SEANCE DE TRAVAIL
Jurisprudence récente en matière de protection par brevets des inventions biotechnologiques
Manfred WIESER - Président d'une chambre de recours de l'OEB (DG 3) - Procédés essentiellement biologiques et produits obtenus par ces procédés
Conformément à l'article 53b) CBE, "les brevets européens ne sont pas délivrés pour les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux". Le libellé de cet article est pratiquement identique à celui de l'article 2b) de la Convention de Strasbourg signée en 1963. En effet, les groupes de travail de la Communauté économique européenne et du Conseil de l'Europe, qui ont respectivement rédigé ces deux dispositions au début des années 60, se sont mutuellement fortement influencés. La genèse de l'article 53b) CBE, dont le libellé a été modifié plusieurs fois, montre que les rédacteurs de cette disposition ont considéré que le terme "biologique" s'opposait au terme "technique" et qu'ils ont délibérément choisi l'adverbe "essentiellement" pour remplacer le terme plus restreint de "purement".
Les chambres de recours de l'OEB ont examiné à plusieurs reprises l'exclusion figurant à l'article 53b) CBE. Dans la décision fondamentale T 320/87 ("Lubrizol") relative à l'obtention de plantes hybrides, la chambre a estimé que l'applicabilité de l'exclusion doit être appréciée sur la base de l'essence de l'invention, compte tenu de l'ensemble des interventions humaines et des effets qu'elles exercent sur le résultat obtenu. Tout en estimant que l'exclusion doit être interprétée de manière restrictive, elle a considéré que la nécessité de l'intervention humaine ne constitue pas un argument suffisant pour prouver qu'un procédé n'est pas "essentiellement biologique". L'existence d'une intervention humaine permet seulement de conclure que le procédé n'est pas "purement biologique", la contribution apportée par cette intervention pouvant demeurer insignifiante.
Cette affaire a été tranchée en faveur du demandeur/requérant au motif que les procédés revendiqués d'obtention de plantes hybrides apportaient une modification essentielle à des procédés traditionnels d'obtention et à des procédés biologiques connus et que l'efficacité et le rendement élevé obtenus avec le produit en question témoignaient de l'importance du caractère technique de l'invention.
Dans la décision T 19/90 ("souris oncogène"), la chambre, qui siégeait dans une formation de cinq membres, a considéré que l'exclusion correspondante des procédés essentiellement biologiques d'obtention d'animaux ne s'appliquait pas aux revendications de procédé visant à obtenir des mammifères transgéniques autres que l'être humain par incorporation au niveau des chromosomes d'une séquence oncogène activée dans le génome du mammifère. Etant donné que l'oncogène était inséré par un moyen technique dans un vecteur qui était ensuite micro-injecté à un stade embryonnaire précoce, il a été jugé que les procédés revendiqués n'étaient pas des "procédés essentiellement biologiques".
La décision T 356/93 ("cellules végétales", PGS) concernait, entre autres, une revendication de procédé en vue de produire une plante ou le matériel de reproduction de cette plante. Le procédé comprenait la transformation des cellules ou du tissu desdites plantes avec un ADN recombinant comportant un certain ADN hétérologue, la régénération des plantes ou du matériel de reproduction à partir des cellules et du tissu transformés desdites plantes et, à titre optionnel, la réplication biologique des plantes en question ou du matériel de reproduction. La chambre a estimé que l'étape de "génie génétique" consistant à transformer les cellules ou le tissu des plantes avec un ADN recombinant constituait une étape technique essentielle qui avait un impact décisif sur le résultat final escompté et dont la mise en œuvre était impossible sans intervention humaine. Elle a donc conclu que, considéré dans son ensemble, le procédé d'obtention de végétaux qui était revendiqué n'était pas essentiellement biologique.
Dans la décision T 1054/96 ("compositions anti-pathogènes"; Novartis), une chambre technique a soumis à la Grande Chambre de recours plusieurs questions de droit relatives à l'interprétation de l'article 53b) CBE. L'une de ces questions, qui était rédigée en termes généraux, portait notamment sur la question de savoir comment il convenait d'interpréter les termes "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux".
Dans ce contexte, la chambre à l'origine de la saisine a mis en évidence trois différentes approches en vue de parvenir au "jugement de valeur" requis. La première approche est analogue à celle qui est mise en œuvre dans le cadre de l'article 53c) CBE pour les méthodes de traitement thérapeutique et chirurgical, et aboutit à la conclusion qu'il ne serait pas admissible d'inclure dans un procédé revendiqué une étape de nature essentiellement biologique. La deuxième approche est celle adoptée dans la décision T 320/87. Selon la troisième approche, un procédé d'obtention de végétaux devrait, pour échapper à l'interdiction dont sont frappés les procédés essentiellement biologiques à l'article 53b) CBE, inclure au moins une étape de procédé "non biologique" qui soit clairement identifiée, mais pourrait comporter un nombre quelconque d'étapes supplémentaires "essentiellement biologiques", qui seraient admissibles grâce à l'étape de procédé "non biologique". La chambre a fait observer que cette approche, qui est adoptée dans la définition énoncée à l'article 2, point 2 de la directive de l'UE (alors à l'état de projet), était la plus favorable pour les demandeurs, mais n'était pas celle qui avait jusqu'à présent été adoptée par les chambres de recours.
La Grande Chambre de recours a répondu à ces questions de droit dans la décision G 1/98, mais elle s'est abstenue d'interpréter sur le fond l'exclusion des procédés prévue à l'article 53b) CBE, car le requérant avait entre-temps déposé des modifications qui excluaient les procédés essentiellement biologiques.
Par décision entrée en vigueur le 1er septembre 1999, le Conseil d'administration de l'OEB a transposé dans la CBE la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (directive "Biotechnologie"). L'article 2(2) de cette directive, dont le libellé a été repris mot pour mot à la règle 26(5) CBE (règle 23ter(5) CBE 1973), s'énonce comme suit : "Un procédé d'obtention de végétaux ou d'animaux est essentiellement biologique s'il consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection."
Par conséquent, en vertu de la règle 26(5) CBE, un procédé qui, outre "des phénomènes naturels tels que le croisement et la sélection", contient une caractéristique de nature technique ne tomberait dès lors pas sous le coup de l'exclusion. Ce n'est toutefois pas l'approche qui a été adoptée par les chambres de recours avant l'introduction de la règle 26(5) CBE, lorsque la question de savoir si l'exclusion s'appliquait était appréciée sur le fondement de l'essence de l'invention, compte tenu de l'ensemble des interventions humaines et des effets qu'elles exercent sur le résultat obtenu.
Ce n'est qu'avec les affaires T 83/05 ("Brocoli") et T 1242/06 ("Tomates") que les chambres de recours ont été confrontées à une situation dont l'issue dépendait de la question de savoir laquelle de ces deux approches devait être appliquée en ce qui concerne l'interprétation de l'article 53b) CBE. Dans les deux affaires précitées, cette question était décisive, dans la mesure où les deux approches auraient conduit à des résultats différents. En effet, les deux brevets comportaient des revendications relatives à des procédés d'obtention de végétaux qui incluaient des caractéristiques additionnelles, en plus des étapes de croisement et de sélection. Dans l'affaire dite du "brocoli", ces caractéristiques supplémentaires étaient le recours à des marqueurs moléculaires dans les étapes de sélection suivant les étapes de croisement et de rétrocroisement, l'utilisation d'un matériau de départ non naturel, à savoir une lignée haploïde doublée, et le fait que les lignées utilisées dans le procédé revendiqué poussaient dans des zones géographiques isolées, si bien qu'il était peu probable qu'elles s'hybrident avec des lignées de brocoli, à moins qu'elles ne soient spécifiquement mises en contact avec elles via une intervention humaine. Dans l'affaire dite de la "tomate", il a été allégué que le procédé revendiqué ne constituait pas une technique "classique" d'obtention végétale, étant donné qu'il était nécessaire de procéder à un croisement interspécifique et de choisir un critère inhabituel de sélection, et que le procédé comprenait les étapes de la pesée et du séchage.
Selon l'approche adoptée à la règle 26(5) CBE, les chambres devraient conclure que les procédés revendiqués échapperaient à l'exclusion prévue à l'article 53b) CBE. En revanche, si l'approche suivie par les chambres de recours dans les décisions antérieures (cf. T 320/87) était toujours valable, les procédés revendiqués tomberaient sous le coup de l'exclusion, car aucune des caractéristiques techniques supplémentaires n'apportait une contribution non insignifiante à l'invention.
Compte tenu de ce qui précède, les chambres ont décidé de saisir la Grande Chambre de recours en application de l'article 112(1)a) CBE. La question 1 soumise dans l'affaire T 83/05 (et qui correspond dans une large mesure à la question 2 soumise dans l'affaire T 1242/06) s'énonce comme suit :
"Un procédé non microbiologique d'obtention de végétaux qui comporte les étapes consistant à croiser et à sélectionner des végétaux échappe-t-il à l'exclusion visée à l'article 53b) CBE au seul motif qu'il contient une caractéristique additionnelle de nature technique, soit en tant qu'étape supplémentaire, soit en tant que partie d'une des étapes de croisement et de sélection ?
La Grande Chambre de recours a répondu comme suit à cette question (G 2/07 et G 1/08) :
"1. Un procédé non microbiologique d'obtention de végétaux qui comporte les étapes consistant à croiser par voie sexuée le génome complet de végétaux et à sélectionner ultérieurement des végétaux, ou un procédé non microbiologique d'obtention de végétaux qui est constitué desdites étapes, est en principe exclu de la brevetabilité comme étant 'essentiellement biologique' au sens de l'article 53b) CBE.
2. Un tel procédé n'échappe pas à l'exclusion visée à l'article 53b) CBE au seul motif qu'il contient, en tant qu'étape supplémentaire ou en tant que partie d'une des étapes de croisement et de sélection, une étape de nature technique qui a pour but de permettre ou de soutenir l'exécution des étapes consistant à croiser par voie sexuée le génome complet de végétaux ou à sélectionner ultérieurement des végétaux."
Après avoir établi que le texte de la règle 26(5) CBE, qui est identique à l'article 2(2) de la directive "Biotechnologie", n'était d'aucune utilité pour interpréter l'article 53b) CBE, la Grande Chambre s'est attelée à interpréter l'exclusion des "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux" mentionnés à l'article 53b) CBE.
La Grande Chambre a exclu que le terme "végétaux" puisse s'entendre au sens de "variétés végétales", qui serait contraire à sa signification. La genèse de la disposition concernée ne comporte aucune indication suggérant que le terme "végétaux" est censé désigner seulement des "variétés végétales". L'exception concernant les "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux" ne saurait donc être limitée aux procédés d'obtention de variétés végétales. Ayant considéré que toute tentative de déterminer une signification littérale fiable de l'expression "procédés essentiellement biologiques" paraissait inutile, la Grande Chambre a examiné si l'approche adoptée dans la jurisprudence antérieure restait valable. Elle a estimé que lorsqu'il est examiné si un tel procédé est exclu de la brevetabilité comme étant "essentiellement biologique", il importe peu de savoir si une étape de nature technique est une mesure nouvelle ou connue, si elle est insignifiante ou si elle constitue une modification fondamentale d'un procédé connu ou si l'essence de l'invention réside dans cette étape.
La jurisprudence antérieure avait suggéré que toutes les interventions humaines dans un procédé et les effets qu'elles exercent sur le résultat obtenu constituent un autre critère pour délimiter des procédés d'obtention essentiellement biologiques, non brevetables, par rapport à des procédés brevetables. La Grande Chambre a estimé que comme les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux sont exclus de la brevetabilité conformément à l'article 53b) CBE même s'ils sont des inventions et qu'ils se caractérisent en tant que tels par une intervention humaine, la chambre, dans l'affaire T 320/87, avait eu fondamentalement raison de partir du point de vue selon lequel un type quelconque d'intervention humaine ne saurait suffire pour qu'une invention dans ce domaine échappe à l'exclusion. Pour déterminer de façon plus précise comment les types de procédés exclus qui impliquent une intervention humaine doivent être correctement délimités par rapport à ceux qui sont brevetables, la Grande Chambre a examiné la genèse de la Convention sur le brevet de Strasbourg et de la CBE 1973. Elle a conclu que le législateur a voulu exclure de la brevetabilité le type de procédés d'obtention de végétaux qui correspondait aux procédés classiques d'obtention de variétés végétales à l'époque. Ces procédés classiques couvraient en particulier ceux reposant sur le croisement par voie sexuée de végétaux (autrement dit de leurs génomes complets) qui étaient jugés adaptés à l'objectif visé, et sur la sélection ultérieure des végétaux ayant le(s) caractère(s) requis.
La genèse législative révèle en outre clairement que la substitution du terme "essentiellement" à celui de "purement" était délibérée et reflétait le fait que, dans l'esprit du législateur, la simple utilisation d'un dispositif technique dans un procédé d'obtention ne pouvait suffire pour conférer un caractère technique au procédé proprement dit, ni permettre à ce procédé d'échapper à l'exclusion de la brevetabilité. Le législateur ne souhaitait pas que des brevets soient délivrés pour des procédés d'obtention dans lesquels les mesures techniques mises en œuvre sont uniquement des moyens servant à générer des procédés d'obtention de végétaux qui reposent au demeurant sur des forces biologiques. L'introduction d'une étape technique, qu'elle soit implicite ou explicite, dans un procédé fondé sur le croisement par voie sexuée de végétaux et sur la sélection ultérieure ne permet donc pas à l'invention revendiquée d'échapper à l'exclusion si cette étape technique ne sert qu'à exécuter les étapes du procédé d'obtention.
Cependant, si un procédé consistant à croiser par voie sexuée et à opérer une sélection contient une étape supplémentaire de nature technique, qui introduit de façon autonome un caractère dans le génome ou modifie un caractère dans le génome du végétal obtenu, de telle sorte que l'introduction ou la modification de ce caractère ne résulte pas du mélange des gènes des végétaux choisis pour le croisement par voie sexuée, ce procédé dépasse le domaine de l'obtention de végétaux, que le législateur a souhaité exclure de la brevetabilité. Un tel procédé n'est donc pas exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE.
Les considérations ci-dessus ne s'appliquent que lorsque cette étape supplémentaire est exécutée dans le cadre des étapes de croisement par voie sexuée et de sélection, quel que soit le nombre de fois où elles sont répétées. Dans le cas contraire, il serait possible de contourner l'exclusion de la brevetabilité des procédés de croisement par voie sexuée et de sélection en vertu de l'article 53b) CBE en ajoutant simplement des étapes qui ne sont pas vraiment liées au procédé de croisement et de sélection, qu'il s'agisse d'étapes en amont, portant sur la préparation du (des) végétal (végétaux) devant être croisé(s), ou d'étapes en aval visant à poursuivre le traitement du végétal issu de ce procédé de croisement et de sélection. Pour déterminer si le procédé est ou non exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE, il convient donc de faire abstraction de toute étape technique supplémentaire qui est exécutée soit avant, soit après le procédé de croisement et de sélection.
Les étapes préalables ou postérieures peuvent faire l'objet, en tant que telles, d'une protection par brevet. Il s'agit par exemple de techniques de génie génétique appliquées aux végétaux, lesquelles techniques diffèrent considérablement des techniques d'obtention classiques en ce qu'elles consistent principalement à insérer et/ou à modifier délibérément un ou plusieurs gènes dans une plante (T 356/93). Dans ce cas, les revendications ne doivent cependant pas inclure, explicitement ou implicitement, le procédé de croisement par voie sexuée et de sélection.
Cela signifie par conséquent que si la présence dans une revendication d'une caractéristique pouvant être définie comme étant biologique n'entraîne pas nécessairement l'exclusion de la brevetabilité, telle que prévue à l'article 53b) CBE, du procédé revendiqué pris comme un tout, il n'en va pas de même si le procédé comprend un croisement par voie sexuée et une sélection.
Dans l'affaire T 83/05, l'intimé (titulaire du brevet) a déposé des revendications modifiées qui n'incluaient plus de revendications de procédés. Seules étaient maintenues les revendications de produits contenant les caractéristiques du procédé d'obtention (revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention). Les deux requérants (opposants) ont informé la chambre qu'ils n'avaient plus d'objections étant donné que celle-ci avait déjà statué sur toutes les questions relatives à la brevetabilité.
Dans l'affaire T 1242/06, le titulaire du brevet (requérant I) a lui aussi déposé de nouvelles revendications qui ne comprenaient plus de revendications de procédés. Les revendications relatives aux produits étaient définies au moyen de caractéristiques fonctionnelles ou par les caractéristiques du procédé. Toutefois la chambre n'avait en l'espèce pas encore statué sur la brevetabilité des revendications de produit, et l'opposant (requérant II) n'avait pas fait part de son accord sur les jeux de revendication modifiés.
Dans sa décision antérieure G 1/98, la Grande Chambre de recours avait examiné la brevetabilité des végétaux et fait observer que "l'exclusion des procédés vise l'obtention de végétaux, l'exclusion des produits vise les variétés végétales. L'emploi du terme plus spécifique de "variété" dans le même membre de phrase que celui où il est question des produits est censé avoir une signification. Si le législateur avait eu l'intention d'exclure les végétaux en tant qu'ensemble englobant d'une manière générale les variétés considérées en tant que produits, il aurait utilisé dans cette disposition le terme plus général de végétaux, tel qu'il est utilisé à propos des procédés."
Dans la décision, la Grande Chambre relève également que "l'article 53b) CBE fixe la ligne de démarcation entre la protection par brevet et la protection de la variété végétale. … Ce droit n'est accordé que pour des variétés végétales déterminées et non pour des enseignements techniques susceptibles d'être mis en œuvre sur un nombre indéfini de variétés végétales." Elle a estimé qu'une variété végétale, que la Convention UPOV et la règle 26(4) CBE définissent comme étant un ensemble végétal d'un taxon botanique du rang le plus bas connu qui peut être défini par l'expression des caractères résultant d'un certain génotype, qui peut être distingué de tout autre ensemble végétal par l'expression d'au moins un desdits caractères et qui peut être reproduit conforme, ne peut être défini par un seul caractère ou par un nombre limité de gènes le codant. Bien que l'affaire à la base de la décision G 1/98 porte sur une plante transgénique, la Grande Chambre a expressément déclaré que l'interdiction de breveter des variétés végétales prévue à l'article 53b) CBE s'applique indépendamment de l'origine de la variété, autrement dit quel que soit son procédé d'obtention.
La deuxième question soumise à la Grande Chambre de recours dans l'affaire G 1/98 s'énonce comme suit :
" Une revendication qui porte sur des végétaux, sans revendiquer individuellement des variétés végétales spécifiques, échappe-t-elle ipso facto à l'exclusion de la brevetabilité énoncée à l'article 53b) CBE, bien qu'elle comprenne des variétés végétales ? "
La Grande Chambre a répondu comme suit à cette question :
" Une revendication dans laquelle il n'est pas revendiqué individuellement des variétés végétales spécifiques n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 53 b) CBE, même si elle peut couvrir des variétés végétales."
Lorsque l'on examine la situation dans l'affaire T 1242/06, il convient de garder à l'esprit qu'une revendication portant sur un produit confère une large protection couvrant l'obtention et l'utilisation dudit produit, et que, conformément à l'article 64(2) CBE, les droits conférés par une revendication de procédé s'étendent aux produits obtenus directement par ce procédé. Dans la décision G 1/98, la Grande Chambre a déclaré que seules sont exclues de la brevetabilité les revendications portant sur des variétés végétales individuelles, quelle que soit leur origine, et non les revendications portant sur les plantes en tant que telles. Dans la décision G 1/08, elle a estimé que tous les procédés fondés sur le croisement et la sélection sont exclus de la brevetabilité (y compris les procédés qui ne donnent pas lieu à une variété végétale individuelle telle que définie à la règle 26(4) CBE).
Lors de la nouvelle procédure orale qui a eu lieu le 8 novembre 2011 dans l'affaire T 1242/06, la chambre a décidé de clore les débats sur l'article 53b) CBE et de poursuivre la procédure par écrit.
L'opposant (requérant) a fait valoir que "du point de vue du législateur, il serait illogique d'exclure de la brevetabilité les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux tout en autorisant la protection par brevet de végétaux qui, selon la divulgation de l'invention, sont produits au moyen d'un procédé exclu. Les raisons pour lesquelles le législateur a voulu exclure ces procédés doivent être respectées, et elles impliquent nécessairement l'exclusion des végétaux ou des parties de végétaux produits par des procédés essentiellement biologiques. L'approche inverse aboutirait à un cadre juridique incohérent. Même en l'absence de dispositions explicites excluant les produits issus de procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux, la CBE ne doit pas être interprétée d'une façon aussi contradictoire."
La chambre a convenu que "compte tenu de ce qui précède, la question se pose de savoir si le fait d'admettre en l'espèce les revendications de produits irait effectivement à l'encontre de l'intention du législateur mise en évidence dans la décision G 1/08, à savoir "exclure de la brevetabilité les procédés d'obtention de végétaux qui correspondaient aux procédés classiques d'obtention de variétés végétales". Ignorer complètement l'exclusion des procédés lors de l'examen de revendications de produits aurait généralement comme conséquence que pour de nombreuses inventions portant sur des obtentions végétales, les demandeurs et titulaires de brevets pourraient facilement contourner l'exclusion des procédés visée à l'article 53b) CBE en se rabattant sur des revendications de produits qui confèrent une large protection et englobent celle qu'aurait offerte une revendication de procédé exclue. Ceci serait, du moins de prime abord, en contradiction avec une interprétation téléologique de l'article 53b) CBE."
Dans sa nouvelle décision intermédiaire ("Tomates II"), elle a soumis les questions suivantes à la Grande Chambre de recours :
"(1) L'exclusion des "procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux" prévue à l'article 53b) CBE peut-elle avoir un effet négatif sur l'admissibilité d'une revendication de produit portant sur des végétaux ou une matière végétale comme un fruit ?
(2) En particulier, une revendication portant sur des végétaux ou une matière végétale autres qu'une variété végétale est-elle admissible même si l'unique procédé disponible à la date de dépôt pour obtenir l'objet revendiqué est un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux divulgué dans la demande de brevet ?
(3) Est-il important, dans le contexte des questions 1 et 2, que la protection conférée par la revendication de produit englobe l'obtention du produit, tel que revendiqué, au moyen d'un procédé essentiellement biologique d'obtention de végétaux, exclu en tant que tel en vertu de l'article 53b) CBE ?"
Par lettre datée du 28 juin 2012, l'opposant a retiré son recours. A ce jour, le requérant (titulaire du brevet) n'a pas réagi, mais la Grande Chambre a reçu un grand nombre d'observations présentées par les milieux intéressés.
Entre-temps, la division de droit civil du tribunal de district de La Haye aux Pays-Bas a rendu son jugement le 31 janvier 2012 dans la procédure en référé qui a été conduite dans l'affaire No. 408315/KG ZA 11-414 (Taste of Nature contre Cresco). L'affaire en question concernait un brevet relatif à une plante de Raphanus sativa qui était définie dans la revendication 1 comme un produit obtenu au moyen d'un procédé reposant sur le croisement et la sélection.
Le tribunal a jugé plausible que l'exclusion de la brevetabilité prévue à l'article 53b) CBE porte non seulement sur un procédé essentiellement biologique, comme le procédé d'obtention classique faisant l'objet de la présente affaire, mais également sur un produit directement obtenu en utilisant ledit procédé … (cf. article 64(2) CBE). S'il devait être décidé qu'une revendication de produit défini par son procédé d'obtention est admissible pour le produit directement obtenu par un procédé essentiellement biologique non brevetable, l'exclusion prévue à l'article 53b) CBE, telle qu'interprétée par la Grande Chambre dans la décision G 1/08, serait dénuée de sens car en ce cas la situation serait la même que si la Grande Chambre avait estimé que les revendications de procédé sont admissibles, ce qui n'est pas le cas."
Taste of Nature a interjeté appel du jugement auprès de la Cour d'appel régionale de La Haye.
Enfin, le 10 mai 2012, le Parlement européen a adopté une résolution sur la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques. Tout en se félicitant de l'interprétation des procédés essentiellement biologiques que la Grande Chambre de recours a donnée dans les affaires dites du "brocoli" et de la "tomate", le Parlement invite l'OEB à également exclure de la brevetabilité les produits dérivés des techniques classiques d'obtention de végétaux et d'animaux, y compris les techniques de reproduction SMART.