LA JURISPRUDENCE DES CHAMBRES DE RECOURS ET DE LA GRANDE CHAMBRE DE RECOURS EN 2020
I. BREVETABILITÉ
A. Exceptions à la brevetabilité
1. Revendications de produit relatives à des végétaux ou à du matériel végétal
(Jurisprudence des chambres de recours, 9e éd. 2019 ("CLB"), I.B.3.3.3)
Dans son avis G 3/19 (JO 2020, A119), la Grande Chambre de recours a commencé par analyser la portée et l'objet de la saisine et a estimé que les deux questions sous-tendant cette saisine étaient liées et pouvaient être combinées pour faire l'objet de la question unique suivante :
"Compte tenu des développements intervenus à la suite d'une décision de la Grande Chambre de recours qui donne une interprétation de l'étendue de l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux prévue à l'article 53b) CBE, cette exclusion peut-elle avoir un effet négatif sur l'admissibilité des revendications de produit ou des revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention portant sur des végétaux, des matières végétales ou des animaux, si le produit revendiqué est obtenu exclusivement au moyen d'un procédé essentiellement biologique ou si les caractéristiques de procédé revendiquées définissent un procédé essentiellement biologique ?"
Considérant l'art. 53b) CBE de manière isolée, autrement dit sans se référer à la règle 28(2) CBE, la Grande Chambre a confirmé ses décisions antérieures sur l'affaire G 1/98 (JO 2000, 111), les affaires G 2/07 (JO 2012, 130) et G 1/08 (JO 2012, 206) et les affaires G 2/12 (JO 2016, 27) et G 2/13 (JO 2016, 28). Par ailleurs, la Grande Chambre de recours n'a trouvé aucun accord ultérieur ni aucune pratique ultérieurement suivie, au sens de l'art. 31(3)a) et b) de la Convention de Vienne, applicable à l'interprétation qu'elle avait retenue jusqu'alors.
La Grande Chambre de recours a estimé que l'application des différentes méthodes d'interprétation prévues aux art. 31 et 32 de la Convention de Vienne, compte tenu également des développements ultérieurs dans les États contractants, ne permettait pas de conclure que l'expression "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux" à l'art. 53b) CBE doit être interprétée, clairement et sans ambiguïté, comme couvrant également les produits définis ou obtenus par de tels procédés. Elle a dès lors entériné les conclusions auxquelles elle était parvenue à ce sujet dans sa décision G 2/12.
Cela étant, la Grande Chambre a reconnu que l'art. 53b) CBE n'interdisait pas non plus une telle interprétation plus large de l'exclusion des procédés. Elle a en outre admis que l'introduction de la règle 28(2) CBE avait modifié de manière significative la situation de droit et de fait qui sous-tendait la décision G 2/12. Ce changement représentait un nouvel aspect apparu depuis la signature de la CBE qui pourrait donner à penser qu'une interprétation grammaticale, et restrictive, du libellé de l'art. 53b) CBE est en contradiction avec les objectifs poursuivis par le législateur, tandis qu'une interprétation dynamique pourrait donner un résultat qui diverge du libellé des dispositions. La Grande Chambre de recours a estimé que l'exclusion des produits obtenus exclusivement au moyen d'un procédé essentiellement biologique n'était pas incompatible avec le libellé de l'art. 53b) CBE, qui n'excluait pas cette interprétation plus large de l'expression "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux". La Grande Chambre de recours a conclu qu'eu égard à l'intention législative manifeste des États contractants, tels que représentés au sein du Conseil d'administration, et compte tenu de l'art. 31(4) de la Convention de Vienne, l'introduction de la règle 28(2) CBE permettait et même appelait une interprétation dynamique de l'art. 53b) CBE.
En conséquence, la Grande Chambre de recours a abandonné l'interprétation de l'art. 53b) CBE donnée dans la décision G 2/12 et, à la lumière de la règle 28(2) CBE, a estimé que l'expression "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux" à l'art. 53b) CBE doit être interprétée et appliquée comme couvrant également les produits obtenus exclusivement au moyen d'un procédé essentiellement biologique et les cas où les caractéristiques de procédé revendiquées définissent un procédé essentiellement biologique. En conclusion, la Grande Chambre de recours a répondu comme suit à la question dont elle avait été saisie :
"Compte tenu des développements qui sont intervenus après les décisions G 2/12 (JO 2016, 27) et G 2/13 (JO 2016, 28) de la Grande Chambre de recours, l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux prévue à l'article 53b) CBE a un effet négatif sur l'admissibilité des revendications de produit et des revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention portant sur des végétaux, des matières végétales ou des animaux, si le produit revendiqué est obtenu exclusivement au moyen d'un procédé essentiellement biologique ou si les caractéristiques de procédé revendiquées définissent un procédé essentiellement biologique.
Cet effet négatif ne s'applique pas aux brevets européens délivrés avant le 1er juillet 2017, ni aux demandes de brevet européen qui ont été déposées avant cette date et qui sont encore en instance."
2. Méthodes de traitement médical
2.1 Une étape chirurgicale dans une méthode à plusieurs étapes
(CLB, I.B.4.3.1)
Dans l'affaire T 1631/17, l'invention portait sur un procédé pour la fabrication de prothèses dentaires. Le requérant (titulaire du brevet) a formé un recours contre la décision par laquelle la division d'opposition avait révoqué le brevet. Il était sans conteste que le libellé de la revendication 1 ne comprenait aucune étape de procédé explicite qui aurait dû être considérée comme une étape chirurgicale au sens de l'art. 53c) CBE. En revanche, le procédé revendiqué comprenait une telle étape, ce qui suffisait pour qu'il tombe sous le coup de l'exception prévue par l'art. 53c) CBE (G 1/07, JO 2011, 134). Selon la description, le procédé faisant l'objet de l'invention commençait par la réalisation d'une première empreinte de la dentition, la substance dentaire manquante étant complétée de manière temporaire. Ce n'était qu'une fois qu'une empreinte de cette dentition "complète" avait été réalisée que les dents étaient préparées pour la deuxième empreinte. La prothèse dentaire était fabriquée à l'aide de ces deux empreintes. Il s'ensuivait que le fait de compléter la substance dentaire manquante représentait une caractéristique essentielle de l'invention. Dans l'affaire en cause, cela était d'autant plus vrai que c'était précisément cette étape qui représentait la contribution par rapport à l'état de la technique. Cette étape du procédé devait donc être prise en compte pour interpréter la revendication. La préparation des dents, qui était effectuée après la réalisation de la première empreinte, était ainsi également englobée par le procédé revendiqué, sur le plan spatial et temporel. Le procédé revendiqué ne pouvait pas être exécuté sans que l'étape intermédiaire consistant à préparer les dents soit immédiatement mise en œuvre, puisque la deuxième empreinte ne pouvait sinon pas être réalisée. Du fait de sa nature, la préparation des dents est effectuée directement sur le patient et représente une étape de procédé chirurgicale, étant donné qu'un volume non négligeable de tissu corporel est retiré de manière invasive.
B. Nouveauté
1. Accessibilité au public – obligation de confidentialité
(CLB, I.C.3.4.4)
Dans l'affaire T 72/16, la question déterminante était de savoir si l'allégation d'usage antérieur public, sous forme de vente et de fourniture de produits, était suffisamment prouvée. En l'occurrence, Aspen avait vendu un produit (48 sections de tuyau) à Technip. La chambre s'est ralliée à l'avis du titulaire du brevet selon lequel il ne s'agissait pas de la vente et de la fourniture d'un produit final disponible dans le commerce qui serait ainsi devenu accessible au public. Les preuves démontraient qu'il s'agissait d'un produit de développement, à savoir d'un prototype fourni dans le cadre d'un programme de collaboration en cours. Par conséquent, Technip ne pouvait pas être considéré comme un simple client et aucun des deux partenaires ne pouvait être assimilé à un membre du public. Conformément à la jurisprudence des chambres de recours, une telle relation entre deux sociétés, dont l'une commande à l'autre de développer et de fournir des prototypes ainsi que des produits à des fins de tests, ne peut être assimilée à la relation entre distributeur et clients, et une obligation de confidentialité s'applique dans ce cas. Selon la pratique courante dans ces cas, ces deux sociétés étaient au moins tenues à une obligation implicite de confidentialité. La charge de la preuve incombait donc au requérant (opposant), qui devait démontrer l'absence d'accord de confidentialité. La suggestion du témoin selon laquelle l'accord de confidentialité était asymétrique, c'est-à-dire contraignant uniquement pour Aspen, et non pour Technip, semblait improbable et, d'expérience, contraire à la situation observée dans des projets de coopération comparables. Elle n'était en outre étayée par aucune preuve. Il n'était pas étonnant que le témoin, un ingénieur, et non un spécialiste de PI, n'était pas au courant de toutes les exigences de confidentialité liant l'autre partie.
La chambre a conclu que Technip n'était pas un simple client. Au contraire, Aspen et Technip étaient engagées, en tant que partenaires, dans un projet de développement de produits et leur collaboration était régie par un accord de confidentialité tout au moins implicite. Aucun des usages antérieurs n'avait été prouvé, si bien qu'aucun d'eux ne faisait partie de l'état de la technique.
2. Constatation de différences – caractéristiques distinctives
(CLB, I.C.5.2.5)
L'affaire T 1930/14 concernait une méthode de purification d'anticorps. La division d'opposition avait considéré notamment que l'objet de la revendication 1 de la requête principale n'était pas nouveau.
Le requérant (titulaire du brevet) a fait valoir que la revendication 1 portait uniquement sur les méthodes dans lesquelles les anticorps monomères sont séparés des agrégats grâce à une étape de faible échange de cations CM. Il a aussi soutenu que la revendication devait être interprétée conformément aux principes énoncés dans la décision T 1931/14. Selon le requérant, la finalité indiquée dans la revendication, à savoir "purifier de ses agrégats un anticorps monoclonal", définissait l'application ou l'usage de la méthode revendiquée (par opposition à son effet). Conformément à la décision T 1931/14, cette finalité devait être considérée comme étant une caractéristique technique fonctionnelle indiquée dans la revendication, c'est-à-dire qu'elle représentait une limitation de la méthode.
La chambre a estimé que la conclusion tirée dans la décision T 1931/14, selon laquelle lorsque la finalité indiquée définit l'application spécifique du procédé, elle nécessite en fait certaines étapes supplémentaires qui ne sont ni implicites ni inhérentes aux autres étapes restantes définies dans la revendication, et sans lesquelles le procédé revendiqué ne permettrait pas d'atteindre la finalité indiquée (point 2.2.4 des motifs), ne peut valoir que dans des cas où il apparaît, sans aucune ambiguïté possible, que la finalité implique de telles étapes et où la nature de ces étapes ne présente aucune ambiguïté. Dans l'affaire en cause T 1930/14, la chambre ne pouvait identifier aucune indication, ni dans la revendication ni dans la description, qui conduirait l'homme du métier à comprendre que la finalité déclarée "pour purifier de ses agrégats un anticorps monoclonal" impliquait que la méthode revendiquée contenait des étapes supplémentaires. La méthode revendiquée ne contenait aucune étape supplémentaire implicite en vertu de sa finalité. Par conséquent, et contrairement à l'avis du requérant, il n'y avait aucune étape, prétendument impliquée par la finalité, qui servait à différencier la méthode revendiquée de celle divulguée dans le document D1. La revendication 1 ne satisfaisait pas aux exigences de l'art. 54 CBE.
3. Les inventions dans le domaine de la chimie et les inventions de sélection – listes
(CLB, I.C.6.2.1b))
Dans l'affaire T 2350/16, le requérant (opposant) a fait valoir que le document D1 détruisait la nouveauté de l'objet de la revendication 1. La chambre a d'abord constaté que D1 divulguait toutes les caractéristiques de la revendication 1 en tant que telles. Cependant, elle devait encore examiner si D1 divulguait ces caractéristiques aussi en combinaison. Elle a réalisé un tableau précisant où, et dans quel contexte, les caractéristiques 1d à 1h étaient divulguées et a également indiqué le nombre de variantes devant être sélectionnées pour obtenir la caractéristique. Elle a conclu que toutes les caractéristiques étaient divulguées en combinaison. La chambre a en outre constaté que la jurisprudence relative à la sélection à partir de listes ne pouvait pas être appliquée au cas d'espèce, car il n'était pas question de (longues) listes, telles que couramment utilisées dans le domaine de la chimie, mais uniquement d'une sélection parmi, au maximum, deux ou trois éléments. Comme D1 divulguait toutes les caractéristiques de la revendication 1 en combinaison, l'objet de cette revendication était dénué de nouveauté du fait de D1.
La chambre s'est également exprimée sur le rôle de l'homme du métier dans le cadre de l'examen de nouveauté. L'intimé (titulaire du brevet) avait fait valoir à plusieurs reprises que D1 était compris dans l'état de la technique au sens de l'art. 54(3) CBE et qu'il n'était donc pas admissible de "recourir constamment à l'homme du métier". La chambre n'a pas suivi ce raisonnement. Même si cela n'a pas toujours été mentionné de manière explicite, l'examen de nouveauté implique nécessairement de faire appel constamment à l'homme du métier. Cependant, dans le contexte de la nouveauté, l'homme du métier ne peut pas traiter les questions de plausibilité ou d'évidence comme celles-ci peuvent se poser pour l'appréciation de l'activité inventive.
4. Deuxième application thérapeutique
(CLB, I.C.7.2.4)
Dans l'affaire T 264/17, la chambre a constaté que le lubrifiant revendiqué, utilisé comme substitut du liquide synovial, constituait une substance ou composition au sens de l'art. 54(4) et (5) CBE. L'effet thérapeutique des polyéthers perfluorés revendiqués résidait dans le fait qu'ils constituaient un substitut pour le liquide synovial dans des articulations endommagées. De l'avis de la chambre, cet effet était attribuable aux propriétés matérielles du lubrifiant revendiqué. Comme il est expliqué dans la description, l'effet lubrifiant des polyéthers perfluorés repose sur leurs propriétés omniphobes, c'est-à-dire sur le fait qu'ils ont pour effet de repousser les liquides, qu'il s'agisse de liquides hydrophobes ou de liquides hydrophiles, et qu'ils se contractent de manière autonome, de sorte qu'un nouveau film lubrifiant se forme en permanence. Ces propriétés matérielles découlent de la structure chimique des polyéthers. L'effet physiologique des polyéthers résultait ainsi de leur interaction (ou de leur absence d'interaction) avec les tissus biologiques.
De plus, il ne faisait aucun doute que l'effet thérapeutique était produit par une composition chimique, à savoir par les polyéthers perfluorés définis dans la revendication. Selon la chambre, la question de savoir si ces polyéthers constituaient des "principes actifs" au sens classique était secondaire.
5. Deuxième (ou autre) application non thérapeutique
(CLB, I.C.8.1.1)
Dans la décision T 1385/15, la chambre a considéré qu'une revendication portant sur une autre application non thérapeutique ne peut pas être considérée comme dépourvue de nouveauté si l'effet technique revendiqué de la substance et son usage revendiqué ne sont pas divulgués en tant que combinaison dans l'état de la technique.
La revendication indépendante 1 du brevet, sur laquelle portait la décision attaquée, concernait l'utilisation d'un produit détergent contenant au moins deux tensioactifs différents, choisis parmi au moins deux des trois groupes suivants : tensioactifs cationiques, non ioniques et amphotères, et présentant, à l'état dilué dans une solution aqueuse, prêt à l'emploi, un pH au moins égal à 10,5, afin d'éliminer/d'inactiver des micro-organismes choisis dans le groupe constitué par des bactéries, des virus et des champignons lors de la désinfection en machine d'objets.
Dans la décision attaquée, la division d'opposition, se référant aux documents D1a et D2, est parvenue à la conclusion que la revendication d'utilisation indépendante 1 n'était pas nouvelle par rapport au document D1a, lu à la lumière de D2. Certes, ni D1a ni D2 ne divulguaient à eux seuls toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet. Après analyse de la décision G 6/88 (JO 1990, 114), qui a été déterminante pour l'évaluation de la nouveauté de revendications portant sur une deuxième application non thérapeutique, la division d'opposition est toutefois parvenue à la conclusion que la caractéristique "éliminer des […] bactéries, des virus et des champignons" n'était pas de nature à fonder la nouveauté par rapport à D1a. Cet effet technique des détergents définis dans la revendication était en effet déjà divulgué dans D2 et n'était pas de nature à conférer à la revendication un caractère nouveau, conformément au sommaire de la décision G 6/88 ("à condition que cette caractéristique technique n'ait pas été rendue accessible au public auparavant").
De l'avis de la chambre, l'interprétation suivie dans la décision attaquée n'entrait pas dans le champ de la décision G 6/88. En effet, dans la décision G 6/88 elle-même, il est précisé au point 8 des motifs qu'il ne peut être conclu à l'absence de nouveauté que si toutes les caractéristiques techniques combinées dans l'invention revendiquée ont été rendues accessibles au public. C'est pourquoi la chambre a estimé qu'une objection d'absence de nouveauté ne pouvait se fonder sur une combinaison de l'enseignement technique des documents D1a et D2.
En somme, la décision G 6/88 a défini la caractéristique technique fonctionnelle fondant la nouveauté comme une caractéristique qui vise à obtenir un effet technique dans un contexte particulier. Dans la présente espèce, la caractéristique technique fonctionnelle était l'activité antimicrobienne dans le contexte de la désinfection en machine d'objets visée dans la revendication. Cette caractéristique n'était pas divulguée dans D2 et ne pouvait donc, en tout état de cause, être extraite de ce document.
C. Activité inventive
1. Distinction entre plausibilité et évidence
(CLB, I.D.4.6.)
Dans l'affaire T 184/16, la chambre a reconnu la plausibilité lors de l'appréciation de la suffisance de l'exposé et de l'activité inventive. Elle a donc décidé de tenir compte de la preuve publiée ultérieurement D4. La chambre a indiqué que le fait de reconnaître la plausibilité ne contredit pas la conclusion selon laquelle l'objet revendiqué n'est pas évident à la lumière de l'état de la technique. Les critères permettant d'apprécier la plausibilité et l'évidence sont différents. D'un côté, pour que la plausibilité d'un effet revendiqué soit reconnue, il suffit qu'il n'existe pas, de prime abord, de doutes sérieux quant à la possibilité d'obtenir l'effet en question, et que les connaissances générales de l'homme du métier ne donnent pas, quant à elles, de raison de penser – ni ne suggèrent – a priori que cet effet ne peut pas être obtenu. De l'autre côté, l'évidence est déterminée dans le cadre de l'approche problème-solution, dont un aspect important consiste généralement à établir si la solution revendiquée est suggérée par l'état de la technique et en découle donc de manière évidente. Voir aussi le chapitre II.C.2. "Niveau de divulgation nécessaire pour les utilisations médicales – caractère plausible".
2. État de la technique le plus proche – point de départ le plus prometteur
(CLB, I.D.3.4.)
Dans l'affaire T 1450/16, le requérant (demandeur) faisait valoir que l'homme du métier n'aurait pas choisi le document D1 en tant qu'état de la technique le plus proche. La chambre ne s'est pas ralliée à l'hypothèse avancée par le requérant selon laquelle, dans l'approche problème-solution de base, l'homme du métier peut être chargé de sélectionner l'état de la technique le plus proche ou un point de départ approprié pour l'appréciation de l'activité inventive, cette sélection constituant la première des différentes étapes de la méthode adoptée au titre de cette approche problème-solution. Selon la chambre, une telle hypothèse impliquerait que la personne (fictive) évaluant en dernier lieu l'évidence d'un objet revendiqué donné est également celle qui a précédemment sélectionné son document de l'état de la technique "préféré" aux fins de cette évaluation. Étant donné que le problème technique objectif doit être déduit des caractéristiques distinctives établies par rapport à l'état de la technique le plus proche qui a été choisi, une sélection réalisée de la sorte impliquerait par ailleurs que l'homme du métier peut se poser à lui-même le problème technique objectif. Or, cela serait en contradiction avec la finalité même de l'approche problème-solution, à savoir fournir une méthode objective permettant d'apprécier l'activité inventive et d'éviter autant que possible une analyse rétrospective non autorisée. La chambre a fait observer qu'elle avait connaissance de la jurisprudence qui indique, au moins implicitement, que l'homme du métier peut choisir son "propre" état de la technique le plus proche (cf. par ex. T 1841/11, T 2057/12 et T 1248/13). Dans l'affaire en question, elle a toutefois suivi les conclusions des affaires T 422/93 (JO 1997, 24, cf. point 1 du sommaire) et T 1140/09, selon lesquelles l'homme du métier compétent doit être défini à partir du problème technique objectif. Selon la chambre, l'homme du métier au sens de l'art. 56 CBE n'intervient qu'à partir du moment où le problème technique objectif a déjà été formulé. Par conséquent, l'homme du métier visé à l'art. 56 CBE est la personne qui est qualifiée pour résoudre le problème technique objectif établi (cf. par ex. T 32/81, JO 1982, 225 ; T 26/98 et T 1523/11), et pas nécessairement la personne versée dans le domaine de la demande sous-jacente ou dans le domaine de l'état de la technique le plus proche qui a été sélectionné, comme cela semble avoir été préconisé dans la décision T 25/13. La chambre a conclu que, conformément aux conclusions énoncées dans la décision T 855/15, la sélection de l'état de la technique le plus proche doit être effectuée par l'instance appelée à statuer dans l'affaire en question (dont les membres ne peuvent être assimilés à l'homme du métier en tant qu'entité abstraite ; cf. T 1462/14), qu'il s'agisse de la division d'examen, de la division d'opposition ou de la chambre de recours concernée, plutôt que par l'homme du métier visé à l'art. 56 CBE. Dans l'exergue de sa décision, la chambre a résumé ses conclusions de la manière suivante : dans l'application de l'approche problème-solution en vue de l'appréciation de l'activité inventive, l'homme du métier au sens de l'art. 56 CBE n'intervient qu'à partir du moment où le problème technique objectif a été formulé à la lumière de l'"état de la technique le plus proche" sélectionné. C'est seulement ensuite qu'il est possible de définir de manière adéquate le domaine technique pertinent pour l'homme du métier théorique ainsi que l'étendue de ce domaine. Par conséquent, l'"homme du métier" ne peut pas être la personne qui sélectionne l'état de la technique le plus proche, lors de la première étape de l'approche problème-solution. C'est plutôt à l'instance appelée à statuer qu'il revient d'opérer cette sélection, sur la base des critères établis, afin d'éviter toute analyse rétrospective.
Dans l'affaire T 787/17, la chambre a considéré que le document D2 était le plus proche de l'objet de l'invention et constituait donc l'"état de la technique le plus proche" du point de vue de l'approche problème-solution. Dans D2, c'est le mode de réalisation présenté à la figure 11a qui se rapprochait le plus de l'invention. La chambre n'a pas pu se rallier à l'argument selon lequel ce mode de réalisation ne constituait pas un point de départ réaliste puisqu'il ne fournissait pas à l'homme du métier d'indication quant à la manière de procéder pour résoudre le problème posé. En principe, tout élément de l'état de la technique qui relève du domaine de l'invention et qui divulgue un objet conçu dans le même but ou avec le même objectif que l'invention revendiquée constitue un point de départ possible. Aucune justification particulière, s'appuyant par exemple sur le raisonnement suivi par l'homme du métier, n'est nécessaire pour cela. En particulier, la question de savoir si un tel élément comporte un indice menant à la solution au problème technique objectif ne joue aucun rôle dans le choix effectué en faveur de cet élément en tant que point de départ. En atteste le simple fait que le problème technique objectif ne peut être défini que sur la base de ce point de départ. Il n'est pas non plus nécessaire de justifier pourquoi l'homme du métier, placé devant une publication antérieure comprenant un grand nombre de modes de réalisation, prend précisément pour point de départ un mode de réalisation particulier. Chacun des modes de réalisation représente un élément de l'état de la technique qui, en tant que tel, est connu de l'homme du métier (fictif) et peut donc également servir de point de départ.
3. Niveau de connaissance de l'homme du métier
(CLB, I.D.8.3.)
Dans l'affaire T 1601/15, la chambre a conclu que l'homme du métier n'avait besoin d'aucune incitation pour mettre en application ses connaissances. La chambre n'a pas été convaincue par l'argument selon lequel l'homme du métier n'aurait eu aucune raison de faire appel à ses connaissances. L'homme du métier n'a besoin d'aucune raison pour mettre en application ses connaissances. Celles-ci forment en quelque sorte le contexte technique dans lequel s'inscrivent toutes ses activités, et viennent alimenter toutes ses décisions. À cet égard, il convient d'opérer une distinction entre les connaissances générales de l'homme du métier et l'enseignement de documents portant sur un sujet technique précis. Dans l'affaire en question, la solution au problème aurait été évidente pour l'homme du métier au vu de ses connaissances, comme l'attestait notamment le document D15.
4. Effet non démontré de façon crédible dans toute la portée de la revendication – réseau de neurones
(CLB, I.D.4.3.)
Dans l'affaire T 161/18, le procédé revendiqué ne se distinguait de l'état de la technique que par un réseau de neurones artificiels. Cependant, les modalités d'apprentissage de ce réseau n'étaient pas divulguées dans le détail, de sorte que son utilisation ne produisait pas d'effet technique spécifique, susceptible de fonder l'activité inventive. La revendication 1 prévoyait que "la conversion de la courbe de pression sanguine mesurée à la périphérie en pression aortique équivalente est effectuée à l'aide d'un réseau de neurones artificiels, dont les valeurs de pondération sont déterminées par apprentissage". Selon la chambre, la simple mention du fait que les valeurs de pondération sont déterminées par apprentissage n'apporte aucun élément supplémentaire par rapport à la notion de réseau de neurones artificiels telle que la comprend l'homme du métier. Le réseau de neurones revendiqué n'était donc pas adapté à l'application spécifique revendiquée. Il ne s'agissait en l'espèce que d'une adaptation non déterminée des valeurs de pondération, inhérente à tout réseau de neurones artificiels. Par conséquent, la chambre n'a pas été convaincue que l'effet exposé dans le procédé revendiqué pouvait être obtenu dans l'ensemble du domaine revendiqué. Cet effet ne pouvait donc pas être pris en considération en tant qu'amélioration par rapport à l'état de la technique aux fins de l'appréciation de l'activité inventive. Voir également le chapitre II.C.1. "Exécution de l'invention – réseau de neurones".
5. Appréciation de l'activité inventive
5.1 Caractère technique d'une invention
(CLB, I.D.9.1.1)
Dans l'affaire T 1798/13, l'invention portait sur la prévision de la valeur d'un produit financier structuré fondé sur la météo. Les valeurs de ces produits se fondaient sur des mesures météorologiques spécifiques telles que la température, les précipitations, les heures d'ensoleillement, les degrés-jours de chauffage, les degrés-jours de réfrigération ou la vitesse du vent.
En substance, la division d'examen a estimé que l'invention comportait deux aspects, à savoir a) définir et calculer une prévision météorologique et b) définir et calculer l'influence de la prévision météorologique sur un produit financier donné. Les membres de la division n'ont trouvé aucun problème technique qui soit résolu par la mise en œuvre de l'un ou l'autre de ces aspects. La décision ajoutait que l'introduction d'équations mathématiques dans la revendication 1 ne rendrait pas cette dernière technique car la nature du problème technique qu'elles devaient résoudre n'était pas claire.
La chambre s'est ralliée à l'avis du requérant selon lequel un système de prévision météorologique, comprenant par exemple des capteurs pour mesurer des données météorologiques spécifiques, possède un caractère technique. Toutefois, l'invention reposait sur l'utilisation de données météorologiques déjà mesurées. On pourrait affirmer que ces données météorologiques (brutes) constituaient des mesures se rapportant au monde physique et étaient donc elles aussi de nature technique. La situation serait alors comparable à celle qui avait donné lieu à la décision T 2079/10, dans laquelle il a été estimé que les paramètres physiques sont des données techniques et que le choix des paramètres physiques à mesurer fait partie des compétences de l'homme du métier (technicien).
Cependant, dans l'affaire T 2079/10, il avait été considéré que l'invention résidait dans l'amélioration de la technique de mesure elle-même, qui faisait intervenir des considérations d'ordre technique concernant les capteurs et leur position. Or, dans la présente espèce, les mesures elles-mêmes ne jouaient aucun rôle, puisque l'amélioration résidait dans le traitement de données visant à fournir une meilleure prévision météorologique.
Le deuxième argument du demandeur consistait, en substance, à dire qu'une amélioration des données météorologiques reposant sur des calculs et un traitement ultérieur des données était également technique. De l'avis de la chambre, cette affirmation conduisait à la question centrale de l'affaire, qui était de savoir si l'amélioration de la précision de certaines données d'une prévision météorologique était de nature technique. Si ce n'était pas le cas, les détails de l'algorithme, "les mathématiques", pour citer la division, n'apportaient rien.
La chambre a répondu à cette question par la négative. La "météo" n'est pas un système technique que l'homme du métier puisse améliorer, ni même simuler afin d'essayer de l'améliorer. Elle est un système physique qui peut être modélisé de manière à montrer comment ce système fonctionne. Ce type de modélisation relève plutôt de la découverte ou de la théorie scientifique, qui sont toutes deux exclues de la brevetabilité au titre de l'art. 52(2)a) CBE et ne contribuent donc pas au caractère technique de l'invention.
5.2 L'objectif à atteindre dans la formulation du problème technique
(CLB, I.D.9.1.4)
Dans l'affaire T 1749/14, l'invention appartenait au domaine des terminaux de point de vente (TPV) mobiles permettant d'effectuer des transactions, par exemple à l'aide de cartes de crédit. Traditionnellement, le commerçant possédait de tels TPV mobiles et le client devait entrer ses informations d'identification, par exemple son numéro de compte et son code confidentiel, sur l'appareil du commerçant. L'invention visait à éviter que les informations sensibles du client puissent être divulguées si l'appareil du commerçant était manipulé, en permettant qu'une transaction soit effectuée sans que le client ait à présenter au commerçant les coordonnées de son compte et composer son code confidentiel. La chambre a estimé que l'entrepreneur abstrait aurait pu avoir l'idée théorique d'éviter au client de devoir fournir un code et les coordonnées de son compte au commerçant. L'invention, cependant, nécessitait une nouvelle infrastructure, de nouveaux appareils et un nouveau protocole faisant intervenir des considérations techniques liées aux appareils modifiés et à leurs capacités, ainsi que, du point de vue de la sécurité, des modifications du mode de transmission des informations sensibles exploitant les nouvelles possibilités offertes par la modification de l'infrastructure des TPV mobiles précédemment connus. Tout ceci allait au-delà des connaissances de l'entrepreneur et concernait des détails de mise en œuvre technique (le "comment" de la mise en œuvre) qui ne se bornait pas à la simple programmation machinale d'une idée commerciale abstraite. Cela est du ressort de l'expert technique et relève de l'appréciation de l'activité inventive (cf. T 1082/13).
Dans l'affaire T 232/14, l'invention portait sur l'identification d'articles manufacturés (également appelés unités ou paquets, par exemple des paquets de cigarettes) soumis à une fiscalité spécifique ou appartenant à une marque spécifique, et conditionnés dans des conteneurs (également appelés cartouches). Cette identification permettait d'authentifier les produits, de les suivre et de les tracer, ce qui contribuait à repérer les produits de contrebande et de contrefaçon. La chambre a estimé que, vu le caractère général de la revendication, l'utilisation de plages d'identificateurs d'unités pour marquer un certain nombre d'identificateurs d'unités (consécutifs) correspondant à des articles manufacturés tombait plutôt dans le domaine commercial au regard de la ligne de démarcation entre objets techniques et non techniques (voir par exemple T 144/11, points 2.1, et 3.6 à 3.9 des motifs). Contrairement à l'argument avancé par le requérant, la chambre a estimé que les plages d'identificateurs d'unités avaient bien un sens pour l'entrepreneur. Elles correspondaient aux lots d'unités produites sur une chaîne de production (point 2.6 des motifs). Même si le fait de "déterminer des plages d'identificateurs d'unités" produisait un effet technique, comme la réduction des exigences en matière de stockage des données ou de bande passante, l'enregistrement du premier et du dernier élément d'une liste d'articles au lieu de la liste entière relevait de tâches de conception classique pour l'homme du métier (par exemple un programmeur logiciel ou un spécialiste des bases de données) qui se fonde sur ses connaissances générales. Par conséquent, la détermination des plages d'identificateurs d'unités avait davantage trait aux différentes manières d'agencer les articles d'une série d'articles en fonction de leurs paramètres de production (le nombre de lots produits) qu'à la manière de stocker les données.
La chambre a souscrit à l'avis de la division d'examen selon lequel l'utilisation d'une base de données (électronique) pour le stockage de données (en l'occurrence des plages d'identificateurs d'unités) résulte directement des spécifications des conditions lorsqu'elles sont mises en œuvre dans un système de traitement de données. L'homme du métier, lors de la mise en œuvre de conditions liées à une activité économique, serait naturellement amené à stocker dans la base de données un identificateur de conteneur pour chaque conteneur, chacun de ces identificateurs étant associé dans la base de données à une ou à plusieurs plages d'identificateurs d'unités attribuées au conteneur. L'économie d'espace de stockage constituait un simple "effet supplémentaire".
Dans l'affaire T 2314/16, l'invention portait sur la répartition de commissions entre les participants à un système de marketing d'affiliation, selon lequel un influenceur (dénommé "utilisateur" ("user") dans la revendication 1) reçoit une commission pour la promotion d'un produit ou d'un service sur un blog ou sur les réseaux sociaux. Chacun des influenceurs participants se voit attribuer une zone différente d'une bannière publicitaire affichée sur un site Internet. Les visiteurs du site Internet ne voient pas les zones attribuées à ces utilisateurs, seulement une bannière publicitaire. Lorsque le visiteur clique sur cette bannière, l'utilisateur auquel la zone cliquée est attribuée reçoit une commission qui varie en fonction de la taille des différentes zones de l'image. Les zones sont attribuées de telle sorte que le taux de répartition des commissions correspond au degré de contribution de chaque utilisateur à la publicité.
La chambre a estimé que la définition de la méthode commerciale se limitait à la détermination du taux de répartition des commissions. Les caractéristiques consistant à diviser l'espace d'affichage de la publicité en zones et à attribuer chacune de ces zones à un utilisateur, de telle sorte que chaque utilisateur reçoit une commission lorsque sa zone est cliquée, reposaient sur des considérations techniques inhérentes au système du site Internet. Elles n'étaient pas motivées par des considérations commerciales. Pour arriver à cette idée, il fallait comprendre comment un site Internet est construit et notamment comment une image à zones cliquables fonctionne. Par conséquent, ces caractéristiques ne pouvaient pas faire partie des exigences non techniques. Au contraire, elles faisaient partie de la solution, dont le caractère évident devait être évalué.