2.2.2 Examen d'une objection au titre de l'article 53a) CBE
Overview
Dans la décision T 19/90 (JO 1990, 476), la chambre a considéré qu'en cas de manipulation génétique d'animaux par insertion d'un oncogène activé – comme cela était le cas dans l'affaire dont elle était saisie -, il existe des raisons impératives qui font que l'art. 53a) CBE 1973 doit être pris en compte. Comme cela n'avait pas été le cas en première instance, la chambre a renvoyé l'affaire à la division d'examen en lui donnant comme instruction de peser soigneusement, d'une part, la souffrance endurée par les animaux et les risques éventuels pour l'environnement et, d'autre part, l'utilité de l'invention pour l'humanité, avant de décider de délivrer un brevet ou de rejeter la demande de brevet (voir aussi T 1262/04 du 13 juillet 2012 date: 2012-07-13).
- T 2510/18
Résumé
Dans l'affaire T 2510/18, il s'agissait de déterminer si une invention dérivée de recherches sur des remèdes traditionnels dans des conditions alléguées de tromperie et d'abus de confiance à l‘égard de populations autochtones allait contre les bonnes mœurs et l'ordre public. Le brevet en cause avait pour objet une molécule, la Simalikalactone E (SkE), qui peut être extraite de la plante Quassia amara, ainsi que son utilisation comme médicament dans la prévention et le traitement du paludisme. Il a été reconnu dans le brevet que la plante Quassia amara avait été utilisée en médecine traditionnelle contre les fièvres et le paludisme dans tout le nord-ouest de l'Amazonie et jusqu'en Amérique centrale. L'intimé (titulaire du brevet) a identifié et isolé la SkE en utilisant un procédé spécifique à partir de feuilles (matures séchées) de Quassia amara. Cette molécule s'est avérée active contre le paludisme.
Les requérants soutenaient que l'exploitation commerciale de l'invention revendiquée était contraire aux bonnes mœurs et à l'ordre public selon l'art. 53a) CBE, dans la mesure où elle n'était pas conforme à la morale ni à l'ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans la culture européenne. Ces normes concernent celles qui encadrent la recherche avec les communautés autochtones et locales ainsi que l'utilisation de leurs savoirs traditionnels. Il n'était pas contesté qu'au début des années 2000, l'intimé a mené des recherches sur les remèdes traditionnels antipaludiques auprès des populations de la Guyane française. Les chercheurs ont étudié ces remèdes traditionnels et ont par la suite concentré leurs efforts sur l'étude de la plante Quassia amara. Les chercheurs sont ainsi parvenus à l'identification d'une molécule antipaludique, la SkE.
Selon les requérants, les comportements contraires aux normes acceptées, notamment celles qui encadrent la recherche avec les communautés autochtones ainsi que l'utilisation de leurs savoirs traditionnels, constituaient une tromperie à l'égard des communautés autochtones et locales et un abus de leur confiance pour le développement de l'invention en cause. En effet, c'était grâce à l'apport des savoirs traditionnels que les chercheurs de l'intimé sont parvenus à identifier la molécule SkE. Néanmoins, les membres des communautés autochtones contactés par l'intimé n'ont pas été informés de manière complète et transparente de la nature du projet de recherche, de ses objectifs, du dépôt du brevet, et d'autres risques et avantages du projet pour les membres des communautés et leurs savoirs. Pour les requérants, "l'invention" comprenait les étapes préalables au développement de l'invention et requises pour son exploitation, à savoir la manière dont la SkE avait été découverte par l'intimé. Donc, le comportement de l'intimé pendant le développement de l'invention (tromperie et abus de confiance, etc) était lié à l'exploitation commerciale de l'invention. Il fallait alors examiner ce comportement pour le respect des bonnes mœurs et de l'ordre public dans le cas d'espèce de l'invention revendiquée.
La chambre n'a pas partagé cette approche. Comme indiqué par l'intimé, aucune des allégations des requérants ne concernaient l'exploitation commerciale de l'invention, condition préalable pour conclure que l'invention serait exclue en vertu de l'art 53 CBE. Au contraire, l'invention revendiquée dans la requête principale concernait: la molécule SkE (revendication 1), un médicament comprenant la molécule SkE (revendications 2 à 6), et le procédé d'isolement de la SkE selon la revendication 1 à partir des feuilles de Quassia amara (revendications 7 et 8).
Comme l'a fait valoir l'intimé, l'exploitation commerciale de cette molécule, du médicament la comprenant et de son procédé d'isolement n'était pas contraire à la morale, aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. Bien au contraire, il y avait un grand besoin de médicaments contre le paludisme, et trouver de nouveaux médicaments antipaludiques était une mission dont le but était de soigner les populations à risques et de sauver des vies. G 2/06 est invoquée sans succès par les requérants; la chambre estime que le développement d'une invention est distinct de son exploitation commerciale une fois qu'elle a été réalisée. Aucune preuve n'a été apportée par les requérants que l'isolement de la molécule SKE et son administration seraient contraires à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. La chambre a finalement conclu que le motif tiré de l'art. 53a) CBE ne s'opposait pas au maintien du brevet.