3.4. Nouveaux motifs d'opposition
L'art. 113(1) CBE, qui énonce le principe du droit d'être entendu, dispose que les décisions de l'OEB ne peuvent être fondées que sur des motifs au sujet desquels les parties ont pu prendre position. Le mot "motifs" est interprété comme faisant référence à l'essentiel des arguments de droit et de fait (cf. par ex. T 951/92, JO 1996, 53 ; T 433/93, JO 1997, 509). Voir aussi dans le présent chapitre le point IV.C.6.5. "Possibilité de prendre position" ci-dessous.
Ainsi, si une division d'opposition souhaite introduire dans la procédure, soit d'office, soit à la demande d'un opposant, un nouveau motif d'opposition, en plus du ou des motifs développés dans l'acte d'opposition, le titulaire du brevet doit être informé (normalement par écrit) non seulement du nouveau motif d'opposition (à savoir du nouveau fondement juridique de l'opposition), mais également des faits et justifications invoqués à l'appui de ce motif, susceptibles de conduire à la constatation que le brevet n'est pas valable et à sa révocation. Le titulaire du brevet doit ensuite avoir la possibilité de prendre position sur le nouveau motif, ainsi que sur tout ce qui a été développé à son appui (T 433/93, JO 1997, 509 ; voir aussi T 1283/11).
Dans l'affaire T 656/96, l'opposant avait exclusivement fondé son opposition sur l'absence d'activité inventive de l'invention. Le défaut de nouveauté avait été cependant invoqué comme motif d'opposition pour la première fois au cours de la procédure orale, en l'absence du titulaire du brevet, qui avait fait part de sa décision de ne pas participer à la procédure orale. La division d'opposition avait ensuite révoqué le brevet litigieux, même si elle n'avait pas contesté initialement la nouveauté de l'invention dans la notification établie au titre de l'art. 101(2) CBE 1973 (art. 101(1) CBE). Dans ce contexte, la chambre s'est référée à la jurisprudence de la Grande Chambre de recours, qui opère une distinction entre le défaut de nouveauté et l'absence d'activité inventive en tant que motifs d'opposition (G 7/95, JO 1996, 626) et qui a reconnu la compétence de la division d'opposition à prendre d'autres motifs d'opposition en considération – à titre exceptionnel, en application de l'art. 114(1) CBE – s'ils semblent, de prime abord, faire obstacle au maintien en tout ou en partie du brevet européen (G 10/91, JO 1993, 420). En l'espèce, étant donné l'avis émis au sujet de la nouveauté dans la notification de la division d'opposition, la chambre a estimé qu'au vu du dossier, rien ne s'opposait à première vue au maintien du brevet, si bien que le requérant était fondé à considérer que la question de la nouveauté ne jouerait aucun rôle dans la procédure devant la division d'opposition. Le requérant a donc assurément été pris au dépourvu par la décision de la division d'opposition qui, en son absence, avait révoqué le brevet au cours de la procédure orale pour défaut de nouveauté, c'est-à-dire pour un motif au sujet duquel il n'avait pas été invité à présenter ses observations, n'ayant par ailleurs aucune raison de le faire.
Dans l'affaire T 270/94, la chambre a constaté que la division d'opposition avait violé l'art. 113(1) CBE, en empêchant l'opposant 1, qui avait fondé son opposition sur le seul motif du défaut de nouveauté, de prendre position sur un motif d'opposition (l'absence d'activité inventive) dûment soulevé par l'opposant 2 et notifié à l'ensemble des parties conformément à la règle 57(2) CBE 1973 (règle 79(2) CBE). La chambre a en outre relevé que l'art. 114(2) CBE, sur lequel s'était fondée la division d'opposition, n'était pas applicable, puisqu'il se borne à indiquer que l'OEB peut ne pas tenir compte des faits invoqués ou des preuves produites tardivement, alors qu'en l'espèce, il s'agissait d'arguments présentés par une partie sur un motif d'opposition qui avait été soulevé en temps utile par une autre partie.
Dans l'affaire T 1164/00, la chambre a estimé que la division d'opposition pouvait en principe introduire un nouveau motif d'opposition au stade tardif de la procédure orale, dans la mesure où, à son avis, le brevet en cause ne satisfaisait manifestement pas aux exigences de l'art. 83 CBE. En l'espèce, l'annexe à la citation à la procédure orale ne faisait toutefois nulle mention de l'intention de la division d'opposition d'introduire un nouveau motif d'opposition, et le requérant avait été informé pour la première fois pendant la procédure orale des motifs de fait et de droit invoqués à l'appui de l'introduction du nouveau motif d'opposition. La chambre a considéré que le requérant n'avait pas été prévenu par écrit dès que possible et que, n'ayant pas été informé à l'avance des motifs de fait et de droit invoqués, il avait été pris au dépourvu et n'avait pas eu de possibilité équitable, pendant la procédure orale, de préparer sa propre défense contre cette nouvelle objection. Vu les circonstances particulières du cas d'espèce, la division d'opposition aurait dû ajourner la procédure orale afin de donner au requérant, conformément aux exigences de l'art. 113 CBE, suffisamment de temps pour préparer des moyens de défense appropriés contre les nouvelles objections (cf. également T 433/93, JO 1997, 509 ; T 817/93 ; T 1083/01 ; T 64/03 et T 27/14).
Dans l'affaire T 2362/08, la chambre devait établir si le droit du titulaire du brevet d'être entendu en vertu de l'art. 113(1) CBE avait été observé en ce qui concernait la décision de la division d'opposition sur l'insuffisance de l'exposé. Si le motif relatif à l'insuffisance de l'exposé figurait dans l'acte d'opposition, les objections des opposants s'appuyaient simplement sur deux arguments. Les opposants n'ont présenté par écrit aucun autre moyen concernant l'insuffisance de l'exposé et la division d'opposition n'a soulevé aucune autre question avant la procédure orale. Dans une notification jointe à la citation à la procédure orale, la division d'opposition n'était pas d'accord avec les objections des opposants ; elle a indiqué qu'il incombait à ces derniers de prouver que l'homme du métier ne pourrait exécuter l'invention, et a noté que les opposants n'avaient produit aucun test à titre de preuve. Or, dans sa décision sur l'insuffisance de l'exposé, la division d'opposition a développé une argumentation entièrement différente concernant une question de fond liée à l'insuffisance de l'exposé, et soulevée pour la première fois pendant la procédure orale. Par ailleurs, le titulaire du brevet a été aussi confronté à un revirement inattendu de la part de la division d'opposition, celle-ci ayant dispensé les opposants de la charge de la preuve, la faisant alors peser sur le titulaire du brevet. La chambre a estimé que le simple fait d'avoir été entendu formellement lors de la procédure orale n'avait pas permis au titulaire du brevet de prendre position. En ne présentant le nouveau cadre de droit et de fait qu'au moment de la procédure orale, et en tranchant définitivement la question en cause sans avoir d'abord donné au titulaire du brevet l'opportunité de répondre, la division d'opposition n'a pas respecté le droit d'être entendu du titulaire du brevet.