rendre au moins plausible qu'une solution a été trouvée au problème que la demande prétendait résoudre (à savoir que le GDF-9 était bien un facteur de différenciation de croissance). Étant donné que les moyens de preuve publiés ultérieurement étaient considérés comme la première divulgation allant au-delà d'une simple spéculation, il n'a pu en être tenu compte. La chambre a estimé que même si des moyens de preuve supplémentaires, publiés ultérieurement, pouvaient être pris en considération si les circonstances le justifiaient, ils ne sauraient servir de base unique pour établir que la demande résout effectivement le problème qu'elle prétendait résoudre (cf. également T 861/08, T 778/08, T 415/11, T 1791/11, T 1285/13, T 488/16, T 1099/16, T 212/17 et T 1322/17).
Dans un grand nombre d'autres décisions, les chambres ont estimé que les preuves publiées ultérieurement ne pouvaient être utilisées que pour étayer l'enseignement qu'il était possible de déduire de la demande (cf. par exemple T 716/08, T 578/06, T 861/08, T 1196/12, T 2315/13 et T 377/18).
En ce qui concerne la qualité des preuves dans la demande, la chambre a déclaré, dans l'affaire T 716/08, qu'il n'était pas nécessaire d'apporter la "preuve absolue" qu'un effet est obtenu pour que cet effet soit "plausible". Voir également la décision T 266/10, où la chambre a déclaré que la preuve absolue, dans l'exposé du brevet contesté, de l'obtention réelle de l'effet n'est pas une condition préalable pour que l'effet des modifications proposées puisse être jugé plausible.
Dans la décision T 578/06, la chambre a énoncé que la CBE ne conditionne la brevetabilité à aucune preuve expérimentale et que pour démontrer qu'un objet revendiqué résout le problème technique objectif, il n'est pas toujours requis de fournir des données expérimentales ou des résultats de tests dans la demande telle que déposée et/ou des preuves publiées ultérieurement. Cela est particulièrement vrai en l'absence de doutes sérieux. Dans ce contexte, la chambre a cependant rappelé que la jurisprudence (spécifiquement les décisions T 716/08, T 1329/04 et T 893/02, citées par la chambre) ne juge pertinent d'établir le caractère plausible dans le cadre de l'examen de l'activité inventive que lorsque l'espèce permet sérieusement de douter que l'invention revendiquée est propre à résoudre le problème technique formulé, et qu'il est loin d'être évident que l'invention revendiquée résout ledit problème. Voir également T 2197/09.
Cependant, dans l'affaire T 2371/13, la chambre a estimé qu'un défaut de plausibilité d'un effet basé sur l'absence de preuve dans la demande du brevet n'est pas un motif suffisant pour écarter des essais comparatifs déposés ultérieurement et visant à prouver cet effet. Les écarter pour cette raison serait incompatible avec l'approche problème-solution qui demande de définir un problème technique à partir du document de l'état de la technique le plus proche, qui n'est pas forcément celui cité dans la demande de brevet. La chambre a fait remarquer qu'il est usuel de faire valoir au titre de l'activité inventive un effet technique qui n'est pas explicitement mentionné dans la demande telle que déposée. De plus, l'objection selon laquelle l'invention restait à faire après le dépôt de la demande semblait plutôt être une question relevant de l'art. 83 CBE. Voir également le chapitre I.D.4.4 ci-dessous s'agissant de la "Reformulation du problème technique".
Dans l'affaire T 31/18, la chambre de recours a jugé que l'effet technique invoqué comme fondement de l'activité inventive selon l'approche problème-solution doit être expressément mentionné dans la demande telle que déposée ou, à tout le moins, pouvoir en être déduit (cf. aussi chapitre I.D.4.1.2), mais ne doit pas nécessairement être corroboré par des preuves expérimentales.
ii) Décisions n'ayant pris en considération des preuves publiées ultérieurement que si l'effet technique allégué était "plausible"
- Prise en considération de preuves publiées ultérieurement
Dans la décision T 1336/04, la chambre a indiqué que la situation dans le cas d'espèce était différente de celle sous-tendant la décision T 1329/04 en ce qui concerne la qualité des moyens de preuve fournis dans le brevet en litige pour étayer le fait que l'invention revendiquée apportait une solution de bonne foi au problème à résoudre. Dans l'affaire en cause, l'objet de la revendication 1 portait bien sur des enzymes nouvelles dégradant la cellulose ou l'hémicellulose telles que caractérisées par l'homologie de leurs domaines de liaison aux glucides par rapport à ceux de cellulases connues. Sur cette base, la chambre a reconnu que le problème était résolu de manière satisfaisante, en tenant également compte de l'exposé d'un document publié ultérieurement.
Dans la décision T 108/09, tout en reconnaissant la plausibilité, la chambre a distingué l'affaire sous-tendant cette décision de l'affaire T 1329/04, dans laquelle on pouvait de prime abord douter que l'objet revendiqué résolve le problème de l'invention. Le brevet en litige, en revanche, contenait des informations détaillées sur la manière dont le fulvestrant devait être formulé et administré afin d'obtenir l'effet souhaité en tant qu'agent de troisième intention dans le traitement du cancer du sein. Les preuves publiées ultérieurement étaient loin de constituer l'unique source d'informations concernant la question de savoir si le fulvestrant était utile en tant qu'agent de troisième intention, et les données qui y figuraient pouvaient donc être utilisées pour déterminer si oui ou non le problème sous-jacent à l'invention concernée avait été résolu de façon plausible.
Pour des exemples supplémentaires d'affaires où la chambre a pris en considération des preuves publiées ultérieurement qui avaient été soumises, voir les décisions T 433/05, T 294/07, T 2134/10, T 872/13, T 1898/15 et T 212/17.
- Non-prise en considération de preuves publiées ultérieurement
Dans la décision T 1791/11, la chambre a déclaré qu'il ressortait de la demande de brevet elle-même que l'on ignorait alors quelles variantes résolvaient le problème et qu'il convenait encore de procéder à un essai afin de confirmer l'avantage allégué. La chambre a donc conclu qu'il n'était pas plausible, sur la base du brevet, que l'objet revendiqué résolve le problème technique tel que formulé par le requérant-titulaire, et que les preuves expérimentales publiées ultérieurement étaient en réalité la seule base permettant de conclure que le problème avait été résolu de façon plausible.
Dans la décision T 787/14, la chambre a estimé qu'il convenait de vérifier si la solution revendiquée résolvait effectivement le problème, autrement dit si l'objet revendiqué produisait réellement l'effet désiré, en se fondant sur les données de la demande afin d'éviter qu'une invention ne soit fondée sur des connaissances disponibles seulement après la date effective. La chambre a précisé que des preuves publiées ultérieurement pour prouver que l'objet revendiqué résolvait le problème technique posé ne pouvaient être prises en compte que si l'exposé du brevet faisait déjà ressortir de manière plausible que le problème avait effectivement été résolu. Voir également T 1442/18.
Dans la décision T 488/16, la chambre a déclaré qu'il n'était pas possible d'apporter une réponse générale à la question de savoir si une invention est plausible, puisque cette appréciation dépend des circonstances individuelles, à savoir de la nature de l'invention, de ce qui est exposé dans la description et des connaissances générales. En l'occurrence, la chambre a estimé que les documents publiés ultérieurement constituaient la première divulgation montrant qu'au moins pour certains thiazoles, notamment le dasatinib, le problème technique prétendu avait effectivement été résolu. Conformément à la jurisprudence établie, ces documents n'ont donc pas été pris en compte pour apprécier l'activité inventive.
Dans l'affaire T 1322/17, la chambre a relevé que les preuves expérimentales ne sont pas toujours nécessaires pour rendre plausible un effet donné. Une explication mécanique et/ou les connaissances générales de l'homme du métier peuvent suffire dans certains cas. Toutefois, les résultats connus uniquement des inventeurs et découlant d'études présentant une configuration inconnue (p. ex. posologie) ne peuvent pas être pris en considération pour apprécier la plausibilité de certains effets. Une simple assertion qu'un certain effet se produit (dans des conditions non reflétées par les caractéristiques techniques de la revendication), ne suffit pas à rendre plausible l'obtention de cet effet, en l'absence de circonstances l'étayant. La chambre a jugé dans cette affaire qu'étant donné qu'un effet technique lié à une réduction de fracture plus élevée n'avait pas été rendu plausible dans la demande telle qu'elle avait été déposée pour la dose spécifique de 150 mg d'acide ibandronique administrée dans un quelconque intervalle de dosage, les moyens de preuve publiés ultérieurement ne pouvaient pas être pris en considération.
Dans l'affaire T 235/13, la chambre a jugé qu'il n'est pas possible de tenir compte de preuves publiées ultérieurement pour attester un effet supplémentaire qui n'a pas été divulgué antérieurement, par exemple un avantage spécifique jusque-là inconnu qui n'est suggéré à aucun moment dans la demande telle que déposée. La demande en cause n'indiquait pas, que ce soit dans l'exposé de l'invention ou dans la présentation de l'état de la technique, une quelconque amélioration d'une thérapie, et encore moins une amélioration de la biodisponibilité du composé thérapeutique. Par conséquent, cet effet supplémentaire modifiait bien le caractère de l'invention et ne pouvait pas être pris en compte précisément pour cette raison.
Dans la décision T 377/18, la chambre a considéré qu'en l'absence de toute indication dans la demande telle que déposée selon laquelle le régorafénib pourrait être utilisé en cas d'échec d'un traitement avec d'autres substances actives de la même classe chimique, c'est-à-dire les diaryl-urées examinées dans la partie relative au contexte en référence au document (5), le moyen de preuve publié ultérieurement, qui montrait que "le régorafénib était même efficace chez les patients qui ont montré une réponse insuffisante au traitement avec le sorafénib", ne pouvait pas être pris en considération pour évaluer l'activité inventive.
Pour des exemples supplémentaires d'affaires où la chambre n'a pas pris en considération des preuves publiées ultérieurement qui avaient été soumises, voir les décisions T 1306/04, T 125/12, T 1433/14 et T 1099/16.
iii) Décisions dans lesquelles des preuves publiées ultérieurement ont été prises en considération au motif que l'effet technique allégué n'était pas "non plausible"
Dans l'affaire T 1642/07, la chambre a fait observer que la CBE, et a fortiori l'art. 56 CBE, ne contenait aucune exigence imposant qu'une demande de brevet comporte des preuves expérimentales étayant la brevetabilité ou un effet technique revendiqué. Par conséquent, le fait que l'exposé d'une demande de brevet est purement théorique et n'est pas soutenu par des données expérimentales n'est pas en soi un obstacle à la brevetabilité ni à la présence d'un effet technique reconnu. La chambre a conclu que les documents publiés ultérieurement pouvaient être considérés comme une simple confirmation de l'effet technique déjà annoncé (bien qu'à un niveau théorique) dans la demande telle que déposée. Elle n'a vu aucune raison de douter de l'effet technique décrit, et a estimé que les preuves publiées ultérieurement pouvaient être prises en considération.
Dans la décision T 536/07, la chambre a relevé que malgré l'absence d'exemples probants pour l'objet revendiqué dans le brevet contesté et bien que cet objet n'ait pas été divulgué sous la forme d'un mode de réalisation préféré, l'homme du métier n'avait a priori aucune raison de considérer que la solution au problème technique n'était pas plausible. Rien ne permettait de penser qu'il y avait un préjugé dans l'état de la technique ou que l'on pouvait s'attendre à des difficultés pour réaliser la solution proposée. Dans le cas d'espèce, la chambre a tenu compte des preuves publiées ultérieurement versées au dossier et qui démontraient la faisabilité de la solution proposée.
Dans la décision T 1677/11, la chambre a relevé que les faits de l'affaire en cause étaient très différents de ceux sous-tendant la décision T 1329/04. En l'occurrence, la structure du sel de sodium d'(-)-oméprazole revendiqué était entièrement compatible avec celle de la classe connue des inhibiteurs de sécrétion d'acide gastrique, alors que dans l'affaire T 1329/04, les caractéristiques structurelles du polypeptide avaient été considérées comme incompatibles avec celles attendues de la superfamille. De plus, le brevet en litige divulguait une synthèse du sel revendiqué et contenait une déclaration claire assurant qu'il présentait "un profil thérapeutique amélioré tel qu'un degré moindre de variation interindividuelle". La chambre n'a donc vu a priori aucune raison pour que l'homme du métier envisage un défaut de plausibilité et a estimé opportun de tenir compte des preuves publiées ultérieurement, soumises aux fins d'apprécier si l'effet identifié était effectivement observé ou non.
Dans l'affaire T 919/15, la chambre a constaté qu'en l'absence d'indices du contraire dans les connaissances générales de l'homme du métier pour les combinaisons d'herbicides contenant l'herbicide (A), il n'était pas possible de supposer qu'une synergie entre les combinaisons non testées dans la demande initiale ne serait pas plausible en tant que telle. La chambre a précisé que cette conclusion était conforme à la décision T 863/12, dans laquelle l'une des raisons ayant conduit à la confirmation de la plausibilité d'un effet avait tenu au fait que les connaissances générales de l'homme du métier ne comportaient aucun élément remettant en cause cette plausibilité. Voir également T 2097/15.
Dans l'affaire T 184/16, la demande telle que déposée ne contenait aucune preuve expérimentale en ce qui concernait le caractère plausible de la capacité des composés revendiqués à inhiber le SGLT2. Il convenait donc de déterminer si le caractère plausible pouvait néanmoins être reconnu au regard des connaissances générales de l'homme du métier et de l'état de la technique. Rien n'indiquait à la chambre qu'il existait prima facie des doutes sérieux concernant la possibilité d'obtenir l'effet thérapeutique revendiqué, et le requérant (opposant) ne soutenait pas non plus l'existence de tels doutes. En outre, les connaissances générales de l'homme du métier ne donnaient pas à penser ni ne suggéraient a priori que l'effet thérapeutique revendiqué ne pouvait pas être obtenu. Au vu de ce qui précédait, la chambre a considéré qu'il était plausible que l'effet thérapeutique défini dans la revendication 12 soit effectivement obtenu et la chambre a estimé que le document D4 publié ultérieurement pouvait être pris en considération à l'appui de l'exposé de l'invention figurant dans la demande de brevet.
Dans l'affaire T 2015/20, la chambre a jugé que les approches développées dans la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB concernant l'évaluation de la suffisance de l'exposé et de l'activité inventive prenaient spécifiquement en compte la contribution technique effectivement divulguée dans une demande de brevet afin d'éviter une protection par brevet résultant d'une spéculation déraisonnable sur la base de propositions, de prime abord, dénuées de plausibilité. Dans cette affaire, la chambre a estimé que la déclaration dans la demande selon laquelle le traitement des troubles respiratoires, notamment l'asthme et la MOPC, avec de l'aclidinium était plus efficace avec l'administration par inhalation d'un dosage d'approximativement 400 myg représentait un enseignement technique substantiel, qui était loin de représenter une invitation à réaliser un programme de recherches et qui, de prime abord, n'était pas dénué de plausibilité.