CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Grande Chambre de recours
Décision de la Grande Chambre de recours en date du 19 février 2010 - G 2/08
(Traduction)
COMPOSITION DE LA CHAMBRE :
Président :
P. Messerli
Membres :
J.-P. Seitz, P. Alting van Geusau, B. Günzel, U. Kinkeldey, S. Nathanael, B. Schachenmann
Requérant/Demandeur :
Abbott Respiratory LLC
Référence :
Posologie/ABBOTT RESPIRATORY
Dispositions juridiques pertinentes :
Article 53c), 54(4), 54(5) CBE
Dispositions juridiques pertinentes (CBE 1973) :
Convention de Vienne sur le droit des traités :
Article 31, 32
Mot-clé :
"Saisine recevable (oui) - Droit applicable - Règles d'interprétation de la CBE en tant que traité international - Domaines exclus au titre de l'article 53c) CBE et autorisés au titre de l'article 54(4) et (5) CBE) - Intention du législateur - Notion de nouveauté théorique au titre de l'article 54(4) et (5) CBE - Sens de l'expression "toute utilisation spécifique" employée à l'article 54(5) CBE - Effet technique d'une utilisation spécifique - Abolition des revendications dites de type suisse - Délai accordé aux demandeurs pour se conformer à cette nouvelle situation"
Sommaire :
Il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :
Question 1 :lorsque l'utilisation d'un médicament pour traiter une maladie est déjà connue, l'article 54(5) CBE n'exclut pas que ce médicament soit breveté pour son utilisation dans un traitement thérapeutique différent de la même maladie.
Question 2 :la délivrance d'un brevet ne doit pas non plus être exclue lorsque l'unique caractéristique revendiquée qui n'est pas comprise dans l'état de la technique est une posologie.
Question 3 :lorsque l'objet d'une revendication devient nouveau par le seul fait d'une nouvelle utilisation thérapeutique d'un médicament, ladite revendication ne peut plus prendre la forme d'une revendication dite "de type suisse", telle qu'instituée par la décision G 6/83.
Un délai de trois mois à compter de la publication de la présente décision au Journal official de l'Office européen des brevets est fixé pour permettre aux futurs demandeurs de se conformer à la nouvelle situation.
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n° 94 306 847.8, initialement déposée par la société Kos Life Sciences, Inc. (devenue Abbott Respiratory LLC), a été rejetée par décision de la division d'examen en date du 25 septembre 2003, au motif que l'invention qui en faisait l'objet n'était pas nouvelle au titre de l'article 54(1) et (2) CBE 1973, et qu'elle ne satisfaisait pas aux conditions de l'article 52(4) CBE 1973.
Cette décision a été rendue sur la base de la revendication 1 qui s'énonce comme suit :
"1. Utilisation de l'acide nicotinique, ou d'un composé métabolisé par l'organisme en acide nicotinique et choisi parmi l'hexanicotinate de d-glucitol, le nicotinate d'aluminium, le nicéritrol, le nicotinate de d,1-alpha-tocophérol et le tartrate d'alcool nicotinylique, pour produire un médicament à effet retard destiné au traitement de l'hyperlipidémie, par voie orale une fois par jour avant le coucher, caractérisée en ce que le médicament ne comprend pas en mélange, 5 à 30% d'hydroxypropylméthylcellulose, 2 à 15% d'un liant pharmaceutique hydrosoluble, 2 à 20% d'un composant hydrophobe et 30 à 90% d'acide nicotinique" (caractères gras ajoutés).
Comme il est indiqué dans la décision attaquée, la division d'examen a estimé que la nouveauté de l'objet de la revendication 1 était détruite par la divulgation de documents antérieurs, lesquels envisageaient l'utilisation de l'acide nicotinique pour produire un médicament à effet retard servant à traiter l'hyperlipidémie par voie orale.
À cet égard, la première instance s'est référée notamment aux décisions T 317/95 et T 584/97 et a conclu que la caractéristique de la revendication 1 portant sur une posologie donnée, c'est-à-dire "une fois par jour avant le coucher", constituait une activité médicale exclue de la brevetabilité au titre de l'article 52(4) CBE 1973 et ne pouvait pas être considérée comme représentant une deuxième indication thérapeutique susceptible d'être source de nouveauté (points 27 et 28 des motifs).
I.1 Le demandeur a formé un recours contre cette décision et a défendu sa demande devant la chambre de recours sur la base de la même revendication 1.
I.1.1 Etant donné que la demande était en instance le 13 décembre 2007, date de l'entrée en vigueur de la CBE 2000, et qu'il n'avait pas encore été statué sur la délivrance du brevet, la chambre de recours, dans sa décision en date du 22 avril 2008, a estimé qu'en vertu des articles premier et 3 de la décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000, la demande en cause tombait sous le régime des articles 53c) et 54(4) et (5) CBE 2000, et non plus sous celui des articles 52(4) et 54(5) CBE 1973 en vigueur au moment où la division d'examen avait rendu sa décision.
I.1.2 La chambre de recours a conclu que la question de savoir si des médicaments destinés à une utilisation dans des méthodes de traitement thérapeutique, où la seule nouveauté réside dans la posologie, sont brevetables au titre des articles 53c) et 54(5) CBE 2000, constituait une question de droit importante (décision T 1319/04, JO OEB 2009, 36). Les questions suivantes ont été soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
(1) Lorsque l'utilisation d'un médicament particulier pour traiter une maladie particulière est déjà connue, ce médicament connu peut-il être breveté, en vertu des dispositions des articles 53c) et 54(5) CBE 2000, pour son utilisation dans un traitement thérapeutique différent, nouveau et inventif de la même maladie ?
(2) S'il est répondu par l'affirmative à la question 1, un brevet peut-il être délivré lorsque l'unique caractéristique nouvelle du traitement réside dans une posologie nouvelle et inventive ?
(3) Faut-il tenir compte de critères particuliers pour interpréter et appliquer les articles 53c) et 54(5) CBE 2000 ?
I.2 Par des notifications en date du 20 et du 23 mai 2008, la Grande Chambre de recours a invité la Présidente de l'OEB ainsi que le requérant à présenter par écrit leurs observations sur les questions de droit qui lui étaient soumises par la chambre de recours technique. En vertu de l'article 10(2) de son règlement de procédure, la Grande Chambre a décidé en outre de publier dans le Journal officiel de l'OEB des dispositions plus détaillées concernant les observations des tiers relatives auxdites questions de droit.
II. Les déclarations du requérant peuvent être résumées comme suit :
II.1 L'article 53c) CBE 2000, qui exclut de la brevetabilité les méthodes de traitement thérapeutique, constitue une exception au principe général selon lequel des brevets peuvent être délivrés dans tous les domaines technologiques. Cette exception doit donc être interprétée de manière restrictive. Ce principe a été appliqué dans la jurisprudence des chambres de recours.
II.2 L'Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), auquel ont adhéré la quasi-totalité des États parties à la Convention sur le brevet européen, dispose lui aussi, en son article 27(1), qu'un brevet pourra être obtenu pour toute invention, dans tous les domaines technologiques, et, en son article 27(3) que les États membres pourront aussi exclure de la brevetabilité les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux.
Par conséquent, pour assurer la conformité avec l'article 27(1) de l'Accord sur les ADPIC, avec lequel la version révisée de la CBE a dû être alignée, les exclusions de la brevetabilité prévues par l'article 53c) CBE 2000 doivent être interprétées de manière restrictive.
II.3 Cela est également conforme à la Convention de Vienne sur le droit des traités selon laquelle un traité doit avant tout être interprété de bonne foi. La Grande Chambre de recours avait déjà accepté d'appliquer les dispositions de cette Convention dans l'affaire G 6/83.
II.4 En ce qui concerne le nouvel article 54(4) et (5) CBE 2000, l'intention des auteurs de la version révisée de la CBE était "d'ancrer dans la Convention la jurisprudence développée par la Grande Chambre de recours de l'OEB […] la proposition de base a[yant] pour but de maintenir inchangée la situation juridique actuelle à propos des indications médicales." (cf. Travaux préparatoires, MR/24/00, point 139). En admettant expressément, dans sa décision G 6/83, des revendications ayant pour objet l'application d'une substance ou d'une composition pour obtenir un médicament destiné à une utilisation thérapeutique déterminée, nouvelle et comportant un caractère inventif, la Grande Chambre de recours a admis la brevetabilité de la deuxième utilisation thérapeutique et des utilisations thérapeutiques ultérieures d'un médicament connu au sens le plus général.
II.5 La jurisprudence des chambres de recours a appliqué ce principe en autorisant non seulement les revendications ayant pour objet le traitement d'une maladie différente, mais aussi les revendications dont la nouveauté découle d'un mode d'administration, d'une application à un autre groupe de patients ou d'une nouvelle posologie. (cf. par exemple T 51/93 ; T 19/86 ; T 143/94 ; T 1020/03).
La décision T 1020/03, en particulier, fournit une analyse détaillée et convaincante de la décision G 6/83. Il y est conclu que la condition d'une "utilisation déterminée", imposée par la Grande Chambre de recours pour admettre une deuxième application médicale, visait à '"établir une distinction avec une thérapie indéterminée autorisée dans une revendication relative à une première application médicale, et non à imposer des conditions particulières qu'une application médicale ultérieure devrait remplir."
Les arguments de la décision T 1020/03 sont également conformes aux conclusions de la Grande Chambre de recours dans la décision G 2/88, en particulier au point 10.3 de ses motifs selon lequel, "dans le cas d'une revendication portant sur une nouvelle utilisation d'un composé connu, cette nouvelle utilisation peut correspondre à l'obtention d'un effet technique qui vient d'être découvert et qui est décrit dans le brevet" et qui précise qu'"il convient alors de considérer l'obtention de cet effet technique comme étant une caractéristique technique fonctionnelle indiquée dans la revendication".
II.6 Le requérant a résumé comme suit ses arguments concernant les deux premières questions :
- conformément à la décision G 6/83, des traitements thérapeutiques déterminés, nouveaux et inventifs de la même maladie sont brevetables en vertu de la CBE 1973 même lorsque la caractéristique nouvelle réside dans une nouvelle posologie ;
- conformément aux dispositions de la CBE 2000, un traitement thérapeutique différent, nouveau et inventif de la même maladie est brevetable même lorsque l'unique caractéristique nouvelle de ce traitement réside dans une nouvelle posologie ;
- l'intention des auteurs de la version révisée de la CBE (CBE 2000) était d'ancrer la décision G 6/83 dans la CBE ;
- aucune intention d'exclure les traitements thérapeutiques en question ne ressort des travaux préparatoires de la CBE 2000, même lorsque l'unique caractéristique nouvelle du traitement réside dans une nouvelle posologie ;
- selon la Convention de Vienne et l'Accord sur les ADPIC, les utilisations en question sont brevetables ;
- suivant le raisonnement de la décision T 1020/03, qui vaut également sous le régime de la CBE 2000, des traitements thérapeutiques déterminés, nouveaux et inventifs de la même maladie sont brevetables ;
- l'intérêt général exige que les utilisations en question soient brevetables et il n'y a aucune raison valable qu'il en soit autrement.
II.7 Au vu de ce qui précède, le requérant a conclu qu'il devait être répondu par l'affirmative aux deux premières questions soumises à la Grande Chambre.
II.8 En ce qui concerne la question 3, le requérant a déclaré que, comme il était indiqué dans la décision G 6/83, "le but poursuivi par l'article 52(4) CBE (devenu l'article 53c) CBE 2000) est d'exclure des restrictions résultant de la brevetabilité les activités non commerciales et non industrielles dans le domaine de la médecine humaine et vétérinaire" et que cette exclusion ne saurait "déborder sa finalité". Bien que l'OEB n'ait aucune compétence en matière d'exécution de droits conférés par des brevets, le requérant a invité la Grande Chambre de recours à tenir compte du fait que, conformément à l'article 30 de l'Accord sur les ADPIC, il appartient aux États contractants de prévoir des exceptions aux droits exclusifs conférés par un brevet. Le requérant a estimé qu'il n'était pas nécessaire de répondre à la question 3.
II.9 En réponse à une notification de la Grande Chambre de recours, le requérant a ensuite présenté, par lettre du 22 octobre 2009, une nouvelle requête principale et deux requêtes subsidiaires.
III. Dans ses observations, la Présidente de l'OEB a, pour l'essentiel, présenté les arguments suivants :
III.1 En vertu de l'article 53c) CBE 2000, des brevets européens ne sauraient être délivrés pour des méthodes de traitement thérapeutique ou chirurgical du corps humain ou animal, ni pour des méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. Des brevets peuvent toutefois être délivrés pour des médicaments utilisés dans la mise en œuvre de telles méthodes.
Pour compenser cette exclusion, la CBE 1973 prévoyait déjà que des substances et des compositions connues pouvaient néanmoins être brevetées en tant que telles pour leur première utilisation nouvelle et inventive dans la mise en œuvre de l'une desdites méthodes. En revanche, la CBE 1973 ne contenait aucune disposition expresse autorisant les revendications de produit limitées à un usage déterminé pour une deuxième application médicale ou toute application médicale ultérieure de substances ou de compositions connues, déjà utilisées comme médicaments.
III.2 Le nouvel article 54(5) CBE autorise expressément les revendications de produit limitées à un usage déterminé pour autant que l'utilisation nouvelle et inventive de la substance ou de la composition déjà connue comme médicament soit spécifique. Toutefois, la CBE ne donne de cette condition de spécificité aucune définition précise qui pourrait englober aussi bien une nouvelle maladie à traiter qu'une maladie ayant déjà fait l'objet d'une demande antérieure, auquel cas la nouveauté de l'utilisation pourrait découler d'une autre caractéristique distinctive (par exemple du groupe de sujets à traiter ou du mode d'administration de la substance).
III.3 Selon les travaux préparatoires en vue de la révision de la Convention, qui, conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités, peuvent être pris en considération, le législateur avait bel et bien l'intention de mettre un terme à l'insécurité juridique qui planait sur la brevetabilité des applications thérapeutiques ultérieures d'un médicament connu et, ce faisant, de permettre sans équivoque la protection de telles applications au moyen de revendications de produit limitées à un usage déterminé.
À cet effet, il convenait d'ancrer dans la Convention la jurisprudence développée par la Grande Chambre de recours afin de maintenir inchangée la situation juridique en vigueur concernant les indications médicales. Par conséquent, rien n'indique que le législateur avait l'intention de modifier la pratique de l'OEB concernant la deuxième indication médicale brevetable telle qu'elle avait été établie jusqu'alors par la jurisprudence des chambres de recours.
III.4 Dans la décision G 6/83, la Grande Chambre de recours a examiné cette question ainsi que celle relative à la forme appropriée des revendications et a expressément reconnu la brevetabilité de toute indication médicale ultérieure déterminée d'une substance ou composition connue, pour autant que la revendication prenne la forme d'une revendication d'application en vue d'obtenir un médicament destiné au traitement de la nouvelle indication et non d'une revendication de produit limitée à un usage déterminé, cette dernière forme n'étant autorisée que pour la première indication médicale d'une substance en vertu de l'article 54(5) CBE 1973. Alors que la nouveauté de la première indication médicale d'une substance ou composition connue doit découler précisément de cette première utilisation médicale, la nouveauté d'une revendication portant sur un procédé qui fait l'objet d'une revendication dite "de type suisse", doit, par analogie, découler de la nouvelle application thérapeutique et non du procédé de fabrication du médicament destiné au nouveau traitement thérapeutique.
Ce concept de nouveauté théorique ne saurait être transposé. Il ne s'applique qu'aux revendications portant sur l'utilisation d'une substance ou composition dans l'une des méthodes visées à l'article 52(4) CBE 1973.
III.5 À l'époque, la Grande Chambre de recours n'a pas précisément défini ce que pouvait englober le terme "utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif." En réalité, toutes les affaires qui avaient alors fait l'objet de saisines portaient sur le traitement de maladies différentes à l'aide de substances ou compositions déjà connues pour une première indication médicale.
III.6 En application des principes exposés ci-dessus, les chambres de recours ont estimé que la décision G 6/83 n'excluait pas qu'une deuxième indication médicale puisse également découler de caractéristiques distinctives autres que le traitement d'une maladie différente. Elles ont ainsi étendu le concept développé par la Grande Chambre aux cas où un médicament connu était utilisé pour le traitement de la même maladie.
À cet égard, il a été fait référence à une série de décisions pertinentes portant principalement sur de nouveaux groupes de sujets traités, de nouveaux modes ou de nouvelles voies d'administration d'une substance connue ou encore de nouveaux effets techniques dans l'organisme du patient.
III.7 En résumé, les chambres de recours n'ont pas contesté, au titre de l'ancienne loi, le fait que le concept de nouveauté théorique, institué par la décision G 6/83, pouvait également s'appliquer dans des cas où l'utilisation nouvelle et inventive d'une substance connue visait à traiter une même maladie, cette approche ayant jusqu'alors été adoptée par d'autres instances de l'OEB.
III.8 Dans la CBE 2000, le libellé de l'article 54(5) permet de maintenir cette pratique établie.
En interprétant de manière restrictive l'intention du législateur d'ancrer dans la CBE la jurisprudence de la Grande Chambre de recours, il serait tout à fait envisageable de donner une réponse négative à la première question, étant donné que toutes les saisines pertinentes portaient sur des revendications ayant pour objet une maladie différente. Cela étant, les auteurs de la version révisée de la CBE ont également exprimé leur volonté de maintenir le statut quo en ce qui concerne les indications médicales, alors qu'ils devaient avoir connaissance de la jurisprudence des chambres de recours lorsqu'ils ont rédigé le nouveau texte.
L'interprétation que les chambres de recours ont donnée de l'exigence d'"utilisation thérapeutique déterminée, nouvelle et comportant un caractère inventif" conformément à la CBE 1973 peut s'appliquer au critère d'"utilisation spécifique" désormais imposé par l'article 54(5) CBE 2000. On peut donc affirmer que ces deux expressions font ressortir la distinction qui existe par rapport à l'utilisation générale, laquelle peut être admise dans une revendication portant sur une première indication médicale.
Au vu de ces considérations, la Présidente a estimé qu'une réponse affirmative pouvait être donnée à la première question. Elle a également émis le souhait que la Grande Chambre de recours fasse usage de la présente saisine pour délimiter l'exception prévue à l'article 53c) CBE 2000 par rapport à la brevetabilité dans le domaine technologique concerné.
III.9 En ce qui concerne la deuxième question, la Présidente a fait valoir que, si le terme "posologie", quelle que soit la signification qui lui est attribuée selon les circonstances, est exclu de la définition d'"utilisation spécifique", cela revient à donner à cette dernière un sens restrictif.
Toutefois, il ne semble y avoir aucune jurisprudence établie au titre de la CBE 1973 concernant la brevetabilité de revendications de type suisse qui ont pour objet une deuxième indication médicale et dans lesquelles l'unique caractéristique distinctive est une posologie.
III.9.1 Certaines chambres ont estimé qu'une telle caractéristique ne relevait que de la compétence du médecin, dont les activités ne sauraient être entravées. Dans d'autres décisions, il a été estimé qu'une simple posologie ne saurait constituer une caractéristique distinctive conférant un caractère de nouveauté à une revendication dans laquelle le médicament utilisé, son mode d'application et le groupe de patients concernés sont tous divulgués dans l'état de la technique.
III.9.2 Il a également été fait référence à l'avis favorable émis dans la décision T 1020/03 et au raisonnement qui a donné lieu à la conclusion selon laquelle une revendication de type suisse peut être admise "quel que soit le degré de précision avec lequel l'application thérapeutique est exposée".
La Présidente a constaté en outre que dans la décision T 1020/03, la chambre de recours avait également estimé que "pour qu'une application soit considérée comme nouvelle, elle doit se limiter à ce qui est nouveau et ne pas avoir simplement pour objet l'utilisation d'un mécanisme ou d'un effet physiologique/pharmacologique qui était à la base d'une application thérapeutique antérieure, mais n'avait pas été identifié en tant que tel."
III.9.3 La Présidente a ensuite renvoyé à la jurisprudence des tribunaux nationaux et, en particulier, aux décisions suivantes :
1. la décision du 21 mai 2008 de la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles, dans l'affaire Actavis UK Limited v Merck & Co. Inc. [EWCA Civ 444, points 28 et s. des motifs],
2. la décision du 19 décembre 2006 de la Cour de justice fédérale allemande [BGH], X ZR 236/01 "Carvedilol II".
III.9.4 Sous le régime de la CBE 2000, il est possible d'appliquer les motifs exposés dans la décision T 1020/03 ; une revendication de produit limitée à un usage déterminé est comparable à une revendication de type suisse et permet donc d'éviter tout conflit avec l'interdiction prévue à l'article 53c) CBE 2000.
En ce qui concerne l'exigence d'"utilisation spécifique", l'expression "utilisation spécifique" (au même titre que l'expression "utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif" employée dans la décision G 6/83) peut couvrir, comme le fait valoir la décision T 1020/03, les indications médicales qui ne se différencient des utilisations antérieures que par la posologie.
III.10 En ce qui concerne la question 3, la Présidente estime notamment que toute interprétation des dispositions de la CBE qui aurait pour effet de rendre complètement ou même partiellement obsolète l'article 53c) CBE serait contraire non seulement à l'intention du législateur, mais aussi aux considérations d'ordre politique qui ont conduit à la décision de maintenir cette disposition sur le fond.
IV. De nombreuses observations ont été présentées par des tiers (amicus curiae) en réponse à l'invitation de la Grande Chambre. Les principaux points soulevés sont les suivants :
IV.1 Concernant la question 1 :
- Une majorité a estimé qu'il conviendrait de répondre à cette question par l'affirmative, car le libellé de l'article 54(5) CBE est clair et ne suggère aucunement qu'un traitement distinct devrait être réservé à certaines utilisations spécifiques, surtout si l'on considère, d'une part, que l'article 53c) CBE énonce une exception à la brevetabilité qui doit être interprétée de manière restrictive et, d'autre part, que l'intention du législateur était manifestement de confirmer la jurisprudence développée par la Grande Chambre de recours dans la décision G 6/83, jurisprudence qui, de toute évidence, ne visait pas à limiter la deuxième indication d'un médicament connu au traitement d'une maladie différente.
- Certains ont été d'avis que la décision G 6/83 devait être interprétée de manière restrictive, de sorte qu'une nouvelle indication d'un médicament connu doive obligatoirement résider dans le traitement d'une maladie autre que celle précédemment traitée par ce médicament connu, et que, par conséquent, il convenait de répondre par la négative à la question 1.
IV.2 Concernant la question 2 :
- Une majorité a estimé qu'une nouvelle posologie d'un médicament connu pouvait constituer une "utilisation spécifique", en s'appuyant notamment sur la jurisprudence faisant suite à la décision G 6/83 (par exemple : la décision T 1020/03).
- Certains ont été d'avis que la tâche consistant à déterminer la posologie adéquate d'un médicament incombait exclusivement au médecin dont la liberté doit l'emporter sur tout droit de propriété, surtout si l'on considère que l'article 53c) CBE vise précisément à garantir cette liberté.
- Un tiers a également attiré l'attention de la Grande Chambre sur le fait qu'une revendication de produit limitée à un usage déterminé, désormais expressément admise par la CBE 2000, conférerait probablement une protection plus large qu'une revendication dite de type suisse et que cela pourrait entraver la liberté du médecin, sauf à maintenir l'obligation de revendiquer une nouvelle posologie au moyen d'une revendication de type suisse. Il y aurait donc lieu de préserver cette dernière catégorie de revendication.
V. Dans une notification, la Grande Chambre de recours a informé le requérant, en tant qu'unique partie à la présente procédure, des questions qu'elle souhaitait aborder au cours de la procédure orale.
Celle-ci a eu lieu le 5 novembre 2009. À l'issue du débat et avant sa clôture, le requérant a demandé qu'une réponse affirmative soit donnée aux deux premières questions soumises à la Grande Chambre et une réponse négative à la troisième. Il a demandé en outre que ses requêtes principale et subsidiaires, présentées le 22 octobre 2009, soient admises dans la procédure. Le Président a ensuite clos le débat et a annoncé que la décision serait rendue par écrit.
Motifs de la décision
1. Recevabilité de la saisine
La Grande Chambre de recours estime que les questions soumises soulèvent des questions de droit d'importance fondamentale.
1.1 Bien que la chambre de recours à l'origine de la saisine ait déjà décidé que la revendication 1 en cause impliquait une activité inventive, ce qui suppose normalement que son objet est également nouveau, la saisine est recevable. La reconnaissance de la nouveauté pouvant dépendre en définitive des réponses données aux questions soumises, la Grande Chambre interprète cette conclusion uniquement comme signifiant que la posologie décrite dans la revendication n'était pas antériorisée sur le plan factuel.
Il est donc considéré que les réponses aux questions soumises sont décisives pour l'issue de l'affaire faisant l'objet du recours et que la saisine répond aux conditions énoncées à l'article 112(1)a) CBE.
1.2 La saisine est recevable.
2. Droit applicable
La demande en cause a été déposée le 19 septembre 1994 et elle est encore en instance. Aussi, conformément à l'article premier, paragraphes (1) et (3) de la décision du Conseil d'administration du 28 juin 2001 relative aux dispositions transitoires au titre de l'article 7 de l'acte de révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000 (Édition spéciale n°1 JO OEB 2007, 197), la version révisée des articles 53c) et 54(4) et (5) CBE s'applique à ladite demande, puisqu'elle était en instance le 13 décembre 2007 lors de l'entrée en vigueur de la CBE 2000.
3. Interprétation de la première question de la saisine
3.1 La question s'énonce comme suit : "lorsque l'utilisation d'un médicament particulier pour traiter une maladie particulière est déjà connue, ce médicament connu peut-il être breveté, en vertu des dispositions des articles 53c) et 54(5) CBE 2000, pour son utilisation dans un traitement thérapeutique différent, nouveau et inventif de la même maladie ?" (caractères gras ajoutés).
Toutefois, sous le titre "Exceptions à la brevetabilité", l'article 53c) CBE dispose notamment que des brevets européens ne sont pas délivrés pour les "méthodes de traitement […] thérapeutique du corps humain" (caractères gras ajoutés) et que "cette disposition ne s'appliqu[e] pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d'une de ces méthodes" (c'est-à-dire aux produits nouveaux en tant que tels).
Logiquement, l'article 54(4) et (5) CBE, sous le titre "Nouveauté", réaffirme cette exception expresse en ce qui concerne les substances ou compositions déjà connues en tant que telles (c'est-à-dire comprises dans l'état de la technique), sous réserve que la deuxième utilisation ou toute utilisation ultérieure dans l'une des méthodes visées soit spécifique.
3.2 Aussi, comme il a été indiqué plus haut au point 1.1, les questions importantes à traiter sont celle de l'interprétation conjointe à donner aux dispositions de l'article 53c) et de l'article 54(4) et (5) CBE ainsi que celle de savoir s'il est nécessaire de concilier ces dispositions.
4. Règles d'interprétation du droit international
4.1 À cet égard, la CBE doit être interprétée conformément aux principes énoncés dans la Convention de Vienne sur le droit des traités conclue le 23 mai 1969 (ci-après, la "Convention de Vienne"), bien que l'Organisation européenne des brevets n'y soit pas partie. Dans la décision G 6/83 (points 1 à 6 des motifs), la Grande Chambre a déjà reconnu l'applicabilité desdits principes.
Les articles pertinents de la Convention de Vienne (articles 31 et 32) s'énoncent comme suit :
Article 31 - Règle générale d'interprétation
1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité ;
b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions ;
b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité ;
c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s'il est établi que telle était l'intention des parties.
Article 32 - Moyens complémentaires d'interprétation
Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 :
a) laisse le sens ambigu ou obscur ; ou
b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.
4.2 Il ressort de la lecture conjointe de ces deux articles que les dispositions d'un traité (en l'occurrence la CBE) doivent, dans un premier temps, être interprétées suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes dans leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. Le juge ne saurait donc s'écarter des dispositions claires de la loi, ce principe étant lié à l'exigence de bonne foi.
Par ailleurs, il peut être déduit de l'article 32 de la Convention de Vienne que les travaux préparatoires sont avant tout à prendre en considération pour confirmer un sens ou pour déterminer un sens lorsque la première interprétation suivant le sens ordinaire conduirait à une ambiguïté ou à un résultat absurde.
4.3 Il est renvoyé, à cet égard, à la décision G 1/07 de la Grande Chambre de recours, en date du 15 février 2010 (point 3.1 des motifs), dans laquelle ces questions ont été examinées en détail.
5. Identification des modifications des dispositions de la CBE
5.1 Sous le titre "Inventions brevetables", l'article 52(4) CBE 1973 disposait notamment ce qui suit :
"Ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d'application industrielle […] les méthodes de traitement […] thérapeutique du corps humain ou animal […]".
5.2 Dans l'avis G 1/04, en date du 16 décembre 2005 (JO OEB 2006, 334), concernant une question de droit soumise par le Président de l'OEB, la Grande Chambre de recours a examiné la raison d'être de la disposition précitée (points 3 et 4 des motifs).
La Grande Chambre de recours a estimé qu'il ressortait de l'article 52 CBE 1973, à la lumière de son contexte, que les méthodes de diagnostic (et donc, par analogie, les méthodes thérapeutiques) appliquées au corps humain ou animal, qui sont mentionnées à l'article 52(4) CBE 1973, étaient des inventions au sens de l'article 52(1) CBE 1973 et, par conséquent, également au sens de l'article 57 CBE 1973, inventions qui, toutefois, par le biais d'une fiction légale, n'étaient pas considérées comme susceptibles d'application industrielle. La Grande Chambre de recours a ensuite faite valoir qu'une telle interprétation était corroborée par les travaux préparatoires de la CBE 1973 (procès-verbal de la Conférence Diplomatique de Munich, procès-verbal des travaux de la Commission principale I, document M/PR/I, point 24).
L'article 52(4) CBE 1973 avait pour objet de limiter le concept d'application industrielle dans le domaine du traitement médical de l'homme ou de l'animal et devait donc être considéré comme une lex specialis ayant priorité sur l'article 57 CBE 1973, référence étant faite au point 3.5 des motifs de la décision T 116/85 (JO OEB 1989, 13).
5.3 Cependant, à cette époque, la Grande Chambre de recours savait que la version révisée de la CBE entrerait bientôt en vigueur, et elle a précisé que, bien que le législateur ait choisi la fiction légale du défaut d'application industrielle, l'exclusion de la brevetabilité des méthodes mentionnées ci-dessus, en vertu de l'article 52(4) CBE 1973, paraissait plutôt être fondée sur des considérations socioéthiques et sur des considérations relatives à la santé publique.
En fait, les praticiens en médecine humaine et vétérinaire devaient être libres de prendre toutes les mesures jugées appropriées pour prévenir ou traiter une maladie sans être entravés par l'existence de brevets.
Dans son avis G 1/04, la Grande Chambre de recours n'a pas, à cet égard, expressément renvoyé à la décision G 6/83, même si la raison d'être de l'article 52(4) CBE 1973 avait déjà été traitée au point 22 des motifs de cette décision : "Ainsi que l'a constaté à bon droit [la Cour Fédérale de Justice allemande], le but poursuivi par l'article 52(4) de la CBE [1973] est d'exclure des restrictions résultant de la brevetabilité les activités non commerciales et non industrielles dans le domaine de la médecine".
5.4 En application de l'article premier, points 17 et 18 de l'Acte portant révision de la CBE (cf. Édition spéciale n° 4, JO OEB 2001, 3), l'article 53c) CBE sous le titre "Exceptions à la brevetabilité" prévoit notamment que les brevets européens ne sont pas délivrés pour les méthodes de traitement thérapeutique du corps humain, et l'ancien article 52(4) CBE 1973 a été supprimé sans être remplacé.
Au point 6 des explications relatives aux "dispositions transitoires" (également publiées dans l'édition spéciale n°4, JO OEB 2001, 134), il est indiqué que le transfert des anciennes dispositions de l'article 52(4) CBE 1973 dans le nouvel article 53c) CBE 2000 "est de nature purement rédactionnelle" et "ne modifie pas sur le fond la situation juridique actuelle".
5.5 Dans son avis G 1/04 (fin du point 10), la Grande Chambre de recours a énoncé que cette modification avait été motivée par le constat que les méthodes en cause étaient exclues de la brevetabilité pour des raisons de santé publique et que, par conséquent, il n'était plus justifié de fonder l'exception sur le défaut d'application industrielle.
Les documents préparatoires CA/PL 8/99, CA/PL PV 9, points 32 à 34, CA/PL PV 14, points 152 et 157 à 158, CA/100/00, pages 41 et 42, MR/2/00, pages 45 et 46 et MR/24/00, page 71 font apparaître les motivations qui ont incité le législateur à apporter les modifications en question. Cela est résumé comme suit dans l'édition spéciale n°4, JO OEB 2007, 50 :
"2. L'exclusion des méthodes de traitement et de diagnostic qui figurait dans l'article 52(4) CBE 1973 a été ajoutée aux deux exclusions de la brevetabilité qui figurent déjà dans l'article 53a) et b) CBE. Ces méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique constituent bien des inventions mais ont été jusqu'ici exclues de la brevetabilité par la fiction du défaut d'application industrielle. Il n'est pas souhaitable de maintenir une telle fiction dans la mesure où les méthodes de traitement et de diagnostic sont en réalité exclues de la brevetabilité pour des raisons de santé publique. Il est donc préférable d'inclure ces inventions dans les exclusions à la brevetabilité afin de regrouper dans l'article 53a), b) et c) CBE les trois catégories d'exclusions à la brevetabilité.
La possibilité offerte par l'article 27(3)a) de l'Accord sur les ADPIC d'"exclure de la brevetabilité les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux" incite également à transférer l'article 52(4) CBE 1973 dans un nouvel article 53c) CBE, afin d'aligner la CBE sur l'Accord sur les ADPIC."
5.6 Ainsi, bien que le principe général selon lequel le corps humain est exclu de la sphère commerciale reste valable, cela n'implique pas nécessairement que les méthodes de traitement thérapeutique du corps humain ne sont pas, en tant que telles, susceptibles d'application industrielle.
Or, lesdites méthodes demeurent exclues de la brevetabilité si bien que toute revendication de procédé comportant ne serait-ce qu'une seule étape relevant par nature d'un traitement thérapeutique est inadmissible. Telle est la jurisprudence constante des chambres de recours (cf. par exemple T 82/93, JO OEB 1996, 274 ; T 820/92, JO OEB 1995, 113 ; T 182/90, JO OEB 1994, 641).
À ce propos, il est de nouveau renvoyé à la décision G 1/07 de la Grande Chambre de recours (loc.cit., points 3.2 et s. des motifs), dans laquelle cette question est abordée en détail.
5.7 Les dispositions de l'article 53c) CBE sont claires et sans ambiguïté. Elles opèrent une distinction entre les revendications de procédé portant sur un traitement thérapeutique, qui sont inadmissibles, et les revendications portant sur un produit utilisé pour la mise en œuvre de tels procédés, qui sont quant à elles admissibles.
Si la Grande Chambre étendait les domaines d'interdiction ou d'autorisation expresse, elle dépasserait manifestement les limites de son pouvoir d'interprétation. De fait, les notions de méthode de traitement thérapeutique, d'une part, et de produit utilisé pour la mise en œuvre d'une telle méthode, d'autre part, sont si proches qu'il existe un risque considérable de confusion si chacune d'elles n'est pas limitée à son propre champ d'application, tel qu'attribué par la loi. Aussi serait-il abusif de considérer l'article 53c), deuxième phrase CBE, comme une lex specialis devant être interprétée de manière restrictive. Au contraire, il convient d'accorder aux deux dispositions la même importance et de conclure de manière générale que, pour ce qui est des revendications portant sur un traitement thérapeutique, les revendications de procédé sont formellement interdites, afin que les médecins puissent agir librement, tandis que les revendications de produit sont admissibles pour autant que leur objet soit nouveau et inventif.
5.8 En ce qui concerne le nouvel article 54(4) CBE, qui correspond à l'ancien article 54(5) CBE 1973, aucune modification fondamentale n'était envisagée. Les dispositions de cet article visent la première indication médicale d'une substance ou composition déjà connue en tant que telle.
En d'autres termes, soit un produit utilisé pour la mise en œuvre d'une méthode selon l'article 53c) CBE est nouveau en tant que tel et peut faire l'objet d'une revendication de produit en vertu de la deuxième phrase dudit article, soit un produit (une substance ou une composition) est déjà connu en tant que tel, mais peut néanmoins bénéficier d'une protection par brevet pour autant que, conformément à l'article 54(4) CBE, il n'a pas encore été utilisé pour la mise en œuvre d'une méthode au titre de l'article 53c), première phrase CBE.
La première indication médicale d'une substance ou composition connue fait habituellement l'objet de revendications générales de large portée prenant la forme de revendications de produit limitées à un usage déterminé (use-related product claim ; Zweckgebundener Stoffanspruch).
Ces principes demeurent inchangés et l'on ne saurait remettre en cause la portée de l'ancien article 54(5) CBE 1973 ou de l'actuel article 54(4) CBE dont le libellé est identique (à quelques modifications rédactionnelles près).
5.9 Alors que la CBE 1973 restait muette à ce sujet, l'article 54(5) CBE autorise désormais expressément la brevetabilité ultérieure de substances ou compositions déjà connues comme médicaments, à condition que leur utilisation pour la mise en œuvre d'une méthode visée à l'article 53c) CBE soit spécifique et ne soit pas comprise dans l'état de la technique.
Ainsi, le vide juridique qui existait auparavant et qui a été comblé par voie prétorienne dans la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours et dans la jurisprudence fondée sur cette décision, n'existe plus.
5.9.1 Toutefois, l'article 54(5) CBE ne définit pas la nature de l'utilisation thérapeutique ultérieure d'une substance ou composition déjà connue comme médicament qui pourrait être protégée en vertu de ses dispositions. Cet article se borne à indiquer que cette utilisation doit être spécifique. Il ne précise pas notamment dans quelle mesure la nouvelle utilisation doit être distincte pour satisfaire à ce critère de spécificité. Au contraire, il dispose que "toute" utilisation spécifique non comprise dans l'état de la technique est brevetable.
Il semble que cette exigence puisse être interprétée de deux manières, à savoir :
- soit par simple opposition à la protection générale de large portée conférée par l'article 54(4) CBE pour la première application thérapeutique d'une substance ou composition connue, qui n'est alors, en principe, pas limitée à une indication particulière. En pareil cas, la deuxième utilisation ou toute utilisation ultérieure revendiquée ne doit pas nécessairement résider dans le traitement d'une maladie différente ;
- soit en considérant que l'article 53c) CBE énonce une interdiction générale, que les dispositions de l'article 54(5) CBE n'ont que le statut de lex specialis et qu'elles doivent être interprétées de manière restrictive de telle sorte que seule une maladie qui n'a pas encore été traitée par la substance ou composition connue puisse constituer une utilisation spécifique au sens dudit article.
5.9.1.1 L'une des premières raisons pour lesquelles il convient de ne pas adopter une interprétation restrictive de ces dispositions pertinentes est que cette Chambre, comme toute instance judiciaire, n'est pas habilitée, sous prétexte d'interpréter la loi, à établir de sa propre initiative une distinction là où la lettre de la loi, dûment interprétée à la lumière de son contexte, n'en fait aucune (ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus). Vu sous cet angle, le fait d'interpréter l'expression "toute utilisation spécifique" comme désignant nécessairement le traitement d'une maladie différente reviendrait à introduire arbitrairement une distinction que la loi n'établit pas dans l'article 54(5) CBE, où il est fait référence à "toute utilisation spécifique" dans une méthode thérapeutique (caractères gras ajoutés).
Il serait contraire au principe de bonne foi posé par l'article 31(1) de la Convention de Vienne d'attribuer à l'expression "toute utilisation spécifique" un sens restrictif différent de son sens ordinaire.
5.9.1.2 Une deuxième raison pour laquelle il y a lieu de ne pas adopter une interprétation dite restrictive de l'article 54(5) CBE est qu'aucune disposition de la Convention de Vienne ne préconise l'application d'un tel principe.
En outre, il n'y aurait aucune raison d'appliquer ce principe dans la présente saisine étant donné les dispositions figurant à la fin de l'article 53c) ainsi que dans l'article 54(4) et (5) CBE ne constituent pas des exceptions à l'interdiction absolue de breveter des méthodes thérapeutiques, mais, au contraire, des dispositions juridiques de même rang visant à autoriser en principe la protection par brevet de produits, substances ou compositions utilisés pour la mise en œuvre de méthodes thérapeutiques. Une interprétation contraire de l'article 54(5) CBE limiterait de manière excessive la portée de cette nouvelle disposition, ce qui ne refléterait pas correctement l'intention réelle du législateur et serait incompatible avec l'interprétation donnée jusqu'à présent aux articles 52(4), deuxième phrase et 54(5) CBE 1973.
5.9.2 À un stade précoce des travaux préparatoires relatifs à la révision de la CBE (cf. en particulier le document CA/PL 7/99, points 19 et 24 à 26), il avait été envisagé de supprimer les articles 52(4) et 54(5) CBE 1973, devenus respectivement les articles 53c) et 54(4) CBE. L'objectif aurait été d'autoriser la brevetabilité des méthodes médicales visées à l'article 52(4) CBE 1973, à condition que l'invention revendiquée résolve un problème technique. Par ailleurs, si le paragraphe 5 de l'article 54 CBE 1973 avait été supprimé, les substances et compositions revendiquées en tant que telles auraient été soumises aux exigences de nouveauté habituelles énoncées aux paragraphes 1 à 3 de ladite disposition, même pour une première indication thérapeutique, la première indication thérapeutique et les indications suivantes de la même substance ou composition étant brevetables à condition de prendre la forme de revendications d'utilisation.
Cette proposition a toutefois été rapidement rejetée (cf. CA/110/99, page 1, point 1, n° 5), et il a plutôt été envisagé d'améliorer la protection d'inventions portant sur la première et la deuxième indication médicale, telles que définies dans l'article 53c), première phrase CBE, de substances ou compositions connues (cf. aussi CA/110/99, page 2, point 2, n°19).
5.9.2.1 Ce rappel historique illustre clairement l'intention du législateur, qui a estimé que les deux notions d'exclusion de la brevetabilité des méthodes thérapeutiques, d'une part, et de protection des produits destinés à être utilisés dans de telles méthodes, d'autre part, devaient être placées sur un pied d'égalité et ne pouvaient donc être dissociées ou confondues.
Par conséquent, du fait même que ces dispositions sont complémentaires, aucune ne doit être considérée comme une exception.
5.9.2.2 En définitive, la version révisée de la CBE a préservé la distinction entre la première indication thérapeutique et les indications thérapeutiques suivantes d'une substance ou composition connue, distinction qui se retrouve dans la formulation différente des articles 54(4) et 54(5) CBE.
Il apparait donc, sans aucun doute possible, que les auteurs de la révision n'avaient pas l'intention de prévoir uniquement un champ de protection équivalent, limité à un usage déterminé, aussi bien pour la première indication thérapeutique que pour toute indication thérapeutique ultérieure d'une substance ou composition connue.
5.10 La première question pourrait en fait être reformulée comme suit : une nouvelle indication, susceptible d'être brevetée, d'un médicament connu en tant que tel, est-elle nécessairement limitée à une maladie qui n'a pas encore été traitée par ledit médicament ?
5.10.1 Une réponse négative a généralement, mais pas unanimement, été donnée à cette question par les chambres de recours au titre de l'ancienne loi (CBE 1973), lorsque l'invention faisait l'objet d'une revendication dite de type suisse, telle qu'approuvée par la Grande Chambre de recours dans sa décision G 6/83. Cette décision de la Grande Chambre avait comblé un vide juridique en autorisant les revendications portant sur une deuxième indication thérapeutique d'un produit connu, mais omettait de préciser si une telle indication pourrait résider ailleurs que dans le traitement d'une maladie différente.
5.10.2 Dans la nouvelle loi (CBE 2000), le vide juridique qui existait auparavant et qui avait été comblé par voie prétorienne dans la décision G 6/83 de la Grande Chambre de recours et dans la jurisprudence y faisant suite, n'existe plus. L'article 54(5) CBE permet désormais de protéger par brevet une substance ou composition connue pour "toute utilisation spécifique" dudit produit dans une méthode thérapeutique, à condition que cette utilisation ne soit pas comprise dans l'état de la technique et implique une activité inventive.
5.10.3 La Grande Chambre conclut qu'il n'y a qu'une manière raisonnable d'interpréter l'exigence d'utilisation spécifique, à savoir par simple opposition à la protection générale de large portée conférée par la première utilisation médicale revendiquée d'une substance ou composition qui, en principe, n'est pas limitée à une indication particulière. Ainsi, la nouvelle utilisation au sens de l'article 54(5) CBE ne doit pas nécessairement résider dans le traitement d'une maladie différente.
5.10.4 Cette conclusion est corroborée par les travaux préparatoires, qui témoignent normalement de l'intention du législateur et constituent un moyen complémentaire d'interprétation des dispositions juridiques s'agissant tout au moins de leur raison d'être.
Dans la proposition de base pour le texte révisé de l'article 54 CBE, plus précisément dans les remarques correspondantes soumises par la délégation suisse (MR/18/00, point 2), il a été expliqué, en référence à la décision G 6/83, ce qui suit : "appelée à se prononcer sur la brevetabilité des applications thérapeutiques ultérieures conformément à la CBE (1973), malgré le libellé de l'article 54(5) CBE (1973), qui semblait limiter la brevetabilité à la première application thérapeutique, la Grande Chambre de recours a jugé que la notion de nouveauté définie à l'article 54(5) CBE 1973 s'étendait à toute application thérapeutique ultérieure dans le cas de la revendication de type suisse (à savoir une revendication qui porte sur l'utilisation d'une substance ou composition dans la fabrication d'un médicament pour une application thérapeutique déterminée nouvelle et inventive").
Dans le document CA/PV 81 f, point 86, la délégation suisse avait déjà expliqué le raisonnement qui avait conduit à l'élaboration du texte présenté dans sa proposition (adopté en fin de compte par la Conférence diplomatique pour devenir l'article 54(5) CBE) :
"... Il s'agit simplement [pour la délégation suisse] d'ancrer dans la CBE la jurisprudence en vigueur concernant la première indication thérapeutique ainsi que la deuxième et toutes les indications ultérieures, dans un souci de clarté et de sécurité juridique : une protection large pour la première indication thérapeutique et une protection relative à des "applications spécifiques" lorsqu'elles ne correspondent pas à l'état de la technique, pour la deuxième indication thérapeutique et toutes les indications suivantes. Actuellement, la CBE ne prévoit pour ce dernier point aucune base juridique. La proposition de l'OEB est problématique en ce sens qu'il n'est rien dit sur l'étendue de la protection. Il en résulterait un amalgame entre la première et la deuxième indication thérapeutique ainsi que toutes les indications thérapeutiques ultérieures. Cela impliquerait également un changement dans la jurisprudence. Pour éviter que les tribunaux n'accordent une protection étroite à la première indication thérapeutique et une protection large à la deuxième, il faut prévoir une réglementation claire. L'élément décisif du paragraphe 5 de la proposition suisse est que la protection relative à l'"application spécifique" n'est conférée que si cette application n'est pas encore comprise dans l'état de la technique. Le but ainsi poursuivi est de conférer une protection étroite à la deuxième indication thérapeutique et une protection large à la première. Il est vrai que le terme "brevetabilité" se rapporte à l'article 52 et l'expression "application spécifique" à l'article 69 de la CBE, et qu'ils n'ont dès lors aucun rapport direct avec la nouveauté, mais il conviendrait aussi de ne pas surcharger ces deux articles en y introduisant le concept de la deuxième indication thérapeutique."
Cette intention clairement exprimée a également été confirmée comme suit dans les remarques explicatives (MR/18/00, point 4) :
"Le nouvel article 54(5) CBE met un terme à I'insécurité juridique qui plane sur la brevetabilité des applications thérapeutiques ultérieures. II permet sans équivoque d'obtenir pour toute nouvelle application thérapeutique ultérieure d'une substance ou composition déjà connue comme médicament la protection conférée aux produits destinés à un usage déterminé. Pour ce qui est des applications ultérieures, cette protection équivaut à celle conférée par la revendication de type suisse. À la différence de I'ancien article 54(5) CBE (article 54(4) dans le texte révisé), qui conférait une vaste protection à I'inventeur de la première utilisation d'une substance ou composition dans une méthode médicale, le nouvel article 54(5) limite cette protection à une utilisation spécifique. Le but de cette restriction est d'offrir une étendue de protection qui soit le plus possible égale à celle conférée par une revendication de type suisse."
Il ressort aussi clairement du rapport de la conférence, en particulier du document MR/24/00, page 71, point 139, que l'intention effective du législateur était la suivante : "en ce qui concerne la "deuxième indication médicale" et toutes les indications suivantes, il conviendrait d'ancrer dans la Convention la jurisprudence développée par la Grande Chambre de recours de l'OEB. Pour des raisons de transparence et de sécurité juridique, la proposition de base (à savoir, la proposition suisse) a pour but de maintenir inchangée la situation juridique actuelle à propos des indications médicales." Dans ce document, il est également indiqué que "la nouvelle réglementation souhaitée [à savoir, le texte adopté] correspond à un souhait que les utilisateurs ont émis depuis longtemps afin que soit comblé le vide juridique existant en ce qui concerne la deuxième indication médicale et les indications suivantes."
5.10.5 La Grande Chambre de recours ne saurait déduire du point 21 des motifs de la décision G 6/83 que ladite réglementation devait être limitée à une nouvelle indication au sens d'une nouvelle maladie.
Cela vaut également en ce qui concerne le point 23 des motifs, repris au point 2 du dispositif de la décision G 6/83. Ces deux points font référence à une "utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif", ce qui ne signifie pas nécessairement qu'une nouvelle indication est limitée à une "nouvelle maladie".
5.10.6 Cette interprétation est également reflétée dans la jurisprudence des chambres de recours faisant suite à la décision G 6/83. De l'avis de la Grande Chambre de recours, il n'y a donc aucune raison de limiter l'intention du législateur "d'ancrer dans la Convention la jurisprudence développée par la Grande Chambre de recours de l'OEB" (cf. point 5.10.4) au seul enseignement de la décision G 6/83. Au contraire, il est raisonnable de considérer que le législateur avait connaissance de la jurisprudence ultérieure et souhaitait en tenir compte. Cela conforte par ailleurs le sens de l'expression "jurisprudence développée".
5.10.7 Sous le régime de la CBE 1973, une jurisprudence bien établie avait déjà reconnu la brevetabilité de substances et compositions connues de l'état de la technique pour le traitement thérapeutique d'une maladie déterminée, même si elles portaient sur le traitement de la même maladie, pour autant que ce traitement soit nouveau et inventif.
On se reportera, par exemple, aux décisions suivantes, pour n'en citer que quelques unes :
(A) T 19/86, JO OEB 1989, 24
T 893/90 du 22 juillet 1993,
T 233/96 du 4 mai 2000,
s'agissant du traitement d'un nouveau groupe de sujets ;
(B) T 51/93 du 8 juin 1994,
T 138/95 du 12 octobre 1999,
s'agissant d'une nouvelle voie ou d'un nouveau mode d'administration ;
(C) T 290/86, JO OEB 1992, 414,
s'agissant d'un effet technique différent qui donne lieu à une application entièrement nouvelle au sens de la décision T 1020/03 (JO OEB 2007, 204).
5.10.8 La Grande Chambre de recours conclut que, puisque le législateur souhaitait maintenir le statut quo en ce qui concerne la brevetabilité d'utilisations thérapeutiques ultérieures et n'envisageait donc aucun changement à cet égard en raison de l'introduction de l'actuel article 54(5) CBE, les principes établis par la jurisprudence précitée restent valables.
5.10.9 Par conséquent, la première phrase de l'article 53c) CBE, qui interdit la protection par brevet des méthodes de traitement thérapeutique, doit être interprétée conjointement avec les dispositions de la deuxième phrase du même article ainsi que de l'article 54(4) et (5) CBE. Loin de s'exclure mutuellement, ces dispositions sont complémentaires.
En vertu d'une fiction juridique, l'article 54(4) et (5) CBE reconnaît la nouveauté de substances ou de compositions, même si elles sont déjà comprises en tant que telles dans l'état de la technique, pour autant qu'elles soient revendiquées pour une nouvelle utilisation dans une méthode exclue de la brevetabilité par l'article 53c) CBE.
En pareils cas, la nouveauté théorique et donc, le cas échéant, l'activité inventive ne découlent pas de la substance ou de la composition en tant que telle, mais du but associé à la substance ou à la composition revendiquée, en d'autres termes de l'utilisation thérapeutique envisagée.
Une telle utilisation peut être soit une nouvelle indication au sens strict (à savoir une maladie qui n'a pas encore été traitée par la substance ou la composition revendiquée), soit une ou plusieurs étapes relevant par nature d'une méthode thérapeutique qui ne peut être revendiquée en tant que telle.
L'article 54(5) CBE fait cependant référence à "toute utilisation spécifique" (caractères gras ajoutés). Compte tenu de cette formulation et de l'intention du législateur de maintenir le statut quo en matière de protection par brevet tel qu'il découle de la jurisprudence des chambres de recours qui s'est développée avec la décision G 6/83, la Grande Chambre de recours estime qu'une telle utilisation ne saurait être limitée d'office à une nouvelle indication au sens strict.
C'est donc à juste titre que la décision T 1020/03 (JO OEB 2007, 204, point 36 des motifs) a indiqué que "la situation est parfaitement claire : soit une méthode d'application d'une composition ne constitue pas un traitement thérapeutique et ne tombe donc pas sous le coup de l'article 52(4), première phrase CBE [1973], auquel cas elle est brevetable dès lors qu'elle satisfait aux autres exigences de la CBE, soit la méthode représente un traitement thérapeutique et tombe par conséquent sous le coup de l'article 52(4), première phrase CBE [1973], auquel cas elle n'est pas brevetable en elle-même. Toutefois, l'utilisation d'une composition pour élaborer un médicament destiné à être employé dans le cadre d'un tel traitement thérapeutique est brevetable pour une thérapie non déterminée, dans le cadre d'une première indication médicale, ou pour une thérapie déterminée, dans le cadre d'une indication médicale supplémentaire, à condition là encore de satisfaire aux autres exigences de la CBE, telles qu'en particulier la nouveauté et l'activité inventive."
6. Réponse à la deuxième question soumise
6.1 Le terme "posologie" peut avoir différentes significations qui sont normalement reflétées par les caractéristiques correspondantes dans le libellé de la revendication. La Grande Chambre de recours estime toutefois qu'il n'est pas nécessaire, dans le présent contexte, de définir ce terme plus précisément. Compte tenu de ses conclusions en réponse à la première question et, notamment, étant donné que l'article 54(5) CBE peut s'appliquer en cas de traitement d'une même maladie, l'"utilisation spécifique" au sens de cette disposition peut consister en autre chose que le traitement d'une maladie différente. La Grande Chambre de recours estime donc qu'il n'y a aucune raison de traiter une caractéristique consistant en une nouvelle posologie d'un médicament connu autrement que toute autre utilisation spécifique reconnue par la jurisprudence (cf. point 5.10.7).
6.2 Il doit donc être répondu également par l'affirmative à la deuxième question.
6.3 La Grande Chambre de recours a conscience des préoccupations selon lesquelles un prolongement injustifié des droits conférés par un brevet pourrait résulter de la protection de revendications dont la nouveauté et l'activité inventive ne découlerait que d'une posologie, non définie ainsi jusqu'alors, pour le traitement thérapeutique d'une maladie déjà traitée par le même médicament. Il importe par conséquent de souligner, lorsqu'il s'agit d'apprécier la nouveauté et l'activité inventive d'une revendication dont la seule caractéristique nouvelle résiderait dans la posologie, que la jurisprudence concernant l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive s'applique également dans son ensemble indépendamment de la fiction juridique découlant de l'article 54(5) CBE.
En particulier, la définition de la posologie dans la revendication doit non seulement être formulée différemment par rapport à ce qui est décrit dans l'état de la technique, mais elle doit également refléter un enseignement technique différent.
En outre, à supposer que les éléments revendiqués de la posologie ne consistent qu'en une simple sélection opérée à l'intérieur de l'enseignement d'une divulgation antérieure plus générale dans l'état de la technique, la nouveauté ne saurait être reconnue que si les critères développés par la jurisprudence en matière d'inventions de sélection sont satisfaits. Une question classique en pareils cas est de savoir s'il a été démontré que la posologie définie dans la revendication produit un effet technique particulier par rapport à ce qui est connu dans l'état de la technique.
Une jurisprudence abondante a vu le jour dans le passé sur la question de savoir quand il peut être considéré que l'effet technique d'une application thérapeutique revendiquée, qui n'a pas été décrit précédemment dans l'état de la technique, rend cette application nouvelle. Cette jurisprudence demeure applicable pour l'appréciation de chaque affaire traitée (cf. en particulier les décisions T 290/86, JO OEB 1992, 414 ; T 1020/03, JO OEB 2007, 204 ; T 836/01 du 7 octobre 2003 ; T 1074/06 du 9 août 2007).
Par ailleurs, si la caractéristique distinctive d'une revendication visant à protéger par brevet un médicament connu utilisé dans un traitement différent de la même maladie réside dans la posologie et ne constitue pas une simple sélection au sein d'une divulgation antérieure plus générale, tout effet technique nouveau produit par ladite caractéristique sera pris en considération pour apprécier l'activité inventive conformément à l'article 56 CBE.
6.4 La question de la posologie a également fait l'objet de décisions rendues par des tribunaux des États parties à la CBE. Au Royaume-Uni, la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles est parvenue aux mêmes conclusions que dans la présente décision (Décision du 21 mai 2008, dans l'affaire Actavis UK Limited v Merck & Co. Inc. (2008) EWCA Civ 444). En Suisse, le Tribunal de commerce du canton de Zurich a statué en sens contraire (Décisions du 14 avril 2009, AA 090075 et AA 090077). En Allemagne, la Cour fédérale de justice avait certes des réserves concernant une revendication formulée de manière semblable à la revendication en cause dans la présente affaire, mais aucune concernant une revendication dans laquelle la substance utilisée était préparée ("hergerichtet") pour être administrée selon une certaine posologie (Décision du 19 décembre 2006, X ZR 236/01 "Carvedilol II", points II.1 et III.1 des motifs).
Les brevets à l'origine de ces décisions tombaient sous le régime de l'ancienne loi, laquelle ne prévoyait aucune reconnaissance théorique de la nouveauté d'une revendication ayant pour objet un produit connu et s'appuyant sur une caractéristique relative à une utilisation ultérieure - thérapeutique - prévue dudit produit. Les nouvelles dispositions de l'article 54(5) CBE visaient précisément à combler cette lacune.
6.5 En ce qui concerne la deuxième indication médicale et les indications médicales ultérieures, la CBE admet désormais des revendications de produit portant sur la substance elle-même et limitées à une utilisation spécifique, alors que sous le régime de la CBE 1973, ce sont des revendications ayant pour objet l'utilisation d'une substance pour obtenir un médicament destiné à une application thérapeutique ("revendications de type suisse") qui étaient autorisées (cf. décision G 6/83). La catégorie de revendications visée à l'article 54(5) CBE confèrera probablement des droits plus étendus aux titulaires de brevets, ce qui pourrait notamment limiter la possibilité pour les médecins de prescrire ou d'administrer librement des médicaments génériques. Toutefois, compte tenu de la formulation claire des articles 53c), deuxième phrase, et 54(5) CBE ainsi que de l'intention du législateur, la Grande Chambre n'a pas compétence pour élargir ou limiter par voie prétorienne le champ d'application de ces dispositions. La liberté des médecins peut, le cas échéant, être protégée par d'autres moyens au niveau national (cf. également G 1/04, points 6.1 et 6.3 des motifs).
7. Réponse à la troisième question
7.1 Incidence de la nouvelle loi sur les revendications dites de type suisse
7.1.1 La revendication 1, soumise pour examen à la chambre de recours à l'origine de la saisine, est rédigée sous la forme dite "de type suisse". Selon la pratique établie au titre de la CBE 1973, un brevet relatif à une indication médicale ultérieure d'un médicament connu ne pouvait être délivré que sur la base d'une revendication ayant pour objet l'utilisation d'une substance ou d'une composition pour la production d'un médicament en vue d'une application thérapeutique déterminée (cf. G 6/83, point 2 du dispositif).
Le médicament n'étant pas nouveau en tant que tel, l'objet d'une telle revendication devenait nouveau par sa nouvelle application thérapeutique (cf. G 6/83, points 20 et 21 des motifs). Cette approche prétorienne, en tant que "principe dégagé pour apprécier la nouveauté" (cf. G 6/83, point 21 des motifs), constituait donc une étroite exception aux principes régissant les exigences de nouveauté et ne devait pas être étendue aux autres domaines techniques.
Cette décision prétorienne reposait sur le fait qu'une revendication portant sur l'utilisation d'une substance ou d'une composition pour le traitement thérapeutique du corps humain devait être considérée comme une revendication portant sur une étape du traitement (cf. fin du point 18 de la décision G 6/83). Or, les revendications de ce type étaient interdites. Par ailleurs, en vertu de l'article 54(5) CBE 1973 (article 54(4) CBE 2000), seule la première indication médicale d'une composition connue comme médicament pouvait prendre la forme d'une revendication de produit limitée à un usage déterminé. Comme le législateur n'avait manifestement pas l'intention d'exclure de la brevetabilité la deuxième indication thérapeutique d'un médicament connu, la revendication dite de type suisse représentait une solution adéquate mais exceptionnelle.
7.1.2 En vertu de l'article 54(5) CBE, il est désormais possible d'obtenir pour toute utilisation ultérieure spécifique d'un médicament connu dans une méthode thérapeutique une protection de produit limitée à un usage déterminé. Comme il a été indiqué dans les travaux préparatoires (MR/24/00, point 139), la lacune existant dans la CBE 1973 a ainsi été comblée.
En d'autres termes : "cessante ratione legis, cessat et ipsa lex", (la loi n'a pas lieu d'être appliquée lorsque disparaît sa raison d'être).
Les causes de l'adoption de la voie prétorienne ayant disparu, ses effets doivent également disparaître. Comme il est indiqué dans la décision T 406/06 du 16 janvier 2008, point 5 des motifs :
La question se pose de savoir si l'exception à l'exigence générale de nouveauté, admise dans la décision G 6/83 en vertu de la CBE 1973, est toujours justifiée dans le nouveau cadre juridique, lequel permet au demandeur de formuler ses revendications selon les dispositions de l'article 54(5) CBE 2000, afin d'obtenir une protection par brevet pour une nouvelle utilisation thérapeutique d'un médicament connu.
7.1.3 En outre, des objections pourraient être soulevées (et l'ont été) à l'encontre des revendications de type suisse sur la question de savoir si elles satisfont aux conditions de brevetabilité, compte tenu de l'absence de toute relation fonctionnelle entre, d'une part, les caractéristiques (thérapeutiques) conférant la nouveauté et, le cas échéant, l'activité inventive et, d'autre part, le procédé de fabrication revendiqué. Par conséquent, lorsque l'objet d'une revendication devient nouveau par le seul fait d'une nouvelle utilisation thérapeutique d'un médicament, ladite revendication ne peut plus prendre la forme d'une revendication dite "de type suisse", telle qu'instituée par la décision G 6/83.
7.1.4 La Grande Chambre de recours a conscience du fait que des brevets comportant ce type de revendications ont été délivrés et que de nombreuses demandes de brevet visant la protection de telles revendications sont encore en instance. Pour garantir la sécurité juridique et protéger les intérêts légitimes des demandeurs, la suppression de cette possibilité, compte tenu de l'interprétation du nouveau cadre juridique donnée par la Grande Chambre de recours dans la présente décision, ne doit avoir aucun effet rétroactif, et un délai approprié de trois mois à compter de la publication de la présente décision au Journal official de l'OEB est fixé afin que les futures demandes puissent se conformer à cette nouvelle situation. La date pertinente pour les futures demandes est à cet égard leur date de dépôt ou, si une priorité a été revendiquée, leur date de priorité.
8. Autres questions d'ordre procédural
Le requérant a présenté de nouvelles requêtes au cours de la présente procédure. Cependant, la Grande Chambre de recours n'ayant pas compétence pour statuer sur l'objet du recours à l'origine de la saisine, il appartiendra à la chambre de recours qui a saisi la Grande Chambre de statuer sur la recevabilité ou le bien-fondé de ces requêtes.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :
Question 1 : Lorsque l'utilisation d'un médicament pour traiter une maladie est déjà connue, l'article 54(5) CBE n'exclut pas que ce médicament soit breveté pour son utilisation dans un traitement thérapeutique différent de la même maladie.
Question 2 : La délivrance d'un brevet ne doit pas non plus être exclue lorsque l'unique caractéristique revendiquée qui n'est pas comprise dans l'état de la technique est une posologie.
Question 3 : Lorsque l'objet d'une revendication devient nouveau par le seul fait d'une nouvelle utilisation thérapeutique d'un médicament, ladite revendication ne peut plus prendre la forme d'une revendication dite "de type suisse", telle qu'instituée par la décision G 6/83.
Un délai de trois mois à compter de la publication de la présente décision au Journal official de l'Office européen des brevets est fixé pour permettre aux futurs demandeurs de se conformer à la nouvelle situation.