SEANCE DE TRAVAIL
Jurisprudence récente en matière de protection par brevets des inventions biotechnologiques
Richard ARNOLD - Juge du Tribunal des brevets, Londres - Jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne
Affaire C-34/10 Brüstle v Greenpeace eV [2011] Rec. I-0000
Oliver Brüstle était propriétaire d'un brevet allemand portant sur des cellules précurseurs neurales isolées et purifiées, leurs procédés de production à partir de cellules souches embryonnaires et leur utilisation pour la thérapie d'anomalies neurales (comme la maladie de Parkinson). Recourir aux tissus cérébraux d'embryons humains pose d'importants problèmes éthiques, mais le brevet signale que les cellules souches embryonnaires sont pluripotentes et peuvent ainsi se différencier en tous types de cellules et de tissus, ouvrant ainsi une nouvelle possibilité de produire ces cellules pour ce genre de transplantation. Le brevet visait à permettre la production d'un nombre pratiquement illimité de cellules précurseurs isolées, à partir de cellules souches embryonnaires.
À la demande de Greenpeace eV, le Bundespatentgericht (Tribunal fédéral allemand des brevets) a constaté la nullité du brevet en cause dans la mesure où celui-ci porte sur des cellules précurseurs obtenues à partir de cellules souches d'embryons humains et sur des procédés de production de ces cellules précurseurs. Le Tribunal fédéral a estimé l'invention non brevetable au titre de la disposition nationale appliquant l'article 6 de la Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques ("la directive biotech"). L'article 6 dispose que :
"1. Les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs sont exclues de la brevetabilité, l'exploitation ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu'elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire.
2. Au titre du parapraphe 1 ne sont notamment pas brevetables :
…
(c) les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ;
…"
En appel, le Bundesgerichtshof (Tribunal fédéral allemand des brevets) a posé trois questions concernant l'interprétation de l'article 6(2)(c) à la Cour de justice de l'Union européenne.
Question 1
"Que convient-il d'entendre par "embryons humains" au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de [la Directive] ?
(a) Cette notion recouvre-t-elle tous les stades de développement de la vie humaine à partir de la fécondation de l'ovule ou d'autres conditions doivent-elles être satisfaites, par exemple un stade de développement déterminé doit-il être atteint ?
(b) Est-ce que les organismes suivants relèvent de cette notion :
- des ovules humains non fécondés, dans lesquels a été implanté le noyau d'une cellule humaine mature ;
- des ovules humains non fécondés qui, par voie de parthénogenèse, ont été induits à se diviser et à se développer ?
(c) Est-ce que des cellules souches obtenues à partir d'embryons humains au stade de blastocyste relèvent également de cette notion ?"
La CJUE a déclaré aux points [25]-[29] de son arrêt que l'expression "embryon humain" n'est pas définie par la Directive, et doit ainsi désigner une notion autonome de la législation européenne qui doit être interprétée de manière uniforme dans toute l'UE. La Cour déclare au point [30] que :
"S'agissant du sens à donner à la notion d'"embryon humain" prévue à l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive, il convient de souligner que, si la définition de l'embryon humain est un sujet de société très sensible dans de nombreux États membres, marqué par la diversité de leurs valeurs et de leurs traditions, la Cour n'est pas appelée, par le présent renvoi préjudiciel, à aborder des questions de nature médicale ou éthique, mais doit se limiter à une interprétation juridique des dispositions pertinentes de la directive…"
Ayant renvoyé aux considérants 16 et 38, la Cour poursuit en déclarant :
"34. Le contexte et le but de la directive révèlent ainsi que le législateur de l'Union a entendu exclure toute possibilité de brevetabilité, dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté. Il en résulte que la notion d'"embryon humain" au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive doit être comprise largement.
35. Dans ce sens, tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un "embryon humain" au sens et pour l'application de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive, dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus de développement d'un être humain.
36. Doivent également se voir reconnaître cette qualification l'ovule humain non fécondé, dans lequel le noyau d'une cellule humaine mature a été implanté, et l'ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse. Même si ces organismes n'ont pas fait l'objet, à proprement parler, d'une fécondation, ils sont, ainsi qu'il ressort des observations écrites déposées devant la Cour, par l'effet de la technique utilisée pour les obtenir, de nature à déclencher le processus de développement d'un être humain comme l'embryon créé par fécondation d'un ovule.
37. En ce qui concerne les cellules souches obtenues à partir d'un embryon humain au stade de blastocyste, il appartient au juge national de déterminer, à la lumière des développements de la science, si elles sont de nature à déclencher le processus de développement d'un être humain et relèvent, par conséquent, de la notion d'"embryon humain" au sens et pour l'application de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive."
Question 2
"Que convient-il d'entendre par "utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales" ? Cette notion couvre-t-elle toute exploitation commerciale au sens de l'article 6, paragraphe 1, de ladite directive, en particulier également une utilisation à des fins de recherche scientifique ?"
La CJUE en premier déclare au point [40] que :
"... la directive n'a pas pour objet de réglementer l'utilisation d'embryons humains dans le cadre de recherches scientifiques. Son objet se limite à la brevetabilité des inventions biotechnologiques."
Ayant considéré au point [41] que "l'octroi d'un brevet à une invention implique, en principe, son exploitation industrielle et commerciale" ? La Cour dispose que :
"43. Or, même si le but de recherche scientifique doit être distingué des fins industrielles ou commerciales, l'utilisation d'embryons humains à des fins de recherche qui constituerait l'objet de la demande de brevet ne peut être séparée du brevet lui-même et des droits qui y sont attachés.
44. La précision apportée par le quarante-deuxième considérant du préambule de la directive, selon laquelle l'exclusion de la brevetabilité visée à l'article 6, paragraphe 2, sous c), de cette même directive "ne concerne pas les inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s'appliquent à l'embryon humain et lui sont utiles", confirme également que l'utilisation d'embryons humains à des fins de recherche scientifique qui ferait l'objet d'une demande de brevet ne saurait être distinguée d'une exploitation industrielle et commerciale et, ainsi, échapper à l'exclusion de la brevetabilité"
Ainsi que l'a signalé la Cour, cette interprétation est identique à celle retenue par la Grande Chambre de recours de l'Office européen des brevets à propos de l'article 28, sous c), du règlement d'exécution de la CBE dans G 2/06 Utilisation des embryons/WARF [2009], JO OEB 2009, p. 306.
Question 3
"Un enseignement technique est-il exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive […] également dans le cas où l'utilisation d'embryons humains ne fait pas partie de l'enseignement technique revendiqué par le brevet, mais est la condition nécessaire de sa mise en œuvre :
- parce que le brevet porte sur un produit dont la production requiert la destruction préalable d'embryons humains, ou
- parce que le brevet porte sur un procédé pour lequel un tel produit est nécessaire comme matériau de départ ?"
En examinant cette question, la CJUE constate au point [48] que "le prélèvement d'une cellule souche sur un embryon humain au stade de blastocyste entraîne la destruction de cet embryon". Elle poursuit en déclarant :
"49. Dès lors, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 32 à 35 du présent arrêt, une invention doit être considérée comme exclue de la brevetabilité, même si les revendications du brevet ne portent pas sur l'utilisation d'embryons humains, dès lors que la mise en œuvre de l'invention requiert la destruction d'embryons humains. Dans ce cas également, il doit être considéré qu'il y a utilisation d'embryons humains au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive. Le fait que cette destruction intervienne, le cas échéant, à un stade largement antérieur à la mise en œuvre de l'invention, comme dans le cas de la production de cellules souches embryonnaires à partir d'une lignée de cellules souches dont la constitution, seule, a impliqué la destruction d'embryons humains, est, à cet égard, indifférent.
50. Ne pas inclure dans le champ de l'exclusion de la brevetabilité énoncée à l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive un enseignement technique revendiqué, au motif qu'il ne mentionne pas l'utilisation, impliquant leur destruction préalable, d'embryons humains, aurait pour conséquence de priver d'effet utile la disposition concernée en permettant au demandeur d'un brevet d'en éluder l'application par une rédaction habile de la revendication."
Encore une fois, la Cour a signalé que cette interprétation était la même que celle adoptée par la décision G 2/06 rendue par la Grande Chambre de recours.
Jurisprudence de l'Angleterre et du Pays de Galles
Human Genome Sciences Inc v Eli Lilly et Co [2011] UKSC 51, [2012] RPC 6
Le brevet en cause a divulgué et revendiqué la séquence d'acides aminés et de nucléotides d'un nouveau membre de la superfamille des ligands du TNF de protéines appelé Neutrokine-α. Aussi bien le juge Kitchin ([2008] EWHC 1903 (Pat), [2008] RPC 29) que la Cour d'appel ([2010] EWCA Civ 33, [2010] RPC 14) ont jugé que le brevet était non valide au motif que les inventions revendiquées ne satisfaisaient pas à l'exigence d'applicabilité industrielle en vertu des articles 1(1)(c) et 4 de la Loi sur les brevets de 1977 correspondant aux articles 52(1) et 57 de la CBE.
Le raisonnement du juge Kitchin résidait essentiellement dans le fait que le titulaire du brevet s'était limité à trouver la neutrokine-α et à l'identifier comme membre de la superfamille des ligands du TNF et que les indications sur l'application industrielle tenaient de la pure spéculation. Ainsi, le fascicule mentionnait une gamme étonnante de maladies et conditions où la Neutrokine-α et ses anticorps étaient susceptibles d'être mis à profit aux fins de diagnostic et de traitement alors qu'aucune donnée d'aucune sorte ne permettait d'appuyer les revendications formulées. L'homme du métier aurait tenu pour totalement saugrenue l'idée que la Neutrokine-α puisse être utilisée en relation avec toutes ces maladies et aurait été amené à conclure que les auteurs n'ont pas eu une idée claire des réelles actions de la protéine en incluant ainsi toutes les possibilités envisageables. Le fait, au regard des connaissances générales de l'homme du métier, de s'attendre à ce que la Neutrokine-α puisse jouer un rôle dans la régulation des activités des cellules B et T et jouer un rôle non spécifié dans la régulation des réactions immunitaires et inflammatoires ne révèle pas les modalités de leur utilisation possible pour résoudre tel ou tel problème. Ni le brevet ni les connaissances générales de l'homme du métier n'ont identifié de maladies ou de conditions où la Neutrokine-α pourrait être mise à profit aux fins de diagnostic ou traitement. Ses fonctions pouvaient au mieux être l'objet d'attentes et présentaient alors un degré de généralité beaucoup trop grand pour offrir une base saine et concrète à autre chose qu'un projet de recherche.
La Cour d'appel a approuvé cette conclusion. Elle a signalé que, dans le document T 18/09, la chambre de recours technique de l'OEB était arrivée à une autre conclusion, mais a relevé également que les éléments portés devant les tribunaux anglais différaient de ceux portés devant l'OEB.
La Cour suprême a fait droit à l'appel interjeté par le titulaire du brevet. L'arrêt faisant jurisprudence a été rendu par Lord Neuberger et Lord Hope a rendu un arrêt concordant.
Lord Neuberger a estimé que [91], étant donné l'importance d'aligner le droit britannique des brevets dans la mesure du possible sur la jurisprudence de l'OEB, l'approche correcte consistait à adopter le droit tel qu'il ressortait de la jurisprudence de la chambre, ce qui toutefois n'appelait pas nécessairement les mêmes conclusions que celles auxquelles était parvenue la chambre dans le document T 18/09. Aussi la question à examiner par la Cour suprême consistait-elle à savoir si les tribunaux inférieurs avaient suivi la jurisprudence de l'OEB. Lord Neuberger a estimé que non.
Lord Neuberger a récapitulé la jurisprudence de la chambre sur les principes visés à l'article 57 régissant les matières biologiques comme suit [107] :
"Les principes généraux sont :
(i) Le brevet doit divulguer une "application pratique" et "un usage commercial" de la substance revendiquée, de sorte que l'on puisse s'attendre à ce que le monopole issu du brevet conduise à un quelconque ... "avantage commercial" (T 870/04, point 4 ; T 898/05, points 2 et 4) ;
(ii) Un "avantage concret", à savoir l'utilisation de l'invention "dans la pratique industrielle" doit "découler directement de la description", en combinaison avec les connaissances générales de l'homme du métier (T 898/05, point 6 ; T 604/04, point 15) ;
(iii) Un usage purement "spéculatif" ne suffit pas, pas plus qu'une "mention vague et spéculative des objectifs qui pourraient ou non être atteints" (T 870/04, point 21 ; T 898/05, points 6 et 21) ;
(iv) Le brevet et les connaissances générales de l'homme du métier doivent permettre à ce dernier de "reproduire" ou "exploiter" l'invention revendiquée au
prix d'un "effort raisonnable" et sans devoir mettre en oeuvre un "programme
de recherche" (T 604/04, point 22 ; T 898/05, point 6) ;
Lorsque le brevet divulgue une nouvelle protéine et son gène codant :
(v) Le brevet, interprété sous l'angle des connaissances générales de l'homme du métier, doit montrer qu'il existe une chance réelle – et non purement théorique – d'exploitation (T 604/04, point 15 ; T 898/05, points 6, 22 et 31) ;
(vi) Simplement identifier la structure d'une protéine, sans lui attribuer un rôle net ou proposer une quelconque utilisation pratique, ou indiquer une mention vague et spéculative d'objectifs qui pourraient ou non être atteints, ne suffit pas (T 870/04, points 6–7, 11 et 21 ; T 898/05, points 7, 10 et 31) ;
(vii) L'absence de données de laboratoires expérimentaux ou d'aqualabos relatives à la protéine revendiquée n'est pas irrémédiable (T 898/05, points 21 et 31 ; T 1452/06, point 5) ;
(viii) Une utilisation revendiquée "plausible" ou "raisonnablement crédible", ou bien une "hypothèse émise en connaissance de cause", peuvent suffire (T 1329/04, points 6 et 11 ; T 640/04, point 6 ; T 898/05, points 8, 21, 27 et 31 ; T 1452/06, point 6 ; T 1165/06 point 25) ;
(ix) Cette plausibilité peut s'appuyer sur la confirmation apportée par des "éléments ultérieurs", bien que ces éléments ultérieurs en soi ne sauraient suffire (T 1329/04, point 12 ; T 898/05, point 24 ; T 1452/06, point 6 ; T 1165/06, point 25) ;
(x) Les exigences d'une plausibilité ou d'une possibilité spécifique d'exploitation peuvent se poser au niveau biochimique, cellulaire ou biologique (T 898/05, points 29–30) ;
Lorsque la protéine est qualifiée de membre de familles ou de superfamilles :
(xi) Si tous les membres connus ont un rôle dans la prolifération, la différenciation et/ou l'activation de cellules immunitaires, ou une fonction dans le contrôle de la physiologie, du développement et de la différentiation des cellules de mammifères, assigner un rôle similaire à la protéine peut suffire (T 1329/04, point 13 ; T 898/85, point 21 ; T 1165/06, points 14 et 16 ; T 870/04, point 12) ;
(xii) Ainsi "le problème à résoudre" dans ce cas peut consister à isoler un autre membre de la famille (T 1329/04, point 4 ; T 604/04, point 22 ; T 1165/06, points 14 et 16) ;
(xiii) Si la divulgation est importante pour l'industrie pharmaceutique, la divulgation des séquences de la protéine et de son gène peut suffire, même si son rôle n'a pas été "clairement défini" (T 604/04, point 18) ;
(xiv) La position peut être différente s'il existe des éléments, dans le brevet ou ailleurs, remettant en question le rôle ou le statut revendiqués de membre de famille (T 898/05 point 24 ; T 1452/06, point 5) ;
(xv) La position peut également différer si les membres connus ont des activités distinctes, bien qu'ils n'ont pas toujours à être précisément interchangeables du point de vue de leur action biologique, et il peut également être admis que la plupart d'entre eux ont un rôle commun (T 870/04, point 12 ; T 604/04, point 16 ; T 898/05, point 27).
Lord Neuberger a estimé que la décision contenue dans le document T 18/09 était compatible avec la jurisprudence de la chambre, tandis que les décisions rendues par les tribunaux inférieurs n'ont pas été dans ce sens pour les raisons suivantes :
"108. … Le juge Kitchin a conclu que (a) le brevet divulguait la Neutrokine-α comme nouveau membre de la superfamille des ligands du TNF ; (b) tous les membres connus de la superfamille avaient des effets pléiotropes ; (c) tous ces membres connus partageaient des caractéristiques communes, comme l'expression par les lymphocytes T et une fonction régulatrice de la prolifération des lymphocytes T et des réponses à médiation associant les lymphocytes T ; (d) toutefois, certains membres de familles présentaient des caractéristiques supplémentaires contrairement à d'autres ; (e) on pouvait s'attendre à ce que la Neutrokine-α agisse en relation avec les lymphocytes T et, en particulier, s'exprime sur des lymphocytes T et constitue un co-stimulant de la production de cellules B ; qu'elle joue un rôle dans la réponse immunitaire et dans le contrôle des tumeurs et des maladies malignes ; qu'elle ait un effet sur la prolifération des cellules B ; (f) les recherches ultérieures ont confirmé que c'était en effet le cas ; (g) on a recherché de nouveaux membres de famille dans la mesure où ils offraient un intérêt pour l'industrie pharmaceutique.
109. Dans ces circonstances, il me semble que… la divulgation de l'existence et de la structure de la Neutrokine-α et de sa séquence génétique, ainsi que de son statut de membre de la superfamille des ligands du TNF aurait dû suffire, compte étant tenu des connaissances générales de l'homme du métier, pour satisfaire les exigences de l'article 57, à la lumière des principes que j'ai tenté de récapituler au para. 107 ci-dessus. Les points (viii), (ix) et (x) semblent s'appliquer si plusieurs revendications au moins sont plausibles, et il est apparement satisfait aux, points (xi), (xii) et (xiii) étant donné les preuves liées à la superfamille des ligands du TNF [Le point (xiv) ne pouvant être invoqué par Eli Lilly].
110. … j'ai tiré une aide considérable de l'approche formulée dans le document T 18/09, point 22, qui, de mon avis, est parfaitement conforme avec la jurisprudence de la chambre (comme résumé au para. 107 ci-dessus), et de l'application, mentionnée dans les quatre paragraphes qui suivent, de cette approche eu égàrd à de qui constitus, selon la chambre, les faits essentiels en l'espèce, qui (sous réserve des arguments examinés dans la prochaine section du présent jugement) ne me paraissent pas non conformes avec les conclusions de juge Kitchin.
111. … la conclusion de la chambre était concrètement celle-ci : la divulgation de ce qui était considéré comme nouveau membre de la superfamille des ligands du TNF (de pair avec les informations sur sa distribution tissulaire) a satisfait à l'article 57, car tous les membres connus sont exprimés sur les lymphocytes T et ont été capables de co-stimuler la prolifération des lymphocytes T de sorte que la Neutrokine-α devrait avoir une fonction similaire. Cette conclusion est appuyée, ou renforcée, par la déclaration selon laquelle la Neutrokine-α est exprimée sur les lymphomes des cellules B et T (voir document T 18/09, par. 30), et de fait par l'intérêt et l'effort dans le secteur pharmaceutique visant à identifier un nouveau membre de la superfamille (expliqué par le juge Kitchin à [2008] R.P.C. 29, para. 72-74)."
MedImmune Ltd v Novartis Pharmaceuticals UK Ltd [2011] EWHC 1669 (Pat)
MedImmune était le co-propriétaire et le licencié exclusif de deux brevets pour une technique de dépistage des anticorps appelée "expression phagique d'anticorps". Medimmune a soutenu que Novartis avait été contrefacteur en vendant un produit appelé ranibizumab (de la marque Lucentis), comme traitement contre la dégénérescence maculaire néovasculaire liée à l'âge mis au point par Genentech. Novartis a présenté une demande reconventionnelle d'annulation des brevets sur les motifs suivants : (1) défaut de priorité conduisant à l'invalidité découlant de l'état de la technique interférent, (2) évidence découlant d'une conférence donnée par le scientifique qui a élaboré la technique correspondante d'expression phagique d'antigènes, (3) insuffisance et (4) élément ajouté. Les brevets ont été déclarés nuls pour défaut de priorité et évidence, mais non pour insuffisance ou élément ajouté. Il a également été considéré que, s'ils avaient été valides, les brevets n'auraient pas été enfreints sur la base d'une interprétation correcte des revendications. D'autre part, il a été considéré que, s'il était produit à l'issue d'un procédé relevant des revendications, le ranibizumab était un produit obtenu via ledit procédé. Pour les besoins de la cause, les aspects les plus intéressants de la décision sont ceux qui portent sur l'insuffisance et la question de savoir si le produit a été obtenu directement à partir de ce procédé.
Insuffisance
La cour a examiné la jurisprudence à la lumière de trois arrêts rendus par la Chambre des Lords (Biogen v Medeva plc [1997] RPC 49, Kirin-Amgen Inc v Hoechst Marion Roussel Ltd [2004] UKHL 46, [2005] RPC 9 et Generics (UK) Ltd v H. Lundbeck A/S [2009] UKHL 12, [2009] RPC 13) et de trois décisions des chambres de recours techniques de l'OEB (à savoir T 292/85 Genentech 1/ expression polypeptidique 1989, JO OEB 1989, 275, T 923/92 Genentech/ t-PA Humain JO OEB 1996, 564, et T 1063/06 Bayer Schering Pharma AG / Revendications dites "reach-through" JO OEB 2009, 516).
Novartis a fait valoir que la portée des revendications soutenues par MedImmune dépassait la contribution de l'invention à l'état de la technique. Novartis a caractérisé les revendications comme étant des "Revendications 'reach-through' détournées", au motif qu'elles revendiquent les résultats de recherches d'autrui en s'étendant bien au-delà de l'enseignement du fascicule. Par conséquent, dans le cas présent, le ranibizumab est présumé contrefacteur de ces revendications même si le fascicule (a) ne mentionne pas les anticorps pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge, (b) n'identifie pas l'anticorps monoclonal avec lequel Genentech a débuté, (c) n'enseigne pas à l'homme du métier comment humaniser cet anticorps murin, (d) n'enseigne pas à l'équipe les modifications nécessaires pour améliorer l'affinité de l'anticorps humanisé, (e) ne signale à l'équipe de spécialistes aucune information relative aux autres techniques que Genentech a employées.
Dans l'hypothèse que les revendications doivent s'interpréter au sens soutenu par MedImmune, les revendications s'étendent à la mutation d'expression post-phagique pour les étapes suivantes : (i) identifier une cible, (ii) constituer une bibliothèque d'anticorps, (iii) examiner cette bibliothèque par expression phagique, (iv) modifier le fragment d'anticorps qui a été identifié par expression phagique pour améliorer ses pouvoirs de liaison, et (v) fabriquer ce mutant dans un système recombinant. Novartis a fait valoir que la contribution technique des brevets réside uniquement dans l'étape (iii), et que les brevets n'enseignent à l'équipe spécialisé, sur les étapes (i), (ii), (iv) ou (v). En outre, Novartis a dit que, même en ce qui concerne l'étape (iii), la contribution technique effectuée par les brevets réside simplement en ce que le dépistage par expression phagique est plus aisé et plus rapide que le dépistage correspondant à l'état de la technique appelé "transfert de plages". Selon Novartis, il n'existe pas d'éléments attestant que la méthode brevetée est supérieure aux méthodes de l'état de la technique comme le transfert de plages pour ce qui est de trouver des molécules de liaison, quoique MedImmune l'ait contesté.
Le jugde Arnold a rejeté cet argument au point [491] pour les raisons ci-après :
"De mon avis, MedImmune a raison de caractériser l'invention divulguée dans les brevets comme un principe d'application générale. Il s'agit par essence d'une technique de sélection des molécules de liaison offrant un intérêt parmi une population potentiellement grande d'autres molécules de liaison. Cette technique ne dépend pas de l'identité précise de la molécule de liaison. Au contraire, l'utilité de la technique tient en partie au fait qu'elle est applicable à de multiples molécules, fragments et dérivés de liaison. La technique ne dépend pas non plus de l'application précise que l'utilisateur a en tête. La mise en œuvre de la technique en vue d'une nouvelle application ne suppose pas davantage un effort non raisonnable de la part de l'équipe spécialisée…"
Produit obtenu directement au moyen d'un procédé
MedImmune a prétendu qu'il y a contrefaçon en vertu de l'article 60(1)(c) de la Loi sur les brevets de 1977 correspondant à l'article 64(2) de la CBE et l'article 25(c) de la CBC. La jurisprudence anglaise qui fait autorité relativement à cette disposition est la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Pioneer Electronics Capital Inc v Warner Music Manufacturing Europe GmbH [1997] RPC 757, où Lord Justice Nourse a examiné un certain nombre de décisions allemandes et a conclu au point 771 :
"Cet examen des décisions rendues par les autorités allemandes compétentes conduit entre 1897 et 1977 démontre que celles-ci s'articulent autour d'un thème de base : le produit obtenu directement via un procédé breveté est le produit avec lequel le procédé prend fin ; il ne cesse pas d'être le produit ainsi obtenu quand il est soumis à d'autres traitements n'entraînant pas la perte de son identité, cette perte ne pouvant être constatée dès lors qu'il conserve ses caractéristiques essentielles."
Novartis a admis que, en cas d'application du test de perte d'identité utilisé dans l'affaire Pioneer v Warner à l'espèce, le ranibizumab était un produit obtenu directement par les procédés de la revendication soutenue par MedImmune. Novartis a fait valoir toutefois qu'il n'était pas forcément correct d'appliquer le test de perte d'identité sans réserves dans un cas comme l'espèce. Novartis a ainsi fait valoir que le test à appliquer devait surtout examiner la revendication inventive, ou la partie inventive de la revendication, et se poser la question de savoir si le produit présumé contrefaisant est obtenu directement à partir de ce procédé. A l'appui de cet argument, Novartis a signalé que la revendication de l'un des brevets présumé contrefait (a) était plus restreinte que les revendications non présumées contrefaites et (b) différait de la revendication sur laquelle reposait le caractère inventif par le seul ajout de mesures de fabrication conventionnelles.
Le judge Arnold a de fait rejeté cet argument aux points [546]-[548] pour trois raisons. Premièrement, l'affaire Pioneer v Warner liait le tribunal des brevets, et le test de perte d'identité adopté par la Cour d'appel dans cette affaire a été un test général énoncé sans réserve. Deuxièmement, la Cour d'appel a estimé en l'espèce que l'analyse du docteur Bruchhausen faisait autorité. Il était d'avis que la question dépendait de la manière dont les revendications étaient rédigées et que le titulaire du brevet pouvait légitimement obtenir la protection au-delà d'un intermédiaire inventif en faisant valoir les revendications pour l'ensemble du procédé. Troisièmement, il s'agissait d'un argument fondamentalement lié à des considérations de territorialité. Novartis n'a pas contesté le fait que, si l'interprétation de MedImmune était fondée, les inventions revendiquées aient été mises à profit par Genentech pour produire le ranibizumab. Novartis entendait par là que MedImmune aurait dû attaquer Genentech pour contrefaçon de brevet aux Etats-Unis, plutôt que Novartis en Angleterre. Le régime de brevet est certes territorial mais n'est pas à ce point rigide.
Novartis a fait également valoir que les brevets relevaient du champ de l'article 8(2) de la directive Biotech, et que l'article 8(2) avait pour effet de circonscrire la protection conférée par les brevets, avec pour résultat que [même dans le cas où ils seraient contrefacteurs d'une autre manière en vertu de l'article 60(1) du 1977], les actes de Novartis liés au ranibizumab ne relevaient pas de la contrefaçon. L'article 8(2) dispose que :
"La protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de la matière biologique directement obtenue, par reproduction ou multiplication sous forme identique ou différenciée et dotée de ces mêmes propriétés."
Le judge Arnold a rejeté cet argument aux points [572]-[576] pour les raisons suivantes. Premièrement, il a estimé que l'approche correcte consistait à examiner la protection conférée par la revendication pertinente. Les revendications formulées par MedImmune étaient des revendications portant sur des procédés de production de molécules de liaison. Les molécules de liaison n'étaient pas des matières biologiques au sens défini à l'article 2(1)(a) de la directive. Il importe peu que les procédés associent des matières biologiques. Deuxièmement, l'application de l'article 8(2) à ce type de revendications aurait des conséquences surprenantes. En particulier, il serait difficile, sinon impossible, d'obtenir une protection conférée par brevet pour les méthodes recombinantes de production des protéines, dans la mesure où les protéines ne sont pas des "matières biologiques" au sens défini à l'article 2(1)(a). Toutefois, les méthodes recombinantes permettent de les produire supposent la production de matières biologiques. Troisièmement, il ressort de l'analyse de l'avocat général Jacobs dans l'affaire C-377/98 Royaume des Pays-Bas v Parlement européen et Conseil de l'Union européenne [2001] Rec. I-7079 que l'article 8(2) n'avait pas pour objectif de restreindre la protection conférée par les revendications de procédé dans des brevets relatifs à des inventions biotechnologiques, mais, le cas échéant, de l'étendre.
Regeneron Pharmaceuticals Inc v Genentech Inc [2012] EWHC 657 (Pat)
Genentech était le titulaire d'un brevet d'utilisation d'un antagoniste de VEGF humain (facteur de croissance endothélial vasculaire) dans la préparation d'un médicament pour le traitement d'une maladie non néoplasique (c'est-à-dire non cancéreuse). Genentech a fait valoir que Regeneron et Bayer seraient contrefacteurs en commercialisant le VEGF Trap Eye pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l'âge. Regeneron et Bayer ont prétendu que le brevet était non valide pour défaut de nouveauté, absence d'activité inventive et insuffisance. Le judge Floyd a estimé que le brevet était valide et contrefait.
Regeneron et Bayer ont prétendu que le brevet était insuffisant pour différents motifs, dont seul le premier sera examiné ici. Ils ont invoqué l'impossibilité de prédire de maniére raisonnable, sur la base des données contenues dans le brevet, que la thérapie anti-VEGF serait efficace dans toutes les maladies non néoplasiques, conformément aux revendications. Aussi disent-ils que le brevet était insuffisant pour portée excessive de la revendication. Le judge Floyd a rejeté cet argument pour les motifs ci-après :
"189. J'estime que le brevet divulgue un principe d'application générale au sens donné par la jurisprudence faisant autorité car il revendique un antagonisme anti-VEGF comme mode de traitement pour toutes les maladies non néoplasiques. Les données sur les tumeurs mentionnées dans le brevet établissent que le blocage du VEGF devrait être une stratégie réussie pour le traitement d'un cancer. Le lecteur spécialiste estimerait que sa réussite pourrait tenir au fait que le blocage du VEGF constitue une intervention suffisante pour prévenir l'angiogenèse, du moins dans les modèles de cancer. On peut, selon l'opinion générale, extrapoler ce raisonnement à certaines au moins des maladies non-néoplasiques. …"
"191. Il serait bien entendu impossible d'établir une juste prédiction si les données montrent que l'angiogenèse diffère sensiblement de nature d'une maladie à l'autre, de sorte que des molécules entièrement différentes puissent être la cible d'un antagoniste VEGF dans des maladies distinctes. A mon avis, les données ne démontrent rien de ce genre. ... Une fois démontré par les inventeurs que le blocage du VEGF suffisait à prévenir l'angiogenèse pathologique dans les tumeurs, on pouvait raisonnablement prédire que son effet thérapeutique suffisait également dans les autres maladies. Bien entendu, le brevet n'a pas démontré que c'était le cas – mais cela n'est pas nécessaire. Le brevet ne peut donc être tenu pour insuffisant au seul motif qu'il revendique un effet thérapeutique dans toutes les maladies non-néoplasiques."