CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision intermédiaire de la Chambre de recours technique 3.2.1, en date du 8 juillet 1993 - T 27/92 - 3.2.1*
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | F. A. Gumbel |
Membres : | P. Alting van Geusau |
| W.M. Schar |
Titulaire du brevet/intimé : KA-TE System AG
Opposant/requérant I : Sika Robotics AG
Opposant/requérant II : Rocas Rohr- und Kanal-Service GmbH
Opposant/autre partie : Teerbau GmbH
Référence : Intervention/KA-TE SYSTEM AG
Article : 105, 112(1) a) CBE
Mot-clé : "Intervention du contrefacteur présumé dans la procédure de recours sur opposition - recevabilité" - "Saisine de la Grande Chambre de recours"
Sommaire
La question de droit suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
Une intervention du contrefacteur présumé conformément à l'article 105 CBE est-elle recevable lorsqu'elle est formée pendant une procédure de recours sur opposition en instance ?
Exposé des faits et conclusions
I. Par décision en date du 22 octobre 1991, la division d'opposition a rejeté les oppositions formées par les sociétés Sika Robotics AG, 8627 Grüningen, Suisse (opposant I) et Rocas Rohr- und Kanal- Service GmbH, 73730 Esslingen, Allemagne (opposant II) contre le brevet EP-B-0 211 825 de la société KA-TE System AG (anciennement : Kunststoff-Technik AG Himmler), 8041 Zurich, Suisse. Le 19 décembre 1991, les deux opposants (représentés par le même cabinet de conseil en brevets) ont chacun formé un recours contre cette décision, qui a été reçu à l'OEB le 20 décembre 1991, et ils ont payé simultanément la taxe de recours. Par courrier en date du 21 février 1992, parvenu à l'OEB le même jour, ils ont remis leur mémoire exposant les motifs du recours.
II. Dans le courant de la procédure de recours, la société Teerbau GmbH, 45257 Essen, Allemagne a (par l'entremise du même cabinet de conseil en brevets) produit le 13 novembre 1992, avec paiement simultané de la taxe d'opposition et de la taxe de recours, une déclaration d'intervention dans "la procédure d'opposition faisant l'objet d'un recours" (reçue à l'OEB le même jour) en s'appuyant sur l'action en contrefaçon engagée contre elle par le titulaire du brevet devant le tribunal d'instance (Landesgericht) de Düsseldorf le 19 août 1992. Cette société a, par ailleurs, déclaré que la signification de cette action est réputée avoir été accomplie le 27 août en vertu du droit allemand applicable.
III. Les deux opposants ainsi que l'intervenant demandent pour l'essentiel la révocation du brevet attaqué.
Motifs de la décision
1. Les recours formés par le requérant I et le requérant II satisfont aux exigences des articles 106, 107 et 108, ainsi qu'aux règles 1(1) et 64 CBE ; ils sont donc recevables.
2. L'intervention répond aux exigences de forme énoncées à l'article 105 CBE. Il reste toutefois à déterminer si une intervention est encore recevable lorsqu'elle est formée pendant une procédure de recours en instance.
3. Cette question se pose en raison du point de vue exprimé par la Grande Chambre de recours aux points 6 et 7 de sa décision G 4/91 (JO OEB 1993, 339), dans laquelle elle aborde le problème sans pour autant le résoudre, et en raison de la récente décision T 390/90, point 2 (JO OEB 1994, 808, publiée dans ce numéro), dans laquelle une intervention formée pendant la procédure de recours a été jugée irrecevable.
4. Dans une décision plus ancienne, une chambre de recours a admis le principe de la recevabilité d'une intervention pendant une procédure de recours (cf. T 338/89 en date du 10 décembre 1990, point 4).
5. L'intervention est régie par l'article 105 et la règle 57(4) CBE dans le cas, typique en droit des brevets, d'une action en contrefaçon engagée parallèlement à une procédure d'opposition.
L'article 105(1), première phrase CBE est formulé comme suit :
"Lorsqu'une opposition au brevet européen a été formée, tout tiers qui apporte la preuve qu'une action en contrefaçon fondée sur ce brevet a été introduite à son encontre, peut, après l'expiration du délai d'opposition, intervenir dans la procédure d'opposition ..."
L'article 105(2), troisième phrase CBE dispose :
"Après l'accomplissement de cette formalité, l'intervention est assimilée à une opposition, sous réserve des dispositions du règlement d'exécution."
Intitulée "Mesures préparatoires à l'examen de l'opposition", la règle 57(4) CBE dispose :
"En cas de demande d'intervention dans la procédure d'opposition, la division d'opposition peut s'abstenir d'appliquer les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3.". Ces paragraphes 1, 2 et 3 concernent les notifications des oppositions et les observations auxquelles elles ont donné lieu.
6. L'énoncé de la première phrase de l'article 105(1) CBE précitée met en évidence que la Convention (contrairement à la mise en cause ("Nebenintervention") existant dans la procédure civile allemande) ne prévoit pas une simple entremise en faveur d'une partie à la procédure, mais offre au contraire la possibilité d'intervenir en général dans la procédure d'opposition.
6.1 De l'avis de la Chambre, l'article 105(2), troisième phrase CBE permet de répondre par l'affirmative à la question de savoir si l'intervenant jouit de ce fait d'un statut indépendant de partie (principale), étant donné que l'intervention y est traitée expressément comme une opposition, la seule réserve formulée concernant les dispositions du règlement d'exécution (cf. à cet égard van Empel, The Granting of European Patents, p. 227, N491, par. 1).
6.2 La recevabilité d'une intervention, qui ne représente pas une simple entremise pour conforter la position d'une partie à la procédure, exige que l'on interprète la disposition de la règle 57(4) CBE. De l'avis de la Chambre, celle-ci ne peut toutefois avoir pour sens d'empêcher l'intervenant de participer à la procédure ou d'être informé des moyens des autres parties à la procédure. Elle signifie simplement que ces actes ne doivent pas nécessairement ou ne peuvent pas être effectués dans les délais prévus à la règle 57(1) à (3) CBE (cf. sur ce point van Empel, op. cit. p. 227, N491, par. 2).
7. Il reste toutefois à déterminer si l'intervention "dans la procédure d'opposition" visée à l'article 105(1) CBE englobe l'intervention dans la procédure de recours sur opposition. Les travaux préparatoires relatifs à cette disposition permettent indéniablement de répondre par l'affirmative à cette question.
7.1 Cette question avait été débattue lors de la 10e réunion du Groupe de travail I, qui s'est tenue à Luxembourg du 22 au 26 novembre 1971. On peut lire à la page 45 du rapport sur cette réunion (BR/144/f71) :
"Le tiers poursuivi pour contrefaçon doit-il pouvoir intervenir même lorsque la procédure d'opposition est pendante devant l'instance de recours ? Le groupe a répondu positivement à cette question, la procédure de recours faisant partie intégrante de la procédure d'opposition."
A l'occasion de la 5e session de la Conférence Intergouvernementale, tenue à Luxembourg les 24 et 25 janvier, ainsi que du 2 au 4 février 1972 et du 26 janvier au 1er février 1972, il a été suggéré de réexaminer cette question (cf. le rapport BR/168/f72, p. 47 ; BR/169/f72, p. 45 et 46). Il ressort toutefois du rapport sur la réunion que le Groupe de travail I a tenue du 28 février au 3 mars 1972 à Luxembourg (BR/177/f72) qu'il n'a pas été donné suite à cette suggestion.
A l'occasion des travaux relatifs à l'avant-projet de Convention, les délégations ont également examiné la question de savoir si, lorsque le tiers poursuivi pour contrefaçon n'intervient dans la procédure d'opposition qu'au niveau de l'instance de recours, celle-ci doit être tenue de renvoyer l'affaire devant la division d'opposition. La majorité des délégations s'est toutefois prononcée contre cette possibilité, si bien qu'il a été décidé de ne pas prévoir de renvoi obligatoire (cf. rapport précité, BR/144/f71, p. 46).
Enfin, la proposition d'accorder à la division d'opposition ou à la chambre de recours la faculté de refuser l'intervention du contrefacteur présumé lorsque cette intervention pourrait causer un retard indu dans la procédure n'a pas été retenue (2e réunion du Comité de coordination tenue du 15 au 19 mai 1972, BR/209 f/72, p. 33), tandis qu'à la Conférence diplomatique de Munich, l'argument selon lequel il y a lieu d'exclure toute intervention en raison du retard qu'elle risque de causer dans la procédure n'a rencontré aucun écho favorable (M/PR/I, p. 51, N421).
7.2 Dans la littérature, l'intervention pendant la procédure de recours est, là encore, approuvée sans réserve (cf. van Empel, op. cit. p. 228, N492 ; Singer, Kommentar, p. 428, N. 4 ad. art. 105 CBE).
7.3 Le sens et l'objet de l'article 105 CBE découlent des travaux préparatoires, et plus précisément du rapport sur la 10e réunion du Groupe de travail I, ainsi que des travaux dont il dispose (cf. BR/144/f71, page 43). On peut y lire :
"Cette suggestion (relative à l'intervention du contrefacteur présumé - note de la Chambre de recours) vise à éviter au contrefacteur présumé qu'il ne soit contraint d'introduire une action en nullité devant les tribunaux des Etats contractants désignés, alors qu'une procédure d'opposition est en instance devant l'Office européen des brevets. Cela permettrait à la fois de gagner du temps et de réduire le risque de voir adopter des décisions contradictoires."
Ce qu'il faut entendre par "procédure d'opposition" en instance a déjà été expliqué au point 7.1 supra.
Il ne fait aucun doute à cet égard qu'il a aussi été tenu compte de ce que les chambres de recours ont été instituées comme instances statuant sur des faits.
8. Compte tenu du but indéniablement normatif de l'article 105 CBE, il semble superflu d'appliquer l'article 107 CBE, dont l'objet est différent. L'article 107 règle le droit de former un recours et la participation à la procédure en fonction de l'état de la procédure, et il est sans rapport avec une nouvelle participation à la procédure dans certaines conditions, à savoir dans le cas d'une action en contrefaçon introduite à propos du brevet incriminé.
9. Dans ses décisions G 7/91 et G 8/91 (JO OEB 1993, 356 et 346), la Grande Chambre de recours a, au point 7, déclaré que le droit procédural établissait une nette distinction entre la procédure devant la division d'opposition et celle devant la chambre de recours, si bien que dans ce contexte particulier, la procédure de recours ne peut être considérée comme faisant partie de la procédure d'opposition. De l'avis de la Chambre, cette affirmation n'est toutefois pas en contradiction avec le point de vue juridique cité plus haut, qui sous-tend la prescription de l'article 105 CBE.
La Grande Chambre de recours avait fait cette affirmation dans le cadre de sa réponse à la question de la compétence pour poursuivre la procédure après le retrait du recours formé par l'unique requérant. Cette question l'avait amenée à distinguer entre la procédure d'opposition au sens strict du terme et la procédure de recours. Par procédure d'opposition, elle entendait l'étape de la procédure où la division d'opposition est compétente pour rendre une décision sur les requêtes présentées par les parties au moyen, prévu par le droit procédural, de l'opposition. Or, le terme "procédure d'opposition" tel qu'il est employé à l'article 105 CBE est une expression fort courante en droit procédural, par laquelle on entend la procédure d'opposition au sens large du terme, à savoir la procédure devant la division d'opposition, y compris l'instance qui s'y rattache, c'est-à-dire la procédure devant la chambre de recours. Le terme choisi à l'article 105 CBE est comparable à celui concernant, par exemple, une action dite en nullité, qui englobe aussi bien la procédure devant une première instance de nullité que la procédure (instance) qui s'y rattache. Comme en l'espèce, ce terme ne signifie pas d'emblée que les dispositions de procédure applicables aux diverses instances, c'est-à-dire aux diverses étapes, doivent être identiques.
Cependant, il y a lieu d'établir une distinction entre l'intervention, telle qu'il convient de la traiter en l'espèce, et la question de la poursuite de la procédure après le retrait d'un recours, qui fait l'objet des décisions G 7/91 et G 8/91. Lorsque, se référant à l'intervention, les travaux préparatoires incluent dans le terme "procédure d'opposition" la procédure de recours, cela signifie manifestement que cette notion de procédure d'opposition est entendue dans son sens large. Ce faisant, il n'y a ni confusion ni assimilation de la procédure d'opposition (au sens strict du terme) et de la procédure de recours. Il faut plutôt comprendre que l'attaque déclenchée par l'opposition contre un brevet est examinée et poursuivie devant une autre instance, à savoir la chambre de recours, sur la base de nouvelles requêtes.
Si, lors de l'élaboration de la CBE, les Etats contractants ont considéré que la prescription de la règle 66(1) CBE énoncée ci-après était nécessaire et utile, c'est uniquement parce qu'ils sont partis du principe que le terme de "procédure d'opposition" revêt ces deux sens :
"A moins qu'il n'en soit disposé autrement, les dispositions relatives à la procédure devant l'instance qui a rendu la décision faisant l'objet du recours sont applicables à la procédure de recours."
Il n'est rien dit d'autre en ce qui concerne l'intervention ; quant au sens que revêt en l'occurrence le terme allemand "entsprechend", les travaux préparatoires cités plus haut sont explicites à cet égard.
10. Il ne fait aucun doute que pour qu'une intervention puisse prendre effet, il faut qu'un recours ait été formé contre la décision de la division d'opposition, autrement dit, il faut qu'une procédure d'opposition au sens large telle que visée à l'article 105 CBE soit en instance (cf. G 4/91, point 7).
Dans l'affaire G 4/91, il a été décidé qu'il ne suffisait pas que coure un délai de recours, c'est-à-dire que la procédure d'opposition continue de produire des effets, pour qu'une procédure en tant que telle soit pendante, lorsqu'aucune des parties à la procédure d'opposition n'a formé de recours.
En l'espèce, deux recours ont été formés pendant le délai de recours. La procédure de recours était donc pendante.
11. La décision T 390/90 susmentionnée, qui déclare irrecevable l'intervention du contrefacteur présumé pendant une procédure de recours en instance, ne se fonde pas sur le double sens précité et contenu dans la CBE du terme "procédure d'opposition", mais uniquement sur son sens le plus strict.
Par ailleurs, il a été estimé dans cette décision que la nature et la fonction juridique des chambres de recours, comparées à l'activité de la division d'opposition, qui exerce une fonction purement administrative, exigent que l'on interprète d'emblée de façon restrictive le terme de "entsprechend", dans la version allemande de la règle 66(1) CBE. La Chambre ne saurait partager ce point de vue sans réserve.
Certes, les chambres de recours répondent à la définition du tribunal donnée, entre autres, à l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui peut éventuellement être appliqué aux litiges survenant après la délivrance d'un brevet, sans qu'il soit nécessaire, dans ce cas, de déterminer l'importance des aspects de procédure civile et/ou du contentieux administratif. Les chambres de recours, s'appuyant sur des textes de loi ou des traités d'Etat, agissent en toute indépendance et avec impartialité, publiquement et dans un délai raisonnable, déterminent les faits elles-mêmes, appliquent elles-mêmes les règles de droit de la CBE et rendent une décision obligeant les parties (cf. Karl/Miehsler, Internationaler Kommentar zur Europäischen Menschenrechtskonvention, 1ère livraison, Cologne 1986, nos 143-148 et nos 282-289).
Cependant, cela ne permet pas de tirer de conclusion générale en ce qui concerne l'application de la règle 66(1) CBE et l'étendue des compétences des chambres de recours. En effet, alors que, par exemple, dans une procédure relevant du contentieux administratif, des principes tels que celui selon lequel le tribunal détermine lui-même la marche de la procédure, sont généralement appliqués (de manière plus ou moins large), ils peuvent l'être également dans le cas de procédures civiles, selon la nature du litige, les parties en présence et l'objet du litige. C'est pourquoi la Chambre estime qu'il y a lieu de s'interroger sur le sens de la règle 66(1) CBE systématiquement à la lumière de la nature concrète de la procédure (cf. à ce sujet, par exemple les décisions G 9/91, G 10/91, point 17 et 18 respectivement).
12. Compte tenu des points de vue exposés ci-dessus ainsi que de la pratique antérieure présentée au point 4 supra (cf. T 338/89) d'une part, et de l'avis exprimé dans la décision T 390/90 (cf. points 3 et 11 supra) de l'autre, la Chambre constate une contradiction dans l'application du droit. En outre, elle considère que la question de droit ainsi soulevée revêt une importance fondamentale.
Vu l'article 112(1) a) CBE, elle décide de soumettre cette question de droit à la Grande Chambre de recours.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La question de droit suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
Une intervention du contrefacteur présumé conformément à l'article 105 CBE est-elle recevable lorsqu'elle est formée pendant la procédure de recours sur opposition en instance ?
* En raison du retrait de l'intervention dans l'affaire T 27/92, la procédure G 6/93 a été interrompue sans décision. Cependant, par décision T 169/92 en date du 20 décembre 1993, qu'il n'est pas prévu de publier, la Chambre 3.3.2 a, une nouvelle fois, soumis à la Grande Chambre de recours la question de la recevabilité d'une intervention du contrefacteur présumé formée pendant une procédure de recours sur opposition en instance (JO OEB 1994, 348). Cette question a fait l'objet de la décision G 1/94 (publiée dans le présent numéro, JO OEB 1994, 787). Dans l'exposé des motifs de la décision T 169/92, la chambre fait notamment référence à la décision T 27/92 publiée ci-après.