La jurisprudence des Etats parties à la CBE
I. BREVETABILITÉ
A. Inventions brevetables
1. Caractère technique d'une invention
FR France
Cour d'appel de Paris du 15 mars 2006 (05/14785) - Cotranex c. Directeur Général de l'INPI
Mot-clé : brevetabilité de l'invention - méthode économique - caractère technique
La demande de brevet portait sur un procédé et un système de réparation en nature d'un dommage causé à un assuré sinistré. Le directeur de l'INPI a considéré que l'objet de la demande de brevet de la société C ne pouvait être considéré comme une invention brevetable au sens légal et l'a rejeté. La société C fait grief au directeur de l'INPI d'avoir, pour rejeter la demande de brevet, analysé la finalité de l'invention comme étant économique, alors, selon elle, que les revendications du brevet mettent en oeuvre des moyens techniques.
Au visa de l'art. L. 611-10 CPI, la Cour considère qu'afin de déterminer si une demande de brevet porte sur une invention relevant du champ des brevets ou, au contraire, sur une méthode intellectuelle ou économique exclue de la brevetabilité, il convient d'examiner la nature du problème que la demande se propose de résoudre et la solution qu'elle entend y apporter. La demande de brevet propose aux assurances de vérifier l'utilisation faite par les assurés des sommes versées à titre d'indemnisation afin d'éviter le détournement des fonds versés, et aux assurés d'acquérir un objet de remplacement du bien perdu ou dégradé plutôt que de recevoir une somme d'argent. Le directeur de l'INPI, selon la Cour, a relevé justement que la résolution de ces deux problèmes est d'ordre économique et non technique.
En effet, en ce qui concerne la solution proposée, la revendication 1 précitée se rapporte à un centre de gestion, un serveur, des liens unissant le centre, les assurés et les assurances. Ce système, mettant en relation divers opérateurs économiques (organisme de gestion, commerçants, assurés et assureurs), relève du domaine économique. Toujours selon la Cour, la circonstance que la revendication 1 mentionne le recours à un "serveur" ne confère pas pour autant au système un caractère technique, ce moyen n'étant pas en lui-même décrit et n'étant, au demeurant, pas revendiqué dans sa configuration propre, l'utilisation qui en est faite, la manière dont il coopère au soin du système. Les revendications dépendantes 2 à 8 ne comportent aucune caractéristique supplémentaire permettant de considérer que soit résolu un problème technique.
Ainsi notamment, si la revendication 8 précise la manière dont le serveur est utilisé au sein de la revendication 1, il n'en demeure pas moins que ce serveur n'est pas caractérisé sur un plan technique, mais uniquement par référence au traitement d'informations économiques. De sorte, l'utilisation de ces moyens techniques ne confère pas à l'invention revendiquée un contenu technique qu'elle ne possède pas elle-même.
La Cour conclut que le directeur de l'INPI en a exactement déduit que cette méthode ne pouvait être considérée comme une invention et de sorte, n'était pas brevetable au sens de l'art. L. 611-10 CPI, et rejette le recours formé par la société C.
FR France
Cour d'appel de Paris du 5 juin 2009 (07/20589) - Kone c. A
Mot-clé : caractère technique
L'invention revendiquée concernait un système pour la gestion à distance de la maintenance d'un ensemble d'équipements installés dans des bâtiments, tels que des ascenseurs, des systèmes de ventilation, de chauffage collectif, des portes automatiques de parcs de stationnement.
Le jugement du TGI Paris en date du 23 octobre 2007 avait débouté la société K de sa demande d'annulation pour défaut de nouveauté et, subsidiairement, défaut d'activité inventive, du brevet français n° 2 814 901 dont Monsieur A est titulaire.
En appel, la société K, appelante, sollicite l'annulation du brevet aux motifs notamment qu'il ne constitue pas une invention mais simplement une solution non technique apportée à un problème économique. Sur la validité de la revendication 1, l'appelante soutient en substance que l'objet de cette invention concerne un système de gestion dans le domaine des activités économiques car il vise à offrir au gestionnaire la possibilité de vérifier par lui-même la parfaite exécution des dispositions du contrat de maintenance, en sorte que le problème à résoudre ne serait qu'économique et non technique, étant observé que l'envoi d'informations relatives aux défauts de fonctionnement des équipements détectés par des unités locales de surveillance à deux calculateurs était connu à la date de dépôt du brevet. Ainsi, la seule contribution de l'invention serait de résoudre un problème économique par la transmission aux deux parties à un contrat de maintenance des mêmes informations sur l'exécution de celui-ci.
Sur l'existence d'une invention au sens de l'art. L. 611-10 CPI, la Cour d'appel de Paris énonce que la société K se méprend sur la définition du problème que l'invention prétend résoudre comme sur le résultat qu'elle atteint. En effet, comme le souligne l'intimé, une revendication doit être appréhendée dans son ensemble pour déterminer si le domaine dont son objet relève, est exclu du champ de la brevetabilité et présente ou non un caractère technique. En l'espèce, le problème à résoudre tient à l'insuffisance des informations dont dispose le gestionnaire d'équipements sur le fonctionnement de ceux-ci et sur les réponses apportées par l'entreprise de maintenance aux incidents de fonctionnement.
L'invention objet de la revendication l, propose de fournir au gestionnaire des moyens de contrôle du fonctionnement des appareils et de suivi des interventions de l'entreprise de maintenance ; il s'agit de le doter de moyens techniques d'informations propres à lui permettre d'exercer ce contrôle, moyens techniques dont il est indifférent à ce stade que, pris individuellement ou en combinaison, ils fussent connus lorsque le brevet fut déposé. Le résultat obtenu par la combinaison des moyens revendiqués réside dans la transmission au gestionnaire, par les unités locales de surveillance, d'informations techniques les plus complètes possibles, puisqu'elles sont identiques à celles transmises à la société de maintenance. Si le gestionnaire peut, au vu de celles-ci, s'assurer en outre de la parfaite exécution des obligations prévues par le contrat de maintenance, cette conséquence n'est qu'une modalité d'exploitation du résultat qui ne change pas la nature de celui-ci. L'invention revendiquée constituait dès lors bien, selon la Cour d'appel, une invention au sens de l'art. L. 611-10 CPI.
La Cour d'appel, qui rejette les moyens de défaut de description et de défaut de nouveauté, annule toutefois la revendication 1 pour défaut d'activité inventive.
FR France
Cour de cassation du 10 novembre 2009 (08-18218) - Syrdrec c. Groupement Carte Bleue
Mot-clé : caractère technique
Selon l'arrêt attaqué de la Cour d'appel de Toulouse du 28 mai 2008, la société S est titulaire d'un brevet français n° 9 107 639 couvrant un "système d'encaissement" ; la société O a par la suite obtenu un brevet européen portant sur un "système et procédé de carte de crédit" ... par la suite exploité par la société G qui l'utilise dans le cadre d'un service "e-carte bleue" ; la société S a agi contre G en contrefaçon de brevet.
La société S fait notamment grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité des revendications 1 et 7 du brevet français n° 9 107 639, alors que, selon elle, si les méthodes commerciales ne sont pas brevetables en tant que telles, l'application technique donnée à de telles méthodes est brevetable. En affirmant néanmoins que le brevet détenu par la société S se bornait à poser des principes sans que les moyens techniques permettant la réalisation soient explicités, sans répondre aux moyens soulevés par la société S qui démontrait que le brevet précisait les moyens techniques à utiliser (carte aux caractéristiques bien précises, moyens de communication en ligne, unité de calcul et de commande, séquence fonctionnelle de traitement des transactions et signaux d'acception ou de refus), la Cour d'appel avait, selon la société S, violé l'art. 455 du code de procédure civile.
Mais, selon la Cour de cassation, l'arrêt de la Cour d'appel relève que le brevet énonce les résultats qui en sont attendus, mais que son fonctionnement n'est nullement expliqué, de sorte qu'il se borne à poser des principes, sans que les moyens techniques permettant la réalisation soient explicités. L'arrêt de la Cour d'appel retient encore que la description n'est qu'un "habillage" des contraintes communes aux opérations envisagées, et que pour une gestion électronique de ces contraintes logiques, tout concepteur de système doit utiliser une base de données qui comporte un répertoire des acquéreurs dans une table sans doublons. Selon la Cour de cassation, en l'état de ces constatations, et dès lors notamment que le demandeur (la société S) ne revendiquait dans ses conclusions, ni le recours à des moyens de communication en ligne, ni le principe d'une unité de calcul et de commande, la Cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, et n'a pas exclu par principe la brevetabilité d'une application technique, mais constaté qu'une telle application faisait défaut en l'espèce, a justifié sa décision d'annuler les revendications contestées.
SE Suède
Cour d'appel de Stockholm en matière de brevets (Patentbesvärsrätten) du 6 février 2009 - affaire n° 04-329
Mot-clé : caractère technique - jeux de cartes
Dans l'affaire en question, l'invention revendiquée constituait une aide spécialement adaptée aux personnes ayant des difficultés de lecture, d'orthographe et de reconnaissance des mots visant à faciliter l'acquisition d'une conscience phonologique en découpant les mots d'une manière spéciale. A cette fin, l'aide comprenait plusieurs jeux de cartes avec sur chaque carte un mot écrit d'un côté.
L'Office suédois des brevets a rejeté la demande au motif que l'invention revendiquée était simplement une présentation d'informations et de ce fait, n'était pas brevetable. Dans la procédure d'appel contre cette décision, le demandeur a fait valoir que l'invention revendiquée comportait une aide à l'apprentissage sous la forme d'un ensemble de cartes sur lesquelles étaient inscrits des mots dans un but pédagogique et n'était pas, comme l'avançait l'Office des brevets, une simple présentation d'informations. A l'appui de sa demande, le demandeur a cité l'exemple d'une invention similaire qui avait été acceptée par l'OEB (voir EP 1 007 168 B1 "Système pour jouer à un jeu").
Selon la Cour d'appel, la revendication 1 se rapportait à une aide constituée "de plusieurs jeux de cartes comportant un ensemble de cartes, avec sur chacune d'elles un mot [écrit] sur un côté". Les caractéristiques "jeux de cartes" et "cartes" telles qu'elles devaient être comprises sur la base de la description étaient physiques, et par conséquent, de nature technique. Le fait que chacune des cartes ait un mot inscrit dessus devrait également être considéré comme étant de nature technique. Alors que les autres caractéristiques de la revendication n'étaient pas techniques et, selon la Cour d'appel, ne semblaient pas contenir d'effets techniques, l'aide telle que définie dans la revendication 1 comportait des caractéristiques techniques et, prise dans sa globalité, devrait donc être considérée comme ayant un caractère technique, que les caractéristiques techniques aient aidé l'homme du métier à établir une distinction entre l'aide et l'état de la technique ou non. L'aide revendiquée a donc été considérée comme une invention au sens de l'art. 52(1) CBE.
Toutefois, les caractéristiques techniques de l'aide n'allaient pas au-delà de celles connues dans l'état de la technique qui décrivait également un jeu de cartes destiné, et par conséquent adapté, à une utilisation à des fins pédagogiques et plus particulièrement pour aider les enfants à apprendre à lire, à épeler et à produire un raisonnement logique. La demande de brevet a été rejetée pour absence de nouveauté.
2. Inventions mises en œuvre par ordinateur
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 24 mai 2004 (X ZB 20/03) - Transaction financière par voie électronique
Mot-clé : caractère technique – inventions mises en œuvre par ordinateur
L'invention concernait un procédé pour l'exécution sécurisée d'une transaction financière par voie électronique sur l'internet. Il ressortait de la demande que, dans le cadre du "electronic banking" par connexion internet entre le client et son institut bancaire, des techniques de cryptage sont utilisées pour sécuriser la transmission des données, qui, dans une très large mesure, sont résistantes aux attaques malveillantes. Seules des données concernant la commande, qui sont comparativement sans valeur pour des tiers, sont transmises entre l'ordinateur du vendeur et celui du client.
Au cours de l'instance précédente, le Tribunal fédéral des brevets avait estimé que ce qui était au premier plan du procédé était non pas un enseignement technique, mais un modèle commercial de paiement. La Cour fédérale de justice, quant à elle, n'a pas jugé bon de nier en l'espèce la technicité requise, étant donné que l'enseignement revendiqué concernait le problème de transmettre d'un point à un autre certaines données à protéger qui, sans la solution proposée, devraient être transmises par une voie non sécurisée. Un procédé qui sert à réaliser une transaction dans le cadre d'une activité économique n'est toutefois brevetable que si la revendication, en plus de proposer l'utilisation d'un ordinateur pour réaliser la transaction, comme moyen de traitement des données pertinentes, contient d'autres instructions relatives à un problème technique concret, de sorte qu'il soit possible de dire, lors de l'examen de l'activité inventive, s'il est apporté une contribution à la technique justifiant une protection par brevet.
La Cour fédérale de justice a ainsi suivi sa propre décision du 17 octobre 2001 - Suche fehlerhafter Zeichenketten ("recherche de suites de caractères erronées"). Un problème qui se pose dans le cadre d'une activité économique à réaliser n'est pas suffisant en soi, même s'il doit être résolu avant d'arriver aux mesures techniques. Cela découle de la finalité du droit des brevets, qui est de promouvoir exclusivement des solutions inventives dans le domaine de la technique en octroyant un monopole d'exploitation limité dans le temps. Il n'importe pas ici de savoir si "la transaction financière par voie électronique" était connue comme élément de la solution, ce qui concernerait plutôt la question des conditions de la brevetabilité que celle de l'exclusion de la brevetabilité. En effet, pour les enseignements mis en œuvre par ordinateur ou utilisant aussi l'informatique, l'évaluation de la question savoir si un problème technique concret se pose et est résolu ou si, faute d'un tel problème, une exception légale à la brevetabilité entre en jeu, ne doit pas dépendre en fin de compte de la question de la nouveauté et du caractère inventif de l'objet revendiqué.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 19 octobre 2004 (X ZB 34/03) - Calcul de rentabilité
Mot-clé : caractère technique – inventions mises en œuvre par ordinateur
Selon la Cour fédérale de justice, n'est pas brevetable en tant que telle une méthode qui permet, par la collecte et la transmission automatiques des données de fonctionnement d'un premier appareil technico-médical ainsi que par la détermination de données relatives aux paiements et aux coûts de fonctionnement, de calculer la rentabilité de l'acquisition d'un second appareil technico-médical.
D'après la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, une méthode qui, pour obtenir le résultat souhaité, prévoit l'utilisation d'un programme d'ordinateur permettant de commander une installation informatique de telle manière que le résultat en question soit obtenu n'est pas brevetable du seul fait qu'elle utilise des moyens informatiques. Etant donné que la loi exclut de la brevetabilité les programmes d'ordinateur en tant que tels (§ 1 (2) point 4 et § 1 (3) Loi allemande sur les brevets), l'enseignement revendiqué doit au contraire contenir des instructions qui contribuent à résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques (Cour fédérale de justice du 24 mai 2004 - Elektronischer Zahlungsverkehr ; Cour fédérale de justice du 17 octobre 2001 - Suche fehlerhafter Zeichenketten).
En l'espèce, la Cour fédérale de justice a clarifié qu'aussi bien le caractère technique de l'appareil dont on cherche à déterminer la rentabilité que la technicité des éléments du système utilisé pour le traitement des données sont hors de doute. Il n'en découle pas, toutefois, qu'il existe un problème technique qui trouverait sa solution dans les caractéristiques de la méthode revendiquée. La collecte et la transmission automatiques des données ne confèrent pas de caractère technique à la méthode revendiquée. En effet, ces mesures relèvent seulement du problème général de recueillir et transmettre automatiquement les données pertinentes pour obtenir le résultat économique recherché au moyen du traitement informatique des données. Mais cela ne constitue pas un problème technique concret au sens de la jurisprudence. Car cela ne va pas au-delà de l'objectif général, et justement insuffisant, d'utiliser le traitement et la transmission informatiques des données pour atteindre un résultat non technique. Ainsi, la revendication ne contient aucun élément de solution qui aille au-delà de l'instruction donnée à l'homme du métier de procéder à la collecte et à la transmission "automatiques" des données.
DE Allemagne
Tribunal fédéral des brevets du 10 février 2005 (17 W (pat) 46/02) - Transaction financière par voie électronique II
Mot-clé : caractère technique – inventions mises en œuvre par ordinateur
La demande en cause concernait une méthode pour opérer de façon sécurisée une transaction financière électronique fondée sur l'instruction d'utiliser un système de paiement électronique pour transmettre l'ensemble des données relatives au virement. Dans sa décision antérieure, le Tribunal fédéral des brevets avait estimé que ce qui était au premier plan de la méthode litigieuse était un modèle commercial de paiement et non pas un enseignement technique. La Cour fédérale de justice avait annulé la décision et avait renvoyé l'affaire devant le Tribunal fédéral des brevets, étant donné que l'on ne pouvait nier la technicité de l'enseignement revendiqué (voir le résumé de l'arrêt de la Cour fédérale de justice du 24.05.2004 - Transaction financière par voie électronique dans le présent rapport).
Dans la décision suivante Transaction financière par voie électronique II, le Tribunal fédéral des brevets a reconnu la technicité de la méthode, tout en constatant que la contribution apportée à la technique résidait uniquement dans l'instruction d'utiliser un système de paiement électronique pour transmettre l'ensemble des données relatives au virement.
Le Tribunal fédéral des brevets est toutefois parvenu à la conclusion que la méthode ne reposait pas sur une activité inventive. L'utilisation d'un système de paiement électronique connu en soi était évidente pour l'homme du métier. Dans les motifs, le Tribunal fédéral des brevets a pris pour point de départ les considérations de la Cour fédérale de justice dans l'arrêt Transaction financière par voie électronique, selon lesquelles il convient de se fonder, lors de l'examen quant à l'activité inventive de procédés mis en œuvre par ordinateur, uniquement sur les (autres) instructions de la revendication qui permettent d'affirmer l'existence d'une contribution à la technique ; de cette façon on pouvait garantir que le constat d'activité inventive était effectué sur la base que l'objet revendiqué comportait un enseignement technique. Etant donné que, en l'espèce, seule "l'utilisation d'un système de paiement électronique connu en soi (electronic banking)" pour la transmission des données (complètes) relatives au virement de l'ordinateur du client vers l'ordinateur de son institut bancaire, telle qu'indiquée dans la caractéristique b) de la revendication, reposait sur la formulation d'un problème technique concret, il convenait de fonder l'appréciation de l'activité inventive uniquement sur cette instruction. Les autres aspects de la méthode, qui concernaient la succession des étapes du processus de paiement, avec intervention d'une instance neutre et utilisation d'informations clés et de données de paiement générées automatiquement, étaient déterminés par des considérations d'ordre commercial et, par conséquent, non pertinents pour l'appréciation de l'activité inventive (référence à T 258/03, JO OEB 2004, 575).
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 19 mai 2005 (X ZR 188/01) - Porteur d'enregistrement
Mot-clé : caractère technique – inventions mises en œuvre par ordinateur
Le brevet en cause concernait, dans sa revendication 1, un procédé pour la conversion d'une série de blocs de bits de données en une série de blocs de bits de canal et, dans sa revendication 11, un porteur d'enregistrement pourvu d'une structure d'information obtenue par le procédé selon la revendication 1. De l'avis du demandeur, la revendication 1 (et donc aussi la revendication 11) portait sur la présentation d'informations et ne devait donc pas être considérée comme une invention, en vertu du § 1 (2) point 4 Loi allemande sur les brevets. La Cour fédérale de justice a rejeté cette interprétation et a jugé que le problème posé dans le brevet en cause ainsi que les moyens mis en œuvre pour y apporter une solution sont de nature technique. Ces derniers consistent en un procédé de codage conduisant à une structure d'enregistrement avec des propriétés physiques qui améliorent l'exploitabilité optique des informations stockées au moyen de cette structure d'enregistrement. Il s'ensuit du même coup que la revendication 11 porte sur un enseignement technique et donc sur une invention au sens du § 1 Loi allemande sur les brevets.
Le fait qu'un procédé ou un dispositif concerne la présentation d'informations ne s'oppose pas à l'octroi d'une protection par brevet pour le procédé ou le dispositif. Il importe plutôt de savoir si l'enseignement revendiqué comporte des instructions utiles pour résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques. Si c'est le cas, il importe peu de savoir si la revendication mentionne aussi l'utilisation d'un algorithme, une fin relevant du domaine commercial ou le caractère informatif du résultat du procédé ou de la chose revendiquée (voir aussi T 517/97, JO OEB 2000, 515). Sur ce point, il n'en va pas autrement que pour les procédés utilisant un programme d'ordinateur pour obtenir l'effet recherché.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 20 janvier 2009 (X ZB 22/07) - Programme sélectionnant les modalités d'examen
Mot-clé : exceptions à la brevetabilité - inventions mises en œuvre par ordinateur - caractéristiques techniques et non techniques
La demande en cause avait pour objet un procédé de traitement des données pertinentes en prévision de l'examen médical d'un patient, caractérisé en ce qu'un programme chargé dans une installation de traitement de données sélectionnait en vue de l'examen d'un patient une ou plusieurs modalités d'examen à exécuter, sélection effectuée en fonction des informations spécifiques sur les symptômes et/ou diagnostics entrées dans le système à partir d'une banque de données contenant ces informations ; les modalités d'examen étaient transmises à un dispositif de lecture et, pour chaque modalité spécifique, la banque de données sélectionnait et délivrait un ou plusieurs protocoles d'examen ou de résultats servant à définir l'examen médical en question. L'Office allemand des brevets et des marques avait rejeté la demande. Le Tribunal fédéral des brevets a rejeté le recours pour défaut de brevetabilité, considérant que le procédé faisant l'objet de la demande tombait sous le coup de l'exclusion de la protection par brevet dans la mesure où il concernait la sélection judicieuse des modalités d'examen (par ex. radiographie, scanner, résonance magnétique) et éventuellement le choix de l'ordre approprié de leur application à un patient au moyen d'un programme faisant appel à une banque de données relative aux symptômes et diagnostics.
La demanderesse a eu gain de cause dans la procédure devant la Cour fédérale de justice, ce qui a conduit au renvoi de l'affaire devant le Tribunal fédéral des brevets. En ce qui concerne la condition de technicité, il importait peu que l'objet de la demande, comme c'est le cas en l'espèce d'après ce qui a été constaté, présentait des caractéristiques techniques et non techniques. La jurisprudence fondée sur la théorie dite du "noyau" ("Kerntheorie"), permettant d'éliminer les combinaisons non brevetables, sur laquelle le Tribunal fédéral des brevets s'était appuyé dans son approche inverse, était déjà dépassée. La question de savoir si une combinaison de caractéristiques techniques et non techniques était brevetable dans le cas particulier dépendait uniquement de l'activité inventive sur laquelle reposait la combinaison.
Selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, une demande qui a pour objet un programme d'ordinateur ou un procédé exécuté par un logiciel doit, en dehors du caractère technique indispensable pour la brevetabilité, contenir des instructions déterminant le procédé, qui ont pour but l'apport d'une solution à un problème technique concret avec des moyens techniques. En raison de l'exclusion des programmes d'ordinateur en tant que tels, seules les instructions visant la solution d'un problème avec de tels moyens peuvent généralement justifier la brevetabilité d'un procédé. Ce n'est pas l'utilisation d'un programme d'ordinateur, mais la solution apportée à un tel problème à l'aide d'un ordinateur (programmé) qui peut conduire à la brevetabilité malgré l'exclusion en question. En tout état de cause, quand le procédé qui utilise une installation de traitement de données est impliqué dans le fonctionnement d'une installation technique (comme par exemple dans le réglage de la résolution de l'image d'un scanner), ce n'est pas le résultat de l'évaluation des caractéristiques techniques et non techniques qui est déterminant pour décider de la brevetabilité. L'important est de voir, en usant d'une vision globale, si l'enseignement proposé sert à résoudre un problème technique concret au-delà du simple traitement de données.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 22 avril 2010 (Xa ZB 20/08) - Création dynamique de documents structurés
Mot-clé : exceptions à la brevetabilité - caractéristiques non-techniques
La demande allemande de brevet revendiquait un procédé de création dynamique de documents structurés (par exemple en format HTML) dans un système de serveur client ; elle décrit un procédé qui permet à un document structuré demandé par le client d'être généré de façon dynamique, même sur des serveurs qui ont des ressources limitées. Le Tribunal fédéral des brevets avait jugé que le procédé revendiqué n'appartenait pas à l'état de la technique, mais reposait sur des "considérations d'ordre conceptuel". Le recours en droit devant la Cour fédérale de justice a fait valoir que la négation de la technicité était une fiction non étayée par la réalité et que les programmes d'ordinateur étaient en soi de nature technique.
Dans le présent arrêt, la Cour fédérale de justice a annulé la décision du Tribunal fédéral des brevets et a renvoyé l'affaire pour qu'une décision sur la nouveauté et le degré d'inventivité puisse être rendue. En ce qui concerne la question de la technicité, la Cour s'en est tenue à la jurisprudence établie, selon laquelle il importe peu que l'objet de la demande présente aussi, à côté de caractéristiques techniques, des caractéristiques non techniques, ni de savoir lesquelles d'entre elles caractérisent l'enseignement revendiqué. Par conséquent, il n'y a pas lieu de se demander, dans le cas d'une revendication de procédé également, si l'invention enseigne des variantes (fondamentales) du fonctionnement des éléments composant un ordinateur. Il suffit au contraire qu'elle contienne des consignes d'utilisation de tels éléments et donc un enseignement technique. C'est pourquoi un procédé concernant la coopération directe des éléments d'un système informatique (ici : d'un serveur client pour la création dynamique de documents structurés) est toujours de nature technique, sans qu'il faille se demander si, dans la version qui fait l'objet de la demande de brevet, il est caractérisé par des instructions techniques.
Un tel procédé n'est pas exclu de la brevetabilité en tant que programme d'ordinateur. A cet égard, la Cour fédérale de justice a renvoyé à sa jurisprudence constante, selon laquelle une demande portant sur un programme d'ordinateur ou un procédé mis en œuvre par ordinateur doit comporter, au-delà de la technicité indispensable à la brevetabilité, des instructions qui déterminent le procédé et qui ont pour objet de résoudre un problème technique concret avec des moyens techniques. La Cour a rajouté, en l'espèce, qu'on n'était pas en présence d'une solution avec des moyens techniques uniquement lorsque des éléments du système étaient modifiés ou agencés de manière nouvelle. Il suffisait au contraire que le déroulement du programme d'ordinateur qui était utilisé pour résoudre le problème soit déterminé par des réalités techniques extérieures à l'installation informatique ou que la solution consiste justement à concevoir le programme d'ordinateur de façon à ce qu'il prenne en compte les réalités techniques inhérentes à l'installation informatique.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 20 novembre 2007 (01/11641) - Infomil c. Atos
Mot-clé : brevetabilité - inventions mises en œuvre par ordinateur - activité inventive - homme du métier
Le brevet français n° 9 708 712 portait en l'espèce sur une méthode commerciale mise en œuvre par ordinateur et notamment sur un "dispositif, procédé et système informatique d'encaissement pour délivrer automatiquement des billets d'avantages commerciaux". La société titulaire fabrique et commercialise des systèmes informatiques, qui permettent aux supermarchés de remettre à leurs clients des bons d'achats imprimés sur les tickets de caisse. Après avoir constaté que des sociétés concurrentes commercialisaient un système similaire, la société titulaire les assigna en contrefaçon.
Les sociétés prétendues contrefactrices invoquaient en défense la nullité du brevet français. Elles arguaient dans un premier temps du défaut de brevetabilité de l'invention (art. L. 611-10 CPI) au motif que celle-ci n'avait trait qu'au domaine économique et commercial et qu'elle était dépourvue de tout caractère technique. Les défenderesses en contrefaçon considéraient en effet que le brevet portait sur la protection du contenu des fichiers clients, critères et avantages des magasins.
La demande en nullité pour défaut de brevetabilité a cependant été rejetée par le TGI Paris. Ce dernier a considéré que le brevet protégeait un procédé et un dispositif qui décrivaient un système informatique. Cette structure, intégrée dans un système d'encaissement, permet, en comparant les données contenues dans les différents fichiers précités, de remettre aux clients des bons d'achats imprimés sur leurs tickets de caisse. Les juges ont admis que cette structure n'était pas exclue du champ de la brevetabilité, peu importe que le résultat de l'invention soit de donner "un avantage commercial et de participer au marketing d'un magasin".
Les sociétés prétendues contrefactrices invoquaient dans un second temps la nullité pour défaut d'application industrielle, défaut de nouveauté et insuffisance de description. Le Tribunal, considérant ces conditions respectées, écarta ces demandes de façon laconique.
Le défaut d'activité inventive fut enfin argué par les défenderesses. L'état de la technique pris en considération en l'espèce correspondait au brevet européen Catalina (EP 0 512 509) déposé le 6 mai 1992. Le Tribunal a considéré que la structure protégée par le brevet français était la même que celle du brevet européen Catalina. L'innovation apportée par le brevet français et consistant à "permettre de personnaliser les différents types de billets, en enregistrant le règlement et les avantages commerciaux et en délivrant ensuite plusieurs sortes de billets" n'exige aucun effort inventif. L'homme du métier proposerait cette solution de manière évidente et n'aurait qu'à "programmer cette caractéristique dans le contenu d'un des fichiers déjà en place pour obtenir cette amélioration". L'état de la technique suggérait l'invention et le brevet français a par conséquent été annulé en toutes ses revendications pour défaut d'activité inventive.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 19 mars 2010 (08/01998) - Exalead c. Sinequa
Mot-clé : exceptions à la brevetabilité - inventions mises en œuvre par ordinateur - outil de recherche
La Sté E est titulaire d'un brevet européen qui propose un outil et un processus de recherche qui permettent à un utilisateur de naviguer librement parmi des catégories et des mots-clés, d'une manière conviviale et transparente. Elle a fait assigner la société S en contrefaçon de la partie française du brevet européen. La société S demande notamment au Tribunal de juger que l'invention en question n'est pas brevetable.
Selon la société E un panorama des outils de recherche met en exergue deux grandes solutions. Il est expliqué dans le brevet que les mots-clés se différencient en effet fondamentalement des catégories prédéfinies.
La société S quant à elle fait valoir que le brevet revendiqué couvrirait un procédé de recherche dépourvu de tout caractère technique, en ce qu'il serait réalisable de façon totalement intellectuelle, sans nécessiter la mise en œuvre du moindre moyen technique. Elle ajoute que les notions de "catégories" et de "mots-clés" ne présenteraient aucune différence technique.
Pour affirmer au contraire la brevetabilité de ce qu'elle considère comme étant une invention, la société E explique que celle-ci a pour effet de résoudre un problème technique, à savoir qu'elle permettrait l'obtention de résultats de recherche plus pertinents dans une base de données. La société E s'appuie également sur une notification de l'OEB pour en conclure que l'OEB l'avait invitée à formuler un problème technique.
Le Tribunal juge que contrairement à ce que soutient la société E, l'OEB n'avait pas placé ses critiques uniquement sur le terrain de la nouveauté ou de l'activité inventive, mais également sur celui du caractère technique de l'invention qui lui était présentée, et donc sur le terrain de la brevetabilité.
Le procédé comporte un ensemble d'étapes théoriques et abstraites sans préciser de fonction et de moyens techniques qui permettraient de lui conférer un caractère technique. Le serveur de recherche ne suffisant pas dans le cas présent à conférer un caractère technique à l'objet de la demande, cet objet, défini par les revendications 1 à 16, concerne alors, malgré l'intitulé des revendications 14 à 16, une méthode dans l'exercice d'activités intellectuelles en tant que telle.
Dans la mesure où la description du procédé revendiqué se borne à en affirmer l'objet sans préciser les moyens techniques à mettre en œuvre, ne détaillant que les résultats et possibilités offertes pour l'utilisateur sans mentionner les caractéristiques techniques du moteur de recherche lui-même, ce procédé ne constituait pas, selon le Tribunal, une invention susceptible de brevetabilité.
Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'extension du brevet et de l'absence d'activité inventive, toutes les demandes ont été rejetées, et la partie française du brevet a été annulée.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 27 octobre 2006 - Aerotel Ltd c. Telco Holdings/Re Macrossan's Application [2006] EWCA Civ 1371
Mot-clé : inventions mises en œuvre par ordinateur – objet exclu - méthodes dans le domaine des activités économiques
La Cour d'appel a examiné conjointement deux appels, qui concernaient des catégories exclues de la brevetabilité en vertu de l'art. 52 CBE, à savoir les inventions mises en œuvre par ordinateur et les méthodes dans le domaine des activités économiques. Il avait été estimé que les deux inventions comprenaient des objets exclus et étaient, de ce fait, non brevetables.
Le brevet d'Aerotel concernait un système téléphonique permettant aux clients de payer d'avance des communications qui pourraient être établies ultérieurement à partir de n'importe quelle installation téléphonique disponible. Le brevet a été annulé au cours d'une procédure en contrefaçon. La demande de Macrossan, elle, portait sur un système automatisé permettant d'établir les documents nécessaires pour constituer une société. La demande a été rejetée par l'Office des brevets. La Cour d'appel a fait droit à l'appel d'Aerotel, mais a rejeté celui de Macrossan.
La Cour d'appel était liée par sa décision antérieure dans l'affaire Merrill Lynch, de sorte qu'elle en a appliqué l'approche, fondée sur "l'effet technique", bien que cette approche ait été reformulée suite à une suggestion de l'Office des brevets. Elle consiste en quatre étapes : 1. interpréter correctement la revendication ; 2. déterminer la contribution concrète (à l'état de la technique) ; 3. se demander si la contribution entre dans la catégorie des objets exclus ; 4. vérifier si la contribution réelle ou alléguée est de nature technique.
Ayant appliqué ce test au brevet Aerotel, la Cour a défini la contribution comme étant un nouveau système, à savoir un dispositif constituant une entité physique et comprenant différents composants combinés de façon nouvelle. L'invention allait au-delà d'une simple méthode dans le domaine des activités économiques en tant que telle et était clairement de nature technique.
D'autre part, il a été estimé que la demande Macrossan était une méthode dans le domaine des activités économiques en tant que telle, étant donné qu'il s'agissait d'une activité de conseil au sujet de la création de documents commerciaux et de l'établissement de ces documents, activité qui aurait normalement été assumée par un avocat ou un mandataire chargé de la création de sociétés. De plus, l'invention portait sur le fonctionnement d'un programme d'ordinateur et n'impliquait rien de technique en dehors de cela.
La Cour d'appel s'est penchée sur la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB et des juridictions nationales dans d'autres Etats européens, mais a estimé que les décisions des chambres de recours se contredisaient mutuellement, révélant ainsi au moins quatre approches différentes :
1. l'approche fondée sur la "contribution à l'état de la technique" (pour laquelle la Cour d'appel a, en fait, exprimé sa préférence) ;
2. l'approche fondée sur "l'effet technique" (utilisée par la Cour d'appel dans l'affaire Merrill Lynch et donc contraignante en l'absence d'une jurisprudence de l'OEB ayant une force de conviction vraiment persuasive) ;
3. l'approche fondée sur l'utilisation d'un matériel quelconque ("any hardware approach") ; et
4. les variantes de l'approche "any hardware".
La Cour d'appel a estimé qu'il serait souhaitable que le Président de l'OEB soumette cette question de droit à la Grande Chambre de recours et a même formulé plusieurs questions possibles dans le cadre d'une telle saisine.
Note de la rédaction : voir également l'avis G 3/08 de la Grande Chambre de recours, en date du 12.05.2010, JO OBE 2011, 10.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 25 janvier 2008 - Astron Clinica Ltd c. Comptroller General of Patents, Designs and Trade Marks [2008] EWHC 85 (Pat)
Mot-clé : brevetabilité – objet exclu – inventions mises en oeuvre par ordinateur
L'appelant, Astron Clinica, avait déposé un certain nombre de demandes de brevets. Pour chacune d'elles, l'examinateur avait estimé que les revendications de procédé et de dispositif étaient admissibles, mais pas les revendications correspondantes portant sur des programmes d'ordinateur, étant donné qu'elles étaient exclues par l'art. 52 CBE.
Astron Clinica a formé un appel contre la décision de l'examinateur chargé du réexamen de ces affaires, qui avait maintenu le rejet des demandes de brevets en ce qui concernait les programmes d'ordinateur. L'examinateur chargé du réexamen avait considéré que les revendications portant sur des programmes d'ordinateur n'étaient pas brevetables et que les demandes de brevets ne pouvaient pas être acceptées dans leur présente forme. Il convenait de déterminer si des revendications portant sur des programmes d'ordinateur pouvaient faire l'objet d'une délivrance de brevet.
Le Tribunal des brevets a fait droit à l'appel. Il a été jugé que l'approche de l'examinateur chargé du réexamen était erronée et les affaires en cause ont été renvoyées pour poursuite de la procédure.
Selon le juge Kitchin, l'approche que devaient adopter l'Office des brevets et le Tribunal était la suivante :
(a) interpréter correctement la revendication ;
(b) identifier la contribution concrète (à l'état de la technique) ;
(c) se demander si la contribution tombait uniquement dans la catégorie des objets exclus ;
(d) vérifier si la contribution était bien de nature technique, en application de la décision Aerotel Ltd c. Telco Holdings Ltd.
Les revendications portant sur des programmes d'ordinateur n'étaient pas forcément exclues de la brevetabilité par l'art. 52 CBE. Au cas où des revendications portant sur une méthode mise en œuvre par un ordinateur programmé de façon appropriée ou sur un ordinateur programmé pour exécuter la méthode seraient admissibles, alors une revendication portant sur le programme lui-même devait aussi, en principe, être admissible. Il convenait de formuler la revendication de façon à refléter les caractéristiques de l'invention qui assuraient la brevetabilité de la méthode que le programme était destiné à mettre en œuvre quand il était exécuté. Il a été tenu compte de la décision Oneida Indian Nation's Application.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 8 octobre 2008 - Symbian Ltd c. Comptroller General of Patents [2008] EWCA Civ 1066
Mot-clé : exceptions à la brevetabilité – inventions mises en œuvre par ordinateur
La demande en cause, intitulée "Mapping dynamic link libraries in a computer device", a été rejetée par le Directeur Général au motif qu'elle était exclue de la brevetabilité, étant donné qu'elle portait sur "un programme d'ordinateur … en tant que tel". La décision du Directeur Général a été annulée par la Haute Cour et le Directeur Général a fait appel.
La Cour d'appel a pris en considération l'approche générale adoptée par les chambres de recours et le Royaume-Uni dans des affaires où était contesté qu'il faille rejeter une demande de brevet pour l'un ou plusieurs des motifs énoncés à l'art. 52(2) CBE. En dépit du ton désapprobateur adopté dans la décision T 154/04 et dans Aerotel Ltd c. Telco Ltd [2006] EWCA Civ 1371 au sujet de l'approche choisie par l'autre tribunal, la Cour d'appel a estimé qu'il était possible de réconcilier les approches dans ces deux affaires et, de fait, dans la majorité des affaires traitées par les deux juridictions. La troisième étape recommandée dans l'affaire Aerotel (la question de savoir "si la contribution relève uniquement du domaine exclu") revenait pratiquement au même que celle définie dans la décision T 154/04 (la question de savoir "si la contribution est dépourvue de caractère technique"). L'approche choisie dans la décision T 1543/06 concordait aussi avec Aerotel et la décision T 154/04.
Dans l'affaire pendante devant la Cour d'appel, le seul vrai problème était de savoir si la contribution technique (à l'état de la technique) revendiquée pouvait être considérée comme correspondant à l'objet exclu lui-même ou, selon l'approche Aerotel, si la revendication échouait au stade 3 ou 4. Quelle que fût la manière de formuler le problème, il était nécessaire de déterminer d'abord la portée de l'exclusion des "programmes d'ordinateur … en tant que tels" dans l'art. 52 CBE, question intrinsèquement problématique.
Le Directeur Général a fait remarquer qu'il ne se trouvait aucune référence à une quelconque exigence de "technicité" dans l'art. 52 CBE et que les chambres de recours n'en avaient jamais expliqué la signification ni les effets. La Cour d'appel reconnaissait que le fait d'ériger la contribution technique en condition pouvait conduire à la situation potentiellement risquée où il faudrait se demander si une demande satisfaisait à cette condition plutôt qu'aux prescriptions légales, le danger étant d'autant plus grand que le concept de contribution "technique" était imprécis. Mais cela ne voulait pas dire que le test était inutile ou inapproprié. Compte tenu du manque de clarté inhérent au concept de "programmes d'ordinateur … en tant que tels", il était compréhensible, et même souhaitable, que des tribunaux chargés d'appliquer cette expression donnassent des précisions sur son sens. Il était essentiel toutefois que de telles indications fussent claires : sinon, elles présenteraient tous les inconvénients de l'opacité du libellé original, avec l'inconvénient supplémentaire de ne pas fournir de réel test juridique.
En analysant la jurisprudence des autorités britanniques et de l'OEB, pour voir s'il s'en dégageait une conception cohérente ou prédominante de l'étendue de l'exclusion relative aux programmes d'ordinateur, la Cour d'appel a découvert que de récentes décisions des chambres de recours semblaient avoir adopté une interprétation apparemment beaucoup plus restrictive de cette exclusion (T 931/95, T 258/03 et T 424/03). La Cour d'appel, dans Aerotel, a refusé de suivre ces décisions. Il semblerait que trois décisions ultérieures des chambres de recours confirment également l'approche rejetée dans Aerotel (T 154/04, T 1188/04 et T 1351/04). Mais ce n'était pas une raison pour la Cour d'adopter maintenant cette approche des chambres de recours rejetée dans Aerotel.
Premièrement, il n'y avait pas de décision de la Grande Chambre de recours. Cela signifiait non seulement que l'opinion des chambres de recours ne faisait pas absolument autorité, mais suggérait aussi que les chambres de recours n'avaient pas estimé qu'il était temps de trancher la question définitivement. Deuxièmement, les approches suivies dans les quatre décisions depuis Aerotel n'étaient pas identiques, l'une d'elles semblant concorder plus étroitement avec l'opinion défendue dans Aerotel. Troisièmement, si le passage, dans T 1351/04, "le procédé revendiqué nécessite l'utilisation d'un ordinateur. C'est pourquoi il a un caractère technique et constitue une invention..." était représentatif de l'opinion des chambres, l'exclusion relative aux programmes d'ordinateur pourrait bien avoir perdu tout son sens. Quatrièmement, les juridictions anglaises n'étaient pas les seules à s'inquiéter de l'approche des chambres de recours, comme le montrait la remarque hors prétoire de Monsieur Mellulis, juge à la Cour fédérale de justice, lors d'un colloque des juges européens de brevets (sept. 2006) : "Les logiciels ne sont pas brevetables du seul fait qu'ils sont utilisés conjointement à un ordinateur universel". Il a aussi condamné l'utilisation du mot "technique", notamment parce que "quand on évalue des programmes d'ordinateur en tant que tels, l'interaction des programmes avec le dispositif technique rend difficile d'en nier le caractère technique". Cinquièmement, si la Cour d'appel s'avérait prête à s'écarter trop facilement de son approche antérieure, elle risquerait de semer la confusion dans l'ordre juridique.
Ayant appliqué ces principes à l'affaire en question, la Cour d'appel a estimé que, s'agissant de décider si la demande apportait une contribution "technique", les conseils les plus fiables qu'on pût trouver figuraient dans les décisions T 6/83, T 208/84 et T 115/85, ainsi que dans la décision Merrill Lynch's Appn. [1989] RPC 561, et Gale's Application [1991] RPC 305, 323. Il serait dangereux de suggérer que l'on disposait d'une règle claire pour déterminer si un programme était exclu ou non de la brevetabilité par l'art. 52(2)c) CBE. Ceci devait être déterminé dans chaque cas d'espèce sur la base de ses circonstances et caractéristiques particulières.
La Cour a donc rejeté l'appel, estimant que l'invention revendiquée apportait effectivement une contribution technique. Elle ne contenait aucun des éléments spécifiquement exclus par les autres catégories énoncées dans l'art. 52 CBE. De façon plus positive, on pouvait dire que les instructions données permettaient de "résoudre un problème technique inhérent à l'ordinateur lui-même". Le fait que l'amélioration fût censée être apportée aux logiciels installés dans l'ordinateur plutôt qu'au matériel informatique constituant l'ordinateur ne pouvait faire de différence. Un ordinateur équipé de ce programme fonctionnait mieux qu'un ordinateur quelconque appartenant à l'état de la technique. Il n'y avait pas non plus de raison de considérer que la contribution apportée n'était pas technique, étant donné que, dans les décisions T 6/83 et T 115/85, la contribution des deux inventions revendiquées avait été jugée comme étant de nature technique.
B. Exceptions à la brevetabilité
1. Atteintes à l'ordre public et aux bonnes mœurs
DE Allemagne
Tribunal fédéral des brevets du 5 décembre 2006 (3 Ni 42/04) - Cellules précurseurs neuronales
Mot-clé : brevetabilité - exceptions - "ordre public" ou bonnes mœurs - cellules souches
Le défendeur Brüstle, un chercheur spécialiste des cellules souches, était titulaire d'un brevet allemand portant sur des "cellules précurseurs neuronales, leur procédé de fabrication et leur application pour le traitement des troubles neurodégénératifs". La revendication 1 englobait des cellules précurseurs isolées et purifiées, possédant des propriétés neuronales ou gliales, provenant de cellules souches embryonnaires ("SE")et contenant au maximum environ 15 % de cellules embryonnaires primitives non neuronales, qui étaient obtenues en plusieurs étapes : culture de cellules précurseurs neuronales à partir de cellules SE, prolifération des cellules précurseurs neuronales dans un milieu exempt de sérum contenant un facteur de croissance, purification, isolement. Les cellules souches embryonnaires sont obtenues à partir de cellules germinales embryonnaires d'un groupe qui englobe la souris, le rat, le hamster, le porc, le bœuf, le primate et l'homme. Le demandeur Greenpeace a estimé que le brevet en cause était nul parce que contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, dans la mesure où ses revendications portaient sur des cellules précurseurs neuronales obtenues à partir de cellules souches embryonnaires humaines.
Selon le Tribunal, en règle générale, l'examen de la validité d'un brevet en procédure de nullité est effectué sur la base du droit en vigueur au moment de la délivrance du brevet, qui est généralement le même qu'à la date de dépôt ou de priorité. Toutefois, ce principe ne s'applique pas dans le cas où la cause de nullité est la non-brevetabilité en raison de la violation de l'ordre public ou des bonnes mœurs, ce qui résulte de l'esprit de cette exclusion de la brevetabilité. Contrairement aux autres causes de nullité, celle-ci ne se rapporte pas à l'invention elle-même et à l'examen technique à effectuer sur la base de la situation juridique à la date de dépôt ou de priorité, mais à l'exploitation de l'invention après la délivrance du brevet.
Selon le Tribunal, le brevet en cause revendiquait explicitement les embryons humains comme source à partir de laquelle pouvaient être obtenues des cellules souches embryonnaires. Il ne s'agissait donc pas seulement d'une forme hypothétique d'exploitation de l'invention, qu'il ne faudrait pas sous-entendre au détriment du défendeur, mais d'un mode d'exploitation adéquat qu'il a lui-même indiqué. Il serait contraire à l'esprit des dispositions du § 2 Loi allemande sur les brevets concernant l'exclusion de la brevetabilité de mettre de côté l'exploitation prévue explicitement par le titulaire et de reconnaître la brevetabilité en totalité, eu égard aux formes admissibles d'exploitation à partir de cellules souches embryonnaires animales ou de cellules germinales embryonnaires humaines, y compris la brevetabilité de la partie de l'invention qui est contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs.
En vertu du § 8(1) Loi allemande sur la protection des embryons, le mot embryon au sens de cette loi désigne, entre autres, toute cellule totipotente extraite d'un embryon, qui, en présence des autres conditions requises, est capable de se diviser et d'engendrer un nouvel individu. Quant aux cellules souches pluripotentes, le Tribunal a indiqué qu'il s'agissait, d'après les indications contenues dans le fascicule du brevet en cause, de cellules précurseurs qui ont la faculté de se différencier en de nombreux types de cellules adultes différentes. Il y avait déjà de bonnes raisons de douter que les revendications remplissent la condition de suffisance de l'exposé et que l'homme du métier ait pu, à la date de dépôt, comprendre que les cellules souches totipotentes, les seules mentionnées dans le brevet, étaient censées couvrir aussi les cellules souches pluripotentes. En effet, les cellules souches en question étaient non seulement systématiquement décrites dans le brevet comme étant exclusivement des cellules totipotentes, mais de plus il y était expressément fait une distinction, dans le contexte des définitions des termes employés, entre pluripotent et totipotent. De plus, il n'était indiqué aucune méthode d'obtention des cellules souches embryonnaires humaines, qui aurait permis à l'homme du métier de reconnaître à la date de dépôt quel type de cellules souches il était recommandé d'utiliser dans le brevet en cause.
De l'avis du Tribunal, cette question pouvait toutefois être laissée de côté pour la décision sur l'action en nullité, étant donné que, indépendamment de la question de la totipotence ou pluripotence des cellules souches ou de l'utilisation de lignes de cellules SE, leur obtention nécessitait forcément, à la date de dépôt, de détruire des embryons. Le défendeur n'avait pas soumis d'arguments pour convaincre le Tribunal du contraire et il ne semblait pas qu'un changement majeur soit intervenu dans cet état de fait avant que soit rendue la décision sur la nullité. Le brevet Brüstle a donc été déclaré nul.
Note de la rédaction : dans le cadre d'une procédure d'appel, la Cour fédérale de justice allemande a décidé, le 17 décembre 2009, de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne des questions sur l'interprétation de la notion d'"embryon humain" notamment, non définie par la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Il s'agissait de savoir si l'exclusion de la brevetabilité de l'embryon humain concerne tous les stades de la vie à partir de la fécondation de l'ovule, ou si d'autres conditions doivent être remplies, par exemple le fait qu'un certain stade de développement soit atteint.
Le 18 octobre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu son arrêt dans l'affaire Oliver Brüstle c. Greenpeace e.V. (affaire C-34/10). Selon cet arrêt, l'embryon humain est exclu de la brevetabilité à tous les stades de la vie à partir de la fécondation de l'ovule. La Cour a interprété de manière très large la notion d'"embryon humain", se référant à cet égard au but de la directive 98/44/CE, qui est, selon la Cour, d'exclure toute possibilité de brevetabilité dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté. Il en résulte que les termes d'"embryon humain" couvrent tout ovule humain, dès qu'il est fécondé et totipotent, ainsi que tout ovule humain non fécondé qui a été rendu totipotent par des moyens artificiels. S'agissant des cellules souches obtenues à partir d'un embryon humain au stade du blastocyste, la Cour a déclaré qu'il appartient à la juridiction nationale de déterminer, à la lumière des développements de la science, si elles sont de nature à déclencher le processus de développement d'un être humain et si, par conséquent, elles relèvent de la notion d'"embryon humain". De plus, la Cour a rejeté toute protection par brevet pour la recherche scientifique. Même si le but de la recherche scientifique doit être distingué des fins industrielles ou commerciales, les activités de recherche qui utilisent des embryons humains sont intrinsèquement liées à un brevet lorsqu'elles constituent l'objet de la demande à l'origine de ce brevet. La Cour a cependant énoncé une exception, à savoir que l'utilisation d'embryons humains ne devrait pas être exclue de la brevetabilité si elle est destinée à des fins thérapeutiques ou de diagnostic utiles à l'embryon humain et applicables à celui-ci, en vue par exemple de corriger une malformation.
2. Méthodes de traitement médical
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 19 décembre 2006 (X ZR 236/01) - Carvedilol II
Mot-clé : brevetabilité - exceptions - méthode de traitement - administration d'une substance
La présente affaire concernait des revendications qui, à côté des caractéristiques de la substance active à administrer (Carvedilol) et de l'indication médicale (défaillance cardiaque congestive), contenaient également des instructions sur le mode d'administration (une fois par jour pendant 7 à 28 jours, avec une augmentation de la posologie jusqu'à une dose maximale, entre autres). Le Tribunal fédéral des brevets avait fait droit à la demande d'annulation du brevet en cause, décision contre laquelle la titulaire, qui défendait son brevet dans une version limitée admissible, avait fait appel.
La Cour fédérale de justice a décidé que le brevet dans sa forme limitée n'était pas brevetable. L'administration en tant que telle d'un médicament destiné au traitement d'une maladie spécifique est une méthode de traitement thérapeutique appliquée au corps humain. Elle n'est pas un élément de la préparation d'une substance en vue de son administration thérapeutique. L'établissement d'un programme de thérapie adapté individuellement à un patient, y compris la prescription et la posologie d'un médicament, fait partie de l'activité caractéristique du médecin traitant et est, à ce titre, une méthode de traitement exclue de la brevetabilité en vertu de l'art. 52(4) CBE et du § 5(2) Loi allemande sur les brevets. Certes, une revendication d'utilisation est envisageable pour la préparation d'une substance spécifique en vue de son administration thérapeutique, comme précisé dans la notice explicative fournie lors de la vente ou dans l'indication d'administration figurant sur la boîte. Il n'en résulte pas cependant que la seule recommandation de posologie, dénuée de tout rapport avec la préparation de la substance active, soit brevetable. Si une recommandation de posologie exclue de la brevetabilité constitue l'une des caractéristiques d'une revendication, il ne faut pas en tenir compte, en tout cas, pour l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive. La question demeure ouverte de savoir si l'introduction de la recommandation de posologie dans les caractéristiques entraîne la non-brevetabilité de la revendication considérée dans son ensemble (divergence par rapport à la jurisprudence de l'OEB).
Par contre, il n'y a pas d'objection contre l'admissibilité des revendications du brevet figurant dans la requête subsidiaire 2, visant à protéger l'utilisation d'une substance chimique (fabrication de comprimés de taille adaptée) en vue du traitement thérapeutique du corps humain. Ces revendications ne se heurtent pas à l'exclusion de la brevetabilité affectant les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique appliquées au corps humain ou animal.
Sur la nouveauté :
Dans ce contexte, la protection par brevet s'appuie uniquement sur l'objectif spécifique d'abaissement de la mortalité grâce à l'utilisation de la substance Carvedilol, déjà connue comme médicament, en combinaison avec l'administration standard tout aussi connue des trois autres médicaments mentionnés dans le domaine connu du traitement de l'insuffisance cardiaque. D'emblée, il paraît douteux que la nouveauté de l'enseignement du brevet puisse résulter ici de cette seule indication thérapeutique. En outre, le terme de nouveauté est un terme du droit des brevets à caractère normatif. Il est donc sans importance que le terme, non utilisé par la CBE, d'indication thérapeutique soit défini dans le langage médical comme étant l'objectif thérapeutique poursuivi avec le traitement d'une maladie donnée et pas seulement par la maladie elle-même et le traitement thérapeutique. Ce qui importe, dans l'esprit de l'art. 54(5) CBE, c'est que l'utilisation d'une substance pour l'application d'une des méthodes citées dans l'art. 52(4) CBE ne fasse pas partie de l'état de la technique. Que cette condition puisse être remplie par d'autres applications thérapeutiques inconnues jusque-là pour la même symptomatique, n'est pas évident, eu égard à la finalité de ces dispositions.
Sur l'activité inventive :
De nombreuses publications montrent qu'il a été question du Carvedilol, précisément en raison de ses propriétés vasodilatatrices, comme d'une thérapie très prometteuse dans le traitement de l'insuffisance cardiaque avec des bêtabloquants. Proposer de préparer le médicament pour l'administrer selon la posologie des revendications de la requête subsidiaire 2, en tout cas, ne reposait pas sur une activité inventive. L'introduction progressive de bêtabloquants, et notamment du Carvedilol, dans le traitement de l'insuffisance cardiaque, pour ce qui était de la posologie et de la durée de traitement, qui se distinguaient tout au plus en des points mineurs de la posologie de la défenderesse et ne présentaient pas de caractère inventif par rapport à elle, était également documentée dans l'état de la technique.
DE Allemagne
Tribunal fédéral des brevets du 6 mars 2008 (21 W (pat) 45/05) - Procédé d'orientation sur l'état de santé
Mot-clé : exceptions à la brevetabilité – méthode de diagnostic
Le problème posé dans la demande en cause était de mettre à disposition un procédé et un dispositif d'orientation sur l'état de santé d'une personne, ainsi qu'un programme d'ordinateur, pour permettre à l'utilisateur d'examiner son propre état de santé et de poser au moins un premier diagnostic en vue d'éviter les maladies ou de les reconnaître à un stade précoce. Le demandeur du brevet concerné estimait que les revendications de procédé selon la requête principale et la requête subsidiaire 1 ne concernaient pas une méthode de diagnostic et que l'objet de ces revendications était nouveau et inventif. Il a donc demandé d'annuler la décision de la division d'examen de l'Office allemand des brevets.
Le Tribunal fédéral des brevets a jugé le recours non fondé, étant donné que les procédés revendiqués tombaient sous le coup de l'exclusion de la brevetabilité en tant que méthodes de diagnostic :
Les méthodes de diagnostic sont des procédés appliqués au corps humain ou animal vivant dans un but médical, qui servent à reconnaître, à localiser ou à exclure des états pathologiques et dont les résultats peuvent ensuite être la base d'un traitement thérapeutique. Etant donné que beaucoup de maladies se caractérisent par des symptômes non spécifiques, le médecin traitant tente de limiter le nombre des diagnostics possibles en procédant par élimination grâce à des examens supplémentaires, en essayant d'abord d'exclure les maladies présentant un grave danger pour la vie du patient. L'analyse des résultats des examens médicaux et des symptômes, quand il y a peu de résultats ou des résultats peu clairs, peut donc conduire à diagnostiquer un état pathologique non précisé ou à poser de nombreux diagnostics possibles. Le rattachement des résultats analysés à une maladie précise peut donc varier sensiblement, allant du diagnostic reconnaissant clairement une pathologie précise à la conclusion que le patient est malade, sans pouvoir associer les résultats observés à une pathologie particulière, en passant par la simple exclusion de certaines maladies. S'appuyant sur la jurisprudence de la Grande Chambre de recours, le Tribunal fédéral des brevets a donc distingué, dans une méthode de diagnostic, les étapes suivantes :
(i) examen comportant le prélèvement de données, (ii) comparaison de ces données avec les valeurs normales, (iii) constatation d'une divergence suite à cette comparaison, (iv) interprétation de la divergence comme relevant d'un état pathologique. Un procédé d'orientation sur l'état de santé d'une personne qui revendique les étapes susmentionnées, tombe sous le coup de l'exclusion du § 5(2), Loi allemande sur les brevets (ancienne version).
On est déjà en présence d'un état pathologique au sens de l'étape (iv) quand le procédé montre, par les données prélevées, un état anormal au sens de "pas en bonne santé" par rapport aux valeurs normales de référence. L'intervention d'un médecin n'est pas nécessaire, de sorte que les méthodes automatisées ou celles qui permettent d'effectuer son propre diagnostic peuvent également être exclues de la brevetabilité. La condition selon laquelle la méthode de diagnostic doit s'appliquer au "corps humain ou animal" est remplie dès que l'étape (i) est pratiquée à partir du corps humain ou animal.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 31 août 2010 (X ZB 9/09) - Procédé d'imagerie destiné à assister la pose d'un cathéter
Mot-clé : exceptions à la brevetabilité – méthodes de traitement chirurgical
L'invention portait sur un procédé d'imagerie destiné à assister le cheminement guidé, dans un organe creux du corps humain ou animal, d'un instrument médical introduit de manière invasive comme cathéter dans l'organe creux, à un endroit qui présente une pathologie. Le Tribunal fédéral des brevets avait considéré la pose d'un cathéter comme une méthode de traitement chirurgical du corps humain ou animal et avait exclu la délivrance d'un brevet en vertu du § 2a(1), point 2, 1ère phrase, Loi allemande sur les brevets.
La Cour fédérale de justice a décidé que la méthode ne tombait pas sous le coup de l'exception à la brevetabilité. En effet, le cheminement guidé de l'instrument médical introduit de manière invasive comme cathéter dans un organe creux du corps humain ne faisait pas partie des caractéristiques de l'enseignement revendiqué. Ni les revendications formulées ni l'ensemble des pièces de la demande ne se consacraient d'une quelconque façon aux modalités de la pose du cathéter, mais supposaient seulement qu'un tel examen était effectué, comme processus situé en dehors de l'objet du procédé revendiqué. Certes, il existait un étroit rapport technico-médical avec l'examen effectué, mais cela ne changeait rien au fait que la revendication effectuait une distinction matérielle entre le procédé d'imagerie et la pose du cathéter.
Sur ce point, le présent procédé se distinguait de celui auquel se rapportait le point 1 du sommaire de la décision G 1/07 de la Grande Chambre de recours de l'OEB du 15 février 2010. Là, il s'agissait d'un procédé d'imagerie appliqué à l'IRM des poumons et/ou des vaisseaux coronaires nécessitant l'administration de xénon polarisé, à savoir, entre autres, par injection dans une région du cœur. Cette mesure, dans laquelle la Grande Chambre de recours a vu une méthode de traitement chirurgical du corps humain, faisait partie intégrante du procédé d'imagerie revendiqué alors et n'était pas, comme en l'espèce, un processus situé en dehors d'un tel procédé. A cet égard, la Cour fédérale de justice partageait l'avis de la Grande Chambre de recours de l'OEB dans la décision G 1/07, selon laquelle l'art. 53c) CBE exclut la brevetabilité des méthodes de traitement chirurgical, mais pas celle des procédés pouvant être utilisés dans le contexte de la mise en œuvre de telles méthodes.
FR France
Cour d'appel de Paris du 28 juin 2006 (05/07852) - Lely c. Delaval
Mot-clé : méthode de traitement thérapeutique
Le TGI Paris a par jugement du 10 décembre 2004 rejeté la demande d'annulation de la partie française du brevet européen EP 0 535 754 ayant pour titre "Dispositif de traite d'animaux et procédé pour le post-traitement de pis de l'animal". A noter que par décision du 21 février 2002, la Chambre de recours de l'OEB avait rejeté l'opposition formée par la société D à l'encontre de ce brevet.
La revendication 11 protégeait un procédé de post-traitement des trayons d'un animal venant d'être trait dans un dispositif de traite automatique. La société D a soulevé la nullité de cette revendication pour défaut d'application industrielle, au visa des art. L. 611-15 et L. 611-16 CPI, faisant valoir que le procédé revendiqué constituait une méthode de traitement thérapeutique.
Mais la Cour d'appel a considéré que la société L a répliqué à juste titre que l'invention ne constitue pas une méthode de traitement thérapeutique destinée à l'animal mais un procédé applicable industriellement permettant d'effectuer une traite dans le respect des règles d'hygiène, même si la pulvérisation d'un agent désinfectant a une visée prophylactique. Ce procédé n'entre donc pas dans le champ d'application de l'art. L. 611-16 CPI.
FR France
Cour d'appel de Paris du 13 juin 2008 (07/12143) - K. c. MTEC
Mot-clé : méthode de traitement thérapeutique
Le brevet européen opposé avait pour objet un dispositif électronique destiné à la stimulation adrénergique du système sympathique relatif à la média veineuse et plus spécialement de celle des muscles lisses du tissu vasculaire permettant de suivre de façon souple et fiable l'efficacité du traitement au moment de son application.
Selon la société M l'invention ne pouvait être jugée brevetable dans la mesure où elle ne présente pas une application industrielle, au sens de l'art. L. 611-10 du CPI par référence à l'exclusion des méthodes de traitement du corps humain prévue à l'art. L. 611-16 CPI.
La Cour juge que le brevet porte non pas sur une méthode thérapeutique mais sur un dispositif qui a, certes, pour but d'améliorer un traitement, mais qui définit les moyens pour y parvenir, mettant en œuvre une technique ; qu'il présente bien, quel qu'en puisse être l'intérêt, une application industrielle.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 6 octobre 2009 (07/16446) - Teva c. Sepracor
Mot-clé : médicament - application thérapeutique - description suffisante - effet thérapeutique
La société T a assigné la société S devant le TGI de Paris afin de voir annuler la partie française du brevet EP 0 663 828, pour insuffisance de description ; il ne divulgue aucune expérience ou explication plausible susceptible de démontrer les effets allégués. La société S réplique que les arguments formulés par la société T sont dépourvus de toute pertinence compte tenu de l'absence d'exigence de la preuve ou de la démonstration d'un résultat thérapeutique.
Le brevet porte sur l'utilisation de la lévocétirizine pour la fabrication d'un médicament destiné au traitement des rhinites allergiques ou de l'asthme allergique. Le Tribunal rappelle que la cétirizine est une molécule chirale susceptible d'exister sous la forme de deux énantiomères. Une solution chimique qui comprend deux énantiomères de la même molécule en quantités égales est appelée forme racémique (ou racémate) et comme l'indique la description du brevet, il était connu, à la date de priorité, d'utiliser de la cétirizine sous sa forme racémique comme médicament pour le traitement des symptômes allergiques. Le brevet prétend donc être basé sur la découverte que la lévocétirizine posséderait des propriétés supérieures à la forme racémique et l'invention couverte par le brevet résiderait dans l'utilisation de la lévocétirizine pour le traitement de la rhinite allergique et de l'asthme allergique, de façon au moins aussi efficace qu'avec la cétirizine tout en induisant une diminution notable d'un certain nombre d'effets secondaires liés à l'utilisation de cette substance.
Sur l'insuffisance de description, le Tribunal énonce au visa de l'art. 138 CBE que dans le domaine pharmaceutique, la suffisance de la description de l'invention de médicament implique l'indication des propriétés pharmacologiques et d'une ou plusieurs applications thérapeutiques.
En l'espèce, la description du brevet expose le problème technique qu'il est sensé résoudre et le résumé de l'invention décrit la solution apportée.
Si comme le relève la société S, le brevet enseigne bien l'utilisation de la lévocétirizine pour la préparation d'un médicament destiné au traitement des rhinites allergiques ou de l'asthme allergique, le Tribunal énonce qu'il apparaît à la lecture de la description du brevet qu'elle ne comporte aucune information technique étayant les affirmations contenues dans la demande, notamment des expériences ou des explications plausibles susceptibles de démontrer les effets allégués impliquant une réelle activité inventive de la part de la société S, qui de toute évidence n'avait mis en oeuvre, à la date du dépôt, aucune expérience ou aucun test visant à démontrer que la lévocétirizine était plus efficace (ou présentait moins d'effet secondaires) que la cétirizine sous sa forme racémique.
Selon le Tribunal, il en résulte que la société S s'est contentée de spéculer sur l'utilité pharmaceutique de l'un des deux énantiomères. Lorsque les textes exigent une suffisance de description, ils obligent l'inventeur, en matière de pharmacologie, non pas à démontrer le résultat mais à indiquer que ce résultat a été recherché et existe. L'absence de toute mention de recherche et de résultat est la démonstration du caractère spéculatif de la demande de brevet et a pour conséquence de cacher l'absence d'activité inventive.
C'est pourquoi dans un second temps, la société S a tenté de démontrer qu'elle a fait preuve d'activité inventive car selon elle, l'homme du métier pensait que les énantiomères engendreraient les mêmes inconvénients en termes d'effets sédatifs que le racémate et qu'il n'était donc pas évident qu'il oriente ses recherches vers les énantiomères de la cétirizine mais plutôt vers la modification de la structure de la cétirizine. Dès lors, le seul fait que sa demande de brevet enseigne l'utilisation de la lévocétirizine, énantiomère de la cétirizine, pour le traitement des allergies en réduisant les effets secondaires de cette dernière, est la preuve selon elle de son activité inventive. Cependant, selon le Tribunal, il ne suffit pas d'affirmer que le raisonnement le plus logique pour l'homme du métier n'était pas celui que l'on a suivi pour démontrer que l'on a fait preuve d'une activité inventive, il faut avoir fait une réelle invention, c'est-à-dire apporter une solution technique concrète à un problème technique donné et cela suppose au moins un minimum d'expérimentation et de test, absents en l'espèce.
En outre, l'existence de la demande de brevet "sœur" WO-A-94/06429 du brevet en cause tend à établir qu'à la date de dépôt de ces demandes, la société S n'avait aucune information qui lui permettait de décider lequel des deux énantiomères était le plus efficace (ou présentait le moins d'effets secondaires), ou même si un des deux énantiomères était plus efficace (ou présentait moins d'effets secondaires) que la forme racémique.
Le dépôt ultérieur de preuves expérimentales ne peut pallier cette carence, en décider autrement impliquerait d'une part qu'il est possible de breveter une idée, une intuition et d'autre part que la reconnaissance d'un objet revendiqué comme une solution à un problème particulier pourrait varier dans le temps. Ce serait en contradiction avec le principe selon lequel l'activité inventive, comme tous les autres critères de brevetabilité, doit être vérifiée à la date effective du brevet.
Par conséquent, même si des éléments supplémentaires publiés postérieurement peuvent également être pris en considération, ils ne peuvent pas servir de base unique pour démontrer la réalité de l'activité inventive revendiquée. Enfin, le Tribunal relève que les tests communiqués à l'appui des deux demandes ainsi que ceux communiqués à l'appui de sa demande "sœur" font référence à des tests contenus dans une demande postérieure de brevet américaine US 5,478,894 déposée par un tiers.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Tribunal a fait droit à la demande d'annulation du brevet EP 0 663 828 en toutes ses revendications pour insuffisance de description.
C. Nouveauté
1. Détermination de l'état de la technique
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 28 avril 2010 (OBp 2/09)
Mot-clé : nouveauté – accessibilité au public – usage antérieur public
Dans cette affaire, l'invention concernait un matériau de remplissage. Le matériau avait été décrit avant le dépôt de la demande dans deux rapports de tests et avait été transmis à plusieurs services de l'administration de la ville de Vienne. En outre, le matériau avait été utilisé dans plusieurs chantiers d'essai. Le requérant a contesté la nouveauté de l'invention.
Concernant les rapports de tests :
La Chambre suprême des brevets et des marques a renvoyé à un certain nombre de commentaires et à la jurisprudence de la Cour fédérale de justice et des chambres de recours de l'OEB et a clarifié qu'on est en présence d'un savoir non accessible au public quand il n'est connu que d'un faible nombre de personnes, qui en gardent le secret. A cet égard, l'obligation de confidentialité à elle seule ne suffit pas ; ce qui importe, c'est qu'elle soit respectée. Il y a généralement lieu d'admettre que c'est le cas, tant qu'il n'existe pas d'indices que la confidentialité a effectivement été violée. Une obligation de confidentialité peut résulter d'une convention tacite, dont on peut généralement admettre l'existence quand plusieurs personnes ou entreprises coopèrent au développement et à la mise à l'essai d'un nouveau procédé technique. En effet, dans ce cas, il existe d'ordinaire un intérêt commun de toutes les parties intéressés à maintenir secrète l'invention vis-à-vis des tiers. La Chambre suprême des brevets et des marques a conclu que c'était ici le cas.
Concernant les chantiers d'essai :
Un brevet est rendu accessible au public par un usage si, de ce fait, un cercle non limité de personnes a eu la possibilité réelle, c'est-à-dire non purement théorique d'en prendre connaissance. Si le brevet porte sur la composition d'un produit, il y a divulgation destructrice de la nouveauté quand le produit lui-même a été rendu accessible au public et qu'un homme du métier pouvait l'analyser et le reproduire. En revanche, la possibilité de voir le nouveau produit ne signifie l'accessibilité au public que si un homme du métier reconnaît les spécificités techniques par simple inspection visuelle. La Chambre suprême des brevets et des marques en a tiré la conclusion que, dans le cas d'un matériau de remplissage utilisé sur des chantiers commandités par des pouvoirs publics, il n'y avait qu'une possibilité théorique d'en prendre connaissance.
BE Belgique
Tribunal de première instance de Bruxelles du 19 décembre 2008 - Lefebvre c. Bogaert
Mot-clé : nouveauté - antériorité divulguée sur internet
L est titulaire d'un brevet d'invention belge pour un "dispositif thermodermique de massage et d'amaigrissement". Ce brevet d'invention concerne un appareil appliquant un procédé destiné à la physiothérapie consistant à aspirer la peau et à y injecter de manière concomitante un faisceau rouge et infrarouge de forte puissance initiant la lipolyse des adipocires.
Quant à la nouveauté de l'invention, le Tribunal énonce que B soutient que l'invention ne serait pas nouvelle parce qu'il existait déjà plusieurs applications du procédé d'amaigrissement basées sur les pouvoirs des rayons infrarouges. Pour ce faire, B invoque la pièce 13 du dossier, constituée de différentes pages "web". Le Tribunal juge toutefois que ces pages, dont l'impression est datée du 9 mai 2007, ne permettent pas d'établir, en toute certitude, la date d'invention et de mise sur le marché des machines qui y sont présentées, en sorte qu'une éventuelle antériorité par rapport à l'invention brevetée par L n'est pas établie.
Quant à l'application industrielle, le Tribunal énonce que B soutient encore que le brevet ne serait pas valable au motif que l'invention selon la demande de brevet de L "concerne une machine destinée à raffermir la peau, à augmenter la circulation sanguine dermique et à diminuer les amas graisseux", alors que l'art. 7 Loi belge sur les brevets dispose que les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique ne peuvent être considérées comme des inventions susceptibles d'application industrielle. Ce faisant, B perd manifestement de vue, selon le Tribunal, que le brevet concerne l'appareil et non le traitement qu'il permet d'appliquer.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 29 juin 2010 (X ZR 49/09) - Unité de traction pour une machine d'étirage II
Mot-clé : état de la technique – longue stagnation de la technologie
Le brevet en cause concernait une unité de traction pour une machine d'étirage destinée à l'usage dans le domaine de l'étirage des métaux en continu. Pour obtenir le haut degré de pression requis, les chaînes d'entraînement coopéraient avec des guides (rigides), qui sont prévus à l'intérieur des ellipses formées par les chaînes d'entraînement le long de la zone de traction. D'après la description, pour éviter le problème du frottement entre les guides rigides et les chaînes d'entraînement, il existait plusieurs solutions connues de l'état de la technique, qui consistaient essentiellement à substituer au frottement lié au glissement le frottement nettement inférieur lié au roulement. A cet égard, le brevet en cause prévoyait entre les chaînes et les guides rigides des rouleaux de support de charge, qui étaient associés pour former une chaîne continue (en anneau) et qui, dans cet agencement, suivaient le mouvement des chaînes d'entraînement, sachant qu'ils sont disposés entre les surfaces de glissement des maillons et les guides rigides. En première instance, le Tribunal fédéral des brevets avait prononcé la nullité de l'objet litigieux.
La Cour fédérale de justice a elle aussi estimé que l'objet revendiqué n'était pas brevetable, faute d'activité inventive. La Cour n'a pas pu se rallier à l'avis des défenderesses selon lequel l'homme du métier, à la date de priorité, n'aurait pas consulté une demande déposée en 1949, ne serait-ce que parce qu'il s'agissait d'un document ancien et qu'il ne pouvait en attendre des suggestions pour un perfectionnement quelconque. Lorsque l'état de la technique a stagné pendant longtemps avant la date de priorité d'une nouvelle invention (ici : longs cycles de développement constatés dans le domaine technique considéré), la question de savoir si c'est un indice ou non de ce que la nouvelle invention découle, pour l'homme du métier, de façon évidente de l'état de la technique dépend des circonstances du cas particulier.
Même si les publications introduites dans la procédure concernaient un état de la technique portant sur d'autres types de machine, l'homme du métier soucieux d'améliorer les unités de traction pour machine d'étirage les aurait prises en considération à la date de priorité. En raison de sa formation et de sa qualification, on doit attendre de lui qu'il procède d'une manière systématique, qui ne se limite pas à l'état de la technique directement concerné, mais qui inclut aussi un état de la technique plus éloigné, duquel il peut en principe escompter les solutions dont il a besoin, en raison du genre de problèmes qui s'y posent, même si les exigences peuvent fortement varier dans les détails.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 13 octobre 2006 (04/07666) - Asahi c. General Electric
Mot-clé : nouveauté - caractéristiques implicites
En l'espèce, la société G est titulaire du brevet européen EP 0 685 527 intitulé "Composition thermoplastique de mélanges compatibilités de polyphenylether-polyamide et noir de carbone conducteur d'électricité". La société A a formé une demande en nullité de la partie française de ce brevet dans l'ensemble de ses revendications tant pour insuffisance de description que pour défaut de nouveauté et d'activité inventive. Par rapport à la nouveauté, la société A soutient que la revendication 1 est nulle pour défaut de nouveauté au regard des enseignements du brevet japonais ISHIDA ayant pour titre "Mélange de résines électroconductrices".
Le Tribunal rappelle que pour affecter la nouveauté d'une invention, l'antériorité doit être certaine et totale, c'est-à-dire la divulguer dans tous ses éléments constitutifs, forme, agencement et fonctionnement, en vue du même résultat technique, de manière à permettre à l'homme du métier de la mettre en œuvre ; qu'elle ne doit pas être interprétée. Le Tribunal ajoute que si l'absence de nouveauté peut ressortir de ce qui est implicitement contenu dans un document de l'art antérieur, les caractéristiques qui ne sont pas expressément revendiquées doivent résulter sans ambiguïté de la mise en œuvre des enseignements de ce document.
Pour démontrer que ce brevet comporterait de façon implicite les autres caractéristiques de la revendication du brevet contesté et en particulier la résistivité en volume et la résistance aux chocs, la société A a fait procéder à différents essais. Selon le Tribunal, force est cependant de constater qu'aucun des essais réalisés avec la composition et le procédé ISHIDA n'a permis de mettre en évidence les propriétés du brevet de la société G.
En conséquence, le Tribunal conclut que la société A n'était pas fondée à soutenir que le brevet ISHIDA détruirait la nouveauté du brevet G, fût-ce par le biais d'éléments implicitement contenus dans le document de l'art antérieur. En définitive cependant, le Tribunal juge qu'il y avait lieu de prononcer la nullité de la partie française du brevet contesté dans l'ensemble de ses revendications, faute d'activité inventive.
FR France
Cour de cassation du 7 octobre 2008 (07-17518) - SMCA c. SAT
Mot-clé : nouveauté - état de la technique - clause de confidentialité
La société S, titulaire d'un brevet français, a assigné en contrefaçon la société T qui a reconventionnellement demandé la nullité du brevet. La Cour d'appel a prononcé la nullité.
La Cour de cassation juge que la Cour d'appel a relevé que si l'ensemble des plans adressés par la société T portent la mention de leur caractère confidentiel, la proposition du 21 octobre 1998, incluant le descriptif de l'installation, est assortie d'une simple clause de propriété, et peut donc être prise en compte au titre des antériorités dans l'appréciation de l'inventivité du brevet S. Ainsi, la Cour d'appel a apprécié souverainement la volonté des parties, sans dénaturer l'art. 1er des conditions générales de vente annexées à la proposition.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société S.
IT Italie
Tribunal de première instance de Florence du 29 décembre 2005 (17178/2005) - Barbieri c. Bacci
Mot-clé : nouveauté – coordination d'éléments connus – inventions de "transposition"
L'exigence de nouveauté n'implique pas une originalité ni une créativité absolue par rapport à l'état de la technique. La nouveauté peut également être présente dans une coordination originale et intelligente d'éléments et de moyens connus, lorsque cette coordination donne lieu à une réalisation techniquement nouvelle et économiquement utile (appelée invention de combinaison), à une solution différente et moins onéreuse face à des problèmes techniques résolus jusqu'à présent d'une autre manière (inventions d'amélioration) et à la transposition d'un principe connu ou d'une invention antérieure dans un domaine différent ou en vue d'un résultat final différent (inventions de transposition). Une invention de transposition est une invention où l'application d'un produit ou d'un procédé connu à des produits ou procédés différents génère des résultats nouveaux et imprévisibles, différents de ceux obtenus avec l'invention antérieure.
Une invention de transposition est évaluée sur la base d'une analyse visant à déterminer si la combinaison d'éléments et de moyens connus permet d'obtenir de manière originale et intelligente un résultat nouveau et économiquement utile qui n'aurait pas été obtenu auparavant. L'invention doit présenter des caractéristiques de qualité, par exemple une avancée technologique originale, aussi bien au moment de sa création intellectuelle qu'au moment de sa transposition pratique en un résultat économico-industriel. La transposition d'une idée inventive, d'une méthode ou d'un produit à partir de son domaine technique d'origine peut conduire à une invention brevetable uniquement si et dans la mesure où cette transposition donne lieu à une réalisation nouvelle et différente par rapport à celle qu'il est possible d'obtenir directement en appliquant les principes découlant de l'état de la technique. Cette invention doit donc impliquer une activité inventive visant à surmonter les problèmes techniques implicites dans la transposition proprement dite.
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 9 décembre 2009 - Intervet c. Merial
Mot-clé : activité inventive - antériorité
Les brevets européens de Merial (EP 1 281 760, EP 1 386 617) mis en cause dans cette affaire portent sur l'isolement d'un nouveau type de virus responsable du développement du syndrome de dépérissement généralisé de post-sevrage chez les porcs (en anglais PMWS, déjà connu jusqu'à la date de priorité en 1997). Intervet a mis en cause la validité de l'invention en se référant à un document de l'état de la technique qui était supposé divulguer les mêmes informations.
Reconnaissant que le document cité faisait partie de l'état de la technique, le Tribunal a considéré que l'isolement de ce nouveau type de virus ne présentait pas d'activité inventive. Même si les exigences visant à qualifier un nouveau type de virus tel qu'exposé dans le document de l'art antérieur ne sont pas clairement définies, l'homme du métier se sent incité à orienter ses recherches vers l'isolement de nouvelles variantes au lieu de celles déjà connues. En outre, le Tribunal n'a pu se rallier à l'avis du titulaire du brevet selon lequel l'isolement d'un nouveau virus en tant que tel a un caractère inventif. Pour appuyer son argument, le titulaire du brevet s'est fondé sur la décision T 1231/01 concernant une invention similaire, avec une date de priorité en 1992. Dans cette décision, la chambre de recours avait considéré comme inventif l'isolement d'une chaîne de virus spécifique en tant qu'élément de vaccin destiné à protéger les porcs contre le syndrome reproducteur et respiratoire.
Selon le Tribunal, cependant, il n'est pas possible d'en conclure que l'isolement d'un virus revêt systématiquement et sans réserve un caractère inventif. Cette évaluation dépend plutôt des connaissances et des compétences dont dispose l'homme du métier à la date de priorité. Etant donné l'écart de cinq années entre les dates de priorité dans les deux affaires et la rapidité d'évolution de ce domaine, l'homme du métier de 1997 avait beaucoup plus de connaissances et de compétences. Dans le cas présent, le document de l'état de la technique fournissait des informations suffisantes et permettait donc d'isoler le nouveau type de virus, d'autant plus qu'autour de la date de priorité, trois autres équipes de chercheurs avaient réussi à établir la séquencen ADN du virus.
NL Pays-Bas
Cour d'appel de La Haye (Gerechtshof te 's-Gravenhage) du 13 juillet 2010 - Clyde Bergemann c. Magaldi
Mot-clé : nouveauté – état de la technique - accessibilité au public - inspection publique
Dans les procédures de recours contre la décision du Tribunal de grande instance visant à rejeter une action en nullité du brevet, le titulaire du brevet a fait valoir qu'une lettre destructrice de nouveauté, figurant dans le dossier de délivrance d'une autre demande antérieure déposée auprès de l'OEB, ne constituait pas un état de la technique car à la date de priorité, en 1990, les dossiers de délivrance n'étaient pas accessibles au format numérique.
La Cour d'appel a rejeté l'argument et révoqué le brevet. Les dossiers de délivrance étaient accessibles à la date de priorité dans la mesure où ils pouvaient être demandés ou ouverts à l'inspection publique conformément à l'art. 128(4) CBE. Le fait que le public ne pouvait pas savoir à l'avance ce qu'il y avait dans un dossier de délivrance ne changeait rien au fait que son contenu était accessible au public. La situation n'était pas comparable à celle exposée dans la décision T 314/99, où la chambre de recours technique avait considéré qu'une thèse non publiée et ne figurant pas encore au catalogue d'une bibliothèque ne faisait pas partie de l'état de la technique. Si on ne peut pas demander au public de passer en revue tous les ouvrages d'une bibliothèque à la recherche de matériel potentiellement pertinent, l'examen d'un dossier de délivrance à la recherche de documents pertinents n'occasionne en revanche pas un effort insurmontable.
NO Norvège
Chambre de recours de l'Office des brevets du 7 janvier 2010 (affaire n° 7886) - Laminaria hyperborea
Mot-clé : critère de nouveauté - harmonisation avec la pratique de l'OEB
L'affaire concernait un recours formé contre une décision de la division d'examen de l'Office norvégien des brevets rejetant une demande de brevet pour manque de nouveauté. La demande portait sur un engrais contenant l'algue géante laminaria hyperborea. L'état de la technique le plus proche, D1, ne divulguait que l'utilisation des algues en général, et non pas une espèce en particulier. La question se posait de savoir si la sélection d'une espèce d'algue géante pouvait rendre la demande nouvelle. La réponse dépendait de la notion de nouveauté applicable.
Le droit norvégien a traditionnellement utilisé, comme critère de nouveauté, l'existence d'une "différence technique raisonnable" entre l'état de la technique le plus proche et l'invention. C'est un critère plus strict que le critère appliqué par l'OEB, selon lequel une invention n'est antériorisée que si toutes ses caractéristiques peuvent être déduites directement et sans ambiguïté d'une antériorité unique.
La Chambre de recours a affirmé qu'un critère de nouveauté plus strict se justifiait naguère, mais que cela avait cessé d'être le cas, pour deux raisons. D'une part, la Norvège a adhéré à la CBE le 1er janvier 2008. D'autre part, la Cour fédérale de justice allemande a rendu un jugement le 16 décembre 2008 dans l'affaire olanzapine, par lequel la notion allemande de nouveauté a été alignée sur le critère appliqué par l'OEB. Par conséquent, en continuant à appliquer un critère plus strict, la Norvège s'écarterait d'une pratique européenne plus ou moins généralement acceptée. De l'avis de la chambre, cela serait contraire à l'objectif d'harmonisation du droit des brevets à l'échelle européenne.
Dès lors, la chambre de recours a abandonné l'ancienne notion de nouveauté pour se rallier au critère appliqué par l'OEB. La sélection d'une espèce particulière d'algue géante n'étant pas déductible directement et sans ambiguïté de l'état de la technique le plus proche, il a été considéré qu'il avait été satisfait à l'exigence de nouveauté.
Note de la rédaction : voir chapitre V.2. sur l'affaire "olanzapine".
2. Inventions dans le domaine de la chimie et inventions de sélection
CH Suisse
Tribunal fédéral du 28 février 2007 (4C.403/2005) - Citalopram
Mot-clé : nouveauté - invention dans le domaine de la chimie - obtention d'un degré de pureté plus élevé
Dans l'affaire concernée, le brevet portait sur la fabrication de la substance citalopram, utilisée dans le traitement de la dépression, comme base cristalline ayant un degré de pureté particulièrement élevé (plus de 99,8 %). La décision attaquée avait été rendue par le Tribunal de commerce de Zurich, qui avait conclu à l'absence de nouveauté et d'activité inventive, étant donné qu'aucune nouvelle invention n'était divulguée et qu'aucun effet technique jusqu'ici inconnu n'était produit avec la pureté telle que définie dans les revendications du brevet pour le citalopram, une substance connue.
Dans le cadre de la procédure d'appel contre ce jugement, le Tribunal fédéral suisse a indiqué d'emblée que la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB est éventuellement pertinente et peut être prise en considération. Contrairement à l'opinion du requérant (titulaire du brevet), il n'y a donc rien à objecter au fait que l'instance ayant rendu la décision attaquée ait pris en considération la jurisprudence des chambres de recours, dans la mesure où celle-ci concerne l'interprétation de la CBE et qu'elle est significative pour la question à trancher.
S'agissant du critère de la nouveauté, nul ne contestait en l'espèce que le citalopram, une substance chimique revendiquée dans le brevet en tant que base cristalline, était connu en tant que tel et pouvait être exécuté par l'homme du métier. Le Tribunal fédéral suisse a constaté à cet égard que l'action consistant à continuer à purifier des composés obtenus selon un procédé chimique est habituelle du point de vue de l'homme du métier spécialisé en chimie organique de synthèse, lequel connaît les procédés habituels nécessaires à cette fin. Par conséquent, conformément à la pratique suivie par les chambres de recours de l'OEB, un brevet portant sur la fabrication d'une substance connue, particulièrement pure, n'est envisageable qu'exceptionnellement dans le cas où ces procédés généralement connus de purification supplémentaire ne suffisent pas et que l'homme du métier ne peut fabriquer la substance chimique avec un degré de pureté déterminé en utilisant les procédés généralement connus (cf. T 990/96, JO OEB 1998, 489). Ce n'est que dans ces circonstances que le degré de pureté revendiqué est reconnu à titre exceptionnel comme un élément nouveau par rapport à l'état de la technique (cf. T 803/01).
Etant donné que le composé chimique revendiqué en l'espèce faisait partie de l'état de la technique et était donc connu dans tous les degrés de pureté conformément à l'expérience générale, le Tribunal fédéral suisse a estimé que des motifs particuliers doivent étayer le fait qu'un nouvel élément a été introduit avec le degré de pureté revendiqué et que la revendication doit exceptionnellement être considérée comme nouvelle. Cela peut notamment être établi en prouvant qu'un procédé particulier est nécessaire pour obtenir cette pureté. Il incombe en tout état de cause au titulaire du brevet d'établir que le degré de pureté revendiqué ne peut pas être obtenu par des méthodes classiques.
GB Royaume-Uni
Chambre des Lords du 20 octobre 2005 - Synthon BV c. Smithkline Beecham plc [2005] UKHL 59
Mot-clé : nouveauté – état de la technique - inventions chimiques – antériorisation de composés chimiques
La Chambre des Lords a fait droit à l'appel interjeté contre la décision de la Cour d'appel, rétablissant ainsi la décision de la Haute Cour. Celle-ci avait jugé que le brevet de SB (brevet UK n° 2 336 364) concernant un composé ayant des caractéristiques améliorées en tant qu'antidépresseur était nul. Une demande de brevet antérieure déposée par Synthon avait divulgué l'existence du produit même, objet du brevet SB, et la fabrication de ce produit était donc rendue possible.
Lord Hoffmann, qui a justifié le jugement, a déclaré que selon le droit, l'antériorisation est soumise à deux conditions : une divulgation antérieure et une information suffisante pour exécuter l'invention. Il s'agit de deux concepts distincts, chacun devant être satisfait et ayant ses propres règles.
Il faut que l'élément avancé comme état de la technique divulgue un objet qui, s'il est réalisé, entraîne nécessairement une contrefaçon du brevet. Cela peut être dû au fait que l'état de la technique a divulgué la même invention. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que la réalisation de l'invention antérieure constitue une contrefaçon, et cette contrefaçon serait évidente pour quiconque a connaissance de l'état de la technique et du brevet. Mais pour qu'il y ait contrefaçon, il n'est pas nécessaire que le contrevenant soit conscient de cette contrefaçon. La divulgation antérieure doit être interprétée comme l'homme du métier l'aurait comprise à la date de cette divulgation, et non pas à la lumière du brevet ultérieur (cf. T 396/89). La nouveauté se distingue du caractère évident dans la mesure où la mise en œuvre d'une invention divulguée dans l'état de la technique doit contrefaire nécessairement le brevet.
On entend par possibilité d'exécuter l'invention la capacité pour l'homme du métier ordinaire de mettre en œuvre l'invention, ce qui satisfait à l'exigence de divulgation suffisante. Il en est ainsi, que la divulgation porte sur un objet faisant partie de l'état de la technique au sens de l'art. 2(2) ou, comme dans le cas présent, au sens de la section 2(3) Loi britannique sur les brevets de 1977 (c'est-à-dire que l'objet divulgué figure dans une autre demande de brevet, sous certaines conditions).
Lord Hoffmann s'est ainsi posé cette question : "La demande de Synthon a-t-elle divulgué une invention qui, mise en œuvre, serait une contrefaçon du brevet de SB ? Cette demande portant sur une catégorie de produits chimiques définis par référence à une formule, elle divulguait un très grand nombre de composés, chacun pouvant être considéré comme une invention. Le méthanesulfonate de paroxétine sous forme cristalline revendiqué dans le brevet est-il l'un de ces composés ?". Lord Hoffmann a répondu par l'affirmative, estimant que l'existence de cristaux de méthanesulfonate de paroxétine suffisamment purs et leurs avantages en utilisation pharmaceutique sont clairement divulgués. La question de savoir s'ils peuvent être fabriqués est une question de suffisance des informations exposées, ainsi qu'une question de fait. Le juge de première instance a jugé que l'exposé de l'invention était suffisant pour la mettre en œuvre : constatation de fait qu'une juridiction d'appel devrait hésiter à remettre en cause.
ES Espagne
Cour d'Appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 18 octobre 2007 (appel n° 116/2007) - LEK Pharmaceuticals c. Warner-Lambert Company
Mot-clé : nouveauté – invention de sélection – avis technique au sens de l'art. 25 CBE – atorvastatine
L'entreprise défenderesse WL a mis au point dans les années 80 de nouveaux inhibiteurs de l'enzyme qui intervient dans les premières phases de la biosynthèse du cholestérol, créant une série de composés de formule générale I protégés aux Etats-Unis et en Europe. Par la suite, WL a élaboré un nouveau procédé amélioré d'obtention des composés de la formule générale I, en présentant notamment, en date du 22 février 1989, une demande de brevet européen sous la référence D1, qui a donné lieu à la délivrance du brevet européen (EP 0 330 172) publié en Espagne sous la référence ES 2 058 356. Finalement, la défenderesse a sélectionné et développé parmi ces composés possibles l'atorvastatine calcique, protégée par le brevet européen (EP 0 409 281) ('281), enregistré en Espagne sous la référence ES 2 167 306. Selon la demanderesse, le brevet EP '281 est en partie nul pour absence de nouveauté : l'objet de ces revendications se trouve déjà dans l'état de la technique existante à la date de priorité du brevet EP '281 (soit le 21 juillet 1989) et la demanderesse indique précisément comme document antérieur la demande de brevet européen de WL du 22 février 1989, référencée en tant que D1.
La Chambre 15 de la Cour d'appel de Barcelone a estimé que le brevet de sélection EP '281 est nouveau, qu'il ne se différencie pas des critères généraux de nouveauté établis par les Chambres de recours de l'OEB, et que le brevet en est la concrétisation sous forme du principe des deux listes. De fait, si l'information communiquée à l'expert pour l'objet du document antérieur doit être suffisante pour lui permettre, à la date concernée, de mettre en œuvre les enseignements techniques du document et si, pour dégager les enseignements implicites qui détruisent la nouveauté, il faut que l'invention postérieure soit immédiatement apparente à l'expert, c'est-à-dire, que cette invention puisse être déduite de manière directe ou non équivoque de la description ("il ne suffit pas, pour juger de l'absence de nouveauté des éléments revendiqués, qu'ils aient pu être déduits du document de l'état de la technique. Il doit y avoir eu un enseignement clair et non équivoque des éléments revendiqués" indique la décision T 677/91), en tant que chose sûre et qui doit inévitablement être déduite de cet enseignement, mais l'existence de nombreuses options et alternatives qui se présentent à l'expert empêche d'en conclure que la sélection effectuée n'a pas le caractère de nouveauté car le produit obtenu ne découle pas clairement et de manière non équivoque du document, mais de la sélection particulière effectuée a posteriori, concrétisée par quelque chose de nouveau qui n'avait pas été décrit auparavant. Plus les options auxquelles l'expert se trouve confronté par le document antérieur sont complexes, moins les conclusions qu'il en tire sont certaines et inévitables.
La Cour d'appel indique clairement dans son jugement que la complexité et l'ampleur des options sont la base du principe des deux listes : la simple existence formelle de deux listes ne suffit pas. Plus les options auxquelles l'expert se trouve confronté par le document antérieur sont complexes, moins les conclusions qu'il en tire sont certaines et inévitables. Les Chambres de recours de l'OEB et les directives relatives à l'examen qui concernent spécifiquement les brevets de sélection, traitent aussi de l'ensemble des principes généraux ayant trait au caractère suffisant de la description, centrés sur la complexité des options de sélection possibles (voir la décision T 12/81, puis la décision T 7/86 postérieure). La doctrine des Chambres de recours a déjà précisé que la sélection postérieure d'un sel calcique d'atorvastatine est nouvelle. La division d'examen de l'OEB, dans sa décision du 19 octobre 2006, est du même avis et applique précisément les enseignements de la décision T 12/81. Pour la Cour, la demande de brevet européen D1 ne donne pas de description explicite, non pas de l'atorvastatine calcique, mais d'un quelconque sel de ce composé et, s'agissant de la possibilité d'une description implicite, la complexité des options pour l'expert à la date concernée est suffisamment importante pour que l'on puisse affirmer que l'on ne peut pas inévitablement en déduire l'obtention d'un sel de calcium de l'atorvastatine et que cette obtention n'est pas un enseignement immédiatement apparent, non équivoque et sûr à cent pour cent. La Cour indique que les notions relatives à la nouveauté sont traitées avec circonspection par les Chambres de recours de l'OEB. Ces critères, qui ne lient pas de prime abord les juridictions des Etats signataires de la CBE car ils sont de nature strictement administrative, permettent d'illustrer et de fournir des normes pour interpréter des concepts clés de la CBE. Ils sont donc d'une utilité certaine dans des procès comme celui-ci où il est question de la validité d'un brevet européen.
Note de la rédaction : Voir également les jugements du 17 mars 2008 (Laboratoires Cinfa, S.A. et al. c. Warner-Lambert Company) et 30 octobre 2009 (Laboratoires Ranbaxy, S.A. et al. c. Warner-Lambert Company), dans lesquels la Cour d'appel juge dans les mêmes termes que l'invention de sélection est nouvelle.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 20 février 2009 (05/12994) - Glaxo c. Merck
Mot-clé : nouveauté - composition déjà connue de l'art antérieur - "nouveau" degré de pureté
L'invention concernait une forme amorphe du céfuroxime axétil, un procédé pour sa préparation, une composition la contenant et son utilisation en médecine. La Société M contestait la nouveauté du brevet français litigieux de la société G au regard du brevet britannique GB 1 571 683.
Le Tribunal énonce qu'il est constant que depuis le 15 février 2004, le céfuroxime axétil et son utilisation comme principe actif d'une composition pharmaceutique sont dans le domaine public. La description du brevet en cause indique elle-même que les procédés de préparation du céfuroxime axétil donnés en exemple dans le brevet britannique "produisent la matière sous forme amorphe relativement impure ou sous la forme de matière cristalline plus pure". Le Tribunal juge qu'un nouveau degré de pureté ne peut pas conférer un caractère nouveau à un produit déjà connu dès lors qu'il est accessible à l'homme du métier par la mise en œuvre de techniques classiques de purification.
Par ailleurs, le Tribunal énonce que les décisions américaines obtenues par la société G dans d'autres procédures ne sont pas de nature à caractériser la nouveauté de la revendication 1 objet du présent litige.
Sur l'examen de la validité du brevet au regard de la nouveauté, le Tribunal décide dès lors que la revendication 1 du brevet français qui divulgue le céfuroxime axétil sous forme amorphe, compris dans l'art antérieur, et dont il ne diffère que par son degré de pureté, doit être annulée pour défaut de nouveauté ; un nouveau degré de pureté ne pouvant pas rendre un produit connu brevetable.
NL Pays-Bas
Cour d'appel de La Haye (Gerechtshof te's Gravenhage) du 16 mars 2010 - Aventis c. Apothecon
Mot-clé : nouveauté – inventions de sélection - fexofénadine
Le titulaire du brevet a interjeté appel de la décision du Tribunal de grande instance qui avait révoqué son brevet. Le brevet européen EP 0 639 976 mis en cause concernait l'utilisation de fexofénadine, inhibiteur du rhume des foins, également pour le traitement de patients souffrant du rhume des foins et de problèmes de la fonction hépatique. L'utilisation de substances chimiques pour le traitement du rhume des foins était déjà connue. En revanche, l'invention revendiquée cherchait à éviter les effets secondaires d'un autre inhibiteur du rhume des foins, la terfénadine, causant une insuffisance cardiaque chez les patients souffrant du rhume des foins et de problèmes de la fonction hépatique. Le titulaire du brevet a fait valoir que la nouveauté de la substance revendiquée était basée sur une sélection, à savoir le groupe spécifique constitué par les patients souffrant du rhume des foins et de problèmes de la fonction hépatique.
La Cour a fait observer que, conformément à la jurisprudence européenne établie, pour qu'une invention de sélection soit valide, la sélection ne peut pas être arbitraire. Dans le cas présent, la sélection a été considérée comme arbitraire parce qu'il n'avait pas été démontré que l'effet thérapeutique s'était amélioré de manière surprenante, ni qu'un effet secondaire grave avait été supprimé. Etant donné que l'administration de fexofénadine n'a pas causé d'insuffisance cardiaque, ni aux patients souffrant du rhume des foins et de problèmes de la fonction hépatique, ni aux patients souffrant du rhume des foins sans problème hépatique, la prévention de l'insuffisance cardiaque ne pouvait pas être considérée en tant que telle comme un effet technique surprenant de l'invention revendiquée.
3. Nouveauté de l'utilisation
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 28 septembre 2005 (Op 3/04) - Omeprazol III
Mot-clé : protection des substances – revendications de type suisse
Le brevet en cause concernait l'utilisation de nouveaux benzimidazoles (appellation courante : "oméprazole") pour l'obtention de médicaments destinés au traitement des ulcères gastriques et duodénaux et comportait des revendications de type suisse. Lors de décisions antérieures, la Cour suprême avait jugé, dans le cadre d'un litige en contrefaçon, que le brevet était nul, étant donné que les revendications ainsi formulées ne décrivaient pas de procédé déterminé et, par conséquent, tombaient sous le coup de l'interdiction alors en vigueur, en raison de la réserve faite par l'Autriche, de la protection des médicaments en tant que substances (Cour suprême autrichienne du 21.12.2004 - Omeprazol II ; Cour suprême autrichienne du 28.09.2004 - Omeprazol I).
Dans le cadre de la présente procédure en nullité, la Chambre suprême des brevets et des marques a jugé que les revendications de type suisse, en tant que revendications de procédé proposées à une fin spécifique, sont compatibles avec l'interdiction de la protection des substances. Elles ne protègent pas le médicament en tant que tel, mais un procédé d'obtention d'un médicament défini par l'utilisation d'un principe actif déterminé pour une indication médicale donnée. Le fait de se limiter à cette indication médicale exclut un monopole du médicament, monopole que l'interdiction de la protection des substances vise à éviter.
Selon la jurisprudence autrichienne, il faut que le procédé d'obtention d'un médicament soit "déterminé" pour empêcher que soit contournée l'interdiction de la protection des substances. En cas de procédé consistant purement et simplement en un mélange d'ingrédients, cette interdiction serait contournée. Mais les mesures nécessaires pour "la préparation et la présentation" (en Allemand : "augenfällige Herrichtung") du médicament, telles que la formulation et la posologie du composant actif, ainsi que le conditionnement correspondant du médicament, ne peuvent être mises sur le même plan. Elles ne sont pas banales, mais résultent de l'indication médicale concernée et servent à mettre en œuvre la limitation du champ de protection qui en découle. Qu'elles ne soient pas détaillées dans la revendication ne rend pas le procédé indéterminé, mais s'explique par le fait que l'homme du métier les connaît de toute façon.
AT Autriche
Cour suprême du 9 février 2010 (17 Ob 35/09k) - Isoflavone
Mot-clé : protection des substances – revendications de type suisse
Le brevet comportait une revendication d'utilisation (revendication de type suisse) d'un extrait titré en isoflavones ou phytoestrogènes pour l'obtention d'un médicament destiné au traitement de certaines maladies et symptômes. La titulaire du brevet a accusé la défenderesse de commercialiser un complément alimentaire dont la prise devait apporter, selon la notice, un soulagement à l'égard de symptômes similaires grâce aux isoflavones contenus dans le produit.
La Cour a estimé que la revendication litigieuse portait sur la protection d'une substance à une fin spécifique dans le cadre d'une méthode thérapeutique (art. 54(5) ensemble l'art. 52(4) CBE 1973). L'effet produit par la substance (l'indication médicale) était l'élément constitutif de la nouveauté, de sorte que la protection par brevet ne couvrait que les fabrications et produits appropriés pour l'indication revendiquée. La finalité de l'indication limitait le champ de protection du brevet dans la mesure où la titulaire avait le monopole (uniquement) des actes portant sur la fabrication et l'utilisation de substances de même nature et finalité en tant que médicaments dans le domaine de l'indication revendiquée.
Pour répondre à la question de savoir si c'était l'indication spécifiée dans le brevet ou une autre indication qui avait été poursuivie et atteinte, il convenait d'appliquer des critères pratiques et raisonnables. Le fait qu'un médicament fût – aussi – approprié pour l'indication spécifiée dans le brevet en cause ne signifiait pas qu'il eût été destiné (de par sa posologie, sa formulation, sa fabrication et son conditionnement) à une telle utilisation. Pour qu'il y eût exploitation de l'enseignement protégé dans la "revendication de substance à une fin spécifique", il fallait aussi que le but inhérent à l'invention, au sens de finalité concrète de l'enseignement breveté, fût atteint dans une mesure appréciable en pratique.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 12 octobre 2007 - Teva Pharmaceutical Industries Ltd & Teva UK Ltd c. Merrell Pharmaceuticals Inc, Aventis Inc & Sepracor [2007] EWHC 2276 (Ch)
Mot-clé : nouveauté de l'utilisation – deuxième application thérapeutique – revendications de type suisse – fexofénadine
La société Merrell détenait un brevet pour la terfénadine, un médicament antihistaminique portant le nom générique de fexofénadine qui, quand il était administré par l'estomac, produisait un métabolite acide dans le corps humain, sans provoquer la somnolence habituelle ni d'effets secondaires cardiovasculaires.
Aventis et Sepracor possédaient deux autres brevets portant sur l'utilisation de la fexofénadine, au lieu de la terfénadine, dans la fabrication d'un médicament antihistaminique destiné au traitement des symptômes allergiques. Teva, le fabricant de produits pharmaceutiques génériques, qui souhaitait vendre de la fexofénadine au Royaume-Uni, engagea des actions en nullité devant le Tribunal des brevets. La plupart des revendications en cause étaient de type suisse.
Le juge Warren a fait droit aux demandes de Teva de prononcer la nullité des brevets, leurs objets n'étant ni nouveaux, ni inventifs. Il était connu, à la date de priorité, que la fexofénadine offrait la plupart, sinon tous les effets pharmaceutiques d'un médicament antihistaminique ; cela faisait partie des connaissances générales. Rien n'empêchait de tester la fexofénadine comme étant quelque chose qui valait la peine d'être essayée, avec de bonnes chances de succès. Par conséquent, les médicaments à base de fexofénadine ne pouvaient être considérés comme nouveaux, mais faisaient partie de l'état de la technique.
Dans sa décision, le juge Warren a effectué une analyse et une appréciation détaillée des preuves techniques et a résumé utilement le statut actuel des revendications de type suisse dans la pratique de l'OEB et au Royaume-Uni :
- Il est possible d'obtenir un brevet pour la première application thérapeutique d'une substance ou d'une composition connue, lorsque cette substance ou composition n'était pas connue précédemment pour avoir une application thérapeutique quelconque.
- Dans la pratique, l'OEB a accepté, pour des raisons de politique générale, la pratique de l'Office fédéral de la propriété intellectuelle suisse, selon laquelle un brevet européen peut être délivré avec des revendications portant sur l'utilisation d'une substance ou d'un mélange de substances en vue de la fabrication d'un médicament destiné à une application thérapeutique spécifique, nouvelle et inventive, revendications dites "de type Suisse" (voir G 1/83). Par conséquent, une revendication du type : "Utilisation d'une substance [X] pour le traitement d'une affection [Y]" ne serait pas acceptée, alors qu'une revendication du type "Utilisation d'une substance [X] dans la fabrication d'un médicament pour le traitement d'une affection [Y]" le serait. Il est à noter que la caractéristique sur laquelle s'appuient la nouveauté et l'activité inventive est le nouveau traitement ; néanmoins, la revendication de type suisse couvre l'utilisation en vue de la fabrication du médicament en question et non l'utilisation du médicament pour la nouvelle thérapie.
- Le précédent en droit anglais, pour ce qui est des revendications de type suisse, est la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Bristol-Myers Squibb c. Baker Norman, concernant une nouvelle posologie plutôt qu'une nouvelle application thérapeutique. En résumé, la Cour d'appel a estimé que, dans la mesure où l'on acceptait des revendications de type suisse, celles-ci devaient se limiter à une application thérapeutique qui était non seulement inventive, mais aussi nouvelle ; c'était la deuxième ou autre application thérapeutique qui devait être nouvelle. En d'autres termes, la nouveauté devait résider en une nouvelle application (c'est-à-dire que la substance connue devait permettre de traiter une autre affection, ou de prévenir une maladie au lieu de la guérir), et non pas en l'amélioration de la mise en oeuvre d'une méthode de traitement existante.
Le juge Warren a tenu compte des observations de l'intimé selon lesquelles, récemment, une chambre de recours technique de l'OEB avait interprété la décision G 1/83 autrement que la Cour d'appel dans l'affaire Bristol-Myers et avait déclaré expressément ne pas vouloir suivre cette dernière. L'intimé a soutenu devant le Tribunal des brevets que le droit anglais n'était plus en phase avec l'OEB et a suggéré de s'écarter de la jurisprudence antérieure, à la lumière des observations de la Chambre des Lords selon lesquelles même les décisions de l'OEB, et a fortiori celles des chambres de recours techniques, devaient être considérées comme dotées d'une grande force de persuasion.
Toutefois, le juge Warren n'a pas estimé être en mesure de s'écarter de la décision Bristol-Myers, s'agissant d'une décision soigneusement réfléchie et motivée de la Cour d'appel. Il appartenait à cette cour d'examiner s'il convenait de s'écarter de sa précédente décision, eu égard à la jurisprudence en évolution à l'OEB.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 30 juin 2008 - Actavis Ltd c. Janssen [2008] EWHC 1422 (Pat)
Mot-clé : nouveauté - deuxième indication médicale
Le défendeur, Janssen, était titulaire du brevet européen EP 0 334 429 concernant une invention portant sur un médicament destiné à augmenter les effets des agents abaissant la pression sanguine. Actavis a contesté avec succès, dans une large proportion, la validité du brevet au motif, entre autres, du défaut de nouveauté.
La Cour a établi qu'un brevet antérieur du titulaire antériorisait plusieurs des revendications du brevet en cause. Faisant référence au nouveau droit résultant de la récente évolution de la jurisprudence en matière de nouveauté dans Synthon c. SmithKline Beecham [2006] RPC 10, la Cour a appliqué le principe que les éléments censés constituer l'état de la technique devaient divulguer des objets qui, s'ils étaient exécutés, résulteraient nécessairement en une contrefaçon du brevet. La Cour a interprété ceci comme signifiant qu'elle devait se soucier d'établir ce qui se produirait dans les faits en fonction de ce qui paraissait le plus probable, ce qui l'amenait, en l'espèce, à la conclusion qu'une telle contrefaçon se produirait nécessairement.
Le titulaire, s'appuyant sur la décision G 2/88, avait soutenu qu'une revendication pouvait valablement couvrir l'utilisation d'un composant connu de façon à obtenir un effet technique inconnu jusque-là et qu'il était sans importance, pour des revendications de cette nature, que l'effet technique fût inhérent à l'utilisation du composant pour obtenir l'effet technique connu. Dans la décision G 2/88, la caractéristique technique de la revendication (permettant d'obtenir vraiment une diminution du frottement) était inhérente à l'ancienne utilisation et la conséquence inévitable du fait de verser l'additif dans le moteur. Néanmoins, il avait été jugé que cette caractéristique technique n'avait pas été rendue accessible au public. Janssen invoquait qu'il n'y avait aucune différence par rapport aux affaires concernant une nouvelle application thérapeutique. Nul doute que, lorsqu'il s'avérait qu'un ancien médicament (connu pour le traitement d'une affection X) était utile au traitement d'une autre affection, Y, on pouvait considérer comme inévitable que certains patients, traités jusque-là avec ce médicament pour X, étaient susceptibles d'avoir contracté la maladie Y, et avaient du même coup bénéficié d'un traitement pour Y. Pourtant, la nouveauté de l'application – son utilisation pour fabriquer un médicament pour Y – était jugée suffisante. Ce principe faisait à présent définitivement partie du droit britannique (voir G 5/83 ; Wyeth c. Schering [1985] RPC 545).
La décision G 2/88 concernait le sort de revendications portant sur l'utilisation d'un composant connu à des fins nouvelles, utilisation fondée sur des effets techniques inconnus (bien qu'effectivement obtenus). La nouvelle utilisation revendiquée, la diminution du frottement, constituait incontestablement une fin nouvelle et différente par rapport à la prévention de la corrosion, rendue possible par le nouvel et différent effet technique. Il n'était pas aisé de faire entrer l'affaire pendante devant la Cour dans cette catégorie.
De l'avis de la Cour, si la décision G 2/88 était juste, alors les effets techniques non révélés sur lesquels reposent les nouvelles utilisations d'objets connus feraient exception à la règle concernant les résultats inévitables. Toutefois, il y avait des indices montrant que les juridictions de l'OEB et du Royaume-Uni avaient une vision limitée de ce qui avait été décidé dans l'affaire G 2/88. Les décisions T 958/90 et T 279/93 montraient aussi que l'OEB avait fini par apprécier la distinction entre d'authentiques nouvelles utilisations et les cas où il y avait seulement apport d'un supplément d'informations à propos d'anciennes utilisations. Dans le premier cas, la chambre de recours avait conclu que la nouvelle information figurant dans le brevet fournissait simplement "une raison supplémentaire d'utiliser la composition connue selon le mode connu et dans le but connu" et qu'elle n'apportait donc pas de contribution à l'état de la technique.
La Cour a conclu que le seul fait d'expliquer le mécanisme sur lequel repose une utilisation déjà décrite dans l'état de la technique ne pouvait pas, en l'absence d'autres éléments, justifier la nouveauté. Dans la décision G 2/88, les effets techniques sous-jacents aux anciennes et aux nouvelles utilisations étaient différents et distincts. Il ne fallait pas croire que toute découverte concernant le mode d'action d'un médicament pouvait se traduire par une nouvelle application et être revendiquée en tant que telle.
Il a aussi été montré que l'objet de plusieurs revendications avait été anticipé, suite à une démonstration lors d'une conférence scientifique. La plupart des revendications du brevet ont donc été considérées comme nulles faute de nouveauté, une seule demeurant valide.
D. Activité inventive
1. Appréciation de l'activité inventive
CH Suisse
Tribunal de commerce de Berne du 6 juillet 2005 (HG 03 9024) - Porte-butée III
Mot-clé : activité inventive - progrès technique important
Dans le cadre d'un litige relatif à une licence de dépendance, qui avait pour origine la contrefaçon du brevet antérieur par l'utilisation du titre ultérieur, le Tribunal de commerce a constaté que l'invention ultérieure doit représenter un progrès technique important, d'un intérêt considérable, par rapport à l'invention plus ancienne. Ni la Loi suisse sur les brevets ni les documents ne définissent le terme juridique indéterminé de "progrès technique important". A cet égard, il découle de la doctrine que l'invention ultérieure doit fournir une amélioration technique essentielle et constituer ainsi une contribution importante à la technique, sans pour autant qu'une réelle avancée technologique soit exigée dans ce domaine. Compte tenu de la pratique en Allemagne, l'existence d'un progrès technique peut ainsi être confirmée si le nouvel enseignement offre un meilleur moyen de simplifier ou d'accélérer de manière importante un procédé, ou un moyen tout simplement moins sujet aux dysfonctionnements. De même, un critère peut également résider dans le fait que l'enseignement ultérieur propose une solution certes équivalente, mais de nature différente, à un problème technique. Cependant, dans ce cas de figure, il ne peut être question d'une contribution technique par rapport à l'invention antérieure que si la solution alternative répond à un besoin.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 12 octobre 2004 (X ZR 190/00) - Panneaux de revêtement
Mot-clé : appréciation de l'activité inventive – homme du métier – amélioration de la fonction d'éléments connus
Le brevet en cause portait sur des panneaux de revêtement de cloison ou plafond et sur les agrafes de fixation pour les assembler. Il s'intéressait notamment au problème de la façon d'assembler ce genre de panneaux, d'une façon aussi simple et économique que possible, pour obtenir des joints visibles plus ou moins larges. Devant le Tribunal fédéral des brevets, la demanderesse avait fait valoir que l'objet du brevet en cause n'était pas nouveau et ne reposait pas, en tout cas, sur une activité inventive. La demanderesse a été déboutée, mais le brevet a été déclaré partiellement nul, dans la mesure où la défenderesse avait renoncé à le défendre. Par son appel, la demanderesse poursuit devant la Cour fédérale de justice sa demande visant à obtenir l'annulation complète du brevet en cause.
La Cour fédérale de justice, à l'instar du Tribunal fédéral des brevets, n'a pas été convaincue que l'état de la technique aurait suggéré à l'homme du métier la partie du brevet encore défendue, de sorte que cet objet n'aurait pas impliqué d'activité inventive. Les solutions connues de l'état de la technique, notamment, ne fournissaient pas d'incitation à assembler les panneaux au moyen d'une agrafe de fixation, que ce soit en complément d'un système d'assemblage rainure-languette au sens du brevet ou avec un système d'assemblage rainure-rainure. En effet, l'agrafe de fixation se présente toujours – comme son nom l'indique – comme élément d'assemblage servant à fixer les panneaux à la sous-construction et non comme "gabarit d'écartement", c'est-à-dire un élément que l'homme du métier utiliserait uniquement pour définir la largeur du joint visible entre deux panneaux voisins.
Pour parvenir à la solution proposée par l'invention, l'homme du métier devait donc repenser entièrement la fonction du système d'assemblage rainure-languette, d'une part, et de l'agrafe de fixation, d'autre part. L'assemblage rainure-languette, en particulier, perd sa fonction habituelle, étant donné que la languette n'est plus introduite, comme par le passé, au fond de la rainure (même si c'est seulement approximatif compte tenu de la dilatation du bois à prendre en compte). Il est impossible d'établir qu'un tel changement de conception aurait été évident pour l'homme du métier, en l'absence d'une incitation concrète dans cette direction. C'est au contraire un argument en faveur de l'activité inventive de l'expert quand il est obligé de modifier les fonctions des éléments constructifs connus d'un produit pour parvenir à une construction simplifiée et donc à une économie de coût, alors que l'état de la technique ne livre aucune incitation en faveur d'un tel changement conceptionnel.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 15 mai 2007 (X ZR 273/02) - Tissu pour machine à papier
Mot-clé : activité inventive - problèmes partiels
La défenderesse était titulaire de la partie allemande du brevet européen EP 0 532 510. L'objet de l'invention était de proposer un tissu pour machine à papier dont la perméabilité est faible, qui est guidé par des fils de chaîne plats tissés, qui est fabriqué essentiellement à partir de monofilaments, en renonçant à des fils de remplissage, et dont aucune partie n'est sacrifiée à la rigidité ou à la stabilité. Le Tribunal fédéral des brevets avait partiellement annulé le brevet. En appel devant la Cour fédérale de justice, la défenderesse n'a plus défendu qu'une partie limitée du brevet en cause, à savoir la partie revendiquant un tissu pour machine à papier. Dans cette mesure, il a été fait droit à l'appel.
Le Tribunal fédéral des brevets avait motivé son jugement d'annuler partiellement le brevet en disant que la publication antérieure d'une demande de brevet européen enseignait que l'idée proposée d'apparier les fils de chaîne permettait d'obtenir une haute stabilité dans le sens de la longueur, comme dans le groupe 3 des caractéristiques du brevet en cause, qui permet de résoudre le "problème partiel" (en allemand : "Teilaufgabe") de l'obtention d'une rigidité et d'une stabilité suffisantes. De plus, un autre document antérieur (un brevet américain) divulguait que le mode de tissage proposé, avec une perméabilité réduite du tissu, permettait d'éviter le flottement de la bande de papier sur le tissu, ce qui apportait la solution au "problème restant" (en allemand : "Restaufgabe") traitée dans le groupe 4 des caractéristiques du brevet en cause.
La Cour fédérale de justice n'a pas pu se raillier à cette appréciation. Une invention, dont l'objet est subdivisé en plusieurs groupes de caractéristiques correspondant aux "problèmes partiels" à résoudre, ne peut être soumise à l'examen de l'activité inventive de telle manière que soit examiné si l'état de la technique aurait suggéré à l'homme du métier des caractéristiques individuelles ou des groupes individuels de caractéristiques. L'examen de la question juridique de savoir si l'objet de l'invention découlait de manière évidente, à la date de priorité du brevet en cause, de l'état de la technique, doit au contraire s'appuyer sur l'objet de l'invention considéré avec toutes ses caractéristiques pertinentes dans leur contexte technique. Lors de l'examen de l'activité inventive, comme pour l'interprétation de la revendication, il ne faut pas comparer de manière isolée des caractéristiques individuelles ou des groupes individuels de caractéristiques à l'état de la technique, même si l'objet de l'invention se prête à une subdivision en "problèmes partiels". C'est pourquoi il convient dans ce cas également de considérer le contenu intégral de l'enseignement breveté.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 18 juin 2009 (Xa ZR 138/05) - Indicateur de touche
Mot-clé : activité inventive – état de la technique le plus proche
Le brevet en cause concernait un indicateur de touche, un appareil par lequel on faisait passer la ligne d'une canne à pêche immobilisée et qui indiquait par un signal capteur qu'un poisson "a mordu". L'état de la technique connaissait des appareils qui pouvaient indiquer la longueur de ligne tirée par un poisson quand celle-ci se déroulait du fait qu'elle était happée par un poisson. Il était critiqué dans la description du brevet en cause que la sensibilité ("sensitivity") de l'appareil ne pouvait pas être adaptée au mouvement de la ligne. Dans l'instance précédente, le Tribunal fédéral des brevets avait déclaré nul le brevet, faute d'activité inventive.
La Cour fédérale de justice a suivi la décision du Tribunal fédéral des brevets. Lors de l'appréciation du caractère évident d'un objet protégé par un brevet, il n'est pas toujours possible de s'appuyer sur l'état de la technique "le plus proche" comme seul point de départ. Le choix d'un (ou même de plusieurs) point de départ requiert, au contraire, une justification particulière, qui découle généralement des efforts déployés par l'homme du métier pour trouver, à une fin déterminée, une meilleure - ou simplement une autre - solution que celle proposée par l'état de la technique. La CBE non plus n'offre aucune base exigeant de se fonder exclusivement sur l'état de la technique "le plus proche".
DK Danemark
Cour d'appel de la Région Est (Østre Landsret) du 29 août 2008 (B-3527-03) - Ranbaxy c. Pfizer
Mot-clé : nouveauté - activité inventive - état de la technique - atorvastatine
Dans l'action en contrefaçon concernant le brevet européen EP 0 409 281 portant sur l'atorvastatine calcique, la Cour s'est penchée sur le bien-fondé des arguments de la demanderesse en matière de nouveauté et d'activité inventive. Comme rappel des faits, on retiendra que la Cour danoise a demandé à l'OEB, sur la base de l'art. 25 CBE, un avis technique dans lequel la division d'examen, après comparaison avec l'état de la technique, a confirmé tant la nouveauté que l'activité inventive du brevet européen litigieux. L'activité inventive a également été corroborée par la chambre de recours quand elle a examiné la demande de brevet pour l'atorvastatine calcique.
Concernant la nouveauté, la Cour a affirmé que l'état de la technique, à savoir une demande danoise pour un procédé comprenant le même sel, ne mentionnait pas certains sels comme étant particulièrement avantageux, pas plus qu'il ne donnait d'instructions pour produire des sels. En outre, d'après les informations fournies, aucun procédé standard de criblage des sels n'existait à la date de priorité. L'homme du métier devait donc opérer plusieurs choix et ne serait pas arrivé inéluctablement au sel d'atorvastatine. La mention de l'énantiomère de l'atorvastatine dans le document de l'état de la technique n'affectait pas cette conclusion.
Quant à l'activité inventive, la Cour a souligné plusieurs carences dans le document de l'état de la technique, c'est-à-dire dans le brevet du défendeur publié à l'époque : il ne disait rien des propriétés de manutention, dont l'hygroscopie et la solubilité ; il ne donnait aucune indication sur la manière de modifier le racémate de l'atorvastatine pour améliorer les propriétés de manutention ; il ne contenait aucune information sur la façon de résoudre d'éventuels problèmes de manutention des composés (sel sodique du racémate d'atorvastatine) ; il ne comportait aucune incitation à modifier les composés compris dans l'état de la technique. De surcroît, le document ne présentait pas le sel de calcium comme étant particulièrement avantageux par rapport aux autres sels. C'est dans ce contexte que le brevet portant sur l'atorvastatine calcique a été jugé inventif et valable. Il s'est avéré sans incidence qu'à la date de priorité, il était évident pour l'homme du métier de vérifier l'effet biologique de l'énantiomère comparé au racémate décrit dans l'état de la technique.
FR France
Cour de cassation du 15 mai 2007 (06-12487) - Lesaffre c. Puratos
Mot-clé : activité inventive - état de la technique - définition de proportions précises
La société P a agi en nullité d'un brevet dont la société L est titulaire, couvrant un "agent d'amélioration de panification et procédé le mettant en œuvre".
La Cour d'appel a écarté la nullité pour absence de nouveauté au motif que l'analyse faite par le ministère de la santé espagnol préalablement à l'autorisation, quand bien même elle exposerait déjà des éléments de la revendication 1, n'est pas constitutive d'antériorité dans la mesure où elle n'était pas accessible au public. Par contre, la Cour d'appel a annulé les huit revendications pour défaut d'activité inventive. La société L a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, contre l'arrêt de la Cour d'appel notamment pour contradiction des motifs.
La Cour de cassation se prononce comme suit : Ayant constaté que le document contenant l'analyse d'un produit déjà mis sur le marché ne faisait pas partie de l'état de la technique connue à la date de la demande du brevet, la Cour d'appel a cependant pu considérer que, ce produit lui-même étant accessible, son analyse, telle celle ainsi pratiquée à l'époque, quoiqu'elle n'ait pas été divulguée, permettait à l'homme du métier d'en identifier les éléments constitutifs, et notamment de constater que des monoglycérides d'acides gras figuraient dans sa composition.
D'autre part, il n'y a pas de contradiction à constater, tout à la fois que, si un produit connu de l'art antérieur n'enseignait pas l'usage de composants précis, en l'occurrence des monoglycérides gras saturés, il révélait cependant l'usage de monoglycérides gras qui pouvaient être identifiés à l'analyse.
Enfin, la Cour d'appel n'a pas exclu par principe que la définition des proportions adéquates des composants du produit puisse être l'objet d'une activité inventive, mais constaté, s'agissant de la revendication 1 du brevet, que la recherche de ces proportions ne relevait que d'une habileté technique, et, s'agissant de la revendication 2, qu'après quelques essais, l'homme du métier choisirait de manière évidente les doses les plus appropriées donnant un résultat technique maximum, ce dont elle a pu déduire que cette définition ne procédait en l'espèce que d'opérations d'exécution, exclusives de toute activité inventive.
Rejet par la Cour de cassation du pourvoi formé par la société L contre l'arrêt de la Cour d'appel.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 7 mai 2010 (08/12537) - Hexal, Sandoz c. Boehringer
Mot-clé : activité inventive - effet supplémentaire
La société H a fait assigner la société B en nullité des revendications de la partie française du brevet européen EP 0 589 874 pour défaut de nouveauté et à tout le moins d'activité inventive.
Le Tribunal rappelle de façon liminaire nombre de principes et définitions de base en chimie, notamment qu'une sous-catégorie de stéréo-isomères est appelée énantiomères et qu'un mélange équimoléculaire des deux énantiomères est appelé racémate. Les propriétés pharmaceutiques de deux énantiomères peuvent être très différentes.
Le brevet indiquait qu'un avantage thérapeutique surprenant avait été constaté.
Sur la nouveauté de la revendication 1, le Tribunal, après avoir rappelé sous quelles conditions une antériorité est destructrice de nouveauté, a énoncé qu'il est constant qu'une des deux antériorités citées (il s'agissait en l'espèce de deux brevets) dévoile le principe actif ainsi que l'utilisation de ce principe actif comme médicament pour traiter le diabète mellitus. Les sociétés demanderesses soutiennent que cette antériorité dévoile également les moyens d'obtenir les énantiomères des racémates qu'elle divulgue.
Le Tribunal relève toutefois qu'aucun des deux brevets cités comme antériorités, n'a étudié l'effet spécifique de l'énantimoère S(+) par rapport au racémate. Il décide dès lors que faute d'être des antériorités de toutes pièces, lesdites antériorités ne sont pas pertinentes pour détruire la nouveauté.
Sur l'activité inventive de la revendication 1, le Tribunal a d'abord défini en l'espèce l'homme du métier, intégré dans une équipe de spécialistes, puis a examiné les antériorités produites aux débats. Le Tribunal énonce qu'il résulte de l'étude de la littérature communiquée disponible à l'époque du dépôt de la demande de brevet que l'homme du métier était encouragé à étudier l'action de chaque énantiomère d'une molécule chirale utilisée comme médicament ; l'homme du métier n'avait donc aucun préjugé à vaincre, la littérature communiquée par la société défenderesse ne le dissuadant pas de le faire mais au contraire l'incitant à étudier chaque énantiomère.
La société B soutient que l'utilisation du Répaglinide en tant que principe actif, parfaitement adapté à la préparation d'un antidiabétique de longue durée en raison de ses propriétés pharmacologiques inattendues, était inventive.
Le Tribunal rappelle qu'un effet considéré comme inattendu peut receler une activité inventive. Cependant, dans les cas où compte tenu de l'état de la technique, l'homme du métier serait arrivé d'une manière évidente à un résultat correspondant aux termes d'une revendication, vu qu'il pouvait s'attendre à ce que la combinaison des enseignements des documents compris dans l'état de la technique apporte un avantage, une telle revendication est dépourvue d'activité inventive, indépendamment du fait qu'un effet supplémentaire éventuellement inattendu est obtenu.
Le Tribunal considère que l'effet supplémentaire et inattendu constituait un simple effet supplémentaire qui survenait de lui-même, au cours des études suggérées par l'état de la technique, qui ne conférait aucun caractère inventif. Dès lors, la revendication n° 1 du brevet litigieux a été annulée faute d'activité inventive.
GB Royaume-Uni
Chambre des Lords du 14 octobre 2004 - Sabaf SpA c. MFI Furniture Centres Ltd et al. [2004] UKHL 45
Mot-clé : activité inventive - évidence - approche Windsurfing - Directives OEB - pluralité de l'invention - assemblage de caractéristiques
Sabaf SpA était titulaire du brevet GB 2 100 411 portant sur un brûleur pour cuisinières et tables de cuisson au gaz. L'invention proposait un brûleur au gaz de très faible hauteur, utilisable dans les plaques de cuisson planes. Pour ce faire, l'entrée d'air et l'effet Venturi (conversion d'énergie cinétique en énergie potentielle par ralentissement d'un flux gazeux dans un tube spécialement conçu) avaient lieu au-dessus, et non pas en dessous de la plaque.
Le brevet s'est éteint en juin 2001. Sabaf a accusé Meneghetti SpA d'avoir porté atteinte au brevet quand il était en vigueur, en important au Royaume-Uni des produits constituant une contrefaçon. Meneghetti a riposté par une demande reconventionnelle visant à obtenir une déclaration selon laquelle le brevet n'était pas valable parce que l'invention était évidente. Le juge de première instance a estimé que Meneghetti avait bien importé les produits, mais que le brevet n'était pas valable. La Cour d'appel a estimé que le brevet était valable, mais que Meneghetti n'avait pas importé les produits.
La Chambre des Lords a estimé que le brevet avait toujours été non valable, et que la contrefaçon n'était pas avérée.
Selon la Chambre des Lords, pour savoir si une invention est ou non évidente pour l'homme du métier (section 3 Loi britannique sur les brevets de 1977), le Tribunal doit d'abord se demander en quoi consistait l'invention, et notamment s'il y avait une seule invention ou une pluralité d'inventions. La Chambre des Lords s'est référée aux Directives OEB (C-IV, 9.5 et annexe 2.1 de l'édition du décembre 2003) pour le principe permettant de déterminer si l'on a affaire ou non à une invention unique. Ainsi, si les deux entités interagissent et qu'il y a synergie entre elles, elles constituent une invention unique ayant un effet combiné, et la section 3 s'applique à l'idée de leur combinaison. Si chaque entité fonctionne indépendamment des autres, chaque entité constitue, aux fins de la section 3, une invention séparée, et l'article s'applique à chacune d'entre elles séparément.
La Chambre des Lords a estimé que le juge de première instance avait appliqué correctement les principes pertinents à chaque stade. Il avait remarqué que les deux caractéristiques de l'invention, à savoir l'entrée d'air au-dessus de la plaque et la présence d'un Venturi radial, n'avaient pas d'effet l'une sur l'autre, et qu'il avait donc affaire à deux inventions devant chacune passer le test de la section 3 Loi britannique sur les brevets de 1977. Il avait identifié l'activité inventive dans chaque cas. Après s'être demandé quelles étaient, dans chaque cas, les différences entre l'état de la technique pertinent et l'invention, il avait constaté qu'il n'y en avait pratiquement pas. Et de conclure que l'homme du métier, avec ses connaissances générales, n'aurait pas dû faire preuve d'inventivité pour concevoir un produit conforme à la prétendue invention. En d'autres termes, le juge a appliqué la section 3 Loi britannique sur les brevets de 1977 conformément à l'approche Windsurfing à chacune des caractéristiques censées constituer l'invention.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 20 mai 2009 - Aerotel Ltd c. Wavecrest Group Enterprises Ltd [2009] EWCA Civ 408
Mot-clé : activité inventive – application commerciale
L'appel avait pour objet une décision du Tribunal des brevets qui avait annulé le brevet d'Aerotel. Le brevet avait déjà expiré et remontait à un autre âge, dépassé depuis longtemps semblait-il, de la technologie téléphonique, puisque sa date de priorité était 1985. Il revendiquait une méthode pour établir une communication (prépayée).
Il n'était pas contesté que le test Windsurfing comme défini dans la décision Pozzoli c. BDMO était utile. Il a aussi été admis que "Quand l'application d'une notion juridique telle que la négligence ou le caractère évident n'implique pas de question de principe, mais qu'il s'agit plutôt d'évaluer un degré, une Cour d'appel ne doit s'écarter de l'appréciation du juge qu'en faisant preuve de beaucoup de circonspection" (Lord Hoffmann dans la décision Biogen c. Medeva).
L'appelant avait allégué que le juge du fond avait commis quatre erreurs de droit en banalisant le problème de l'état de la technique, en exposant le concept inventif de façon incorrecte, en ignorant les preuves d'experts fournies et en ayant une approche ex post facto. Il y avait aussi une idée générale qui était comme un fil conducteur expliquant ces erreurs, à savoir que l'invention avait conduit à un succès commercial. Le juge avait admis que cela pouvait être un puissant indice de non-évidence, mais, citant la décision Haberman c. Jackal, il avait nié qu'il en soit ainsi dans l'affaire qui lui était soumise. La date de priorité était de 1985 et la demande avait été publiée en Europe en 1986 ; cependant, il semblait que personne n'avait exploité l'invention avant 1994 et que l'utilisation d'alors n'était pas due à quelque chose qu'Aerotel aurait dit ou fait. Le juge avait estimé qu'Aerotel s'était servi du brevet pour gagner de l'argent en attaquant ou en menaçant d'attaquer les utilisateurs, principalement aux Etats-Unis. Mais ceci n'avait pas impressionné le juge, puisqu'il était bien connu que le milieu américain des litiges en matière de brevets était devenu extrêmement favorable aux demandeurs. L'accroissement des ventes de cartes de téléphone prépayées en 1994 ne constituait pas non plus une preuve que l'invention telle que décrite dans le brevet en était l'origine. Sur ce point, la charge de la preuve incombait à l'appelant. Si un titulaire de brevet voulait réfuter l'objection d'évidence en alléguant le succès commercial de son invention, il lui appartenait de prouver que ce succès reposait sur l'invention. Lorsqu'un certain nombre d'autres facteurs étaient susceptibles d'expliquer le succès, comme en l'espèce, le titulaire n'avait pas fourni la preuve nécessaire, à moins d'avoir démontré que les autres facteurs n'étaient pas intervenus, du moins dans une large mesure.
Cet aspect était particulièrement pertinent en l'espèce, compte tenu du long retard, resté sans explication, avec lequel l'invention avait commencé à être exploitée. L'engouement pour le prépaiement à partir du milieu des années 1990 était entièrement imputable à des facteurs autres que l'invention ou, inversement, il n'avait pas été démontré qu'il était imputable à l'invention, compte tenu de la présence d'autres facteurs.
Le juge avait aussi souligné que l'ensemble des problèmes relatifs à l'état de la technique mentionnés dans le brevet, excepté un, n'étaient aucunement des problèmes et que, soit ils avaient été résolus par le système WATS (Wide Area Telephone Service), un système utilisé aux Etats-Unis, qui faisait partie de l'état de la technique, soit ils n'avaient pas été prouvés et paraissaient peu vraisemblables. Le seul problème non résolu, c'était la difficulté d'obtenir des crédits.
Ayant tout cela à l'esprit, Lord Justice Jacob a considéré la différence entre le concept inventif et WATS (cf. Windsurfing, étape 3), ainsi que les prétendues erreurs de droit commises par le juge du fond. Ce dernier avait estimé que le brevet, en effet, exagérait considérablement le problème de l'état de la technique, étant donné que le fait de proposer une activité commerciale exigeant un prépaiement pour les services à rendre pouvait difficilement être considéré comme inventif. Il n'avait pas non plus mal exposé le concept inventif (il l'avait même repris de l'exposé de l'expert de l'appelant). Ce n'était pas une erreur non plus de n'avoir pas conclu à une activité inventive, compte tenu de l'ensemble des preuves disponibles. Ces preuves auraient pu être appréciées différemment s'il avait été démontré que l'invention était commercialement intéressante en 1985. Enfin, l'allégation que l'homme du métier était appelé à travailler à l'amélioration de WATS relevait d'une approche ex post facto et avait contribué à l'opinion que l'idée du prépaiement était inventive, ce qui n'était pas le cas.
Le juge du fond n'avait donc pas commis d'erreur de droit et l'appel a été rejeté.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 31 juillet 2009 - Wake Forest University c. Smith & Nephew [2009] EWCA Civ 848
Mot-clé : caractère évident
Le brevet portait sur un dispositif médical décrit comme étant un "appareil de traitement des lésions des tissus", concernant le traitement de blessures supposées ne pas pouvoir guérir complètement suivant les méthodes classiques. L'invention consistait à utiliser une pompe créant une pression négative. Le Tribunal des brevets avait estimé que la revendication 1, qui portait sur un dispositif comportant une pompe à vide permettant de créer une pression négative, était antériorisée par le document du Russe Bagautdinov, qui faisait partie de l'état de la technique. Le titulaire du brevet, Wake Forest, a fait appel de cette décision. En outre, le Tribunal avait considéré, dans la même décision, comme non évidentes la revendication 4, portant sur un appareil incluant une feuille en polymère flexible, la revendication 16, portant sur une pompe à vide fonctionnant de manière cyclique, et la revendication 19, portant sur une pompe à vide fonctionnant de manière cyclique selon des intervalles spécifiques.
La Cour d'appel a estimé que le juge de première instance avait eu raison de considérer que la revendication 1 était antériorisée par l'état de la technique. Par contre, la Cour n'a pas suivi l'appréciation de l'activité inventive et a considéré au contraire les revendications 4, 16 et 19 comme évidentes.
La Cour a mentionné la nécessité de faire preuve de circonspection avant de renverser la décision du juge du fond. Cependant, si un juge avait adopté une mauvaise approche par rapport à l'activité inventive, alors la Cour d'appel était appelée à procéder elle-même à cette évaluation sur la base des faits établis par le juge de première instance ou de ce qui ressortait clairement des antériorités écrites ou d'autres preuves mentionnées expressément dans la décision.
Bien que la Cour n'ait pas jugé obligatoire d'appliquer le test Windsurfing – comme reformulé dans l'affaire Pozzoli –, elle a estimé que c'était une approche utile. Dans le cadre de ce test, il faut parcourir quatre étapes :
L'étape 1 consiste à définir l'homme du métier et ses connaissances générales communes. L'étape 2 requiert de déterminer le concept inventif qui sous-tend la revendication en question. L'étape 3 comporte l'identification des différences par rapport à l'état de la technique. Enfin, le but de l'étape 4 est de déterminer si ces différences supposent une activité inventive.
Sur l'anticipation :
L'intimé, Wake Forest, a suggéré que la revendication 1 aurait dû être interprétée de façon plutôt moins extensive et a considéré qu'elle ne concernait que les moyens de maintenir une pression négative sur une longue durée. La Cour d'appel a estimé que cette interprétation ne justifiait pas d'annuler la décision de première instance.
Sur le caractère évident :
L'un des moyens de défense qui a été opposé à l'objection d'évidence était le prétendu risque présenté par la méthode Bagautdinov. Il a été soutenu, en particulier, que les médecins occidentaux la considéraient comme non conforme à une bonne pratique.
Lors de l'examen de cette question, la Cour d'appel a appliqué le test Pozzoli. En ce qui concerne l'étape 3, la différence identifiée par rapport à l'état de la technique était l'utilisation d'un film adhésif au lieu de vaseline et d'un simple film. Pour ce qui est de savoir si cette substitution était évidente (étape 4), Wake Forest a allégué que l'utilisation d'un film adhésif causait plus de douleur, quand on l'enlevait, qu'un film maintenu seulement par de la vaseline.
Etant donné qu'en 1991, date de priorité du brevet, il aurait été difficile de trouver des films non adhésifs, la Cour a déclaré qu'il convenait de considérer la revendication 4 comme évidente.
Cette considération était étayée par les constatations relatives à l'enlèvement d'un film adhésif. La Cour a estimé que rien ne montrait qu'un film adhésif présentait des inconvénients en termes de facilité d'enlèvement et de confort par opposition au différent traitement de Bagautdinov. De plus, rien dans l'enseignement de Bagautdinov ne suggérait qu'un film adhésif ne pouvait pas être utilisé. En outre, le juge de première instance n'avait pas considéré l'application du traitement à un groupe de patients pour lequel l'utilisation d'un film adhésif n'aurait pas augmenté les lésions de la peau ou l'inconfort du patient. Enfin, le juge de première instance n'avait pas tenu compte du fait que l'homme du métier était déjà habitué à changer des pansements facilitant la guérison d'une blessure plusieurs fois par jour, causant par là certaines douleurs. Cela veut dire qu'un praticien aurait envisagé l'utilisation d'un film adhésif.
En outre, la Cour d'appel a rappelé que la question en jeu n'était pas de savoir si les méthodes selon le brevet étaient nouvelles, mais si la modification apportée au dispositif était évidente. Par conséquent, la Cour n'a pas jugé important que le brevet ait voulu proposer l'application d'une pression négative pendant une durée plus longue que celle décrite dans l'état de la technique. En particulier, cela était sans importance pour la question de savoir s'il était évident d'utiliser un film adhésif exactement aux mêmes fins et dans les mêmes conditions.
Enfin, la Cour n'a pas partagé les conclusions de Wake Forest selon lesquelles l'homme du métier aurait été dissuadé de mettre en œuvre la méthode Bagautdinov en raison de la qualité douteuse de ce document. En particulier, une personne qualifiée aurait constaté un succès à 100 % en ce qui concerne les 170 patients mentionnés dans le document.
Bien que Bagautdinov n'eût pas enseigné l'application cyclique de la pression négative, la Cour a considéré comme évidentes les revendications 16 et 19. Selon le juge, rien n'empêchait d'utiliser un appareil qui, en plus d'un bouton de "marche/arrêt" parfaitement classique, possédait une fonction de marche cyclique, même si cette fonction restait inutilisée dans la mise en œuvre de la méthode Bagautdinov.
ES Espagne
Cour d'appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 30 octobre 2009 (appel n° 56/2008) - Laboratorios Ranbaxy, S.A. et al. c. Warner-Lambert Company
Mot-clé : activité inventive - approche "could-would"
Après avoir résolu la question de la nouveauté du brevet espagnol (ES 2 167 306 ; brevet européen EP 0 409 281, ci-après P 306), l'objet du litige à trancher par la Cour d'appel était la nullité des revendications R1, R2 et R3 du brevet P 306 pour absence d'activité inventive. Le recours introduit par le demandeur souligne les précédents judiciaires dans d'autres Etats où l'absence d'activité inventive du brevet P 306 a été reconnue.
Le problème technique objectif que la P 306 prétendait résoudre est l'obtention de composés hypercholestérolémiques ou hypolipidémiques présentant de meilleures propriétés de manipulation, en particulier une meilleure solubilité et une meilleure hygroscopicité. La Cour d'appel précise que le problème technique objectif ne s'est pas posé dans la P 633 (le document le plus proche de l'état de la technique selon la demande) et n'est pas mentionné dans les documents de l'état de la technique cités par l'expert de la demanderesse, or c'est un élément pertinent pour déterminer le degré de motivation ou d'intérêt de l'expert au moment de faire les sélections pour obtenir le sel calcique de l'atorvastatine énantio pure. En principe, on ne doutait pas que l'expert en la matière aurait pu choisir ou sélectionner l'atorvastatine racémique entre tous les composés entrant génériquement dans la P 633, et qu'il aurait pu opter ensuite pour l'isomère R-(R*,R*), mais il n'a pas été apporté la preuve certaine que l'expert aurait opté pour cette alternative entre toutes les alternatives possibles à partir de la P 633 et des connaissances générales à la date concernée, en tant qu'alternative évidente pour résoudre le problème technique auquel l'expert se trouvait confronté.
L'approche "could-would" selon l'acception britannique est un élément important de la dernière étape du test "d'approximation problème-solution". En d'autres termes, il ne suffit pas que l'expert moyen en la matière puisse opter ou aurait pu opter pour la solution proposée par le demandeur du brevet, il faut que cet expert ait réellement opté pour ce choix. Quoi qu'il en soit, étant donné que les circonstances de l'activité inventive doivent être appréciées à la date de priorité du brevet examiné, il ne sert à rien d'analyser l'état de la technique après cette date. L'état de la technique doit être examiné en tenant compte à bon escient de la solution proposée par l'invention (Directives relatives à l'examen C.IV, 9.10.2). Il est précisé en outre que la P 633 ne contient aucune information et aucun enseignement à propos de problèmes éventuels de formulation ou de manipulation des composés de la P 633, ou de problèmes avec le composé le plus proche du sel hémi-calcique de l'atorvastatine, à savoir le sel sodique de l'atorvastatine racémique. Par conséquent, la P 633 n'oriente pas l'expert vers la résolution d'un problème technique. Les meilleures propriétés de solubilité et d'hygroscopicité du sel hémi-calcique de l'atorvastatine ont été démontrées lors de la procédure de délivrance du brevet (voir la décision T 229/97). Il faut tenir compte des avantages du composé revendiqué par le brevet au moment de déterminer le problème technique que l'on prétend résoudre, conformément à la jurisprudence de l'OEB qui admet la prise en compte d'effets avantageux supplémentaires non mentionnés dans la demande de brevet, à la condition "qu'ils ne modifient pas le caractère de l'invention", ce qui est le cas s'il existe une relation technique entre les avantages et le problème de départ mentionné dans la demande (T 440/91 et T 1062/93).
La Cour se départit des critères adoptés par les organes judiciaires d'autres Etats qui n'ont pas reconnu les circonstances de l'activité inventive du brevet contesté, une situation qui n'est pas tolérée par le système européen de brevets dans sa configuration d'origine et dans sa configuration actuelle.
Note de la rédaction : Voir également les jugements de la même Cour d'appel du 18 octobre 2007 (LEK Pharmaceuticals c. Warner-Lambert Company) et du 17 mars 2008 (Laboratoires Cinfa, S.A. et al. c. Warner-Lambert Company).
IT Italie
Tribunal de première instance de Venise du 14 juillet 2005 (7064/2004) - Stelplast c. La Brenta
Mot-clé : activité inventive – combinaison d'inventions antérieures
Tandis que l'exigence de nouveauté est réputée remplie dès lors que le produit ne fait pas partie de l'état de la technique à la date de dépôt, l'appréciation de l'activité inventive, en revanche, implique une approche différente : le produit peut se différencier de l'état de la technique dans la mesure où il représente une évolution "évidente" dans le domaine pertinent, en ce qui concerne soit la structure du produit, soit sa fonction (ces deux paramètres – structure ou fonction – sur lesquels le jugement sur la preuve doit être fondé, peuvent être appliqués l'un ou l'autre indifféremment et contribuent d'eux-mêmes à l'appréciation de l'activité inventive). En outre, l'activité inventive ne peut pas être établie par le seul fait que le produit combinant chacune des caractéristiques de brevets déjà délivrés n'a pas encore fait l'objet d'une demande de brevet ; combiner des inventions antérieures n'exclut pas le risque que l'invention soit toujours considérée comme évidente. En fait, lorsqu'il est pris en compte pour apprécier l'activité inventive (contrairement à ce qui se passe pour l'appréciation de la nouveauté), l'état de la technique ne doit pas être considéré individuellement et séparément mais dans le contexte technique général en cause. L'expert chargé de l'évaluation de l'activité inventive doit donc être qualifié dans les domaines techniques dont relèvent les inventions combinées, de manière à exclure l'évidence dans les cas où la combinaison résulte d'une activité intuitive concernant chacun des éléments, à laquelle personne n'aurait abouti en se basant uniquement sur des considérations rationnelles.
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 13 mai 2009 - ratiopharm c. Sepracor
Mot-clé : activité inventive - énantiomères
Le brevet européen en cause (EP 0 663 828) concerne l'utilisation de la lévocétirizine pour le traitement de troubles allergiques tels que le rhume des foins, la lévocétirizine étant l'un des deux énantiomères composant l'inhibiteur connu du rhume des foins, la cétirizine. Selon le titulaire du brevet, l'utilisation de l'énantiomère pur devrait être considérée comme inventive dans ce cas particulier parce qu'il a été étonnamment efficace en tant que mélange racémique, générant ainsi moins d'effets secondaires. Le Tribunal a considéré que l'homme du métier était ainsi suffisamment incité à effectuer des recherches sur les propriétés des énantiomères. A cet égard, le Tribunal a cité la décision T 296/87 (JO OEB 1990, 195) selon laquelle il est évident de commencer par faire des essais sur chacun des énantiomères pour étudier comment améliorer un médicament composé d'énantiomères. Ainsi, l'application thérapeutique d'un énantiomère en tant que tel était évidente et l'invention revendiquée était dénuée d'activité inventive, que l'application apporte ou non des avantages inattendus.
2. Approche problème-solution
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 29 mars 2006 (Op 5/05)
Mot-clé : activité inventive – approche problème-solution
Dans cette décision, la Chambre suprême des brevets et des marques a énoncé les critères fondamentaux pour l'examen de l'activité inventive. La Chambre a souligné qu'il est autorisé, lors de l'examen de l'activité inventive, contrairement à celui de la nouveauté, d'interpréter des documents publiés à la lumière des connaissances ultérieures et de tenir compte de l'état des connaissances qui étaient accessibles en général à l'homme du métier au moment de la date effective de dépôt ou de priorité de l'invention revendiquée. Lors de l'appréciation, si la solution repose sur une activité inventive, il convient de se fonder sur les connaissances et compétences de l'homme du métier.
Dans l'intérêt d'une appréciation objective et compréhensible de l'activité inventive, il y a généralement lieu de suivre l'approche problème-solution, qui se décompose en trois phases : a) détermination de l'état de la technique le plus proche; b) détermination du problème technique objectif à résoudre et c) examen de la question de savoir si l'invention revendiquée aurait été évidente pour un homme du métier, compte tenu de l'état de la technique le plus proche et du problème technique posé. Une mesure est évidente si elle ne va pas au-delà de ce qui relève du progrès technologique normal, mais résulte sans effort et logiquement de l'état de la technique connu jusque-là, et donc si elle ne requiert pas de compétences ou de capacités allant au-delà de ce qu'on peut attendre de l'homme du métier tel que défini.
En l'espèce, le problème objectif ne correspondait pas à ce que le demandeur avait décrit à l'origine dans la demande comme étant le problème à résoudre. La Chambre suprême des brevets et des marques a jugé qu'une telle reformulation du problème technique, fondée sur des faits établis objectivement pendant la procédure de délivrance à l'OEB, était admissible, étant donné que tout effet de l'invention peut servir de fondement à une nouvelle formulation du problème technique, dans la mesure où cet effet ressort de la demande telle que déposée. La Chambre a fait remarquer que ceci était aussi en complet accord avec la pratique des autorités autrichiennes.
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 25 février 2009 (Op 6/08)
Mot-clé : activité inventive - approche problème-solution
Dans cette décision, la Chambre suprême des brevets et des marques a résumé la jurisprudence a développée au sujet de l'appréciation de l'activité inventive.
Une invention repose sur une activité inventive si elle résout un problème technique d'une façon non évidente pour l'homme du métier de compétences moyennes, compte tenu de l'état de la technique le plus proche. Une mesure est évidente si elle ne va pas au-delà de ce qui relève du progrès technologique normal, mais résulte sans effort et logiquement de l'état de la technique connu jusque-là (voir la décision de la Chambre suprême des brevets et des marques du 29.03.2006 ci-dessus).
En vue d'une appréciation objective de l'activité inventive, qui doit permettre d'éviter les considérations a posteriori, la question de l'activité inventive est notamment traitée selon l'approche utilisée par l'OEB, dite problème-solution. D'après cette méthode d'examen, il n'est pas décisif, pour l'appréciation de l'activité inventive, de savoir si un homme du métier aurait théoriquement pu prendre les mesures préconisées dans le brevet ; ce qui importe est bien plutôt de savoir si l'homme du métier aurait eu une raison concrète de le faire.
NL Pays-Bas
Cour suprême (Hoge Raad) du 15 février 2008 - Rockwool c. Saint-Gobain
Mot-clé : activité inventive – approche problème-solution – approche "could-would"
Le brevet Rockwool portait sur une méthode visant à appliquer un agent mouillant sur de la laine de roche pour qu'il puisse être utilisé comme substrat à des fins de reproduction végétale. Le titulaire du brevet s'est pourvu en cassation contre la révocation de son brevet par la Cour d'appel. La Cour suprême a considéré que la Cour d'appel avait correctement apprécié l'activité inventive en appliquant l'approche problème-solution et elle a rejeté le pourvoi.
La Cour suprême s'est penchée sur la question visant à déterminer si l'utilisation revendiquée était pertinente pour l'évaluation de la nouveauté et de l'activité inventive. Selon la Cour, l'évaluation de la validité d'un procédé part de l'invention telle qu'elle est décrite dans le brevet. Normalement, la nouveauté et le caractère inventif du produit obtenu par le procédé ou par son application ne sont pas décisifs pour cette évaluation, ne fût-ce que parce qu'un brevet peut être délivré pour une nouvelle méthode destinée à obtenir un produit existant de manière plus avantageuse. Cependant, la nouveauté et l'activité inventive du produit ou de son application, dans la mesure où elles peuvent être déduites du brevet, pourraient, dans certains cas, être prises en compte comme une indication potentielle du caractère nouveau et inventif de la méthode.
La Cour suprême a également considéré que l'on ne pouvait pas déterminer le degré d'inventivité en procédant à des recherches rétroactives, tout en ayant connaissance du procédé breveté, pour découvrir des divulgations antérieures auxquelles cette méthode pourrait se rapporter. A cet égard, trois questions doivent être prises en compte lors de l'appréciation de l'activité inventive : premièrement, savoir si l'homme du métier moyen aurait identifié le problème résolu par la méthode brevetée ; deuxièmement, savoir s'il aurait consulté les publications de l'état de la technique en vue de résoudre ce problème ; troisièmement, savoir si, avec des connaissances d'ordre général, il aurait conclu (par opposition à "aurait pu conclure") d'après l'état de la technique d'alors que la méthode brevetée était une solution évidente.
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 26 janvier 2011 - Sandoz c. Glaxo
Mot-clé : activité inventive – approche problème-solution – approche "could-would"- effet de prime
Glaxo est titulaire d'un brevet européen (EP 0 416 951) portant sur une combinaison de salmétérol et de fluticasone pour le traitement de l'asthme et d'autres troubles respiratoires. Suite aux avis exprimés par les tribunaux anglais, allemands et irlandais, le Tribunal de grande instance de La Haye a annulé le brevet pour absence d'activité inventive, en expliquant en détail l'approche problème-solution.
Pendant les procédures, Glaxo a préconisé une approche différente d'appréciation de l'activité inventive, cette approche n'étant pas basée sur une déclaration unique comme état de la technique le plus proche, mais plutôt sur une considération globale de l'état de la technique, notamment les effets synergiques et les "pointeurs négatifs" de la fluticasone et de la combinaison. Le Tribunal a rejeté cette approche et s'est aligné sur la jurisprudence constante des Pays-Bas et sur la pratique courante à l'OEB, où est appliquée, en règle générale, l'approche problème-solution pour apprécier l'activité inventive. Le Tribunal n'a pas fait d'exception pour le cas présent, parfaitement adapté à l'approche structurée problème-solution. Donc, dans cette affaire aussi, une déclaration unique devrait être appliquée comme l'état de la technique le plus proche. Tout autre état de la technique pourrait être indiqué lors de l'évaluation de l'activité inventive, premièrement dans la mesure où il pourrait être considéré comme faisant partie des connaissances générales communes et, deuxièmement, pour indiquer la progression des catégories de médicaments brevetés contre l'asthme en servant de référence comme état de la technique. D'après le Tribunal, il reste à considérer si les différentes approches utilisées en Europe pour déterminer l'activité inventive conduiraient toujours à des résultats différents. Dans la mesure où la méthode d'évaluation préconisée par Glaxo était conforme à l'approche anglaise sur l'état de l'art dans Pozzoli/Windsurfing, le Tribunal néerlandais a fait observer que le juge anglais avait indiqué plusieurs fois que l'évaluation "anglaise" de l'activité inventive n'était pas, sur le fond, différente de l'approche de l'OEB et qu'elle ne devrait pas conduire à des résultats différents.
En adoptant l'approche problème-solution, le Tribunal néerlandais a justifié son jugement en faisant référence à la publication "La Jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB", 6e édition, 2010, aux décisions pertinentes qui y figurent et aux Directives de l'OEB. En ce qui concerne en particulier la troisième étape de l'approche problème-solution, le Tribunal a souligné qu'il était important de faire la distinction "could-would" et d'éviter que l'évaluation soit influencée par toute vue a posteriori, ce qui est également conforme à la jurisprudence néerlandaise.
Quant au principal argument du titulaire selon lequel le brevet contiendrait un effet synergique et donc surprenant en raison de l'interaction mutuelle entre les deux composants, donnant lieu à une invention de type nouveau pour le traitement de l'asthme, le Tribunal a refusé de prendre en compte un tel "effet de prime" dans l'appréciation de l'activité inventive, parce que cet effet apparaît sans effort dès que l'homme du métier moyen suit la procédure évidente indiquée dans le document présentant l'état de la technique le plus proche.
3. Homme du métier
BE Belgique
Tribunal de première instance de Liège du 6 décembre 2007 - Joskin Machines Agricoles c. Machines
Mot-clé : définition de l'homme du métier
Les deux parties sont des sociétés qui fabriquent des machines agricoles dont notamment des engins d'épandage et d'injection de lisier.
La société J demande la condamnation de la société V pour contrefaçon et la nullité de la partie belge de son brevet EP 1 044 592.
La société V a introduit, par voie de conclusions, des demandes reconventionnelles par lesquelles elle demande à titre principal, de déclarer nul le brevet EP 0 520 974 de J. A titre subsidiaire, elle demande que soit ordonnée conformément à l'art. 25 CBE une mesure d'expertise et demande un avis technique à l'OEB. Notamment, la société défenderesse (la société V) réfute à la demanderesse (la société J) le caractère inventif de son brevet.
Sur ce, le Tribunal rappelle que l'invention est inventive si elle ne résulte pas de manière évidente pour un homme de métier. L'homme de métier est un praticien normalement qualifié c'est-à-dire d'une intelligence moyenne, lui permettant de résoudre les problèmes que la technique lui pose couramment. Dans un jugement du 10 février 1999, le même Tribunal définissait l'homme de métier comme "le personnage désincarné qui doit être un technicien du secteur concerné, avoir une bonne connaissance de la technique (il doit connaître toutes les antériorités existantes) et être suffisamment intelligent pour pouvoir procéder à certains aménagements qui correspondent aux problèmes courants posés dans son secteur mais non trop. Il n'a pas de génie créatif mais une subtilité suffisante pour faire face aux nécessités courantes non résolues par une application mécanique et stéréotypée des techniques usuelles". L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen (art. 5 (2) Loi belge sur les brevets).
Les pièces déposées dans la présente affaire permettaient, selon le Tribunal, de conclure que le monde professionnel intéressé, s'efforce depuis de nombreuses années de trouver une solution au problème repris dans tous ces brevets en ce y compris le brevet de J et le brevet V litigieux, à savoir couper les matières fibreuses du lisier. Ce constat permet de retenir un indice d'activité inventive. Contrairement à ce que soutient la partie défenderesse, ce n'est pas tant la technique de "ciseaux" qui est revendiquée par J comme étant la partie inventive de sa machine, mais bien le dispositif mis en place pour obtenir cet effet de cisaillement qui est, à lui seul, inventif et innovant. Cet effet est clairement décrit dans la revendication principale du brevet. Il s'impose donc, selon le Tribunal, de constater que bien que des brevets antérieurs se soient préoccupés de trouver un remède aux matériels fibreux du lisier en ce y compris par un effet de ciseau, la technique utilisée par l'invention J pour obtenir cet effet ciseau est inventive. Le Tribunal n'estime pas que cette technique utilisée par J était évidente pour un homme de métier dès lors que cette technique nécessitait de s'interroger sur la manière d'obtenir de manière optimale un effet ciseaux sous quelle forme, etc.
Subsidiairement, la société V. sollicite du Tribunal une mesure d'expertise technique par la voie de l'OEB. Le Tribunal estime cette demande peu pertinente à la solution du litige. Le Tribunal note par ailleurs que l'OEB a reconnu l'activité inventive de l'invention J et lui a délivré le brevet sollicité.
CH Suisse
Tribunal fédéral du 18 mai 2005 (4C.52/2005) - Cheville pour mur friable
Mot-clé : activité inventive - homme du métier - approche problème-solution
Dans ce jugement, le Tribunal fédéral suisse a confirmé sa jurisprudence concernant la notion d'évidence par rapport à l'activité inventive :
L'art. 1(2) Loi suisse sur les brevets, qui correspond à l'art. 56 CBE, fait référence à la notion de non-évidence pour définir l'activité inventive, qui est une condition pour la délivrance d'un brevet. Conformément à cette notion, l'activité inventive suppose d'aller au-delà de la zone délimitée par l'état de la technique connu et ce que l'homme du métier de compétence moyenne dans le domaine considéré est à même de trouver et de développer, en s'appuyant sur ses connaissances et ses facultés. Il convient pour l'essentiel de déterminer si cet homme du métier peut parvenir à la solution découlant du brevet en cause en fournissant un effort intellectuel limité et en se fondant sur l'ensemble des solutions partielles et contributions individuelles comprises dans l'état de la technique, ou si un surcroît de travail créatif est nécessaire. L'homme du métier de compétence moyenne n'est ni un expert du domaine technique considéré, ni un spécialiste ayant d'excellentes connaissances. Il ne maîtrise pas nécessairement tout l'état de la technique, mais il a de solides connaissances et aptitudes, une bonne formation et une expérience suffisante, et il est donc bien préparé pour le domaine technique en question.
L'activité inventive doit être appréciée à la lumière de la situation de départ, telle qu'elle était objectivement donnée au moment déterminant. L'état de la technique à l'époque concernée doit être considéré dans sa totalité, dans une certaine mesure en tant que "mosaïque", les éléments de cette mosaïque ne devant toutefois pas être examinés individuellement. L'état de la technique le plus proche sert d'ordinaire de point de départ, tandis que les documents cités plus éloignés, qui sont bel et bien examinés, sont pris en considération de manière plus restrictive afin d'établir s'ils suggèrent une voie menant à la solution revendiquée. Certes tous les enseignements accessibles au public et les documents cités peuvent être considérés comme le bagage technique dont disposaient, pour la résolution du problème, l'homme du métier ou le groupe d'experts, ceux-ci ayant à cet égard une capacité normale à combiner des éléments entre eux. Cependant, des éléments individuels provenant de l'état de la technique ne peuvent plus être combinés dès lors qu'ils conduisent à une appréciation rétroactive artificielle à la lumière de l'invention revendiquée. Des documents ne peuvent être combinés entre eux que si l'état de la technique contient des suggestions en ce sens.
Etant donné que l'instance ayant rendu la décision attaquée n'avait pas défini les exigences auxquelles l'homme du métier devait satisfaire, et que, par ailleurs, il s'était avéré impossible de comprendre la méthode d'examen de l'activité inventive, la décision du Tribunal cantonal a été annulée et l'affaire renvoyée pour nouveau jugement. A ce sujet, le Tribunal fédéral suisse a considéré que l'approche problème-solution suivie par la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB n'est certes pas la seule méthode admissible, mais qu'en revanche, il est nécessaire de déterminer l'état de la technique, les exigences relatives à l'homme du métier et les faits qui établissent le caractère évident (ou non évident) de la solution exposée dans le brevet en cause, faute de quoi une révision des conclusions de la décision attaquée est impossible.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 7 mars 2006 (X ZR 213/01) - Appels téléphoniques prépayés
Mot-clé : activité inventive – homme du métier
Le brevet contesté portait sur un procédé de traitement des appels téléphoniques prépayés. Le fascicule du brevet en cause faisait référence au procédé et système de traitement des appels téléphoniques prépayés, décrit dans un brevet américain plus ancien, qui reposait sur des numéros de codes spéciaux pouvant être certifiés. Ces codes étaient attribués aux utilisateurs moyennant l'achat d'un crédit. Les montants de crédit étaient mémorisés dans l'ordinateur de centres spéciaux, ce qui permettait d'effectuer des appels à partir de n'importe quel téléphone privé usuel. Le fascicule de brevet critiquait, comme inconvénient de ce procédé, que celui qui s'y intéressait en tant qu'utilisateur devait parcourir toute une série d'étapes préparatoires – généralement auprès d'organismes de cartes de crédit – afin d'obtenir une légitimation pour l'utilisation du système. Le fascicule de brevet désignait donc comme problème à la base de l'invention qu'il s'agissait d'éviter les inconvénients des installations téléphoniques publiques à monnaie ou à carte magnétique et en même temps de rendre superflu toute communication préalable avec l'organisme de cartes de téléphone ou de cartes de crédit. Au cours de l'instance précédente, le Tribunal fédéral des brevets avait prononcé la nullité du brevet.
La Cour fédérale de justice, elle, a considéré le brevet comme nouveau et inventif. La question de savoir si l'objet d'une invention découle de manière évidente de l'état de la technique est une question de droit qui nécessite, pour y répondre, de porter un jugement sur les circonstances concrètes susceptibles de révéler – directement ou indirectement – quelque chose sur les conditions pour trouver la solution selon l'invention.
Il ne faut pas confondre l'homme du métier, dont il est ici question, avec une personne existant réellement. Par ailleurs, il serait tout à fait impossible d'apprécier les inventions de façon uniforme, en conformité avec l'exigence de sécurité juridique, sur la base de connaissances et d'aptitudes individuelles. On fait donc appel aux modes de pensée de l'homme du métier, à ses connaissances et à son imagination pour acquérir une base de décision fiable en s'appuyant sur les connaissances courantes d'un expert du domaine technique concerné, ainsi que sur les connaissances, expériences et aptitudes moyennes des praticiens dans ce domaine, qui conditionnent leur compréhension d'un enseignement technique.
L'homme du métier (en l'espèce, un technicien qualifié en communications et/ou un informaticien ayant plusieurs années d'expérience dans le domaine des télécommunications), qui se fixait pour but de trouver une solution la plus simple et la plus économique possible pour traiter les appels téléphoniques prépayés, connaissait deux modes de mémorisation des données nécessaires à l'exécution de ces appels : soit la variante dans laquelle toutes les données sont mémorisées dans la puce électronique ou la bande magnétique de la carte, soit la variante dans laquelle elles sont stockées dans une banque de données de telle sorte qu'un crédit déterminé est associé à un certain numéro d'identification.
Si l'homme du métier voulait éviter l'inconvénient que la commercialisation nécessitait d'avoir des câbles de transfert des données entre le service des ventes et la banque de données, ce n'était possible que si le numéro d'identification était communiqué au client d'une autre manière. La Cour ne voit cependant pas de raison de penser que cela rendait la standardisation des montants de crédit, usuelle notamment avec les cartes à puce, évidente pour l'homme du métier, standardisation qui lui aurait alors permis d'associer à chaque crédit le numéro d'identification avant que le client n'acquière ce crédit. Cette étape ne pouvait entraîner de simplification au niveau de la commercialisation que si l'homme du métier trouvait en même temps une solution au problème de la communication du numéro d'identification au client. Il n'existait pas de modèle pour les cartes à puce, étant donné que ce problème ne se pose pas pour elles. Il ne suffisait donc pas de passer des crédits déterminés individuellement aux montants de crédit standardisés d'emblée ; cette démarche nécessitait au contraire de franchir d'autres étapes, à savoir l'association préalable du crédit à un numéro d'identification dans la banque de donnée et la communication de ce numéro au client.
FR France
Cour d'appel de Paris du 22 février 2008 (06/08776) - Thermohauser c. Matfer
Mot-clé : activité inventive - homme du métier - domaine voisin
Le brevet concernait, d'une manière générale, les ustensiles de cuisine et plus spécialement les fouets utilisés pour battre des mélanges constitués de plusieurs boucles ouvertes de fil d'acier qui sont rassemblées et liées à un manche permettant la préhension du fouet pour son utilisation.
Sur la demande en nullité : outre les antériorités déjà analysées par les premiers juges, la société T, qui demandait la nullité, invoquait les documents relatifs à des tournevis et couteaux, écartés par les premiers juges. La société M, titulaire du brevet, soutenait qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte l'ensemble des antériorités invoquées, à défaut pour celles relatives aux tournevis et couteaux de faire partie des connaissances techniques habituelles du domaine de l'homme du métier, en l'espèce celui des fouets de cuisine.
La Cour considère que la société M ne saurait être suivie sur ce point, l'homme du métier qui est celui qui possède les connaissances normales de la technique en cause (problème de fixation d'un outil sur un manche) ne se réduisant pas seulement à celui du domaine de l'objet du brevet, soit en l'espèce celui des fouets de cuisine, mais concernant celui qui a des connaissances de manière plus générale dans le domaine des petits outils à main comportant la fixation sur un manche d'une partie active de l'outil soumis à divers efforts, tels des couteaux (ce qui est du domaine culinaire), et de manière plus large des tournevis ; que d'ailleurs, ce domaine de compétence technique est visé par deux brevets antérieurs versés aux débats qui, bien que traitant plus particulièrement de tournevis, se réfèrent de manière plus large à des manches pour ustensiles à usage domestique tels que des fouets de cuisine et des spatules. Il convenait en conséquence d'analyser le défaut d'activité inventive au regard de l'ensemble des documents opposés en appel.
La Cour juge que, devant les problèmes auxquels l'homme du métier souhaitait apporter une solution (assurer l'étanchéité et une grande solidité de l'ensemble), aucun des enseignements antérieurs ne conduisait l'homme du métier à aller avec évidence dans le sens d'une coopération entre le manche et le sous-ensemble comportant des moyens d'ancrage assurant chacun des fonctions distinctes ; au contraire, les antériorités le conduisaient à penser que la solidarisation par surmoulage et donc par l'introduction de la matière ayant pour résultat d'enserrer les fils et ainsi de les empêcher de bouger tant longitudinalement qu'en rotation était suffisante pour assurer le résultat recherché, résultat qui, en réalité, n'était pas parfait.
FR France
Cour de cassation du 26 février 2008 (06-19149) - Newmat c. Normalu
Mot-clé : activité inventive - homme du métier - domaine voisin
La Cour d'appel, pour annuler, faute d'activité inventive, la revendication 1 d'un brevet couvrant "une pièce profilée pour l'accrochage d'un plafond tendu", avait relevé que le document Peillex ne s'appliquait pas directement à des plafonds tendus, mais que comme il portait sur des liaisons entre murs et plafonds permettant d'assurer une étanchéité, ce qui signifiait que ces liaisons avaient pour but de ne pas laisser d'interstice entre les autres éléments, l'homme du métier, c'est-à-dire celui des faux plafonds, ne pouvait ignorer les différentes structures prévues pour assurer des liaisons entre murs et plafonds, et que, dès lors, l'argumentation selon laquelle il n'était pas possible de se référer à l'enseignement du document Peillex devait être écartée.
La Cour de cassation énonce que l'homme du métier est celui qui possède les connaissances normales de la technique en cause et est capable, à l'aide de ses seules connaissances professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention.
La Cour juge qu'en retenant que l'homme du métier, en l'espèce le spécialiste des plafonds tendus, possède des connaissances professionnelles relevant d'une autre spécialité que la sienne, en l'occurrence celle du spécialiste de l'étanchéité, la Cour d'appel a violé le texte de l'art. L. 611-14 CPI.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 28 janvier 2009 (07/06328) - Technip France c. ITP
Mot-clé : définition de l'homme du métier
La société I est une société d'ingénierie et de fabrication dans le domaine des pipe lines destinés au transport sous-marin des hydrocarbures. La société I est titulaire du brevet français délivré sous le n° 2 746 891. Sous priorité de ce brevet, la société I est titulaire du brevet européen EP 0 890 056 ne désignant pas la France. Par décision du 17 février 2004 de la chambre de recours dans l'affaire T 1013/02, ce brevet européen a été révoqué pour défaut d'activité inventive.
Différentes procédures devant des juridictions étrangères ont opposé les sociétés I et T au sujet de l'invention, objet des titres précités. La société T a assigné la société I aux fins de voir prononcer la nullité des revendications 1 à 16 du brevet français pour défaut d'activité inventive.
La société T prétend que pour l'homme du métier qui, d'après elle, est un technicien en matière d'isolation de canalisation, l'invention est évidente au vu des enseignements de l'art antérieur.
Pour la société I, l'homme du métier est un ingénieur en pipeline engagé dans la conception et la construction de pipeline offshore communément désigné sous le nom d'ingénieur pipeline offshore. Le problème posé à ce spécialiste est d'améliorer la performance thermique des pipelines existants, les contraintes étant égales par ailleurs. Or, rien dans l'art antérieur ne le conduisait aux caractéristiques de l'invention. En effet, les produits microporeux existaient depuis le début des années 1960 et n'ont pas été utilisés dans les pipelines avant l'invention.
Pour la société I, le raisonnement de la société T est un raisonnement a posteriori qui ne peut pas être suivi.
Sur la définition de l'homme du métier, le Tribunal juge qu'il est constant que l'homme du métier s'entend d'un praticien normalement qualifié qui possède des connaissances générales dans le domaine concerné à la date du dépôt de la demande de brevet concernée.
Au vu des éléments figurant dans la description de l'invention, le Tribunal estime que le domaine considéré est celui de la conception et de la fabrication de tuyaux à double enveloppe pour constituer des canalisations destinées à véhiculer des fluides devant rester à des températures constantes et soumises à des contraintes de pose particulières (par exemple au fond des mers). Si effectivement le texte de la revendication 1 ne limite pas le domaine de l'invention aux canalisations de produits pétroliers, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit dans l'ensemble de la description, de canalisations soumises à des contraintes fortes tant en termes de fluides véhiculés que de lieux géographiques de pose et de longueur (plusieurs kilomètres). Aussi, contrairement à la position de la société T, le Tribunal considère que l'homme du métier n'est pas "le technicien de l'isolation des canalisations", mais un ingénieur en conception et fabrication de pipeline.
Toujours selon le Tribunal, comme le relève justement la société I, la définition de l'homme du métier soutenue par la société T est contradictoire avec la qualité des témoins qu'elle a fait intervenir dans le cadre de la procédure écossaise qui tous avaient une grande expérience dans l'ingénierie des pipelines et ne correspondaient pas au profil du "technicien de l'isolation des canalisations".
Comme l'a retenu Lord Smith dans la procédure écossaise opposant les mêmes parties sur la validité du brevet européen, cet ingénieur de pipeline a de grandes connaissances mais n'est pas un spécialiste des différents produits d'isolation.
Sur le problème posé : aux termes de la description, le breveté expose qu'il a cherché principalement à diminuer les coûts de pose des tuyaux à double enveloppe de l'état de l'art dans lesquels on crée un vide poussé dans l'espace annulaire existant entre les deux tuyaux et à améliorer leur isolation thermique pour le fluide véhiculé tout en répondant aux contraintes imposées à ce type d'équipement à tous les stades de leur fabrication, de leur transport, de leur pose et de leur utilisation.
Le Tribunal considère que le problème posé par la chambre de recours de l'OEB n'est pas pertinent ; en effet, celle-ci est partie des résultats de l'invention (facilité de mise en place et encombrement réduit) pour définir le problème posé à l'homme du métier alors qu'il est clair aux termes de la description que le breveté cherchait à " diminuer les coûts, améliorer la qualité et la durabilité de l'isolation thermique" et non à faciliter la pose ou à diminuer la section des tuyaux à double enveloppe.
- sur l'état de la technique le plus proche : les parties sont d'accord pour considérer que l'état de la technique le plus proche est le brevet Preussag. L'invention Preussag concerne une canalisation pour le transport d'agents gazeux ou fluides dont la température est différente de la température ambiante, à double enveloppe, le tube interne étant enveloppé d'une isolation thermique.
Le Tribunal juge que l'invention Preussag se distingue de l'invention de la société I par deux différences et que par ces deux différences, le brevet Preussag est éloigné de l'invention tant dans le problème posé (supprimer les écarteurs ou bagues qui en faisant des ponts thermiques, nuisent à l'isolation thermique) que dans la solution adoptée (position respective des tuyaux interne et externe, nature de l'isolant).
Le Tribunal conclut, faisant siennes les conclusions de Lord Smith dans son jugement, qu'aucune des combinaisons des enseignements de Preussag avec les documents de l'art antérieur opposées par la société T n'aboutit à l'évidence de l'invention, objet de la revendication n° 1 du brevet I. Cette position est d'ailleurs confirmée par les indices d'activité inventive suivants : – un document confidentiel montre qu'à cette date, la société ayant cause de la société T, n'utilisait pas les matériaux microporeux à pores ouverts malgré les avantages décrits aujourd'hui comme évidents par celle-ci et la pression importante faite sur les sociétés pétrolières pour améliorer le coût de leurs installation; – la société M, par la voie de son ancien Président M. H, a qualifié de "crazy Frenchmen" les personnels de la société I qui venaient lui demander d'envisager l'utilisation des produits Microtherm pour isoler des canalisations pipelines; – le délai entre la mise au point de ses produits Microtherm sur le marché en 1967 et leur utilisation en 1996 dans les systèmes de pipe line mis au point en 1982 montre bien que cette exploitation n'avait rien d'évident.
Dans ces conditions, le Tribunal déboute la société T de sa demande d'annulation des revendications du brevet I, la validité de la revendication 1 emportant validité des autres revendications dépendantes.
Note de la rédaction : la Cour d'appel de Paris du 22 septembre 2010 (09/02379) a confirmé ce jugement.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 1er avril 2004 - Rockwater c. Technip France SA [2004] EWCA Civ 381
Mot-clé : activité inventive - homme du métier - expert cité en tant que témoin
Dans ce jugement, Lord Justice Jacob a examiné les caractéristiques de l'homme du métier.
Selon Lord Justice Jacob, l' "homme du métier" est invoqué dans de nombreux aspects cruciaux du droit des brevets. Les revendications d'un brevet doivent être interprétées comme si elles étaient lues par cet homme imaginaire. De la même manière, de nombreuses questions afférentes à la validité (par exemple, l'évidence et la suffisance de l'exposé) nécessitent d'essayer de voir les choses comme le ferait l'homme du métier. L'homme du métier est en effet reconnu dans les textes juridiques - les articles 56, 83 et 100 CBE mentionnent expressément "l'homme du métier".
Il est établi que cet homme, s'il existait, serait très ennuyeux - un "intello". Lord Reid l'a présenté de la façon suivante dans l'affaire Technograph c. Mills & Rockley [1972] RPC 346, p. 355 : "… le destinataire hypothétique est un technicien expérimenté bien au courant des techniques d'atelier et qui a lu attentivement la littérature pertinente. Il est censé disposer d'une capacité illimitée à assimiler le contenu d'une éventuelle multitude de fascicules, tout en étant dénué d'esprit inventif. Lorsque la question de l'évidence est abordée, à la différence de la nouveauté, il est permis de faire une "mosaïque" à partir des documents pertinents, mais cette mosaïque doit pouvoir être assemblée par un homme sans imagination et sans esprit inventif."
Le principe de l'absence de mosaïque le rend également très distrait. Il lit tout l'état de la technique, mais à moins qu'il ne fasse partie de son bagage technique, oublie l'élément de l'état de la technique qu'il vient de lire (ou dont il vient de prendre connaissance) avant de lire le suivant, sauf s'il peut former une mosaïque non inventive ou s'il existe un renvoi suffisant qui justifie de lire les documents comme formant un tout.
Par ailleurs, il dispose d'un excellent bagage technique, que l'on appelle les connaissances générales de l'homme du métier, pour lesquelles les tribunaux du Royaume-Uni ont fixé depuis longtemps une norme. Cette norme est énoncée dans le passage souvent cité de l'affaire General Tire c. Firestone Tire & Rubber [1972] RPC 457, p. 482, qui confirme à son tour ce que disait le juge Luxmoore dans l'affaire British Acoustic Films 53 RPC 221, p. 250. L'expression heureuse de "puits commun de connaissances" choisie par le juge Luxmoore rend compte du savoir de cet homme imaginaire. D'autres Etats parties à la CBE appliquent essentiellement la même norme.
Le cas échéant, l'homme du métier peut être incarné par une équipe, un groupe d'intellos aux compétences élémentaires variées, tous peu imaginatifs. L'homme du métier n'est toutefois pas un parfait robot, puisqu'il est également établi qu'il partage les préjugés courants ou le conservatisme qui prédominent dans le domaine concerné.
Aucune de ces caractéristiques ne donne lieu à controverse. Il arrive toutefois que le mandataire d'un titulaire de brevet invoque l'exigence relative à la non-inventivité de l'homme du métier afin de déprécier ou de rejeter les preuves soumises par un expert invité à déclarer que le brevet concerné est évident. A cet égard, ledit mandataire fait généralement valoir que son témoin est un intello encore moins imaginatif que celui mentionné par l'expert.
Lord Justice Jacob n'a pas jugé que cette approche était utile, et ce pour des motifs liés à la fonction d'experts cités en tant que témoins dans les litiges relatifs à des brevets. Leur fonction première est d'éclairer le Tribunal en matière de technologie. Un expert cité comme témoin peut aussi donner son opinion sur une "ultime question" qui n'est pas de nature juridique. Cependant, le Tribunal n'est nullement tenu de la suivre au simple motif qu'elle est recevable.
En fait, la conclusion de l'expert (évidente ou non) en tant que telle, bien que recevable, n'a que peu de valeur, et les qualités véritables de l'expert cité comme témoin n'ont donc pas vraiment d'importance. Ce qui importe, ce sont les raisons de son opinion, et ces raisons ne sont pas fonction de la mesure dans laquelle l'expert est proche de l'homme du métier en termes de compétence.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 12 octobre 2005 - Ranbaxy et Arrow Generics c. Warner Lambert [2005] EWHC 2142 (Pat)
Mot-clé : activité inventive - homme du métier - invention de sélection - atorvastatine
Les deux brevets en cause (brevet EP (UK) 0 409 281 ("281") de Warner-Lambert et brevet EP (UK) 0 247 633 ("633") de Ranbaxy) concernaient de l'atorvastatine, un inhibiteur de la synthèse du cholestérol ayant une grande importance commerciale. Le litige opposant les parties portait sur l'approche correcte du caractère évident de l'invention. Cette question a été examinée à la fois sur la base de l'approche "problème-solution" et selon la démarche exposée dans Windsurfing International Inc c. Tabur Marine (GB) Ltd [1985] RPC 59.
Le juge a cité Lord Wilberforce dans E.I. Du Pont de Nemours (Witsiepe's) Application [1982] FSR 303 :
"L'activité inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu'un ou plusieurs éléments d'une catégorie de produits antérieurement connue offrent certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n'auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite" (dans l'affaire I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930) 47 RPC 283, juge Maugham). La contrepartie du monopole octroyé à l'inventeur est la divulgation publique qu'il fait, dans son fascicule de brevet, des avantages spéciaux que les composés sélectionnés de la catégorie possèdent (Beecham Group Ltd c. Bristol Laboratories International S.A. [1978] RPC 521, 579)."
Il se peut que la catégorie sélectionnée soit évidente, mais la nature de l'avantage sera l'un des facteurs à prendre en compte pour évaluer l'évidence de l'invention. L'affaire Witsiepe avait été traitée selon la loi de 1949, mais les mêmes principes ont été admis par la Cour d'appel dans une affaire selon la Loi britannique sur les brevets de 1977, à savoir Hallen c. Brabantia [1991] RPC 195. A moins que le brevet ultérieur n'indique l'avantage présenté par la catégorie sélectionnée, il s'agit simplement d'une sélection arbitraire parmi des éléments déjà divulgués, et il y a absence de nouveauté.
Selon le juge, l'idée selon laquelle le droit relatif à la sélection est lié à l'évidence est une conception erronée. L'évidence ne devient pertinente que si le brevet délivré par la suite n'a pas été antériorisé, et l'évidence de la catégorie sélectionnée sera tranchée selon les principes habituels. Le titulaire du brevet est sans aucun doute mieux en mesure de répondre à une objection d'évidence s'il peut se référer à une indication de l'avantage offert par la catégorie sélectionnée, mais cela n'est pas essentiel.
L'approche de l'OEB est plus stricte. Comme indiqué dans la décision T 198/84 (JO OEB 1985, 209), il semble qu'un effet nouvellement découvert ne puisse jamais conférer de nouveauté à une catégorie plus étroite si cette catégorie est ancienne par ailleurs. Toutefois, la vraie difficulté tient à certains aspects de l'approche problème-solution, qui peut poser deux problèmes. Le premier réside en ce que cette approche est concentrée sur l'état de la technique le plus proche, en partant de l'idée que si une invention n'est pas évidente à la lumière de l'état de la technique le plus proche, elle ne peut pas être évidente à la lumière d'un élément plus éloigné. Cela risque de contredire le principe qu'il faut permettre à un homme du métier de faire ce qui est évident à la lumière de chaque document particulier de l'état de la technique dans le cadre des connaissances générales. La seconde difficulté tient à ce que la reformulation du problème risque de cacher ce qui était objectivement évident.
Selon le juge, cette approche ne produit pas un résultat différent de celui auquel aboutit une analyse Windsurfing dans la grande majorité des cas. Lorsque les résultats diffèrent, c'est généralement en raison de l'importance qu'un juge suivant l'approche Windsurfing donne aux connaissances générales.
Le juge a ajouté que si le problème pouvait être redéfini sur la base d'un quelconque avantage connu du titulaire du brevet avant la date de priorité, mais non mentionné dans le fascicule, ou découvert après la date de priorité, il y a un risque non négligeable que la reformulation donne à conclure à la non-évidence de l'invention : comment pourrait-on résoudre un problème (objectif) dont on ignorait l'existence ?
C'est pour cette raison que des avantages découverts après coup sont très peu susceptibles de fonder le caractère inventif, pour les raisons exposées par le juge Jacob dans Richardson-Vicks [1995] RPC 568 et dans l'affaire T 867/95. Cette dernière décision a souligné qu'une reformulation du problème pouvait être admise "à condition que l'homme du métier ait été en mesure de discerner que cet effet était implicitement contenu dans le problème tel que formulé initialement, ou avait un rapport avec celui-ci".
Le juge Pumfrey n'a pas décelé de réelle différence dans le droit matériel des différentes juridictions. Il est vrai que les techniques de résolution du problème peuvent différer, mais il ne voit en l'espèce, comme dans d'autres cas, que des différences d'appréciation, plutôt que de principe.
Le brevet 281 a été jugé nul pour absence de nouveauté et évidence, et une déclaration de non-contrefaçon du brevet 633 a été refusée à Ranbaxy. Les deux parties ont formé un recours auprès de la Cour d'appel, qui n'a pas statué sur l'évidence et a rejeté les deux recours (Ranbaxy (UK) Ltd c. Warner-Lambert Company [2006] EWCA Civ 876).
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 22 juin 2007 - Pozzoli c. BDMO & Moulage Industriel de Perseigne [2007] EWCA Civ 588
Mot-clé : activité inventive – homme du métier
Le titulaire du brevet, Pozzoli SpA, a fait appel de la décision du Tribunal des brevets qui avait prononcé la nullité du brevet, un double plateau pour CD pouvant s'empiler, en raison de son caractère évident (défaut d'activité inventive).
La Cour d'appel a réitéré et développé le test bien connu (en quatre étapes) exposé dans l'affaire Windsurfing et généralement utilisé pour apprécier le caractère évident de l'invention. La Cour a jugé que l'ordre des deux premières étapes devait être interverti par rapport à ce qu'avait déclaré le Tribunal dans Windsurfing – le Tribunal doit en premier lieu se fonder sur le rôle d'un destinataire ayant des connaissances normales dans le domaine, mais dépourvu d'imagination, et lui imputer les connaissances générales à la date de priorité, et seulement ensuite identifier le concept inventif. En effet, c'est seulement le point de vue de l'homme du métier qui permet de réellement saisir la compréhension par cet homme de ce que le titulaire du brevet aurait voulu dire, et que l'on peut alors chercher à identifier le concept. En outre, selon la Cour, la nouvelle première étape comporte elle-même de fait deux étapes : l'identification des attributs de "l'homme du métier" théorique et l'identification des connaissances générales.
L'identification du concept inventif passe par la prise en compte du concept inventif de la revendication concernée, et non d'un concept généralisé à déduire du fascicule dans son ensemble. La première étape de l'identification du concept est l'interprétation que l'on peut faire de la revendication, consistant à identifier l'essence de cette revendication en éliminant le verbiage inutile. Ce qui importe, c'est/ce sont la/les différence(s) entre ce qui est revendiqué et l'état de la technique – soit "l'activité inventive" - à prendre en compte à l'étape 4.
Dans certains cas, on n'a pas besoin d'entrer dans les subtilités de l'interprétation : le concept est suffisamment apparent. Dans d'autres cas, il est même difficile de chercher à identifier un concept, par exemple pour une revendication portant sur une catégorie de produits chimiques. Ce n'est pas au niveau de l'identification du concept que l'on prend en compte l'état de la technique.
En conséquence, le nouveau test pour apprécier le caractère évident de l'invention est le suivant :
1. (a) Identification de "l'homme du métier" théorique
1. (b) Identification des connaissances générales pertinentes de cette personne ;
2. Identification du concept inventif de la revendication en question ou, si cela n'est pas possible d'emblée, identification par interprétation de la revendication ;
3. Identification des différences qui, le cas échéant, existent entre l'objet cité comme faisant partie de "l'état de la technique" et le concept inventif de la revendication ou de la revendication telle qu'interprétée ;
4. Examen de la question visant à savoir si ces différences, considérées sans aucune connaissance de la prétendue invention telle que revendiquée, constituent des étapes qui auraient été évidentes pour l'homme du métier ou si elles supposent nécessairement une quelconque activité inventive.
Le titulaire du brevet a cherché à défendre son invention contre une allégation de caractère évident, en soutenant qu'il y avait un préjugé technique à son encontre. Selon le raisonnement de la Cour d'appel :
- un titulaire de brevet apportant quelque chose de nouveau en montrant que, contrairement à un préjugé erroné, l'idée est fonctionnelle ou pratique, apporte effectivement quelque chose de nouveau. Dans ce cas, le préjugé n'a aucune valeur.
- un titulaire de brevet qui se contente de breveter une idée ancienne dont on pensait qu'elle n'était pas fonctionnelle ou pratique et qui n'explique pas comment ou pourquoi, contrairement au préjugé, cette idée fonctionne effectivement ou est pratique, n'apporte rien aux connaissances humaines. Cela ne remet pas en cause le préjugé et ne justifie pas le brevet.
Selon la Cour d'appel, on se trouve dans la seconde situation et le brevet est nul en raison du caractère évident de l'invention. L'appel est donc rejeté.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 17 février 2010 - Actavis UK Ltd c. Novartis AG [2010] EWCA Civ 82
Mot-clé : activité inventive - homme du métier - fluvastatine
Novartis a fait appel de la décision du Tribunal des brevets frappant de nullité pour cause d'évidence son brevet EP (UK) 0 948 320. Le brevet portait sur une formulation à libération prolongée de la fluvastatine. A la date de priorité, la fluvastatine était une statine bien connue disponible sous une formulation à libération immédiate, et la technologie des formulations à libération prolongée était bien connue en général. Le brevet expliquait qu'une formulation à libération prolongée de la fluvastatine répondait à un besoin, mais que la solubilité de la fluvastatine était tellement élevée que tous les procédés conventionnels étaient perçus comme voués à l'échec. Le brevet montrait ensuite que des formulations à libération prolongée de la fluvastatine pouvaient en fait être obtenues par l'une quelconque des trois techniques conventionnelles déjà établies.
D'après la Cour d'appel, qui n'a pas fait droit au recours, la question était simplement de savoir si l'invention était évidente. Les tribunaux du Royaume-Uni ont mis au point, non pas une réponse, mais une approche à cette question. Sous sa forme la plus évoluée, cette approche comporte les étapes commentées dans l'affaire Pozzoli c. BDMO [2007] FSR 37 (voir ci-dessus).
Contrairement à ce que d'aucuns ont pu penser, cette approche structurée n'est pas exclusivement britannique. Elle ne fait qu'expliciter ce qui était implicite dans les autres approches. L'étape 4, par exemple, ne fait que poser la question. Elle ne fournit aucun schéma de réponse. En fonction des faits, plusieurs approches peuvent aider, par exemple l'approche "évident d'essayer" ou l'approche "problème-solution". L'approche Pozzoli/Windsurfing ne contenait rien qui ressemble à l'étape 1 de l'approche "problème-solution", les praticiens devant les tribunaux anglais ayant appris à se limiter à leurs meilleurs scénarios, surtout pendant l'audience. Les juges de brevets anglais ne sont pas confrontés à un nobre excessif de documents cités dénués d'intérêt.
Même si l'approche "problème-solution" a ses limites, elle a tendance à bien fonctionner lorsque le besoin se fait sentir de reformuler le problème. C'était le cas ici.
D'après le brevet, l'homme du métier aurait jugé la solubilité de la fluvastatine élevée au point de rendre impossible une formulation à libération prolongée. Le Tribunal n'a pas été de cet avis. L'homme du métier ne serait pas arrivé à cette conclusion, sur la seule base de ses connaissances générales pertinentes. Le problème présenté dans le brevet était illusoire. Il s'agissait en réalité d'un non-problème, car la fluvastatine n'est pas à ce point soluble que l'homme du métier jugerait impossible ou difficile d'en obtenir une formulation à libération prolongée. Une fois apparu comme illusoire le problème présenté dans le brevet, à savoir la mise au point d'une formulation à libération prolongée, ladite formulation devenait évidente. Du point de vue de l'espèce Pozzoli, l'idée même de mettre au point une formulation à libération prolongée constituait la seule différence entre l'état de la technique et la revendication. Il existait pour cela une motivation technique, sans difficulté réelle ou apparente.
L'approche "problème-solution" donnait la même réponse. Le problème était de produire une formulation à libération prolongée de la fluvastatine. La solution était évidente puisqu'il était clair que n'importe lequel des procédés standard utilisés pour de telles formulations ferait l'affaire. Reformuler le problème aurait été inutile, et même erroné. Il ne s'agissait pas d'un cas où un élément de l'état de la technique inconnu du titulaire du brevet fait son apparition. Inutile aussi de reformuler le problème en termes d'amélioration des effets médicaux, puisque ce n'était pas là le problème tel que l'avait vu le titulaire, ou de reformuler la solution en termes de découverte d'effets médicaux améliorés, puisque le titulaire n'avait jamais promis de tels effets. C'est pourquoi la présente espèce diffère de celle dont a récemment connu la Cour d'appel concernant une formulation à libération prolongée d'oxycodone (Napp c. ratiopharm [2009] EWCA Civ 252, [2009] RPC 539). Avant le brevet, l'oxycodone était connue en tant qu'opioïde faible de second rang, généralement administré tout au plus comme co-médicament. Comme l'affirmait le brevet, la formulation à libération prolongée fait de l'oxycodone un concurrent sérieux à la morphine, effet totalement inattendu. L'invention dans Napp c. ratiopharm était indubitablement non évidente.
Le requérant a également fait valoir que même en admettant que l'idée d'une formulation à libération prolongée de la fluvastatine viendrait à l'esprit de l'homme du métier, cela ne suffisait pas à rendre évidente une revendication portant sur ladite formulation. Il fallait démontrer que l'homme du métier la mettrait en oeuvre, à preuve les Directives et deux décisions des chambres de recours (T 632/91 et T 116/90). Selon Lord Justice Jacob, les Directives n'exigeaient nullement que l'homme du métier mette l'idée effectivement en oeuvre. Certes, il n'était pas suffisant que l'homme du métier pût arriver à l'invention à partir de l'état de la technique : il devait aussi être démontré qu'il y serait bel et bien arrivé. La question de savoir s'il finirait véritablement par mettre l'idée en oeuvre dépendait d'autres considérations, de nature commerciale celles-là.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 28 juillet 2010 - Schlumberger Holdings Ltd c. Electromagnetic Geoservices AS [2010] EWCA Civ 819
Mot-clé : activité inventive - homme du métier
Le Tribunal des brevets avait révoqué deux des brevets de Electromagnetic Geoservices (EMGS) concernant l'utilisation d'un champ électromagnétique contrôlé (CSEM) pour effectuer un relevé de couches souterraines pour rechercher des réservoirs sous-marins d'hydrocarbures ou de gaz. L'invention permettait de détecter si une formation géologique sous-marine contenait du pétrole ou de l'eau, sans avoir à effectuer de coûteux forages, qui, avant l'invention, étaient le seul moyen de le savoir. Etant donné que tous étaient d'accord sur le destin commun des deux brevets, qui seraient maintenus ou annulés ensemble, seul l'un d'eux a fait l'objet de la procédure et il a été considéré comme évident au regard de trois éléments de l'état de la technique, bien que l'attaque fondée sur le défaut de nouveauté eût échoué. EMGS a fait appel.
La Cour d'appel a fait droit à l'appel. La question traitée par le Lord Justice Jacob, qui a rendu l'arrêt faisant jurisprudence, concernait l'homme du métier, auquel il est fait référence à trois reprises dans la CBE (articles 69, 83 et 56). Il a admis qu'il avait longtemps été établi en termes généraux, tant au Royaume-Uni qu'à l'OEB, que "l'homme du métier" pouvait être, le cas échéant, une équipe fictive de personnes spécialisées dans différents domaines. Toutefois, la question de droit soulevée dans l'affaire pendante devant la Cour était de savoir si l'équipe fictive devait impérativement être la même pour tous les besoins. Dans aucune des affaires traitées par l'OEB ou les juridictions britanniques il n'avait été dit qu'il existait une sorte de règle universelle concernant la nature de l'équipe.
L'approche correcte était de commencer par le vrai problème auquel étaient confrontés les géophysiciens spécialisés dans l'exploration du sous-sol. Est-ce qu'ils considéraient que leur problème - déterminer si une couche de roche poreuse identifiée comme pouvant renfermer des hydrocarbures en contenait vraiment, ou seulement de l'eau – était susceptible d'être résolu ? Le géophysicien fictif spécialisé dans l'exploration du sous-sol considérerait-il que la technique CSEM avait une vraie chance de se révéler utile ?
Il convenait aussi d'envisager le problème du point de vue du spécialiste en CSEM. Aurait-il connaissance du problème posé au géophysicien, et si oui, considérerait-il que la technique CSEM avait une vraie chance de se révéler utile ?
En bref : l'alliance était-elle évidente pour chacun des partenaires fictifs ? Lord Justice Jacob a estimé que la réponse était "non" et pour cette raison, parce qu'il y avait eu une conjugaison non évidente de compétences (citant et approuvant Haberman c. Jackel [1999] FSR 683), l'invention impliquait une activité inventive.
L'approche que Lord Justice Jacob n'a pas estimée nécessaire, était de se demander si l'équipe fictive incluant les deux types d'expert réaliserait que la technique CSEM pouvait résoudre le problème. Il a aussi relevé un danger à éviter : il y avait des cas où – bien que vous puissiez, rétrospectivement, clairement voir qu'il existait un problème et formuler sa nature – les praticiens de l'époque, eux, ne l'avaient pas fait, mais s'étaient accommodés des choses telles qu'elles étaient. L'essence de l'invention était alors la prise de conscience qu'il existait un problème susceptible d'être resolu.
Il a été soutenu que la même expression, "person skilled in the art" ("homme du métier"), utilisée trois fois dans la CBE, ne pouvait avoir différentes significations, mais devait avoir le même sens dans les trois passages, quel que soit le mode d'interprétation utilisé. Lord Justice Jacob a estimé que l'erreur ici était de supposer que le domaine technique considéré ("the art" ') était nécessairement le même avant et après que l'invention eût été faite. Il était possible que cette supposition fût juste dans la plupart des cas, mais certaines inventions étaient par nature susceptibles de bouleverser le domaine technique considéré. Si un titulaire proposait de conjuguer les connaissances relevant de deux domaines différents pour résoudre un problème, cette combinaison pouvait être évidente ou ne pas l'être. Si elle n'était pas évidente et si elle aboutissait à un véritable progrès technique, alors le titulaire méritait un brevet.
Ceci résultait non pas du fait de donner une interprétation différente à l'expression "person skilled in the art" dans les différents articles, mais du fait que l'expression était appliquée à différentes situations.
4. Activité inventive du brevet et du modèle d'utilité
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 22 décembre 2010 (OGM 1/10)
Mot-clé : activité inventive – activité inventive du brevet par rapport à celle du modèle d'utilité
Dans cette affaire, la Chambre suprême des brevets et des marques a traité la question juridique de savoir si le degré d'activité inventive exigé en droit des brevets diffère de celui utilisé en droit des modèles d'utilité.
D'après la jurisprudence et la doctrine autrichiennes, une invention n'est pas évidente, dès lors que l'homme du métier aurait pu y parvenir à partir de l'état de la technique, mais seulement s'il l'aurait effectivement proposée, en raison d'une incitation suffisante, dans l'espoir d'obtenir une amélioration ou un avantage. Ce test est appliqué notamment dans l'approche problème-solution pratiquée par l'OEB. Par contre, selon la jurisprudence de la Cour suprême et la jurisprudence antérieure de la Chambre suprême des brevets et des marques, les conditions matérielles de la protection sont moins élevées dans le domaine des modèles d'utilité ; il y est exigé (seulement) une étape inventive, laquelle présente un niveau inférieur d'inventivité par rapport à celui nécessaire pour obtenir un brevet.
En outre, la Chambre a renvoyé à la décision Demonstrationsschrank (voir résumé suivant dans ce rapport) de la Cour fédérale allemande de justice, selon laquelle il convient, pour l'évaluation de l'activité inventive en droit des modèles d'utilité, de recourir aux principes développés en droit des brevets. Il importait de ne pas évaluer quelque chose d'évident comme impliquant une activité inventive, ce qui a été justifié par le fait que les conditions de la protection en droit des brevets, suite à l'adoption de la définition de l'art. 56 CBE en Allemagne aussi, ont été tellement réduites qu'elles couvrent déjà toutes les innovations légèrement supérieures à la moyenne. La Chambre a été elle aussi d'avis que l'ancienne opinion ne peut être maintenue selon laquelle le degré d'activité inventive exigé en droit des modèles d'utilité serait inférieur à celui exigé en droit des brevets.
Ni la doctrine ni la jurisprudence n'avait réussi à formuler une définition propre de "l'activité inventive". Alors que la concrétisation de la notion d'invention, non précisée dans les textes de loi, avait lieu en droit des brevets par le biais de l'approche problème-solution, il était frappant de voir que " l'activité inventive" était définie principalement par des critères négatifs. Ainsi, pour justifier qu'une réalisation méritait une protection par modèle d'utilité, on argumentait avec des formules du genre "solution pas trop éloignée". Du fait de l'adoption de l'approche problème-solution développée par l'OEB, les conditions posées jusque-là à propos de l'invention avaient été réduites en droit des brevets: dans l'approche problème-solution, il ne suffisait plus, pour pouvoir conclure à l'évidence d'un objet, que l'homme du métier ait eu connaissance de deux antériorités, qui, combinées entre elles, conduisaient à l'objet en question. L'"invention" n'était évidente que si l'homme du métier avait été concrètement incité à effectuer cette combinaison. L'intervalle distinctif entre nouveauté et non-évidence était donc trop faible pour permettre de définir concrètement un niveau intermédiaire entre les deux correspondant à l'activité inventive pour un modèle d'utilité. La tentative d'introduire, entre une solution nouvelle et une solution non évidente, la catégorie d'une "solution pas tout à fait évidente" devait être considérée comme un échec, compte tenu du fait qu'une solution "pas tout à fait évidente" était en définitive évidente, au sens que l'homme du métier devait avoir une raison quelconque qui l'incitait à la proposer (sinon la solution n'était pas évidente selon l'approche problème-solution). Le critère d'étape inventive utilisé en droit des modèles d'utilité était de nature qualitative et non quantitative.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 20 juin 2006 (X ZB 27/05) - Cabinet de démonstration
Mot-clé : activité inventive - état de la technique le plus proche - modèle d'utilité
Dans cette décision, la Cour fédérale considère la distinction à propos du niveau d'activité inventive requis en droit des brevets et en droit des modèles d'utilité :
En droit des brevets, toutes les inventions, sans aucune distinction, peuvent être brevetées, dans la mesure où elles sont nouvelles, non évidentes pour l'homme du métier et susceptibles d'application industrielle. Ainsi, les conditions de la brevetabilité ont été minimisées de telle sorte qu'elles englobent toutes les contributions, pas seulement les contributions de niveau moyen. Il n'a pas encore été développé de critères généralisables à l'aide desquels le niveau de ces exigences pourrait encore être abaissé, tout en évitant d'accorder un monopole à des innovations banales, qui ne justifieraient pas d'exclure les tiers de leur exploitation, même dans le contexte d'un droit supérieur, et pour lesquelles on ne distingue pas encore de critères suffisamment sûrs. En outre, le fait que les effets de la protection conférée par le brevet et par le modèle d'utilité soient les mêmes, du moins pour l'essentiel, ne parle pas en faveur d'une évaluation différente des conditions à remplir pour la protection d'une contribution innovante. Bien qu'une protection par modèle d'utilité ne puisse pas être obtenue dans tous les domaines ouverts à la protection par brevet, la première, là où elle est offerte, n'est nullement un droit de seconde catégorie, abstraction faite de sa durée maximale inférieure. De plus, il a été tenu compte de la volonté du législateur d'effectuer une distinction du fait que l'état de la technique à prendre en compte, pas seulement pour l'examen de la nouveauté, mais aussi pour celui de l'activité inventive, est déterminé différemment par rapport au droit des brevets.
Comme l'exigence d'activité inventive en droit des brevets, le critère du "pas inventif" en droit des modèles d'utilité, selon § 1 Loi allemande sur les modèles d'utilité, est lui aussi un critère non pas quantitatif, mais qualitatif ; l'appréciation de l'étape inventive est, comme pour l'activité inventive, le résultat d'une évaluation. De plus, les critères d'évaluation du brevet et du modèle d'utilité ne se distinguent que de façon marginale. Rien que pour cette raison, la thèse selon laquelle l'exclusivité pourrait se rattacher à une activité inventive de niveau inférieur à celle du brevet, et même se fonder sur la simple notion d'évidence, apparaît comme une incohérence du système de protection.
Pour l'appréciation de l'étape inventive, il est possible de recourir aux principes développés en droit des brevets, tout en tenant compte des différences qui résultent du fait que, en droit des modèles d'utilité, l'état de la technique est défini autrement, dans § 3 Loi allemande sur les modèles d'utilité, pour ce qui est des descriptions orales et des usages ayant eu lieu en dehors du champ d'application de la Loi sur les modèles d'utilité. Ainsi, il serait illicite de juger que quelque chose d'évident repose sur une étape inventive au motif, par exemple, que l'homme du métier ne l'aurait pas trouvé sur la seule base de ses connaissances générales et d'une simple consultation de routine de l'état de la technique.
E. Applicabilité industrielle
GB Royaume-Uni
Cour suprême du 2 novembre 2011 - Human Genome Sciences Inc c. Eli Lilly [2011] UKSC 51
Mot-clé : biotechnologie - applicabilité industrielle
L'affaire concernait la brevetabilité d'une protéine appelée par HGS "neutrokine-α", de ses anticorps et de la séquence de polynucléotides codant pour cette protéine. HGS avait été le premier à découvrir son existence, en se servant de techniques "bioinformatiques".
Le juge de première instance avait estimé que les revendications du brevet (EP (UK) 0 939 804) n'étaient pas valides, pour un triple motif : elles n'étaient pas susceptibles d'application industrielle, présentaient une insuffisance de l'exposé et étaient évidentes du fait d'un défaut de contribution technique. HGS a contesté l'ensemble de ces conclusions.
La Cour d'appel, confirmant à cet égard le jugement de l'instance inférieure, a rejeté l'appel pour défaut d'applicabilité industrielle, de sorte qu'il n'était plus nécessaire de prendre en considération les autres motifs. HGS, titulaire du brevet, s'est pourvu contre cette décision. La Cour suprême a fait droit au pourvoi, a rejeté le recours incident concernant l'insuffisance, et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel pour qu'elle statue sur les questions en suspens.
Le brevet suggère des usages très larges pour la neutrokine-α et ses anticorps, mais son seul enseignement porte en définitive sur la distribution dans les tissus de la neutrokine-α, son expression dans les lymphocytes T et les lymphomes des cellules B, et le fait qu'elle appartient à la superfamille des ligands du TNF. Par conséquent, la question était de savoir si le juge de première instance avait eu raison de considérer comme insuffisantes pour satisfaire à l'art. 57 CBE les conclusions que l'on pouvait en tirer en 1996. Selon lui, les fonctions attribuées à la neutrokine-α étaient "tout au plus des espoirs, et ceux-ci se situaient à un niveau de généralité bien trop élevé pour servir de base à autre chose qu'un projet de recherche".
La Cour suprême a reconnu que les autorités auxquelles se référer en matière d'applicabilité industrielle étaient très rares au Royaume-Uni, et qu'il fallait chercher les principes applicables dans la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB. L'approche du juge n'a pas été conforme à celle suivie par les chambres concernant l'art. 57 CBE en rapport avec les matières biologiques, et que l'on peut résumer comme suit :
(i) Le brevet doit divulguer une "application pratique" et "un usage commercial" de la substance revendiquée, de sorte que l'on puisse s'attendre à ce que le monopole issu du brevet conduise à un quelconque ... "avantage commercial" (T 870/04, T 898/05) ;
(ii) Un "avantage concret", à savoir l'utilisation de l'invention "dans la pratique industrielle" doit "découler directement de la description", en combinaison avec les connaissances générales de l'homme du métier (T 898/05, T 604/04) ;
(iii) Un usage purement "spéculatif" ne suffit pas, pas plus qu'une "mention vague et spéculative des objectifs qui pourraient ou non être atteints" (T 870/04, T 898/05) ;
(iv) Le brevet et les connaissances générales de l'homme du métier doivent permettre à ce dernier de "reproduire" ou "exploiter" l'invention revendiquée au prix d'un "effort raisonnable" et sans devoir mettre en oeuvre un "programme de recherche" (T 604/04, T 898/05) ;
D'autres principes ont également été exposés, concernant les nouvelles protéines et leurs gènes codants, ainsi que les membres de familles ou de superfamilles.
Selon le juge de première instance, le brevet divulguait la neutrokine-α comme membre de la superfamille des ligands du TNF. À la lumière des principes établis par les chambres de recours, ceci aurait dû suffire, compte tenu des connaissances générales de l'homme du métier, pour satisfaire à l'art. 57 CBE. La Cour suprême s'est considérablement aidée de l'approche exposée dans T 18/09 (décision de la chambre de recours au sujet du même brevet). La chambre avait conclu que la divulgation d'un nouveau membre de la superfamille des ligands du TNF (avec des détails de sa distribution dans les tissus) suffisait à satisfaire aux exigences de l'art. 57. En effet, tous les membres connus étant exprimés sur des lymphocytes T et pouvant stimuler la prolifération des lymphocytes T, on pouvait s'attendre à ce que la neutrokine-α eût une fonction similaire.
Le juge a estimé que la divulgation par le brevet des utilisations de la neutrokine-α, même combinée aux connaissances générales de l'homme du métier, n'était rien moins que "spéculative", et sans "avantage concret immédiat". Il n'empêche que cet argument supposait que la divulgation du brevet était insuffisante en elle-même pour satisfaire à l'art. 57 CBE. Si, selon l'approche de la chambre, les activités connues de la superfamille des ligands du TNF suffisaient à justifier la brevetabilité pour la divulgation d'une nouvelle molécule (et son gène encodant) identifiée de façon plausible comme membre de ladite famille, la validité du brevet n'était pas remise en cause du simple fait que des travaux supplémentaires s'imposaient pour déterminer si la divulgation produisait effectivement les effets thérapeutiques escomptés. Pour ces mêmes motifs, il fallait aussi rejeter le recours incident alléguant l'insuffisance.
Le critère fixé par le juge de première instance en matière d'applicabilité industrielle était plus exigeant que celui utilisé par les chambres de recours. Le juge a cherché une description démontrant une utilisation particulière du produit, et non pas simplement que le produit était "utilisable", notamment comme molécule pouvant servir de base dans la recherche. Dans T 18/09, la chambre a considéré que cela constituait en soi une activité industrielle.
Il y a donc eu annulation de la décision du Tribunal des brevets selon laquelle les inventions revendiquées n'étaient pas susceptibles d'application industrielle à la date du brevet.
II. POSSIBILITÉ D'EXÉCUTER L'INVENTION
AT Autriche
Cour suprême du 9 novembre 2004 (4 Ob 214/04f) - Paroxat
Mot-clé : nouveauté – suffisance de l'exposé
Dans cette affaire, la défenderesse a invoqué, à propos de la nouveauté du brevet en cause, une demande de brevet antérieure à la date de priorité, publiée au Royaume-Uni. La demanderesse a répliqué que les indications dans la demande de brevet britannique ne permettaient pas d'obtenir la substance selon la revendication 4 et que la divulgation contenue dans ce fascicule de brevet ne détruisait donc pas la nouveauté.
La Cour suprême a examiné les conditions nécessaires pour qu'une publication antérieure détruise la nouveauté et si la demande britannique antérieure à la date de priorité satisfaisait aux exigences en matière d'exposé. D'après l'ancienne jurisprudence autrichienne, une publication ne pouvait détruire la nouveauté que si l'homme du métier n'avait aucune peine à déceler l'idée caractérisant l'invention ; cette idée devait être décrite de façon si claire et précise qu'un expert était en mesure d'exécuter l'invention sur la seule base des indications contenues dans la publication, sans devoir recourir à d'autres exposés.
La Cour a mené une analyse poussée de la jurisprudence allemande et de celle concernant la CBE et a constaté de manière générale que, en ce qui concerne la question de savoir dans quelles circonstances un produit divulgué dans un fascicule de brevet est susceptible de constituer l'état de la technique à la date de priorité, il convenait d'interpréter le droit national des brevets dans le sens d'une harmonisation à la lumière de la CBE, ne serait-ce que parce que le § 87a(1) Loi autricienne sur les brevets et l'art. 83 CBE ont des contenus identiques. Il importe de se demander si l'homme du métier de compétence moyenne est en mesure, grâce aux informations contenues dans la demande, en faisant appel aux connaissances et savoirs qu'on peut attendre de lui, ainsi qu'aux connaissances générales de base, et en s'appuyant sur les modes de réalisation décrits par le demandeur, de mettre en œuvre dans la pratique l'enseignement technique, de façon fiable, reproductible et sans détour, sans avoir à déployer d'efforts excessifs ni à subir au début d'échecs trop nombreux. Ce que l'homme du métier considère comme des efforts acceptables dépend des circonstances de chaque espèce, notamment du progrès accompli avec l'invention et du domaine technique concerné. Ces critères ont une influence sur la question de savoir quel taux d'erreurs l'homme du métier est prêt à accepter en la circonstance.
Note de la rédaction : la jurisprudence a été confirmée par la décision de la Chambre suprême des brevets et des marques du 27.09.2006, Op 3/06 (N 21/2000), Österreichisches Patentblatt (Gazette autrichienne des brevets), 2006, 151.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 19 janvier 2005 (04/17466) - CEA c. Samsung
Mot-clé : suffisance de la description
Le Commissariat à l'énergie atomique, établissement public à caractère scientifique, technique et industriel, ci-après appelé CEA, est propriétaire du brevet européen EP 0 162 775 et du brevet français no 2 595 156. Le CEA ayant appris que les sociétés S. commercialisaient sur le territoire national des téléviseurs à cristaux liquides et des moniteurs d'ordinateurs à cristaux liquides qui selon lui mettraient en œuvre les caractéristiques de certaines revendications de son brevet européen et de son brevet français, a fait acheter le 10 décembre 2003 un téléviseur [...] et le 30 mars 2004 un moniteur d'ordinateur (…).
L'invention se rapporte à une cellule à cristal liquide susceptible de présenter une structure homéotrope, à biréfringence compensée pour cette structure et est susceptible de s'appliquer selon le brevet notamment à la réalisation de dispositifs d'affichage de données, tels que les montres ou les calculatrices électroniques de poche. Les cellules connues de l'état de la technique présentaient un inconvénient lorsqu'elles sont dans leur structure homéotrope et sont observées obliquement, à savoir que leur contraste se dégrade, et ce d'autant plus que l'angle d'observation est important, ce contraste pouvant même s'inverser. L'invention a pour but principal de remédier à cet inconvénient permettant de conserver un contraste élevé dans le cas d'une observation oblique. Selon l'invention, on prend comme épaisseur de la couche de cristal liquide 18 le double de l'épaisseur particulière e0 qui est déterminable par l'homme du métier au moyen d'une simulation informatique ou expérimentalement.
A titre reconventionnel de l'action en contrefaçon intentée par le CEA, les sociétés S demandent notamment au Tribunal d'annuler la revendication 1 du brevet européen EP 0 162 775 en sa partie française et ce, pour insuffisance de description en application de l'art. 138(1)b) CBE. En effet, selon les défenderesses le brevet ne décrit pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter.
En réponse le CEA expose que l'homme du métier avait à la date de dépôt du brevet à sa disposition des logiciels pour réaliser une simulation informatique et qu'en outre il pouvait, étant spécialiste de l'optique, choisir d'écrire son propre programme de calcul. De plus il pouvait utiliser la méthode expérimentale en réalisant plusieurs prototypes, avec différentes épaisseurs pour la couche de cristaux liquides. Il lui suffisait alors de choisir l'épaisseur qui donne la meilleure atténuation dans des conditions d'observation oblique, et donc le meilleur contraste.
Mais le Tribunal juge que l'homme du métier qui est en l'espèce un ingénieur de recherche spécialisé dans l'optique des cristaux liquides, ne pouvait à l'époque du dépôt du brevet, réaliser l'invention à la lecture de la revendication 1 et de la description sans faire preuve d'activité inventive. En effet le CEA, pour tenter de prouver la contrefaçon, a fait déterminer par le docteur S la valeur e0 pour les propriétés optiques du dispositif mis en œuvre dans le téléviseur acquis comme il a été dit précédemment ; le docteur S a dû se servir, pour déterminer la valeur e0, d'un logiciel appelé "DIMOS LCD Workbench" qui n'a été disponible qu'en 1987, soit trois ans après la date de priorité du brevet.
Le CEA ne saurait ainsi invoquer sans plus de précision le recours à la méthode expérimentale ou à l'écriture d'un programme de simulation informatique pour établir qu'il a bien divulgué dans son brevet tous les moyens permettant à l'homme du métier, qui, bien que chercheur de haut niveau, n'est pas censé posséder les moyens de simulation informatique d'un organisme tel que le CEA, de réaliser l'invention sans faire preuve d'activité inventive. Le Tribunal prononce donc la nullité de la revendication 1 du brevet européen EP 0 165 775 en application de l'art. L. 614-12 CPI et art. 138(1)b) CBE.
Note de la rédaction : la Cour d'appel de Paris (08/09712) a constaté le 2 juillet 2008 que les parties se sont désistées par accord.
SE Suède
Cour d'appel de Stockholm en matière de brevets (Patentbesvärsrätten) du 31 janvier 2007 - affaire n° 04-139
Mot-clé : suffisance de l'exposé - desideratum - paramètres
L'invention concerne une nouvelle qualité de papier non couché ou de carton possédant une couche supérieure de pâte chimique blanchie visant à améliorer l'imprimabilité. Cette dernière est obtenue au moyen d'un processus au cours duquel le calandrage était réalisé d'une manière spécifique, dans une calandre à satiner allongée, afin d'obtenir un papier non couché ou un carton présentant des propriétés de surface spécifiques indiquées par des valeurs pour les paramètres brillant, coefficient de variation de brillant et rugosité.
Toutefois, selon la Cour, la revendication 1 faisait référence seulement à ce qui pouvait être obtenu et non à la façon dont ceci pouvait être obtenu, constituant ainsi un type de revendication généralement connu sous le nom de "desideratum" : la revendication incluait tous les produits mentionnés dans le préambule de la revendication ayant les propriétés de surface spécifiées, sans préciser comment ces propriétés avaient été obtenues.
La Cour a précisé que, d'une manière générale, une revendication spécifiait des généralisations d'un ou plusieurs exemples de modes de réalisation couverts par la description, sachant que le degré de généralisation devait être déterminé en fonction de l'état de la technique et des preuves expérimentales. Pour une invention dans un nouveau domaine, un degré de généralisation plus large que le degré habituellement requis pour une invention relative à une évolution future de l'état de la technique pourrait être admis.
Dans l'affaire en question, le produit selon la revendication 1 incluait les intervalles spécifiés pour les trois paramètres brillant, coefficient de variation de brillant et rugosité, l'ensemble de ces paramètres étant, conformément à l'état de la technique, des variables de mesure bien connues pour le papier et les cartons calandrés et associé à l'obtention d'une bonne imprimabilité pour de tels produits, y compris les produits non couchés. Selon la Cour, la caractérisation d'un produit inventé au moyen d'intervalles de paramètres ne pourrait être admise que si le moyen de les atteindre était connu et si l'invention englobait des informations supplémentaires à ce sujet. Toutefois, les revendications 1 et 4 (la revendication 4 faisait référence à l'utilisation du produit spécifié dans la revendication 1) spécifiaient une invention qui supposait que les propriétés de surface du produit revendiqué étaient déjà définies. De plus, la description n'indiquait pas que l'invention se rapportait à une telle définition.
Il est bien établi que le demandeur d'un brevet doit se voir octroyer la protection qui correspond à la contribution de l'inventeur. La portée de la protection doit être suffisamment spécifiée et en adéquation avec la contribution à l'état de la technique. Les définitions dans la revendication doivent correspondre à la portée de l'invention spécifiée dans la description. Concernant les revendications relatives aux paramètres, les informations spécifiées dans la description doivent permettre à l'homme du métier d'obtenir le résultat déterminé par ces paramètres sans effort excessif dans toute la portée de la revendication (référence à T 409/91, point 3.5 des motifs, dernier paragraphe). La Cour n'était pas en mesure de considérer l'invention en question - caractérisée par de larges plages et une portée étendue - comme suffisamment décrite de façon à garantir qu'un homme du métier puisse la réaliser en se fondant sur la description (articles 8 et 25(1), sous-alinéa 2, Loi suédoise sur les brevets). Par conséquent, le brevet a été révoqué.
SE Suède
Cour d'appel de Stockholm en matière de brevets (Patentbesvärsrätten) du 19 décembre 2008 - affaire n° 05-217
Mot-clé : suffisance de l'exposé - méthode de traitement thérapeutique
En l'espèce, l'invention comprenait des méthodes et des compositions destinées à la prévention et au traitement de maladies vasculaires occlusives incluant, sans s'y limiter, l'hyperplasie néo-intimale. Les modes préférés de réalisation de l'invention incluaient des méthodes et des compositions destinées à mesurer la synthèse de HSPG (protéoglycanes à héparane sulfate) incluant, mais sans s'y limiter, le syndécane, le glypicane et le perlecane. L'invention comprenait également des essais visant à détecter des composés ayant des effets biologiques spécifiques et pouvant être utiles comme agents thérapeutiques. La description utilisait le terme "composé" de manière à inclure toute entité ou combinaison d'entités dont l'activité pouvait être mesurée dans les essais de la présente invention. De telles entités incluaient, mais sans s'y limiter, des éléments chimiques, molécules, composés, mixtures, émulsions, agents chimiothérapeutiques, agents pharmacologiques, hormones, anticorps, facteurs de croissance, facteurs cellulaires, acides nucléiques, protéines, peptides, peptidomimétiques, nucléotides, glucides et combinaisons, fragments, analogues ou dérivés de telles entités. Les effets du composé et les applications thérapeutiques dans les essais de la présente invention n'étaient pas déterminés dans le fascicule du brevet de sorte que tout agent qui provoquait une réponse mesurable des cellules ou composés de l'essai était couvert par la portée de la protection de la présente invention.
De plus, la revendication 5 avait trait à l'utilisation d'une composition incluant un ou plusieurs composés pour la fabrication d'un médicament pour le traitement de maladies vasculaires occlusives. Les caractéristiques essentielles de la revendication étaient constituées d'informations sur le traitement, c'est-à-dire l'indication médicale, et des informations sur les composés inclus. Le principe actif n'était pas spécifié en tant que tel mais englobait un ou plusieurs composés "déterminés" au moyen d'une méthode en trois étapes spécifiée dans la revendication.
Selon l'art. 8(2) Loi suédoise sur les brevets, une demande de brevet doit contenir une description de l'invention, incluant des dessins si nécessaire, et des informations précises concernant la portée de la protection telle que définie dans les revendications. La description de l'invention doit aussi être suffisamment claire pour permettre à un homme du métier de réaliser l'invention sur la base de celle-ci. La Cour d'appel a précisé que ladite exigence visait à garantir que les informations pertinentes correspondaient à l'invention décrite dans la demande. Les revendications devraient par conséquent être fondées sur la description et ne pourraient pas se rapporter à une invention différente. Le fait qu'une revendication soit en elle-même dénuée de toute ambiguïté et puisse être comprise sans l'aide de la description de la demande ne signifiait pas nécessairement que l'exigence relative à la suffisance de l'exposé ait été remplie (voir recueil des décisions de la Cour administrative suprême pour 1991 (RÅ 1991), note 17, en particulier la décision de la Cour d'appel en matière de brevets dans l'affaire P 87-226, et la décision T 409/91 d'une Chambre de recours de l'OEB).
Dans l'affaire en question, la revendication 5 incluait l'utilisation de tous les composés qui, ayant été "déterminés" au moyen d'une méthode spécifiée dans la revendication, satisfont au critère spécifié du déclenchement de la synthèse de HSPG, que les composés existaient déjà à la date du dépôt, aient été produits par la suite, ou soient produits dans le futur – ce qui constitue une revendication portant sur les résultats des recherches futures ou "reach-through claim", selon la Cour d'appel. Selon elle, la revendication 5 ne fournissait pas d'informations claires sur ce que la demande de brevet devait protéger. Ni la caractéristique dans la revendication selon laquelle les composés avaient été déterminés au moyen de la méthode, ni la caractéristique selon laquelle l'utilisation conformément à la revendication concernait un ou plusieurs composés ayant une activité inconnue sur la croissance cellulaire ne permettaient de délimiter suffisamment la portée de la protection relative aux composés.
SE Suède
Cour d'appel de Stockholm en matière de brevets (Patentbesvärsrätten) du 26 février 2010 - affaire n° 07-161
Mot-clé : suffisance de l'exposé - inventions chimiques - paramètres
L'invention concernait un mélange gaz-liquide, un agent extincteur, une unité d'extinction comprenant un conteneur pour l'agent extincteur et une méthode pour contrôler la propagation du feu ou de braises. La présente invention avait notamment pour objet de fournir un mélange gaz-liquide qui pourrait être utilisé dans des systèmes d'extinction existants, remplaçant ainsi des agents connus comme les halons. Les halons sont des agents extincteurs efficaces mais qui détruisent l'ozone. Selon cette invention, l'agent revendiqué s'est révélé essentiellement aussi efficace que les halons, tout en ayant un effet beaucoup moins négatif sur l'environnement que les halons. A cette fin, le mélange gaz-liquide devrait combiner trois composants : une base d'extinction, un agent de dispersion et un propulseur. La teneur préférée des trois composants était définie par des fourchettes se rapportant à la pression de la vapeur, au point d'ébullition des additifs et à la solubilité des composés chimiques.
Dans sa décision, la Cour d'appel a estimé que, concernant les revendications englobant des valeurs caractéristiques tels que des paramètres, les informations dans la description doivent être suffisamment claires et complètes pour permettre à un homme du métier de fabriquer le produit de manière fiable et sans effort excessif pour toute la portée de la revendication. A cet égard, la Cour a cité la décision T 12/81 d'une Chambre de recours de l'OEB, qui a permis une définition plus précise d'une substance chimique en utilisant des paramètres de produit spécifiques tels que les propriétés physico-chimiques comme le point de fusion ou les propriétés hydrophiles dans les cas où le composé chimique ne pouvait pas être défini par une formule générique suffisamment précise. Si un paramètre du produit doit être autorisé, il est nécessaire qu'un paramètre spécifié comme essentiel dans la description puisse être construit à partir de ce dernier ou que l'homme du métier puisse le déterminer sans effort et expérimentation excessifs et que ceci s'applique à toute la portée de la revendication (voir T 965/01).
Faisant application de ce qui précède au cas présent, la Cour a jugé que le demandeur doit spécifier dans la description comment l'homme du métier devrait sélectionner une combinaison des trois composants afin d'obtenir le mélange gaz-liquide désiré. Selon la Cour, la partie générale de la description et les exemples de mélanges donnés dans la description ne divulguaient pas l'invention de manière suffisamment claire et complète pour permettre à un homme du métier de la réaliser en se fondant sur les instructions pour toute la portée couverte par les attributs et les définitions générales des composés dans la revendication.
III. REVENDICATIONS
A. Formulation des revendications
GB Royaume-Uni
Chambre des Lords du 21 octobre 2004 - Kirin-Amgen Inc et al. c. Hoechst Marion Roussel Ltd et al. [2004] UKHL 46
Mot-clé : nouveauté - revendications portant sur un produit caractérisé par son procédé d'obtention - séquences d'ADN - érythropoïétine
La procédure concernait le brevet européen EP 0 148 605 B2, relatif à la production d'érythropoïétine ("EPO") au moyen de la technologie de l'ADN recombinant. Le titulaire du brevet, la société Kirin-Amgen Inc ("Amgen"), avait fait valoir que la société Transkaryotic Therapies Inc ("TKT") avait contrefait les revendications du brevet. En première instance, la juridiction chargée de l'affaire a estimé que les revendications avaient été contrefaites, mais qu'elles étaient insuffisamment exposées. La Cour d'appel a considéré que les revendications étaient valables, mais qu'elles n'avaient pas été contrefaites. Amgen a fait appel de ce que les revendications avaient été jugées comme n'ayant pas été contrefaites, tandis que TKT et les autres parties ont demandé qu'il soit conclu à l'absence de contrefaçon des revendications et ont requis la révocation du brevet. La Chambre des Lords a jugé que TKT n'avait contrefait aucune revendication. Le brevet de la société Amgen a été révoqué au motif que deux revendications n'étaient pas valables, l'une ayant été antériorisée et l'autre étant insuffisamment exposée.
Pour apprécier la nouveauté de la revendication relative à la production d'EPO au moyen de la technologie de l'ADN recombinant, Lord Hoffmann, qui a rendu l'avis déterminant dans cette affaire, a réexaminé l'approche générale concernant les revendications portant sur un produit caractérisé par son procédé d'obtention. Conformément à la pratique suivie au Royaume-Uni en vertu de la Loi sur les brevets de 1949 et antérieurement, l'obtention d'un produit par un nouveau procédé suffisait à distinguer ce produit d'un produit identique déjà compris dans l'état de la technique. Une revendication portant sur un produit caractérisé par son procédé d'obtention a l'avantage de permettre à l'inventeur d'un nouveau procédé de poursuivre non seulement le fabricant qui a contrefait la revendication relative au procédé, mais aussi quiconque réalise des activités commerciales avec un produit obtenu par ce procédé. Cela est particulièrement utile en cas d'importation d'un produit qui a été fabriqué sur un territoire situé en dehors d'une juridiction, par un procédé qui aurait contrefait la revendication de procédé si le produit en question avait été fabriqué au Royaume-Uni.
Il existe toutefois dans la CBE une disposition, à savoir l'art. 64(2) CBE, qui permet au titulaire d'un brevet d'invoquer directement sa revendication de procédé pour alléguer la contrefaçon d'un produit fabriqué par le procédé breveté. Cette disposition, qui est devenue applicable dans le droit national du Royaume-Uni par la Loi sur les brevets de 1977, a éliminé largement l'argument pratique en faveur des revendications portant sur un produit caractérisé par son procédé d'obtention. L'OEB a dès lors pu admettre l'argument logique selon lequel un nouveau procédé ne suffit pas à rendre le produit nouveau. C'est pourquoi il n'accepte d'ordinaire pas les revendications portant sur des produits caractérisés par leur procédé d'obtention (cf. par exemple la décision T 150/82, JO OEB 1984, 309). D'autres Etats membres ont adopté la même approche. Il est important que le Royaume-Uni applique les mêmes dispositions juridiques que l'OEB et les autres Etats membres lorsqu'il s'agit de décider ce qui est nouveau aux fins de la CBE. Appliquant ces principes aux faits de la cause, Lord Hoffmann a conclu que la revendication relative à la production d'EPO par la technologie de l'ADN recombinant n'était pas valable, étant donné qu'elle avait été antériorisée.
ES Espagne
Cour d'appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 17 mars 2008 (appel n° 184/2007) - Laboratorios Cinfa, S.A. et al. c. Warner-Lambert
Mot-clé : produits chimiques et pharmaceutiques - action en nullité – revendications d'application – portée de la réserve de l'Espagne en vertu de l'art. 167(2)a) CBE
Les demanderesses puis demanderesses en appel demandaient que soit prononcée la nullité partielle des revendications R1, R2 et R3 du brevet européen (EP 0 409 281) [brevet espagnol (ES 2 167 306)]. Il s'agit d'un brevet de procédé pour l'obtention d'atorvastatine calcique. Les demanderesses justifiaient la nullité des revendications par le fait que ces revendications protégeaient un produit chimique pharmaceutique, et qu'au moment de la demande de brevet, la brevetabilité de produits chimiques et pharmaceutiques était expressément prohibée en Espagne, suite à la réserve formulée par l'Espagne dans l'instrument d'adhésion à la Convention sur le brevet européen (art. 167(2)a) CBE).
La Cour d'appel indique dans son jugement que les revendications d'utilisation ou d'usage, outre le fait qu'elles sont admissibles, sont distinctes des revendications de produit du point de vue de leur conception, de leurs effets, en particulier quant à la portée de la protection qu'elles confèrent. La protection des revendications de produit est absolue car le produit concerné est protégé quel que soit le processus de production et quelle que soit son utilisation, tandis que les revendications fondées sur une activité (procédé de fabrication et revendications d'utilisation et d'usage) confèrent une protection relative, limitée à l'activité revendiquée, mais pas étendue au produit ou dispositif lui-même quand il est utilisé en dehors de l'activité revendiquée. La Cour d'appel signale que la réserve formulée par l'Espagne telle qu'elle résulte de sa teneur littérale, limite son effet exclusivement aux brevets européens "dans la mesure où ces brevets confèrent une protection à des produits chimiques ou pharmaceutiques en tant que tels" (instrument d'adhésion de l'Espagne à la CBE), c'est-à-dire aux brevets de produits chimiques ou pharmaceutiques, lesquels "n'ont aucun effet en Espagne". Cette réserve ne s'étend pas aux brevets afférents à un procédé de fabrication ou, comme dans le cas présent, aux brevets d'utilisation d'un produit chimique. C'est la raison pour laquelle il convenait d'examiner la nullité invoquée uniquement pour les deux premières revendications qui sont réellement des revendications de produit, mais pas pour la troisième revendication (R3).
Par ailleurs, la Cour indique que l'Espagne, dans l'instrument d'adhésion du 10 juillet 1986 à la CBE, n'a pas formulé de réserve sur la possibilité d'annuler un brevet européen fondé sur des inventions de produit chimique ou pharmaceutique, mais qu'elle a émis une réserve quant à son efficacité. Le brevet de produit n'est donc pas nul selon l'art. 138 CBE, mais introduit entre les revendications, il a été "pétrifié", "gelé" et n'a eu aucun effet en Espagne. Ainsi, des deux options de l'art. 167(2)a) CBE accordées aux Etats parties à la CBE et rendant effectives par la formulation de réserves aux brevets européens de produits chimiques ou pharmaceutiques, qui n'ont pas d'effet ou que l'on peut annuler, l'Espagne a uniquement opté pour la première, en sorte que ces brevets n'aient pas d'effet en Espagne. Selon la Cour, si l'Espagne avait opté pour que ces brevets puissent être annulés en Espagne, elle aurait fait comme l'Autriche, qui l'a spécifié au moment de la formulation de la réserve. Pour la Cour, il est clair que la réserve, telle que formulée par l'Espagne dans l'instrument d'adhésion et telle que concrétisée plus tard dans la disposition transitoire du RD 2424/1986, ne permet pas d'action en nullité en Espagne des brevets européens de produit chimique ou pharmaceutique. Cette réserve permet uniquement de faire valoir que ces brevets ne peuvent pas produire d'effet en Espagne. En conséquence, le Tribunal a reçu la défenderesse dans le moyen qu'elle avait soulevé d'absence d'action et a donc confirmé le jugement attaqué.
Note de la rédaction : voir également les jugements de la Cour d'appel de Madrid (Audiencia Provincial) du 26 octobre 2006 ; Cour d'appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 24 janvier 2008 ; Cour d'appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 30 juin 2008.
GR Grèce
Tribunal de première instance d'Athènes à juge unique (Monomeles Protodikeion Athinon) du 23 décembre 2010 (décision n° 9908/2010)
Mot-clé : revendications de type suisse - portée de la réserve de la Grèce en vertu de l'art. 167(2)a) CBE - ADPIC
L'invention portait sur des compositions ophtalmiques d'un antagoniste β-adrénergique et d'un inhibiteur local de l'anhydrase carbonique, particulièrement utiles pour traiter l'hypertension oculaire, spécialement chez les patients qui ne réagissent pas suffisamment aux β-bloquants (EP 0 509 752). Les revendications étaient des revendications de type suisse. Dans son champ d'application en Grèce, le brevet européen englobait l'utilisation du dorzolamide et du timolol pour traiter le glaucome, la composition pharmaceutique correspondante, et sa méthode de fabrication. En tant que titulaire d'une licence exclusive de fabrication et de distribution dudit produit sur le marché grec sous l'appellation "Cosopt", le demandeur a engagé une procédure en référé devant le Tribunal de première instance à juge unique d'Athènes contre une société voulant commercialiser une version générique du même produit, destinée au même usage thérapeutique. Le défendeur a objecté la réserve de la Grèce vis-à-vis de la CBE (ancien art. 167(2)a) CBE), selon quoi les brevets européens dont la demande a été déposée avant le 7 octobre 1992 n'ont pas d'effet en Grèce dans la mesure où ils protègent des produits chimiques ou pharmaceutiques en tant que tels. Selon le défendeur, les revendications de type suisse tombent sous le coup de la réserve.
Le Tribunal n'a pas fait droit aux objections du défendeur, estimant que la réserve de la Grèce vis-à-vis de la CBE en matière de brevets pharmaceutiques devait être interprétée de façon stricte, comme couvrant uniquement les revendications de produits. Conformément à la jurisprudence constante en Grèce, le Tribunal a fait la distinction entre trois types de revendications, à savoir les revendications de produits, les revendications de procédé, et les revendications d'utilisation, reconnaissant par là même la validité des revendications de type suisse comme catégorie particulière des revendications d'utilisation. Alors que la protection attribuée aux revendications de produits est considérée comme ayant un caractère absolu, indépendamment de la méthode de fabrication et d'utilisation, les revendications de procédé et d'utilisation font l'objet d'une protection relative, limitée au procédé ou à l'utilisation revendiquée du produit spécifique, sans s'étendre au produit lui-même. Par conséquent, les revendications de type suisse ne sont pas couvertes par la réserve grecque.
Le Tribunal a considéré que cette conclusion était conforme à l'esprit de la CBE et à la souplesse prévue par l'Accord sur les ADPIC. Concernant l'Accord sur les ADPIC, le Tribunal s'est désolidarisé de la jurisprudence constante, rejetant l'applicabilité directe des dispositions pertinentes (articles 27 et 70 ADPIC) en Grèce, en raison de leur manque de clarté en la matière.
Note de la rédaction : dans une décision importante en date du 3 février 2009 (décision n° 728/2009), le Tribunal de première instance d'Athènes en audience plénière ("Polymeles Protodikeion Athinon", chambre chargée de la PI et des affaires commerciales) avait estimé que les revendications d'avant 1992 pour des produits pharmaceutiques tombant sous le régime de la réserve grecque étaient valables en raison de l'Accord sur les ADPIC lequel, entré en vigueur en Grèce le 9 février 1995 primait sur la réserve susdite.
B. Modifications des revendications
AT Autriche
Cour suprême du 19 novembre 2009 (17 Ob 24/09t) - Nebivolol
Mot-clé : modification des revendications – suppression de caractéristiques
Concernant les modifications apportées à un brevet, la Cour suprême a rappelé que, conformément à l'art. 123(2) CBE la demande de brevet européen et le brevet européen ne peuvent être modifiés de manière à ce que leur objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée. L'art. 123(3) CBE dispose que le brevet européen ne peut être modifié de façon à étendre la protection. Des motifs de nullité correspondants sont énoncés à l'art. 138(1)c) et d) CBE. En vertu de l'art. 105bis(1) CBE, le brevet européen peut être limité, sur requête du titulaire, par une modification des revendications.
Certes, les dispositions citées se rapportent à la procédure devant l'OEB. Toutefois, elles expriment un principe général. Un brevet délivré ne saurait être ultérieurement modifié à volonté, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité juridique. Si le brevet est défendu avec des revendications modifiées, il ne peut être maintenu que s'il est aussi conforme au droit des brevets avec son nouveau contenu. Une modification ne doit pas conduire à remplacer l'invention brevetée par une autre et à étendre son objet ou son champ de protection. C'est pourquoi la suppression de caractéristiques ne peut généralement pas être admise, étant donné qu'elle n'a, en règle générale, pas pour conséquence la limitation d'une revendication, mais au contraire une extension du champ de protection. Une limitation est admissible si elle permet effectivement de réduire le champ de protection et si elle ne va pas au-delà de la divulgation d'origine.
BE Belgique
Cour d'appel de Bruxelles du 20 juin 2008 - GSK c. Sanofi
Mot-clé : modifications - violation d'un accord de confidentialité
A l'époque des faits, la SA GlaxoSmithKline Biological (ci-après, "GSK") tentait de développer et de commercialiser un nouveau vaccin pour prévenir les infections à pneumocoques. Souhaitant éviter que son projet ne puisse être compromis par l'existence du brevet européen EP 0 983 087, dont la société de droit français Sanofi Pasteur sa, ci-après Sanofi, est titulaire, GSK a donc demandé en première instance au Tribunal de Bruxelles de prononcer la nullité de la partie belge du brevet.
Il convient en outre de rappeler que Sanofi a, originairement, demandé la communication de la composition du vaccin que GSK projetait de commercialiser afin de vérifier si elle avait un intérêt à agir. GSK n'y a consenti que dans la stricte mesure où cette information était nécessaire à Sanofi pour étayer son argumentation dans le cadre d'une éventuelle action reconventionnelle en contrefaçon.
Dans un premier jugement du 20 juin 2007, le Tribunal de première instance de Bruxelles avait dit que Sanofi n'avait pas violé l'obligation de confidentialité qui s'imposait à elle et a déclaré recevables les revendications amendées proposées par Sanofi.
Par son second jugement -Tribunal de première instance de Bruxelles du 17 octobre 2007, GSK c. Sanofi, le premier juge avait dit la demande de GSK fondée et avait prononcé la nullité de la partie belge du brevet. Le premier juge a également énoncé que seuls des motifs d'opportunité pouvaient, à défaut de fondement légal, conduire une juridiction nationale à suspendre sa décision concernant la validité d'un brevet/des actes de contrefaçon dans l'attente d'une décision à prendre par l'OEB. Et de juger que cela ne se justifiait pas ici.
Sur le fond, selon le Tribunal, à supposer qu'il s'agisse d'une invention nouvelle et qu'elle soit le fruit d'une activité inventive, encore fallait-il qu'elle soit suffisamment aboutie pour être susceptible d'application et donc, qu'elle soit décrite de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme de métier puisse l'exécuter (art. 49(1), n°2, Loi belge sur les brevets). Or, ici, trop d'inconnues avaient été laissées pour qu'un vaccin sûr et efficace rencontrant le phénomène d'interférence négative décrit puisse être développé. Comme l'a exposé, selon le Tribunal, très justement la partie demanderesse, il s'agit d'un brevet d'idée ou de concept.
GSK a donc interjeté appel du jugement du 20 juin 2007 et Sanofi de celui du 17 octobre 2007. GSK demande notamment à la Cour de déclarer qu'en soumettant des revendications amendées du brevet, Sanofi a abusé de ses droits, en conséquence de quoi les revendications amendées ne pouvaient pas être admises dans le cadre de la présente procédure. Les deux appels ayant été formés contre deux jugements successifs intervenus dans une même cause, il y avait lieu selon la Cour de les joindre.
Sur la portée de l'obligation de confidentialité, selon la Cour d'appel, l'information confidentielle transmise par GSK à Sanofi ne pouvait être utilisée par Sanofi que pour évaluer l'opportunité d'intenter une action en contrefaçon éventuelle dans l'ensemble des Etats désignés dans le brevet européen. Les termes de cet accord étant dépourvus de toute ambiguïté et reflétant l'intention commune des parties, ils ne devaient donc pas être interprétés. L'accord n'autorisait pas Sanofi à prendre en compte l'information confidentielle pour amender son brevet dans le but de rencontrer des motifs de nullité qui l'affecteraient. L'accord était strictement limité à l'évaluation d'une action en contrefaçon. Contrairement à ce que soutenait Sanofi, la validité et la contrefaçon d'un brevet étaient deux questions totalement différentes. S'il était admis que le défendeur en nullité puisse remédier à l'invalidité de son brevet en modifiant ses revendications, cette démarche était étrangère à la contrefaçon elle-même.
Il n'a jamais été convenu que l'information confidentielle pouvait permettre à Sanofi de réduire encore son brevet au point même de personnaliser son invention pour arriver à des revendications quasi limitées à une variante particulière du vaccin de GSK. C'était en outre à tort que Sanofi soutenait que les parties auraient accepté que l'information confidentielle fût dotée des mêmes effets qu'une saisie-description et qu'elle était, de ce fait, utilisable sans autres restrictions que celles qui s'attachent à ce type de saisie. Une telle interprétation n'était établie par aucune pièce du dossier. Le fait que la Division d'opposition de l'OEB a considéré que les amendements au brevet étaient recevables et sans incidence sur la solution du présent litige.
Sur la violation de l'engagement de confidentialité, Sanofi ne contestait pas qu'elle a tenu compte de l'information confidentielle lors de l'élaboration des revendications complémentaires. Il était ainsi établi qu'il existe un lien étroit entre l'information confidentielle et les amendements. Contrairement à ce que Sanofi soutenait, elle ne s'était pas bornée à vérifier si les amendements qu'elle comptait faire ne nuisaient pas à l'action en contrefaçon - c'est-à-dire qu'ils ne faisaient pas échapper l'objet argué de contrefaçon à la portée du brevet - mais elle a fait l'inverse, à savoir qu'elle a utilisé l'information confidentielle pour amender son brevet et tenter d'éliminer les causes qui l'affectaient. Sanofi ne s'en défendait d'ailleurs pas vraiment puisqu'elle revendique le droit de pouvoir le faire, soutenant, à tort, que les procédures en nullité et en contrefaçon sont intimement liées.
La Cour dit pour droit que Sanofi a utilisé l'information confidentielle relative au vaccin de GSK en violation de ses obligations contractuelles. La Cour juge dès lors que Sanofi ne peut se prévaloir des revendications amendées du brevet EP 0 983 087 et que ces dernières ne peuvent être admises dans le cadre de la présente procédure.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 16 octobre 2007 (X ZR 226/02) - Chemise de classement II
Mot-clé : revendications – modifications – admissibilité – généralisation intermédiaire – mode de réalisation
Le brevet contesté portait sur une chemise de classement permettant de réunir des feuilles imprimées et pliées, puis de les agrafer dans la même machine qui sert à fabriquer des produits imprimés à feuilles multiples tels que les périodiques, brochures et autres produits similaires. La demanderesse, qui a été condamnée pour contrefaçon du brevet en cause dans une décision passée en force de chose jugée, a attaqué le brevet par une action en nullité et fait valoir que l'objet de la revendication 1 va au-delà du contenu de la demande et que le champ de protection de cette revendication a été élargi par rapport à la version du brevet tel que délivré. Le Tribunal fédéral des brevets a jugé que la suppression d'une caractéristique de la revendication 1 constituait une extension inadmissible et a donc déclaré la nullité partielle du brevet en cause, tout en autorisant la modification de ladite revendication. Le Tribunal a motivé cette décision en disant que le champ de protection de la revendication existante englobe aussi les chemises qui ne présentent pas leur tranche ouverte vers l'avant lors du transport sur le convoyeur d'assemblage, mais leur côté par exemple, comme décrit dans la demande européenne publiée antérieurement.
Là-dessus, la demanderesse a fait appel, demandant d'annuler le brevet et de modifier la décision entreprise. La Cour fédérale de justice a rejeté cet appel. Bien entendu, selon la Cour, les modifications des revendications ne doivent pas conduire à une extension de l'objet de la demande ni à remplacer l'invention selon la demande par une autre. La revendication ne doit donc pas porter sur un objet dont il n'apparaît pas, du point de vue de l'homme du métier qui se fonde sur la divulgation d'origine, qu'il était destiné d'emblée à être couvert par la demande. Le demandeur ou le titulaire du brevet qui restreint sa demande de protection à un mode de réalisation particulier de l'invention concernée n'est pas tenu d'introduire toutes les caractéristiques de ce mode de réalisation dans la revendication.
Si une seule des caractéristiques qui servent à décrire un mode de réalisation de l'invention est introduite dans la revendication et si cette caractéristique indique l'effet technique obtenu à l'aide de ce mode de réalisation, ceci ne constitue pas une extension inadmissible, même s'il n'existe pas d'autre moyen d'obtenir le même effet.
FR France
Cour d'appel de Paris du 31 janvier 2007 (05/22227) - Nergeco c. Mavil
Mot-clé : modifications
L'invention, objet du brevet, portait sur une porte de manutention à rideau relevable comportant deux montants latéraux verticaux constituant ou comportant chacun une glissière.
La société N a agi en contrefaçon du brevet européen EP 0 476 788. La société G en réponse a soulevé la nullité de la revendication 5 au visa des art. L. 613-25 c) CPI et art. 138(1)c) CBE, faisant valoir qu'elle couvre des portes de manutention qui ne mettent pas en œuvre les caractéristiques des revendications 1 et 6 de la demande de brevet européen telle que déposée.
La Cour énonce que la suppression d'une caractéristique dans une revendication, au cours de la procédure de délivrance du brevet européen, contrevient aux dispositions des articles 123(2) et 138(1)c) CBE si cette caractéristique est présentée comme essentielle à l'invention et indispensable à sa réalisation, au regard du problème technique qu'elle se propose de résoudre.
Selon la Cour, c'est en vain que la société N soutient que la caractéristique supprimée n'était pas indispensable à la solution du problème posé. En effet, l'invention se propose de résoudre le problème technique posé par la réinsertion du rideau de la porte lorsque, sous l'effet d'un choc violent ou du vent, il sort des glissières dans lesquelles il coulisse. Dans la demande de brevet comme dans le brevet délivré, il est précisé que l'invention a pour but d'éviter que les parties latérales du rideau ressortent par les découpes ou fenêtres destinées à permettre sa réinsertion, lors de la descente du rideau.
Seule la paroi mobile permet la solution de ce problème technique, comme le prévoyait la revendication 1 dans sa rédaction d'origine, en précisant que cet élément était destiné à éviter que le rideau ne passe de l'intérieur vers l'extérieur. La société N ne démontre pas que ce but est atteint par la seule conformation des guides qui, dans la demande de brevet, venaient s'ajouter au dispositif de paroi mobile. Il s'ensuivait que la suppression dans la revendication 5 de cette caractéristique essentielle à la réalisation de l'invention avait pour effet d'étendre l'objet du brevet au-delà de la demande initiale et contrevenait aux dispositions de l'art. 123(2) CBE. Cette revendication doit donc être annulée, avec effet sur le territoire français, en application de l'art. 138(1)c) CBE.
Par ailleurs, la caractéristique de la paroi mobile n'apparaît pas davantage, dans cette configuration particulière, accessoire pour parvenir au résultat recherché de sorte que la revendication 9 doit, au même titre que la revendication 5 être déclarée nulle, au visa de l'art. 138(1)c) CBE, avec effet sur le territoire français.
La Cour conclut que la société N fondant son action en contrefaçon sur les seules revendications 5 et 9, la société G est irrecevable à soulever la nullité du brevet européen dans son ensemble.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 27 janvier 2009 (06/07287) - ADA Cosmetic c. Emicela
Mot-clé : modifications
La société C a obtenu la délivrance du brevet européen EP 0 530 789 visant la France. Le brevet de la société C porte sur un distributeur-doseur pour savon liquide, shampoing pour cheveux ou liquides analogues, et il poursuit deux objectifs, à savoir assurer une bonne hygiène en évitant la contamination du liquide par des germes apportés lors de chaque utilisation, et pouvoir facilement recharger le distributeur tout en évitant tout risque de vol.
Le 13 avril 2006, la société C a fait assigner devant le TGI Paris la société E notamment sur le fondement de la contrefaçon des revendications 1, 2, 4, 5, 6, 8, 11 et 13 de son brevet.
Dans ses dernières écritures du 8 décembre 2008, la société E soulève la nullité du brevet pour insuffisance de description et extension du brevet au-delà du contenu de la demande initiale en application de l'art. 138(1)b) et c) CBE.
Dans ses dernières écritures du 5 décembre 2008, la société C expose que son brevet permet d'obtenir le savon non pas au moyen d'une pompe mais par simple pression sur la paroi souple du récipient contenant le liquide, ce récipient s'intégrant à un support par une douille de maintien amovible et fixée grâce à un système antivol.
La société C conteste l'existence d'une extension de l'objet du brevet au-delà de la demande; elle explique qu'elle a effectué des modifications dans la rédaction de sa revendication 1 à la demande de l'OEB, mais elle fait valoir que les caractéristiques techniques relevées par la société E découlent clairement des pièces initiales de la demande. Elle fait également valoir que les deux modes de réalisation de la revendication 1 sont suffisamment décrits et conclut au rejet de la demande de nullité de la société E.
Le brevet se caractérise notamment en ce que : (i) le support comporte à l'une de ses portions terminales libres une douille de maintien, (j) qui entoure partiellement le récipient, (k) et qui est reliée de façon détachable au support, (l) et est fixée à ce support au moyen d'un dispositif antivol.
La société E relève que la lecture des caractéristiques (i) et (j) fait apparaître que deux modes de réalisation sont envisagés : (1) la douille entoure le goulot du récipient à savon et est fixée sur l'extrémité inférieure du support, (2) la douille entoure une autre partie du récipient notamment le fond et est fixée à l'extrémité supérieure du support. Or, la société E fait valoir que le second mode de réalisation n'était pas prévu dans la demande de brevet.
Selon le Tribunal, la revendication 8 ajoute que la "douille de maintien entoure ledit récipient dans la région d'un goulot de récipient ou de bouteille." Ces positions respectives de la douille et du goulot sont les seules qui soient présentées et aucune alternative n'est envisagée. La demande de brevet en son ensemble ne comporte aucune indication relative à un autre agencement possible entre la douille et le récipient à savon. Ainsi même si le terme de préférence permet de considérer qu'un autre mode de réalisation est envisagé, la suite de la revendication relative à la disposition du goulot du récipient dans la douille écarte de façon certaine toute disposition autre que celle d'une douille située en partie basse du support. La revendication 1 du brevet qui, en (j), indique que la douille de maintien entoure partiellement le récipient, n'est donc pas conforme à la demande en ce que cette rédaction nouvelle permet d'envisager un mode de réalisation qui n'était pas visé antérieurement.
Faisant application de l'art. 138(1)c) CBE et de l'art. L. 614-12 CPI, le Tribunal déclare nulle la revendication 1 du brevet. Les revendications 2, 4, 5, 6, 8, 11 et 13 dépendantes de la revendication 1 sont également déclarées nulles. Les demandes de la société C fondées sur la contrefaçon de ces revendications seront donc rejetées.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 25 juin 2008 - Zipher Ltd c. Markem Systems Ltd, Markem Technologies Ltd [2008] EWHC 1379 (Pat)
Mot-clé : modification des revendications - élément ajouté
L'une des questions examinées dans cette décision concernait le pouvoir d'appréciation que la Cour peut encore exercer pour autoriser un titulaire à modifier son brevet, à condition que ces modifications ne soulèvent pas d'objection au titre de la Loi sur les brevets.
Avant que le Royaume-Uni ne ratifie la CBE, les cours et tribunaux de ce pays exerçaient dans une très large mesure leur pouvoir d'appréciation pour autoriser ou non une partie à modifier l'étendue du monopole conféré par un brevet après sa délivrance. L'exercice de ce pouvoir impliquait par exemple l'examen de la diligence à agir à temps du titulaire, les motifs justifiant à ses yeux les modifications, ou l'effet du brevet non modifié sur les tiers.
Etant donné que des changements d'ordre législatif ont entraîné la nécessité de tenir compte des principes applicables au titre de la CBE, un juge doit se tourner de nos jours vers la CBE et établir quels principes y sont applicables pour autoriser ou non des modifications.
Le juge a constaté qu'il n'existe dans la CBE que peu de repères explicites. Il découle de la jurisprudence des chambres de recours que les principaux - et peut-être uniques - critères jugés pertinents pour autoriser des modifications pendant une procédure d'opposition, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation, consistent à déterminer si ces modifications sont appropriées dans le cadre de la procédure, si elles sont nécessaires et si elles sont compatibles avec l'équité procédurale. Conformément à la nouvelle procédure prévue à l'art. 105bis CBE 2000, le titulaire d'un brevet peut limiter le brevet européen qui lui a été délivré en modifiant les revendications en dehors de toute procédure d'opposition et par une demande centralisée à l'OEB. S'il est satisfait aux exigences sur le plan procédural, le brevet peut être limité conformément à la requête présentée.
Par conséquent, si une modification adéquate est soumise en temps utile pendant la procédure d'opposition et qu'elle est nécessaire et de nature à lever les motifs d'opposition, il faudra selon toute vraisemblance y faire droit. Il serait étrange de rejeter une modification au simple motif que le brevet est frappé d'opposition, alors que la modification correspondante serait permise au titre de la procédure centralisée de limitation. Une telle différenciation ne pourrait être justifiée que dans le cas où (a) les modifications n'auraient aucune incidence sur l'opposition et pourraient donc être effectuées une fois la procédure close, si le brevet était maintenu, ou dans celui où (b) elles ne pourraient être envisagées pour des motifs d'équité procédurale vis-à-vis des opposants.
En conclusion, le pouvoir d'appréciation dont dispose le juge pour rejeter des modifications conformes à la Loi sur les brevets a été restreint. Des critères comme ceux qui étaient autrefois jugés pertinents pour ce pouvoir d'appréciation, par exemple le comportement du titulaire du brevet, ne jouent plus aucun rôle.
ES Espagne
Cour Suprême du 4 novembre 2010 (appel n° 6669/2009) - Pfizer c. Medichem
Mot-clé : révision de la traduction du brevet européen - portée - insertion de nouvelles revendications de produit
Le Tribunal Suprême espagnol devait répondre à une question de droit concernant la possibilité, à l'occasion de la révision de la traduction, d'inclure des revendications qui ne figuraient pas dans la traduction d'origine. La question de fond sous-jacente est celle de la portée du processus de révision d'une traduction et d'une protection possible via l'ADPIC des revendications de produit non incluses dans les traductions publiées à un quelconque moment, dans le cadre de la réserve que l'Espagne a faite à la CBE en vertu de l'art. 167. La société Pfizer Inc. s'est pourvue en cassation du jugement du 26 mars 2009 prononcé par la Chambre du contentieux administratif (deuxième section) du Tribunal supérieur de Madrid qui avait rejeté le recours contentieux administratif formulé contre la décision de l'Office espagnol des brevets et marques (OEPM) du 27 octobre 2006, décision qui rejetait la publication de la révision de la traduction du brevet européen EP 0 463 756 sollicitée par la partie requérante et concluait au maintien du texte du brevet tel que validé par l'Espagne conformément à la traduction initiale présentée dans le délai de trois mois après l'annonce de la délivrance du brevet par l'OEB.
Dans son jugement, le Tribunal Suprême rejette la thèse limitant le rôle de l'OEPM à un simple bureau d'enregistrement recevant et publiant toute traduction d'un brevet européen et se contentant de vérifier uniquement qu'il s'agit de la traduction d'un brevet européen. Le Tribunal déclare que la publication officielle de la traduction d'un brevet par l'OEPM a des conséquences juridiques importantes, comme par exemple le droit de son titulaire d'exploiter commercialement le brevet. Cette publication doit apporter aux tiers une certitude du point de vue juridique. Cette constatation justifie en elle-même le fait que l'on confère à l'Office espagnol une fonction de qualification. Cela s'applique pour les mêmes raisons non seulement aux traductions, mais aussi aux révisions de traductions.
Il y avait un second point à examiner. Est-il possible, lors de la révision de la traduction d'un brevet européen, d'élargir le domaine de protection de la traduction originale dans les limites du brevet ? Le Tribunal Suprême fait observer dans son jugement que la CBE prévoit que les Etats parties doivent envisager la possibilité pour le demandeur ou le titulaire du brevet de présenter une traduction révisée et conditionner les effets juridiques du brevet à l'observation des conditions correspondantes, et la CBE reconnaît que les Etats assurent la protection des droits acquis par les tiers dans les termes commentés à l'art. 70(4)b) CBE, ce qui amène à conclure sans équivoque que la révision de la traduction a une portée beaucoup plus étendue que celle défendue par l'OEPM et par le Tribunal. Une révision de traduction ne peut pas avoir d'autre portée que le fait précisément d'inclure des revendications figurant dans le brevet européen mais ne figurant pas, pour quelque raison que cela soit, dans la traduction présentée dans un autre Etat partie. Il peut exister diverses raisons pour lesquelles, dans une première traduction, toutes les revendications présentes dans le brevet européen ne sont pas incluses, comme ce fut le cas à l'époque de la réserve à la CBE faite par l'Espagne concernant les revendications de produits pharmaceutiques, mais cela peut également être dû à des accords purement commerciaux avec d'autres entreprises pharmaceutiques ou à des motivations strictement économiques ou commerciales. Dans toutes ces hypothèses, une fois ces raisons disparues, le titulaire du brevet peut décider d'inclure les revendications omises dans un premier temps. Le Tribunal Suprême est également arrivé à la conclusion que la possibilité offerte par l'art. 70(4)b) CBE, reprise par l'art. 12 du Décret Royal 2424/1986 peut être exercée par le titulaire du brevet, sans limitation de temps.
Le Tribunal Suprême a jugé que l'entrée en vigueur de l'ADPIC en Espagne lève tout doute que l'on pourrait avoir quant aux effets possibles de la réserve sur les brevets affectés par elle. En effet, la reconnaissance explicite par l'ADPIC de la possibilité, non pas encore d'admettre les revendications de produits pharmaceutiques, mais d'admettre les revendications de ces produits lorsque cela n'avait pas été possible antérieurement en raison de décisions nationales – comme par exemple en raison des réserves faites à la CBE – doit prévaloir sur la CBE. A partir de l'entrée en vigueur pleine et entière de l'ADPIC le 1er janvier 1996, le brevet objet du présent litige est valable et la réserve espagnole relative aux brevets de produits en vertu de la CBE est caduque.
IT Italie
Tribunal de première instance de Milan du 23 septembre 2010 (14437/10) - Giellepi Chemicals c. Meda Pharma
Mot-clé : nouveauté - disclaimer
Meda Pharma était titulaire du brevet européen EP 0 994 705 relatif au mélange de deux composés chimiques visant à limiter les complications du diabète. Au cours des procédures devant le Tribunal de première instance, le demandeur a soutenu que le brevet ne comportait aucun enseignement technique nouveau par rapport à l'état de la technique. Dans sa défense, le titulaire du brevet a fait valoir que le mélange revendiqué dans l'état de la technique était différent du mélange principal faisant l'objet du brevet de Meda Pharma. L'application synergique simultanée des deux composés dans le document de l'art antérieur était purement fortuite. En outre, ce document ne fournissait pas suffisamment d'informations sur le mélange effectif des deux composés en raison de l'absence de données expérimentales. Cependant, comme le mélange revendiqué dans l'état de la technique faisait partie des mélanges revendiqués dans le brevet mis en cause, le titulaire de ce brevet a proposé d'utiliser un disclaimer par mesure de précaution.
Le disclaimer proposé a été considéré admissible et effectif. S'agissant de son admissibilité, le Tribunal a cité les dispositions italiennes et européennes applicables. En ce qui concerne le cas présent, la législation italienne autorise des modifications après la délivrance lorsque a) la limitation de l'objet du brevet, sur la demande du titulaire, est permise (art. 79 Loi italienne sur les brevets) et b) la limitation du brevet peut être également la conséquence d'un jugement déclarant son invalidité partielle (art. 76(2) Loi italienne sur les brevets). Il est également autorisé de convertir un brevet invalide en un autre brevet répondant aux exigences de validité, que le demandeur aurait demandé s'il avait eu connaissance de l'invalidité (art. 76(3) Loi italienne sur les brevets). La seule limite commune à ces modifications est que l'objet du brevet ne s'étende pas, du fait de la modification, au-delà du contenu de la demande déposée.
Selon le Tribunal, si la modification consiste en un disclaimer représentant une limitation ou un moyen de supprimer une partie de l'objet n'étant pas supposée digne de protection, cette modification doit être autorisée, ce qui est conforme aux décisions des chambres de recours de l'OEB (T 583/93) et de sa Grande Chambre de recours (G 1/03). L'OEB a précisé en particulier que l'introduction de disclaimers était admise dans la mesure où les disclaimers évitent un conflit avec l'état de la technique. En effet, dans l'affaire en cause, le disclaimer proposé supprime le chevauchement avec l'état de la technique.
C. Interprétation des revendications - applicabilité de l'article 69 CBE
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 26 mai 2010 (Op 3/09)
Mot-clé : interprétation des revendications – étendue de la protection - art. 69 CBE
Dans cette décision, la Chambre suprême des brevets et des marques a résumé la jurisprudence autrichienne relative à l'étendue de la protection conférée par un brevet. En vertu du § 22a Loi autrichienne sur les brevets, l'étendue de la protection conférée par un brevet et par la demande publiée est déterminée par la teneur des revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications. Il convient aussi d'appliquer à bon escient le protocole interprétatif de l'art. 69 CBE. Selon ce protocole, cette disposition ne doit pas être interprétée comme signifiant que l'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée au sens étroit et littéral du texte des revendications et que la description et les dessins servent uniquement à dissiper les ambiguïtés que pourraient receler les revendications. L'art. 69 CBE ne doit pas d'avantage être interprété comme signifiant que les revendications servent uniquement de ligne directrice et que la protection s'étend également à ce que, de l'avis d'un homme du métier ayant examiné la description et les dessins, le titulaire du brevet a entendu protéger. L'art. 69 CBE doit, par contre, être interprété comme définissant entre ces extrêmes une position qui assure à la fois une protection équitable au demandeur et un degré raisonnable de certitude aux tiers.
Selon la Chambre suprême des brevets et des marques, il s'ensuit que l'essentiel, pour l'étendue de la protection conférée par un brevet, est le rapport équilibré entre ce qui ressort de l'exact libellé des revendications et ce qui se dégage de la description et des dessins comme solution au problème technique. En outre, dans l'intérêt d'une sécurité juridique correspondante du titulaire du brevet et aussi du public, il y a lieu d'exiger d'un brevet que le libellé des revendications délimite l'étendue de la protection et non pas qu'il faille d'abord la déterminer par l'interprétation de la description et des dessins. Ceci correspond tout à fait au sens des dispositions du § 22 Loi autrichienne sur les brevets et du protocole interprétatif de l'art. 69 CBE, lesquels disposent que l'étendue de la protection ne saurait être ce que l'homme du métier, ayant examiné la description et les dessins, pense que le titulaire du brevet a voulu protéger.
BE Belgique
Tribunal de commerce de Liège du 8 juillet 2010 - Core, Urban c. Germeau Carrière
Mot-clé : interprétation des revendications
Les demanderesses sont co-titulaires du brevet européen EP 1 448 865 délivré le 10 janvier 2007, avec une date de priorité du 2 août 2002, pour une échelle télescopique et des procédés de fabrication associés. Ce brevet n'a pas fait l'objet d'une opposition. Les demanderesses ont constaté que Germeau Carrière commercialise des échelles qui selon elles, sont conformes à la revendication 1 du brevet et constituent donc la contrefaçon de celui-ci.
L'invention concerne une échelle télescopique et un procédé d'assemblage d'une telle échelle. La revendication 1 définit l'objet essentiel de l'invention. La validité du brevet des demanderesses n'est pas contestée.
Puisque les échelles qu'elle commercialise ont des surfaces de guidage de section circulaire, sans parties aplaties, il n'y a pas de violation du brevet. Germeau se fonde pour affirmer cela, sur les figures 6 et 7. Elle prétend que, puisqu'aucune autre forme de réalisation d'une surface de guidage n'est illustrée aux dessins de EP 865, il est permis d'en déduire que cette forme constitue un élément essentiel de l'échelle revendiquée. Les demanderesses prétendent que la particularité, à savoir la forme ou la section de la surface de guidage, ne fait pas partie de la revendication et ne constitue donc pas une caractéristique essentielle susceptible de protection.
Le Président du Tribunal rappelle, en droit que, selon l'art. 26 LBI, seule la revendication définit l'objet du brevet et donc la protection accordée par la loi. La description avec ses dessins ne sert qu'à interpréter la revendication. Puis il a fait de nombreuses références au droit français et à la jurisprudence française, notamment qu'il n'est pas permis d'apporter, par l'interprétation, un élément que la revendication ne contient pas; qu'interpréter n'est pas ajouter, comme énoncé par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 10 mai 1994. Et de poursuivre que si l'art. 84 CBE spécifie que les revendications doivent se fonder sur la description, il n'exige pas une absolue concordance entre description et revendications.
Le Président juge que comme l'indiquent à juste titre les demanderesses, la revendication ne précise pas la forme (section) des colonnes. Il énonce que la forme représentée ne constitue donc pas un élément protégé et prétendre que les dessins doivent permettre d'interpréter la revendication pour en définir le contenu est contraire au libellé de celle-ci qui est parfaitement clair et précis. Il n'est nulle part question dans la revendication 1 du brevet d'une forme particulière ni de la section des colonnes ni des barreaux.
Enfin, il conclut que, par application de la théorie des équivalents, la contrefaçon est établie.
FR France
Cour d'appel de Paris du 4 mars 2009 (07/08437) - Institut Pasteur c. Chiron
Mot-clé : étendue de la protection - art. 69 CBE
L'Institut Pasteur est une fondation qui exerce une activité de recherche dans le domaine de la microbiologie. Les sociétés Chiron, de droit américain, qui sont spécialisées dans le domaine de la biotechnologie, fabriquent, commercialisent des vaccins, des produits thérapeutiques et des outils de diagnostic sanguin.
Reprochant aux sociétés du groupe Chiron de commercialiser depuis le mois de septembre 1999, des kits de dépistage du VIH constituant, selon lui, les moyens de mise en œuvre des revendications 8 et 11 de son brevet, l'Institut Pasteur les a assignées devant le TGI Paris en contrefaçon. Le TGI Paris par jugement du 7 février 2007 l'a débouté de ses demandes. L'Institut Pasteur a interjeté appel.
La Cour d'appel de Paris rappelle que le brevet européen EP 0 178 978, déposé le 17 septembre 1985 par l'Institut Pasteur, sous priorité britannique du 19 septembre 1984, délivré le 6 février 1991, a fait l'objet d'une procédure d'opposition devant l'OEB par la société Chiron et a été maintenu avec des revendications modifiées, par décision de la Chambre de recours du 18 novembre 1999 (T 824/94).
Les parties s'opposent sur la portée des revendications 8 et 11 du brevet. La Cour rappelle que, en droit, selon l'art. 69 CBE, l'étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet est déterminée par la teneur des revendications, toutefois la description et les dessins servent à interpréter les revendications.
L'Institut Pasteur soutient que le brevet EP 0 178 978 constitue une innovation de premier ordre qui en fait un brevet pionnier, de sorte que, selon lui, les revendications 8 et 11 ont une portée allant au-delà de leur sens littéral.
Mais la Cour considère que si en présence d'une invention pionnière, le brevet peut décrire un mode de réalisation de l'invention et revendiquer tout autre mode de réalisation possible, en revanche, même un brevet pionnier ne peut se voir accorder une portée générale si ses revendications sont rédigées en termes restrictifs. Une revendication non ambiguë, de portée étroite, ne saurait se voir accorder, sous couvert d'une interprétation, une portée générale, lorsque, notamment le breveté a été contraint de limiter la portée de la revendication dans le cadre de procédures de délivrance et d'opposition pour se distinguer de l'art antérieur. Or, la Cour constate qu'en l'espèce il est établi que la demande de brevet a été déposée initialement avec 24 revendications et que, par suite de la procédure d'opposition engagée par la société Chiron, puis, d'un appel (T 824/94), le brevet délivré comporte 11 revendications d'une portée réduite.
Sur la revendication 11, la Cour d'appel énonce notamment que le breveté qui a modifié ses revendications pour leur donner une portée restreinte, ne peut, sans porter atteinte à la sécurité des tiers, prétendre que les modifications n'étaient pas nécessaires, que les revendications restreintes auraient la même portée que celles d'origine plus larges et que les documents de l'art antérieur ayant motivé les modifications ne seraient pas pertinents.
Sur la revendication 8, la Cour d'appel énonce notamment que l'Institut Pasteur ne saurait soutenir que la revendication 8 couvrirait toute méthode de diagnostic, quelle que soit la sonde utilisée, au motif invoqué que cette revendication renverrait indirectement à la revendication 1, laquelle, du fait de l'utilisation du terme "correspondant", continuerait à couvrir n'importe quel fragment d'ADN.
En effet, la Chambre de recours de l'OEB, au sujet de la revendication 1, a rappelé que le vocable "correspondant" semble être employé dans le sens restreint d'une stricte correspondance, de base à base, soumise à des variations admissibles qui ne modifieraient pas de façon considérable leur capacité d'hybridation avec les génomes rétroviraux de LAV, comme l'homme du métier le comprendrait. De sorte, sans dénaturer cette décision, il ne saurait, toujours selon la Cour d'appel, être prétendu que la protection des variations admissibles s'étendrait également à la protection de tous les fragments d'ADN équivalents.
La revendication 8 ne saurait porter sur toute méthode de diagnostic indépendamment du type de sonde utilisé. La Cour considère par voie de conséquence, que la portée de la revendication 8 est limitée à un procédé de détection impliquant l'utilisation de sondes composées des fragments clones et comportant un fragment d'ADN correspondant au génome rétroviral contenu dans le λJ19. Enfin, la portée des revendications 8 et 11 du brevet opposé étant ainsi définie, la Cour juge qu'il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire en nullité de ces revendications formée par les sociétés Chiron qui ne contestent pas leur validité telles que modifiées après opposition et telles qu'interprétées.
La Cour d'appel confirme en toutes ses dispositions le jugement du TGI Paris du 7 février 2007 y compris donc en ce que le jugement a débouté l'Institut Pasteur de ses demandes au titre de la contrefaçon. La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 novembre 2010 (09-15668) a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt (voir ci-dessous).
FR France
Cour de cassation du 23 novembre 2010 (09-15668) - Institut Pasteur c. Chiron
Mot-clé : étendue de la protection - art. 69 CBE
L'Institut Pasteur, titulaire du brevet européen EP 0 178 978, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 mars 2009 (voir cet arrêt supra).
L'Institut Pasteur fait grief, entre autres, au visa de l'art. 69 CBE, à la Cour d'appel de l'avoir débouté de ses demandes en contrefaçon des revendications 8 et 11 de son brevet, alors notamment que les éventuelles modifications apportées à une demande de brevet au cours des procédures devant l'OEB n'ont pas à être prises en considération pour déterminer l'étendue de la protection conférée par la rédaction définitive des revendications dudit brevet, titre se suffisant à lui-même.
La Cour de cassation juge que la Cour d'appel ne s'est pas limitée à une lecture littérale des revendications, mais a spécifiquement motivé son appréciation de la portée des revendications 8 et 11 du brevet au regard des textes applicables en retenant d'un côté, que la revendication 8 ne couvrait pas toute méthode de diagnostic, quelle que soit la sonde utilisée, mais qu'elle était limitée à un procédé de détection impliquant l'utilisation de sondes telles que définies aux revendications 1 à 6 du brevet, c'est-à-dire une sonde formée d'un des fragments d'ADN cloné tel que défini par leurs sites de restriction et correspondant au génome rétroviral du virus LAV contenu dans le clone-J19, de l'autre côté que la revendication 11 ne protégeait que le caractère spécifique du brin d'ARN purifié revendiqué, à savoir sa taille d'approximativement 9, 1 à 9, 2 kb et sa capacité à s'hybrider avec l'ADNc contenu dans le clone-J19 et non toute séquence d'ARN purifié du virus LAV (ou HIV-1), quelle que soit sa taille.
En outre aux termes des art. 69 CBE et L. 613-2 CPI, l'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications telles que modifiées après la procédure d'opposition, et les dessins et la description servent à interpréter les revendications. L'arrêt de la Cour d'appel, en relevant que la demande de brevet avait été déposée initialement avec 24 revendications, mais que suite à la procédure d'opposition, le brevet avait été maintenu avec 11 revendications d'une portée réduite, n'a fait, selon la Cour de cassation, qu'apprécier la portée des revendications dans leur rédaction définitive.
Pour répondre à d'autres griefs formulés par l'Institut Pasteur visant respectivement la portée restreinte des revendications 11 et 8 retenue par la Cour d'appel, la Cour de cassation énonce notamment que la Cour d'appel n'était pas tenue de s'expliquer sur les modifications intervenues lors de la procédure de délivrance pour déterminer la portée de la revendication n° 11. La Cour de cassation énonce à nouveau que la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur la procédure de délivrance pour apprécier la portée de la revendication 8 mais s'est contentée de relever que des modifications y avaient été apportées lors de cette procédure, l'a appréciée dans sa rédaction définitive. Enfin, la Cour de cassation relève que l'appréciation de la portée d'une revendication constitue un examen distinct de celui relevant de l'appréciation de la contrefaçon d'une revendication.
GB Royaume-Uni
Chambre des Lords du 21 octobre 2004 - Kirin-Amgen Inc et al. c. Hoechst Marion Roussel Ltd et al. [2004] UKHL 46
Mot-clé : étendue de la protection - interprétation des revendications - équivalents - protocole interprétatif de l'art. 69 CBE - questions relatives au protocole - séquences d'ADN - érythropoïétine
La procédure concernait le brevet européen EP 0 148 605 B2, relative à la production d'érythropoïétine ("EPO") au moyen de la technologie de l'ADN recombinant. Le titulaire du brevet, la société Kirin-Amgen Inc ("Amgen"), avait fait valoir que la société Transkaryotic Therapies Inc ("TKT") avait contrefait les revendications du brevet. En première instance, la juridiction chargée de l'affaire a estimé que les revendications avaient été contrefaites, mais qu'elles étaient insuffisamment exposées. La Cour d'appel a considéré que les revendications étaient valables, mais qu'elles n'avaient pas été contrefaites. Amgen a fait appel de la conclusion selon laquelle les revendications n'avaient pas été contrefaites, tandis que TKT et les autres parties ont demandé qu'il soit conclu à l'absence de contrefaçon des revendications et ont requis la révocation du brevet. La Chambre des Lords a jugé que TKT n'avait contrefait aucune revendication. Le brevet de la société Amgen a été révoqué au motif que deux revendications n'étaient pas valables, l'une ayant été antériorisée et l'autre étant insuffisamment exposée.
Interprétation des revendications :
Lord Hoffmann, qui a rendu l'avis déterminant dans cette affaire, a développé les principes d'interprétation des revendications dans le cas où la question de la contrefaçon est examinée. Il a fait observer que l'art. 84 CBE définit le rôle des revendications dans une demande déposée auprès de l'OEB. Les revendications définissent l'objet de la protection demandée. L'étendue de la protection est régie par l'art. 69 CBE et le protocole interprétatif de l'art. 69 ("le protocole"). Lord Hoffmann, concluant que le protocole visait à rejeter les règles anglaises artificielles d'interprétation des revendications de brevet, fondées sur le sens littéral ("literalism") et développées par la Common law avant la Loi britannique sur les brevets de 1977, s'est penché sur les principes d'interprétation à appliquer de nos jours.
Une cour est tenue d'appliquer les mêmes règles d'interprétation pour un brevet que celles suivies pour n'importe quel autre document. Elle doit poser la question fondamentale de savoir ce que, selon le destinataire théorique, l'auteur voulait dire en utilisant telle ou telle formulation. La réponse à cette question dépend dans une très large mesure du contexte et de la toile de fond dans lesquels les termes spécifiques ont été employés.
Le destinataire théorique du fascicule du brevet est l'homme du métier. Celui-ci prendra connaissance du fascicule à la lumière de ses connaissances générales de l'état de la technique, en présumant que le fascicule vise à la fois à décrire et à délimiter une invention, une idée pratique que le titulaire du brevet a eue pour un nouveau produit ou procédé.
Pour ce qui est des revendications du brevet, la cour doit répondre à la question essentielle de savoir ce que, selon l'homme du métier, le titulaire du brevet voulait dire en formulant la revendication. Ce principe d'interprétation téléologique implique que les termes retenus par le demandeur sont généralement d'une importance décisive. L'homme du métier partira normalement du principe que le titulaire du brevet a utilisé les termes en question pour exposer son invention de façon très précise. De plus, la formulation est généralement choisie sur les conseils d'un expert. Dans certains cas, cependant, il sera évident pour l'homme du métier que le titulaire du brevet s'est écarté dans une certaine mesure de l'usage habituel d'un terme ou qu'il a inséré dans la description de l'invention un élément qu'il ne considérait pas comme essentiel. Ces cas ne sont toutefois pas très fréquents.
La théorie des équivalents et l'approche Catnic :
Lord Hoffmann a considéré que l'interprétation littérale peut avoir pour effet d'empêcher que les revendications d'un brevet ne soient interprétées de manière à assurer une protection équitable au titulaire du brevet. Deux options sont possibles. L'une consiste à interpréter de manière littérale les revendications et à développer graduellement une doctrine qui complète les revendications en étendant la protection aux équivalents (ce qui a été mis en œuvre aux Etats-Unis). L'autre consiste à abandonner l'interprétation littérale. Ce fut le cas dans l'affaire Catnic (Catnic Components Ltd c. Hill & Smith Ltd [1982] RPC 183), dans laquelle la Chambre des Lords a adopté un principe d'interprétation mettant l'accent sur ce que, de l'avis de l'homme du métier, le titulaire du brevet revendique. Depuis l'affaire Catnic, il y a l'art. 69 CBE, qui fait résolument obstacle à toute doctrine étendant la protection à d'autres éléments que les revendications.
Lord Hoffmann a souligné que l'approche Catnic est conforme au protocole. Ce protocole a pour but de faciliter l'interprétation de l'art. 69 CBE et n'énonce expressément aucun principe pour l'interprétation des revendications. Le protocole indique quels principes ne doivent pas être suivis, à savoir l'ancienne interprétation anglaise littérale, mais il se borne pour le reste à indiquer qu'il ne faut pas dépasser les limites des revendications. Il précise également que le but est d'assurer à la fois une protection équitable au titulaire du brevet et un degré raisonnable de sécurité aux tiers. Un principe d'interprétation qui consiste à assurer une protection équitable au titulaire d'un brevet revient à lui faire bénéficier de toute l'étendue du monopole qu'il avait l'intention de revendiquer, selon l'homme du métier. Un principe garantissant un degré raisonnable de certitude aux tiers consisterait à ne pas conférer au titulaire du brevet plus d'éléments que l'étendue dans son ensemble du monopole qu'il avait l'intention de revendiquer, selon l'homme du métier. L'approche Catnic est donc conforme au protocole. Elle vise à donner au titulaire du brevet toute l'étendue, mais rien de plus que l'étendue dans son ensemble du monopole que, de l'avis d'un homme du métier raisonnable lisant les revendications dans leur contexte, le titulaire du brevet entendait revendiquer.
Bien que l'art. 69 CBE empêche les équivalents d'étendre la protection au-delà des revendications, il n'existe aucune raison pour laquelle un équivalent ne pourrait représenter une partie importante des connaissances générales de l'homme du métier, susceptibles d'influencer la signification à attribuer, selon lui, aux revendications. Lorsque l'on parle du "principe de Catnic", il importe de faire la distinction entre, d'une part, le principe de l'interprétation téléologique, qui donne tout son sens aux exigences du protocole, et, d'autre part, les directives relatives à l'application de ce principe aux équivalents, qui sont contenues dans les "questions relatives au protocole". Les tribunaux anglais ont utilisé ces questions au cours des quinze dernières années comme cadre pour décider si les équivalents s'inscrivent dans la portée des revendications.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 21 juillet 2005 - Halliburton Energy Services Inc c.Smith International (North Sea) Ltd [2005] EWHC 1623 (Pat)
Mot-clé : interprétation des revendications - art. 69 CBE
Le juge a constaté que les principes à appliquer pour interpréter des revendications avaient été exposés dans le discours de Lord Hoffmann dans l'affaire Kirin-Amgin c. Hoechst Marion Roussel [2004] UKHL 46. Etant donné l'adhésion exprimée dans ce discours aux observations formulées par Lord Justice Jacob dans l'affaire Rockwater c. Technip France SA [2004] EWCA Civ 381, le juge Pumfrey a établi la présente liste, après y avoir apporté une modification qu'il jugeait nécessaire pour tenir compte de l'unique critique émise par Lord Hoffmann :
a) ce principe général est contenu dans l'art. 69 CBE.
b) L'art. 69 CBE indique que l'étendue de la protection est déterminée par la teneur des revendications. De plus, il dispose que la description et les dessins servent à interpréter les revendications. Pour résumer, il convient d'interpréter les revendications dans leur contexte.
c) Les revendications doivent être interprétées en fonction de l'objectif poursuivi, l'objectif de l'inventeur étant déterminé à partir de la description et des dessins.
d) Les revendications ne doivent pas être interprétées comme si elles existaient isolément, les dessins et la description servant uniquement à dissiper toute ambiguïté. L'objectif poursuivi est essentiel pour l'interprétation des revendications.
e) Pour déterminer l'objectif poursuivi par l'inventeur, il convient de se rappeler qu'il peut avoir plusieurs objectifs en fonction du degré de généralité de son invention. Typiquement, par exemple, un inventeur peut avoir un, mais généralement plusieurs modes de réalisation ainsi qu'un concept généralisé. On ne saurait toutefois partir du principe que le titulaire du brevet a nécessairement voulu que les termes employés par lui soient interprétés selon leur signification la plus vaste possible, conforme à l'objectif poursuivi. Objectif et signification sont deux choses différentes.
f) L'objectif poursuivi n'est pas le but suprême. Il s'agit en fin de compte de la signification de la formulation utilisée. L'autre extrême du protocole, une simple ligne directrice, est de ce fait également exclu par l'art. 69 lui-même. C'est la teneur des revendications qui délimite le domaine du demandeur.
g) Il en résulte que si le titulaire d'un brevet a inclus ce qui est manifestement une limitation délibérée dans ses revendications, cela doit avoir un sens. On ne saurait négliger des éléments manifestement intentionnels.
Note de la rédaction : Quoique Halliburton ait contesté la décision devant la Cour d'appel, cet appel ne concernait pas l'interprétation de certaines revendications. A cet égard, Halliburton a accepté les constatations du juge de première instance.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 22 octobre 2009 - Virgin Atlantic Airways Ltd c. Premium Aircraft Interiors UK Ltd [2009] EWCA Civ 1062
Mot-clé : interprétation de la revendication - lecteur averti
Virgin avait engagé contre Premium Aircraft Interiors ("Contour") une action en contrefaçon concernant la partie britannique de son brevet européen (issue d'une demande divisionnaire européenne), qui portait sur un système de sièges pour véhicule de transport de passagers, notamment pour avion, et sur une unité de siège pour ce système. Le demandeur a été débouté devant le Tribunal des brevets, entre autres parce que l'étendue de la revendication 1 du brevet a été interprétée comme se limitant à un système de sièges convertibles en lits, de sorte qu'elle n'englobait pas le système de sièges inclinables de Contour. Virgin a fait appel de ce jugement, tandis que Contour a fait un appel incident pour obtenir l'annulation du brevet dans la mesure où la Cour d'appel considérerait sa portée comme étant suffisamment large pour couvrir son système.
Infirmant la décision de la juridiction inférieure, la Cour d'appel a jugé que l'appel de Contour dans son ensemble n'était pas fondé, y compris sur l'étendue de la protection. Lord Justice Jacob a fait quelques observations à propos de l'interprétation des revendications aux fins de déterminer l'étendue de la protection conférée par un brevet.
Après avoir rappelé les principes généraux sur l'application de l'art. 69 CBE ainsi qu'approuvés par la Chambre des Lords dans la décision Kirin-Amgen c. Hoechst Marion Roussel [2005] RPC 9 et affinés dans l'affaire Halliburton c. Smith International [2005] EWHC 1623 (Pat), Lord Justice Jacob a identifié trois autres problèmes soulevés par les arguments de Contour. Il s'agissait de la question de savoir quel niveau de connaissance du droit et de la pratique relatifs au système des brevets le lecteur averti était censé avoir et donc prendre en compte quand il cherchait à exécuter ce que le titulaire du brevet avait eu l'intention d'exprimer par le libellé de sa revendication. Suite à la décision Kirin-Amgen, le lecteur averti était censé supposer que le titulaire connaissait quelque peu le droit des brevets, que sa revendication servait à définir son monopole et qu'elle devait porter sur quelque chose de nouveau. Ce savoir pouvait effectivement influencer la façon dont il lisait la revendication. Les aspects à prendre en compte ici étaient les conventions explicites en matière de rédaction sur la base desquelles le brevet et ses revendications étaient formulées et, là où il y avait une référence au brevet comme étant issu d'une demande divisionnaire, la connaissance de ce système.
En premier lieu, donc, l'emploi de numéros (de référence) ne devait pas influencer l'interprétation de la revendication. Les titulaires savaient, avec la règle 29(7) CBE 1973, que les signes de référence ne sauraient être interprétés comme une limitation de la revendication. En conséquence, si une juridiction y prêtait attention pour limiter une revendication, ce ne serait pas loyal et les titulaires de brevets auraient tout intérêt à renoncer à l'insertion de ces numéros s'ils étaient utilisés contre eux. Les numéros étaient là pour aider le lecteur à s'orienter au stade où il essayait de comprendre l'idée générale qui sous-tendait le brevet, mais la revendication devait être interprétée comme si les numéros n'en faisaient pas partie. La Cour a donc rejeté l'argument de Contour selon lequel un numéro servant de référence au seul mode spécifique de réalisation, à savoir un siège convertible en lit, indiquait aussi une limitation à ce type de siège.
Deuxièmement, concernant la question de savoir si, compte tenu de la règle 29(1) CBE 1973, le lecteur averti s'attendait au moins à ce que le préambule d'une revendication formulée en deux parties désignât les éléments qui faisaient partie de l'état de la technique, Lord Justice Jacob a déclaré que, même en l'absence d'une structure en deux parties, étant donné que le lecteur averti savait que le titulaire du brevet essayait de revendiquer quelque chose qu'il (le titulaire) considérait comme nouvelle, il répugnerait à attribuer à la revendication une portée qui couvrirait ce que le titulaire admettait comme étant connu. Et si le titulaire non seulement reconnaissait qu'un élément était connu comme appartenant à l'état de la technique, mais formulait ensuite un préambule reposant manifestement sur cet élément, le lecteur averti serait encore plus enclin à lire ce préambule comme visant à décrire cet état de la technique. En l'espèce, par conséquent, puisque les sièges convertibles en lits n'étaient pas connus, le lecteur averti n'aurait pas supposé que le libellé utilisé (dans le préambule) se limitait à ce type de siège. En effet, la revendication ne contenait aucun élément se rapportant à des sièges convertibles en lits.
Troisièmement, à titre plus général, dans les cas où il était fait référence au brevet comme étant issu d'une demande divisionnaire, le lecteur averti aurait connaissance de la pratique en matière de demandes divisionnaires (cf. art. 76 et règle 25 CBE 1973). Cela pouvait influencer sa compréhension d'une revendication, étant donné qu'il saurait qu'il y avait ou qu'il pouvait y avoir des aspects de ce qui était décrit dans le brevet qui étaient concrètement revendiqués dans d'autres brevets issus de la demande initiale. Le lecteur averti s'attendrait à ce que le siège convertible en lit du seul mode spécifique de réalisation soit breveté quelque part, mais, sachant que ce qui se trouvait dans le brevet contesté avait été divisé, il ne s'attendrait pas forcément à ce qu'il soit breveté là.
Concernant le problème de l'espace perdu derrière le siège/lit et l'idée de remplir l'espace en utilisant le lit qui vient s'étendre dans ledit espace (comme indiqué dans la partie caractérisante de la revendication 1), Lord Justice Jacob a déclaré que cela n'était bien entendu pas lié à la possibilité ou non de mettre le lit à plat. Par conséquent, le lecteur averti n'aurait eu aucune raison de supposer que le titulaire avait l'intention de limiter sa revendication aux sièges convertibles en lits.
En conclusion, il a été estimé que la revendication 1 ne se limitait pas à ce type de siège.
IT Italie
Tribunal de première instance de Milan du 22 octobre 2005 (22222/05) - Assograph c. Termozeta
Mot-clé : interprétation des revendications
La description et les revendications d'un brevet sont complémentaires : la description a pour fonction de montrer les aspects techniques et de divulguer l'invention proprement dite, tandis que les revendications expriment la volonté d'adapter la protection revendiquée à des besoins spécifiques. Ainsi, tout élément qui n'est pas décrit et en même temps revendiqué ne peut pas être breveté. Même si l'étendue de la protection conférée par un brevet est délimitée par la formulation des revendications, la description et les dessins sont utiles pour interpréter les revendications, selon le principe énoncé à l'art. 8 de la Convention de Strasbourg du 11 novembre 1963 et ratifié par la Loi n° 260/1978. Cette interprétation permet de parvenir à un juste équilibre entre l'intérêt général, assuré par la fonction principale attribuée aux revendications, d'une part, et une protection équitable du demandeur, d'autre part. Ce dernier ne doit pas être pénalisé de manière excessive uniquement parce que le destinataire de la demande de brevet a des difficultés à comprendre l'objet revendiqué, tant que ces difficultés sont facilement surmontées à la lecture du texte intégral du brevet.
NL Pays-Bas
Cour suprême (Hoge Raad) du 22 décembre 2006 - Dijkstra c. Saier
Mot-clé : interprétation des revendications – utilisation du dossier de la demande de brevet
Dans l'action en contrefaçon devant la Cour d'appel, le titulaire avait revendiqué une nouvelle fois une partie du brevet européen EP 0 565 967 (seau synthétique avec couvercle) pour laquelle une protection avait été précédemment exclue pendant la procédure d'opposition devant l'OEB afin que le brevet réponde aux exigences de brevetabilité. Pour empêcher que le titulaire récupère la partie abandonnée du brevet, le défendeur avait invoqué le dossier de la demande, en particulier le brevet tel que délivré à l'origine ainsi que l'avis rendu par la chambre de recours technique dans sa décision relative à l'opposition formée contre le brevet. La Cour d'appel a cependant rejeté ces références, indiquant qu'il n'y avait aucune raison de consulter le dossier de délivrance ; la revendication était suffisamment claire en soi et ne justifiait pas ce type de consultation.
Sur le recours en cassation contre ce jugement, le Cour suprême a annulé la décision de la Cour d'appel et renvoyé l'affaire pour suite à donner. La Cour suprême a indiqué dans ses motifs que les Etats parties à la CBE ne partageaient pas de vision commune sur la question de savoir si le dossier de délivrance pouvait être pertinent pour interpréter un brevet et, si tel était le cas, à quel moment et dans quelle mesure. La Cour a confirmé son jugement précédent, rendu dans l'affaire du 13 janvier 1995, Ciba Geigy c. Oté Optics. Cette affaire avait fait suite à un recours contre la position de la Cour d'appel selon laquelle le dossier de la procédure (partie accessible au public) pouvait, dans une certaine mesure, être invoqué à l'encontre du titulaire du brevet, mais ne pouvait en aucune circonstance être utilisé en faveur d'une interprétation du brevet défendue par le titulaire et contestée par un tiers poursuivi pour contrefaçon. Se référant à cette décision marquante, la Cour suprême a précisé dans le cas présent que la Cour ne peut utiliser des informations éclairantes du dossier de délivrance pour interpréter le brevet au sens de son titulaire que si elle considère que, même après avoir étudié la description et les dessins, l'homme du métier moyen aurait encore des doutes raisonnables quant à la façon dont il faut comprendre le contenu des revendications. Cette règle restrictive permet de garantir une sécurité juridique raisonnable pour les tiers lors de l'interprétation du brevet. Cependant, si une partie autre que le titulaire du brevet invoque le dossier de délivrance pour étayer son interprétation du brevet, la Cour suprême ne voit pas pourquoi il faudrait limiter l'utilisation d'informations accessibles au public et extraites du dossier de délivrance.
NL Bays-Bas
Cour suprême (Hoge Raad) du 7 septembre 2007 - Lely c. Delaval
Mot-clé : interprétation des revendications
En se référant à l'art. 69 CBE et à son protocole interprétatif, la Cour suprême a réaffirmé le jugement exposé dans sa décision marquante du 13 janvier 1995, Ciba Geigy c. Oté Optics, laquelle fournit des indications sur l'interprétation des revendications. A cet égard, la Cour a précisé que, lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue de la protection par brevet, l'essence de l'invention pour laquelle une protection est demandée, c'est-à-dire le concept inventif à la base du libellé des revendications, ne constitue pas un point de départ pour l'interprétation de ces revendications, mais seulement un point de vue par opposition au libellé littéral des revendications (les deux "extrêmes" dont il est question dans le protocole interprétatif de l'art. 69 CBE).
Note de la rédaction : dans sa décision du 13 janvier 1995 - Ciba Geigy c. Oté Optics, la Cour suprême a introduit plusieurs étapes pour définir l'étendue de la protection. La Cour doit (i) déterminer l'essence de l'invention, (ii) évaluer si une interprétation des revendications sur la base de l'essence de l'invention fournit une protection raisonnable aux tiers, (iii) utiliser les parties publiques du dossier de délivrance bien que l'interprétation en faveur du titulaire du brevet doive être restrictive, et (iv) tenir compte des circonstances spécifiques de l'affaire, y compris l'étendue de l'invention. Voir le résumé de cette décision dans le Recueil des Décisions nationales européennes en matière de brevets, 1ère édition 2004, p. 227.
IV. PRIORITÉ
AT Autriche
Chambre suprême des brevets et des marques du 27 juin 2007 (Op 7/06)
Mot-clé : priorité – même invention – valeurs numériques
Dans cette affaire, la requérante a soutenu, en invoquant l'art. 4C (4) de la Convention de Paris, que la priorité n'avait pas été revendiquée à juste titre. L'objet du brevet était un moyen de diagnostic destiné à être utilisé comme produit de contraste aux fins de diagnostic. La Chambre suprême des brevets et des marques a renvoyé à la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB et a conclu que le droit de priorité s'étendait à la même invention. En vertu de l'art. 88 CBE, la priorité ne peut être reconnue, pour une revendication appartenant à une demande de brevet européen, que si, pour l'homme du métier faisant appel aux connaissances générales dans le domaine considéré, l'objet de la revendication ressort directement et sans ambiguïté de la première demande considérée dans son ensemble. Il n'y a pas identité entre l'objet divulgué dans la première demande et la revendication de la demande ultérieure si celle-ci présente des caractéristiques supplémentaires. Un objet défini par plusieurs caractéristiques dans une demande de brevet ne peut revendiquer qu'une seule priorité. Si certaines caractéristiques d'un objet ont des priorités distinctes, l'objet dans son ensemble ne jouit que de la priorité de la demande antérieure dans laquelle la totalité des caractéristiques a été divulguée pour la première fois. Pour cette raison, il ne pourra être reconnu à une revendication comportant plusieurs caractéristiques ayant des priorités différentes, en définitive, que celle attribuée à la plus récente des caractéristiques.
L'indication de valeurs numériques dans des revendications de brevet a toujours un caractère contraignant et déterminant ; de telles indications ne peuvent être modifiées de façon quelconque sans changer considérablement la teneur technique des valeurs numériques. Une demande qui s'appuie sur une première demande comme constitutive d'un droit de priorité ne peut donc comporter dans ses revendications, comme caractéristiques essentielles, que des plages de valeurs identiques ou plus étroites, mais jamais des plages de valeurs plus étendues que la première demande. De l'avis de la Chambre suprême des brevets et des marques, l'écart – englobant deux puissances de dix et demie – de la limite inférieure de la plage de concentrations dépassait, en l'espèce, la marge de tolérance habituelle. Par conséquent, la plage de concentrations de 1µMol à 0,5nMol, dans la revendication du brevet contesté, qui allait au-delà de la plage mentionnée dans le document de priorité, constituait une caractéristique supplémentaire.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 12 juin 2009 - Edwards Lifesciences AG c. Cook Biotech Inc [2009] EWHC 1304 (Pat)
Mot-clé : priorité - droit au brevet - codemandeurs
La demande internationale sur laquelle le brevet contesté (brevet européen EP (UK) 1 255 510) était fondée revendiquait la priorité d'une demande américaine déposée au nom de trois co-inventeurs, dont l'un était salarié du défendeur/titulaire du brevet, Cook, au moment de l'invention. La demande internationale avait été déposée au nom de Cook, mais à ce moment-là, Cook n'avait de droit de propriété que via le contrat de travail du salarié susmentionné. Les droits de propriété des deux autres inventeurs-demandeurs ont été transférés à Cook 21 mois après le dépôt de la demande internationale, mais avant la délivrance du brevet. Le droit de Cook de revendiquer la priorité a été contesté par Edwards au vu d'un document publié pendant le délai de priorité.
L'argument du titulaire selon lequel sa revendication de priorité est fondée parce qu'il a acquis tous les droits sur l'invention avant la date de délivrance du brevet litigieux, et qu'il a en tout état de cause toujours détenu le droit de propriété de son salarié, a été rejeté par le juge. Selon lui, les dispositions applicables en matière de droit de priorité, à savoir la section 5 de la Loi britannique sur les brevets de 1977 et l'art. 4 de la Convention de Paris (cf. art. 8 PCT), sont claires. Une personne qui a déposé une demande de brevet n'est habilitée à revendiquer une priorité qu'à la condition qu'elle ait elle-même déposé la demande dont la priorité est revendiquée, ou qu'elle soit l'ayant cause de la personne ayant déposé cette demande. En outre, sa situation juridique ne s'améliore pas parce qu'elle acquiert ultérieurement les droits sur l'invention, et elle ne pouvait en tout état de cause prétendre au droit de priorité lorsqu'elle a déposé la demande ultérieure et formulé sa revendication. En effet, toute autre interprétation serait source d'incertitude et risquerait d'être inéquitable pour les tiers. Dans les affaires J 19/87 et T 62/05, les chambres de recours de l'OEB ont adopté la même approche pour l'interprétation de l'art. 87 CBE.
Le juge a donc rejeté l'argument de Cook (fondé sur la section 7 Loi britannique sur les brevets de 1977) selon lequel il était en droit de déposer la demande et, en tant qu'ayant cause de tous les inventeurs comme suite à la cession intervenue ultérieurement, il avait aussi droit à la délivrance du brevet, et qu'il devait en être de même de la priorité. Selon le juge, la section 7 Loi britannique sur les brevets de 1977 concerne la question distincte du droit à la délivrance d'un brevet, et l'on ne peut pas interpréter la Convention de Paris à la lumière de cet article.
L'autre argument de Cook, selon lequel il suffit qu'il ait toujours détenu le droit de propriété de son salarié dans l'invention, n'a pas non plus été admis. La demande américaine a été déposée au nom des trois co-inventeurs et non par le seul salarié, qui n'est donc pas une personne ayant "régulièrement fait le dépôt d'une demande de brevet" au sens de l'art. 4A(1) de la Convention de Paris. Une fois de plus, cette approche est conforme à celle adoptée par la chambre de recours de l'OEB dans l'affaire T 788/05.
En résumé, le fait que Cook ait acquis, à une date ultérieure, tous les droits sur l'invention ne lui permet pas de revendiquer la priorité, et le brevet ne peut prétendre qu'à la date du dépôt international.
Note de la rédaction : La validité de la date de priorité n'est pas devenue pertinente dans la procédure de recours ultérieure (v. Cook Biotech Inc c. Edwards Lifesciences AG [2010] EWCA Civ 718).
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 23 juin 2010 - KCI Licensing Inc et al. c. Smith & Nephew plc et al. [2010] EWHC 1487 (Pat)
Mot-clé : priorité - droit - codemandeurs
Le cas d'espèce concernait le droit de revendiquer une priorité pour deux brevets européens (UK) résultant respectivement d'une demande de brevet européen initiale et d'une demande divisionnaire européenne, lesquelles provenaient d'une demande internationale. Celle-ci a été déposée par M. Lina pour les Etats-Unis, par KC Inc (société mère de l'ensemble des demandeurs dans la procédure devant le Tribunal) pour tous les Etats désignés du PCT à l'exception des Etats-Unis, et par Mediscus, une filiale entièrement détenue par KC Inc, pour "la Grande-Bretagne seulement". La demande US fondant la priorité avait toutefois été déposée au nom de M. Lina en tant qu'unique inventeur et déposant. Il n'était pas contesté que KC Inc n'avait le droit de revendiquer la priorité que si au moment du dépôt de la demande PCT elle était l'ayant cause de M. Lina. Le juge devait notamment décider si les conditions d'un accord de confidentialité conclu antérieurement par M. Lina en faveur de son employeur, KC Inc, étaient suffisantes pour permettre le transfert à celui-ci de ses droits relatifs à la future invention.
Pour ce faire, le juge s'est basé sur les règles pertinentes du droit anglais, tenues par lui comme équivalentes au droit applicable. En particulier, la section 7(2)b) Loi britannique sur les brevets de 1977 prévoit la possibilité pour une personne autre que l'inventeur d'acquérir l'entière propriété sur une invention sur la base d'un accord valable passé avec l'inventeur avant la réalisation de l'invention. Selon le juge, cela signifie qu'il est possible de céder le titre de propriété (et non seulement l'objet de propriété) d'une invention avant que celle-ci n'ait été réalisée. Par conséquent, les conditions de l'accord de confidentialité ont entraîné la cession effective à KC Inc du titre juridique relatif à l'invention, si bien que KC Inc était l'ayant droit de M. Lina à la date de la demande internationale et était donc habilitée à revendiquer la priorité sur la base du document pertinent, conformément à l'art. 4A.(1) de la Convention de Paris. Se référant à la décision J 19/87 de la chambre de recours juridique de l'OEB, le juge a également estimé que même si l'accord ne conduisait pas à la transmission effective du titre juridique se rapportant à l'invention, il permettait de transférer la totalité de l'intérêt bénéficiaire lié à l'invention. Ce sont les droits substantiels de l'intéressé, et non l'observation par celui-ci des formalités légales, qui doivent entrer en ligne de compte pour déterminer si quelqu'un est un "ayant cause" aux fins de l'art. 4A.(1) de la Convention de Paris (cf. également art. 87(1) CBE).
Un autre aspect concernait la question de savoir si la validité de la revendication de priorité serait compromise dans le cas où Mediscus, mentionné comme déposant pour la Grande-Bretagne uniquement, serait codemandeur avec KC Inc. Le juge a décidé que Mediscus n'était pas codemandeur aux fins de la demande européenne découlant de la demande internationale, la demande européenne étant seule pertinente pour le droit de revendiquer la priorité pour les brevets en cause. Le juge a accepté les arguments invoqués par le titulaire du brevet, selon lesquels, dans la présente affaire, un seul demandeur avait déposé la demande fondant la priorité, alors que dans l'affaire Edwards c. Cook [2009] EWHC 1304 (Pat) (voir ci-dessus) et dans la décision T 788/05 d'une chambre de recours technique, la priorité n'avait été revendiquée que par un seul des codemandeurs d'une demande antérieure. Or, selon le titulaire du brevet, un déposant unique d'une demande fondant une priorité peut partager son droit à l'invention avec une autre personne, de telle sorte que chacun d'eux puisse revendiquer la priorité concernée pour une demande ultérieure déposée conjointement.
En conclusion, la date de priorité a été jugée valable pour les deux brevets.
V. BREVETS EUROPÉENS FAISANT L'OBJET DE LITIGES DEVANT DIFFÉRENTES JURIDICTIONS
1. Lentille de contact à port prolongé (EP 0 819 258)
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 11 février 2009 - Novartis c. Johnson & Johnson
Mot-clé : interprétation des revendications - paramètres
Le brevet européen EP 0 819 258 détenu par Novartis portait sur une lentille ophthalmique qui convient à un usage prolongé sans causer de dommages importants aux yeux. Après avoir été poursuivi en justice pour contrefaçon par le titulaire du brevet, Johnson & Johnson avait formé une demande reconventionnelle en nullité au motif que l'invention ne pouvait être exécutée et qu'elle n'était pas nouvelle. Johnson & Johnson arguait notamment que la revendication principale n'impliquait aucune caractéristique technique essentielle de l'invention sous-jacente, mais qu'elle traitait uniquement du résultat souhaité.
Tout en reconnaissant que la revendication principale était dénuée de clarté et qu'elle était donc contraire à l'art. 84 CBE, le Tribunal de grande instance de La Haye a jugé que cela ne constituait pas un motif pour révoquer le brevet. Selon le Tribunal, l'invention pouvait être exécutée, dans la mesure où le fascicule fournissait plusieurs exemples de lentilles de contact à port prolongé, qui permettaient à l'homme du métier d'exécuter l'invention. Les seuils de paramètres décrits dans le brevet laissaient bien présager que les lentilles se prêtaient à un port prolongé. En outre, leur aptitude effective pouvait être aisément déterminée par des essais cliniques de routine qui, s'ils étaient effectués par l'homme du métier conformément aux exigences de paramètres, aboutiraient dans la plupart des cas à un produit présentant des caractéristiques techniques telles que celles spécifiées dans le brevet litigieux. L'argument du défendeur selon lequel l'homme du métier ne pouvait exécuter l'invention revendiquée qu'au prix d'efforts excessifs n'était donc pas concluant.
Le Tribunal a maintenu le brevet, en faisant en outre injonction à Johnson & Johnson de bloquer les ventes futures du produit connexe Acuvue Oasys aux Pays-Bas.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 29 septembre 2010 - Novartis AG c. Johnson & Johnson Medical Ltd [2010] EWCA Civ 1039
Mot clé : suffisance de l'exposé - effort excessif - prédictibilité du succès - charge de la preuve
Novartis (N), ayant poursuivi Johnson & Johnson (J&J) en justice pour contrefaçon, a fait appel de la décision par laquelle le Tribunal des brevets a révoqué son brevet pour lentilles de contact cornéennes à port longue durée (EP (UK) 0 819 258) au motif d'insuffisance de l'exposé. Novartis a fait valoir ce qui suit :
- il incombe à J&J de montrer que les instructions du brevet ne permettent pas de fabriquer les lentilles revendiquées et J&J, en ne procédant à aucune expérience, n'a pas apporté cette preuve ;
- la prédictibilité de succès de fabrication d'une lentille "fonctionnelle" n'est pas un élément pertinent pour juger de l'insuffisance de l'exposé ;
- le juge de première instance, en mêlant des considérations de caractère évident ou d'antériorisation sans rapport avec la situation, a utilisé un critère erroné pour juger de la suffisance de l'exposé ;
- le juge de première instance n'a pas tenu compte du fait que J&J avance deux types d'arguments incompatibles, à savoir l'un concernant le caractère évident de l'invention et l'autre la suffisance de l'exposé. D'après les témoins de J&J, il est possible de fabriquer une lentille conforme à la revendication et de l'expérimenter ; l'argument de l'insuffisance de l'exposé ne peut donc être reçu.
L'appel a été rejeté. Selon le Tribunal, l'exposé du brevet est insuffisant. Les enseignements du brevet font partie des connaissances générales et ne permettent pas à l'homme du métier de fabriquer une lentille en silicone hydrogel à port longue durée sans faire appel à une activité inventive, ou ne constituent pas un enseignement général sur la manière dont on pourrait fabriquer sans effort excessif lesdites lentilles.
Selon Lord Justice Jacob, les titulaires du brevet ont même reconnu ne pas savoir si les exemples donnés dans leur brevet "fonctionnaient" réellement. Cela n'est pas apparu explicitement dans les procédures introduites parallèlement aux Pays-Bas, en France et en Allemagne, ni dans la procédure devant l'OEB (T 246/04), toutes instances dans lesquelles les tribunaux ont supposé que les exemples fonctionnaient. Aucune des décisions à l'issue de ces instances parallèles n'a constaté dans quelle mesure la revendication considérée était dépourvue de limites significatives. Cela s'explique peut-être par le fait que les tribunaux en question ont supposé que les exemples fonctionnaient et qu'ils ne bénéficiaient pas de la vérification approfondie des faits et des dépositions d'experts disponibles dans le cadre du contre-interrogatoire de la procédure anglaise. Il importe peu que J&J n'ait pas procédé à des expériences pour prouver que les instructions du brevet ne peuvent pas servir à fabriquer une lentille conformément à la revendication. Un homme du métier peut évidemment fabriquer une lentille s'inscrivant dans le cadre physique très vaste de la revendication et la tester pour voir si elle "fonctionne". Elle peut fonctionner comme elle peut ne pas fonctionner – le brevet ne donne aucune indication quant à la réussite de l'homme du métier dans cette entreprise. Cela n'est manifestement pas suffisant pour exécuter l'invention alléguée dans toute sa portée revendiquée.
En outre, la prédictibilité peut être pertinente pour juger de la suffisance de l'exposé, comme dans le cas présent où la limitation fonctionnelle de la revendication à la compatibilité ophtalmique est un élément tellement essentiel. Le brevet ne donne aucune indication quant à la prédictibilité du succès. Il faudrait que l'homme du métier fasse ses propres recherches, fabrique et teste de nombreuses paires de polymères, dans diverses proportions et qu'il procède peut-être aussi à des traitements de surface.
Le lecteur, homme du métier, ne pourrait donc pas déterminer d'après le brevet si l'un quelconque des exemples "fonctionne". En ce qui concerne la suffisance de l'exposé, cela est important. En effet, s'il ne peut se fier aux exemples, que doit faire l'homme du métier ? Ce dernier doit choisir deux matériaux polymérisables dans deux catégories très vastes. Le lecteur du brevet n'a guère d'indications quant aux proportions respectives des polymères. Même si le lecteur est informé que la perméabilité ionique est un élément inattendu de prédiction de l'importance du mouvement sur le globe oculaire, on ne lui dit pas comment se servir de cette propriété. La seule approche proposée par le brevet pour savoir si tout est bon est de tester, de s'assurer du bon fonctionnement, mais cela ne dit rien sur le reste de la revendication qui a une grande portée. Si cela "ne fonctionne pas", le brevet n'aide pas à savoir ce qu'il faut faire ensuite.
On est loin de satisfaire au test de suffisance de l'exposé. Lord Justice Jacob s'est référé en les approuvant aux principes énoncés dans l'affaire T 435/91 (point 2.2.1 des motifs) et l'affaire T 494/92, où la chambre de recours a expliqué comment l'art. 83 CBE peut interagir avec l'art. 84 CBE. Le test de suffisance de l'exposé consiste essentiellement à se demander si l'homme du métier peut, sans effort excessif et sans activité inventive, exécuter facilement l'invention dans la totalité de son domaine.
Selon J&J, l'affaire T 1743/06 est étroitement analogue au cas présent. Dans cette affaire, la chambre de recours a estimé que l'homme du métier est confronté (pour une partie du brevet revendiqué) à de nombreuses variables de procédé qui affectent les paramètres revendiqués, mais qu'une fois qu'il a constaté l'échec d'une valeur de paramètre, il ne dispose d'aucune aide claire pour rectifier la multitude d'étapes de procédé qui lui permettrait d'arriver avec certitude à l'invention revendiquée. On peut raisonnablement admettre dans une certaine mesure les essais par tâtonnement, mais la définition large de la revendication en question n'est guère plus qu'une invitation à faire des recherches. L'exigence de l'art. 83 CBE, selon laquelle on doit donner suffisamment d'indications à l'homme du métier pour qu'il puisse exécuter l'invention sans effort excessif dans tout le domaine technique de la revendication, n'est pas satisfaite.
Lord Justice Jacob a décidé que ce principe s'applique aussi à l'espèce jugée par la Cour d'Appel. Le test que le juge de première instance avait à l'esprit est le bon. Le brevet ne permet manifestement pas d'exécuter l'invention dans tout le domaine revendiqué. Il a donc été révoqué dans son intégralité.
FR France
Cour d'appel de Paris du 27 octobre 2010 (09/08135) - Johnson & Johnson c. Novartis
Mot-clé : suffisance de la description - homme du métier - définition - Equipe
La société Novartis a assigné les sociétés Johnson & Johnson en contrefaçon du brevet européen EP 0 819 258 en raison de la commercialisation de lentilles ophtalmiques dont elle estimait qu'elles reproduisaient les caractéristiques protégées par la revendication 1 de son brevet.
Le TGI Paris par jugement du 25 mars 2009 a notamment débouté les sociétés J&J de leur demande en nullité de la partie française du brevet européen.
Les sociétés J&J, appelantes, demandaient à la cour d'appel d'annuler la revendication 1 de la partie française du brevet européen pour insuffisance de description, défaut de nouveauté, et, à titre subsidiaire, défaut d'activité inventive.
Sur l'insuffisance de la description :
Les parties s'accordent sur la pertinence, dans le présent litige, du principe selon lequel, pour être déclarée suffisante au sens de l'art. 138(1)b) CBE, la description doit permettre à l'homme du métier de mettre en œuvre l'invention dans toute sa portée sans difficultés excessives. Elles ne critiquent pas la définition de l'homme du métier telle qu'elle figure dans le jugement, soit une équipe constituée d'un chimiste des polymères ayant pour objectif de développer des matériaux appropriés, d'un physicien en charge de déterminer les propriétés physiques des lentilles et d'un ophtalmologiste spécialisé dans les lentilles de contact.
La Cour d'appel examine tour à tour en détail les arguments des sociétés J&J portant sur les matériaux ; sur les valeurs de perméabilité aux ions pour lesquelles la cour conclut que la contradiction dénoncée par les appelantes n'est pas avérée. Relevons que s'agissant des arguments portant sur les exemples, les sociétés J&J faisaient valoir que la description ne permettait pas à l'homme du métier de discerner, parmi la longue mais inutile série d'exemples donnés, ceux qui assurent la mise en œuvre effective de la revendication 1 et ne l'aide en rien à s'éloigner de ces exemples ou à chercher des améliorations et que, en toute hypothèse, l'évaluation des exemples est d'une difficulté excessive par la somme considérable de tests et notamment d'essais cliniques qu'elle suppose. La cour juge en revanche que la société N observe à juste titre qu'il s'agit d'opérations de routine qui ne présentent pas, même si elles doivent être effectuées en nombre, le caractère de difficulté excessive révélateur d'une insuffisance de la description.
Sur la mesure du paramètre de transmissibilité de l'oxygène:
Les appelantes persistent à soutenir que la description serait insuffisante dès lors que l'appareil DK 1000 et ses accessoires nécessaires à la mesure de la transmissibilité de l'oxygène ne seraient plus disponibles et que la méthode de mesure serait elle-même insuffisamment expliquée. Mais la cour juge notamment la société Novartis n'est pas sérieusement contredite lorsqu'elle affirme que l'homme du métier ne rencontrerait pas de difficulté excessive, s'il en éprouvait le besoin, à fabriquer ou faire fabriquer un appareil analogue au DK 1000 dont le fonctionnement repose sur des lois chimiques connues depuis plus d'un siècle. Par ailleurs la cour énonce que les sociétés J&J soutiennent à tort que le brevet décrirait deux méthodes de mesure humide contradictoires, ce qui plongerait l'homme du métier dans la perplexité.
En synthèse, la cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de la revendication 1 du brevet fondé sur une prétendue insuffisance de la description qui empêcherait l'homme du métier de reproduire l'invention dans toute sa portée et sans difficulté excessive.
Sur la nouveauté:
Les appelantes, qui entendent démontrer que le brevet européen en cause n'est pas nouveau, ne contestent pas que, pour être destructrice de nouveauté, une antériorité doit être certaine, c'est-à-dire exclusive de quelque doute que ce soit quant à son existence et son contenu, suffisante, c'est-à-dire comportant en elle-même toutes les informations nécessaires à l'homme du métier pour comprendre et reproduire l'invention revendiquée sans difficulté excessive et à partir de la divulgation telle qu'elle existe, et de toutes pièces, c'est-à-dire qu'elle doit divulguer tous les moyens de l'invention, dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique.
Elles ne prétendent pas que les antériorités qu'elles invoquent répondraient à ces critères parce qu'elles divulgueraient explicitement et dans les conditions précédemment rappelées les enseignements du brevet litigieux, mais soutiennent que les brevets antérieurs auxquels elles se réfèrent anéantissent néanmoins la nouveauté de cette revendication parce qu'ils en divulguent implicitement le contenu en permettant sûrement la fabrication de lentilles présentant les caractéristiques revendiquées.
Préalablement, la cour examine les revendications de priorité et rappelle que l'état de la technique auquel il convient de se référer pour apprécier la nouveauté d'une invention est celui qui était contemporain de la demande de brevet dont la priorité a été valablement revendiquée lors du dépôt de la demande du brevet contesté. L'art. 88(2) CBE prévoit que des priorités multiples peuvent être revendiquées.
Les parties admettent le principe selon lequel une demande ultérieure ne peut valablement revendiquer la priorité d'une demande antérieure que dans la mesure où l'invention revendiquée dans la demande ultérieure est la même invention que celle qui a été décrite dans la demande antérieure, ce qui est le cas seulement si l'homme du métier, en faisant appel à ses connaissances générales, peut déduire directement et sans ambiguïté l'objet de l'invention revendiquée de la demande antérieure. Ce faisant la cour fait siennes sur ce point les conclusions du Tribunal. La cour examine ensuite de façon détaillée le défaut de nouveauté au regard successivement de différents demandes de brevet antérieures. La cour conclut à la nouveauté, confirmant le jugement sur ce point également.
De même sur l'activité inventive, la cour après examen détaillé confirme le jugement sur le rejet du moyen de nullité tiré d'un prétendu défaut d'activité inventive, étant rappelé que les parties ne critiquent pas la définition de l'homme du métier telle qu'elle figure dans le jugement, soit une équipe constituée d'un chimiste des polymères ayant pour objectif de développer des matériaux appropriés, d'un physicien en charge de déterminer les propriétés physiques des lentilles et d'un ophtalmologiste spécialisé dans les lentilles de contact.
2. Olanzapine (EP 0 454 436)
ES Espagne
Cour d'Appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 17 janvier 2008 (appel n° 368/2007) - Laboratoires Cinfa et al. c. Eli Lilly and Company Ltd
Mot-clé : revendication de produit – réserve en vertu de l'art. 167 CBE – validité et applicabilité – ADPIC
Dans le présent litige, les sociétés demanderesses avaient présenté une requête tendant à obtenir notamment une déclaration judiciaire de nullité de la revendication R5 du brevet espagnol (ES 2 078 440 ; EP 0 454 436), le produit Olanzapine, s'agissant d'un brevet de produit antérieur au 7 octobre 1992 et ne pouvant pas produire d'effet en raison de la réserve à la CBE formulée par l'Espagne.
La Cour d'appel a rejeté la demande, suivant le juge de première instance. A ce sujet, la Cour d'appel a clairement indiqué dans son jugement que le maintien ou l'annulation de réserves à la CBE (art. 167 CBE) intervient dans le cadre de la CBE, sans préjudice de la signature par chacun des Etats parties d'autres traités internationaux leur imposant des obligations en matière de brevets. Il revient aux juridictions nationales de déterminer dans quelle mesure les droits que les traités internationaux conclus par un Etat octroient aux particuliers, y compris la CBE, doivent être protégés. Concernant l'accord sur les ADPIC, la Cour souligne que le droit de breveter sans discrimination englobe sans aucun doute les produits chimiques et pharmaceutiques en tant que tels et affecte les brevets accordés avant le 1er janvier 1996, puisque les normes transitoires de l'accord sur les ADPIC en disposent ainsi.
La Cour explique dans son jugement que si l'on faisait abstraction de la signature par l'Espagne du Traité instituant l'Organisation mondiale du commerce et son Annexe IC, l'accord sur les ADPIC, la prétention des demanderesses aurait de toute évidence un fondement juridique, puisqu'avant la signature dudit Accord, il est clair que les brevets de produit chimique ou pharmaceutique n'avaient aucun effet avant le 7 octobre 1992, bien qu'il faille aussi écarter une déclaration de nullité. Quoi qu'il en soit, le contexte juridique a été significativement modifié par la signature de l'accord sur les ADPIC en vigueur depuis le 1er janvier 1995. Selon la Cour, le contenu des articles 27.1 et 70.2 de l'accord sur les ADPIC ne peut pas être ignoré en Espagne. Il affecte directement les brevets délivrés avant son entrée en vigueur et impose à partir de son entrée en vigueur la protection des brevets de produit chimique et pharmaceutique. Le Tribunal conclut que la revendication 5 du brevet européen constitue certainement une revendication de produit, mais ce n'est pour autant qu'il convient de déclarer le brevet nul. Au contraire, en vertu de l'application directe de l'accord sur les ADPIC, le brevet doit produire tous les effets qui lui sont propres.
Note de la rédaction : pour des motifs similaires, voir également Cour d'Appel de Madrid (Audiencia Provincial) du 26 octobre 2006 ; Cour d'Appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 30 juin 2008 ; Cour d'Appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 27 mars 2009.
NO Norvège
Tribunal de grande instance d'Oslo (Tingrett) du 2 décembre 2008 - Actavis Norway AS c. Eli Lilly and Company Ltd
Mot-clé : nouveauté - activité inventive - approche problème-solution
L'affaire portait sur la validité de la partie norvégienne du brevet d'Eli Lilly NO 178 766 concernant l'olanzapine. Ce médicament est utilisé pour traiter la schizophrénie et est commercialisé par Eli Lilly sous la marque Zyprexa. Actavis a engagé une action en nullité et affirmé que les exigences de nouveauté et d'activité inventive n'étaient pas remplies. L'état de la technique cité comprenait un article de Chakrabarti (1980), qui ne renvoyait pas directement à l'olanzapine, mais divulguait des composés de structure similaire, ainsi que le brevet britannique d'Eli Lilly (GB 1 533 235), qui incluait l'olanzapine parmi d'autres molécules de la formule générale définie dans la revendication 1. Actavis a allégué que l'olanzapine n'était pas nouvelle, puisqu'elle pouvait être déduite directement de Chakrabarti. Dans tous les cas, la sélection de l'olanzapine n'impliquait pas une activité inventive, étant donné que les essais relatifs aux composés basés sur Chakrabarti seraient limités et qu'ils n'impliqueraient qu'un travail de routine.
Le Tribunal de grande instance a maintenu le brevet et rejeté l'action en nullité d'Actavis. Le Tribunal a jugé que l'exigence de nouveauté était remplie, dans la mesure où l'état de la technique cité ne permettait pas de déduire que l'olanzapine traiterait la schizophrénie avec des effets secondaires nettement moins sévères que les traitements connus.
Le Tribunal, appliquant l'approche problème-solution, a par ailleurs estimé que le brevet impliquait une activité inventive. Plus précisément, le brevet résolvait le problème consistant à produire un médicament qui traite la schizophrénie avec des effets secondaires moins sévères que les traitements connus. Le Tribunal a fait observer que même si la solution chimique revendiquée dans le brevet n'était pas très différente de celle décrite antérieurement dans Chakrabarti, des groupes de recherche précédents, dont les compétences dépassaient celles du praticien normalement qualifié, n'étaient pas parvenus à cette solution. La sélection de l'olanzapine ne pouvait être considérée comme courante qu'a posteriori. Le succès commercial du Zyprexa indiquait en outre avec éclat que la solution n'était pas évidente.
Note de la rédaction : les jugements rendus à l'époque en Allemagne et en Angleterre dans le cadre de procédures parallèles pointaient dans des directions différentes et le juge norvégien leur a accordé peu de crédit.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 16 décembre 2008 (X ZR 89/07) - Olanzapine
Mot-clé : nouveauté - inventions de sélection - antériorité
La défenderesse était enregistrée comme titulaire du brevet européen en cause portant sur une composition chimique connue sous le nom d'olanzapine, sur son utilisation comme médicament, notamment comme antipsychotique dans le traitement de la schizophrénie et de la manie dépressive aiguë, et sur un procédé de fabrication de cette composition. Les demanderesses, qui avaient mis en doute la brevetabilité pour défaut de nouveauté et d'activité inventive, avaient obtenu l'annulation du brevet devant le Tribunal fédéral des brevets, l'instance précédente.
La Cour fédérale de justice a conclu que l'instance précédente avait annulé à tort le brevet et a rejeté l'action comme non fondée, bien que recevable. La Cour a tout d'abord confirmé le caractère unitaire de la notion de divulgation et a adopté à ce sujet sa jurisprudence antérieure :
Pour juger si la nouveauté d'un brevet est antériorisée par un document antérieur, il est nécessaire d'évaluer le contenu de l'antériorité dans sa totalité. L'important est de savoir quelles informations techniques sont divulguées à l'homme du métier. La notion de divulgation ne se distingue pas ici de celle qui prévaut dans l'ensemble du droit des brevets. Il ne s'agit pas ici de déterminer sous quelle forme l'homme du métier, faisant éventuellement appel à ses connaissances de spécialiste, peut exécuter un enseignement général donné ou de quelle façon il peut modifier cet enseignement, mais uniquement de savoir quel contenu il retire de l'antériorité comme enseignement (général) donné. La jurisprudence de la Cour fédérale de justice et celle des chambres de recours de l'OEB expriment ceci en disant que l'important est ce qui ressort, du point de vue de l'homme du métier, "directement et de façon non ambiguë" d'un document. Ce n'est pas en contradiction avec le fait que la Cour, eu égard notamment à la finalité de l'examen (séparé) de la nouveauté, qui est d'éviter de breveter des inventions parallèles, a estimé indispensable d'étendre la notion de la divulgation destructrice de nouveauté au-delà du "seul libellé".
Peut aussi être divulgué ce qui n'est pas explicitement mentionné dans la revendication et la description, mais qui, du point de vue de l'homme du métier, va de soi pour exécuter l'enseignement protégé et n'a donc pas besoin d'être spécifiquement divulgué, mais qui est "lu entre les lignes". La prise en compte de ce qui est évident n'autorise pas toutefois à compléter la divulgation par les connaissances du spécialiste, mais sert uniquement, tout comme l'analyse du sens littéral d'une revendication, à comprendre l'intégralité de son contenu, c'est-à-dire l'information technique que le lecteur averti retire de la source en faisant usage de ses connaissances spécialisées. Avec cette appréciation générale du contenu divulgué par les formules chimiques, la Cour estime être pour l'essentiel en accord avec le Tribunal anglais des brevets, qui s'est appuyée, dans la procédure en nullité concernant le brevet en cause, sur la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, selon laquelle ne sont nuisibles à la nouveauté que les enseignements techniques qui divulguent une substance comme résultat obligatoire d'un procédé décrit antérieurement ou sous une forme spécifique, c'est-à-dire individualisée.
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 18 décembre 2009 - Dr Reddy's Laboratory (UK) Ltd c. Eli Lilly & Co. Ltd [2009] EWCA Civ 1362
Mot-clé : nouveauté – inventions de sélection
Dr Reddy's Laboratory (DRL) avait fait appel d'un jugement rejetant la demande de DRL en révocation du brevet EP (UK) 0 454 436 de Eli Lilly, le titulaire intimé, aux motifs de défaut de nouveauté, défaut d'activité inventive et insuffisance de l'exposé. Le brevet portait sur une seule substance chimique appelée olanzapine.
DRL prétendait que l'olanzapine faisait partie de l'état de la technique, ayant été divulguée dans un document où, bien que non mentionnée spécifiquement, elle constituait l'un des 1019 composants de la formule (I) et l'un des 86 000 composants de la classe "privilégiée" ayant un effet utile sur le système nerveux. La controverse tournait autour de l'affirmation que toute divulgation d'une classe chimique constituait une divulgation de chacun des membres de la classe.
La Cour a rejeté l'appel, pour deux raisons : premièrement, en tant que raisonnement a priori et, deuxièmement, parce qu'il était incompatible avec la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB. En toute logique, il s'imposait de rejeter l'argument selon lequel la divulgation d'une vaste classe de composants constituait une divulgation de chacun d'eux, comme l'a fait la jurisprudence de l'OEB (voir la décision T 296/87, qui a résumé des affaires antérieures). Par conséquent, ce qu'il fallait rechercher, par le biais d'une antériorisation, c'était une "description individualisée" du composant ou de la classe de composants revendiqué(e) ultérieurement. En l'espèce, on en était fort éloigné. Cette interprétation juridique concordait avec la décision de la Chambre des Lords dans Synthon's Patent [2006] RPC 10. Lorsqu'un produit (ou une classe de produits) breveté est inclus dans une classe plus vaste, les chambres soulèvent l'objection d'évidence si le titulaire n'a pas opéré de progrès technique.
Par conséquent, lorsque vous avez un brevet portant sur un composant chimique particulier et une divulgation générale appartenant à l'état de la technique, l'exploitation de la divulgation générale (ce qui ne signifie rien d'autre que d'utiliser tout ce qu'elle renferme) ne résulte pas nécessairement en une contrefaçon du brevet. La Cour d'appel a noté avec satisfaction que l'approche qu'elle avait adoptée était identique non seulement à celle employée à l'OEB mais aussi en Allemagne (voir l'affaire STADApharm, réf. 1-2W 47/07, 29 mai 2008).
FI Finlande
Tribunal de première instance d'Helsinki du 19 février 2010 (décision no 3641) - Eli Lilly c. Oy Leiras Finland AB
Mot-clé : brevet de procédé analogue - équivalents
Dans cette procédure en contrefaçon, le Tribunal finlandais devait déterminer si les produits génériques d'olanzapine du défendeur vendus et commercialisés en Finlande contrefaisaient le brevet finlandais FI 101 379 et le certificat complémentaire de protection basé sur ce titre, relatifs à la nouvelle substance pharmaceutique olanzapine.
Etant donné qu'avant le 1er janvier 1995, il n'existait pas de protection de produit pour les médicaments en Finlande, la nouvelle substance pharmaceutique olanzapine était protégée par ce que l'on appelle un brevet de procédé analogue, c'est-à-dire que la brevetabilité de l'invention objet du brevet litigieux était basée sur la nouveauté et l'activité inventive du produit final, tandis que les revendications du brevet décrivaient des procédés connus pour la fabrication dudit produit.
Tenant compte de l'art. 57a Loi finlandaise sur les brevets, relatif au renversement de la charge de la preuve dans le cas de brevets de procédé analogue, le Tribunal de grande instance a donné raison au défendeur et conclu que Leiras avait prouvé que ses produits génériques d'olanzapine étaient fabriqués au moyen d'un procédé décrit dans les brevets européens EP 1 513 845 et EP 1 814 886 ("procédé Adamed").
Toutefois, lorsqu'il s'est agi de déterminer si le procédé Adamed était compris dans l'étendue de la protection du brevet litigieux, le Tribunal a conclu que la protection conférée par un brevet de procédé analogue couvre non seulement les procédés de fabrication qui constituent une contrefaçon littérale, mais aussi les procédés qui sont essentiellement identiques au procédé décrit dans les revendications du brevet. Le Tribunal a estimé que (i) dans le procédé Adamed et le procédé décrit à la revendication 1a du brevet litigieux ("procédé Lilly"), le produit final (olanzapine) et l'un des composés de départ (dérivé de benzodiazépine) étaient identiques; (ii) l'étape la plus importante dans les deux procédés de synthèse était la même du point de vue chimique; et (iii) l'étape de méthylation ultérieure du procédé Adamed était une étape supplémentaire mineure et habituelle de la production d'olanzapine.
Par conséquent, le Tribunal a jugé que le procédé Adamed constituait une alternative évidente au procédé Lilly et que les deux procédés étaient chimiquement équivalents. En outre, le Tribunal a considéré que les brevets délivrés pour le procédé Adamed étaient sans importance lorsqu'il s'agissait de déterminer si le procédé Adamed était équivalent au procédé Lilly. Appliquant la doctrine des équivalents, le Tribunal a conclu que le procédé de fabrication d'olanzapine pour les produits de Leiras portait atteinte au brevet litigieux et ordonné une injonction permanente.
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 24 mars 2010 - ratiopharm c. Eli Lilly
Mot-clé : nouveauté - activité inventive - erreur dans l'état de la technique
Eli Lilly est titulaire du brevet européen EP 0 454 436 relatif à l'olanzapine, principe actif du médicament Zyprexa. Ce médicament est utilisé contre les troubles du système nerveux central, en particulier la schizophrénie et les maux de ce type, et contre les troubles anxieux légers. L'olanzapine présente l'avantage de réduire les effets secondaires graves tels que les mouvements incontrôlables du visage, de la langue, des bras et des jambes causés par les médicaments précédents.
ratiopharm cherchait à révoquer la partie néerlandaise du brevet et le certificat complémentaire de protection connexe devant le Tribunal de grande instance de La Haye. Elle a fait valoir que l'olanzapine avait déjà été divulguée directement et sans ambiguïté dans les études Schauzu (1983) et Chakrabarti (1980). Eli Lilly a réfuté toute divulgation antérieure et estimé en particulier que la molécule de base mentionnée dans l'étude Schauzu n'était pas similaire à celle de l'olanzapine ; l'olanzapine avait un atome d'azote, et non pas un atome de carbone comme dans le document de l'état de la technique. ratiopharm a reconnu cette différence, mais en l'imputant à une erreur aisément identifiable dans la structure divulguée par l'étude Schauzu. Le défendeur a contesté cette affirmation et estimé que l'homme du métier n'identifierait pas l'erreur et qu'il ne serait pas non plus en mesure de la corriger.
Le Tribunal a essentiellement fondé son examen sur la prétendue antériorisation de l'olanzapine dans le document de l'état de la technique Schauzu, qui renvoie à l'étude Chakrabarti dans l'une de ses deux notes de bas de page. Citant la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, le Tribunal a distingué deux scénarios : soit le document comprenait une erreur identifiable d'emblée, soit l'homme du métier découvrirait aisément l'erreur en étudiant les documents source.
Selon le Tribunal, une divulgation peut inclure une erreur a priori qui tromperait l'homme du métier concernant l'état de la technique, mais le document en question ne doit pas être ignoré pour ce motif. Si la correction nécessaire est aussi évidente – directement et sans ambiguïté – que l'existence de l'erreur, il y a de bonnes raisons d'accepter la divulgation corrigée. Si l'homme du métier ne constate pas immédiatement une erreur dans la divulgation, il considérera que la publication résout le problème technique divulgué. Ce principe ne s'applique toutefois pas si la divulgation en tant que telle inclut une référence à un autre document que l'homme du métier consulterait sans aucun doute et dans lequel il découvrirait immédiatement que l'information en question est erronée (T 591/90). Dans ce cas, l'homme du métier corrigerait l'erreur sur la base du document consulté. A ce stade, le Tribunal a souligné que l'homme du métier consulterait probablement le document, du fait de doutes concernant la véracité de l'information divulguée (T 412/91) ou parce que le document n'est qu'un abrégé du document sous-jacent (T 77/87), ou encore parce qu'il est confronté à un état de la technique entièrement inconnu (T 591/90).
Le Tribunal a conclu que l'étude Schauzu contenait une erreur évidente pour l'homme du métier sans référence complémentaire. La correction de cette erreur était pareillement identifiable. L'olanzapine était divulguée directement et sans ambiguïté dans ce seul document. L'homme du métier n'avait donc pas besoin de consulter l'étude Chakrabarti. S'il venait à le faire, ladite référence confirmerait sa première présomption selon laquelle le document Schauzu contenait une erreur. Le brevet a par conséquent été révoqué.
Note de la rédaction : à la fin de son jugement, le Tribunal fournit un bref aperçu du résultat des procédures parallèles au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche et au Canada.
3. Alendronate (EP 1 175 904)
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 13 février 2008 - Merck c. Generics, ratiopharm et al.
Mot-clé : activité inventive - posologie - double protection par brevet
Merck est titulaire du brevet européen EP 1 175 904 qui porte sur l'utilisation de l'alendronate pour traiter l'ostéoporose et qui a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire. Les préparations orales d'alendronate agissant contre les maladies des os telles que l'ostéoporose étaient déjà connues avant la date de priorité la plus ancienne et étaient commercialisées par Merck sous la marque Fosamax suivant une dose standard de 10 mg par jour. Des précautions strictes doivent être prises pour éviter de graves effets secondaires gastro-intestinaux lors de l'administration des préparations orales d'alendronate. Le médicament doit notamment être pris le matin à jeun et avec beaucoup d'eau ; le patient doit être debout ou être assis droit et ne rien boire ou manger pendant 30 à 60 minutes. Avant la première date de priorité, aucun essai clinique n'avait conclu que les effets secondaires de l'alendronate étaient liés à la posologie. Les effets d'une dose totale d'alendronate de 70 mg par semaine étaient en outre déjà connus avant la première date de priorité et l'homme du métier savait donc qu'une administration quotidienne ou hebdomadaire n'aurait pas une incidence très différente sur l'absorption de l'alendronate dans l'organisme.
Generics commercialisait des préparations orales d'alendronate contre l'ostéoporose sous forme d'une dose de 70 mg à prendre une fois par semaine. Merck a poursuivi en justice Generics pour avoir contrefait son brevet. Dans son action reconventionnelle en nullité, Generics a demandé la révocation du brevet ainsi qu'une décision selon laquelle Merck s'était rendu coupable d'une protection multiple par brevet.
Le Tribunal a révoqué le brevet pour défaut d'activité inventive. Le titulaire du brevet n'avait pas démontré qu'une dose hebdomadaire unique de 70 mg réduisait les effets secondaires par rapport à une dose quotidienne de 10 mg. Il n'avait pas non plus étayé son affirmation selon laquelle une dose hebdomadaire unique de 70 mg présentait plus d'avantages thérapeutiques qu'une dose hebdomadaire de 40 ou 80 mg comme suggéré dans l'état de la technique le plus proche. Les études cliniques ne fournissaient aucun élément dans ce sens, puisqu'elles se bornaient à comparer une dose quotidienne de 10 mg et une dose hebdomadaire de 70 mg. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a conclu que la prescription de préparations d'alendronate contre l'ostéoporose à raison d'une dose hebdomadaire unique de 70 mg doit être considérée comme une variante non inventive de l'état de la technique à la date de priorité la plus ancienne invoquée en l'occurrence.
Le Tribunal a par ailleurs récusé les arguments du défendeur concernant la double protection par brevet, au motif que le brevet délivré pour la demande initiale avait été précédemment révoqué. Il a fait observer que l'OEB avait toutefois instruit la demande divisionnaire - à tort selon le Tribunal - après avoir rejeté plusieurs observations de tiers indiquant une double protection par brevet illicite. Le Tribunal s'est référé à son jugement précédent Medinol c. Cordis qui traite du même sujet et dans lequel il avait démontré que la double protection par brevet est contradictoire avec les principes du droit des brevets. A cet égard, le Tribunal a signalé dans la présente affaire que les motifs de nullité représentent un système "fermé" qu'il convient de ne pas ouvrir par une porte dérobée, quelles que puissent être les conséquences indésirables.
CH Suisse
Tribunal fédéral du 4 mars 2011 (4A_435/2010) - Acide alendronique (Fosamax)
Mot-clé : protection par brevet d'une substance destinée à un traitement thérapeutique - posologie - revendication de type suisse
Dans l'affaire concernée, Merck était titulaire d'un brevet européen relatif à l'utilisation du principe actif "acide alendronique" pour le traitement de l'ostéoporose (EP 1 175 904). L'acide alendronique était en même temps le composé actif du Fosamax, un médicament déjà commercialisé, dont le patient devait prendre 10 mg chaque jour. Dans l'intervalle, le titulaire du brevet a mis sur le marché une nouvelle forme du Fosamax, dont le patient devait prendre 70 mg chaque semaine. Le Tribunal de commerce de Zurich avait considéré la nouvelle posologie revendiquée comme une méthode de traitement thérapeutique au sens de l'art. 2(2)a) Loi suisse sur les brevets et de l'art. 52(4) CBE 1973, et l'avait donc exclue de la brevetabilité. Le Tribunal cantonal avait à cet égard fait observer que la détermination d'un programme de traitement individuel adapté au patient, y compris la prescription de médicaments et la posologie, est une caractéristique du travail du médecin traitant et, partant, une méthode ne pouvant être protégée par brevet.
Le Tribunal fédéral a annulé la décision du tribunal cantonal et renvoyé le litige pour qu'il soit à nouveau jugé. Dans son exposé des motifs, le Tribunal, se plaçant dans l'optique d'une interprétation uniforme du droit européen des brevets, a fait référence à la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, ainsi qu'aux jugements pertinents de tribunaux étrangers (Cour d'appel du Royaume-Uni du 21 mai 2008, affaire Actavis c. Merck et TGI Paris du 28 septembre 2010). Le Tribunal a analysé de manière approfondie la décision G 2/08 (JO OEB 2010, 456) ainsi que les dispositions pertinentes des articles 53c) et 54(4) CBE (anciens articles 52(4) et 54(5) CBE 1973).
L'art. 53c) CBE opère une distinction – comme précédemment l'art. 52(4) CBE 1973 – entre les revendications portant sur des méthodes de traitement thérapeutique, qui ne sont pas admissibles (première phrase), et celles portant sur des produits utilisés pour la mise en œuvre de telles méthodes, qui sont quant à elles admissibles (deuxième phrase). Ces deux dispositions revêtent la même importance ; c'est pourquoi les revendications portant sur des méthodes de traitement thérapeutique sont totalement exclues, alors que celles qui portent sur des produits utilisés pour la mise en œuvre de telles méthodes sont admissibles, pour autant que leur objet soit nouveau et inventif. Il s'ensuit que l'art. 53c), deuxième phrase, et l'art. 54(4) CBE ne sont pas des exceptions, relevant d'une interprétation restrictive, à l'exclusion absolue des méthodes de traitement thérapeutique (art. 53c), première phrase, CBE), mais des dispositions de même rang visant à autoriser en principe la protection par brevet pour les médicaments.
Un produit pour la mise en œuvre d'une méthode de traitement thérapeutique peut donc faire l'objet d'une protection par brevet non seulement lorsqu'il est nouveau en tant que tel et qu'il peut donner donc lieu à une revendication de produit, mais il est également brevetable en tant que substance ou composition en vertu de l'art. 54(4) CBE, même s'il est connu en tant que tel, dans la mesure où il n'a pas encore été utilisé dans une méthode de traitement thérapeutique. Sous le régime de la CBE 1973, il n'existait pas encore de disposition comparable à l'art. 54(5) CBE 2000, qui aurait prévu expressément de protéger par brevet les produits (substances ou compositions) déjà connus comme médicaments. Ce vide juridique avait été comblé à l'époque par les revendications de brevet rédigées sous la forme dite de type suisse pour une deuxième indication médicale ou une application médicale ultérieure. Conformément à la décision G 2/08, les revendications de brevet rédigées sous la forme dite de type suisse ne peuvent plus être admises, sachant que la catégorie de revendications créée par l'art. 54(5) CBE, et conférant une protection limitée à une utilisation spécifique d'une substance, ne concerne pas les brevets déjà délivrés. La nouveauté requise et donc aussi, le cas échéant, l'activité inventive ne découlent pas en l'occurrence de la substance ou composition en tant que telle, mais de l'application thérapeutique envisagée.
En résumé, le Tribunal fédéral suisse n'a pas vu de raison d'exclure la brevetabilité du simple fait que l'unique caractéristique de la revendication n'appartenant pas à l'état de la technique est une nouvelle posologie d'un médicament connu. Cette posologie doit cependant être nouvelle et impliquer une activité inventive. Il ne suffit donc pas que la définition de la posologie dans la revendication soit simplement formulée différemment, mais il faut qu'elle inclue un enseignement technique qui diffère de l'état de la technique.
4. Finasteride (EP 0 724 444)
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 21 mai 2008 - Actavis Ltd c. Merck and Co Inc [2008] EWCA Civ 444
Mot-clé : nouveauté – deuxième indication médicale – revendications de type suisse
L'appelant, Merck, avait fait appel de la décision concluant à la nullité de son brevet EP (UK) 0 724 444 pour défaut de nouveauté au sens de l'art. 54 CBE (transposé dans la section 2 Loi britannique sur les brevets de 1977) et non-brevetabilité en tant que méthode de traitement visée à l'art. 54(5) CBE (transposé dans la section 2(6)). Par un appel croisé, l'intimé, Activis, avait également contesté la décision du juge, qui avait conclu à la non-évidence de l'objet du brevet.
Le brevet portait sur l'utilisation d'une substance appelée finastéride pour le traitement d'un état connu sous le nom d'alopécie androgène, incluant des formes de calvitie masculine. La posologie classique pour le traitement de cette affection était de 1 mg de finastéride par jour. Sur la base d'un brevet antérieur, Merck avait commercialisé le finastéride sous un autre nom pour le traitement de l'hyperplasie bénigne de la prostate. La posologie classique pour le traitement de cette affection était de 5 mg de finastéride par jour. Le fascicule du brevet antérieur révélait que le finastéride était bénéfique pour le traitement de l'alopécie androgène, mais indiquait un dosage beaucoup plus élevé pour cette application que celui recommandé dans le brevet en cause, qui était de 0,5 mg à 1 mg.
La Cour d'appel a confirmé la décision pour ce qui est de l'activité inventive, mais, en ce qui concerne la nouveauté et la méthode de traitement, elle a suivi l'interprétation constante du droit des brevets européens par les chambres de recours et a infirmé les conclusions du juge.
S'appuyant sur la décision G 5/83, la Cour d'appel a estimé que les revendications de type suisse étaient admissibles lorsque la nouveauté résultait d'une nouvelle posologie ou d'une nouvelle façon d'administrer une substance. Mais elle était loin de dire qu'il suffisait en général d'indiquer un nouveau dosage dans une revendication de type suisse pour obtenir un brevet valable. Ces nouvelles posologies étaient presque toujours évidentes. C'était seulement dans des cas inhabituels, comme en l'espèce (où ce n'était plus la peine de faire des expériences sur les dosages pour traiter l'affection considérée) que la spécification d'un dosage particulier comme élément de l'application thérapeutique pouvait conférer une validité à la revendication, qui, sinon, en aurait été dépourvue. Il était important de noter qu'il existait aussi maintenant une position claire des chambres de recours, faisant autorité, selon laquelle une nouvelle posologie pouvait conférer la nouveauté à une revendication de type suisse.
La décision de la Cour d'appel dans l'affaire Bristol Myers Squibb Co c. Baker Norton Pharmaceuticals Inc [1999] RPC 253 ne contenait pas de conclusion claire qu'une revendication de type suisse était dépourvue de nouveauté si la seule différence entre elle et l'état de la technique consistait en une nouvelle posologie pour une application médicale connue. La Cour n'était donc pas "liée" par les motifs de cette décision. Toutefois, elle était libre, et non pas tenue, de s'écarter de la ratio decidendi de sa propre décision antérieure si elle constatait que les chambres de recours de l'OEB avaient une façon constante d'interpréter le droit des brevets européens qui était incompatible avec cette décision antérieure. En règle générale, la Cour d'appel était prête à suivre une telle opinion établie.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 28 septembre 2010 (07/16296) - Actavis c. Merck
Mot-clé : deuxième application thérapeutique - posologie - revendication de type suisse
Le brevet européen de la société M se rapportait à un médicament visant au traitement de l'alopécie androgénique. Le brevet indiquait que le problème à résoudre était "d'administrer la posologie la plus faible possible d'un composé pharmaceutique à un patient et de conserver encore l'efficacité thérapeutique".
La société M est assignée par la société A qui demandait la nullité du brevet (partie française) invoquant notamment qu'une posologie est une méthode de traitement et comme telle exclue de la brevetabilité.
Le Tribunal juge que l'utilisation du finastéride comme traitement de l'alopécie androgène était déjà connue et que c'est donc la seule posologie d'environ 0,05 à 1,0 mg qui est revendiquée comme nouvelle et protégeable. Restait donc à déterminer si la société M pouvait breveter l'invention pour une posologie particulière. La société M s'est fondée sur la décision G 2/08.
Le Tribunal énonce que les juridictions françaises ne sont pas tenues par les décisions de l'OEB qui n'est pas une juridiction, de sorte que ces décisions, même rendues par la Grande Chambre de recours, ne sont que des indications de ce que l'OEB fait comme analyse pour délivrer les brevets européens. Il en est de même des juridictions des Etats membres de l'UE.
Le Tribunal juge que la Grande Chambre a tiré logiquement la conséquence du nouvel art. 54(4) CBE qui permet de breveter une même substance pour une deuxième indication thérapeutique en indiquant que la forme suisse des revendications n'était plus utile.
Pour le surplus, l'art. 54(4) CBE qui permet de breveter un même médicament pour un second effet thérapeutique est totalement muet sur la possibilité de breveter une certaine posologie, de sorte que la réponse de la Grande Chambre ne ressort pas de la CBE mais d'une interprétation de ce qu'est une posologie, c'est-à-dire une deuxième indication thérapeutique, ce qu'elle n'est manifestement pas.
Selon le Tribunal, une posologie spécifique pour le traitement d'une maladie ne constitue ni une première ni une seconde application thérapeutique mais une simple indication de la fourchette dans laquelle cette substance est efficace en vue de soigner telle ou telle maladie.
L'application thérapeutique se limite donc à l'utilisation même d'une substance en vue de soigner une maladie spécifique et non au choix de tel ou tel dosage au sein d'une plage de dosages efficaces. Il appartient ensuite au praticien de déterminer quelle posologie est adaptée au traitement de la maladie soignée par cette substance.
La posologie idéale comme seule indication appartient au monde virtuel et le médecin est le seul habilité à déterminer la posologie adaptée au patient.
Encore il importe peu que le médicament ainsi protégé soit commercialisé par la société titulaire du brevet avec une notice préconisant une certaine posologie puisque, d'une part, cette information n'est qu'une indication et que, d'autre part, seul le médecin dans une démarche thérapeutique est habilité à prescrire le dosage adapté à chaque patient. De surcroît, la notice qui est nécessaire à la commercialisation de tout médicament ayant reçu son AMM rappelle en France que ces posologies ne sont qu'indicatives et qu'il est nécessaire de consulter un médecin. En tout état de cause, la commercialisation du médicament n'est pas un critère pertinent à prendre en compte pour apprécier sa brevetabilité.
En conséquence, il est possible de breveter un médicament en vue de traiter une première maladie puis une seconde mais pas une posologie adaptée au traitement de ces maladies puisque, ce faisant, on tente de breveter une méthode thérapeutique ce qui est exclu pour appartenir au domaine du soin et pour dépendre de la seule liberté et responsabilité concomitante de chaque médecin.
La revendication 1 du brevet EP 0 724 444, qui n'a de nouveau par rapport à l'art antérieur que la posologie spécifiée, est ainsi exclue de la brevetabilité et doit donc être annulée au visa de l'art. 53c) CBE 2000.
A titre superfétatoire le Tribunal précise que les conditions mêmes de la brevetabilité admises par l'OEB n'étaient pas réunies car l'approche problème solution ne trouvait pas à s'appliquer. En effet n'était pas revendiqué un problème particulier puisqu'il n'est pas décrit des effets secondaires auxquels la nouvelle posologie aurait remédié. Le fait d'administrer la posologie la plus faible possible d'un composé pharmaceutique à un patient et de conserver encore l'efficacité thérapeutique ne peut être considéré à lui seul comme un problème spécifique à résoudre et ce quand l'application du médicament est déjà connue et a déjà été protégée.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 9 novembre 2010 (09/12713) - Teva c. Merck
Mot-clé : posologie - exposé suffisant de l'invention - révocation du brevet européen
Les sociétés T appartiennent à un groupe pharmaceutique connu dans le domaine du médicament générique mais également pour des médicaments princeps. La société M est une société de droit américain, leader sur le marché des produits pharmaceutiques. Elle est propriétaire d'un brevet européen EP 0 724 444 intitulé "traitement de l'alopécie androgène par des inhibiteurs de la 5-Alpha-reductase".
Les sociétés T ont fait assigner la société M aux fins de prononcer la nullité de l'ensemble des revendications de la partie française du brevet européen pour extension au-delà du contenu de la demande telle que déposée, pour défaut de nouveauté et insuffisance de description en ce qui concerne la revendication 1, et pour défaut d'activité inventive pour les revendications 2 et 3.
Les sociétés T font valoir que le problème technique que vise à résoudre le brevet consiste donc à administrer, pour le traitement de l'alopécie androgénique, un médicament dont le principe actif, connu dans sa composition et pour cette application, est le finastéride, selon "une posologie la plus faible possible". Elles font ainsi valoir que la revendication 1 du brevet est nulle pour avoir été étendue au-delà de la description car la demande de brevet n'envisage qu'une administration journalière et la revendication 1 protège l'administration du finastéride quelle que soit la fréquence d'administration ; qu'elle est également nulle pour insuffisance de description car aucun résultat de tests expérimentaux n'est produit au soutien de la demande de brevet et les propriétés pharmacologiques ne sont pas décrites. Elles soutiennent aussi que la revendication 1 est nulle pour défaut de nouveauté car la seconde application thérapeutique n'est pas brevetable pour défaut de nouveauté et subsidiairement nulle pour défaut d'activité inventive au regard de l'antériorité dite Diani, qui divulgue la revendication 1 pour ce qui est de l'administration du finastéride en quantité de 0,001 à 10 mg/kg de poids corporel par voie orale, de l'antériorité EP 0 285 382 qui divulgue les connaissances générales de l'homme du métier dans ce domaine et de l'antériorité que constitue l'article du Dr S.
La société M fait notamment valoir que des procédures parallèles dans d'autres pays européens ont eu lieu, que le tribunal anglais dans sa décision du 21 mai 2008 a affirmé que le brevet ne constituait pas une méthode de traitement non brevetable, qu'il était nouveau et par conséquent valable, que le Tribunal fédéral allemand des brevets a jugé que la partie allemande du brevet européen EP 0 724 444 était dépourvue de nouveauté en s'appuyant sur la décision rendue par la cour suprême fédérale allemande dans l'affaire Carvedilol II. Elle a rappelé l'apport de la décision G 2/08 du 19 février 2010 pour soutenir qu'en conséquence l'objet même du brevet n'est pas exclu de la brevetabilité par l'art. 53 c) CBE.
L'affaire a été plaidée sur demande des parties et en accord avec le Tribunal le 27 septembre 2010. La société M demande au Tribunal d'ordonner le sursis dans l'attente de la décision de la cour d'appel saisie de l'appel interjeté contre le jugement du 28 septembre 2010 dans l'affaire Actavis c. Merck. Le Tribunal rejetant cette demande relève entre autres que les sociétés T soulèvent des moyens qui ne sont pas ceux soulevés par les sociétés Actavis.
Sur le fond, le Tribunal énonce qu'il convient d'abord de définir quelle est la portée du brevet au regard de l'état de la technique et donc quel est son objet.
Le Tribunal juge ainsi que l'utilisation du finastéride comme traitement de l'alopécie androgène était déjà connue et c'est donc bien la seule posologie d'environ 0,05 à 1,0 mg qui est revendiquée comme nouvelle et protégeable.
Sur l'extension de la revendication par rapport à la demande, le Tribunal juge le moyen mal fondé et le rejette.
Sur l'insuffisance de la description, le Tribunal énonce que dans le domaine pharmacologique, la suffisance de description de l'invention de médicament implique l'indication des propriétés pharmacologiques et d'une ou plusieurs applications thérapeutiques. Ainsi, si l'inventeur n'a pas dans cette matière à démontrer les résultats, il doit cependant indiquer que ce résultat a été recherché et existe, et qu'il a effectué des tests et des expériences tendant à démontrer l'effet thérapeutique allégué. Le brevet contient plusieurs exemples ; or à aucun moment il n'est indiqué que ces procédures ont été utilisées sur x nombre de personnes, pendant x temps, ni fait de comparaison avec un échantillon de personnes ayant reçu un "substrat" pendant la même période. La seule description de techniques permettant de prendre des clichés pour compter des cheveux sur une partie délimitée du crâne ne peut permettre d'arriver à de telles conclusions si à aucun moment, il n'est précisé que des études ont réellement été effectuées avec ces méthodes. L'exemple 4 ne peut être considéré comme le compte rendu d'un essai puisqu'il n'offre aucun renseignement sur les conditions d'un éventuel test. Par ailleurs, l'essai mentionné dans le brevet à l'exemple 5 n'apparaît pas comme probant et n'a été cité que pour répondre aux conditions de suffisance de description requises tant pour la délivrance du brevet que pour l'appréciation de sa validité, puisqu'il ne correspond à aucune recherche sérieuse sur l'efficacité du produit dont la protection est demandée.
En conséquence, le Tribunal juge qu'il existe bien une insuffisance de description dans le brevet européen de sorte que la revendication 1 est annulée de ce chef, la revendication 2 qui est une utilisation dépendante de la revendication 1 dans laquelle la posologie est de 1,0 mg et la revendication 3 dépendante des revendications 1 et 2 dans laquelle le traitement est celui de l'alopécie hippocratique sont annulées pour les mêmes raisons puisque seule la posologie enseignée est un élément nouveau au regard de l'art antérieur.
5. Stents de taxol (EP 0 706 376)
GB Royaume-Uni
Chambre des Lords du 9 juillet 2008 - Conor Medsystems Inc c. Angiotech Pharmaceuticals Inc et al. [2008] UKHL 49
Mot-clé : activité inventive - évidence - évident d'essayer - suffisance de l'exposé - procédures parallèles
La revendication litigieuse portait sur un "stent" (endoprothèse vasculaire maillée et tubulaire que l'on insère dans une artère pour la maintenir ouverte) revêtu de l'antiproliférant taxol pour "traiter ou prévenir les sténoses récidivantes". La demande en révocation introduite par la société Conor avait été rejetée dans une procédure parallèle devant le Tribunal de grande instance de La Haye, mais en Angleterre le Tribunal de brevets et la Cour d'appel y ont fait droit. Ce verdict a toutefois été annulé après recours devant la Chambre des Lords. Dans l'argumentation principale, Lord Hoffmann a reconnu que pour plusieurs raisons, il était inévitable que les tribunaux nationaux rendent de temps à autre des décisions divergentes au sujet du même brevet, mais que sur les questions de principe, il était souhaitable d'arriver, dans la mesure du possible, à une uniformité dans la manière dont les tribunaux nationaux et l'OEB interprètent la CBE. En l'espèce, il fallait identifier le concept mis en oeuvre dans l'invention, et susceptible de constituer "l'activité inventive" au sens de l'art. 56 CBE et de la section 1(1)(b) Loi britannique sur les brevets de 1977.
L'argumentation de la société Conor, acceptée par les instances inférieures, avait été de nier que l'activité inventive divulguée dans le brevet consistait à revêtir le stent de taxol. Le concept inventif de l'invention était plus général, s'agissant d'essayer une ou plusieurs combinaisons taxol/polymères pour voir si elles étaient capables de traiter la sténose récidivante. Par conséquent, le brevet n'ajoutait rien au savoir existant, si ce n'est que le taxol valait la peine d'être essayé. Il était connu que le taxol, à l'instar de maints antiproliférants, valait la peine d'être expérimenté. Cela était évident. La société Conor a affirmé n'avoir pas à prouver que l'utilisation du taxol pour traiter la sténose récidivante était évidente, puisque le brevet n'enseignait pas que le taxol aurait l'effet désiré.
Lord Hoffmann a estimé que cette approche confondait l'exigence d'activité inventive (art. 56 CBE) avec la suffisance de l'exposé (art. 83 CBE) ou le fondement sur la description (art. 84 CBE). L'activité inventive devait être impliquée par l'invention revendiquée, c'est-à-dire en première analyse par celle indiquée dans la revendication (section 125(1) Loi britannique sur les brevets de 1977). En l'espèce, l'activité inventive résidait dans la revendication d'une propriété particulière du produit, celle de prévenir ou traiter la sténose récidivante (cf. Pharmacia Corp v Merck & Co Inc [2002] RPC 775). La question à poser était donc de savoir s'il était évident d'utiliser à cette fin un stent revêtu de taxol, et le titulaire du brevet avait le droit d'obtenir à cette question une réponse basée sur sa revendication, et non pas sur une vague paraphrase inspirée de l'étendue de la divulgation de la description. Se ralliant à l'avis du Tribunal de grande instance de La Haye (point 4.17 des motifs), Lord Hoffmann a affirmé que ni la CBE ni la loi n'exige que la description démontre expérimentalement que l'invention fonctionnera, ou explique pourquoi elle fonctionnera. Il ne faisait absolument aucun doute que la description, dans la mesure où la revendication attaquée se fondait sur cette description, enseignait qu'un stent revêtu de taxol convenait à la prévention ou au traitement de la sténose récidivante. Lord Hoffmann était en outre d'accord avec le Tribunal néerlandais (point 4.17 des motifs) pour affirmer que "le titulaire du brevet indique de façon assez claire dans le brevet qu'il est avantageux d'utiliser le taxol (entre autres, mais aussi spécifiquement pour la sténose récidivante), affirmant à l'appui que le taxol obtient de bon résultats dans les analyses CAM démontrant son effet anti-angiogénique, compte tenu que le titulaire du brevet voit la solution à la sténose récidivante dans l'utilisation d'un facteur anti-angiogénique". Par conséquent, la question est de savoir si cela était évident, et non pas s'il était évident que le taxol (entre autres) pouvait avoir cet effet. On voit mal comment le fait de considérer une chose comme valant la peine d'être tentée ou comme susceptible de produire un effet constituerait une invention donnant droit à un monopole.
Un brevet ne peut pas être délivré pour une idée qui n'est que pure spéculation, dénuée de fondement dans la description (art. 84 CBE, section 14(5)(c) Loi britannique sur les brevets de 1977). En l'espèce, il était bien revendiqué qu'un stent revêtu de taxol préviendrait la sténose récidivante, et la société Conor n'a pas suggéré que cela manquait de plausibilité. Les instances inférieures ont conclu que le brevet ne contenait aucune "divulgation" selon laquelle le taxol est un bon choix pour prévenir la sténose récidivante. A cet égard, Lord Hoffmann a reconnu que la description, même si elle offre une théorie (les propriétés anti-angiogéniques), ne démontre nullement que le taxol prévient la sténose récidivante. S'il s'avérait que ce ne soit pas le cas, il y aurait insuffisance de l'exposé. Toutefois, si un brevet divulgue assez d'éléments pour rendre l'invention plausible, il n'y a pas de raison, en principe, pour que l'évidence soit appréciée différemment en fonction des preuves apportées par le titulaire du brevet pour démontrer que son brevet fonctionnera.
La question de savoir si une invention peut être jugée évidente au motif qu'il était "évident d'essayer" a été traitée de façon exhaustive en Cour d'appel par Lord Justice Jacob, qui, après avoir correctement récapitulé les précédents (à commencer par Johns-Manville Corporation's Patent [1967] RPC 479) a conclu que savoir s'il est "évident d'essayer" n'est utile que s'il y a de bonnes chances de réussite. Les chances de réussites à attendre dans chaque cas dépendent des circonstances de l'espèce.
Lord Walker a également fait des commentaires, accompagnés de références, sur l'utilisation de plus en plus fréquente du concept "évident d'essayer". Depuis l'affaire Johns-Manville, qui portait sur un procédé technologiquement assez rudimentaire, les hautes technologies ont fait des progrès énormes, surtout dans les domaines de la pharmacie et des biotechnologies. Les ressources affectées à la recherche sont colossales, vu les revenus potentiels sur les marchés mondialisés. La concurrence est acharnée. Dans ce contexte, la notion "évident d'essayer" a acquis une existence propre et est devenue une arme importante pour mettre en question la validité des brevets.
Note de la rédaction : L'analyse de Lord Walker du concept d'évidence, au sens du terme "évident d'essayer", a été adoptée par la High Court de la République d'Irlande dans son jugement du 26 juin 2009 dans l'affaire Glaxo Group Ltd c. Patents Act [2009] IEHC 277 (voir para. 31 de ce jugement).
NL Pays-Bas
Cour d'appel de La Haye (Gerechtshof te 's-Gravenhage) du 27 janvier 2009 - Sahajanand c. Angiotech
Mot-clé : activité inventive
Le brevet européen EP 0 706 376 portait sur un stent recouvert de taxol pour prévenir la resténose. La demande découlait d'une demande initiale couvrant le taxol et de nombreux autres moyens anti-angiogéniques de traiter le cancer, la resténose et d'autres maladies.
Au cours de l'instance précédente, Angiotech avait poursuivi en justice Sahajanand pour contrefaçon. En réponse, le défendeur avait contesté la validité du brevet. Le Tribunal de grande instance avait jugé l'utilisation du taxol inventive et fait droit à l'action en contrefaçon du brevet. Selon lui, l'état de la technique ne fournissait pas suffisamment d'indices à l'homme du métier pour choisir le taxol parmi un certain nombre de substances revendiquées, dans l'espoir qu'il préviendrait ou pourrait prévenir la resténose. Sahajanand avait fait appel de cette décision.
De l'avis de la Cour d'appel, le brevet en cause partait du principe qu'un facteur anti-angiogénique, en particulier le taxol, prévenait la formation de vaisseaux sanguins et donc la croissance non désirée de tissu. Le fascicule du brevet n'enseignait pas que le taxol était la substance à choisir, mais indiquait sans équivoque que le taxol était préférable. S'agissant de l'activité inventive, la Cour d'appel a estimé que l'état de la technique ne comportait aucune indication claire qui aurait conduit l'homme du métier à sélectionner le taxol. Le choix du taxol comme alternative à d'autres substances n'était pas évident pour l'homme du métier de compétence moyenne : les indices contenus dans l'état de la technique plaidaient aussi bien pour que contre le choix du taxol. En outre, la sécurité du taxol n'allait pas de soi à l'époque et, bien que cette substance soit connue depuis un certain temps, l'homme du métier de compétence moyenne aurait donc été très réticent à choisir le taxol pour un stent vasculaire recouvert de polymère et à insérer dans l'artère coronarienne près du cœur. Aucune des antériorités citées n'a finalement été considérée comme préjudiciable à l'activité inventive et les arguments du requérant ont été rejetés.
6. Farine de fève de soja (EP 0 546 090)
Note de la rédaction : cette affaire concernait l'importation de farine de soja d'Argentine dans différents pays européens. La farine provenait d'Argentine, mais avait été produite à partir de fèves de soja génétiquement modifiées initialement fournies par Monsanto. Les fèves de soja avaient une séquence ADN qui conférait une résistance à l'herbicide Roundup de Monsanto. Monsanto ne disposait d'aucun brevet protégeant les fèves de soja en Argentine, mais un brevet était en vigueur en Europe. Monsanto a engagé plusieurs actions en contrefaçon contre les importateurs des fèves de soja argentines. Dans le cadre de la procédure parallèle néerlandaise, le Tribunal de grande instance de La Haye a saisi la CJUE après avoir constaté que les questions juridiques nécessitaient une interprétation de la directive "biotechnologie" 98/44/CE. Dans son arrêt C 428/08 du 6 juillet 2010, Monsanto c. Cefetra, la CJUE a estimé que l'art. 9 de la directive ne confère pas une protection à une séquence d'ADN brevetée contenue dans de la farine de soja lorsqu'elle n'exerce pas la fonction pour laquelle elle est brevetée. C'était le cas, même si la séquence d'ADN avait exercé sa fonction antérieurement dans la plante de soja, dont cette farine est un produit de transformation, ou lorsqu'elle pourrait éventuellement exercer à nouveau cette fonction, après avoir été extraite de la farine puis introduite dans une cellule d'un organisme vivant. Les jugements suivants résument l'issue des procédures qui ont été engagées par Monsanto en Espagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas et qui ont précédé l'arrêt de la CJUE.
ES Espagne
Tribunal de commerce de Madrid (Juzgado de lo Mercantil) du 27 juillet 2007 (action en contrefaçon n° 48/2006) - Monsanto Technology LLC c. Sesostris S.A.E
Mot-clé : brevetabilité - fonction de la séquence d'ADN
Monsanto Technology a engagé une action en justice contre la société Sesostris, au motif que celle-ci avait contrefait son brevet européen EP 0 546 090, validé en Espagne (ES 2 089 232). Le demandeur a allégué que le défendeur avait importé de la farine de soja d'Argentine qui contenait la séquence d'ADN brevetée par le demandeur, sans que celui-ci ait donné son autorisation. La revendication 1 du brevet, considérée comme contrefaite, portait sur une séquence d'ADN isolée incluant la codification d'une enzyme spécifique EPSPS de classe II.
Le Tribunal de commerce de Madrid a déclaré que le défendeur avait importé non pas la séquence d'ADN, mais la farine de soja, qui n'était pas comprise dans la revendication du brevet. Aussi le défendeur n'avait-il pas enfreint l'art. 50.1a) Loi espagnole sur les brevets. Cependant, pour établir si la matière biologique contenue dans un produit contrefaisait le brevet en cause, il convenait également de vérifier si la farine de soja importée remplissait les conditions énoncées à l'art. 50.4 Loi espagnole sur les brevets (ou à l'art. 9 de la Directive "biotechnologie"). A cet égard, le Tribunal a souligné que les brevets dans le domaine de la biotechnologie sont régis par les mêmes principes que les brevets relatifs à d'autres domaines techniques, et que la Directive ne vise pas à élargir l'étendue de la protection des brevets biotechnologiques. De plus, étant donné que les lois sur les brevets accordent des droits exclusifs, autrement dit qu'elles prévoient une exception à la liberté d'entreprise visée à l'art. 38 de la Constitution espagnole, elles doivent être interprétées dans un sens restrictif, comme toute exception à des principes généraux.
Le Tribunal de commerce a conclu que, à la lumière des considérants 23 et 24 de la directive 98/44/CE, les inventions biotechnologiques n'ont pas pour objet une séquence d'ADN, mais la fonction que celle-ci remplit. Le Tribunal a poursuivi en observant que l'art. 50.4 Loi espagnole sur les brevets dispose que le produit doit contenir l'information génétique, que cette information génétique doit être incorporée et contenue dans la nouvelle matière et qu'elle doit exercer sa fonction. Il est particulièrement important de prouver que l'information génétique incorporée dans la nouvelle matière continue d'exercer sa fonction, afin qu'il soit satisfait au critère de l'application industrielle (considérant 24 de la Directive). Or, le demandeur n'a pas été en mesure de prouver que la séquence portant l'information génétique avait exercé sa fonction dans la farine de soja importée par Sesostris.
GB Royaume-Uni
Tribunal des brevets du 10 octobre 2007 - Monsanto c. Cargill [2007] EWHC Civ 2257 (Pat)
Mot-clé : terme "séquence d'ADN isolée" - "produit obtenu directement au moyen du procédé"
Les requérants ont engagé une action en contrefaçon présumée du brevet EP (UK) 0 546 090 contre Cargill. L'invention concernait des enzymes, qualifiées de EPSPS dans le fascicule, qui, si elles sont exprimées dans une plante, lui confèrent une résistance à l'herbicide Roundup. Les défendeurs avaient acquis en Argentine des fèves de soja cultivées à partir de semences portant le gène de l'un des EPSPS (CP4R, connu sous le nom de "Roundup Ready") divulgué dans le brevet, et avaient importé au Royaume-Uni de la farine produite à partir de ces fèves. Toutes les plantes de soja "Roundup Ready" cultivées en Argentine étaient des descendantes directes de la plante originale transformée conformément au processus breveté.
Cargill a fait valoir que le brevet portait essentiellement sur des séquences ADN et qu'aucun ADN individuel ou bicaténaire ne survivrait au traitement subi par les fèves de soja lors de leur transformation en farine. L'ADN serait dégradé, si bien que la matière importée ne constituerait pas une contrefaçon. Cargill a également contesté la validité du brevet en alléguant une absence de nouveauté et d'activité inventive ainsi qu'une insuffisance de l'exposé de l'invention, même si elle a admis que la découverte de l'enzyme CP4 était une invention. Monsanto a affirmé que ses revendications étaient valables et qu'elles avaient été contrefaites, mais a présenté une demande inconditionnelle visant à modifier les revendications du brevet litigieux. Le brevet a été jugé valable, mais non contrefait. L'autorisation de modifier les revendications a été accordée.
L'allégation de contrefaçon a soulevé des problèmes d'interprétation. Les questions suivantes se posaient notamment : le gène RuR contenu dans la farine était-il "isolé" (certaines revendications renvoyaient à une "séquence d'ADN isolée") ? En quoi consistait une "enzyme EPSPS de classe II" ? La séquence RuR dans la farine codait-elle cette enzyme ?
Dans ce contexte, il se posait également la question de savoir si la farine était un produit "obtenu directement au moyen du procédé", comme requis par la section 60(1)c) Loi britannique sur les brevets de 1977. Selon le juge, cette expression désigne de prime abord "le produit immédiat du procédé" ou, lorsque le procédé breveté consiste en une étape intermédiaire de fabrication d'un produit ultime, ce produit, mais uniquement si le produit du procédé intermédiaire conserve son identité. Dans la plupart des cas, l'évaluation est une question de faits et d'intensité, mais pas toujours. Toutes les plantes de soja "Roundup Ready" cultivées en Argentine sont des descendantes directes de la plante originale transformée et la farine de soja peut donc être décrite comme le produit ultime de la transformation initiale de la plante parente. Le juge n'a toutefois pas estimé qu'elle pouvait être décrite à proprement parler comme le produit direct de cette transformation, cette expression devant être réservée à la plante originale transformée. L'argument de Monsanto confondait le contenu informatif de la transmission entre les générations (la séquence génomique de "Roundup Ready") avec le produit, qui était simplement de la farine de soja ne présentant aucune caractéristique intrinsèque particulière de l'une des générations de plantes. Cet aspect de la revendication était donc voué à l'échec.
Une autre question consistait à déterminer si la farine transformée contenait encore certaines des séquences d'ADN revendiquées. Le juge a estimé que les expériences de Monsanto pouvaient certes prêter à critique, mais que Cargill n'avait fourni aucun résultat tangible jetant un doute suffisant sur les résultats apparemment obtenus. Il a donc conclu que la farine contenait une certaine quantité d'ADN génomique incluant le gène RuR EPSPS, et que cet ADN était partiellement ou intégralement bicaténaire. Le juge Pumfrey a toutefois considéré que l'ADN trouvé ne coïncidait pas avec celui des revendications qui portait sur une séquence d'ADN isolée. Le terme "isolée" revêt précisément le sens que lui a attribué l'expert cité en tant que témoin pour Cargill, c'est-à-dire "séparée d'autres espèces moléculaires sous forme d'un fragment d'ADN purifié" aux fins qu'il a identifiées. Compte tenu du fascicule, le juge a conclu que tel était l'objet de la revendication. Elle ne concernait pas de l'ADN génomique, dont elle était l'antithèse, et ne portait pas non plus sur de l'ADN des descendants de plante(s) transformée(s) à l'aide d'un plasmide incorporant de l'ADN présentant cette séquence. L'allégation selon laquelle toutes les revendications nécessitant une séquence d'un gène isolé avaient été contrefaites n'a donc pas pu être retenue.
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 19 mars 2008 - Monsanto c. Cefetra
Mot-clé : terme "séquence d'ADN isolée"
Se référant au raisonnement du Tribunal anglais des brevets, le Tribunal de grande instance des Pays-Bas a considéré que la farine de soja n'avait pas contrefait les revendications du brevet portant sur un ADN "isolé" (revendications 1 et 4, et revendications dépendantes 2, 3 et 5), l'ADN n'étant pas présent sous forme de substance isolée, mais simplement incorporé dans la farine de soja. Le Tribunal de grande instance n'a pas pu se rallier à l'argument de Monsanto selon lequel la séquence d'ADN avait été introduite dans l'ADN de la plante de soja à partir de son environnement naturel – le chromosome bactérien – et qu'il convenait dès lors de considérer la farine issue du soja comme une séquence d'ADN isolée. Un homme du métier interpréterait le terme "ADN isolé" comme un ADN ayant été dérivé de la cellule ou du noyau cellulaire d'un organisme en vue de son traitement ultérieur suivant une manière habituelle dans le domaine concerné. Monsanto n'a donné aucune raison de supposer que, dans la présente espèce, un homme du métier interpréterait ce terme différemment de sa signification commune.
De plus, le Tribunal a rejeté l'avis selon lequel il y aurait lieu de considérer la farine de soja comme un produit obtenu directement à partir du procédé breveté, tel que décrit dans les revendications 14 et 17 à 19 portant sur un "procédé de production de plantes transformées génétiquement qui sont tolérantes vis-à-vis de l'herbicide glyphosate". Il a estimé que la plante de soja et les graines de soja elles-mêmes pouvaient effectivement avoir été obtenues directement à partir du procédé breveté. Toutefois, les graines avaient ensuite été séparées par un processus de broyage en différentes composantes ayant une nouvelle identité et une série d'opérations supplémentaires avaient donné lieu à la production de farine de soja. Le Tribunal a jugé que ce processus allait trop loin pour que l'homme du métier considère qu'il existe un lien direct entre le procédé et le produit de farine de soja.
7. Escitalopram (S-énantiomère) (EP 0 347 066)
GB Royaume-Uni
Chambre des Lords du 25 février 2009 - Generics Ltd (UK) c. H Lundbeck A/S [2009] UKHL 12
Mot-clé : suffisance de l'exposé - revendications de produit - contribution technique
La société Lundbeck avait réussi à séparer le mélange racémique de ses anciens brevets pour l'antidépresseur citalopram en ses deux énantiomères, et avait découvert que l'effet antidépresseur était entièrement dû à l'énantiomère positif (+). Sur la base de la méthode pour isoler cet énantiomère, la société avait obtenu un brevet pour une nouvelle variante de la substance précédente, appelée escitalopram, un isomère du citalopram.
Le brevet comprenait une revendication de produit portant sur l'énantiomère (+), et une revendication de produit portant sur une composition pharmaceutique contenant de l'escitalopram comme seule substance active. La société Generics avait attaqué le brevet devant les instances inférieures, arguant le manque de nouveauté, l'évidence et l'insuffisance de l'exposé. Selon Generics, la contribution technique à la résolution du citalopram était minimale, Lundbeck n'ayant entièrement divulgué qu'un seul procédé de fabrication de l'énantiomère (+). De ce fait, les revendications étaient invalidées par le principe posé dans la décision T 409/01, car bien que formulées comme des revendications ordinaires de produit, elles étaient en fait des revendications de produit caractérisées par leur procédé d'obtention, et elles auraient dû être limitées à l'escitalopram tel qu'obtenu par le procédé utilisant le diol comme produit intermédiaire.
La Cour d'appel avait jugé le brevet valable. Le seul point litigieux à faire l'objet d'un appel devant la Chambre des Lords était la question sur laquelle la Cour d'appel avait été en désaccord avec le juge de la Haute Cour, à savoir la question de savoir si la revendication portant sur l'énantiomère (+) était affectée par une insuffisance de l'exposé. Par conséquent, les juges-Lords sont partis du principe selon lequel l'énantiomère était un produit nouveau, et que son obtention n'était pas évidente.
La distinction entre revendication de produit et revendication de procédé était au centre de l'appel, notamment en ce qui concerne le test à appliquer en matière d'insuffisance de l'exposé. D'après Lord Mance, la question fondamentale est de savoir si une revendication portant sur un produit plutôt que sur un procédé rend le brevet passible de révocation pour insuffisance de l'exposé au titre de la section 72(1)(c) Loi britannique sur les brevets de 1977, si la seule activité inventive impliquée par le produit réside dans son procédé de fabrication, que la description du brevet et le fascicule ne divulguent que ce procédé inventif, et que d'autres inventeurs ont mis au point de meilleurs procédés qui ne doivent rien au procédé breveté. Les juges-Lords ont décidé à l'unanimité qu'un tel brevet n'avait pas à être révoqué.
En première instance, le juge avait considéré ces revendications comme frappées de nullité pour insuffisance de l'exposé sur la base du principe établi par Lord Hoffmann dans Biogen c. Medeva devant la Chambre des Lords, selon lequel la première personne qui a trouvé un moyen d'atteindre un but manifestement désirable n'est pas autorisée à monopoliser tous les autres moyens de l'atteindre. Ce jugement a été annulé par la Cour d'appel, qui a estimé que le juge en première instance avait tiré un principe trop large de son analyse de Biogen, où la revendication de produit portait sur une classe de molécules d'ADN exprimant les antigènes du virus de l'hépatite B dans une cellule hôte. Dans Biogen, la Chambre des Lords avait estimé que la revendication de produit portant sur une classe de molécules ne constitue une divulgation suffisante que si l'homme du métier peut mettre en œuvre l'invention pour tous les membres de ladite classe.
La Chambre des Lords a unanimement maintenu la décision de la Cour d'appel, prononçant des avis en accord avec l'analyse de la Cour d'appel et rejetant l'appel. Selon la Chambre des Lords, Biogen ne traitait pas simplement d'une revendication de produit, mais d'une revendication qui était autant une revendication de procédé qu'une revendication de produit ("almost a process-by-product-by-process claim"). Il y a lieu de distinguer entre l'évaluation de l'activité inventive et l'identification de la contribution technique. Lorsqu'on examine la validité d'une simple revendication de produit, le fait de se concentrer sur l'évaluation de l'activité inventive plutôt que sur l'identification de la contribution technique peut conduire à des erreurs. "L'activité inventive" suggère comment une chose a été faite et, en présence d'une revendication de produit en tout cas, on s'intéresse avant tout à ce qui a soi-disant été inventé, pas à la question de savoir comment cela a été fait. Par contre, lorsque la revendication porte sur un procédé ou, comme dans Biogen, inclut un procédé, la question de savoir comment la prétendue invention a été réalisée semble avoir plus d'importance.
La Chambre des Lords n'a pas accueilli l'argument selon lequel étendre le brevet à l'escitalopram en tant que produit aboutirait à donner aux intimés un monopole dépassant leur contribution technique à l'art antérieur. Bien qu'il s'agisse d'un concept extra-légal, Lord Neuberger of Abbotsbury a reconnu qu'au moins à titre de règle générale, le monopole accordé au titulaire d'un brevet devait être apprécié par référence à la "contribution technique" qu'apporte l'enseignement du brevet. Telle est l'approche régulièrement suivie par les chambres de recours de l'OEB (cf. T 409/91, JO OEB 1994, 653, point 3.3 des motifs). On peut cependant affirmer à tout le moins que la contribution de l'intimé en l'espèce consiste à rendre accessible pour la première fois un produit jusque-là inaccessible, à savoir l'énantiomère (+) à l'état pur du citalopram. En ce sens, il semblerait que l'intimé avait le droit de revendiquer l'énantiomère. L'approche des chambres de recours a toujours été similaire à celle qu'a suivie la Cour d'appel dans la présente espèce (cf. également T 595/90, JO OEB 1994, 695)
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te s-Gravenhage) du 8 avril 2009 - Tiefenbacher c. Lundbeck
Mot-clé : nouveauté - divulgation d'un racémate
En ce qui concerne l'appréciation de la nouveauté d'un énantiomère par opposition à un racémate, le Tribunal de grande instance a suivi la jurisprudence constante de l'OEB, selon laquelle la divulgation d'un racémate ne porte pas nécessairement préjudice à la nouveauté d'un énantiomère de celui-ci. Cela ne serait le cas que si ce composé précis était divulgué directement et sans ambiguïté sous la forme d'un enseignement technique (cf. T 1046/97). Le fait qu'un racémate connu puisse théoriquement être séparé en énantiomères distincts ne peut intervenir dans le cadre de l'examen de la nouveauté (cf. également T 296/87, point 6.5 des motifs). Si, dans l'affaire en question, la formule structurelle de l'énantiomère (R) du citalopram était bel et bien contenue dans l'état de la technique ("Smith"), la publication ne permettait pas de déduire si – et, le cas échéant, comment – cet énantiomère, sans même parler de l'énantiomère (S), avait réellement été obtenu sous une forme individualisée. Puisqu'il n'a pas été prouvé que l'escitalopram était effectivement disponible avant la date de priorité, le Tribunal a considéré cette substance comme nouvelle.
Quant à l'appréciation de l'activité inventive, le Tribunal a estimé qu'aucune des revendications du brevet de Lundbeck (ni du certificat complémentaire de protection néerlandais qui était fondé sur ce titre) n'étaient valables, en raison d'une absence d'activité inventive. Comme l'état de la technique le plus proche décrivait un procédé d'obtention d'escitalopram racémique à l'aide du diol, il aurait été évident pour l'homme du métier qu'effectuer une réaction SN2 avec le diol énantiomérique constituait la seule façon possible d'obtenir l'escitalopram. De plus, le Tribunal s'est déclaré du même avis que Tiefenbacher, à savoir que les règlements de la FDA incitaient fortement à examiner l'activité des énantiomères séparés et, par conséquent, à séparer les énantiomères. L'affirmation de Lundbeck, selon laquelle l'activité inventive impliquée dans l'énantiomère escitalopram résidait dans la manière de l'obtenir, la séparation du citalopram en différents énantiomères présentant une difficulté toute particulière, a donc été rejetée. Selon le Tribunal, l'homme du métier aurait obtenu l'escitalopram au prix d'un effort raisonnable, sur la base des connaissances techniques générales.
En raison de moyens de preuve présentés par Tiefenbacher et non admis dans la procédure devant le Tribunal anglais, le Tribunal néerlandais a distingué explicitement sa décision de celle rendue antérieurement en la matière par le juge anglais.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 10 septembre 2009 (Xa ZR 130/07) - Escitalopram
Mot-clé : protection des substances
Le brevet européen en cause concernait un énantiomère et son obtention. La composition chimique protégée était connue sous le nom générique international de citalopram et s'était révélée être un anti-dépressif efficace. Toute la recherche a été conduite selon les indications données dans le fascicule de brevet à partir du racémate, c'est-à-dire avec un mélange comportant deux parties égales d'énantiomères. Il n'était toutefois pas expressément indiqué dans le fascicule de brevet quel est le problème technique sous-jacent au brevet litigieux. A la suite de l'exposé figure l'indication qu'il s'était avéré de façon surprenante qu'il était possible de séparer le mélange racémique décrit dans les revendications pour obtenir ses énantiomères et de convertir ceux-ci de manière stéréosélective en énantiomères de citalopram.
Le Tribunal fédéral des brevets, qui a déclaré nul le brevet, a identifié le problème technique comme résidant dans l'obtention des deux énantiomères de citalopram sous des formes distinctes l'une de l'autre. Il a affirmé qu'il était possible pour l'homme du métier de séparer les énantiomères sans efforts excessifs, en utilisant les produits du commerce disponibles à la date de priorité.
La Cour fédérale de justice n'a pu se rallier à cette appréciation. Dans le cas du brevet en cause, l'homme du métier se trouvait confronté au problème de fabriquer une substance susceptible de servir d'anti-dépressif et de constituer une alternative au citalopram. Certes, il y avait des arguments en faveur de la thèse que l'homme du métier aurait jugé approprié de chercher la solution au problème du côté de l'obtention des énantiomères de citalopram. Mais ces arguments n'étaient pas irréfutables au point que toutes les autres pistes de solution auraient été exclues d'emblée. Opter pour les énantiomères de citalopram était déjà une partie de la solution. Lorsque l'homme du métier est confronté au problème d'obtenir une substance qui soit susceptible de servir de médicament dans un domaine d'application déterminé et qui constitue une alternative aux médicaments connus dans ce domaine, et que plusieurs substances ou groupes de substances entrent en ligne de compte, opter pour une substance déterminée est déjà une partie de la solution.
Les énantiomères eux-mêmes ne ressortent généralement pas directement et sans ambiguïté d'une publication selon laquelle il doit exister des énantiomères d'un composé chimique, dans la mesure où la publication ne permet pas vraiment à l'homme du métier d'obtenir les énantiomères. L'obtention d'un seul énantiomère à partir d'une composition connue jusque là comme étant un mélange d'énantiomères (racémate) peut présenter une activité inventive, même si la présence des énantiomères ressort de manière évidente de l'état de la technique. Ce qui est décisif est de savoir s'il existait, à la date de priorité, une manière évidente d'obtenir l'énantiomère.
FR France
Tribunal de grande instance de Paris du 30 septembre 2010 (10/08089) - ratiopharm GmbH c. Lundbeck
Mot-clé : activité inventive - analyse a posteriori
Le Tribunal rejette le moyen tiré du défaut de nouveauté. Sur le défaut d'activité inventive, le Tribunal énonce notamment que l'homme du métier doit être défini comme une équipe. Le Tribunal souligne la nécessité d'écarter tout raisonnement à rebours, c'est-à-dire partant de l'invention litigieuse. Finalement le Tribunal juge que le moyen de nullité tiré du défaut d'activité inventive n'est pas fondé. Enfin, le Tribunal rejette la demande de nullité du CCP.
8. Oxycodone (EP 1 810 697 ; EP 0 722 730 ; EP 1 258 246)
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 1er avril 2009 - Napp Pharmaceutical Holdings Ltd c. ratiopharm GmbH ; et Napp Pharmaceutical Holdings Ltd c. Sandoz Ltd [2009] EWCA Civ 252
Mot-clé : modification des revendications - élément ajouté
L'affaire concernait la validité et la contrefaçon alléguée de deux brevets EP 0 722 730, EP 1 258 246 relatifs à des formulations permettant la libération contrôlée d'un analgésique appelé oxycodone. Des demandes divisionnaires étaient à l'origine de ces deux brevets. Le juge du Tribunal des brevets avait estimé que les brevets étaient valables, mais qu'ils n'avaient pas été contrefaits. En examinant la question de la validité, la Cour d'appel s'est notamment attachée à déterminer si les brevets n'étaient pas nuls au motif que les modifications apportées suite au dépôt des demandes divisionnaires impliquaient l'ajout d'éléments.
Mentionnant la décision G 1/93, qui est la principale référence à l'OEB concernant l'art. 123(2) CBE, la Cour d'appel a fait observer que les tribunaux du Royaume-Uni appliquent les principes énoncés dans cette décision, qui correspondent à ceux déjà fixés par le juge Aldous dans l'affaire Bonzel c. Intervention (No 3) [1991] RPC 553. Selon l'approche préconisée dans cette affaire pour déterminer si une modification a entraîné un ajout d'éléments, il convient de :
(1) déterminer, en se plaçant du point de vue de l'homme du métier, ce qui est divulgué à la fois explicitement et implicitement dans la demande ;
(2) faire de même pour le brevet tel que délivré ;
(3) comparer les deux exposés et décider si un élément pertinent pour l'invention a été introduit, que ce soit par suppression ou par ajout. Il s'agit d'une comparaison stricte, en ce sens qu'un élément est ajouté s'il n'est pas exposé, soit de façon explicite soit de façon implicite, en des termes clairs et non équivoques dans la demande.
Cette approche a été développée récemment dans l'affaire European Central Bank c. Document Security Systems [2007] EWHC 600 (Pat), 26 mars 2007 (et confirmée par la Cour d'appel dans cette affaire) :
(1) Premièrement, la cour doit interpréter aussi bien la demande initiale que le fascicule afin de déterminer ce qu'ils exposent. A cette fin, les revendications font partie de l'exposé, même si à l'évidence, tous les éléments compris dans la portée des revendications ne sont pas nécessairement exposés.
(2) Deuxièmement, la cour, effectuant (1), doit se placer ce faisant du point de vue de l'homme du métier. Celui-ci examinera les documents en mettant à profit ses connaissances générales.
(3) Troisièmement, il faut comparer les deux divulgations afin d'établir si un élément pertinent pour l'invention a été ajouté. Il s'agit d'une comparaison stricte. Un élément est considéré comme ajouté à moins qu'il ne soit clairement et sans ambigüité divulgué dans la demande telle que déposée.
(4) Quatrièmement, il y a lieu de considérer ce qui a été exposé à la fois expressément et implicitement. Par conséquent, l'ajout d'une référence à ce qui serait évident pour l'homme du métier n'entre pas en ligne de compte. En revanche, le titulaire d'un brevet n'est pas autorisé à ajouter, par une modification, un élément que l'homme du métier aurait pu déduire de manière évidente de la demande.
(5) Cinquièmement, il importe de savoir si un élément pertinent pour l'invention a été ajouté. Comme indiqué dans la décision G 1/93, l'ensemble des circonstances doivent être prises en considération pour déterminer si l'ajout d'une caractéristique limitant l'étendue de la protection enfreint l'art. 123(2) CBE. Si cette caractéristique apporte une contribution technique à l'objet de l'invention revendiquée, il procurerait un avantage injustifié au titulaire du brevet. Cependant, si elle ne fait qu'exclure de la protection une partie de l'objet de l'invention revendiquée, couvert par la demande telle que déposée, on ne peut raisonnablement considérer que l'ajout d'une telle caractéristique accorde au demandeur un avantage injustifié. De même, les intérêts des tiers ne sont pas lésés.
(6) Sixièmement, il est important d'éviter une approche ex post facto.
Dans l'affaire Vector Corp c. Glatt Air Techniques Inc [2007] EWCA Civ 805, la Cour d'appel avait souscrit à cette approche et ajouté les observations suivantes :
(7) Pour examiner une modification apportée à un brevet délivré, il convient de comparer la demande de brevet, par opposition au brevet délivré, et la modification proposée.
(8) Une forme particulière d'ajout est connue sous le terme de "généralisation intermédiaire".
Après avoir résumé cette approche générale en matière d'éléments ajoutés, la Cour a examiné un point plus spécifique concernant les modifications de type "disclaimers non divulgués". La Cour a estimé, à l'instar du juge du Tribunal des brevets, que les disclaimers relatifs à des antériorisations fortuites alléguées n'enfreignent pas les dispositions applicables en ce qu'ils n'ajoutent pas d'éléments pertinents pour l'invention. Si un disclaimer introduit par une demande divisionnaire n'ajoute pas d'élément pertinent pour l'invention, mais qu'il se borne à exclure un élément de la protection, il ne contrevient pas non plus à la disposition applicable.
En l'espèce, la Cour a jugé qu'aucun élément n'avait été ajouté.
DE Allemagne
Tribunal de première instance de Düsseldorf du 30 mars 2010 (4a O 13/10) - Mundipharma c. Sandoz
Mot-clé : nouveauté - activité inventive
Dans la présente espèce, le brevet européen EP 1 810 679 concernait une forme posologique de chlorhydrate d'oxycodone à libération contrôlée. Le problème que le brevet se proposait de résoudre consistait à fournir un procédé permettant d'améliorer l'efficacité et la qualité du traitement de la douleur. Le brevet avait été déposé le 5 janvier 2007 par la sté Napp Pharmaceutical Holdings Ltd (Cambridge/Grande-Bretagne) en tant que demande divisionnaire de la demande européenne EP 1 438 959 formulée sur la base de la demande initiale EP 0 576 643. Dans le cadre d'une action en contrefaçon devant le Tribunal régional de Düsseldorf, Mundipharma, une filiale de la sté Napp, avait demandé la prise d'une mesure d'interdiction provisoire pour contrefaçon de son brevet par les versions génériques des compositions d'oxycodone à libération contrôlée (médicaments à action retardée) de Sandoz.
Le Tribunal était d'avis que les modes de réalisation contestés utilisaient l'enseignement du brevet conformement à son libellé. Contrairement à l'opinion des intimées, le brevet entendait par les termes "à libération contrôlée" non pas d'une manière générale la libération localement ou temporairement contrôlée de la substance active, mais une "libération prolongée" – par comparaison à la "libération immédiate". Ceci signifiait que l'effet du chlorhydrate d'oxycodone devait être plus lent et durer plus longtemps, par comparaison avec des formulations à libération immédiate. C'est ce qui ressortait de la description à prendre en considération conformément à l'art. 69 CBE pour interpréter la revendication du brevet. Même si les exemples cités ne constituaient pas des modes de réalisation selon l'invention, cela ne changeait rien au fait que le terme "à libération contrôlée" se comprenait dans le fascicule du brevet systématiquement comme une libération prolongée, conformément au sens mentionné ci-dessus.
A l'encontre de cela, les intimées ont excipé sans succès de l'indication donnée dans le fascicule du brevet, selon laquelle il était courant dans le domaine pharmaceutique, pour obtenir un effet thérapeutique restant actif pendant au moins douze heures, de créer une formulation de forme posologique à libération contrôlée dans laquelle la substance active atteint un niveau plasmatique maximal après quatre à huit heures après administration, et il avait été trouvé de manière surprenante que dans le cas de l'oxycodone, un niveau plasmatique maximal permettait "déjà après deux à quatre heures et demi" d'obtenir un effet thérapeutique pendant douze heures. Selon le Tribunal, l'objet du brevet n'était nullement de réduire l'effet de retardement compris entre quatre et huit heures et éventuellement courant dans d'autres domaines, mais de fournir une forme posologique à partir de chlorhydrate d'oxycodone comme substance active et à libération contrôlée, soit à libération prolongée, et non pas à libération immédiate. Cette interprétation coïncide dans une large mesure avec la compréhension générale par l'homme du métier du terme "à libération contrôlée".
Concernant la nullité du brevet invoquée en défense, le Tribunal s'est prononcé en faveur de la validité du brevet européen. Il a entre autre exposé que le problème technique évoqué dans le brevet était formulé de manière tout à fait pertinente. En revanche, le point de vue des intimées, selon lequel le problème technique consistait à créer une formulation retard aussi simple que possible avec libération d'oxycodone contrôlée équivalente, semblait inapproprié vu qu'il transférait déjà dans le problème technique à résoudre une partie de la solution, à savoir le choix de la bonne substance active. Partant du problème technique mentionné ci-dessus, le Tribunal a constaté que l'enseignement de la revendication litigieuse n'était pas évidente puisque l'homme du métier n'avait aucune raison de recourir au chlorhydrate d'oxycodone dans une forme posologique à libération contrôlée en alternative aux substances actives connues que sont la morphine et l'hydromorphone, pour le traitement des douleurs intenses et des douleurs extrêmement intenses.
Dans le cadre de la procédure, le Tribunal allemand s'est encore référé à la jurisprudence de la Cour d'appel anglaise et du Rechtbank te 's-Gravenhage néerlandais qui avaient confirmé la validité des brevets parallèles sur l'oxycodone.
NL Pays-Bas
Tribunal de grande instance de La Haye (Rb. te 's-Gravenhage) du 7 avril 2010 - Mundipharma c. Sandoz
Mot-clé : suffisance de l'exposé - disclaimer
Mundipharma est le titulaire de la partie néerlandaise du brevet européen EP 0 722 730 relatif à des formules destinées à la libération contrôlée d'oxycodone et d'un sel d'oxycodone, dans le but de soulager la douleur des patients atteints de cancer. Sur la base d'une demande divisionnaire, le brevet avait été délivré pour "une matrice de dosage à libération contrôlée, autre qu'une matrice en résine acrylique". La demande divisionnaire comme la demande initiale mentionnaient la résine acrylique comme mode de réalisation préféré, tandis que ce mode de réalisation était revendiqué dans la demande initiale. Le disclaimer "autre qu'une matrice en résine acrylique" avait été ajouté à la demande divisionnaire pour la distinguer du brevet délivré sur la base de la demande initiale. Dans l'action en contrefaçon qui a suivi, le Tribunal de grande instance a considéré que le brevet était valide et qu'il était contrefait par des dosages spécifiques de Sandoz. Le Tribunal a examiné en détail les arguments avancés par la défenderesse, qui avait fait valoir la nullité en se fondant notamment sur l'insuffisance de l'exposé et sur le disclaimer soi-disant non divulgué.
Dans la mesure où Sandoz a soutenu que ni le disclaimer, ni l'objet revendiqué restant n'avaient de fondement direct et non ambigu dans la demande d'origine, le Tribunal a déclaré que la demande initiale divulguait suffisamment clairement à l'homme du métier moyen que la formule désirée avec libération prolongée pouvait être obtenue avec une matrice à libération contrôlée, dans laquelle était utilisée – uniquement ou entre autres – une résine acrylique. L'homme du métier moyen voyait de toute évidence quel objet avait été exclu de l'étendue de la protection par le disclaimer, et donc quel objet était encore protégé par la revendication brevetée. La question de savoir si l'ajout du disclaimer dans la version finale délivrée était contraire à l'exigence de clarté (art. 84 CBE) est laissée à l'appréciation de l'OEB et ne peut plus être prise en compte dans l'appréciation de la validité du brevet par le Tribunal national. Contrairement à ce que soutient Sandoz, le Tribunal ne peut pas déduire de G 1/03 (JO OEB 2004, 413) que la Grande Chambre de recours envisageait d'ajouter l'art. 84 CBE comme motif de nullité d'un brevet dans des procédures menées auprès de tribunaux nationaux. Vu que la procédure actuelle concerne la validité de la revendication 1 telle que délivrée, et non pas une demande de modification, l'art. 84 CBE ne peut pas être invoqué.
En ce qui concerne la position de Sandoz, selon laquelle le disclaimer ne pouvait pas remplir les exigences relatives aux disclaimers non divulgués telles qu'indiquées dans la décision G 1/03 (JO OEB 2004, 413), le Tribunal a considéré que le disclaimer contenait des éléments qui n'étaient pas mentionnés littéralement dans la demande initiale, mais que l'homme du métier moyen pouvait déduire de cette demande. Le Tribunal s'est appuyé sur la décision G 1/03 qui part du principe que l'introduction d'un disclaimer ne saurait être rejetée pour violation de l'art. 123(2) CBE au seul motif que ni le disclaimer ni l'objet exclu par le disclaimer n'ont été divulgués dans la demande d'origine. Cela signifie que l'objet exclu par la suite était divulgué de manière positive dans la demande initiale, parce que sinon, il ne serait pas logique d'opérer une distinction au moyen d'un disclaimer, à savoir une formulation en termes négatifs, dans la demande divisionnaire. En l'espèce, le disclaimer a été jugé divulgué et ne pouvait donc pas être apprécié sur la base des exigences de la décision G 1/03.
En outre, Sandoz a déclaré que le disclaimer avait une signification technique. Sur ce point, le Tribunal a décidé que l'homme du métier moyen reconnaîtrait que le disclaimer avait été introduit uniquement pour un motif juridique, c'est-à-dire pour empêcher une double protection par brevet eu égard à la demande initiale. Le disclaimer a exclu seulement une partie de l'invention, limitant le choix possible pour la composition de la matrice à libération contrôlée à un groupe plus restreint de substances. Une signification technique n'a pas pu être attribuée à cela, puisque l'enseignement technique du brevet ne s'en est pas trouvé modifié.
Le Tribunal a adressé à Mundipharma une injonction préliminaire et a sursis à statuer au principal, dans l'attente de l'issue de la procédure d'opposition en instance (T 1676/08).
NO Norvège
Borgarting Cour d'appel (Lagmannsrett) du 20 décembre 2010 - Mundipharma AS c. ratiopharm et Acino Pharma
Mot-clé : nouveauté - activité inventive - approche problème-solution
Mundipharma était titulaire de deux brevets norvégiens portant sur la libération contrôlée de formulations d'un sel d'oxycodone (NO 307 028 et NO 318 890). Les revendications définissaient les formulations pour une large part d'après les niveaux plasmatiques à atteindre sur une période de 12 heures après l'administration. ratiopharm et Acino avaient intenté une action en nullité et une action en contrefaçon contre les brevets, invoquant plusieurs motifs de nullité. Dans son jugement du 15 octobre 2009, le Tribunal de première instance d'Oslo avait invalidé les deux brevets pour absence d'activité inventive. Mundipharma a interjeté appel devant la Borgarting Cour d'appel qui a annulé la décision de l'instance antérieure.
Pour ce qui est de la nouveauté, la Cour a estimé qu'une formulation à libération contrôlée d'un sel d'oxycodone de l'état de la technique n'antériorisait pas l'invention. Les revendications ne divulguaient pas non plus de niveaux plasmatiques pour cette formulation particulière, et il n'y avait pas de corrélation obligatoire entre les données in vitro et in vivo permettant à l'homme du métier de savoir à l'avance si la formulation produirait les mêmes niveaux plasmatiques en 12 heures que ceux définis dans le brevet.
En ce qui concerne l'activité inventive, la Cour a suivi l'approche problème-solution. On a donc considéré comme état de la technique le plus proche un document traitant des problèmes que pose la morphine en ce qui concerne le titrage et la variation de doses. La Cour a estimé que les brevets litigieux résolvaient de façon vraisemblable ces problèmes via l'oxycodone, dont le choix n'était pas évident pour l'homme du métier (représenté en l'occurrence par une équipe composée d'un clinicien, un pharmacologue et un pharmacien formulateur). Rien ne menait clairement à la solution dans l'état de la technique, car plusieurs opioïdes entraient en ligne de compte et on ne pouvait pas prévoir qu'avec l'oxycodone, la variation de doses serait plus faible et le titrage facilité. Il a donc été considéré que les brevets impliquaient une activité inventive.
En outre, la Cour a considéré la date de priorité comme valable et l'exposé de l'invention comme suffisant. Il n'a pas été considéré que les tests in vivo nécessaires pour déterminer si un mode de réalisation était couvert par la revendication constituent un effort excessif.
Un disclaimer dans l'un des brevets concernant certains excipients de la formulation n'était pas un motif de nullité, ledit disclaimer ne constituant pas une modification irrecevable. La Cour a estimé que le disclaimer ne faisait que délimiter l'étendue de la protection par rapport aux excipients déjà revendiqués dans la demande initiale.
Note de la rédaction : Des recours ont été formés devant la Cour suprême, mais ils ont été rejetés sans examen au fond.
9. Dispositif d'occlusion (EP 0 808 138)
GB Royaume-Uni
Cour d'Appel du 22 juin 2010 - Occlutech GmbH c. AGA Medical Corporation & Ors [2010] EWCA Civ 702
Mot-clé : interprétation des revendications - étendue de la protection - applicabilité de l'art. 69 CBE
Le défendeur, AGA Medical Corporation, a fait appel d'une décision du Tribunal des brevets jugeant que le brevet en cause n'est pas contrefait par Occlutech. Ledit brevet porte sur des dispositifs intra-vasculaires pour traiter certaines affections médicales.
L'existence ou non de la contrefaçon alléguée dépend presque exclusivement de la signification que l'on donne aux mots "brides de fixation" et à la fixation "des brins aux extrémités opposés du dispositif" qui figurent dans la revendication du produit. Selon Occlutech, la protection n'est revendiquée qu'en ce qui concerne un dispositif utilisant des brides de fixation aux deux extrémités, afin de fixer les brins de métal tressé pour les empêcher de se dérouler. Les produits d'Occlutech sont faits de manière différente : ils sont composés d'un tissu maillé en fil métallique où les brins coupés n'existent qu'à une seule extrémité. Ces fils sont fixés par soudage et non pas par bride de fixation externe. Les questions à résoudre sont donc les suivantes :
1. Les dispositifs dans l'invention d'Occlutech sont-ils fixés dans le sens décrit par le brevet en cause, considérant que les extrémités des brins métalliques sont fixées par soudage ?
2. Que veut dire la phrase "les brides de fixation (15) sont adaptées pour fixer les brins aux extrémités opposées du dispositif ?". Les dispositifs d'Occlutech sont-ils fixés de cette manière, étant donné que les brins métalliques se terminent tous à une extrémité du dispositif et non pas aux deux extrémités ?
Pour ces questions d'interprétation, la Cour d'Appel a adopté le résumé des principes applicables tels que récemment présentés dans l'espèce Virgin Atlantic Airways Ltd c. Premium Aircraft Interiors UK Ltd [2009] EWCA Civ 1062 :
Le Tribunal doit déterminer ce que l'homme du métier comprend que le titulaire du brevet veut dire en formulant la revendication. Ces principes sont résumés comme suit :
- Le premier principe fondamental est celui de l'art. 69 CBE.
- Selon l'art. 69 CBE, l'étendue de la protection est déterminée par les revendications et la description et les dessins servent à interpréter les revendications. En d'autres termes, les revendications doivent être interprétées en les replaçant dans leur contexte.
- Il s'ensuit que les revendications doivent être interprétées en fonction de l'intention – l'intention de l'inventeur étant précisée par la description et les dessins.
- Il s'ensuit également que les revendications ne doivent pas être interprétées comme si elles étaient seules – les dessins et la description ne servant qu'à résoudre toute ambigüité. L'intention est un facteur essentiel dans l'interprétation des revendications.
- Pour déterminer l'intention de l'inventeur, il faut se rappeler que l'inventeur peut avoir plusieurs intentions, selon le niveau de généralité de son invention. De plus, l'intention et la signification sont des choses différentes.
- L'intention n'est pas tout. En dernier ressort, il faut aussi tenir compte de la signification des termes utilisés.
- Il s'ensuit que si le titulaire du brevet a inclus une restriction évidente dans ses revendications, cette restriction doit avoir une signification. On ne peut pas ignorer des éléments manifestement intentionnels.
- Il s'ensuit aussi que lorsqu'un titulaire de brevet utilise un mot ou une expression qui, hors contexte, peut avoir une signification particulière (au sens large ou au sens strict), ce mot ou cette expression n'a pas nécessairement cette signification dans le contexte dans lequel il (elle) est employé(e).
- Il s'ensuit également qu'il n'y a pas de "doctrine générale des équivalents".
- Par ailleurs, une interprétation en fonction de l'intention peut aboutir à la conclusion qu'une différence techniquement négligeable ou mineure entre un élément de la revendication et l'élément correspondant de la contrefaçon alléguée n'en a pas moins une signification pour l'élément si on la considère sous l'angle de l'intention. Cela n'est pas dû à une doctrine des équivalents : c'est parce que c'est la façon juste de prendre en compte la revendication dans son contexte.
- Enfin, l'interprétation en fonction de l'intention permet d'éviter l'écueil de l'analyse méticuleuse mot à mot que les juristes ont trop souvent tendance à pratiquer en raison de leur formation.
Selon la Cour, le principe de l'interprétation en fonction de l'intention est un compromis utile entre la méthode ancienne trop littérale en usage au Royaume-Uni et la méthode suivie dans certains pays qui consiste à prendre en compte la nature intrinsèque de l'invention et permet d'éviter les conséquences d'une interprétation trop littérale. L'affaire Catnic Components est un exemple ancien d'interprétation en fonction de l'intention qui est à l'origine d'une bonne partie du raisonnement dans l'espèce Kirin-Amgen. Toutefois, ce dernier jugement a une importance car il reconnaît que l'intention du brevet, si elle est une aide contextuelle évidente à l'interprétation, n'est pas forcément concluante pour déterminer la portée des revendications.
La Cour fait remarquer qu'aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les tribunaux de première instance ont donné raison à Occlutech : elles ont estimé que la référence à "la fixation des brides aux extrémités opposées du dispositif" n'inclut pas les dispositifs d'occlusion où les brins métalliques ne sont fixés qu'à une extrémité. Néanmoins, en Allemagne, la décision du Tribunal de première instance, selon laquelle les revendications ne sont pas limitées à des dispositifs où les extrémités des brins métalliques du matériel utilisé sont fixées ensemble à chaque extrémité du dispositif, à été confirmée en appel – le texte de la revendication doit être compris comme faisant référence à la fixation des extrémités opposées des brins (et non pas à la fixation du dispositif). L'utilisation de deux brides de fixation séparées pour chaque dispositif n'est pas essentielle pour la portée des revendications ou une restriction essentielle à cette portée. Le raisonnement des tribunaux allemands est correct si l'on prend pour hypothèse de départ que les revendications sont censées inclure tous les aspects de l'enseignement. Le texte des revendications doit alors être interprété en conséquence. Le raisonnement du Tribunal allemand est fondé sur cette hypothèse de départ. Cependant, la troisième question formulée dans l'affaire Improver n'a pas été posée : "le lecteur homme du métier aurait-il néanmoins compris d'après le texte de la revendication qu'aux yeux du titulaire du brevet, il faut observer strictement le sens premier de la revendication ? Dans l'affirmative, la variante n'est pas incluse dans la revendication." On n'envisage donc pas la possibilité que le titulaire du brevet ait délibérément limité la portée des revendications par rapport à l'enseignement.
Dans son jugement, la Cour d'Appel estime qu'une bride de fixation ne peut pas être un dispositif externe placé sur les extrémités soudées et attaché physiquement à ces extrémités après l'opération de moulage. En outre, le terme de fixation n'inclut pas le brasage ou le soudage. Il n'y a rien qui puisse faire que le lecteur homme du métier ait une opinion différente de celle que lui donne la signification naturelle des mots. La référence à des brides de fixation (au pluriel) est une caractéristique distinctive et nécessaire de l'invention. L'appel est donc rejeté.
NL Pays-Bas
Cour d'Appel de La Haye (Gerechtshof te 's-Gravenhage) du 19 octobre 2010 - AGA c. Occlutech
Mot-clé : interprétation des revendications - contenu du dossier de la demande de brevet
AGA détient un brevet européen concernant un dispositif d'occlusion utilisé dans le traitement des maladies du cœur, et notamment dans les anomalies cardiaques structurelles. Le dispositif à usage médical AGA est composé d'un tissu métallique formé de brins métalliques tressés, caractérisés par des brides de fixation adaptées pour fixer les brins aux extrémités opposées du dispositif. Le titulaire du brevet a poursuivi en justice Occlutech, fabricant des dispositifs à usage médical en forme d'haltère, pour occlusion des défauts du septum cardiaque. Le dispositif d'Occlutech ne comporte qu'une bride de fixation à une extrémité du dispositif, mais AGA argue que la caractéristique pertinente entre dans le domaine de protection et constitue une contrefaçon du brevet par des moyens équivalents. En première instance, le Tribunal avait jugé que tel n'était pas le cas.
Au cours de la procédure devant la Cour d'Appel, le titulaire du brevet a cité trois paragraphes de la description qui, allègue-t-il, prouvent qu'un dispositif avec une seule bride de fixation est également revendiqué. Occlutech se prévaut du dossier de la société demanderesse pour étayer son interprétation du brevet et argue ainsi que les revendications ne portent pas sur un dispositif avec une seule bride de fixation.
La cour d'appel a considéré que la fixation à des extrémités opposées du dispositif est une caractéristique essentielle de la revendication. On ne peut pas interpréter de manière trop large des caractéristiques essentielles de ce type, à moins que la description et les dessins ne donnent des indications claires d'une approche différente. Aux fins d'interpréter ce que les revendications sont censées dire à l'homme du métier, le Tribunal a reconnu que le contenu du dossier de la société demanderesse constitue une base d'interprétation, le fait que c'est la défenderesse et non pas le titulaire du brevet qui a produit le dossier au cours de la procédure n'entrant pas en ligne de compte. Le dossier de la demande fait état de ce qu'une objection d'absence d'unité avait été soulevée à l'encontre de la demande d'origine, ce qui a conduit AGA à abandonner une partie des revendications. Les passages de la description invoqués par le titulaire du brevet font référence à une revendication abandonnée et auraient donc dû être supprimés. Ils ne peuvent donc pas justifier dans le cas présent une interprétation large d'autres revendications. Confirmant la décision en première instance, le Tribunal a conclu que les dispositifs d'Occlutech ne constituent pas une contrefaçon et a donc rejeté l'appel.
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 10 mai 2011 (X ZR 16/09) - Dispositif d'occlusion
Mot-clé : interprétation des revendications - étendue de la protection - art. 69 CBE
La demanderesse était inscrite au registre des brevets communautaires en tant que titulaire du brevet européen désignant également la République fédérale d'Allemagne (brevet en litige), lequel portait sur un dispositif d'occlusion intravasculaire et sur un procédé destiné à sa fabrication. Le dispositif médical repliable comprenait un tissu métallique formé de brins métalliques tressés (dans la langue de procédure : "braided metal strands") et des brides de fixation pour fixer les brins ("clamps ... to clamp the strands") réalisés aux extrémités opposées du dispositif. La titulaire du brevet a introduit contre la défenderesse une action en justice pour contrefaçon littérale, tout au moins par équivalence, du brevet en litige.
La Cour d'appel de Düsseldorf a constaté lors de la procédure d'appel que le mode de réalisation attaqué correspondait littéralement à l'enseignement technique de la revendication du brevet. Elle a rejeté ce faisant les arguments avancés par la défenderesse, selon lesquels, sur le dispositif attaqué, les brins n'étaient réunis qu'à une seule extrémité du dispositif. Selon la Cour d'appel, le brevet en litige, considéré sous l'angle de la philologie, enseignait, certes, qu'il existait plusieurs brides de fixation et indiquait de plus que ces brides de fixation servaient à fixer les brins aux extrémités opposées du dispositif. Néanmoins, l'homme du métier ne s'arrêtait pas à cette acception purement linguistique. Il voyait que les brides de fixation servaient à réunir les brins, et ce, indépendamment du fait que les brins soient laissés à l'état tendu ou que leurs extrémités soient superposées par repliage, les deux extrémités des brins ne s'arrêtant pas d'exister pour autant. Ainsi l'homme du métier partait-il du principe que la revendication du brevet comprenait, de par son sens technique, également des modes de réalisation dans le cadre desquels les deux extrémités des brins étaient superposées et réunies uniquement à une seule extrémité du dispositif.
La Cour fédérale de justice n'a pu accepter ces considérations. La revendication du brevet exigeait, certes, que des brides de fixation soient montées aux extrémités opposées du dispositif, mais la présence d'une seule bride de fixation montée à une extrémité du dispositif ne suffisait pas à satisfaire à cette exigence. Certes, ni le terme "brides" ("clamps") ni le terme "extrémités" ("ends") ne permettaient à eux seuls de dire combien d'entre elles se devaient d'être présentes, mais ces termes pouvaient en principe être également interprétés en ce sens qu'il s'agissait de termes génériques, comme l'avait considéré de manière pertinente la Cour d'appel dans son approche. Celle-ci n'a toutefois pas suffisamment tenu compte du fait qu'à travers l'expression "at the opposed ends of the device", il avait été fixé une caractéristique en ce sens que des brides de fixation devaient être montées aux extrémités opposées du dispositif et que ces brides de fixation devaient nécessairement être au nombre de deux, comme l'avaient estimé les tribunaux anglais et néerlandais. Les extrémités opposées du dispositif ne pouvaient pour cette raison être comprises autrement que littéralement.
Certes, une compréhension littérale des revendications du brevet ne permettait pas de saisir l'objet de la protection du brevet, mais celui-ci ne pouvait, d'un autre côté, être élargi par la généralisation des moyens concrètement prévus pour résoudre le problème et indiqués dans la revendication. Une revendication de brevet rédigée dans un sens plus restreint ne pouvait être interprétée au regard d'une description rédigée dans un sens plus large. La revendication du brevet l'emportait bien plus sur la description. Ce qui n'était pas indiqué dans les revendications du brevet ne pouvait tomber sous l'étendue de la protection du brevet. L'art. 69 (1), phrase CBE exigeait, certes, la prise en considération de la description et des dessins pour interpréter les revendications du brevet, mais leur prise en considération ne devait conduire ni à une extension du sens ni à une restriction physique de l'objet défini par le sens des termes de la revendication du brevet. En cas de contradictions entre les revendications et la description du brevet, les éléments constitutifs de la description qui n'avaient pas trouvé écho dans la revendication n'étaient en principe pas couverts par l'étendue de la protection du brevet. La description ne devait par conséquent être prise en considération que si elle se lisait comme une explication de l'objet revendiqué par le brevet. Si la description divulguait plusieurs possibilités quant à la manière de procéder pour obtenir un effet technique donné et si la revendication du brevet ne faisait état que d'une seule de ces possibilités, l'utilisation d'une des possibilités restantes ne constituait pas, en règle générale, une contrefaçon du brevet par moyens équivalents.
L'arrêt de la Cour d'appel a par conséquent été annulé.
VI. QUESTIONS INSTITUTIONNELLES
1. Caractère juridictionnel des chambres de recours de l'OEB
DE Allemagne
Cour administrative d'appel de Munich du 20 novembre 2006 (5 BV 05.1586) - Rejet des moyens invoqués tardivement / Téléviseur
Mot-clé : questions institutionnelles – nature juridique des chambres de recours
Le plaignant s'était adressé à la Cour administrative d'appel pour contester une décision d'une chambre de recours de l'OEB, par laquelle avait été révoqué un brevet délivré dans un premier temps. Il a fait valoir que la décision de la chambre de recours de rejeter ses requêtes subsidiaires comme tardives avait été rendue en violation des exigences inconditionnelles auxquelles devait satisfaire une procédure juridictionnelle en vertu de la Loi fondamentale allemande et, entre autres, en violation de son droit d'être entendu.
La Cour a souligné que les voies contentieuses administratives ne sont pas ouvertes en cas de recours directement dirigés contre des actes de juridictions supranationales. Notamment en ce qui concerne les décisions des chambres de recours, il s'agit de décisions juridictionnelles qui ne relèvent pas de la compétence des juridictions administratives.
Pour justifier que les décisions des chambres de recours sont des actes émanant de juridictions, la Cour a indiqué que la procédure de recours, en vertu des articles 106 et suivant CBE, contre des décisions de la division d'opposition est une procédure indépendante entièrement séparée de la procédure de première instance, avec pour objectif que soit rendue une décision juridictionnelle sur la justesse d'une décision antérieure, strictement distincte, de l'organe de première instance. La procédure de recours est soumise aux exigences de l'Etat de droit, les principes généraux régissant les procédures juridictionnelles s'appliquant. La Cour a aussi souligné l'indépendance matérielle et personnelle des membres des chambres de recours, qui, en principe, ne peuvent pas être relevés de leurs fonctions (articles 21 et 23 CBE). En outre, ils ne peuvent appartenir aux organes de l'OEB qui ont pris la décision contestée en première instance. Enfin, les membres des chambres de recours peuvent être récusés par toute partie à la procédure en vertu de l'art. 24(3) CBE, notamment s'ils sont soupçonnés de partialité.
Certes, les chambres de recours font partie de l'OEB et se servent de l'entête de l'OEB (cf. art. 15f) et g) CBE). Elles sont toutefois suffisamment séparées des autres organes de l'OEB qui agissent en première instance (art. 15a) à e) CBE), non seulement du fait des règles de procédure évoquées, mais aussi sur le plan de leur organisation, grâce à leur propre Praesidium prévu à la règle 10 CBE 1973 (règle 12 CBE). En tant qu'instance autonome au sein de l'unité organisationnelle comprenant les chambres de recours, le Praesidium arrête le règlement de procédure des chambres de recours et – en composition élargie comprenant tous les présidents des chambres de recours – répartit les affaires selon des critères matériels et personnels avant le début de chaque année d'activité. Ceci garantit aussi la séparation des fonctions exécutives et juridictionnelles sur le plan organisationnel.
DE Allemagne
Cour constitutionnelle fédérale du 27 avril 2010 (2 BvR 1848/07) - Machine automatique à couper le bois
Mot-clé : recours constitutionnel contre plusieurs décisions des chambres de recours de l'OEB
La requérante, une personne morale de droit privé italien, avait obtenu de l'OEB un brevet avec effet pour la République fédérale d'Allemagne. L'OEB avait rejeté l'opposition à la délivrance du brevet formée par une entreprise concurrente italienne. Contre cette décision, la concurrente avait introduit un recours. La chambre de recours avait révoqué le brevet, tout en soulignant qu'aucune des parties n'avait demandé la tenue d'une procédure orale et que la chambre n'estimait pas nécessaire d'en fixer une, d'autant plus que les parties avaient eu l'occasion de prendre position. Devant la Cour constitutionnelle fédérale, la requérante s'est ensuite plainte de la démarche procédurale de la chambre de recours ; la requérante avait été atteinte dans son droit d'être entendue, équivalant à un droit fondamental, étant donné que la chambre de recours aurait dû lui donner la possibilité d'exposer son point de vue juridique dans le cadre d'une procédure orale. De plus, la requérante s'estimait atteinte dans son droit fondamental au titre de l'art. 19(4) Loi fondamentale allemande, du fait que la décision de la chambre de recours ne pouvait être contestée devant une autre instance.
La Cour a d'abord souligné que la décision d'une chambre de recours entre dans la catégorie des actes juridiques qui peuvent, en principe, être contestés par le biais d'un recours constitutionnel. Le principe selon lequel les actes relevant de la souveraineté supranationale peuvent être attaqués par un recours constitutionnel, qui a d'abord été établi à propos des actes émanant des organes de la Communauté européenne et relevant du droit communautaire dérivé (arrêt "Maastricht"), avait par la suite été explicitement étendu, en se fondant sur une interprétation fonctionnelle des pouvoirs publics, aux actes juridiques de l'Organisation européenne des brevets, une organisation intergouvernementale au sens de l'art. 24(1) Loi fondamentale allemande. Il s'agissait en effet d'une organisation ayant la personnalité juridique et dotée d'un statut autonome de droit public international, l'exercice de certains pouvoirs souverains étant délégué à l'OEB.
Mais il y a aussi une autre condition, qui est que l'acte juridique concrètement mis en cause soit de nature supranationale, c'est-à-dire qu'il ait de iure un effet direct sur la position juridique de la personne visée. C'est alors seulement qu'on est en présence d'un acte juridique qui "concerne" le détenteur de droits fondamentaux en Allemagne au sens de la jurisprudence fondée sur "Maastricht". En ce qui concerne la décision de la chambre de recours, il s'agit effectivement d'un tel acte juridique ayant un effet supranational :
Avec la délivrance du brevet européen, la requérante était titulaire d'un droit propriété industrielle, avec tous les droits et avantages économiques conférés (voir les articles 2(2) et 64(1) CBE). Suite à la décision de la chambre de recours, la requérante ne détenait plus, en République fédérale d'Allemagne, de droit de protection équivalent à un brevet allemand. Il s'ensuit que la décision de recours entreprise produit des effets juridiques directs dans l'ordre juridique allemand. Toutefois, le présent recours constitutionnel ne satisfait pas aux exigences en matière de motivation qui s'appliquent aux recours constitutionnels contre des actes de souveraineté supranationale : d'après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les recours constitutionnels contre des actes de souveraineté supranationale sont d'emblée irrecevables s'il n'est pas invoqué dans les motifs que la protection des droits fondamentaux, assurée de manière inconditionnelle par la Loi fondamentale allemande, n'est plus garantie dans le cadre de l'organisation mise en cause.
En l'espèce, la requérante avait seulement déclaré de manière générale qu'il n'existait pas, dans le cadre de l'Organisation européenne des brevets, de standard adéquat en matière de droits fondamentaux relatifs à la procédure, étant donné qu'il n'existait pas de voie de recours devant la Cour européenne de justice ni de déclarations des organes de l'Organisation en faveur de la protection des droits fondamentaux. Selon la Cour, cela ne saurait suffire à étayer l'affirmation selon laquelle le niveau de protection des droits fondamentaux était insuffisant au sein de l'Organisation. La requérante aurait dû, au contraire, se pencher plus en détail sur les deux voies de recours ouvertes au sein de l'Organisation et sur les dispositions procédurales y afférentes, de même que sur la jurisprudence des chambres de recours. Sans une telle analyse, il est impossible de conclure de manière circonstanciée à l'existence d'un déficit en matière de protection des droits fondamentaux ; et cela d'autant moins que la Cour constitutionnelle fédérale a déjà constaté plusieurs fois que le système juridique instauré par la CBE, avec ses voies de recours, satisfait pour l'essentiel aux exigences de la Loi fondamentale allemande, compte tenu de l'indépendance des membres des chambres de recours et des standards minimum qu'elles ont développés par leur jurisprudence en matière de procédure.
2. Prise en compte des décisions de l'OEB et des tribunaux nationaux
DE Allemagne
Cour fédérale de justice du 15 avril 2010 (Xa ZB 10/09) - Profileuse à rouleaux
Mot-clé : prise en compte de la jurisprudence de l'OEB - violation du droit d'être entendu
Il était invoqué dans le pourvoi devant la Cour fédérale de justice que le Tribunal fédéral allemand des brevets aurait ignoré l'argument de l'intimé selon lequel la division d'opposition de l'OEB avait, sur la base du même exposé des faits, maintenu le brevet européen avec certaines revendications identiques à celles du modèle d'utilité en cause, et que le Tribunal aurait ainsi porté atteinte au droit de l'intimé d'être entendu.
La Cour fédérale de justice a décidé que les tribunaux allemands doivent tenir compte des décisions rendues par les instances de l'OEB et par les tribunaux des autres Etats parties à la CBE, dans la mesure où elles concernent essentiellement la même problématique, et le cas échéant, ils doivent se pencher attentivement sur les motifs ayant conduit à un résultat divergent dans la décision antérieure. Lorsqu'il s'agit de points de droit, cela s'applique également, par exemple, à la question de savoir si l'objet d'un droit de protection découlait de façon évidente de l'état de la technique. Toutefois, le non-respect de cette obligation ne porte pas atteinte dans tous les cas au droit d'être entendu de la partie concernée.
En l'espèce, le Tribunal fédéral des brevets n'avait pas à explicitement examiner, dans les motifs de la décision contestée, l'appréciation de la division d'opposition de l'OEB, pour respecter le droit de l'intimé d'être entendu, pour la bonne raison que celui-ci n'avait ni produit la décision de la division d'opposition, ni exposé en détail les considérations sur lesquelles s'appuyait cette décision.
Note de la rédaction : voir texte intégral de la décision traduit dans les langues officielles de l'OEB, JO OEB 2010, 622. Sur la question de l'autorité des décisions des chambres de recours, voir par exemple, dans le présent recueil, également les décisions suivantes : Cour d'Appel de Barcelone (Audiencia Provincial) du 18 octobre 2007 (ES) ; Tribunal de grande instance de Paris du 9 janvier 2008 (FR) ; Tribunal de grande instance de Paris du 28 septembre 2010 (FR) ; Cour d'appel du 8 octobre 2008 (GB) ; Chambre de recours de l'Office norvégien des brevets du 7 janvier 2010 (NO) ; Tribunal des brevets du 12 octobre 2007 (GB).
3. Sursis à statuer
DE Allemagne
Tribunal fédéral des brevets du 20 octobre 2006 (3 Ni 7/06 (EU)) - Torasemide
Mot-clé : procédures parallèles - procédure d'opposition à l'OEB - action en nullité - admissibilité - principe de subsidiarité
Le brevet européen portait sur une "nouvelle modification N de la structure cristalline du torasémide" et avait été limité à la demande du titulaire, par décision de l'Office allemand des brevets et des marques, avec effet pour l'Allemagne. Plusieurs oppositions ont été formées devant l'OEB contre le brevet en cause, notamment par la demanderesse de l'action en nullité. La procédure d'opposition est encore en cours devant la division d'opposition de l'OEB. Par son action en nullité, la demanderesse fait valoir que le champ de protection du brevet européen aurait été étendu de façon non admissible dans la procédure (nationale) en limitation du brevet. Elle estime que l'action en nullité est recevable, nonobstant § 81(2) Loi allemande sur les brevets, étant donné qu'elle se fonde sur une cause de nullité qui n'est pas en même temps un motif d'opposition en vertu de l'art. 100 CBE. En effet, selon § 81(2) Loi allemande sur les brevets, une action en nullité ne peut être engagée tant que court le délai d'opposition ou – comme en l'espèce – tant qu'une procédure d'opposition est en cours contre le brevet en cause (principe de subsidiarité).
Le Tribunal fédéral des brevets a rejeté l'action comme irrecevable, au motif que § 81(2) Loi allemande sur les brevets s'applique aussi aux actions en nullité dirigées contre des brevets européens qui se fondent sur l'extension inadmissible du champ de protection du brevet contesté, alors que cette cause de nullité n'est pas également un motif d'opposition en vertu de l'art. 100 CBE. Ceci résulte du libellé de la disposition pertinente, qui ne fait pas de distinction entre les procédures d'opposition devant l'Office allemand des brevets et devant l'OEB, et s'appuie sur la doctrine dominante. En outre, l'exclusion de la procédure en nullité tant que la procédure d'opposition est en cours s'applique de façon générale, sans ouvrir de marge d'appréciation ou de pouvoir discrétionnaire ni prévoir d'exceptions quelconques au principe de subsidiarité ancré dans l'article en question.
Contrairement à l'opinion de la demanderesse, le caractère subsidiaire de la procédure en nullité a pour but d'exclure en général qu'une décision d'annulation totale ou partielle d'un brevet soit rendue, alors qu'il n'est pas encore établi si le brevet sera maintenu en procédure d'opposition et, le cas échéant, dans quelle version. La finalité du § 81(2) Loi allemande sur les brevets est d'éviter les décisions parallèles à propos du maintien du brevet, indépendamment du fondement juridique sur la base duquel il est attaqué, tout en déchargeant le Tribunal fédéral des brevets d'une lourde procédure en nullité. Si la procédure d'opposition n'est pas encore clôturée par une décision inattaquable et qu'une procédure parallèle en nullité est en cours, il manque dans cette procédure parallèle la base qui permet de déterminer si et avec quel contenu le brevet en cause est maintenu. Le but de la disposition en question est justement d'éviter le déroulement d'une procédure en nullité dans une telle "situation de flottement".
GB Royaume-Uni
Cour d'appel du 31 janvier 2008 - Glaxo c. Genentech et Biogen [2008] EWCA Civ 23
Mot-clé : procédures parallèles – procédure d'opposition à l'OEB – sursis à statuer
Les défendeurs Genentech & Biogen ont fait appel d'une décision du Tribunal des brevets, qui avait rejeté une demande de sursis à statuer dans la procédure en nullité engagée par le demandeur, Glaxo, concernant la désignation UK du brevet européen appartenant aux défendeurs et portant sur une deuxième application thérapeutique. Le demandeur avait d'abord formé une opposition à l'OEB, puis avait entamé une procédure en nullité au Royaume-Uni. En appel, les défendeurs ont soutenu que le fait d'engager deux actions contre le même défendeur pour le même motif et dans le même but relevait, à première vue, de la tracasserie et constituait un abus de procédure. Il y avait là un fort indice en faveur d'une suspension de procédure jusqu'à clôture de la procédure devant l'OEB.
La Cour d'appel a rejeté l'appel :
Toute discussion sur le pouvoir inhérent des tribunaux anglais de suspendre leurs procédures devait commencer par l'examen des termes de l'art. 49(3) Loi britannique de 1981 concernant la Cour Suprême, qui assurait la reconnaissance et la sauvegarde de ce pouvoir. Cet article garantissait le pouvoir inhérent de toute juridiction de surseoir à statuer "là où elle jugeait convenable de le faire", que ce fût d'office ou à la demande de quiconque. Il s'agissait là du plus large pouvoir discrétionnaire possible d'une juridiction.
La Cour d'appel ne devait pas interférer sur l'exercice de ce très large pouvoir discrétionnaire, à moins d'être en présence d'une erreur de droit ou que, pour quelqu'autre raison, la décision fût complètement erronée.
L'approche des juridictions dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire était simple. Il convenait de peser toutes les circonstances pertinentes pour assurer une justice équitable dans chaque cas d'espèce.
La structure et le libellé de la CBE jouaient un rôle contextuel dans l'exercice du pouvoir des tribunaux nationaux de surseoir à statuer. La situation était différente par rapport au point de départ dans les litiges commerciaux, dans lesquels une seule juridiction était censée avoir compétence pour régler le problème en question. Cet aspect du forum conveniens (choix du tribunal le plus approprié) impliquait une présomption générale ou une tendance en faveur du sursis à statuer dans l'une des voies procédurales choisies.
Les milieux d'affaires avait besoin de savoir à quoi s'en tenir. Le demandeur avait un véritable intérêt commercial à faire annuler le brevet. Le juge avait estimé que tout retard dans la décision sur la validité du brevet causerait un réel préjudice au demandeur.
Le juge du Tribunal des brevets avait correctement évalué les facteurs pour et contre le sursis à statuer et était en droit de conclure que la balance de la justice penchait en faveur du rejet de la demande faite par les défendeurs de surseoir à statuer dans l'action en nullité engagée par le demandeur.
La Cour a aussi fourni des conseils généraux à propos du pouvoir discrétionnaire du Tribunal des brevets de surseoir à statuer au motif qu'une procédure parallèle est en cours devant l'OEB :
- le pouvoir discrétionnaire, qui est effectivement très étendu, doit être exercé en vue d'une justice équitable entre les parties, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes du cas particulier.
- Il s'agit du pouvoir discrétionnaire du Tribunal des brevets et non pas de la Cour d'appel.
- Bien que ni la CBE, ni la Loi britannique de 1977 sur les brevets ne contiennent de dispositions explicites concernant le sursis à statuer automatique ou dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, elles fournissent le contexte et les conditions d'exercice de ce pouvoir.
- L'éventualité d'une duplication des procédures permettant de contester la validité du brevet européen est inhérente à la CBE. Les tribunaux nationaux exercent une juridiction exclusive en matière de contrefaçon et sont en concurrence avec l'OEB pour ce qui est de leur compétence à statuer sur les questions de validité.
- Cette situation montre que l'un des facteurs qui influencent l'exercice du pouvoir discrétionnaire aura généralement plus de poids que les autres. Il s'agit du temps que peuvent mettre les procédures respectives à trancher avec certitude la question de la validité du brevet, de sorte que les milieux d'affaire sachent à quoi s'en tenir.
- Rien ne justifie que le Tribunal des brevets applique une présomption que la duplication des procédures juridiques est à elle seule une raison suffisante pour suspendre la procédure en cours devant ce Tribunal.
- Le juge du Tribunal des brevets est habilité à refuser de surseoir à statuer lorsque, comme en l'espèce, les milieux commerciaux pourraient obtenir une certitude juridique beaucoup plus vite devant la juridiction anglaise que devant l'OEB.
- Il convient d'accorder beaucoup d'importance aux allégations d'un acteur commercial, partie à la procédure, qui affirme avoir une bonne raison de s'opposer au sursis à statuer, alors que la méfiance est de rigueur quand le concurrent prétend qu'il est nécessaire de suspendre la procédure.
- D'autres considérations peuvent influencer la balance de la justice, mais elles sont généralement moins importantes que de parvenir plus tôt à une situation fiable au plan commercial. L'exercice concret du pouvoir discrétionnaire n'exige pas du juge qu'il rende un jugement abordant dans le détail tous les arguments des parties.
GB Royaume Uni
Cour d'appel du 25 avril 2007 - Unilin Beheer BV c. Berry Floor NV, Information Management Consultancy Ltd [2007] EWCA Civ 364
Mot clé : procédures parallèles – autorité de la chose jugée – doctrine de l'estoppel – dommages-intérêts de contrefaçon
Le brevet européen de la société Unilin, portant sur des revêtements de plancher, avait été délivré sur la base d'une demande divisionnaire visée à l'art. 76 CBE. Unilin avait engagé un procès en contrefaçon contre Berry Floor au Royaume-Uni. Parallèlement, en mars 2003, la société mère de Berry Floor avait introduit devant l'OEB une opposition contre le brevet d'Unilin. Dans la procédure nationale en contrefaçon, le juge Fysh, siégeant au Tribunal des brevets, avait estimé que la partie britannique du brevet était valide et contrefaite par Berry. Il avait accordé à Unilin une indemnisation financière du préjudice de contrefaçon, mais avait estimé que l'autorité de la chose jugée ne s'étendait pas aux dommages-intérêts et à la prise en compte de bénéfices et que Berry n'était pas empêchée par voie d'estoppel de contester les revendications d'Unilin à cet égard. Cependant, le juge Fysh avait refusé de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de surseoir à statuer en raison de la procédure en cours à l'OEB. Les deux parties avaient fait appel de son jugement.
La Cour d'appel n'a pas partagé l'avis de l'instance précédente sur la question de l'estoppel. Lord Justice Jacob a estimé que le jugement en matière de réparation avait force de chose jugée et constituait bel et bien une exception d'irrecevabilité fondée sur la doctrine de l'estoppel, quelle que soit l'issue finale devant l'OEB. Si l'OEB révoquait ultérieurement le brevet, toute injonction serait caduque de ce fait, mais ceci n'affecterait pas le droit du titulaire du brevet aux dommages et intérêts obtenus précédemment. Si le brevet était révoqué, la route serait dégagée ; s'il était maintenu et considéré comme contrefait, alors des indemnités seraient exigibles en réparation des actes passés.
La Cour d'appel a aussi traité de questions portant sur les interrelations entre les juridictions nationales et l'OEB. Lord Justice Jacob a dit qu'il n'était pas judicieux de se demander si c'était le tribunal national ou l'OEB qui devait avoir "le dessus" dans la procédure parallèle en contrefaçon. Selon lui, tout dépend des circonstances, comme le montrent les deux scénarios suivants :
(i) Le brevet fait encore l'objet d'une procédure d'opposition quand une juridiction nationale reconnaît sa validité, puis il est révoqué par l'OEB – l'OEB a "le dessus" ;
(ii) L'OEB considère le brevet comme valable, mais ensuite une juridiction nationale l'annule (une décision de l'OEB sur la validité ne constitue pas une exception d'irrecevabilité en vertu de la doctrine de l'estoppel, voir Buehler c. Chronos [1998] RPC 703) – ici la juridiction nationale a "le dessus".
Concernant les effets que la révocation d'un brevet européen pourrait avoir sur la procédure nationale en contrefaçon (y compris sur les demandes reconventionnelles en nullité), Lord Justice Jacob a fait mention de la jurisprudence antérieure relative à l'autorité de la chose jugée et a étendu ce principe à la partie britannique des brevets européens. Il a estimé qu'il était impossible de détecter dans la Loi britannique sur les brevets de 1977 la moindre intention de prévoir qu'une décision définitive et contraignante rendue par une juridiction britannique soit considérée comme seulement provisoire. Il n'était pas d'avis qu'un compromis bancal avait été obtenu dans la CBE selon lequel toute décision définitive d'une juridiction nationale rejetant une action en nullité devait être considérée comme simplement provisoire. Le compromis était, au contraire, de permettre à un titulaire de brevet d'engager une action en contrefaçon et aux tiers d'attaquer un brevet national devant une juridiction nationale à compter de la délivrance du brevet. Si les Etats parties avaient voulu dire que le résultat, lorsqu'il était favorable au titulaire, était seulement provisoire, la CBE l'aurait certainement dit explicitement. De plus, en cas de résultat inverse, c'est-à-dire si le brevet était annulé par une juridiction nationale, le résultat n'était certainement pas provisoire ; une décision ultérieure de l'OEB en procédure d'opposition maintenant le brevet ne le rétablirait pas dans l'Etat partie concerné.