5.2.2 Cas de renversements de la charge de la preuve
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Dans l'affaire T 570/08, les opposants ont présenté des éléments de preuve sous la forme de tests comparatifs en vue d'étayer leur argumentation selon laquelle la composition d'additif revendiquée dans le brevet litigieux ne résolvait pas le problème consistant à améliorer le pouvoir lubrifiant et la solubilité d'un carburant diesel. Ces résultats contredisaient ceux des tests fournis par le titulaire du brevet, de sorte que la chambre se trouvait face à une série de tests présentant des résultats contradictoires. En conséquence, la chambre ne pouvait partager le point de vue du titulaire du brevet selon lequel la charge de la preuve incombait aux opposants, car les résultats des tests effectués par ces derniers jetaient des doutes sur les effets supposés de l'invention en cause. Le titulaire du brevet n'est pas parvenu à dissiper ces doutes et le brevet a été révoqué.
Dans l'affaire T 473/13, la chambre a jugé qu'en présentant ses arguments et la preuve correspondante (une attestation du directeur de projet et inventeur du brevet en litige), l'intimé (titulaire du brevet) s'était acquitté de la charge de la preuve, de l'existence d'une obligation de confidentialité, qui lui incombait initialement. C'était à l'intervenant qu'il incombait désormais de prouver qu'il n'y avait pas d'accord de confidentialité. L'intervenant n'avait toutefois présenté aucun argument ou aucune preuve pouvant objectivement jeter le doute sur l'existence d'un accord de confidentialité, et avait avancé à cet égard de simples hypothèses. L'intervenant n'avait pas cherché à contacter la société V, avec laquelle le titulaire du brevet travaillait à un projet de coopération, afin d'établir si, selon elle, un accord de confidentialité existait. Il n'avait pas non plus conduit de recherches auprès d'autres organisations opérant dans le domaine technique concerné, afin de déterminer si de tels accords de confidentialité correspondaient à la pratique normale dans ce domaine. La chambre a conclu que le caractère public de l'usage antérieur n'était pas établi, si bien qu'il ne faisait pas partie de l'état de la technique.
Dans la décision T 131/03, la chambre a constaté que quand l'opposant présume fortement que les paramètres inhabituels utilisés pour définir l'objet revendiqué sont intrinsèquement divulgués dans l'état de la technique, le titulaire du brevet ne peut pas simplement demander le bénéfice du doute. Il revient au titulaire du brevet d'établir la mesure dans laquelle les paramètres qu'il a utilisés pour la définition de son invention distinguent effectivement l'objet revendiqué de l'état de la technique. Voir également T 1452/16 (paramètres inhabituels – usage antérieur allégué – accessibilité au public d'un produit) : quant à la possibilité pour le titulaire du brevet d'obtenir des échantillons et de les tester, la chambre a énoncé que lorsque les échantillons fabriqués sont testés après la date de priorité, il était légitime de se demander si les résultats obtenus étaient représentatifs des coefficients présents dans les échantillons de l'état de la technique. Toutefois, en utilisant un paramètre qui n'avait pas été utilisé dans l'état de la technique, il incombait au titulaire du brevet de prouver que l'état de la technique n'était pas couvert par la revendication.
C'est généralement à l'opposant qu'il appartient de prouver que l'exposé de l'invention est insuffisant. Lorsque le brevet ne contient aucune information sur la manière dont une caractéristique de l'invention peut être mise en œuvre, il n'existe qu'une faible présomption que l'exposé est suffisant. En pareil cas, l'opposant peut se libérer de la charge de la preuve qui lui incombe, et ce en apportant des éléments crédibles indiquant que les connaissances générales de l'homme du métier ne lui permettraient pas de mettre en œuvre cette caractéristique. Le titulaire du brevet doit alors prouver le contraire, à savoir que les connaissances générales de l'homme du métier permettraient effectivement à celui-ci de réaliser l'invention (T 63/06, synthèse de cette jurisprudence dans T 347/15). Rappelant ce principe dans l'affaire T 338/10, la chambre a jugé que les arguments raisonnés de l'intimée (opposant) renversait la charge de la preuve. C'était donc à la requérante de montrer que l'homme du métier aurait considéré vraisemblable que l'effet thérapeutique revendiqué aurait pu être obtenu, malgré le manque de données et la faible présomption dans le cas présent. Toutefois, la requérante n'avait soumis aucun argument ou preuve susceptible de répondre sur ce point, la chambre a conclu que le brevet tel que délivré ne remplit pas les exigences de l'art. 83 CBE. A propos de l'art. 83 CBE, la décision T 518/10 fait un rappel des principes (voir chapitre II.C.9.).
Dans l'affaire T 1846/10, la chambre a indiqué que l'exemple 5 du brevet fournissait des éléments vérifiables qui jetaient de sérieux doutes sur le fait que l'homme du métier puisse réaliser l'invention en suivant les instructions figurant dans le brevet, sans devoir effectuer un nombre excessif d'essais ou faire preuve d'inventivité. Dans ces circonstances, le requérant (opposant) n'était pas tenu de fournir des preuves supplémentaires liées à des essais, puisqu'il pouvait se fonder sur les preuves fournies par le brevet proprement dit. La chambre a conclu que le requérant s'était dûment acquitté de son obligation en matière de preuve.
Dans l'affaire T 2070/13, concernant la charge de la preuve, il existait de sérieuses réserves concernant la suffisance des connaissances générales de base de l'homme du métier pour lui permettre de réaliser l'invention. Par conséquent, il incombait désormais au titulaire du brevet de le prouver. Le simple postulat que l'anti-adhérence du groupe de composés revendiqué était connu, et que la référence à D16 publié ultérieurement se référant à une non adhésion bactérienne, n'étaient pas une preuve concluante pouvant décharger l'intimé (titulaire du brevet) de la charge de la preuve lui incombant.
Dans l'affaire T 792/00, la chambre a considéré que si le brevet contient un seul exemple décrit sous la forme d'un protocole expérimental hypothétique, et que cet exemple doive être pris comme base pour démontrer que l'invention est suffisamment exposée, il appartient alors au titulaire du brevet de montrer qu'en pratique ce protocole fonctionne comme indiqué. Il est peu probable que la preuve qu'une variante du protocole fonctionne soit suffisante. Cependant, si l'exemple contient un protocole expérimental complet et que le titulaire du brevet affirme que les résultats consignés dans le protocole ont été obtenus, il est vraisemblable que la chambre reconnaîtra que le titulaire du brevet a fait le nécessaire, de sorte que la charge de la preuve passe à l'opposant, qui devrait alors répéter les expériences en vue de démontrer de manière convaincante que le protocole ne fonctionne pas comme indiqué.
Dans l'affaire T 967/09, la chambre a été convaincue que l'opposant III avait étayé, au moyen de faits vérifiables, les sérieuses réserves qui existaient au sujet du fait que l'invention telle que définie dans la revendication 1 était exposée dans le brevet d'une manière suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. La chambre a estimé que le requérant (titulaire du brevet) n'avait pas dissipé ces réserves de manière convaincante. Elle a donc considéré que l'intimé (opposant III) s'était dûment acquitté, à cet égard, de son obligation en matière de preuve. L'objet de la revendication 1 n'était donc pas suffisamment exposé dans le brevet. La décision T 1842/06 récapitule de nombreux aspects de preuve s'agissant des exigences de l'art. 83 CBE notamment dans les procédures ex parte. La chambre énonce aussi que c'est à la division d'examen ou à la chambre qui soulève le motif d'insuffisance de description d'en supporter la preuve. Dans les cas d'inventions de nature "révolutionnaires" (telles liées à la mémoire de l'eau), il apparaît justifié de procéder à un renversement de cette charge de la preuve dès lors que la demande n'aura pas suffi à rendre la faisabilité et reproductibilité de l'invention revendiquée suffisamment crédibles. De tels doutes pourront résulter, par exemple, du simple fait qu'un effet technique, a priori contraire aux lois de la physique, n'a pas été suffisamment étayé par des résultats expérimentaux.
Dans l'affaire T 518/10, le requérant (titulaire du brevet) alléguait qu'il ne lui incombait pas désormais de prouver qu'un extrait comprenant un composé (II) pouvait être obtenu à partir d'animaux marins aquatiques, notamment, du krill. Le brevet litigieux présentait au moins une méthode d'obtention de cet extrait. En outre, l'extraction du composé (II) à partir du krill ne contrevenait pas aux lois de la physique tel que l'affirmaient les intimés (opposants). La chambre n'en était pas convaincue et a déclaré que dans l'affaire en cause, les affirmations du requérant étaient contraires à l'opinion technique prédominante. Les intimés ont apporté des preuves selon lesquelles le composé (II) ne pouvait pas être obtenu suivant la méthode générale décrite dans le brevet. Au moyen de leurs rapports expérimentaux, les intimés ont démontré de manière concluante que, en suivant la méthode d'extraction décrite dans le brevet litigieux, l'homme du métier ne pourrait pas obtenir l'extrait revendiqué comprenant le composé (II). Étant donné que les documents déposés par le requérant n'ont pas démenti ce fait et qu'il n'a pas non plus été réfuté par ces contre-arguments, la chambre a conclu au bien-fondé du motif tiré de l'art. 100(b) CBE.
La décision R 21/10 a eu l'occasion de juger que le grief tiré du renversement de la charge de la preuve prétendument opéré par la chambre ne relève pas de la liste exhaustive des causes possibles de révision portée à l'art. 112bis(2) a) à e) CBE et aux règles 104 et 105 CBE. En outre, la Grande Chambre de recours a constaté que la chambre de recours technique, loin de renverser en rien la charge de la preuve, avait simplement mis en pratique le principe selon lequel chaque partie a la charge de la preuve des faits qu'elle allègue.