G. Droit de la preuve
Cette partie a été mise à jour pour refléter la jurisprudence et les changements législatifs jusqu'au 31 décembre 2023. Pour la version précédente de cette partie, veuillez vous référer à "La Jurisprudence des chambres de recours", 10e édition (PDF). |
Les dispositions relatives à la preuve, aux moyens de preuve, aux mesures d'instruction et à la conservation de la preuve se retrouvent essentiellement aux articles et règles suivants : art. 117 CBE, art. 131(2) CBE, règle 117 CBE (les règles 117 et 118 CBE ont été modifiées par décision CA/D 12/20 du 15.12.2020, JO 2020, A132, entrée en vigueur le 1er janvier 2021) à règle 124 CBE (modifiée par la décision CA/D 6/14 du Conseil d'administration, JO 2015, A17, et est entrée en vigueur le 1er avril 2015), et règle 150 CBE. Il convient de noter que les règles 117 et 118 CBE modifiées en 2020 concernent les mesures d'instruction par visioconférence (la décision T 423/22 a eu à traiter explicitement de la question de l'audition de témoins par visioconférence devant la division d'opposition) ; à rapprocher du nouvel art. 15bis RPCR entré en vigueur en 2021 (JO 2021, A19), ainsi que de G 1/21 du 16 juillet 2021 date: 2021-07-16 (JO 2022, A49).
Lors de la révision de la Convention en 2000, le contenu de l'art. 117 (2) CBE 1973 à l'art. 117 (6) CBE 1973 a été remanié pour constituer un nouveau l'art. 117 paragraphe 2 CBE. Les modalités de la procédure d'instruction ont été insérées dans le règlement d'exécution (cf. JO éd. spéc. 5/2007, partie II, p. 194-209). En outre, l'art. 117(1) CBE révisé n'énumère plus les instances de l'OEB habilitées à procéder aux mesures d'instruction mais mentionne "les procédures devant l'Office européen des brevets" en général.
L'art. 117 CBE intitulé "Moyens de preuve et instruction" est applicable devant toutes les instances de l'OEB, y compris la section de dépôt, la division d'examen et la division d'opposition, la division juridique et les chambres de recours.
Au-delà de la lettre de la CBE, les chambres de recours ont abordé dans leur jurisprudence de nombreux aspects de la recevabilité des moyens de preuve et de l'instruction. Elles ont, en outre, élaboré des principes spécifiquement destinés à régir tant l'appréciation des preuves que l'attribution de la charge de la preuve, afin de veiller à ce que les procédures devant l'OEB soient menées de manière équitable et cohérente.
Rendues depuis la dernière édition 2022 de ce recueil, les décisions G 2/21 (JO 2023, A85) et T 1138/20 ont réaffirmé les principes du droit de la preuve applicables dans les procédures à l'OEB, première instance et chambres de recours notamment tels que ces principes résultent de la jurisprudence des chambres ; G 2/21 et T 1138/20 font la synthèse de la jurisprudence existante mais elles ont aussi posé voire dégagé de la jurisprudence antérieure l'affirmation de principes qui n'y étaient pas encore aussi clairement affirmés.
Ainsi, la décision G 2/21 (JO 2023, A85) contient de nombreux développements sur le principe de libre appréciation des preuves (notamment points 27 à 46, 55 et 56 des motifs) ; elle contient aussi (point 56 des motifs) l'énonciation selon laquelle des moyens de preuve présentés ne peuvent être écartés au seul motif qu'ils n'étaient pas accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet en cause et ont été produits après cette date.
La décision T 1138/20, qui d'ailleurs cite G 2/21, consacrée presqu'entièrement à des questions de preuve, contient elle de nombreux développements sur des concepts, et leurs articulations entre eux, comme la question du niveau de preuve, le principe de libre appréciation des preuves et conséquences, le réexamen des constatations de faits en appel, l'étendue de la motivation, la charge de la preuve en appel et l'étendue des pouvoirs des chambres. La décision T 1138/20 affirme également clairement certains principes contenus pour l'essentiel dans son exergue (Catchword).
Les affaires G 2/21 et T 1138/20 sont dès lors abondamment citées au présent chapitre. Le lecteur se renverra avec profit à la lecture de ces décisions.
Il est attiré en introduction également l'attention sur certains principes tirés avant tout d'autres décisions plus anciennes des chambres.
Dans la décision T 2037/18, la chambre a expliqué que dans la majorité des systèmes juridiques ainsi que dans le cadre de la procédure devant l'OEB (en dehors du domaine de l'examen d'office), la charge de l'allégation et de la preuve est répartie de telle sorte que chaque partie doit présenter et prouver les faits qui lui sont favorables, c'est-à-dire les faits à l'appui de sa propre allégation (T 219/83, T 270/90). Le principe "negativa non sunt probanda" reconnu dans la jurisprudence des chambres de recours (cf. R 15/11, R 4/17) exprime clairement – selon la chambre – cette répartition de la charge de la preuve : une partie n'a pas à prouver un fait négatif ; au contraire, c'est à la partie adverse de prouver, le cas échéant, le fait positif qui lui est favorable. En règle générale, la charge de l'allégation suit la charge de la preuve. A rapprocher de T 1076/21.
En application du principe de la liberté de la preuve, tout moyen de preuve, indépendamment de son genre, est recevable (T 482/89, JO 1992, 646). L'intéressé est libre dans le choix des modes de preuve, les moyens de preuve énumérés à l'art. 117(1) CBE n'ayant qu'une valeur d'exemple (T 543/95 ; T 142/97, JO 2000, 358). Liberté de la preuve réaffirmée dans G 2/21, points 40, 41 des motifs. Liberté de produire les preuves de son choix soulignée dans T 1138/20 (points 1.3.4(a),(b) des motifs).
L'un des principes tel que rappelé notamment par la Grande Chambre de recours est que la procédure devant l'OEB est conduite conformément au principe de la libre appréciation des preuves (G 1/12, JO 2014, A114; encore réaffirmé et largement traité dans G 2/21 (JO 2023, A85) aux points 27 à 46 des motifs).
Un droit procédural fondamental ancré à l'art. 117(1) CBE et à l'art.113(1) CBE est le droit de produire des preuves sous une forme appropriée et d'être entendu sur ces preuves (T 1110/03, JO 2005, 302). Tous les faits, preuves et arguments qui revêtent une importance fondamentale pour la décision doivent y être discutés en détail (voir par exemple la décision T 278/00, JO 2003, 546, au chapitre III.K.3.4.4 b)) ; principe réaffirmé dans G 2/21, points 41, 42 des motifs. Et pour une formule de rappel, la décision d'espèce T 1738/21 au point 2.1.11 des motifs.
Il convient pour l'instance appelée à statuer de vérifier sur la base de tous les moyens de preuve pertinents si un fait peut ou non être considéré comme prouvé (T 474/04, JO 2006, 129 et T 545/08 citant la décision G 3/97, JO 1999, 245, point 5 des motifs ; réaffirmé par G 2/21, spécialement la formulation aux points 30-32, 34 des motifs, plus récemment encore T 1138/20 (voir point 1.2.2 des motifs et exergue (Catchword)). Comme pour toutes les autres conclusions tirées par une instance appelée à statuer, une constatation de faits doit être motivée (T 1138/20, se référant à la décision G 2/21, point 31 des motifs). Cela est particulièrement important si le dossier comporte des preuves contradictoires. Le processus d'appréciation des différents moyens de preuve doit ensuite être dûment reflété dans le raisonnement de la décision finale (T 1138/20, point 1.2.3 des motifs – sur l'étendue de la motivation, voir aussi "plausible alternative" (alternative plausible) aux points 1.3.4(c) et 1.3.8 (dernier paragraphe) des motifs ; "duty of giving reasons" (obligation d'exposer les motifs) au point 1.2.6). Sur l'étendue de la motivation encore, à rapprocher de G 2/21 (points 31, 41 des motifs), T 42/19 (point 3.5 des motifs), ainsi que T 1647/15 et T 1738/21 quant au rejet d'une offre de preuve.
Lorsque l'offre de preuve sur des faits contestés et essentiels à la solution du litige se réfère à un moyen de preuve décisif, l'instance est en principe tenue d'ordonner la mesure d'instruction demandée (T 474/04, JO 2006, 129, à propos de témoins, voir aussi T 2659/17). Toutes les offres de preuve appropriées soumises par les parties doivent être prises en compte (T 329/02). À rapprocher de G 2/21, point 32 des motifs.
Le principe de la libre appréciation des preuves n'est applicable qu'une fois les moyens de preuve apportés et ne peut être invoqué pour justifier le rejet d'offre de preuves (T 2238/15, usage antérieur allégué – offre de témoins ; à rapprocher aussi des principes énoncés dans T 1363/14). Principe réaffirmé dans G 2/21, points 44 et 56 des motifs.
Sur la question du traitement pendant la procédure de recours des moyens admis en première instance, la CBE ne fournit aucun fondement juridique pour exclure, dans une procédure de recours, des documents correctement admis dans le cadre de la procédure de première instance, notamment lorsque la décision attaquée se fonde sur ceux-ci (décisions T 1201/14, T 26/13, T 931/14, T 564/12 ; à rapprocher aussi de T 95/07, point 4.2.12 des motifs et T 1277/12 du 7 avril 2017 date: 2017-04-07 ; enfin plus récentes encore T 110/18, T 617/16, T 3234/19, T 487/16 (se référant au RPCR 2007 et au RPCR 2020), T 1884/19, T 2049/16, cette dernière consacrant de longs motifs détaillés (citée plus récemment, et solution reprise par T 1983/19), T 1634/17, T 1738/21 (et décisions citées), et sur la question en général précisément voir le chapitre V.A.3.4.4 "Moyen admis en première instance – élément de la procédure de recours"). Approche nuancée dans la décision T 960/15 (citée dans T 2035/16, T 2742/18 et T 1193/21 ; non approuvée dans T 1206/19). Et sur la question de la recevabilité des preuves soumises par l'intervenant y compris de réintroduire certaines preuves initialement produites par une partie mais qui n'avaient pas été admises car tardives, T 2951/18.
Dans la décision T 1138/20 ("Réexamen de constatations de faits"), il a été spécifié que les chambres ont le pouvoir, à tout stade de la procédure de recours, d'établir les faits pertinents de l'affaire dont elles connaissent et, partant, de substituer leur appréciation à l'appréciation des faits effectuées par des instances du premier degré. Les chambres n'ont toutefois aucune obligation d'établir de nouveau des faits qui ont déjà été établis par les instances du premier degré (T 1138/20, point 2 de l'exergue et point 1.2.4 des motifs, citant l'affaire T 42/19). Le réexamen de constatations de faits n'a simplement rien à voir avec le réexamen de décisions prises dans l'exercice du pouvoir d'appréciation. De telles décisions ne peuvent être réexaminées que dans un cas particulier d'erreurs (G 7/93, point 2.6 des motifs), tandis qu'un réexamen de constatations de faits n'est soumis à aucune limitation de ce type (T 1138/20, point 1.2.4 des motifs). Le réexamen de constatations de faits est traité dans le présent chapitre III.G.4.2.2 b) dans le contexte de dépositions de témoins ; le réexamen de constatations de faits est également pertinent en ce qui concerne les documents (cf. notamment T 1138/20, point 1.2.4(c) des motifs).
Le degré de conviction de l'instance appliqué à l'OEB est généralement l'"appréciation des probabilités" (cf. J 20/85, JO 1987, 102, point 4 des motifs). La règle de l'appréciation des probabilités suppose l'évaluation des éléments de nature à entraîner la conviction de la chambre dans un sens ou dans un autre (T 286/10). Cependant, notamment lorsque l'une des parties seulement – l'opposant – a accès aux informations relatives à un usage antérieur public qui est allégué, la jurisprudence a tendance à exiger que l'existence de cet usage antérieur soit prouvée de façon à ne laisser place à aucun doute raisonnable ou "de façon incontestable" (cf. par exemple T 55/01, point 4.1 des motifs, et T 472/92, JO 1998, 161, point 3.1 des motifs ; T 2451/13, Exergue). Le lecteur pourra trouver un résumé de la jurisprudence des chambres sur cet aspect par exemple dans les décisions suivantes : T 738/04, point 3.4 des motifs ; T 286/10, point 2.2 des motifs ; T 918/11, point 3.3 des motifs ; T 2054/11, points 2.2 et 2.3 des motifs ; T 2227/11, point 2. des motifs ; T 274/12, point 4.2.1 des motifs ; T 202/13, point 15.6.1 des motifs ; T 2451/13, point 3.2 des motifs ; T 545/08, points 7-11 des motifs.
La décision T 1138/20, plus récente, et qui prend en considération la jurisprudence, énonce clairement : un degré unique de conviction de l'instance ("only one standard of proof") est appliqué dans les procédures devant l'OEB. L'instance qui statue, tenant compte des circonstances de l'affaire et des preuves pertinentes dont elle dispose, doit être convaincue que le fait allégué s'est produit. Si seul l'opposant avait accès aux preuves pertinentes, l'instance qui statue doit en tenir dûment compte lorsqu'elle évalue le poids et l'importance à donner à de telles preuves. Conformément à la décision T 1138/20, cela n'est pas la même chose que de dire qu'un degré de conviction différent de l'instance devrait s'appliquer.
Le droit de la preuve sur les publications Internet semble avoir été fixé par les décisions T 286/10 et T 2227/11, encore confirmées par T 1711/11, T 353/14, T 545/08. Le critère de preuve adéquat pour les citations Internet est l'appréciation des probabilités. La conclusion de la décision T 1134/06 (suivie par les décisions T 19/05 et T 1875/06), selon laquelle le critère de preuve plus strict de l'appréciation "au-delà de tout doute raisonnable" devait être appliqué aux divulgations dans Internet, a été réfutée.
Examiner les éléments de preuve retenus par la chambre de recours relève d'un réexamen au fond exclu de la procédure de révision (R 21/09, R 6/12). Le grief tiré du renversement de la charge de la preuve ne relève pas de la liste exhaustive des causes possibles de révision (R 21/10).
Sur la langue des documents utilisés comme moyens de preuve, la règle 3(3) CBE prévoit qu'ils peuvent être produits en toute langue. Toutefois, l'Office européen des brevets peut exiger qu'une traduction soit produite dans l'une de ses langues officielles dans un délai qu'il impartit. Si la traduction requise n'est pas produite dans les délais, l'Office européen des brevets peut ne pas tenir compte du document en question. La décision T 276/07 a eu l'occasion d'en faire application (autre exemple, voir T 2437/13). Par ailleurs, la langue à utiliser pour l'audition et le procès-verbal est régie par l'art. 14(3) CBE (langue de la procédure) et la règle 4 CBE (dérogations aux dispositions relatives à l'utilisation de la langue de la procédure au cours de la procédure orale) (Directives E‑IV, 1.3, "Mesures d'instruction" – version de mars 2024 ; chapitre III.F.2. "Langue de la procédure"). À rapprocher également de T 1787/16 dont les motifs très détaillés portent sur la langue de la procédure et la rédaction des décisions, et qui contient ce faisant quelques mentions sur la langue des preuves.
Voir enfin T 2165/18 pour le cas très particulier de la demande de transcription du témoignage dans la langue du témoin (polonais) – procès-verbal d'audition en français (langue de la procédure) – requêtes en transcription et rectification des procès-verbaux jugées sans fondement par la chambre.
Renvois : les questions de preuve irriguent l'ensemble du droit des brevets, le lecteur se renverra donc par exemple avec profit aux différents chapitres suivants qui traitent spécifiquement de questions de preuve : I.C.2.8.5 "Preuves relatives aux connaissances générales de base" ; I.C.3.2.3 "Divulgations Internet" ; I.C.3.2.2" Conférences et divulgations orales" ; I.C.3.5. "Preuve" ; I.C.3.5.1 "Charge de la preuve" ; I.C.3.5.2 "Degré de conviction de l'instance" ; I.C.3.5.2 c) "Internet – preuve de la date à laquelle les informations ont été disponibles" ; I.D.4.3. "Solution d'un problème technique" ; II.A.2.2.2 "Charge de la preuve" ; II.C.6.6.7 "Expériences" ; II.C.6.8. "Documents publiés ultérieurement" ; II.C.9. "Preuve" ; II.E.5. "Preuves et degré de conviction de l'instance concernant l'admissibilité de modifications et de corrections" ; III.A.2.3. "Lien de causalité et nécessité d'apporter la preuve de la violation du principe de confiance légitime" ; III.B.2.3. "Motifs ou éléments de preuve surprenants" ; III.B.2.4.5 "Éléments de preuve non pris en considération" ; III.B.2.6.4 "Audition de témoins" ; III.B.2.7.1 "Faits et preuves présentés pour la première fois lors de la procédure orale dans une procédure inter partes" ; III.C.6.3. "Présentation tardive de nouveaux faits ou preuves lors de la préparation de la procédure orale – règle 116 CBE" ; III.E.4.4. "Motivation de la requête en restitutio in integrum" ; IV.B.2.6.5 "Nouvel argument fondé sur des motifs et éléments de preuve préalablement communiqués" ; IV.C.4.6.2 "Aucune base juridique permettant de rejeter des arguments invoqués tardivement dans la procédure d'opposition" ; V.A.4.4.6 g) "Preuve d'un usage antérieur public soumise tardivement – non admise" ; V.A.4.5.11 a) "Présentation tardive de nouveaux faits et preuves s'opposant aux principes de procédure équitable et d'économie de la procédure" ; V.A.5.5.3 "Documents et preuves produits tardivement", V.A.5.13.6 "Usage antérieur public" ; III.O.2.6. "Preuves et effets d'un transfert" ; IV.C.2.2.8 "Indication des faits, preuves et arguments – nécessité d'étayer les motifs d'opposition" ; IV.C.2.2.8 i) "Usage antérieur public allégué" ; IV.C.3.4.5 "Examen de nouveaux faits et justifications relatifs à un nouveau motif d'opposition" ; V.A.9.8. "Renvoi pour audition de témoins" ; V.B.3.6.4 "Procès-verbal en tant que preuve que l'objection a été soulevée". Voir aussi les Directives E‑IV "Instruction et conservation de la preuve" – version de mars 2024.