CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Grande Chambre de recours
Décision de la Grande Chambre de recours en date du 8 avril 2004 G 1/031
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | P. Messerli |
Membres : | R. Teschemacher |
| C. Andries |
| G. Davies |
| B. Jestaedt |
| A. Nuss |
| J.-C. Saisset |
Titulaire du brevet/Intimé : PPG Industries Ohio, Inc.
Opposant/Requérant : SAINT-GOBAIN GLASS FRANCE
Référence : Disclaimer/PPG
Article : 52, 53, 54(2), (3) et (4), 56, 57, 60(2), 84, 87(1), 112(1), 123(2) et (3), 139(2) CBE
Mot-clé : "Admissibilité des disclaimers - délimitation par rapport à l'état de la technique tel que défini à l'article 54(2) et à l'article 54(3) et (4) - antériorisation fortuite - exclusion d'éléments non susceptibles d'être protégés par brevet" "Formulation des disclaimers - exigences de clarté et de concision"
Sommaire
I. Une modification apportée à une revendication par l'introduction d'un disclaimer ne saurait être rejetée en vertu de l'article 123(2) CBE au seul motif que ni le disclaimer ni l'objet exclu par le disclaimer de la portée de la revendication ne trouvent de fondement dans la demande telle que déposée.
II. Il convient d'appliquer les critères suivants pour apprécier l'admissibilité d'un disclaimer qui n'est pas divulgué dans la demande telle que déposée.
II.1 Un disclaimer peut être admis pour :
- rétablir la nouveauté en délimitant une revendication par rapport à un état de la technique tel que défini à l'article 54(3) et (4) CBE ;
- rétablir la nouveauté en délimitant une revendication par rapport à une divulgation fortuite relevant de l'article 54(2) CBE ; une antériorisation est fortuite dès lors qu'elle est si étrangère à l'invention revendiquée et si éloignée d'elle que l'homme du métier ne l'aurait jamais prise en considération lors de la réalisation de l'invention ; et
- exclure un objet qui tombe sous le coup d'une exception à la brevetabilité en vertu des articles 52 à 57 CBE pour des raisons non techniques.
II.2 Un disclaimer ne devrait pas retrancher plus que ce qui est nécessaire soit pour rétablir la nouveauté, soit pour exclure un objet qui tombe sous le coup d'une exception à la brevetabilité pour des raisons non techniques.
II.3 Un disclaimer qui est ou devient pertinent pour l'appréciation de l'activité inventive ou de la suffisance de l'exposé ajoute des éléments en violation de l'article 123(2) CBE.
II.4 Une revendication contenant un disclaimer doit répondre aux exigences de clarté et de concision prévues à l'article 84 CBE.
Exposé des faits et conclusions
I. Les Chambres de recours 3.3.4 et 3.3.5 ont soumis à la Grande Chambre de recours des questions de droit similaires en application de l'article 112(1)a) CBE.
II. Dans sa décision T 507/99 (JO OEB 2003, 225 - Disclaimers/PPG), la Chambre de recours technique 3.3.5 a soumis à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes (affaire G 1/03) :
1. La modification d'une revendication par l'introduction d'un disclaimer est-elle inadmissible au regard de l'article 123(2) CBE au seul motif que ni le disclaimer ni l'objet exclu par le disclaimer de la portée de la revendication ne trouvent de fondement dans la demande telle que déposée ?
2. S'il est répondu par la négative à la question 1, quels sont les critères applicables pour déterminer si un disclaimer est ou non admissible ?
a) En particulier, la question de savoir si la revendication doit être délimitée par rapport à un état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE ou par rapport à un état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE est-elle pertinente ?
b) Est-il nécessaire que l'objet exclu par le disclaimer soit strictement limité à celui qui est divulgué dans une pièce particulière de l'état de la technique ?
c) La question de savoir si le disclaimer est nécessaire pour rendre l'objet revendiqué nouveau par rapport à l'état de la technique est-elle pertinente ?
d) Le critère établi par la jurisprudence antérieure selon lequel la divulgation doit être fortuite est-il applicable, et si oui, quand une divulgation doit-elle être considérée comme fortuite, ou bien
e) faut-il appliquer l'approche selon laquelle un disclaimer qui se borne à exclure un état de la technique et qui n'a pas été divulgué dans la demande telle que déposée est admissible au regard de l'article 123(2) CBE, l'examen de l'objet revendiqué quant à la présence d'une activité inventive devant en ce cas être effectué comme si le disclaimer n'existait pas ?
Dans la procédure qui a donné lieu à la saisine, le titulaire du brevet était confronté à deux objections d'absence de nouveauté, dont l'une était fondée sur un état de la technique tel que défini à l'article 54(3) et (4) CBE et l'autre sur un état de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE. Afin de remédier à ces objections, le titulaire du brevet a introduit deux disclaimers dans certaines revendications indépendantes. La Chambre 3.3.5 a estimé qu'aucun de ces disclaimers n'avait été divulgué dans la demande telle que déposée. Dans la mesure où elle avait en outre considéré, dans une décision antérieure à la saisine (T 507/99, en date du 28 août 2002), que les revendications en litige remplissaient par ailleurs les conditions de nouveauté et d'activité inventive, et où elle n'avait aucune autre objection à l'encontre des modifications, elle a conclu que la question de l'admissibilité des disclaimers au regard de l'article 123(2) CBE était décisive pour l'issue de l'affaire.
La Chambre 3.3.5 a passé en revue la jurisprudence constante qui admet, dans certaines circonstances, des disclaimers dépourvus de fondement dans la demande telle que déposée. Cette jurisprudence a été fondamentalement remise en question dans la décision T 323/97 (JO OEB 2002, 476), selon laquelle l'ajout, dans une revendication, d'une caractéristique négative donnant lieu à l'exclusion de certains modes de réalisation n'en demeure pas moins, indépendamment du terme "disclaimer", une modification régie par l'article 123(2) et (3) CBE. Il était conclu dans cette décision que l'on ne saurait justifier le maintien de la pratique des décisions antérieures consistant à admettre des disclaimers dépourvus de fondement dans la demande telle que déposée. Même si la décision T 323/97 portait sur une affaire dans laquelle le disclaimer visait à délimiter une revendication par rapport à un état de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE, ses conclusions n'étaient pas limitées à cette situation, mais couvraient également les disclaimers visant à délimiter une revendication par rapport à une demande antérieure au sens de l'article 54(3) CBE. Compte tenu de l'incertitude qui en est résultée au sujet de l'admissibilité des disclaimers, la Chambre 3.3.5 a estimé qu'il était nécessaire de clarifier ce point. Elle a en outre constaté des ambiguïtés dans la jurisprudence établie relative aux disclaimers. Ainsi, en ce qui concerne la formulation des disclaimers, les chambres ont adopté des positions différentes sur la question de savoir si un disclaimer doit être strictement limité à l'objet divulgué dans l'état de la technique. Quant à la question des antériorisations dites fortuites, elles ont appliqué des critères différents pour apprécier si une divulgation est fortuite ou non.
III. Dans sa décision T 451/99 (JO OEB 2003, 334 - Antigènes synthétiques/GENETIC SYSTEMS), la Chambre de recours technique 3.3.4 a soumis à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes :
Un disclaimer dépourvu de fondement dans la demande telle que déposée est-il recevable et la revendication dans laquelle il est introduit est-elle par conséquent admissible au regard de l'article 123(2) CBE lorsque le disclaimer vise à répondre à une objection d'absence de nouveauté au titre de l'article 54(3) CBE?
Dans l'affirmative, quels sont les critères applicables pour apprécier la recevabilité du disclaimer ?
Dans la procédure qui a donné lieu à la saisine, le titulaire du brevet était confronté à une objection d'absence de nouveauté fondée sur un état de la technique au sens de l'article 54(3) et (4) CBE. Afin de remédier à cette objection, il a introduit dans la revendication 1 selon la requête principale un disclaimer qui excluait des éléments particuliers d'un groupe défini en termes généraux. Ni les éléments exclus, ni les éléments restants du groupe n'étaient spécifiquement mentionnés dans la demande telle que déposée. Etant donné que la Chambre a estimé que la revendication, y compris le disclaimer, répondait aux exigences de clarté et de nouveauté et qu'elle n'avait aucune autre objection à l'encontre des modifications, elle a considéré que la question de l'admissibilité des disclaimers au regard de l'article 123(2) CBE était décisive pour l'issue de l'affaire.
Dans la décision T 451/99, la Chambre a également conclu de l'analyse de la décision T 323/97 (supra) et de la jurisprudence antérieure relative aux disclaimers qu'il était nécessaire de saisir la Grande Chambre en application de l'article 112(1) CBE. Elle a estimé que les points mentionnés ci-après pouvaient être pris en considération aux fins de l'examen du problème.
i) Le mot "disclaimer" devrait s'entendre, conformément à la définition donnée dans la décision T 323/07, d'une modification apportée à une revendication existante qui a pour effet d'introduire dans la revendication une caractéristique technique "négative".
ii) A la lumière des principes énoncés dans la décision G 1/93 (JO OEB 1994, 541), une caractéristique ajoutée ne doit pas être considérée comme un élément étendant l'objet de la demande telle qu'elle a été déposée, si elle ne fait qu'exclure de la protection une partie de l'objet de l'invention revendiquée par la demande telle que déposée sans y apporter de contribution technique.
iii) Si la décision T 323/97 devait être confirmée, il en résulterait que des revendications qui comprennent un disclaimer, conformément à la jurisprudence antérieure, dans des brevets délivrés ne seraient plus valables au regard de l'article 123(2) CBE. Il ne serait pas possible d'y remédier en supprimant les disclaimers, sans se retrouver dans une "embûche inextricable". Etant donné que l'utilisation de disclaimers est une pratique courante, les réponses que la Grande Chambre apportera aux questions qui lui sont soumises auront une incidence considérable sur un grand nombre de brevets déjà délivrés.
iv) S'agissant de l'article 54(3) CBE, il convient de tenir compte de la situation particulière du demandeur qui n'est pas en mesure de formuler sa demande de façon à éviter tout recoupement avec un état de la technique dont il n'avait pas connaissance.
IV. Position des parties à la procédure
Dans leurs conclusions écrites et au cours de la procédure orale qui a eu lieu le 8 décembre 2003 devant la Grande Chambre, les parties ont pour l'essentiel fait valoir les arguments suivants.
(1) Le titulaire du brevet dans l'affaire G 1/03 a demandé que les réponses suivantes soient apportées aux questions soumises :
Question 1 : non
Question 2a) : non
Question 2b) : oui, mais à condition de ne pas compromettre la clarté et la concision des revendications
Question 2c) : oui
Question 2d) : non
Question 2e) : oui
Pour résumer, le titulaire du brevet a estimé qu'un disclaimer devrait être admissible dès lors que les conditions suivantes sont remplies :
i) le disclaimer exclut la divulgation destructrice de nouveauté contenue dans un document de l'état de la technique afin d'établir la nouveauté par rapport à ce document, ou il exclut la partie de l'objet revendiqué qui n'est pas susceptible d'être mise en oeuvre ;
ii) le libellé du disclaimer devrait se limiter le plus strictement possible à la divulgation du document de l'état de la technique à exclure, mais à condition de ne pas nuire à la concision et à la clarté des revendications,
iii) il convient d'examiner l'objet revendiqué quant à la présence d'une activité inventive comme si le disclaimer n'existait pas.
De l'avis du titulaire du brevet, une telle approche garantirait que le demandeur (étant entendu qu'aucune distinction n'est établie dans la suite de la décision entre le demandeur et le titulaire du brevet) ne soit pas autorisé à conforter sa position en ajoutant des éléments non divulgués dans la demande telle que déposée, car cela lui conférerait un avantage injustifié et pourrait compromettre la sécurité juridique des tiers qui se fondent sur la demande telle que déposée.
(2) Le titulaire du brevet dans l'affaire G 2/03 a défini sa position sur la base des questions plus détaillées posées dans l'affaire G 1/03. Les réponses qu'il a requises correspondent à celles du titulaire du brevet dans l'affaire G 1/03, à l'exception de la question 2d). Bien qu'il n'ait pas proposé de réponse précise à cette question, il a fait valoir que la première question à poser à propos d'un disclaimer n'est pas de savoir s'il rend nouveau ou non l'objet revendiqué, mais s'il vise uniquement à exclure une partie de l'objet de la revendication et ne fournit aucune contribution technique, ce qui correspond à l'examen formel effectué au titre de l'article 123(2) CBE conformément à la décision G 1/93 (supra).
(3) L'opposant dans l'affaire G 1/03 a demandé que les réponses suivantes soient apportées aux questions soumises dans cette affaire :
Question 1 : non
Question 2a) : oui pour les revendications à délimiter par rapport à un état de la technique tel que défini à l'article 54(3) CBE,
et non pour les revendications à délimiter par rapport à un état de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE
Question 2b) : oui
Question 2c) : oui
Question 2d) : non
Question 2e) : n'est pas applicable pour l'état de la technique tel que défini à l'article 54(3) CBE.
Il a fait valoir que, pour des raisons de sécurité juridique, les tiers doivent avoir connaissance, à partir de la publication de la demande, de tous les éléments nécessaires pour apprécier la portée du brevet auquel ils sont confrontés. La demande telle que déposée est en effet la base de toute revendication définissant l'étendue de la protection conférée. Etant donné que l'introduction d'un disclaimer occasionne une modification sur une base différente de la demande telle que déposée, elle est contraire à l'article 123(2) CBE. Par conséquent, les disclaimers visant à exclure un état de la technique relevant de l'article 54(2) CBE ne devraient pas être admis, y compris lorsque l'antériorisation est fortuite, car tout état de la technique est pertinent. De surcroît, en l'absence de critères précis, les tiers sont dans l'impossibilité d'apprécier le caractère fortuit de l'antériorisation. L'opposant a par ailleurs fait valoir qu'une pratique libérale en matière de disclaimers ferait obstacle à l'harmonisation du droit des brevets en Europe. Compte tenu du flou qui entoure la notion de disclaimer non divulgué, on peut s'attendre à ce que les juridictions nationales ne suivent pas toutes l'OEB, ce qui susciterait une insécurité juridique supplémentaire. Une exception ne se justifie selon lui que par rapport à un état de la technique au sens de l'article 54(3) CBE, afin d'offrir au demandeur la possibilité d'exclure un état de la technique dont il ne pouvait pas avoir connaissance lorsqu'il a déposé sa demande. Le disclaimer devrait uniquement exclure la divulgation contenue dans la demande antérieure et rien d'autre. En outre, l'interdiction des disclaimers dans les autres cas serait de nature à inciter les demandeurs à améliorer la qualité de leurs demandes et ainsi à faciliter la procédure de délivrance.
(4) L'opposant 01 dans l'affaire G 2/03 a demandé qu'il soit répondu par la négative à la question 1 posée dans cette affaire. S'agissant de la question 2, il s'est référé aux questions posées dans l'affaire G 1/03 et a demandé que les réponses suivantes y soient apportées :
Question 1 : non
Question 2a) : non
Question 2b) : la partie de la revendication exclue par disclaimer doit au moins couvrir la divulgation de l'état de la technique qui est destructrice de nouveauté.
Question 2c) : un disclaimer devrait être admissible dans les conditions suivantes :
- pour rétablir la nouveauté par rapport à un document de l'état de la technique ;
- pour répondre à des objections soulevées au titre de l'article 52(4) ou de l'article 53 CBE ;
- pour exclure des modes de réalisation isolés qui ne résolvent pas le problème ;
- si le disclaimer ne contribue pas à l'appréciation de l'activité inventive.
Question 2d) : il conviendrait d'appliquer le critère de l'antériorisation fortuite tel qu'il est défini dans la décision T 608/96.
Question 2e) : le disclaimer ne doit pas être pris en considération lorsque l'on examine si l'objet de la revendication implique une activité inventive.
(5) L'opposant 02 dans l'affaire G 2/03 a résumé sa position comme suit.
i) L'objet revendiqué devrait si possible être délimité par rapport à l'état de la technique cité en employant des caractéristiques techniques positives conformément aux dispositions de la CBE, et en particulier de son article 84 ainsi que de sa règle 29(1).
ii) Les disclaimers ne devraient être admis qu'à titre exceptionnel et après avoir examiné soigneusement le cas d'espèce, lorsqu'il n'est pas possible de rédiger la revendication de manière suffisamment claire et concise sans disclaimer et à condition que des mécanismes soient mis en place afin d'empêcher le demandeur d'obtenir un avantage injustifié.
iii) Un disclaimer ne devrait pas être admis s'il exclut du fascicule un enseignement que l'homme du métier n'est pas en mesure de déduire immédiatement et sans ambiguïté de l'état de la technique. En outre, pour des raisons de sécurité juridique, il conviendrait en règle générale de ne pas admettre plusieurs disclaimers.
V. Le Président de l'Office européen des brevets a formulé les observations ci-après
Le Président de l'OEB a été invité à formuler ses observations conformément à l'article 11bis du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours. Se référant aux Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB (C-III, 4.12 et C-VI, 5.8b), il a expliqué que la pratique suivie par les instances du premier degré était conforme à la jurisprudence constante. Il a en outre indiqué que compte tenu des questions soumises par les Chambres 3.3.4 et 3.3.5, les procédures de première instance dans les affaires dont l'issue est entièrement fonction des réponses de la Grande Chambre de recours étaient suspendues en attendant que celle-ci rende sa décision. S'agissant des objections formulées à l'encontre de cette jurisprudence dans la décision T 323/97, il a estimé que l'admissibilité des disclaimers dépourvus de fondement dans la divulgation initiale devait être appréciée à l'aune des principes énoncés dans la décision G 1/93 (supra). L'avis catégorique exposé dans la décision T 323/97, selon lequel l'article 123(2) CBE exclut tout disclaimer dépourvu de fondement, n'est selon lui pas justifié. En effet, la délimitation d'une revendication par l'introduction d'un tel disclaimer devrait, dans certaines circonstances, pouvoir être admise au regard de l'article 123(2) CBE, dès lors que le disclaimer se borne à exclure de la protection une partie de l'objet tel que revendiqué et ne confère aucun caractère inventif à un enseignement évident. Admettre à titre exceptionnel des disclaimers dépourvus de fondement permettrait de maintenir l'équilibre existant entre les besoins pratiques des demandeurs et le besoin de sécurité juridique des tiers. L'ajout d'un disclaimer est légitime si le demandeur est confronté à une situation qu'il ne pouvait pas prévoir au moment où il a initialement rédigé sa demande, comme par exemple dans le cas d'un état de la technique tel que défini à l'article 54(3) CBE ou d'une antériorisation fortuite. Il devrait en outre être possible de prendre en considération les exclusions de la brevetabilité en introduisant un disclaimer, ainsi que le prévoient les Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB (C-II, 4.12 et 6, et en particulier C-IV, 2a, 3 et 4.6).
VI. Observations des tiers
(1) Organisations représentant les milieux intéressés
L'Institut des mandataires agréés près l'OEB (epi), la Fédération internationale des Conseils en Propriété Industrielle (FICPI), le Chartered Institute of Patent Agents (CIPA, UK), la Chemical Industries Association (CIA, UK) et l'Intellectual Property Advisory Committee of the BioIndustry Association (BIA, UK) ont présenté des observations.
Ces organisations se sont toutes prononcées en faveur de l'admission des disclaimers en vue de remédier aux objections tirées de l'état de la technique tel que défini à l'article 54(2) et à l'article (3) CBE. Cette position est dans une large mesure fondée sur le postulat qu'un disclaimer constitue une renonciation partielle au droit au brevet, qu'il ne fournit aucune contribution technique à l'objet de l'invention revendiquée au sens de la décision G 1/93 (supra, point 16 des motifs) et qu'il ne devrait pas être considéré comme une caractéristique technique. Certaines organisations ont fait valoir dans leurs observations que le fait d'indiquer l'état de la technique ne constitue pas une adjonction d'éléments en vertu de l'article 123(2) CBE, dans la mesure où il ne fait pas partie de l'objet de l'invention, et en ont déduit qu'une modification limitant la revendication en conséquence est fondée sur la description, et non sur de nouveaux éléments. D'aucuns ont également estimé que des complications pourraient surgir dans le cas où une priorité est jugée non valable au stade de l'opposition et où le disclaimer devient inadmissible de ce fait, car une telle conséquence serait très sévère pour le titulaire du brevet.
Les organisations ont toutes estimé qu'une pièce de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE ne doit pas nécessairement être fortuite pour être exclue. Selon elles, la CBE ne permet pas d'opérer une telle distinction et la jurisprudence a appliqué des critères différents pour apprécier si une pièce de l'état de la technique doit être considérée ou non comme une "antériorisation fortuite".
L'ensemble des organisations s'étant fondées sur le postulat que le disclaimer ne saurait fournir la moindre contribution technique, elles s'accordent à reconnaître que le disclaimer ne doit pas être pris en considération lors de l'examen de l'activité inventive et qu'il ne peut pas être utilisé à l'appui des arguments développés sur la question de l'activité inventive.
Elles ont également souligné que les disclaimers sont nécessaires pour permettre au demandeur de remédier aux situations qu'il ne pouvait pas prévoir lors de la rédaction de sa demande. Si le demandeur ne disposait d'aucun moyen pour délimiter une revendication, il devrait mentionner dans la description toutes les positions de repli théoriquement possibles. Il en résulterait une augmentation considérable des coûts de rédaction et de traduction des fascicules de brevets.
(2) Observations de tiers individuels
Un certain nombre d'observations ont été émises par des mandataires agréés et par l'industrie. La plupart d'entre elles sont pour l'essentiel dans la ligne des observations présentées par les organisations, sauf dans un cas émanant de l'industrie, où la position adoptée au sujet de l'admissibilité des disclaimers est la plus restrictive. Cet avis est basé sur le postulat qu'un disclaimer comporte des informations ne figurant pas dans la demande initiale et que cela est contraire à l'article 123(2) CBE, même si la portée du brevet s'en trouve limitée. La raison pour laquelle il y a lieu, en droit, d'admettre des disclaimers est fondée sur des principes d'équité plutôt que sur une disposition de la CBE. C'est pourquoi il convient de prendre en considération toutes les circonstances et tous les faits pertinents dans chaque cas particulier. Dans la décision T 351/98 du 15 janvier 2002 (non publiée au JO OEB), il a été considéré que le disclaimer était justifié par le fait que l'état de la technique à exclure était une demande antérieure d'un tiers, de sorte que le demandeur ultérieur ne pouvait pas connaître son contenu et n'était donc pas en mesure de formuler les revendications initiales de façon à éviter son contenu. Ce raisonnement implique deux conditions préalables à l'admissibilité des disclaimers, dans le cas d'un état de la technique relevant de l'article 54(3) CBE, à savoir que d'une part aucune autre modification ne doit pouvoir être apportée afin d'éviter toute limitation excessive et que d'autre part le demandeur ne pouvait pas avoir connaissance du document en question. S'agissant de cette dernière condition, un disclaimer ne devrait jamais être admis lorsque la demande antérieure a été publiée entre la date de priorité et la date de dépôt de la demande en question ou lorsque la demande antérieure émane du demandeur lui-même (auto-collision).
(3) Observations non prises en considération
Dans un cas, des observations ont été présentées par un auteur anonyme et, dans un autre cas, les observations ont été reçues après la procédure orale à l'issue de laquelle la clôture des débats a été prononcée. La Grande Chambre ne les a donc pas prises en considération.
VII. Les deux décisions de saisine décrivent en détail la jurisprudence antérieure ainsi que la décision T 323/97 à l'origine des saisines. En outre, le recueil de jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, 4e édition 2001, contient également des informations à ce sujet (cf. sections I.D.6.15, II.B.1.2.1 et en particulier III.A.1.6.3). Ces informations complètes étant aisément disponibles, la Grande Chambre s'abstient de passer à nouveau en revue la jurisprudence antérieure.
Il semble toutefois utile de mentionner qu'entre la décision T 323/97 du 17 septembre 2001, qui s'écarte de la jurisprudence constante, et la première saisine dans la décision T 507/99 du 20 décembre 2002, aucune décision n'a suivi l'approche adoptée dans la décision T 323/97.
Motifs de la décision
1. Les deux saisines sont recevables.
1.1 La saisine est manifestement recevable dans l'affaire G 1/03, où la décision finale de la Chambre 3.3.5 dépend directement de la question de l'admissibilité du disclaimer (cf. point II supra).
1.2 Dans l'affaire G 2/03, la Chambre 3.3.4 n'a à ce jour pas examiné toutes les conditions de fond. Il se pourrait par conséquent que l'admissibilité du disclaimer s'avère être sans conséquence pour la décision, si l'exigence d'activité inventive devait ne pas être remplie. Toutefois, cette question de droit se pose dans le cadre de l'affaire en instance devant la Chambre 3.3.4 et la recevabilité de l'objet revendiqué est normalement examinée avant les conditions de fond. La saisine est donc justifiée.
1.3 Dans ses observations, le Président de l'OEB a soulevé un problème qui, bien que compris dans la partie introductive plutôt générale de la question 2 posée dans la décision T 507/99, n'a pas été abordé dans les décisions de saisine. Il a ainsi fait valoir qu'outre les recoupements entre l'invention revendiquée et l'état de la technique, les conflits avec l'article 52(4) CBE et l'article 53a) ou b) CBE peuvent être tout aussi imprévisibles pour le demandeur et que l'on peut uniquement attendre de ce dernier qu'il prenne en considération les dispositions existantes de la CBE, la jurisprudence de l'OEB ainsi que la pratique relative aux exclusions à la brevetabilité. Bien que cette question ne se pose pas dans les affaires faisant l'objet des décisions de saisine, la Grande Chambre juge utile de la traiter également dans ses réponses. Ce problème revêt en effet une importance considérable dans la pratique et les questions qui résultent directement des affaires ayant donné lieu aux saisines appellent un exposé général des principes applicables à l'admissibilité des disclaimers.
2. Admissibilité des disclaimers
Conformément à la pratique établie, le terme "disclaimer" s'entend ci-après d'une modification apportée à une revendication ayant pour effet d'introduire dans la revendication une caractéristique technique "négative", qui exclut normalement d'une caractéristique générale des modes de réalisation ou des domaines particuliers. Plus précisément, la Grande Chambre est appelée à examiner la question de l'admissibilité des disclaimers qui n'ont pas été divulgués dans la demande telle que déposée. A cet égard, il est question dans la décision T 451/99, ainsi que dans les observations du Président et celles des tiers, de disclaimers "non fondés". La Grande Chambre préfère quant à elle éviter cette expression dans les motifs ci-après, car le mot "fonder" utilisé à l'article 84 CBE a un sens différent. Elle emploiera par conséquent l'expression "non divulgué".
Parmi les arguments invoqués à l'appui des disclaimers, celui qui aurait les retombées les plus vastes consiste à affirmer que le disclaimer est une simple limitation volontaire par laquelle le demandeur abandonne une partie de l'objet revendiqué et qu'en conséquence il ne constitue pas en soi une caractéristique technique de la revendication, de sorte qu'il ne peut pas être contraire à l'article 123(2) CBE et qu'il devrait toujours être admis. La Grande Chambre ne saurait se ranger à cet avis. Toute modification apportée à une revendication est présumée avoir une signification technique, faute de quoi il serait inutile de l'introduire dans la revendication. En outre, une caractéristique dépourvue de signification technique ne limiterait pas la portée d'une revendication.
A cet égard, il se pose plus particulièrement la question de savoir si une caractéristique ayant une signification technique contribue à l'enseignement technique de la demande ou à l'objet de l'invention revendiquée, cette question ayant été traitée dans les affaires G 1/93 (supra) et G 2/98 (JO OEB 2001, 413)2. La décision G 1/93, qui porte sur le rapport entre les paragraphes 2 et 3 de l'article 123 CBE, établit une distinction entre les caractéristiques qui apportent une contribution technique à l'objet de l'invention revendiquée et celles qui n'apportent aucune contribution technique. Selon cette décision, ces dernières caractéristiques, qui ne font que limiter la protection, ne doivent pas être considérées comme un élément étendant l'objet au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée (point 2 du dispositif). Dans l'avis G 2/98, qui porte sur l'exigence de "même invention" figurant à l'article 87(1) CBE, il a été estimé qu'aucune distinction ne devait être effectuée entre les caractéristiques techniques qui sont en rapport avec la fonction et l'effet de l'invention et celles qui ne le sont pas (point 8.3 des motifs). Dans la décision T 323/97, la chambre a conclu que les considérations exposées dans l'avis G 2/98 étaient également applicables à l'ajout d'un disclaimer, dans la mesure où il n'est pas possible de déterminer avec certitude si la restriction opérée par la caractéristique négative implique ou non une contribution technique à l'invention revendiquée. Par exemple, un nouvel état de la technique pourrait nécessiter une redéfinition du problème technique, avec pour conséquence qu'un document qui semblait initialement étranger à l'invention pourrait devenir pertinent.
La question à laquelle il est répondu par la négative dans la décision T 323/97 est examinée ci-après en relation avec les différentes situations survenant dans les présentes procédures.
2.1 Etat de la technique tel que défini à l'article 54(3) et (4) CBE - Demandes interférentes
Les deux décisions de saisine posent la question de savoir si un disclaimer non divulgué peut être admis lorsqu'il vise à répondre à une objection d'absence de nouveauté au titre de l'article 54(3) CBE.
2.1.1 Pour interpréter correctement les règles de droit, il convient de prendre en considération la finalité de l'article 54(3) CBE. La question de savoir quelle devrait être l'incidence, sur une demande ultérieure, d'une demande antérieure qui n'était pas publiée à la date de dépôt ou de priorité de la demande ultérieure se pose dans tous les systèmes de brevets. Traditionnellement, deux solutions étaient apportées à ce problème en Europe. Selon l'approche dite "du contenu intégral" ("whole contents approach"), la demande antérieure était comprise dans l'état de la technique. Aucun brevet ne devait donc être délivré pour un objet déjà divulgué à l'office des brevets. Telle était la position en France et en Belgique, à savoir dans des pays ne pratiquant pas l'examen, avant l'harmonisation du droit des brevets en Europe. Dans l'approche dite "de la revendication antérieure" ("prior claim approach"), les revendications de la demande ultérieure devaient être comparées avec les revendications de la demande antérieure dans la version dans laquelle le brevet était délivré. Le but de cette approche était d'éviter la double protection par brevet. Telle était la situation dans les pays pratiquant l'examen comme l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et le Royaume-Uni et c'est encore la situation en Suisse (Reimer, Europäisierung des Patentrechts, München 1955, page 19 s.; Banks, The British Patent System, London 1970, Chapitre 10). A cet égard, la Convention de Strasbourg de 1963 sur l'unification de certains éléments du droit des brevets d'invention admettait les deux approches en ses articles 4(3) et 6. L'impossibilité de se mettre d'accord sur une seule solution montre qu'il s'agissait-là de l'une des questions les plus controversées qui ont été traitées dans la Convention de Strasbourg (cf. pour de plus amples informations Pfanner, Vereinheitlichung des materiellen Patentrechts im Rahmen des Europarats, GRUR, Int 1964, 247, p. 249 s.).
Des discussions similaires ont eu lieu lors des travaux préparatoires à la CBE (cf. van Empel, The Granting of European Patents, Leyden 1975, points 98 et suivants). En particulier, les milieux intéressés se sont presque unanimement prononcés en faveur de l'approche dite "de la revendication antérieure". Finalement, un compromis a pu être obtenu : bien qu'en définitive, ce soit l'approche dite "du contenu intégral" qui ait été adoptée, du moins sur le principe, elle a été assortie d'importantes restrictions. Ainsi, les demandes non publiées ont été incluses dans l'état de la technique à prendre en considération par l'OEB aux seules fins de l'examen de nouveauté (article 54(3) ensemble l'article 56 CBE, deuxième phrase). A l'inverse, les demandes nationales n'ont pas été incluses, même pour le même territoire (article 54(3) ensemble l'article 139(2) CBE), et l'effet destructeur de nouveauté ne s'appliquait qu'aux pays désignés dans les deux demandes (article 54(4) CBE). Même si l'on peut dire que la différence entre ces deux approches tire son origine de philosophies différentes en matière de brevets, dans lesquelles les intérêts du premier demandeur et du demandeur ultérieur ainsi que de leurs concurrents et du public sont appréciés différemment (van Empel, supra, point 100), la décision finale d'opter pour l'approche dite "du contenu intégral" telle que décrite ci-dessus était fondée sur deux considérations pratiques. Premièrement, l'approche dite "de la revendication antérieure" retarde considérablement l'examen de la demande ultérieure, car elle ne peut être appliquée qu'une fois que le texte définitif des revendications de la demande antérieure a été arrêté. Il a été estimé que cette approche impliquait une période d'incertitude intolérable, en particulier dans un système d'examen différé, système qui était en discussion lors de la Conférence intergouvernementale de Luxembourg (Pfanner, supra, p. 251). Deuxièmement, l'OEB n'était pas l'autorité compétente pour apprécier l'étendue de la protection conférée par le brevet, l'approche dite "de la revendication antérieure" selon le droit national applicable supposant en effet que l'étendue de la protection soit déterminée pour effectuer une comparaison avec la demande ultérieure. Pour toutes ces raisons, il a donc été considéré que l'approche dite "de la revendication antérieure" n'était pas adaptée au système du brevet européen. L'approche dite "du contenu intégral" a quant à elle été jugée trop stricte dans sa forme traditionnelle et a donc été assortie des limites susmentionnées. En particulier, l'article 56, deuxième phrase CBE, selon lequel les demandes interférentes l'appréciation de la nouveauté, avait pour but de trouver une solution acceptable au problème de l'autocollision, dans la mesure où le législateur ne voulait pas établir de distinction entre les cas où les demandes émanent de demandeurs différents et ceux où les demandes émanent du même demandeur (van Empel, supra, point 105 s.).
Pour résumer, on ne saurait dire que le résultat final met en oeuvre la "philosophie" de l'approche dite "du contenu intégral", à savoir que rien de ce qui a été divulgué auparavant devant l'office des brevets ne doit être breveté. Au contraire, il ressort clairement de l'article 54(4) CBE, qui limite l'effet d'une demande antérieure aux Etats désignés en commun, que la disposition vise à éviter la double protection par brevet, ainsi que le confirment les remarques explicatives concernant la CBE que les Pays-Bas ont rédigées à l'intention des gouvernements en tant qu'arguments modèles à utiliser aux fins de la ratification de la CBE (document du Conseil R/1181/74 (ECO 146)(BC 32)). Il y est en effet expliqué que l'extension fictive de l'état de la technique aux demandes antérieures prévue à l'article 54(3) CBE a pour but d'éviter une protection simultanée. Il convient d'en tenir compte lorsqu'il y a lieu d'apprécier comment le conflit entre deux demandes simultanément en instance peut être résolu en pratique.
Il résulte de l'article 54(3) CBE que si deux demandes ont été déposées pour la même invention, le droit au brevet appartient au premier demandeur. Cela met en oeuvre le principe du premier déposant ancré à l'article 60(2) CBE. Lorsque les deux demandes sont identiques, la situation est claire. Toutefois, si elles se recoupent et que la deuxième demande contienne des éléments qui ne sont pas couverts par la divulgation de la première demande, l'effet destructeur de nouveauté de la demande antérieure ne s'applique pas à l'ensemble de la deuxième demande. En ce cas, il se pose la question de savoir s'il est justifié ou non de conférer à la première demande un effet qui va au-delà de celui prévu à l'article 54(3) et (4) et à l'article 56, deuxième phrase CBE. Il ressort clairement de l'historique esquissé ci-dessus que l'intention du législateur était de limiter autant que possible l'effet de la demande antérieure afin d'éviter toute injustice résultant de la notion de publication fictive. Dans l'approche dite "de la revendication antérieure", la délimitation par rapport à une demande antérieure était un exercice courant et bien connu (Banks Report, supra, point 308). Le résultat de l'examen de la demande antérieure était décisif pour déterminer ce qui restait pour la demande ultérieure et il était permis, aux fins de définir la partie restante, d'ajouter dans les revendications initiales de la demande ultérieure un disclaimer portant sur l'objet protégé dans la demande antérieure (DPA, 9. Beschwerdesenat, Mitteilungen der deutschen Patentanwälte 1956, 237, concernant la pratique constante du Reichspatentamt). On peut supposer que l'approche très controversée dite "du contenu intégral", telle que décrite ci-dessus, n'aurait jamais été acceptée dans les travaux préparatoires à la CBE, s'il avait été suggéré non seulement d'étendre l'état de la technique à prendre en considération aux fins de la nouveauté par une fiction juridique, mais également d'abolir la pratique de la délimitation par rapport aux demandes antérieures. Le fait que van Empel parle de délimitation entre des demandes interférentes sur la base du critère de nouveauté (supra, point 108) reflète probablement l'opinion générale au moment où la CBE a été rédigée.
2.1.2 Dans la décision G 1/93, la Grande Chambre a établi une distinction entre les caractéristiques qui apportent une contribution technique et celles qui ne font que limiter la protection conférée par le brevet en excluant de la protection une partie de l'objet revendiqué (supra, point 16 des motifs). Dans la décision T 323/97 (supra, point 2.3 des motifs), la chambre cherche à déduire de l'avis G 2/98 qu'une telle distinction n'est plus possible. Or, cette conclusion est manifestement contraire à ce qui a été énoncé dans cet avis, dans lequel la Grande Chambre de recours a dit expressément que la simple exclusion de la protection traitée dans la décision G 1/93 est une situation juridique différente de la question de savoir s'il convient ou non de prendre en considération la combinaison particulière de l'ensemble des caractéristiques techniques figurant dans une revendication pour déterminer si la demande antérieure et la demande qui en revendique la priorité portent sur la même invention (supra, point 10 des motifs). Par conséquent, on ne saurait invoquer l'avis G 2/98 pour justifier la conclusion selon laquelle il convient de ne pas admettre les disclaimers qui limitent l'objet revendiqué sans affecter l'enseignement technique de la demande.
2.1.3 Aux fins de l'interprétation de l'article 123(2) CBE, on peut conclure de ce qui précède (point 2.1.1) qu'un disclaimer qui exclut une demande interférente vise uniquement à prendre en considération le fait que différents demandeurs ont droit à un brevet pour différents aspects d'un objet inventif, et non pas à modifier un enseignement technique donné. Le disclaimer divise l'invention en deux parties : il sauvegarde les droits du premier demandeur pour ce qui est identique et il attribue au deuxième demandeur le droit au brevet pour ce qui est divulgué pour la première fois dans la demande ultérieure. Dans cette approche, l'article 54(3) CBE se borne donc à résoudre le problème de la double protection par brevet.
Un tel disclaimer, qui ne fait qu'exclure un objet pour des raisons juridiques, est nécessaire à l'application de l'article 54(3) CBE et n'a aucune incidence sur l'information technique contenue dans la demande. Il n'est donc pas en contradiction avec l'article 123(2) CBE. Ainsi appliqué, le terme "disclaimer" est également justifié dans son sens littéral. Une invention comprenant différents modes de réalisation particuliers ou différents groupes de modes de réalisation a été divulguée dans la demande telle que déposée, dont une partie est exclue de la protection recherchée, à savoir qu'elle n'est plus revendiquée. L'objet restant n'est pas modifié par le disclaimer.
2.2 Etat de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE - Antériorisation fortuite
La question 2d) soulevée dans la décision de saisine T 507/99 pose également le problème de savoir si un disclaimer peut être admis en cas d'antériorisation fortuite.
2.2.1 La notion d'antériorisation fortuite est analogue à la situation des demandes interférentes qui a été examinée ci-avant, si l'on se fonde sur le postulat que seule la nouveauté est en jeu. Lorsqu'il y a antériorisation fortuite, l'exclusion de l'état de la technique étranger à l'invention ne vise pas non plus à apporter une contribution au caractère inventif de l'enseignement technique fourni. Les cas d'antériorisation fortuite se présentent principalement, mais pas uniquement, dans les domaines de la chimie et de la biotechnologie. Ainsi, on peut citer la situation typique où l'invention revendiquée porte sur un groupe nombreux de composés chimiques présentant certaines propriétés avantageuses pour une utilisation précise, mais où il s'avère que l'un des composés compris dans ce groupe est connu pour une utilisation entièrement différente, de sorte que les propriétés connues de ce composé sont sans intérêt pour la nouvelle utilisation. Dans une telle situation, on considère qu'il serait injuste qu'un seul composé puisse faire obstacle à la brevetabilité de tout le groupe, faute d'un fondement dans la demande telle que déposée qui justifierait de limiter l'invention en excluant le composé connu. Dans bien des cas, une revendication d'utilisation pourrait représenter une position de repli. Toutefois, les revendications d'utilisation confèrent une protection plus limitée que les revendications de produit et, dans le domaine pharmaceutique, elles peuvent être exclues au titre de l'article 52(4) CBE.
2.2.2 Diverses définitions ont été données à la notion d'antériorisation fortuite (cf. les décisions de saisine T 507/99, point 7.3 des motifs et T 451/99, point 11 des motifs et suivants). A cet égard, les décisions T 608/96 du 11 juillet 2000 et T 1071/97 du 17 août 2000 (cf. la Jurisprudence des Chambres de recours, supra, I.C.2.11 et III.A.1.6.3) sont souvent citées. Selon ces décisions, qui définissent cette notion en termes similaires, une divulgation détruit fortuitement la nouveauté si l'homme du métier confronté au problème à la base de la demande n'en a pas tenu compte, soit parce qu'elle appartient à un domaine technique éloigné, soit parce que son objet suggère qu'elle ne contribue pas à résoudre le problème. Par conséquent, la divulgation doit, d'après ces décisions, être totalement dénuée de pertinence pour l'appréciation de l'activité inventive. Or, on ne saurait considérer isolément les différents aspects qui entrent dans toutes ces tentatives de définition. Le fait que le domaine technique soit éloigné ou étranger à celui de l'invention peut certes revêtir de l'importance, mais il n'est pas décisif, car l'homme du métier peut être amené dans certaines situations à consulter également des documents relevant d'un domaine éloigné. L'absence de problème commun, en tant que critère isolé, est encore moins déterminante, car plus une technologie est avancée, plus le problème peut être formulé spécifiquement pour une invention dans ce domaine. Il se peut ainsi qu'un même produit doive répondre à de nombreuses exigences pour présenter des propriétés équilibrées de nature à le rendre intéressant sur le plan industriel. De même, plusieurs problèmes liés à différentes propriétés du produit peuvent être définis en vue de développer ce produit. Lorsqu'il cherche à améliorer une propriété précise, l'homme du métier ne saurait ignorer d'autres exigences bien connues. C'est pourquoi un "problème différent" n'est pas nécessairement un problème qui se pose dans un autre domaine technique. Ce qui importe c'est que d'un point de vue technique, la divulgation en question doit être à ce point étrangère et éloignée que l'homme du métier ne l'aurait jamais prise en considération lorsqu'il travaille sur l'invention (cf. en ce sens la décision T 608/96, supra, point 6 des motifs, qui est citée au point 7.3.1 des motifs de la décision de saisine T 507/99). Il convient d'établir si tel est bien le cas sans prendre en considération les autres éléments disponibles de l'état de la technique, car un document en rapport avec l'invention ne devient pas une divulgation fortuite du seul fait qu'il existe d'autres divulgations plus étroitement liées à l'invention. En particulier, le fait qu'un document ne soit pas considéré comme l'état de la technique le plus proche ne suffit pas pour en conclure qu'il représente une antériorisation fortuite (cf. cependant la décision T 170/87, JO OEB 1989, 441, point 8.4.2 des motifs).
Comprise dans le sens esquissé ci-dessus, l'antériorisation fortuite non seulement correspond à la signification littérale de cette expression, mais limite également l'emploi d'un disclaimer aux situations où celui-ci est justifié pour une raison comparable à celles pour lesquelles les disclaimers ont été considérés ci-dessus comme admissibles en cas de demandes interférentes. L'ajout d'un disclaimer en cas d'antériorisation fortuite répond manifestement à un besoin, lequel a donné naissance dans le passé à une pratique constante qui n'a jamais été contestée avant la décision T 323/97. En outre, l'article 52(1) CBE exprime le principe général selon lequel les inventions sont brevetables dans tous les domaines techniques, dès lors qu'elles remplissent les conditions de fond (G 5/83, JO OEB 1985, 64, point 21 des motifs). Il y a lieu de tenir compte de ce principe lorsqu'il s'agit d'interpréter des conditions de forme, du moins dans la mesure où leur finalité respective ne s'en trouve pas compromise.
Les problèmes qui se posent lorsqu'il s'agit d'apprécier si les limitations apportées à des revendications sont admissibles tiennent notamment aux règles qui servent à déterminer ce qui est divulgué, lorsque celles-ci sont appliquées à des concepts généraux. Conformément à la jurisprudence constante des chambres de recours, la description d'un concept général ne divulgue pas des modes de réalisation particuliers relevant du domaine décrit en termes généraux. Ce principe est fondé sur le postulat selon lequel un enseignement particulier ne peut pas être déduit directement et sans équivoque d'un enseignement général. Il s'applique également aux formules chimiques et aux composés individuels relevant de ces formules, ainsi qu'aux plages de valeurs et aux valeurs individuelles comprises à l'intérieur des limites définies. Cette approche permet de protéger les inventions de sélection fondées sur de précieuses contributions techniques dans un domaine connu. En revanche, cette approche ne permet pas de considérer les modes de réalisation particuliers non divulgués, qui relèvent du concept général dans la demande telle que déposée, comme base pour procéder à une limitation.
Il est vrai que le système du brevet européen doit être cohérent et que la notion de divulgation doit être identique aux fins des articles 54, 87 et 123 CBE. Il se pose néanmoins la question de savoir ce qui doit être considéré comme une information technique divulguant l'invention. Dans le cas d'une antériorisation fortuite, il ressort clairement de la définition de cette notion (cf. ci-dessus) que celle-ci n'a rien à voir avec l'enseignement de l'invention revendiquée, dans la mesure où elle ne peut être pertinente pour l'examen de l'activité inventive. On peut donc considérer qu'un simple disclaimer qui exclut l'objet d'une antériorisation fortuite ne change pas l'information technique contenue dans la demande telle que déposée et que, par conséquent, il ne change pas l'objet de la demande telle que déposée au sens de l'article 123(2) CBE.
2.3 Etat de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE - Antériorisations non fortuites
2.3.1 Dans leurs observations, la plupart des tiers ont fait valoir qu'en ce qui concerne la question de l'admissibilité des disclaimers, il convient de ne faire aucune distinction entre les différents états de la technique à exclure. Selon eux, non seulement les demandes interférentes et les antériorisations fortuites devraient justifier un disclaimer, mais également les objections "normales" soulevées à l'encontre de la nouveauté au titre de l'article 54(2) CBE. Afin de s'assurer que le demandeur n'obtienne pas un avantage injustifié en ajoutant un disclaimer, il est à leur avis suffisant que le disclaimer ne soit pas pris en considération lors de l'examen de l'activité inventive.
2.3.2 Il découle de cette approche qu'il faudrait examiner deux inventions différentes, à savoir, d'une part, l'invention plus étroite avec le disclaimer aux fins de la nouveauté et, d'autre part, l'invention plus large sans le disclaimer aux fins de l'activité inventive. Une telle approche est étrangère à la CBE. L'examen doit en effet porter sur l'invention telle que revendiquée. Si l'objet revendiqué satisfait aux exigences de la CBE, il y a lieu de délivrer un brevet.
2.3.3 Admettre sans restriction des disclaimers pourrait avoir des effets indésirables sur le comportement des demandeurs et changer la façon dont les demandes sont normalement rédigées. Actuellement, les demandeurs se fondent sur l'état de la technique dont ils ont connaissance (cf. règle 27(1)b) CBE) et tentent de délimiter l'invention par rapport à cet état de la technique. Ils prévoient par ailleurs des modes de réalisation préférés (et encore plus préférés) en tant que positions de repli pour le cas où un autre état de la technique dont ils n'ont pas connaissance serait mis en évidence. De cette façon, l'invention ainsi exposée dans la description peut être comparée aux différentes peaux d'un oignon, et l'on voit clairement en quoi réside l'essence de l'invention. En outre, la fonction et l'interaction des caractéristiques techniques peuvent être clarifiées par comparaison avec l'état de la technique. Si les demandeurs étaient autorisés à attendre que l'état de la technique soit établi lors de la recherche et de l'examen et à en tirer toutes les conséquences nécessaires durant l'examen, ils pourraient ainsi rédiger leur brevet sur mesure par rapport à l'état de la technique mis en évidence au cours de la procédure devant l'OEB. Ainsi, il ne serait plus aussi important de rédiger dès le départ une description détaillée de l'invention à titre de précaution, et l'exigence de nouveauté perdrait de sa pertinence pour déterminer en quoi ce qui est brevetable diffère de ce qui est connu. Ce dernier argument serait même encore plus important dans le cas où un effet avantageux obtenu par une nouvelle substance chimique n'était pas considéré comme appartenant à l'invention, mais serait mis en évidence après la date de dépôt à n'importe quel stade de la procédure (BGH GRUR 1972, 541 - "Imidazoline"; Schulte 6e édition 2001, art. 1 Loi sur les brevets, point 282 sur la pratique allemande et point 283 sur la pratique différente de l'OEB qui exige que le problème technique puisse être déduit de la demande telle que déposée (T 13/84, JO OEB 1986, 253, point 11 des motifs). Dans un tel cas de figure, le demandeur serait autorisé à revendiquer une vaste classe de composés aux propriétés encore inconnues, puis à exclure ceux qui s'avéreraient connus et à tester les autres en vue de déterminer d'éventuelles propriétés avantageuses sur la base desquelles il fonderait ses arguments relatifs à l'activité inventive.
2.3.4 Il y a certes quelque chose de vrai dans l'argument selon lequel les résultats ne sont en pratique pas si différents selon que la notion d'antériorisation fortuite est appliquée ou que le disclaimer n'est pas pris en considération lors de l'examen de l'activité inventive. En tout état de cause, le point de départ est différent. Lorsqu'une antériorisation est jugée fortuite, cela signifie qu'il apparaît dès le départ que l'antériorisation n'a aucun lien avec l'invention. Le disclaimer ne peut être admis que s'il est établi que c'est bien le cas.
2.4 Exceptions à la brevetabilité
2.4.1 Les dispositions relatives aux inventions brevetables comportent plusieurs exceptions à la brevetabilité, telles que les méthodes de traitement médical à l'article 52(4) CBE et les inventions dont la mise en oeuvre est contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs à l'article 53a) CBE. En pareils cas, il se peut qu'une revendication générale comprenne des modes de réalisation qui tombent sous le coup de l'exception, tandis que le reste est brevetable. Une telle situation peut ainsi se présenter, eu égard à l'article 53a) CBE, du fait qu'il n'est pas possible de réaliser sur l'être humain tout ce qui est réalisable sur d'autres êtres vivants. Par exemple, il peut être parfaitement légitime, pour des raisons économiques, d'éviter une descendance indésirée en raison des propriétés qu'elle présente (sexe, couleur, santé) s'il s'agit d'animaux domestiques, alors que pour les êtres humains, ce serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. Supposons que la demande contienne un enseignement de vaste portée applicable aux mammifères en général et mentionne les bovins en tant que modes de réalisation particuliers, tandis que les revendications portent sur le traitement des mammifères, le disclaimer nécessaire pour exclure les êtres humains afin de satisfaire aux exigences de l'article 53a) CBE ne pourrait pas être basé sur le texte initial de la demande, qui ne couvrirait qu'une limitation plus vaste aux bovins. Or, le disclaimer excluant les êtres humains n'a aucun rapport avec l'enseignement technique de la demande ; il ne fait qu'exclure des êtres auxquels cet enseignement, bien que théoriquement réalisable, n'était de toute façon pas censé s'appliquer. Des situations similaires se présentent dans le cas de demandes portant sur l'abattage des animaux.
2.4.2 De même, l'article 57 CBE peut exclure des inventions de la brevetabilité pour des raisons non techniques. Ainsi, une méthode de contraception revendiquée peut être considérée comme non susceptible d'application industrielle dès lors qu'elle peut uniquement être mise en oeuvre par un être humain dans un cadre privé (T 74/93, JO OEB 1995, 712), tandis que l'application de la méthode à des animaux domestiques, par exemple à des fins d'élevage, serait brevetable. Dans ses observations, le Président de l'OEB s'est également référé à l'article 53b) CBE et à la directive de l'UE 98/44/CE du 6 juillet 1998 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques (JO OEB 1999, 101) et a souligné que le demandeur devait pouvoir tirer les conséquences qui s'imposent lorsqu'un changement intervient dans le droit matériel alors que sa demande est en instance.
2.4.3 Plus important encore, l'exigence de la suffisance de l'exposé ne saurait être considérée isolément au sein d'un seul système de brevet. Le demandeur qui souhaite obtenir une protection à l'étranger doit veiller à ce que l'exigence d'exposé suffisant soit remplie lorsqu'il rédige la première demande qui donnera naissance à un droit de priorité pour des demandes déposées ultérieurement dans d'autres pays (cf. point 4 ci-dessous). Il ne lui serait guère possible de savoir à ce stade quelles sont les exclusions de la brevetabilité qui seraient susceptibles de s'appliquer dans tous les Etats dans lesquels la priorité pourrait être revendiquée. Il en va de même pour une demande internationale déposée au titre du PCT, qui produit les mêmes effets qu'un dépôt national dans plus de 120 Etats contractants. Dans ces deux situations, on ne saurait attendre du demandeur qu'il vérifie quel est le droit matériel applicable dans tous les Etats envisageables, avant de déposer sa demande, et qu'il introduise les limitations nécessaires afin de faire face à toute exclusion à laquelle il pourrait être ultérieurement confronté dans les différents Etats. Etendre l'exigence de la suffisance de l'exposé aux limitations se bornant à exclure des éléments qui ne sont pas susceptibles d'être protégés par brevet entraverait considérablement les systèmes pour l'obtention d'une protection par brevet établis de longue date dans un cadre international.
2.5 Modes de réalisation qui ne fonctionnent pas
2.5.1 Partant du postulat selon lequel un disclaimer se borne toujours à renoncer à une partie de l'invention, d'aucuns ont logiquement fait valoir qu'un disclaimer peut être utilisé à n'importe quelle fin, à savoir également pour exclure des modes de réalisation qui ne fonctionnent pas. A cet égard, référence est faite à la décision T 170/87 (supra, cf. point 8.4 des motifs qui se réfère à la décision T 313/86 du 12 janvier 1988, non publiée au JO OEB).
2.5.2 Toutefois, les disclaimers ne doivent pas être admis dans cette situation. Le fait qu'une revendication comprenne des modes de réalisation qui ne fonctionnent pas peut en effet entraîner, suivant les circonstances, des conséquences différentes.
Lorsqu'il existe un grand nombre de variantes concevables et que le fascicule contient des informations suffisantes sur les critères permettant de trouver au prix d'un effort raisonnable les variantes appropriées dans le domaine revendiqué, la présence de certains modes de réalisation qui ne fonctionnent pas n'est pas préjudiciable (cf. T 238/88, JO OEB 1992, 709 ; T 292/85, JO OEB 1989, 275 ; T 301/87, JO OEB 1990, 335). Il n'est donc ni utile, ni nécessaire d'introduire un disclaimer.
Si tel n'est pas le cas et que l'invention revendiquée ne puisse pas être reproduite, cette question peut devenir pertinente eu égard aux exigences d'activité inventive et de suffisance de l'exposé. Si un effet est décrit dans une revendication, l'exposé n'est pas suffisant. En revanche, si l'effet n'est pas décrit dans une revendication, mais fait partie du problème à résoudre, il se pose un problème d'activité inventive (T 939/92, JO OEB 1996, 309). Dans ce dernier cas, les tiers s'accordent tous, dans leurs observations, sur le fait que le disclaimer ne peut être utilisé à l'appui de l'activité inventive.
2.5.3 Il en va de même lorsque la suffisance de l'exposé est en jeu. La mise au point de l'invention doit être achevée au moment du dépôt de la demande de brevet. L'exigence de suffisance de l'exposé garantit qu'un brevet est uniquement délivré si l'invention apporte une contribution correspondante à l'état de la technique. Tant que l'homme du métier n'est pas en mesure de réaliser l'invention, cela signifie que celle-ci ne fournit pas une telle contribution. Par conséquent, il importe que l'invention remplisse cette condition à la date de dépôt ou de priorité, selon le cas. Il ne peut être remédié à une quelconque irrégularité en la matière durant la procédure devant l'OEB. Aussi convient-il de ne pas suivre les décisions isolées T 170/87 et T 313/86 (supra).
2.6 Disclaimers qui apportent une contribution technique
Lorsque la Grande Chambre a défini les situations dans lesquelles un disclaimer peut être admis afin de répondre à une objection (cf. les points 2.1, 2.2 et 2.4), elle a veillé à ce que le motif justifiant un disclaimer ne soit pas lié à l'enseignement de l'invention.
2.6.1 Cela vaut en particulier pour la définition de l'antériorisation fortuite. On ne saurait cependant exclure avec une certitude absolue qu'une limitation effectuée au moyen d'un disclaimer ne se révèle pas ultérieurement pertinente sur le plan technique (T 323/97, supra, point 3 des motifs). En effet, toute limitation introduite dans une revendication peut, au moment où l'invention est mise en oeuvre, s'avérer être déterminante pour l'effet recherché et pertinente pour conclure à la présence d'une activité inventive ou à la suffisance de l'exposé, contrairement à ce que l'homme du métier aurait escompté sur la base des informations contenues dans la demande. Une telle coïncidence (que Gehring a décrite comme étant "un cas plutôt théorique" dans Welche Zukunft hat der Disclaimer?, Mitteilungen der deutschen Patentanwälte 2003, 197, p. 202) pourrait amener à conclure que le disclaimer n'est pas un simple disclaimer au sens de la présente décision, mais qu'il apporte une contribution à l'enseignement technique et ajoute des éléments au sens de l'article 123(2) CBE. Le disclaimer devrait donc en ce cas être considéré a posteriori comme non admissible.
Il convient de conclure de ce qui précède que les approches présentées dans les questions 2d) et e) dans la décision de saisine T 507/99 ne sauraient être considérées comme deux variantes possibles pour apprécier si un disclaimer est admissible en cas d'antériorisation fortuite, ainsi que le suggère la Chambre 3.3.5 dans cette décision. Il y a lieu au contraire d'établir dans un premier temps si l'antériorisation est bien fortuite. Lorsque cette condition est remplie, l'admissibilité du disclaimer peut être remise en question s'il apparaît que la limitation est pertinente pour l'appréciation de l'activité inventive ou de la suffisance de l'exposé. Selon l'autre approche, qui n'établit aucune distinction entre une antériorisation fortuite et d'autres objections concernant la nouveauté, ce serait l'inverse qui serait applicable, à savoir que le disclaimer serait toujours jugé admissible et la demande ne serait rejetée ou le brevet révoqué que si l'OEB ou un concurrent dans la procédure d'opposition ou de nullité prouve que la partie exclue n'est pas inventive. Seule l'approche qui selon laquelle les disclaimers ne peuvent être que des limitations n'apportant aucune contribution à l'invention, et qui adopte de ce fait le critère décisif de l'article 123(2) CBE et non de l'article 56 CBE, est conforme à la Convention.
2.6.2 Le principe selon lequel une limitation non divulguée doit être un simple disclaimer au sens précité pour être admissible est également applicable lorsqu'il existe deux antériorisations, à savoir un document de l'état de la technique au sens de l'article 54(3) et un autre au sens de l'article 54(2) CBE. La situation privilégiée qui caractérise la relation entre des demandes interférentes n'existe pas avec un état de la technique publié à une date antérieure. L'invention revendiquée telle qu'initialement divulguée doit satisfaire aux exigences de l'article 54(2) CBE, et un disclaimer qui serait admissible sur la base de la seule demande interférente ne saurait rendre l'invention nouvelle ou inventive par rapport à l'état de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE, à moins qu'il ne s'agisse d'une antériorisation fortuite et que seule la nouveauté soit en jeu. De même, il n'est pas possible qu'un disclaimer fondé sur une demande interférente remédie à une irrégularité au titre de l'article 83 CBE qui serait justifiée sans la limitation.
2.6.3 Des considérations similaires s'appliquent lorsqu'une objection d'absence de nouveauté est soulevée sur la base d'une demande au sens de l'article 54(3) CBE, et que celle-ci devient une antériorisation au sens de l'article 54(2) CBE du fait que la demande en litige s'avère ne pas bénéficier du droit de priorité, soit parce que la priorité n'était pas valable dès le départ, soit parce qu'elle a été perdue suite à une modification, autre que le disclaimer, qui n'était pas divulguée dans la demande dont la priorité est revendiquée. Dans cette situation, le disclaimer n'est plus justifié dès lors qu'il apparaît que la demande ne bénéficie plus du droit de priorité.
2.6.4 Il est en outre précisé, dans un souci de clarté, qu'un disclaimer qui exclut un objet non susceptible d'être protégé par brevet ne doit pas lui non plus apporter de contribution à l'invention, même si l'on peut difficilement concevoir dans quelle situation ce pourrait être le cas.
2.6.5 Il résulte des considérations qui précèdent qu'un disclaimer peut uniquement être employé dans le but qu'il est censé avoir et rien de plus. Lorsque le disclaimer porte sur des demandes interférentes, son but est d'établir la nouveauté par rapport à une demande antérieure au sens de l'article 54(3) CBE. Lorsque le disclaimer porte sur un état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, son but est d'établir la nouveauté par rapport à une antériorisation fortuite telle que définie dans la présente décision. Enfin, un disclaimer qui exclut un objet non susceptible d'être protégé par brevet peut uniquement avoir pour but de lever cet obstacle juridique particulier. Si un disclaimer produit des effets qui vont au-delà de son but, tel que décrit ci-dessus, il est ou devient inadmissible.
3. Formulation des disclaimers
Après avoir défini les situations dans lesquelles un disclaimer peut être admis, la Grande Chambre doit encore répondre à la question 2b) qui lui a été soumise dans l'affaire T 507/99, à savoir comment il convient de rédiger un disclaimer occasionné par un état de la technique. A cet égard, des avis très divergents ont été exprimés dans les conclusions. D'aucuns ont ainsi estimé que la rédaction des disclaimers ne devait être assortie d'aucune restriction, ce qui s'inscrit dans la logique de l'argument selon lequel un disclaimer est une simple renonciation à une partie de l'invention, si bien que l'article 123(2) CBE est dénué de pertinence pour la question des disclaimers. A l'extrême opposé, d'autres ont estimé que le disclaimer doit pouvoir être déduit directement et sans ambiguïté de l'antériorisation, ce qui s'inscrit dans la logique de l'argument selon lequel un disclaimer doit avoir un fondement, qui peut toutefois se trouver non seulement dans la divulgation initiale mais également dans l'état de la technique indiqué.
Lorsque l'on aborde la question de savoir comment il convient de rédiger un disclaimer non divulgué qui exclut une antériorisation, il faut avoir présent à l'esprit que, conformément à l'appréciation effectuée ci-dessus, de tels disclaimers sont limités à des situations de fait dans lesquelles ils n'apportent aucune contribution à l'enseignement technique de l'objet revendiqué. En d'autres termes, un disclaimer admissible se borne à restreindre la protection demandée et ne relève pas de l'article 123(2) CBE, qui interdit d'étendre l'objet d'une demande au-delà du contenu de la demande telle que déposée. Toutefois, le disclaimer se justifie uniquement par le fait qu'il exclut une divulgation destructrice de nouveauté ou un objet non susceptible d'être protégé par brevet. Le fait que le demandeur doive introduire un disclaimer ne signifie pas qu'il peut remanier arbitrairement ses revendications. Aussi le disclaimer ne doit-il pas retrancher plus que ce qui est nécessaire pour rétablir la nouveauté ou pour exclure un objet qui tombe sous le coup d'une exception à la brevetabilité pour des raisons non techniques.
En tout état de cause, les exigences de concision et de clarté prévues à l'article 84 CBE sont également applicables aux revendications contenant des disclaimers. Cela signifie en premier lieu qu'un disclaimer n'est pas admissible si la limitation requise peut être exprimée en termes plus simples, au moyen de caractéristiques positives initialement divulguées conformément à la règle 29(1), première phrase CBE. En outre, la présence de plusieurs disclaimers dans une revendication pourrait contraindre le public à déployer des efforts excessifs pour distinguer ce qui est protégé de ce qui ne l'est pas. A l'instar des autres problèmes de clarté, il convient de peser d'une part l'intérêt du demandeur, qui est d'obtenir une protection adéquate, et d'autre part l'intérêt du public, qui est de pouvoir déterminer au prix d'un effort raisonnable l'étendue de la protection conférée. Si une revendication contenant un ou plusieurs disclaimers ne répond pas aux intérêts du public, elle ne saurait être admise. D'autre part, une revendication pourrait devenir très difficile à comprendre, si la terminologie employée dans la demande en litige et dans l'antériorisation diffère, et que la revendication utilise des termes différents et incompatibles. En ce cas, l'article 84 CBE peut exiger que la terminologie soit adaptée afin d'exclure ce qui est nécessaire pour rétablir la nouveauté.
Dans l'intérêt de la transparence du brevet, le fascicule doit mentionner clairement qu'il contient un disclaimer non divulgué et pourquoi celui-ci a été introduit. Le disclaimer ne doit pas être dissimulé par des caractéristiques positives non divulguées définissant la différence entre la revendication initiale et l'antériorisation. L'état de la technique exclu doit être indiqué dans la description conformément à la règle 27(1)b) CBE et il convient de mentionner la relation entre l'état de la technique et le disclaimer.
4. Disclaimer et priorité
Ainsi qu'il a été énoncé dans l'avis G 2/98 (en ce qui concerne sa relation avec la décision G 1/93, cf. points 2 et 2.1.2 des motifs ci-dessus), l'étendue du droit de priorité est déterminée par ce qui est divulgué dans la demande dont la priorité est revendiquée et elle est en même temps limitée à ce contenu. Afin d'éviter toute incohérence, il y a lieu d'interpréter de la même manière la divulgation employée comme base pour le droit de priorité conformément à l'article 87(1) CBE et la divulgation employée comme base pour apporter des modifications à la demande conformément à l'article 123(2) CBE. En d'autres termes, un disclaimer qui ne fournit aucune contribution technique comme exposé ci-dessus et qui est considéré comme admissible durant la procédure relative à une demande de brevet européen n'a aucune incidence sur l'identité de l'invention au sens de l'article 87(1) CBE. Il peut donc être introduit également lors de la rédaction et du dépôt de la demande de brevet européen, sans affecter le droit de priorité fondé sur la première demande qui ne contient pas le disclaimer.
5. Le dispositif énonce les réponses que la Grande Chambre apporte aux questions qui lui ont été soumises dans les décisions T 507/99 et T 451/99.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La Grande Chambre apporte les réponses suivantes aux questions qui lui ont été soumises :
1. Une modification apportée à une revendication par l'introduction d'un disclaimer ne saurait être rejetée en vertu de l'article 123(2) CBE au seul motif que ni le disclaimer ni l'objet exclu par le disclaimer de la portée de la revendication ne trouvent de fondement dans la demande telle que déposée.
2. Il convient d'appliquer les critères suivants pour apprécier l'admissibilité d'un disclaimer qui n'est pas divulgué dans la demande telle que déposée.
2.1 Un disclaimer peut être admis pour :
- rétablir la nouveauté en délimitant une revendication par rapport à un état de la technique tel que défini à l'article 54(3) et (4) CBE ;
- rétablir la nouveauté en délimitant une revendication par rapport à une divulgation fortuite relevant de l'article 54(2) CBE ; une antériorisation est fortuite dès lors qu'elle est si étrangère à l'invention revendiquée et si éloignée d'elle que l'homme du métier ne l'aurait jamais prise en considération lors de la réalisation de l'invention ; et
- exclure un objet qui tombe sous le coup d'une exception à la brevetabilité en vertu des articles 52 à 57 CBE pour des raisons non techniques.
2.2 Un disclaimer ne devrait pas retrancher plus que ce qui est nécessaire soit pour rétablir la nouveauté, soit pour exclure un objet qui tombe sous le coup d'une exception à la brevetabilité pour des raisons non techniques.
2.3 Un disclaimer qui est ou devient pertinent pour l'appréciation de l'activité inventive ou de la suffisance de l'exposé ajoute des éléments en violation de l'article 123(2) CBE.
2.4 Une revendication contenant un disclaimer doit répondre aux exigences de clarté et de concision prévues à l'article 84 CBE.
1 Les points "Sommaire", "Exposé des faits et conclusions", "Motifs de la décision" et "Dispositif" de la présente décision concordent textuellement avec les points correspondants de la décision G 2/03, qui est publiée dans le présent numéro (JO OEB 2004, 448).
2 Référence ajoutée dans la traduction