LA JURISPRUDENCE DES CHAMBRES DE RECOURS ET DE LA GRANDE CHAMBRE DE RECOURS EN 2020
II. DEMANDE DE BREVET ET MODIFICATIONS
A. Revendications
1. Clarté des revendications – indication de toutes les caractéristiques essentielles
(CLB, II.A.3.2.)
Dans l'affaire T 2574/16, la revendication 1 portait sur une méthode permettant d'accéder à des informations électroniques, dont la dernière étape consistait à modifier au moins un élément graphique sur le document du portail sélectionné sur la base de l'élément graphique de simulation sélectionné et des informations électroniques opérationnelles, afin de simuler ainsi le fonctionnement d'au moins un des éléments opérationnels d'au moins un système opérationnel. La division d'examen avait estimé que cette dernière étape n'était pas claire (art. 84 CBE) et que l'exposé de l'invention revendiquée n'était donc pas suffisant (art. 83 CBE). L'une de ses objections était liée à un exemple divulgué dans la description, en combinaison avec deux figures, qui montrait clairement que l'invention ne se bornait pas à simuler un fonctionnement en réponse à la sélection d'un seul élément graphique de simulation, mais qu'elle englobait la simulation d'un fonctionnement en réponse à la sélection de plusieurs éléments graphiques de simulation. Au vu de cet exemple, la revendication 1 ne pouvait pas être interprétée comme se limitant à l'affichage de modifications connues telles qu'enregistrées dans les informations électroniques opérationnelles.
La chambre a constaté que la revendication englobait des simulations complexes qui allaient au-delà de chaque exemple divulgué dans la demande telle que déposée. Mais il ne s'agissait pas là d'un problème de manque de clarté ou d'insuffisance de l'exposé. En réalité, il est normal qu'une revendication détermine l'étendue de la protection dans des termes qui définissent positivement les caractéristiques essentielles de l'invention. Tout mode de réalisation particulier couvert par la revendication peut avoir d'autres caractéristiques non mentionnées dans la revendication ni divulguées dans la demande (et peut même constituer un perfectionnement brevetable). En l'occurrence, toute méthode couverte par la revendication 1 incluait une étape consistant à modifier au moins un élément graphique afin de simuler ainsi le fonctionnement d'au moins un élément opérationnel. Cette simulation pouvait être très complexe, mais aussi très simple. La contribution de cette étape à l'invention revendiquée résidait essentiellement dans la tenue d'une simulation, et non dans la réalisation d'une telle simulation pour la première fois. S'il disposait d'au moins un élément opérationnel d'un système opérationnel, l'homme du métier n'aurait aucune difficulté à mettre en œuvre une simulation sous forme d'au moins une modification d'au moins un élément graphique. Par conséquent, la contribution de l'étape était suffisamment exposée.
2. Clarté d'une revendication mentionnant une norme ou un standard
(CLB, II.A.3.6.)
Dans l'affaire T 3003/18, les opposants 2 et 3 avaient fait valoir, en lien avec de précédentes requêtes, que la définition de l'objet revendiqué par renvoi à des connecteurs désignés par des standards ou des normes n'était pas claire, entre autres parce que les standards ou normes correspondants comprenaient différentes versions et avaient changé au cours du temps, et que les caractéristiques structurelles et fonctionnelles des connecteurs revendiqués n'étaient pas claires (cf. T 1888/12, T 783/05). Le titulaire du brevet avait quant à lui soutenu que par nature, les références à des standards dans des revendications ne manquent généralement pas de clarté ; il estimait qu'en l'occurrence, il convenait d'examiner les caractéristiques du standard en lien avec l'invention revendiquée (cf. T 2187/09, T 1196/15).
Selon la chambre, la clarté d'une revendication mentionnant une norme ou un standard dépend des circonstances du cas d'espèce, et notamment de l'objet revendiqué. Le connecteur MTRJ mentionné dans la revendication 1 désignait une famille standardisée de connecteurs bien connue ayant, d'une part, des caractéristiques spécifiques qui peuvent varier parmi les connecteurs de la famille et qui peuvent changer au fil du temps conformément aux diverses versions spécifiques de la norme ou du standard correspondant et, d'autre part, une série de caractéristiques communes (ou, comme indiqué par la division d'opposition, génériques) qui garantissent un degré prédéterminé de compatibilité et d'interchangeabilité entre les différents connecteurs de la même famille. De plus, ces connecteurs étaient couramment et généralement qualifiés de "connecteurs MTRJ" dans les ouvrages, les livres de référence etc., sans référence à une version particulière de la norme ou du standard correspondant. En outre, dans le cas d'espèce – et contrairement à d'autres affaires telles que les affaires T 1888/12 et T 783/05 (voir ci-dessus) – les caractéristiques du connecteur MTRJ pertinentes dans le contexte technique de la revendication 1 n'étaient pas les caractéristiques spécifiques, mais les caractéristiques communes précitées, si bien que l'homme du métier comprendrait que dans le contexte revendiqué, le connecteur optique renvoyait à un "connecteur MTRJ". Les mêmes considérations s'appliquaient aux connecteurs SC et LC définis dans la revendication 1.
3. Fondement des revendications sur la description
(CLB, II.A.5.)
Dans l'affaire T 695/16, la division d'examen avait certes estimé que la revendication 1, portant sur une tête de pulvérisateur, était claire et concise, mais elle avait considéré que ni les figures ni la description du mode de réalisation préféré n'indiquaient en détail au moins un mode de réalisation de l'invention revendiquée (règle 42(1)e) CBE). Les revendications étaient plus larges que le contenu de la description et des dessins ne le justifiait, et ne se fondaient donc pas sur la description (art. 84 CBE). La division d'examen avait rejeté la demande sur cette base.
La chambre a annulé cette décision, en faisant observer que la caractéristique a ("saillie" du col circulaire) et la caractéristique b ("caractéristique non tournante" de la surface interne du capuchon) figurant dans la partie caractérisante de la revendication 1 étaient incontestablement claires pour l'homme du métier, c'est-à-dire que leur forme structurelle, leur fonction et leur interrelation étaient claires. Il était aussi incontesté que la description comportait au moins une répétition, mot pour mot, des caractéristiques de la revendication 1. Cela signifiait que lesdites caractéristiques étaient aussi divulguées, évidemment aussi de façon claire, dans la description, étayant ainsi le texte de la revendication 1, et que la portée des revendications n'était pas plus large que le contenu de la description ne le justifiait. Le "lien manquant", tel que qualifié par la division d'examen, entre la revendication 1 et la description, qui rendait la revendication 1 non fondée, résidait dans l'absence de dénomination des caractéristiques a et b dans les figures et dans le texte de la description renvoyant à l'exemple qui y figurait. Cependant, étant donné que les caractéristiques a et b étaient intrinsèquement claires, il n'était pas obligatoire de les dénommer de manière spécifique dans la partie de la description portant sur le mode de réalisation particulier illustré dans les figures. La description devait être lue et les figures devaient être regardées en sachant que les caractéristiques a et b étaient présentes et qu'elles interagissaient pour produire des signaux audibles. L'homme du métier reconnaîtrait les caractéristiques pertinentes dans les figures, et aurait donc une description détaillée d'elles, y compris pour leur emplacement et leur forme. La tête de pulvérisateur illustrée dans les figures satisfaisait aux exigences de la règle 42(1)e) CBE en ce qu'un mode de réalisation de l'invention revendiquée était illustré. En conclusion, il était satisfait aux dispositions de cette règle et de l'art. 84 CBE.
4. Termes figurant dans une revendication et ayant une signification bien précise dans le domaine technique – utilisation de la description
(CLB, II.A.6.3.1)
Dans l'affaire T 1642/17, la demande avait été rejetée au motif unique qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences de l'art. 84 CBE. En particulier, la division d'examen avait estimé que certaines définitions figurant dans un document auquel se réfère la description sont fondamentales pour délimiter les revendications et doivent être introduites dans la description, laquelle doit être autonome. La division d'examen s'était également référée à la jurisprudence constante, selon laquelle le document du brevet peut être son propre dictionnaire.
De l'avis de la chambre, l'objection de la division d'examen reposait sur le manque de clarté des revendications lorsqu'elles étaient lues et interprétées à la lumière de la description. Cependant, selon la jurisprudence constante, si les revendications et les termes qu'elles contiennent sont clairs lorsqu'ils sont lus de manière autonome, du fait par exemple qu'ils ont une signification bien précise dans le domaine technique, la formulation explicite des revendications doit être interprétée comme l'homme du métier la comprendrait sans s'aider de la description (cf. T 2221/10 et T 197/10 ; voir aussi "Jurisprudence des chambres de recours", 9e éd. 2019, II.A.6.3.1). Comme indiqué dans cette dernière décision, cela vaut en cas de divergence entre les revendications et la description. En l'espèce, la chambre a estimé comme la division d'examen que les termes utilisés dans les revendications avaient une "signification généralement admise" pour l'homme du métier. Compte tenu de cette signification et de la jurisprudence ci-dessus, elle a conclu que les revendications satisfaisaient aux exigences de clarté de l'art. 84 CBE.
Par conséquent, il convient de traiter à l'identique les cas où ces termes sont définis soit dans un renvoi figurant dans la description, soit dans la description elle-même. Dans aucun de ces deux cas, la définition de termes ayant déjà une signification bien précise dans le domaine technique ne nuira à la clarté des revendications. En effet, ni la description ni un renvoi ne peut modifier la signification généralement admise de termes contenus dans une revendication. Il convient également de noter que le parallèle établi par la division d'examen avec le cas où la description doit être adaptée pour garantir le respect de l'art. 83 CBE n'est pas correct, car l'art. 84 CBE traite des revendications, alors que l'art. 83 CBE concerne l'exposé de la demande de brevet. Afin de garantir que la demande respecte l'exigence de fondement visée à l'art. 84 CBE, la division d'examen peut en revanche exiger d'adapter la description aux revendications (cf. "Jurisprudence des chambres de recours", 9e éd. 2019, II.A.5.3).
B. Unité d'invention
1. Détermination de l'existence d'une ou de plusieurs "inventions" – recherche complète – remboursement d'une taxe additionnelle acquittée au titre de la recherche
(CLB, II.B.3.3., II.B.4.2.)
Dans l'affaire T 1414/18, la division d'examen avait simplement fait référence, dans les motifs de sa décision de rejet, à sa notification finale émise au titre de l'art. 94(3) CBE, dans laquelle elle avait maintenu son objection d'absence d'unité, faisant observer que la demande serait rejetée et estimant qu'il ne serait pas non plus fait droit à la requête du demandeur en remboursement de la deuxième taxe de recherche. Le demandeur a retiré sa requête en procédure orale et demandé qu'une décision susceptible de recours soit rendue "en l'état du dossier".
La chambre a indiqué qu'elle était en désaccord avec l'approche suivie par la division d'examen au sujet de la question de l'unité d'invention. Ce n'est que dans le cas où la demande porte sur plus d'une "invention" qu'il convient d'analyser, afin de trancher la question de l'unité, la notion d'"un seul concept inventif général" (art. 82 CBE), ainsi que le concept d'"éléments techniques particuliers identiques ou correspondants" (règle 44(1) CBE) (cf. également point 1 de l'exergue). Il est nécessaire de déterminer d'abord si la demande couvre une seule, ou bien plusieurs "inventions". La ou les "inventions" sous-jacentes doivent être mises en évidence sur la base du ou des problèmes techniques à résoudre selon la description (cf. par exemple W 11/89, JO 1993, 225 ; W 6/97 ; T 173/06 et T 1888/09 ; cf. également Directives relatives à l'examen, version de novembre 2017, par exemple points F-V, 8, deuxième paragraphe, et 8.1, avant-dernière phrase). Du point de vue de la chambre, la demande initiale devait être considérée comme se rapportant à une seule invention. Le fait qu'une revendication indépendante (plus limitée) couvrait en majeure partie l'aspect principal de l'invention ne signifiait pas automatiquement que la revendication indépendante complémentaire (plus large) portait sur une autre invention. En particulier, cela ne signifiait pas que deux recherches différentes devaient être effectuées pour couvrir les deux revendications indépendantes en question. Une recherche complète ne saurait se limiter aux revendications, quelle que soit la portée plus ou moins large, ou plus ou moins limitée de ces dernières, et devrait en revanche tenir dûment compte de la description sous-jacente et des dessins (art. 92 CBE). La chambre a conclu que les revendications telles que déposées initialement comme les revendications 1 et 2 de la requête principale (comportant uniquement des signes de référence supplémentaires et des passages légèrement reformulés) satisfaisaient à l'exigence d'unité d'invention (art. 82 CBE).
S'agissant de la requête en remboursement de la taxe additionnelle, la chambre a estimé que la décision qui consiste à rejeter une demande de brevet peut être interprétée en ce sens qu'elle contient implicitement la décision de refuser le remboursement d'une taxe additionnelle de recherche, si l'intention de la division d'examen est claire (cf. également point 2 de l'exergue). Bien qu'une décision concernant le remboursement de taxes additionnelles de recherche doive figurer dans le dispositif de la décision écrite (cf. par exemple T 756/14), l'intention de la division d'examen de ne pas faire droit à la requête ressortait clairement de sa dernière notification. Le remboursement d'une taxe additionnelle de recherche doit être ordonné par la division d'examen ou, le cas échéant, par la chambre compétente (règle 64(2) CBE, règle 100(1) CBE) si l'invitation à acquitter la taxe en question qui avait été émise par la division de la recherche n'était pas justifiée. L'évaluation doit être effectuée sur la base des faits et des arguments qui y ont été présentés, ainsi que sur la base des revendications telles que déposées initialement (cf. entre autres T 188/00, T 1476/09 et T 2526/17). La division d'examen ayant conclu à tort à l'absence d'unité d'invention sur la base des revendications telles que déposées initialement, il y avait lieu de rembourser la taxe.
C. Possibilité d'exécuter l'invention
1. Exécution de l'invention – réseau de neurones
(CLB, II.C.6.1.)
Dans l'affaire T 161/18, la demande utilisait un réseau neuronal artificiel pour transformer la courbe de pression artérielle, mesurée à la périphérie, en pression aortique équivalente. En ce qui concerne l'entraînement du réseau neuronal selon l'invention, la demande divulguait uniquement que les données d'entrée devaient couvrir un large spectre de patients différents pour ce qui est de l'âge, du sexe, de la constitution, de l'état de santé, etc., afin d'empêcher une spécialisation du réseau. La demande ne divulguait toutefois pas les données d'entrée qui convenaient à l'entraînement du réseau neuronal artificiel selon l'invention, ni même un jeu de données adapté pour résoudre le problème technique posé. Par conséquent, l'homme du métier ne pouvait pas reconstituer l'entraînement du réseau neuronal artificiel, ni donc exécuter l'invention. L'invention en question, qui reposait sur l'apprentissage automatique, en particulier en lien avec un réseau neuronal artificiel, n'était ainsi pas suffisamment divulguée, étant donné que l'entraînement selon l'invention ne pouvait pas être exécuté faute de divulgation correspondante. Voir aussi le chapitre I.C.4. "Effet non démontré de façon crédible dans toute la portée de la revendication – réseau de neurones".
2. Niveau de divulgation nécessaire pour les utilisations médicales – caractère plausible
(CLB, II.C.7.2.)
Dans l'affaire T 184/16, l'invention concernait de nouveaux composés présentant une activité inhibitrice contre le transporteur dépendant du sodium (composé pharmaceutique). Le mécanisme à la base du traitement de maladies liées au diabète, qui visait à obtenir l'effet thérapeutique revendiqué, reposait sur l'inhibition du transporteur de glucose dépendant du sodium ("SGLT"), et en particulier de SGLT2. Le lien entre l'effet thérapeutique à obtenir selon la revendication 12 (revendication relative à une utilisation médicale) et l'inhibition de SGLT2 n'était pas contesté par le requérant (opposant). Selon le requérant, il n'était pas plausible, à la lecture de la demande telle que déposée, que les composés revendiqués permettent d'obtenir l'effet thérapeutique revendiqué.
La chambre a reconnu que des preuves publiées ultérieurement ne peuvent être prises en considération, afin de démontrer un effet donné, que si l'obtention de cet effet est plausible dès la date de dépôt. Par exemple, le caractère plausible a été reconnu, et les preuves publiées ultérieurement ont été prises en considération, dans des affaires où il n'y avait de prime abord pas de doutes sérieux concernant le caractère plausible (T 108/09, T 1760/11, T 919/15). En revanche, dans l'affaire T 1329/04, il y avait de prime abord des doutes sérieux. Dans la présente espèce, la demande telle que déposée ne contenait aucune preuve expérimentale concernant le caractère plausible contesté, à savoir la capacité des composés revendiqués à inhiber le SGLT2. Il convenait donc de déterminer si le caractère plausible pouvait néanmoins être reconnu compte tenu des connaissances générales de l'homme du métier et de l'état de la technique. Rien n'indiquait à la chambre qu'il existait des doutes sérieux concernant la possibilité d'obtenir l'effet thérapeutique revendiqué, et le requérant n'avait fait valoir aucune indication de ce type. De plus, les connaissances générales de l'homme du métier ne donnaient pas à penser ni ne suggéraient a priori que l'effet thérapeutique revendiqué ne pouvait pas être obtenu. La chambre a dès lors jugé plausible que l'effet thérapeutique soit effectivement obtenu.
La chambre a estimé que le document D4 publié ultérieurement (exemples comparatifs déposés par l'intimé/titulaire du brevet) pouvait être pris en considération à l'appui de l'exposé de l'invention figurant dans la demande de brevet. Elle a reconnu que les données fournies par D4 concernaient seulement l'inhibition de SGLT2. Or, l'effet thérapeutique revendiqué était obtenu par la seule inhibition de SGLT2. Le fait que l'inhibition de SGLT1 puisse, elle aussi, contribuer à cet effet et qu'elle n'ait pas été testée dans D4 n'avait pas d'importance. De plus, comme il incombait au requérant de prouver son affirmation, la chambre ne pouvait pas conclure, en l'absence de telles preuves, que des composés comportant de larges substituants ne permettaient pas d'obtenir l'effet thérapeutique défini dans la revendication 12. La chambre a considéré que l'exigence de suffisance de l'exposé était remplie.
La chambre s'est également penchée sur la question du caractère plausible dans le cadre de l'examen de l'activité inventive et le document D4 publié ultérieurement a aussi été pris en considération. Voir aussi le chapitre I.C.1. "Distinction entre plausibilité et évidence".
D. Priorité
1. Droit de priorité du demandeur ou de son ayant cause
1.1 Identité des demandeurs en cas de pluralité des demandeurs dans la demande dont la priorité est revendiquée
(CLB, II.D.2.2.1)
Dans l'affaire T 844/18, certaines demandes US provisoires dont la priorité était revendiquée avaient été déposées par plusieurs demandeurs, mais l'un d'entre eux ne figurait pas dans la demande à l'origine du brevet litigieux. Aucune question de succession en droit ne s'était posée. Appliquant l'approche bien établie dite de "tous les demandeurs" (ou des "mêmes demandeurs") conformément à la jurisprudence des chambres, la division d'opposition avait retenu que la priorité n'avait pas été valablement revendiquée et elle avait révoqué le brevet pour manque de nouveauté.
La chambre a formulé la question principale de la manière suivante : "A et B sont les demandeurs pour la demande dont la priorité est revendiquée. A est seul demandeur pour la demande ultérieure. Une revendication de priorité est-elle valable alors même que B n'a cédé aucun droit de priorité à A ?" Les trois lignes d'attaque des requérants (titulaires du brevet) concernant l'approche de l'OEB dite de "tous les demandeurs" n'ont pas convaincu la chambre et le recours a été rejeté.
Premièrement, il s'agissait de déterminer si le droit de priorité doit être apprécié par l'OEB. La chambre a conclu que les instances de l'OEB sont compétentes pour apprécier la validité d'une revendication du droit de priorité et qu'elles y sont tenues conformément à l'art. 87(1) CBE, et que la question de savoir qui détient le droit de priorité fait partie de cet examen. L'art. 87(1) CBE n'exige pas que "celui" qui a déposé la demande de brevet soit juridiquement habilité à le faire, mais uniquement qu'il l'ait fait. La chambre a également rejeté les arguments fondés sur l'application par analogie de l'art. 60(3) CBE. L'OEB ne procède qu'à un examen formel de la personne qui a déposé la demande. Cela ne va, en outre, pas à l'encontre de son approche en matière de succession en droit, contrairement à ce qu'ont fait valoir les requérants. L'OEB apprécie uniquement si un ayant cause est l'ayant cause du demandeur initial, ce qui suppose en effet un examen juridique substantiel, mais qui n'englobe pas l'examen de la titularité du droit de priorité.
Deuxièmement, concernant l'interprétation du terme "celui" figurant dans l'art. 87(1) CBE, la chambre a conclu que le sens ordinaire du terme dans ce contexte est ambigu dans toutes les versions linguistiques (cf. art. 4 A.1) de la Convention de Paris et art. 31(1) de la Convention de Vienne). La chambre a suivi la décision T 15/01, qui énonce que l'objet et le but de la Convention de Paris (cf. art. 31(1) et 33(4) de la Convention de Vienne) sont de "préserver, pendant une durée limitée, les intérêts d'un demandeur qui tente d'obtenir une protection internationale de son invention" et que "les dispositions sur la priorité internationale de la Convention de Paris" aident "le demandeur à obtenir une protection internationale pour son invention". Les requérants se sont appuyés sur ces conclusions formulées dans la décision T 15/01 pour faire valoir que l'objet et le but de la Convention de Paris donnent la préférence à leur interprétation (non restrictive) du terme "celui". Cette interprétation permet à A de déposer à lui seul une autre demande dans un autre pays en revendiquant la même invention sans l'intervention de B, tandis que l'approche dite de "tous les demandeurs" peut conduire à la perte du droit de priorité, et donc éventuellement de la demande de brevet, lorsque l'un des demandeurs refuse de participer comme demandeur à la demande ultérieure. La chambre a adopté un raisonnement différent : l'objet et le but de la Convention de Paris ne peuvent pas servir de fondement pour favoriser une ou quelques personnes au détriment de toutes les autres personnes qui faisaient initialement partie du groupe ayant déposé une demande de brevet. De plus, un demandeur peut faire avancer le traitement d'une demande devant l'OEB sans la participation active des autres demandeurs nommés dans cette demande. La pratique actuelle protège les demandeurs d'une "mise à l'écart" et empêche qu'ils soient contraints d'engager un contentieux au niveau international pour sauvegarder leurs droits. La chambre a en outre fait observer que les dispositions de la Convention de Paris concernant la priorité sont restées pour l'essentiel inchangées depuis 1883 et qu'il n'existe aucune jurisprudence de l'OEB, ni aucune jurisprudence nationale ayant clairement adopté l'interprétation des requérants. La barre pour opérer un revirement de jurisprudence et de pratique établies de longue date doit être placée très haut en raison des perturbations profondes qu'un changement peut entraîner. La poursuite de ces pratiques rationnelles bien établies peut être considérée comme un aspect de la sécurité juridique.
Troisièmement, concernant le droit applicable, la chambre a retenu que ce n'est pas, comme l'ont avancé les requérants, le droit national du lieu de dépôt de la demande dont la priorité est revendiquée (en l'occurrence le droit des États-Unis) qui détermine qui est visé par le terme "celui", mais la Convention de Paris, à laquelle les États-Unis sont parties et qui relève donc de la "loi suprême du pays" (art. VI, point 2 de la Constitution des États-Unis). La chambre a également invoqué les travaux préparatoires de la Convention de Paris de 1880 pour conclure que ce traité détermine qui est visé par le terme "celui", et que cette détermination est purement une question de forme. La Convention de Paris et la CBE offrent des définitions autonomes de la personne qui revendique la priorité. Cette personne est définie par l'action qu'elle a effectuée, à savoir déposer une première demande. La Convention de Paris n'exige pas d'examiner si cette personne est l'inventeur ou si elle est véritablement habilitée à être le demandeur pour ce brevet. Pour ce qui est de l'utilisation de demandes provisoires US en vue de revendiquer la priorité pour une demande de brevet européen, la chambre a fait observer que les demandeurs souhaitant agir de la sorte doivent avoir connaissance des difficultés qu'ils pourraient rencontrer. Il s'agit là d'une conséquence de l'adhésion des États-Unis à la Convention de Paris.
E. Modifications
1. Article 123(2) CBE – extension de l'objet de la demande
1.1 Divulgation déduite de l'ensemble de la demande telle que déposée
(CLB, II.E.1.2.1)
Dans l'affaire T 1121/17, la demande telle que déposée portait sur une composition comprenant une source de peroxyde (dans des quantités définies par un intervalle) et un système d'adhésion. La revendication 1 de la requête principale différait de la revendication 1 de la demande telle que déposée, entre autres, en ce qu'elle introduisait une caractéristique qui limitait la nature de la source de peroxyde (caractéristique (ii)).
En première instance, la division d'examen avait soulevé, concernant la requête subsidiaire alors en instance, une objection au titre de l'art. 123(2) CBE contre la limitation correspondant à la caractéristique (ii). Dans son raisonnement, la division d'examen s'était fondée sur la partie H-IV, 3.5 des Directives (version de novembre 2016 ; même paragraphe dans la partie H-IV, 3.4 de la version de novembre 2019), qui traite de l'admissibilité des modifications au titre de l'art. 123(3) CBE. Cette partie concerne les cas dans lesquels la revendication initiale porte sur une composition comprenant un composant dans une quantité définie par un intervalle numérique de valeurs et dans lesquels cette revendication est ensuite modifiée en restreignant la définition dudit composant. Dans une revendication portant sur une composition définie de manière ouverte, une telle restriction peut avoir pour effet d'élargir l'étendue de la protection conférée par la revendication. La division d'examen en a conclu que de telles revendications modifiées contiennent des éléments ajoutés, étant donné que le fait de restreindre la définition du composant signifie que certaines matières ne sont plus limitées par la revendication et qu'elles peuvent donc être présentes dans des quantités qui étaient exclues de la revendication telle que déposée initialement.
La chambre a toutefois souligné que le critère auquel il est fait référence dans les Directives n'est pas approprié pour l'évaluation de la conformité avec l'art. 123(2) CBE. La question pertinente aux fins de l'art. 123(2) CBE est de savoir si les modifications demeurent dans les limites de ce que l'homme du métier est en mesure de déduire directement et sans équivoque de l'ensemble de la demande telle que déposée, en se fondant sur les connaissances générales ("norme de référence" de la décision G 2/10, JO 2012, 376). Une modification ayant pour effet d'élargir l'étendue de la protection d'une revendication telle que déposée initialement ne contrevient pas à l'art. 123(2) CBE si l'objet modifié découle directement et sans équivoque de l'ensemble de la demande telle que déposée. En l'espèce, la modification en question résultait de l'incorporation littérale de la revendication dépendante 3 dans la revendication 1 et ne fournissait donc pas de nouvelles informations techniques à l'homme du métier.
1.2 Création d'une plage en combinant les points limites de plages divulguées
(CLB, II.E.1.5.1)
Dans la décision T 113/19, la chambre a expliqué que le fait que le seul exemple soit en dehors de la nouvelle plage revendiquée ne veut pas dire que cette plage ne peut pas être déduite directement et sans équivoque de la demande telle que déposée. Elle a considéré qu'en l'espèce, l'homme du métier comprend, à la lecture de la demande telle que déposée, que les compositions ayant (pour la caractéristique en question) au moins une valeur égale au seuil inférieur de la plage générale ont déjà la qualité requise, mais que celles allant au-delà du seuil supérieur sont encore meilleures. La chambre a conclu que la plage telle que revendiquée, qui est limitée à ce qui peut être considéré comme satisfaisant et exclut ce qui est encore mieux, découle directement et sans équivoque de l'enseignement de la demande telle que déposée.
1.3 Sélection à partir de listes – variantes convergentes
(CLB, II.E.1.6.2)
Dans la décision T 1621/16, la chambre a fait observer que, selon la jurisprudence constante, les modifications basées sur des sélections arbitraires multiples à partir de listes constituent, dans certaines circonstances, une extension du contenu de la demande telle que déposée au sens de l'art. 123(2) CBE (cf. p. ex. T 727/00). La chambre a toutefois noté que la plupart des décisions suivant cette approche bien établie concernaient des modifications basées sur des listes de variantes non convergentes (c'est-à-dire des éléments s'excluant mutuellement ou se recoupant partiellement). En revanche, dans les affaires où les modifications étaient basées sur des sélections effectuées à partir de listes de variantes convergentes (c'est-à-dire des listes d'options classées par ordre croissant de préférence, dans lesquelles chacune des variantes préférées est entièrement comprise dans toutes les options moins préférées et plus larges de la liste), les conclusions avaient été moins uniformes (cf. T 812/09, T 2237/10, T 27/16 et T 615/95).
De plus, les chambres avaient généralement considéré les modifications basées sur des suppressions multiples d'éléments dans une ou plusieurs listes de variantes (non convergentes) comme une restriction autorisée de l'étendue de la protection au titre de l'art. 123(2) CBE, à condition que ces modifications ne conduisent pas à isoler des combinaisons particulières ayant une signification précise (cf. T 615/95 et G 1/93, JO 1994, 541). La chambre a estimé, pour les raisons suivantes, que les sélections effectuées à partir de listes de variantes convergentes ne doivent pas être traitées de la même manière que les sélections effectuées à partir de listes de variantes non convergentes :
Dans le cas de variantes non convergentes, chaque variante représente une caractéristique distincte et, par conséquent, le fait de sélectionner des éléments spécifiques à partir de telles listes conduit à isoler une invention parmi plusieurs variantes distinctes, ce qui pourrait offrir un avantage indu en l'absence de moyen de prévoir laquelle des différentes inventions sera finalement protégée. D'autre part, lorsque des positions de repli pour une caractéristique sont décrites sous la forme d'une liste de variantes convergentes, chacun des éléments plus étroits est entièrement compris dans toutes les options précédentes moins préférées et plus larges. Par conséquent, les éléments d'une telle liste représentent des versions plus ou moins restreintes d'une seule et même caractéristique. Le fait de modifier une revendication en sélectionnant un élément à partir d'une liste de variantes convergentes ne conduit donc pas à isoler une invention parmi une pluralité d'options distinctes, mais donne simplement lieu à un objet basé sur une version plus ou moins restreinte de ladite caractéristique. Il y a donc une analogie entre la sélection d'un élément à partir d'une liste de variantes convergentes et la suppression d'options dans une liste de variantes non convergentes (comme dans l'affaire T 615/95).
La chambre a souligné que les considérations ci-dessus ne permettent pas de conclure que les modifications basées sur des sélections multiples effectuées à partir de listes de variantes convergentes satisfont nécessairement aux exigences prévues à l'art. 123(2) CBE. Il convient de déterminer si la combinaison spécifique résultant des multiples sélections a un fondement dans le contenu de la demande telle que déposée. Pour la chambre, il convient de satisfaire au moins aux deux conditions suivantes : i) la combinaison ne doit pas être associée à une contribution technique non divulguée, autrement dit, aucun avantage indu ne doit être tiré de l'association de la combinaison spécifique de variantes plus ou moins préférées à une sélection inventive qui n'a pas de fondement dans la demande telle que déposée ; et ii) la combinaison doit être étayée par une indication dans la demande telle que déposée. De telles indications peuvent être fournies par les exemples (comme dans les affaires T 27/16 et T 615/95) ou par les modes de réalisation spécifiques, étant donné que ceux-ci représentent généralement les formes les plus détaillées et préférées de l'invention.
1.4 Disclaimers divulgués
(CLB, II.E.1.7.2 b))
Dans l'affaire T 1525/15, l'objection du requérant concernait une caractéristique négative (ou disclaimer) des deux revendications indépendantes ("libre de motif micro-embossé"). La chambre a fait observer qu'il n'y avait pas de divulgation mot pour mot de cette caractéristique dans la demande initiale. La caractéristique a été ajoutée pendant la procédure de délivrance pour établir la nouveauté par rapport au document D1, qui constituait un état de la technique au sens de l'art. 54(3) CBE. La chambre a souligné qu'une telle modification est admissible : - si la caractéristique négative a été implicitement divulguée en tant que telle dans la demande initiale ; ou - si le disclaimer n'était pas divulgué dans la demande initiale, mais satisfaisait aux exigences formulées dans la décision G 1/03 (JO 2004, 413) de la Grande Chambre de recours. Dans la présente affaire, la chambre a conclu que la caractéristique négative était divulguée implicitement, mais malgré tout directement et sans ambiguïté, dans la demande initiale. À titre incident, la chambre a également noté que le critère pertinent pour l'évaluation des modifications était le critère dit "de la norme de référence" (cf. G 2/10, JO 2012, 376). Le test dit "de nouveauté", qui était parfois utilisé par les chambres de recours à leurs débuts, n'est plus utilisé (cf. Jurisprudence des chambres de recours, 9e éd., 2019, II.E.1.3.7). Étant donné que la caractéristique négative était divulguée en tant que telle dans la demande initiale, il n'était pas nécessaire d'examiner si les conditions énoncées dans la décision G 1/03 (et confirmées dans la décision G 1/16, JO 2018, A70) étaient remplies.
2. Extension de la protection conférée
2.1 Changement de catégorie
(CLB, II.E.2.6.)
Dans l'affaire T 653/16, le requérant (opposant) avait fait valoir que le changement de catégorie de la revendication 1 du brevet tel que délivré portant sur un dispositif (alimentation flottante en courant électrique de port) en une revendication de procédé visant l'exécution d'une méthode de travail (procédé d'alimentation en énergie externe d'un bateau à quai) à l'aide du dispositif accroissait l'étendue de la protection, étant donné que celle-ci comprenait un objet physique supplémentaire, à savoir un bateau. La chambre n'a pas partagé cet avis. Elle a indiqué que, dans le cas d'un changement de catégorie de revendication, il convient de comparer la protection conférée avant la modification par les catégories de revendications utilisées dans le brevet avec la protection conférée par la nouvelle catégorie de revendications introduite par la modification. Dans la présente affaire, le brevet délivré contenait exclusivement des revendications qui portaient sur un objet en tant que tel. Or, la Grande Chambre de recours a reconnu le principe fondamental suivant de la CBE, à savoir qu'un brevet qui revendique un objet en tant que tel confère une protection absolue à cet objet, c'est-à-dire à toutes les utilisations de cet objet, connues ou inconnues (G 2/88, JO 1990, 93). Contrairement à l'avis du requérant, la protection conférée par le brevet tel que modifié par la requête subsidiaire 2 n'était pas étendue au bateau, étant donné que, faute de revendications de dispositif, cette requête ne portait plus sur des objets et ne pouvait donc plus protéger d'objet.
F. Demandes divisionnaires
1. Désignation d'États contractants dans une demande divisionnaire
(CLB, II.F.4.2)
Dans la décision J 12/18, la chambre de recours juridique, interprétant l'art. 76(2) CBE conformément aux règles d'interprétation communément admises, a confirmé que, selon ladite disposition, seuls les États désignés dans la demande antérieure lors du dépôt de la demande divisionnaire peuvent être désignés dans la demande divisionnaire. Si, lors du dépôt de la demande divisionnaire, il s'avère que la désignation d'un État a été retirée de la demande principale, ladite désignation ne peut pas être rétablie dans la demande divisionnaire. Le fait que la demande soit qualifiée de demande "divisionnaire" au sens de l'art. 76(2) CBE implique par définition qu'elle résulte d'une division de la demande antérieure et qu'elle ne peut donc pas, au moment du dépôt, être plus étendue que la demande antérieure dont elle découle. Ce n'est qu'après son dépôt que la demande divisionnaire n'est plus affectée par les modifications concernant la demande antérieure. De la même manière, dans le contexte de l'interprétation systématique requise de l'art. 76(2) CBE, la chambre de recours juridique a fait observer que la nature d'une demande divisionnaire, qui découle d'une demande principale et bénéficie donc de la date de dépôt et des droits de priorité de la demande principale, implique que la demande divisionnaire ne peut pas être plus étendue que la demande principale, ni quant à son objet (art. 76(1) CBE), ni quant à sa couverture géographique. Il convient donc de prendre en considération l'art. 79 CBE. Conformément à l'art. 79(3) CBE, le demandeur peut retirer la désignation d'un État contractant à tout moment jusqu'à la délivrance du brevet européen. D'autres possibilités, en particulier l'ajout d'un État contractant antérieurement exclu par retrait, ne sont toutefois pas prévues à l'art. 79 CBE. Une désignation retirée ne peut être rétablie que dans des circonstances particulières, s'il est satisfait aux exigences en matière de correction au titre de la règle 139 CBE. Pour des raisons de cohérence, il doit en aller de même pour une demande divisionnaire qui découle de la demande antérieure. (Voir également les décisions parallèles J 13/18, J 14/18 et J 3/20, qui contiennent un raisonnement identique sur ce point.) Voir aussi le chapitre V.A.6.6 "Observations faites dans le mémoire ou la réponse – première phase de la procédure de recours – Article 12(3) à (6) RPCR 2020", ci-dessous.