Arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) en date du 15 avril 2010 - (Xa ZB 10/09)1
Référence :
"Walzenformgebungsmaschine" (profileuse à rouleaux)
Article :
Article 93, alinéa 1) et 100, alinéa 3) chiffre 3 PatG (Loi allemande sur les brevets) ;
Article 103, alinéa 1) GG (Loi fondamentale de la RFA)
Mot-clé :
"Interprétation de l'étendue de la protection conférée par un brevet européen – Prise en compte des décisions de l'OEB et des tribunaux nationaux – Violation du droit d'être entendu"
Sommaire
1. Les tribunaux allemands doivent tenir compte des décisions rendues par les instances de l'Office européen des brevets ou par les tribunaux des autres Etats parties à la Convention sur le brevet européen, dans la mesure où elles concernent essentiellement la même problématique, et, le cas échéant, se pencher attentivement sur les motifs qui ont conduit à un résultat divergent dans la décision antérieure. Lorsqu'il s'agit de points de droit, cela s'applique également, par exemple, à la question de savoir si l'objet d'un droit de protection découlait de façon évidente de l'état de la technique.
2. Le non-respect de cette obligation ne porte pas atteinte dans tous les cas au droit de la partie concernée d'être entendue.
Exposé des faits et conclusions
L'intimée est titulaire du modèle d'utilité 201 22 096 (modèle d'utilité en cause), qui porte sur une profileuse à rouleaux. La demande correspondante a été déposée le 14 janvier 2004 avec revendication de la "priorité dérivée" (Abzweigung) d'une demande de brevet européen. Cette dernière demande a abouti par la suite à la délivrance du brevet européen 1 339 508, qui a été maintenu sous une forme modifiée au cours de la procédure d'opposition engagée également par la requérante.
Dans la présente procédure de radiation, la requérante a fait valoir que l'objet du modèle d'utilité en cause ne pouvait donner lieu à la protection demandée. L'intimée a défendu son droit de protection sous une forme modifiée. L'Office (allemand) des brevets a radié le modèle d'utilité en cause dans la mesure où il allait au-delà de la version défendue et, pour le reste, a rejeté la requête dans la mesure où elle visait sa radiation complète. Devant l'instance de recours, l'intimée a défendu son droit de protection sous une autre forme modifiée. Le Tribunal fédéral des brevets a annulé le modèle d'utilité en cause dans son intégralité.
L'intimée conteste cette décision par un pourvoi (Rechtsbeschwerde), dont la recevabilité n'avait pas été admise et auquel s'est opposée la requérante.
Le pourvoi a été rejeté.
Extrait des motifs
II. ...
2. Il est invoqué dans le pourvoi que le Tribunal fédéral des brevets aurait ignoré l'argument de l'intimée selon lequel la division d'opposition de l'Office européen des brevets avait, sur la base du même exposé des faits, maintenu le brevet européen avec ses revendications 3 à 7, qui sont identiques aux revendications 1 et 2 du modèle d'utilité en cause, et qu'il aurait ainsi violé le droit de l'intimée d'être entendue. De plus, la décision attaquée ne comportait pas de motifs sur ce point.
Ces griefs sont tous deux infondés.
a) Selon la jurisprudence constante de la Cour fédérale de justice, des motifs erronés sur le fond, incomplets ou incohérents ne justifient pas un pourvoi non soumis à une déclaration de recevabilité en vertu de l'article 100, alinéa 3, chiffre 6 PatG.
Une décision n'est pas motivée, au sens de la disposition précitée, que si l'un des moyens autonomes d'attaque ou de défense n'a pas été traité dans les motifs de la décision (BGHZ 173, 47 Tz. 16 - Informationsübermittlungsverfahren II, ainsi que d'autres références). On n'est en présence d'un "moyen autonome d'attaque ou de défense" dans ce sens que si les faits invoqués sont à eux seuls suffisants pour étayer, annuler, exclure ou préserver le droit en cause (BGH, arrêt du 3.12.1991 - X ZB 5/91, GRUR 1992, 159, 161 - Crackkatalysator 11). Si la question de l'activité inventive ou de la démarche inventive en fait partie, tel n'est pas le cas d'un aspect individuel à prendre en considération pour apporter une réponse positive ou négative à cette question.
Dans la présente affaire, le Tribunal fédéral des brevets avait à examiner l'objection selon laquelle l'objet du modèle d'utilité en cause ne pouvait donner lieu à la protection demandée, objection fondée notamment sur les antériorités D8 et D11, ainsi que les arguments contraires de l'intimée. La décision contestée satisfait à ces exigences. Le Tribunal fédéral des brevets a expliqué les raisons pour lesquelles il considérait que l'objet du modèle d'utilité en cause découlait de manière évidente de l'état de la technique, contrairement à l'opinion de l'intimée. Le renvoi fait par l'intimée, dans ce contexte, à l'appréciation divergente de la division d'opposition de l'Office européen des brevets ne constitue pas un moyen autonome de défense au sens susmentionné, mais seulement l'un des arguments sur lesquels elle s'est appuyée pour faire valoir que l'objet des revendications de son modèle d'utilité pouvait donner lieu à une protection. Le fait que le Tribunal fédéral des brevets n'ait pas traité explicitement le point de vue de la division d'opposition peut tout au plus permettre de conclure à un défaut ou à une lacune de la décision contestée, ce qui ne suffit pas pour l'application de l'article 100, aliéna 3, chiffre 6 PatG.
...
b) Le motif de pourvoi visé à l'article 100, alinéa 3, chiffre 3 PatG tient compte de l'importance du droit garanti par la Consitution d'être entendu (Art. 103(1) de la loi fondamentale allemande) pour toute procédure légale dans laquelle chaque partie a la possibilité de défendre efficacement ses droits. Ceci suppose que le tribunal prenne connaissance des arguments de fait et de droit des parties, qu'il en examine la pertinence pour la décision quant au fond et quant à la procédure, et aussi qu'il n'exploite aucun élément au sujet duquel les parties n'ont pas pu s'exprimer (BGHZ 173, 47 Tz. 30 - Informationsübermittlungsverfahren II ; décision de la chambre du 22.9.2009 - Xa ZB 36/08, GRUR 2010, 87 Tz. 12 - Schwingungsdampfer). En même temps, il convient de partir du principe que le tribunal a pris connaissance et a tenu compte de tous les arguments que lui ont soumis les parties, sans qu'il soit tenu de traiter expressément chaque argument dans les motifs de sa décision. Toutefois, si le tribunal omet de traiter les aspects essentiels de l'exposé des faits soumis par une partie à propos d'une question qui revêt une importance particulière pour la procédure, il convient d'en conclure que ces aspects n'ont pas été pris en compte, à moins que le tribunal n'ait estimé qu'ils étaient non pertinents ou à l'évidence insuffisamment motivés (BVerfGE 86, 133, 146 ; BGHZ 173, 47 Tz. 31 - Informationsübermittlungsverfahren II).
En l'espèce, le Tribunal fédéral des brevets n'avait pas à examiner explicitement, dans les motifs de la décision contestée, l'appréciation de la division d'opposition de l'Office européen des brevets, pour respecter le droit de l'intimée d'être entendue, pour la bonne raison que celle-ci n'avait pas produit la décision de la division d'opposition ni exposé en détail les considérations sur lesquelles s'appuyait cette décision. Ainsi qu'il ressort du dossier, elle avait seulement signalé "dans un souci d'exhaustivité et pour information de la Chambre" que le brevet avait été maintenu "avec des revendications au contenu identique à celui des présentes revendications 1 et 3 à 7".
Certes, lorsque le Tribunal fédéral des brevets doit statuer dans une procédure d'opposition, de radiation ou une action en nullité sur l'accessibilité à la protection d'un objet qui présente un contenu identique ou en grande partie similaire à celui déjà examiné par une division d'opposition ou une chambre de recours de l'Office européen des brevets, il doit en principe se pencher sur les motifs qui ont conduit l'Office européen des brevets à reconnaître ou non la brevetabilité. En général, l'appréciation se fait sur la base de dispositions du droit matériel qui ont la même teneur. C'est pourquoi, des conclusions divergentes donnent à penser que d'autres antériorités ont été retenues, qu'elles ont été évaluées différemment ou que les principes de droit pertinents pour cette évaluation n'ont pas été interprétés ou appliqués de la même façon. Il est vrai que l'Office européen des brevets n'est pas lié par les appréciations divergentes antérieures du Tribunal fédéral des brevets et inversement. Toutefois, dans l'intérêt d'une application du droit la plus harmonisée possible, il semble généralement indiqué de prendre en considération les décisions divergentes.
Dans le passé, la Cour fédérale de justice a déjà estimé à plusieurs reprises qu'il convenait de prendre en considération les décisions de l'Office européen des brevets, les qualifiant d'avis d'experts ayant une importance considérable (BGH, arrêt du 4.5.1995 - X ZR 29/93, GRUR 1996, 757, 759 - Zahnkranzfräser ; arrêt du 5.5.1998 - X ZR 57/96, GRUR 1998, 895, 896 - Regenbecken). Compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour fédérale de justice, selon laquelle la question de savoir si l'objet d'un droit de protection découle de façon évidente de l'état de la technique, nécessite une évaluation et doit, par conséquent, être considérée comme portant sur un point de droit (BGHZ 166, 305 Tz. 28 - vorausbezahlte Telefongespräche ; BGHZ 168, 142 Tz. 11 - Demonstrationsschrank), il se peut que l'avis d'expert ait, de façon générale, perdu de son importance. Les décisions des divisions d'opposition et des chambres de recours techniques présentent toutefois un intérêt considérable, dans la mesure où elles comportent aussi un avis sur une question de droit qui se pose de la même façon ou de façon similaire devant le Tribunal fédéral des brevets ou la Cour fédérale de justice. Comme dans d'autres cas de décisions judiciaires potentiellement contradictoires, il semble nécessaire, tant du point de vue de la sécurité juridique que dans l'intérêt d'une harmonisation de la jurisprudence dans le champ d'application territorial de la Convention sur le brevet européen, de tenir compte des décisions rendues par les instances de l'Office européen des brevets ou par d'autres tribunaux nationaux et, le cas échéant, de prendre en considération les motifs qui ont conduit, dans la décision antérieure, à une conclusion que le tribunal appelé plus tard à statuer n'approuve pas ou ne partage pas d'emblée.
Toutefois, le non-respect de l'obligation de prendre en considération les décisions divergentes antérieures ne porte pas nécessairement atteinte dans tous les cas au droit de la partie concernée d'être entendue. Ce qui importe le plus à cet égard, ce sont les faits et arguments juridiques que la partie a fait valoir. Il ne ressort pas du pourvoi que l'intimée a avancé, en ce qui concerne la décision de la division d'opposition, des arguments de fait et de droit revêtant selon elle une importance particulière, sur lesquels le Tribunal fédéral des brevets aurait dû se prononcer expressément afin de ne pas porter atteinte au droit d'être entendu. Il était d'autant plus indispensable de présenter de tels arguments que la division d'opposition ne s'était pas penchée expressément, semble-t-il, sur l'enseignement combiné des documents D11 et D8, qui, de l'avis du Tribunal fédéral des brevets, rendait évident, pour l'homme du métier, l'objet du modèle d'utilité en cause.
c) Le grief soulevé à titre complémentaire, selon lequel le Tribunal fédéral des brevets aurait dû déclarer le pourvoi recevable en vertu de l'article 100, alinéa 2, chiffre 2 PatG, parce qu'il avait pris le contre-pied de la décision d'opposition rendue par l'Office européen des brevets, est irrecevable. La décision de déclarer recevable ou non un pourvoi en vertu de l'article 100, alinéa 2 PatG n'est pas susceptible de réexamen par la Cour fédérale de justice. Indépendamment de cela, une différence d'appréciation entre l'Office européen des brevets et le Tribunal fédéral des brevets quant à la possibilité de protéger l'objet d'un titre de protection particulier n'est pas en soi une raison suffisante pour déclarer un pourvoi recevable.
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DE 1/10
1 Traduction du texte officiel de la décision, abrégé aux fins de sa publication. Le texte intégral est publié (en allemand) sur www.bundesgerichtshof.de.