2.3. Étendue de la protection
Les décisions ci-dessous abordent aussi la notion de l'étendue de la protection, mais également la question de savoir si la délivrance du brevet constitue un "point de non-retour" pour les modifications qu'il est possible d'apporter aux pièces de la demande. Comme il est résumé dans l'affaire T 1481/14, la délivrance d'un brevet ne constitue pas nécessairement un point de non-retour automatique et définitif qui exclut toute réinsertion d'éléments supprimés. Un point de non-retour peut éventuellement résulter des restrictions qui, selon les règles 80 et 138 CBE et l'art. 123(3) CBE, s'appliquent pour les modifications ultérieures du brevet.
Dans l'affaire T 1149/97 (JO 2000, 259), la chambre a déclaré que s'il n'a pas été formé opposition, la décision de délivrer un brevet européen constitue normalement un "point de non-retour" pour les modifications qu'il est possible d'apporter aux pièces de la demande dans le cadre de la procédure européenne. Si une opposition a été formée, cet effet irréversible produit par la délivrance du brevet se traduit par les restrictions auxquelles est soumise la modification ultérieure du fascicule du brevet en vertu des règles 57bis CBE 1973 et règle 87 CBE 1973, ainsi que de l'art. 123(3) CBE 1973. Bien que l'art. 123(3) CBE 1973 vise uniquement les revendications du brevet européen, les modifications apportées à la description et aux dessins peuvent également étendre la protection conférée conformément à l'art. 69(1) CBE 1973. Si, eu égard aux art. 84 et 69 CBE 1973, les pièces de la demande ont été adaptées avant la délivrance pour tenir compte des modifications apportées aux revendications, ce qui a conduit à supprimer des éléments divulgués initialement afin d'éviter toute incohérence dans le fascicule du brevet, il n'est pas possible normalement, à moins d'enfreindre l'art. 123(3) CBE 1973, de rétablir dans le fascicule du brevet ou dans les revendications du brevet tel que délivré un objet qui avait été supprimé pour cette raison. Il en va de même pour les éléments qui, lors de cette adaptation, ont été maintenus dans le fascicule du brevet pour faciliter la compréhension, mais dont il est précisé qu'ils sont sans rapport avec l'invention revendiquée. Voir aussi T 37/99 et T 684/02.
La chambre a distingué les faits de l'affaire T 1481/05 de ceux à l'origine de la décision T 1149/97. Elle a souscrit au raisonnement de la décision T 1149/97 en ce que "l'effet irréversible" est fondé sur l'art. 123(3) CBE et que le critère à appliquer pour déterminer si cette disposition a été violée est le suivant : est-il possible d'identifier un objet qui n'était pas compris dans l'étendue de la protection conférée par le brevet tel que délivré, mais qui le serait si la modification en question (réintroduction de caractéristiques supprimées) était permise ? En appliquant ce critère, la chambre n'a mis en évidence aucun abandon d'objet.
De même, dans l'affaire T 81/03, la chambre a expliqué en détail pourquoi elle considérait que les faits de la cause traités dans l'affaire T 1149/97 (JO 2000, 259) étaient différents de ceux de la présente espèce. Elle a également constaté que les modifications apportées à un brevet européen peuvent être fondées sur l'ensemble des caractéristiques initialement exposées dans la demande correspondante, sous réserve que ces modifications n'enfreignent pas les dispositions de l'art. 123(3) CBE 1973, compte tenu des exigences de l'art. 69(1) CBE 1973.
Dans l'affaire T 241/02, la chambre a estimé que ni le fait que le requérant titulaire du brevet avait approuvé le texte du brevet en cause, ni certaines considérations relatives à la sécurité juridique ne venaient s'ajouter aux exigences attachées aux modifications, telles que prévues à la règle 57bis CBE 1973 ou à l'art. 123(2) CBE 1973. La délivrance d'un brevet ne constitue donc pas nécessairement un point de non-retour définitif et automatique excluant toute réinsertion d'éléments supprimés (il s'agissait en l'occurrence de la réinsertion de passages de la description concernant le procédé revendiqué). La division d'opposition avait conclu, sur la base de la décision T 1149/97 (JO 2000, 259), que la réintroduction n'était pas possible. Toutefois, elle ne s'était référée à aucun passage spécifique et n'avait établi aucun lien entre les passages à rétablir et la moindre conclusion concrète sur la façon dont l'objet des revendications de produit serait étendu, en violation de l'art. 123(3) CBE 1973. La chambre a estimé qu'en l'espèce, contrairement à la situation qui se présentait dans l'affaire T 1149/97, le requérant avait supprimé une trop grande partie du texte de la description, sans tenir compte de sa pertinence pour les revendications maintenues. En outre, la décision T 1149/97 ne contient pas de règle stricte. Elle énonce seulement qu'il y a lieu de procéder à l'examen d'une requête visant la réintroduction de passages supprimés, afin d'établir si celle-ci contreviendrait effectivement à l'art. 123(3) CBE 1973 sur la base des faits de la cause.
Dans l'affaire T 975/03, une caractéristique supprimée avant la délivrance du brevet avait été réintroduite dans la revendication 1. L'opposant a invoqué les décisions T 420/86 et T 61/85 pour étayer le point de vue qu'il défendait et selon lequel le titulaire du brevet ne pouvait pas réintroduire dans le brevet une caractéristique qu'il avait supprimée pendant la procédure d'examen car cette suppression équivalait à une renonciation. La chambre a toutefois estimé qu'il n'y avait pas dans la décision T 420/86 (ni dans la décision T 61/85) de base juridique permettant d'affirmer que la suppression équivalait à une renonciation. Cette décision avait de surcroît été rendue avant la décision G 7/93 (cf. point 2.1 des motifs). La chambre a constaté que la délivrance d'un brevet ne constituait pas forcément un point de non-retour excluant toute réintroduction d'objets supprimés. La modification concernée en l'espèce était ainsi admissible dans la mesure où elle ne contrevenait pas aux exigences de la règle 57bis CBE 1973 et de l'art. 123(2) et (3) CBE 1973. Dans l'affaire en cause, il était satisfait à ces exigences. Voir également T 1481/14.