CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.3.3, en date du 20 novembre 1996 - T 472/92 - 3.3.3*
(Traduction)
Composition de la Chambre
Président : | C. Gérardin |
Membres : | P. Kitzmantel |
J. A. Stephens-Ofner |
Titulaire du brevet/intimée : SEKISUI KASEIHIN KOGYO KABUSHIKI KAISHA
Opposante/requérante : Owens-Illinois, Inc.
Référence : Coentreprise/SEKISUI
Règle : 72 CBE
Mot-clé : "Nouveauté (oui) - pas de preuve incontestable d'une utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public - présomption de confidentialité fondée sur l'existence d'un accord de coentreprise (joint venture)" - "Activité inventive (oui) - absence de tout élément ayant pu donner l'idée de l'invention - les propriétés extrinsèques d'un matériau qui a fait l'objet d'une utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public ne sont pas divulguées au public du simple fait de la livraison de ce matériau à la société destinataire (cf. décision G 1/92)"
Sommaire
I. Bien que les critères applicables en matière de preuve soient les mêmes pour toutes les objections soulevées au titre de l'article 100 CBE (cf. décision T 270/90, JO OEB 1993, 725), dans le cas où il est allégué l'existence d'une utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public et où pratiquement toutes les preuves étayant cette allégation se trouvent en la possession de l'opposant, qui est le seul à en avoir connaissance, c'est à cet opposant qu'il incombe de fournir la preuve incontestable du bien-fondé de ce qu'il affirme (cf. ci-après, point 3.1 des motifs).
II. L'aptitude à l'impression présentée par un matériau, de même que ses caractéristiques de surface après exposition à des conditions provoquant un retrait thermique, ne sont pas des propriétés "intrinsèques" qui, conformément à la décision G 1/92, doivent être considérées comme ayant été divulguées au public du simple fait de la livraison à un client dudit matériau (cf. ci-après, points 7.3.4 à 7.3.7 des motifs).
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n° 83 100 303.3 qui a été déposée le 14 janvier 1983 au nom de Sekisui Kaseihin Kogyo Kabushiki Kaisha et revendiquait la priorité de six demandes de brevet japonais dont la première avait été déposée le 14 janvier 1982, a abouti à la délivrance, le 20 mai 1987, du brevet européen n° 84 360 sur la base de 13 revendications.
Les revendications indépendantes 1, 10 et 11 ont la teneur suivante :
"1. Manchon comprenant une feuille stratifiée (S) ayant deux films, la feuille stratifiée ayant des taux de retrait différents dans des directions différentes, caractérisé en ce que les films sont formés de polystyrène, l'un des films (1) étant un film relativement rétractable de mousse, et un autre film étant un film (2) relativement moins rétractable ne formant pas de mousse, le film de mousse ayant une peau superficielle (11) plus épaisse du côté opposé à celui qui est lié au film ne formant pas de mousse,
les extrémités de la feuille stratifiée (S), dans la direction d'écoulement, étant collées mutuellement afin que la peau superficielle relativement épaisse du film de mousse (1) soit tournée vers l'intérieur du manchon, et la feuille stratifiée (S) ayant, dans la direction d'écoulement, un taux de retrait inférieur ou égal à 60% et, en direction transversale, un taux de retrait inférieur ou égal à 10%, le taux de retrait dans la direction d'écoulement étant supérieur au taux de retrait en direction transversale, les taux de retrait pouvant être obtenus par chauffage à 130°C pendant 12 s, dans une étuve."
"10. Procédé de fabrication d'une feuille (ou de plusieurs) destinée à former un manchon, selon lequel un film (1) de mousse et un film (2) ne formant pas de mousse sont extrudés simultanément, caractérisé en ce que le film de mousse et le film ne formant pas de mousse sont des films de polystyrène, et le procédé comprend le refroidissement du film de mousse (1) plus rapidement que le film (2) ne formant pas de mousse si bien que le film de mousse (1) a un taux de retrait supérieur à celui du film (2) ne formant pas de mousse, et le film (1) de mousse a une couche (11) formant une peau superficielle plus épaisse du côté opposé à celui qui est collé au film ne formant pas de mousse (2), et
l'étirage de la feuille stratifiée (S) avec des taux différents dans les directions longitudinale et transversale de la feuille stratifiée si bien que le taux de retrait résultant dans la direction longitudinale est supérieur au taux de retrait dans la direction transversale et est inférieur ou égal à 60%, et le taux de retrait en direction transversale est inférieur ou égal à 10%, les taux de retrait pouvant être obtenus par chauffage à 130°C pendant 12 s dans une étuve."
"11. Stratifié comprenant une feuille (S) ayant un film (1) de mousse et un film (2) ne formant pas de mousse, caractérisé en ce que les films sont constitués de polystyrène, le film de mousse étant relativement rétractable et le film ne formant pas de mousse étant relativement peu rétractable, car le film de mousse a une peau superficielle (11) plus épaisse du côté opposé à celui qui est collé au film ne formant pas de mousse, et
la feuille stratifiée (S) a un taux de retrait en direction longitudinale inférieur ou égal à 60% et un taux de retrait en direction transversale inférieur ou égal à 10%, le taux de retrait en direction longitudinale étant supérieur au taux de retrait en direction transversale, les taux de retrait pouvant être obtenus par chauffage à 130°C pendant 12 s à l'étuve."1
Les revendications dépendantes 2 à 9 concernent des modes de réalisation préférés de l'objet de la revendication 1 ; les revendications dépendantes 12 et 13 concernent des modes de réalisation préférés de l'objet de la revendication 11.
II. Une opposition a été formée le 19 février 1988 par la société Owens-Illinois Inc., qui a requis la révocation du brevet dans sa totalité au motif que l'objet revendiqué n'était pas nouveau et/ou n'impliquait pas d'activité inventive.
Pour fonder son opposition, la société Owens-Illinois avait invoqué essentiellement :
(i) une utilisation antérieure de l'objet de la revendication 11 du brevet en cause qui aurait rendu l'invention accessible au public, du fait de la livraison du matériau"General Purpose Plastishield" de l'opposante (protection plastique à usage général) à la société Sun-Lily Company, Japon (ci-après dénommée "Sun-Lily") et à la société Gerresheimer Glas AG., Allemagne (ci-après dénommée "Gerresheimer") comme l'attestaient
- une première déclaration sous serment de M. J.A. Karabedian, en date du 8 février 1988, avec, à l'appui, les annexes A et B (dénommée ci-après "Kara-1"), apportant des preuves de la livraison à
- Sun-Lily de 40 rouleaux de matériau "General Purpose Plastishield", n° de commande 69-8452 (ci-après dénommés "expédition S3" ; voir annexe A de Kara-1),
et à
- Gerresheimer de 40 rouleaux du matériau "General Purpose Plastishield", n° de commande 69-8515 (ci-après dénommés "expédition G3" ; voir annexe B de Kara-1),
déclaration complétée, à un stade ultérieur de la procédure d'opposition devant la première instance, par
- une seconde déclaration sous serment de M J.A. Karabedian, en date du 13 décembre 1989, avec, à l'appui, les annexes C à Q, (dénommée ci-après "Kara-2"), apportant des preuves supplémentaires des expéditions S3 et G3 et de nouvelles preuves de la livraison à Sun-Lily
- de 6 rouleaux du matériau "General Purpose Plastishield", n° de commande 69-8464 (ci-après dénommés "expédition S1" ; voir annexes N, O, P de Kara-2),
et
- de 40 rouleaux du matériau "General Purpose Plastishield", n° de commande 69-8427 (ci-après dénommés "expédition S2" ; voir annexe Q de Kara-2),
- une déclaration de M. J.A. Karabedian, en date du 27 janvier 1992,
- une première déclaration sous serment de M. M. Yoshida, en date du 1er novembre 1989, avec, à l'appui, les annexes SL-1 à SL-5 (ci-après dénommée "Yoshida-1"),
- une seconde déclaration sous serment de M. M. Yoshida, en date du 22 janvier 1992 (ci-après dénommée "Yoshida-2"),
- une première déclaration sous serment de M. H. Takahashi, en date du 8 décembre 1989, avec, à l'appui, les annexes NKG1 et NKG2 (ci-après dénommée "Taka-1"),
- une seconde déclaration sous serment de M. H. Takahashi, en date du 21 février 1991, avec, à l'appui, les annexes NKG3 à NKG7 (ci-après dénommée "Taka-2"),
- une troisième déclaration sous serment de M. H. Takahashi, en date du 22 janvier 1992 (ci-après dénommée "Taka-3"),
et
- une déclaration tenant lieu de serment ("Eidesstattliche Erklärung") de M. K. Kricheldorf, en date du 23 janvier 1992, avec des annexes ( "Anlagen" ) 1 à 3, apportant la preuve de l'expédition G3 mentionnée dans Kara-1, ainsi que de nouvelles preuves concernant la livraison à Gerresheimer de
- 3 rouleaux du matériau "General Purpose Plastishield", n° de commande 69-8393 (ci-après dénommés "expédition G1"),
et de
- 40 rouleaux du matériau "General Purpose Plastishield" , n° de commande 69-8414 (ci-après dénommés "expédition G2").
et
(ii) les divulgations contenues, entre autres, dans les documents
(1) US-A-3 979 000 et
(2) GB-A-1 383 622.
III. Par sa décision prononcée oralement le 28 janvier 1993 et communiquée par écrit aux parties le 29 avril 1992, la division d'opposition a rejeté l'opposition, considérant que :
...
IV. L'opposante (requérante) a formé le 20 mai 1992 un recours contre la décision susmentionnée ...
V. ...
VI. Dans ses conclusions présentées par écrit, de même que lors de la procédure orale, la requérante a avancé essentiellement les arguments suivants :
...
VII. Dans ses conclusions présentées par écrit, de même que lors de la procédure orale, l'intimée (titulaire du brevet) a avancé essentiellement les arguments suivants :
...
VIII. La requérante a requis l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet européen n° 84 360.
L'intimée a requis le rejet du recours.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. Preuves soumises au stade du recours
...
3. Utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public
3.1 Selon la jurisprudence constante des chambres de recours, les critères applicables en matière de preuve doivent être exactement les mêmes, qu'il s'agisse de preuves concernant le bien-fondé d'objections relatives à une utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public ou de preuves concernant le bien-fondé d'autres objections soulevées au titre de l'article 100 CBE : les preuves sont appréciées en fonction de ce qui paraît le plus probable (cf. par exemple la décision T 270/90 (JO OEB 1993, 725)). Dans cette affaire, la chambre compétente avait expressément refusé d'admettre qu'il y avait lieu d'appliquer un critère beaucoup plus rigoureux, celui de la certitude ne laissant place à aucun doute raisonnable, même si, comme c'était le cas en l'occurrence, les parties pouvaient l'une et l'autre se procurer et invoquer les preuves concernant une question d'une importance capitale, celle du caractère confidentiel des activités qui auraient constitué une utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public.
La Chambre fait sienne cette interprétation, en signalant toutefois que lorsque l'on applique le critère susmentionné pour juger de tel ou tel fait, l'on est tenu de choisir entre les deux propositions opposées soutenues par les parties celle que l'on estime être la plus vraisemblable, étant donné que deux propositions opposées ne peuvent en bonne logique - et donc en droit - être considérées toutes deux comme vraies ou comme fausses. L'exactitude ou la fausseté de chacune de ces propositions devra être appréciée eu égard à la nature, au contenu et à la source probable des preuves disponibles qui peuvent être invoquées par les parties.
D'une manière générale, dans les affaires où il ne s'agit pas d'une utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public, les deux parties sont en mesure de se procurer et d'invoquer les preuves sur lesquelles elles appuient leurs conclusions respectives. En revanche, dans les cas où il est allégué l'existence d'une utilisation antérieure qui aurait rendu l'invention accessible au public, les preuves de cette utilisation antérieure se trouvent la plupart du temps presque toutes en la possession de l'opposant et ne sont connues que de lui seul, si bien que le titulaire du brevet ne peut que difficilement, ou même ne peut absolument pas se les procurer. Tout ce qu'il peut faire en pratique, c'est contester ces preuves en faisant ressortir les contradictions qu'elles contiennent, ou signaler toute lacune dans la succession des activités commerciales dont l'opposant doit apporter la preuve, afin de montrer le bien fondé de son motif d'opposition.
Par conséquent, c'est à l'opposant de produire la preuve incontestable du bien-fondé de ses allégations, car le titulaire du brevet ne dispose guère ou ne dispose pas de moyens de preuve pour montrer à l'inverse qu'il n'y a pas eu utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public.
3.2 Lorsqu'il s'agit de savoir si une invention a été rendue accessible au public du fait d'une utilisation antérieure, c'est le critère susmentionné qui doit être appliqué pour l'appréciation de la preuve des faits suivants :
(a) la date à laquelle a eu lieu l'utilisation antérieure (question "quand"),
(b) en quoi exactement a consisté cette utilisation antérieure (question "quoi"), e t
(c) les circonstances dans lesquelles a eu lieu cette utilisation antérieure (question de la confidentialité).
Livraisons à Sun-Lily ; revendication 11 du brevet en cause
3.3 ...
La première question à trancher est celle du caractère confidentiel qu'aurait eu la livraison par Owens-Illinois à Sun-Lily des matériaux constituant les expéditions S1, S2 et S3 qui, selon la requérante, auraient permis la fabrication de plus de 10 millions de manchons étiquetés ; la requérante a soutenu qu'en eux-mêmes ces matériaux constituaient une utilisation antérieure qui avait rendu l'invention accessible au public. Les preuves écrites concernant la question de savoir ce qui avait été livré et quand cette livraison avait eu lieu sont particulièrement longues, complexes et détaillées ; en revanche, elles sont relativement succinctes pour ce qui est de la première question à trancher, revêtant une importance décisive, celle de savoir si ces livraisons provenaient d'une opération commerciale de vente entre deux sociétés sans lien de dépendance, Owens-Illinois et Sun-Lily, ou d'une opération réalisée dans le cadre de quelque coentreprise (ayant néanmoins un caractère commercial) qui impliquait que Sun-Lily soit soumise à une obligation de secret ou qui lui imposait expressément une telle obligation. Dans ce dernier cas, il n'est bien évidemment pas nécessaire de trancher la question de savoir "ce qui" avait été livré et "quand" cette livraison avait eu lieu.
3.4 Selon le témoignage de M. Yoshida, qui n'a pas été contesté (Yoshida-2), Sun-Lily était une société commerciale fondée dans le cadre d'une coentreprise entre la société Owens-Illinois et Mitsui Toatsu, une autre société japonaise. Pour réfuter l'allégation de l'intimée suivant laquelle les livraisons à Sun-Lily avaient été effectuées sous réserve que celle-ci respecte une obligation de secret, soit expresse soit automatique, résultant directement ou indirectement de la "parenté" de Sun-Lily, c'est-à-dire de la coentreprise créée par la requérante Owens-Illinois et la société japonaise, M. Yoshida s'est borné à affirmer qu'en ce qui concernait ses activités commerciales, Sun-Lily était "indépendante" d'Owens-Illinois.
Lors de la procédure orale, la Chambre a invité la requérante à expliquer brièvement quel était le contenu de l'accord de coentreprise. Si le texte de cet accord avait été communiqué plus tôt au cours de la procédure, il aurait peut-être été possible d'apporter une réponse à une question essentielle, celle de savoir s'il existait ou non une obligation expresse de secret entre Sun-Lily et l'un de ses "parents", ou il aurait été possible tout au moins de tirer de cet accord considéré dans son ensemble, et notamment du préambule habituel définissant les objectifs de la coentreprise, un certain nombre de conclusions en ce qui concerne l'existence probable d'obligations implicites de secret. Malheureusement, la production de cet accord se faisait attendre ; en fait, le mandataire de la requérante a reconnu qu'il n'avait jamais vu le texte de l'accord de coentreprise, bien qu'il ait ensuite soutenu que l'obligation de secret qui avait pu être prévue dans cet accord ne valait pas pour ces livraisons qui avaient été effectuées.
Etant donné qu'il n'a été fourni aucune preuve de la nature et du contenu de l'accord ayant fondé Sun-Lily, et qu'il ressort des déclarations de M. Yoshida, considérées dans leur ensemble, que ce dernier semble avoir été employé dans un département technique de Sun-Lily, il semble qu'on ne puisse guère se fier à la connaissance que M. Yoshida aurait eue de la nature et du contenu de l'accord et de ses implications légales. Il en résulte que ce témoignage, considéré dans son ensemble, n'a pas suffisamment de poids pour pouvoir répondre aux critères rigoureux applicables dans la pratique en matière de preuve (cf. ci-dessus, point 3.1), si bien qu'il ne saurait en soi permettre de renverser la présomption de l'existence dans cet accord de coentreprise fondant Sun-Lily d'obligations de secret ou de clauses garantissant le respect du secret imposées à Sun-Lily pour les activités commerciales correspondantes, comme c'est le cas normalement dans un tel accord, qui vise à protéger les fruits des activités de recherche et de développement de chacune des parties. En l'absence de preuves contraires suffisamment convaincantes, la Chambre est conduite là encore à admettre que ces activités commerciales couvertes par le secret englobaient les livraisons en cause.
3.5 La requérante a fait valoir en outre deux ensembles de faits convaincants qui permettaient selon elle de conclure que ces livraisons avaient été effectuées entre des sociétés ne dépendant pas l'une de l'autre.
3.5.1 En premier lieu, la grande quantité de matériau livré, suffisante pour confectionner plus de 10 millions de manchons étiquetés, témoignait d'une relation normale vendeur-acheteur. L'intimée a répliqué à cet argument en signalant que Sun-Lily tout d'abord, puis NKG s'étaient livrées régulièrement à toute une série d'essais sur le matériau livré, NKG étant même soumise par contrat à une obligation expresse de secret pour "l'utilisation de la machine" dont elle avait besoin, ce qui, selon l'intimée, montrait bien que les matériaux livrés à Sun-Lily en étaient encore au stade du développement. Selon elle, dans un programme d'essais à grande échelle, le nombre de manchons étiquetés qui étaient fabriqués pouvait être tout aussi important que dans une vente normale, si bien que les moyens de preuve invoqués par la requérante ne répondaient pas aux critères en matière de preuve définis ci-dessus au point 3.1 pour les cas où il y a eu utilisation antérieure ayant rendu l'invention accessible au public.
La Chambre accepte l'argumentation de l'intimée sur ce point, car l'on peut raisonnablement nourrir des doutes suffisamment importants au sujet des conclusions que la fabrication de ce grand nombre de manchons étiquetés - si tant est que 10 millions constitue un chiffre élevé eu égard aux dimensions du marché potentiel/effectif des bouteilles - permet de tirer quant à la nature exacte des relations juridiques existant entre les deux sociétés.
Dans le même ordre d'idées, il est clair également que l'obligation de secret à laquelle était soumise NKG pour l'utilisation de ses machines devait valoir aussi pour la nature même du matériau que la machine servait à fabriquer, étant donné qu'il n'aurait pas été possible d'utiliser ces machines sans avoir une connaissance approfondie des propriétés du matériau lui-même.
3.5.2 Second argument sur lequel avait insisté la requérante, Sun-Lily avait également testé à l'époque des matériaux que d'autres fournisseurs, sans aucun doute des concurrents d'Owens-Illinois, lui avaient soumis pour essai, dans l'espoir de décrocher par la suite des commandes.
Il s'agissait là d'une situation tout à fait normale. Il arrive fréquemment en effet que dans l'espoir de décrocher des commandes, les fournisseurs d'un matériau soumettent des échantillons de leur marchandise à des utilisateurs possibles, et, inversement, que des utilisateurs aient envie de tester des échantillons de produits provenant de leurs concurrents.
De même, il n'est pas inhabituel que des fournisseurs de matériaux protègent par des accords de secret les fruits des activités de leurs propres départements de recherche et de développement, ceci afin de les préserver des effets dont traite la "springboard doctrine"2 bien connue des juridictions anglo-saxonnes, dans le cas présent les juridictions des Etats-Unis, où la requérante a son siège et exerce ses activités. Il en résulte que l'existence d'essais effectués "en toute indépendance" par Sun-Lily sur les manchons étiquetés fabriqués par des concurrents de la requérante dans ces conditions habituelles, essais dont l'existence n'a pas été contestée par la requérante pendant toute la durée des procédures d'opposition et de recours, plaide plutôt en faveur que contre l'existence d'essais semblables dans des conditions de secret entre Owens-Illinois et Sun-Lily. Il n'est certainement pas possible d'arguer de manière crédible de l'existence de ces essais pour conclure à l'existence de relations d'un total libéralisme ou d'une totale indépendance entre ces deux sociétés, qui étaient liées par les clauses d'un accord de coentreprise. C'est ainsi que Sun-Lily, tout en étant libre de tester divers manchons étiquetés pour les comparer, n'était pas libre de divulguer leur composition à quiconque.
Ce moyen de preuve invoqué par la requérante ne peut donc pas non plus être retenu.
3.6 Par conséquent, la Chambre estime que la requérante n'a pas respecté les critères fixés en matière de preuve lorsqu'elle s'est efforcée de montrer que l'une quelconque des expéditions S1, S2 et S3 ou que ces trois expéditions provenaient d'une opération normale de vente qui s'était déroulée entre les partenaires indépendants qu'étaient selon elle la requérante et Sun-Lily. Ces arguments sur lesquels s'était appuyée l'opposante pour objecter que l'invention avait été rendue accessible au public du fait d'une utilisation antérieure ne sauraient donc être retenus.
Livraisons à Gerresheimer ; Revendication 11 du brevet en cause
3.7 Alors que l'accord de coentreprise avait créé des relations spéciales entre Owens-Illinois et Sun-Lily, il ressort clairement des preuves fournies au sujet des livraisons d'Owens-Illinois à Gerresheimer (expéditions G1, G2 et G3) que ces livraisons ont eu lieu dans le cadre d'une opération normale de vente entre partenaires indépendants, vente à la suite de laquelle, à la réception des marchandises, l'acheteur acquiert la pleine propriété des marchandises livrées sans être lié par des obligations antérieures de l'ancien propriétaire, telles que l'obligation de secret. Là encore, ceci permet de tirer des conclusions au sujet de l'état de la technique qui avait été rendu accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE.
3.8 En ce qui concerne les dates auxquelles Gerresheimer aurait reçu les matériaux constituant les expéditions G1, G2 et G3, il n'a été produit aucun document indiquant une date précise. Les documents soumis avec la déclaration de M. Kricheldorf (annexes 1 à 3) permettent cependant de conclure avec une quasi-certitude que ces matériaux étaient tous en la possession de Gerresheimer avant le 14 janvier 1982 :
en particulier :
...
Au vu de l'ensemble de ces moyens de preuve, la Chambre conclut que Gerresheimer avait reçu les matériaux en cause avant le 14 janvier 1982.
3.9 Enfin, dernière question litigieuse à trancher à propos de l'utilisation antérieure qui aurait rendu accessibles au public les matériaux des expéditions G1, G2 et G3, il convient de se demander quels étaient exactement ces matériaux.
La requérante a admis au cours de la procédure orale ne pas avoir produit de compte rendu d'essais se rapportant directement aux différents matériaux dont étaient composées ces expéditions ; au lieu de cela, elle s'est bornée à citer ce qui avait simplement été affirmé dans la partie 2 de Kara-3, à savoir que tous les matériaux de ces expéditions avaient été produits sur la même machine à Toledo, Ohio et avaient été fabriqués conformément au "Manuel".
Pour les raisons exposées ci-après, les documents écrits que la requérante avait produits pour montrer que les matériaux livrés présentaient toutes les caractéristiques prévues dans la revendication 11 du brevet en cause ne peuvent être considérés comme suffisamment convaincants ni probants.
3.9.1 Rétractibilité relative du film en mousse et du film sans mousse
...
3.9.2 Rétractibilité dans le sens de l'écoulement (sens de la machine)
...
3.9.3 Rétractibilité dans le sens de la largeur (sens transversal)
...
3.9.4 Ainsi, il ne peut être considéré que les critères qui ont été posés ci-dessus au point 3.1 sont respectés dans le cas des preuves produites par la requérante pour montrer que les matériaux testés par Owens-Illinois le 9 septembre 1981 présentaient les caractéristiques de retrait prévues dans la revendication 11.
3.10 En conséquence, la Chambre ne peut retenir non plus l'objection que la requérante avait formulée à l'encontre de la nouveauté de l'objet de la revendication 11 au motif que, selon elle, la livraison des matériaux composant les expéditions G1, G2 et G3 constituait une utilisation antérieure qui avait rendu l'invention accessible au public.
Livraisons au Laboratory of Forming Plastics, à Furubayashi Shiko, à NKG et à Tokyo Canada Dry ; revendication 11 du brevet en cause
(voir annexe L de Kara-2, annexe SL-5 de Yoshida-1 ; annexe SL-4 de Yoshida-1 ; déclarations sous serment Taka-1 et Taka-2)
3.11 Pour les raisons qui viennent d'être exposées, la Chambre peut estimer, sans avoir à faire appel à d'autres considérations allant dans le même sens (obligation de secret, possibilité de déterminer sur les manchons rétractés les caractéristiques de retrait du stratifié avant le retrait), que les livraisons susmentionnées n'ont pas permis une utilisation antérieure qui aurait rendu accessibles au public les stratifiés selon la revendication 11 du brevet en cause.
Livraisons à l'intérieur des USA ; revendication 11 du brevet en cause
3.12 Les preuves de ces livraisons ont été produites à un stade tardif de la procédure de recours.
3.12.1 La Chambre conclut, comme dans la décision T 1002/92 (7e paragraphe du point 3.4 des motifs), que, dans la procédure devant les chambres de recours, les faits et justifications nouveaux qui vont au-delà de ceux qui ont été invoqués dans l'acte d'opposition à l'appui des motifs sur lesquels l'opposition se fonde, conformément à la règle 55c) CBE, ne devraient être admis qu'à titre tout à fait exceptionnel dans la procédure, si ces nouveaux moyens se révèlent d'emblée éminemment pertinents, en ce sens que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils changent l'issue de l'affaire et fassent ainsi obstacle au maintien du brevet attaqué.
3.12.2 Alors que dans les déclarations sous serment de MM. Blackwelder, Syperski, Hinckley et Karabedian (= Kara-4), ainsi que dans les annexes qui les accompagnent, il est fait un long rappel de l'histoire de la mise au point par Owens-Illinois du matériau coextrudé Plastishield, la seule preuve concrète qui y est donnée de l'existence alléguée des livraisons de matériaux étiquetés en polystyrène coextrudé sont des photocopies de factures adressées par la société "Lily Ol, Division of Owens-Illinois" aux sociétés Laurens Glass Co. et Brockway Glass Co (déclaration sous serment de M. Hinckley, respectivement annexes A1 à A3, B1 à B3, C1 à C3, et annexes D1 à D3 et E1 à E3).
Ces factures ne fournissent toutefois que de maigres informations au sujet de ce qui avait été vendu, telles que les indications "CO-EXT REX RT BR", "CO-EXT SPRITE" OU "CO-EXT MELLO YELLO".
3.12.3 Ces moyens de preuve étant bien trop vagues et insignifiants, la Chambre ne peut en conclure que le matériau livré avait effectivement été fabriqué conformément aux spécifications du "Manuel" ou bien à ce que prévoit le texte actuel de la revendication 11.
3.12.4 La requérante n'a pu ainsi montrer que ces moyens de preuve déposés tardivement étaient suffisamment pertinents pour ce qui est de la question de la nouveauté de l'objet de la revendication 11 du brevet en cause, c'est-à-dire pertinents au point de faire très probablement (ou probablement) obstacle au maintien du brevet (cf. décision T 1002/92 citée supra).
3.12.5 En application de l'article 114(2) CBE, il ne sera donc pas tenu compte dans la procédure de recours de ces moyens qui ont été produits tardivement.
3.13 Par conséquent, il convient de rejeter totalement l'objection selon laquelle l'objet de la revendication 11 du brevet en cause est dépourvu de nouveauté, du fait qu'il aurait été rendu accessible au public par une utilisation antérieure.
Revendications indépendantes 1 et 10
3.14 Bien que les considérations qui précèdent se rapportent à l'objet de la revendication 11 du brevet en cause, elles valent également pour l'objet des revendications indépendantes 1 et 10, qui comportent les mêmes caractéristiques de structure et de retrait que l'objet de la revendication 11, caractéristiques qui ont amené la Chambre à conclure que la nouveauté de l'objet de cette revendication n'était pas détruite du fait d'une utilisation antérieure qui aurait rendu l'invention accessible au public.
Objections basées sur les documents existant en la matière
4. ....
4.1 Document (5)
....
5. Nouveauté
La Chambre conclut des faits qui viennent d'être rappelés au point qui précède que dans toutes les revendications indépendantes du brevet en cause, l'objet de la revendication est nouveau par rapport à celui divulgué dans le document constituant l'état de la technique le plus proche (document 5).
6. Le problème et sa solution
6.1 Le problème que vise à résoudre l'objet des revendications de produit 1 et 11 du brevet en litige, à partir de l'enseignement du document (5), est celui de la réalisation d'un stratifié composite semblable à celui divulgué dans ce document, pouvant être utilisé pour la fabrication de manchons qui peuvent être thermorétractés de manière à recouvrir des bouteilles, ledit stratifié comprenant une couche de polystyrène mousse thermorétractable, la surface extérieure du stratifié (c'est-à-dire la surface à l'opposé de la paroi du récipient lorsqu'un manchon formé à partir du stratifié est thermorétracté de manière à recouvrir un récipient (tel qu'une bouteille), devant avoir une bonne imprimabilité et - lorsque le manchon a été rétracté de manière à recouvrir un récipient - devant être lisse et unie.
En ce qui concerne la revendication de procédé 10, un autre aspect du problème était la mise au point d'un procédé pour la fabrication d'un tel stratifié.
6.2 Selon le brevet en cause, la solution du problème ci-dessus consiste, dans le cas des revendications de produit 1 et 11, à utiliser du polystyrène comme matériau de la couche sans mousse, en faisant en sorte que cette couche présente une certaine (faible) capacité de retrait ; dans le cas de la revendication de procédé 10, un autre élément de la solution est la fabrication du stratifié à deux couches par coextrusion.
6.3 Il ressort de la description du brevet en cause que les stratifiés préparés conformément aux revendications indépendantes de ce brevet ont de très bonnes caractéristiques d'imprimabilité et que les manchons fabriqués à partir des ces stratifiés ont une surface extérieure lisse et unie (page 7, ligne 51 ; page 10, tableau II, essai 1 ; page 15, lignes 44 à 46). Il apparaît que, combinée avec les autres mesures prises, la technique de coextrusion permet d'obtenir ces propriétés intéressantes des stratifiés.
Au cours de la procédure orale, la requérante a admis que la couche de polystyrène sans mousse des stratifiés du brevet en cause présentait une meilleure imprimabilité et que ceci n'était pas en accord avec le contenu du document (5), lequel, en fait, déconseillait l'impression directe de la surface extérieure du stratifié en recommandant que l'impression soit recouverte par un film protecteur de la couche sans mousse. De même, il est évident, et la requérante ne l'a d'ailleurs pas contesté, que du fait de la tension créée par le procédé de rétractation, la rétractabilité de la couche sans mousse contribuait à empêcher la formation des inégalités de surface qu'aurait pu engendrer un déséquilibre entre les rétractabilités de la couche en mousse et de la couche sans mousse.
En l'absence de preuve du contraire, la Chambre admet que les mesures prévues dans les revendications 1, 10 et 11 du brevet en cause permettent effectivement de résoudre sous tous ses aspects le problème technique susmentionné.
7. Activité inventive qu'implique l'objet des revendications indépendantes 1, 10 et 11
7.1 Le document (5) lui-même ne saurait en rien inciter l'homme du métier à utiliser une couche sans mousse en polystyrène à la place de la couche sans mousse à base d'une composition de polymère d'éthylène utilisée selon ce document.
7.2 Au cours de la procédure écrite, la requérante s'est fondée sur le document (4) pour montrer qu'un homme du métier spécialisé dans les techniques de l'emballage connaissait bien les stratifiés comprenant une couche cellulaire et une couche non cellulaire, toutes deux en polystyrène.
Bien qu'il soit exact que le document (4) divulgue un matériau d'emballage stratifié comprenant une couche intérieure en mousse de polystyrène et deux couches opposées (extérieures) sans mousse composées d'un copolymère de styrène et de butadiène (revendications 1 et 4 à 6 ; page 2, lignes 16 à 47), ce matériau est supposé rigide comme les stratifiés en carton qu'il remplace, mais sans la tendance de ces derniers à absorber les liquides (page 1, lignes 18 à 37 ; page 2, lignes 114 à 122).
Dans le document (4), il n'est nullement question des caractéristiques de retrait des stratifiés ni par conséquent du problème de l'obtention, après l'étape de rétractation, d'une surface lisse et unie ; il n'y est pas question non plus des caractéristiques d'imprimabilité des couches sans mousse.
Ce document ne saurait par conséquent inciter l'homme du métier à utiliser du polystyrène au lieu du composé de polymère d'éthylène comme matériau de la couche sans mousse des stratifiés divulgués dans le document (5).
Pour cette raison, la Chambre ne saurait retenir l'objection selon laquelle les revendications 1 et 11 n'impliquaient pas d'activité inventive par rapport aux documents (4) et (5) considérés en combinaison.
7.3 Cependant, pour compléter les caractéristiques qui manquaient dans la divulgation du document (5) et prouver que l'invention n'impliquait pas d'activité inventive, la requérante s'est fondée également sur les faits qu'elle avait invoqués pour montrer que l'objet de l'invention avait été rendu accessible au public en raison d'une utilisation antérieure. Elle a soutenu qu'il ne faisait aucun doute que des stratifiés en polystyrène coextrudé composés d'une couche de mousse de polystyrène et d'une couche sans mousse de polystyrène avaient été livrés à Gerresheimer avant le 14 janvier 1982 (date de la première priorité du brevet en cause), sans que cette société soit tenue de respecter le secret. Ces stratifiés faisant donc partie de l'état de la technique visé à l'article 54(2) CBE, un homme du métier aurait eu connaissance de leurs bonnes qualités d'imprimabilité, ce qui l'aurait incité à remplacer, dans les stratifiés du document (5), la couche non cellulaire à base d'un composé de polymère d'éthylène par une couche sans mousse à base de polystyrène.
Bien qu'à première vue cet argument paraisse assez convaincant, il ne peut pas non plus être retenu par la Chambre, ceci pour les raisons suivantes :
7.3.1 Dans les expéditions G1, G2 et G3, les matériaux dont on peut admettre qu'ils étaient en possession de Gerresheimer et dont la composition et la structure interne avaient été ainsi rendues accessibles au public au sens où l'entendait la Grande Chambre dans son avis G 1/92 (JO OEB 1993, 277) étaient des stratifiés comprenant deux couches de polystyrène, l'une sans mousse et l'autre en mousse, cette dernière ayant une peau superficielle plus épaisse du côté opposé au côté collé à la couche sans mousse et les deux couches du stratifié présentant certaines caractéristiques de rétractation qui pourraient ou non être couvertes par les définitions données dans les revendications 1, 10 et 11 du brevet en cause.
7.3.2 Au point C de la déclaration de M. Kricheldorf, les affirmations selon lesquelles
- les feuilles avaient été imprimées par la société Cito Kunstoff und Verpackung GmbH en vue d'être utilisées comme manchons étiquetés entourant des bouteilles en verre,
- des bouteilles avaient été sous son contrôle recouvertes par un manchon étiqueté dans l'usine de Düsseldorf de Gerresheimer, et
- un certain nombre de bouteilles ainsi recouvertes avaient été livrées à Teutoburger Mineralbrunnen en 1981,
ne sont pas étayées par un document écrit susceptible d'en apporter une confirmation ou d'en prouver la véracité, alors que vu le caractère subjectif de ce type de déclaration, une confirmation écrite serait nécessaire, compte tenu notamment des dix années qui se sont écoulées depuis la date à laquelle les faits se seraient produits jusqu'à la date à laquelle ont été fournies les preuves correspondantes.
La requérante n'est donc pas parvenue à prouver que les stratifiés en polystyrène coextrudés des expéditions G1, G2 et/ou G3 avaient été livrés à Cito Kunststoff und Verpackung GmbH avant le 14 janvier 1982. Elle n'a pas pu prouver non plus que les bouteilles recouvertes d'un manchon étiqueté avaient été livrées à la société Teutoburger Mineralbrunnen avant cette date. La société Cito Kunststoff und Verpackung GmbH étant liée par contrat à Gerresheimer pour l'impression d'étiquettes, il est par ailleurs raisonnable de penser qu'elle n'était pas libre de divulguer les connaissances qu'elle avait acquises en effectuant des travaux rémunérés pour le compte de Gerresheimer, mais qu'elle était au contraire soumise à une obligation de secret, soit explicite, soit implicite, comme il est normalement d'usage en affaires dans ce type de transactions.
7.3.3 Il résulte de ce qui précède que les moyens produits par la requérante ne permettent pas à celle-ci de prouver que les manchons étiquetés imprimés fabriqués avec les matériaux des expéditions G1, G2 et G3 étaient déjà dans le domaine public avant le 14 janvier 1982.
7.3.4 Dans l'avis G 1/92, la Grande Chambre, après avoir constaté au point 1.4 que :
"Tout enseignement technique a essentiellement pour objet de permettre à l'homme du métier de fabriquer ou d'utiliser un produit donné en appliquant cet enseignement. Lorsque celui-ci découle d'un produit mis sur le marché, l'homme du métier doit compter sur ses connaissances techniques générales pour réunir toutes les informations lui permettant de préparer ledit produit. Si l'homme du métier parvient à découvrir la composition ou la structure interne du produit et à la reproduire sans difficulté excessive, alors le produit et sa composition ou sa structure interne sont compris dans l'état de la technique."
poursuit au point 3 :
"Peut-être convient-il d'ajouter qu'en soi, un produit accessible sur le marché ne divulgue rien d'autre, implicitement, que sa composition ou sa structure interne. Les caractéristiques extrinsèques, qui n'apparaissent que lorsqu'il y a interaction entre le produit et des conditions externes spécifiquement choisies, par exemple des réactifs ou des produits du même genre, afin d'obtenir un effet ou un résultat particulier ou de découvrir des résultats ou moyens potentiels, conduisent au-delà du produit en soi, dans la mesure où elles dépendent de choix délibérés. Des exemples typiques sont l'utilisation comme produit pharmaceutique d'une substance ou d'une composition connue (cf. article 54(5) CBE), ou l'utilisation d'un composé connu dans un but précis reposant sur un effet technique nouveau (cf. G 2/88, JO OEB 1990, 93 et 469). En conséquence, de telles caractéristiques ne peuvent être considérées comme ayant déjà été rendues accessibles au public."
En accord sur ce point avec les passages précités de l'avis G 1/92, la Chambre conclut que l'imprimabilité des matériaux composant les expéditions G1, G2 et G3 n'était pas une propriété qui avait pu être divulguée au public du simple fait de la livraison de ces matériaux à Gerresheimer, étant donné qu'il s'agit là manifestement d'une caractéristique extrinsèque supposant une interaction avec des conditions externes spécifiquement choisies.
La Chambre renvoie également à ce propos à la décision T 267/92 du 4 juin 1996 (non publiée au JO OEB), dans laquelle il avait été constaté que la résistance au cisaillement à courte portée SBSS (short-beam shear strength) d'un matériau composite renforcé par des fibres, de même que la résistance à la traction et la limite d'élasticité du matériau formant la matrice du matériau composite devaient être considérées comme des propriétés extrinsèques, étant donné qu'elles dépendaient d'une interaction avec un milieu environnant externe. Il avait été jugé par conséquent qu'un paramètre faisant intervenir un rapport entre les valeurs de ces propriétés ne faisait pas partie du contenu implicite de la divulgation d'un document antérieur qui exposait par ailleurs les caractéristiques essentielles de l'objet considéré (cf. points 4.6.2 à 4.7 des motifs de ladite décision).
7.3.5 Etant donné que, comme la Chambre l'a constaté ci-dessus au point 7.3.3, les manchons étiquetés imprimés fabriqués avec les matériaux des expéditions G1, G2 ou G3 ne faisaient pas partie de l'état de la technique accessible au public avant le 14 janvier 1982, et que, comme il en a été discuté ci-dessus au point 7.3.4, l'imprimabilité desdits matériaux ne faisait pas partie elle non plus du domaine public avant cette date, la Chambre en conclut qu'à l'époque, l'homme du métier ne disposait d'aucune information au sujet de l'imprimabilité des matériaux composant les expéditions G1, G2 et G3.
7.3.6 Par conséquent, l'homme du métier qui, connaissant les matériaux livrés à Gerresheimer, aurait voulu améliorer l'imprimabilité du matériau stratifié selon le document (5) (la recherche d'une telle amélioration était l'un des aspects du problème qu'entendait résoudre la présente invention (voir point 6.1 ci-dessus)) ne pouvait avoir l'idée de remplacer ou d'essayer de remplacer par du polystyrène le composé de polymère d'éthylène de la couche sans mousse du stratifié selon le document (5).
7.3.7 En ce qui concerne l'autre aspect du problème qu'entendait résoudre l'objet du brevet en cause, à savoir l'obtention d'une surface lisse et unie de la couche non cellulaire du matériau rétracté recouvrant des bouteilles (voir à nouveau le point 5.1 ci-dessus), il s'agit là encore d'une caractéristique extrinsèque, que l'on ne peut connaître que s'il y a interaction avec des conditions extérieures (retrait thermique). En outre, comme la Chambre l'a signalé ci-dessus, il apparaît encore fort douteux que Gerresheimer ait été réellement en possession avant le 14 janvier 1982 d'un matériau étiqueté rétracté pour l'emballage de bouteilles.
Appliquant les critères qui ont été définis en matière de preuve (cf. ci-dessus, point 3.1), la Chambre conclut qu'il ne peut être considéré que les propriétés de surface du matériau étiqueté rétracté pour l'emballage des bouteilles faisaient partie du domaine public avant cette date.
Par conséquent, avant la date de priorité du 14 janvier 1982, l'homme du métier qui connaissait les matériaux composant les expéditions G1, G2 et/ou G3 ne pouvait à partir de là se faire la moindre idée des caractéristiques que pouvaient présenter ces matériaux après avoir été rétractés de manière à recouvrir des bouteilles, à savoir l'aspect lisse et uni de la surface.
7.3.8 Il en résulte que l'homme du métier qui aurait cherché à résoudre sous tous ses aspects le problème ayant trait au produit à obtenir n'aurait pu, connaissant les matériaux qui avaient fait selon la requérante l'objet d'une utilisation antérieure ayant divulgué l'invention au public, en déduire qu'il valait mieux choisir le polystyrène comme matériau des couches sans mousse du stratifié, plutôt que les composés de polymère d'éthylène utilisés selon le document (5).
En conséquence, l'objet des revendications indépendantes de produit 1 et 11 du brevet en cause ne découlait pas à l'évidence de la divulgation contenue dans le document appartenant à l'état de la technique le plus proche (document 5), considérée en combinaison avec les informations concernant les caractéristiques susmentionnées des matériaux des expéditions G1, G2 et G3, lesquels devaient être considérés comme devenus accessibles à l'homme du métier, en vertu de l'article 54(2) CBE.
7.3.9 Il y a lieu de tirer les mêmes conclusions dans le cas de la revendication indépendante de procédé 10, dans laquelle les caractéristiques essentielles, présentées sous la forme de définitions en termes de destination ou de fonction, sont les mêmes que dans les revendications 1 et 11.
7.4 Par conséquent, il convient de rejeter comme mal fondées toutes les objections, rappelées ci-dessus, que la requérante avait formulées à l'encontre de l'objet des revendications indépendantes 1 et 11, jugé par elle évident.
7. 5 Les revendications 2 à 10 dépendant de la revendication indépendante 1, et les revendications 12 à 13 dépendant de la revendication indépendante 11, les objections formulées à l'encontre de ces revendications dépendantes doivent elles aussi être considérées comme mal fondées.
8. En résumé, aucune des objections soulevées par la requérante, avec preuves à l'appui, ne saurait faire obstacle au maintien du brevet sans modification.
En conséquence, le recours doit être rejeté.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.
* Seul un extrait de la décision est publié. Une copie de la décision complète dans la languede la procédure peut être obtenue auprès du Bureau d'information de l'OEB à Munich moyennant versement d'une taxe de photocopie de 1,30 DEM par page.
1 Texte de la traduction fournie par le demandeur.
2 Ndt : la "springboard doctrine" traite de l'utilisation illicite faite par une personne d'informations confidentielles obtenues dans le domaine technique par ex.