D. Activité inventive
Nombre de décisions mettent en garde contre le risque d'apprécier rétrospectivement l'activité inventive (ce que l'on appelle également l'analyse a posteriori, voir Directives G‑VII, 8 – version de mars 2022). Il convient notamment de tenir compte de ce principe dans le cas d'inventions qui semblent à première vue évidentes, de "propositions de solution" soi-disant "simples" et d'inventions de combinaison. L'application correcte de l'approche "problème-solution" permet d'éviter l'approche ex post facto qui part de la connaissance de l'invention, ce qui n'est pas admis (T 24/81, JO 1983, 133 ; T 564/89 ; T 645/92 ; T 795/93).
Lorsqu'il s'agit d'interpréter des documents de l'état de la technique dans le cadre de l'appréciation de l'activité inventive, il ne faut pas être influencé par le problème résolu par l'invention, alors que ce problème n'avait jamais été mentionné, ni même suggéré, car une telle approche ne serait que le résultat d'une analyse a posteriori (T 5/81, JO 1982, 249 ; T 63/97 ; T 170/97 ; T 414/98).
Dans la décision T 970/00, la chambre a déclaré que toute analyse a posteriori, et en particulier toute conclusion allant au-delà de ce que l'homme du métier aurait déduit objectivement de l'état de la technique, sans avoir le recul que procure la connaissance de l'invention, est nécessairement en contradiction avec l'application correcte de l'approche problème-solution. Toute tentative d'interpréter la divulgation de l'état de la technique le plus proche de façon à dénaturer ou déformer le véritable enseignement technique de la divulgation, sur la base de la connaissance de l'invention acquise après coup, de manière à ce que cette divulgation corresponde artificiellement aux caractéristiques spécifiques énoncées dans la revendication considérée, doit être écartée, en particulier parce que cela risquerait de dissimuler de façon inéquitable et tendancieuse la contribution technique de l'invention, et de porter préjudice à la détermination objective ultérieure du problème technique résolu par l'invention revendiquée (voir aussi T 266/07, T 1486/10).
Dans la décision T 2201/10, la chambre a considéré que l'analyse faite par la division d'examen relevait d'une approche a posteriori des faits de la cause. En effet, même si l'on supposait que la solution proposée découlait des connaissances de l'homme du métier, la chambre a estimé qu'elle allait à l'encontre de l'enseignement de l'état de la technique le plus proche dans ce que celui-ci a d'essentiel et que, pour cette raison, la solution envisagée ne saurait, de manière réaliste, être retenue. L'approche problème-solution conduit à écarter des documents qui ne relèvent pas du domaine technique de l'invention. Elle conduit également à rejeter toute analyse en vertu de laquelle l'homme du métier aurait modifié un état de la technique le plus proche de manière contraire à sa raison d'être. En d'autres termes, le constat selon lequel une invention telle que revendiquée s'éloigne de la divulgation d'un document de l'état de la technique dans ce que celui-ci a de fondamental, au vu du but poursuivi par cet état de la technique, suffirait en soi à conclure à l'existence d'une activité inventive de ladite invention vis-à-vis de la divulgation par cet état de la technique (voir aussi T 2057/12).
Dans l'affaire T 855/15, la chambre a considéré que, pour l'examen de l'évidence, le fait de s'interroger sur ce que ferait l'homme du métier, notamment s'il "sélectionnerait" un document en particulier afin "de parvenir à l'invention revendiquée" reviendrait à raisonner de manière rétrospective, car cela supposerait que l'homme du métier connaisse l'invention avant de pouvoir argumenter ce qu'il ferait pour "y parvenir". Dans l'affaire T 2057/12, la chambre s'est ralliée aux conclusions de la décision T 855/15 pour les cas où l'état de la technique le plus proche relève du domaine technique de l'homme du métier, d'un domaine technique voisin ou de ses connaissances générales. Il convient de produire des arguments ou des éléments de preuve visant à expliquer pourquoi l'homme du métier, dans un domaine technique donné, aurait envisagé de sélectionner un document relevant d'un domaine technique éloigné comme état de la technique le plus proche ou à déterminer s'il aurait vraiment envisagé d'adapter une divulgation de l'état de la technique relevant de son domaine technique pour la mettre en œuvre dans un domaine technique éloigné.
Dans la décision T 1087/15, la chambre a souligné que la connaissance de l'invention revendiquée était absolument nécessaire pour formuler le problème technique objectif, quelle que soit la "proximité" du document de l'état de la technique par rapport à l'invention revendiquée ; les caractéristiques qui différencient l'objet revendiqué par rapport au document de départ doivent être identifiées, leur effet technique doit être déterminé et le problème à résoudre doit donc être formulé. Dans la mesure où ces connaissances de l'invention revendiquée sont qualifiées de "rétrospectives", ce type particulier d'analyse a posteriori est bel et bien une nécessité pour que le problème technique soit formulé de façon objective. Dès lors qu'il n'existe aucune raison (avant tout technique) pour que le contenu du document retenu comme étant l'état de la technique le plus proche ne soit pas lui-même approprié ou compatible pour être utilisé eu égard à l'objet revendiqué, aucune analyse de la "proximité" de l'antériorité de départ par rapport à l'invention revendiquée ne devrait l'empêcher de constituer l'état de la technique le plus proche.
- T 2622/19
Catchword:
As to the application of the problem-solution approach, in particular the determination of the objective technical problem and the choice of the "second document", see points 6.3.2 and 6.3.4 of the Reasons.
- T 1349/19
Catchwords:
Inventive step objection based on hindsight: arguments involving a convoluted set of sequential steps conceived starting from the claimed subject-matter and working backwards in attempt to bridge the gap with the prior art (Reasons 1.27)
- T 1733/21
Résumé
Dans l'affaire T 1733/21, les revendications 1 et 6 de la requête dont la division d'opposition avait jugé qu'elle satisfaisait aux exigences de la CBE peuvent être résumées comme suit : (1) Procédé d'impression de substrat et de personnalisation dudit substrat par dorure, (6) Système d'impression de substrat et de personnalisation du dit substrat par dorure comprenant un groupe d'impression du substrat par jet d'encre adapté à la mise en relief de zones au moyen d'encre et/ou de vernis.
Concernant l'activité inventive, la requérante (opposante) a présenté des objections en partant des documents D3, D2 et D4. La division d'opposition a conclu qu'aucun des documents D2 et D3 ne pouvaient constituer un point de départ valable, car ils ne concernaient pas des procédés ou systèmes d'impression et de personnalisation de substrat par dorure sélective et ne visaient donc pas à obtenir le même effet que l'invention. La chambre ne partage pas ce raisonnement.
La chambre énonce que de manière générale, pour être prometteur, le point de départ doit se situer dans le même domaine technique que l'invention ou dans un domaine voisin. S'il est vrai qu'un état de la technique qui vise le même effet technique que l'invention semble a priori prometteur, il ne s'agit pas d'une condition sine qua non pour sa prise en compte. S'il en était autrement, des éléments de l'état de la technique qui sont silencieux quant à l'effet visé (tels que, par exemple, la plupart des usages antérieurs) ne sauraient jamais constituer un point de départ valable, ce qui est contraire à la pratique établie de l'OEB (cf. T 1742/12).
La chambre énonce que c'est à l'opposante de démontrer que l'invention n'est pas inventive ; si son choix du point de départ pour mener cette démonstration n'est pas aberrant, il convient d'en tenir compte. Or, le seul fait que la technologie utilisée dans les documents D2 et D3 était basée sur le gaufrage ne les disqualifiait pas d'office comme points de départ. La chambre a donc jugé que la division d'opposition n'aurait pas dû écarter d'office D2 et D3 comme points de départ.
Partant du document D3, la chambre a estimé que bien que D3, même en combinaison avec D9, pourrait conduire à l'invention, cela n'était pas démontré de manière évidente par les connaissances générales de l'homme du métier. Le procédé de D3 est assez différent; l'étape d'impression décrite y a une fonction différente de celle revendiquée. Par conséquent, D3, même en combinaison avec D9, ne conduisait pas à l'objet des revendications 1 ou 6.
Partant du document D2, la chambre a estimé que la requérante n'a pas démontré de façon convaincante que l'homme du métier aurait été conduit à l'invention par le document D2 seul ou en combinaison avec le document D4. L'affirmation que l'homme du métier aurait été conduit à l'invention par la combinaison des documents D2 et D4 n'est pas plausible, car il s'agit de technologies différentes (mise en relief par impression vs. gaufrage). Aux yeux de la chambre, l'homme du métier n'avait pas de raison objective d'isoler l'enseignement concernant l'impression à jet d'encre dans le document D4 et de l'incorporer dans la station d'encollage du dispositif décrit dans le document D2. Le raisonnement de la requérante reposait sur une analyse a posteriori. Par conséquent, D2, même en combinaison avec D4, n'aurait pas conduit l'homme du métier à l'objet des revendications 1 ou 6.
La chambre n'a pas non plus été convaincue par les lignes d'attaque partant du document D4.
En conclusion la requérante n'a pas convaincu la chambre que l'objet de la revendication 1 n'impliquait pas d'activité inventive. Les parties étaient d'accord que la conclusion relative à l'activité inventive du procédé selon la revendication 1 s'appliquait également au dispositif correspondant selon la revendication 6. Comme les objections par la requérante contre le maintien du brevet n'étaient pas fondées, la chambre a rejeté le recours.
- Compilation 2023 “Abstracts of decisions”
- Rapport annuel: jurisprudence 2022
- Résumés des décisions dans la langue de procedure