CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Chambre de recours juridique
Décision de la Chambre de recours juridique, en date du 1er décembre 1992 - J 6/91 - 3.1.1
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | O. Bossung |
Membres : | G. Davies |
| M. Aúz Castro |
Demandeur : E.I. Du Pont de Nemours and Company
Référence : Déclaration de priorité (correction)/DU PONT
Règle : 88, première phrase CBE
Mot-clé : "Correction d'erreurs/omissions - déclaration de priorité" - "Correction d'erreurs/omissions après la publication - intérêt des tiers"
Sommaire
En principe, et en l'absence de circonstances particulières, une requête en rectification d'une revendication de priorité par adjonction d'une première priorité doit être présentée suffisamment tôt pour être signalée dans la publication de la demande. Il peut être dérogé à cette règle lorsqu'il ressort de la demande publiée qu'il se peut qu'une première priorité ou une priorité unique manque ou est erronée, ou bien encore que la date de cette priorité est erronée. Dans ce cas, l'intérêt des tiers est protégé par le fait qu'il ressortait de la demande publiée qu'une erreur a peut-être été commise ou l'a effectivement été en ce qui concerne la date de priorité revendiquée.
Exposé des faits et conclusions
I. Le demandeur et requérant a déposé la demande de brevet n° 152 186 auprès de l'USPTO le 4 février 1988 et une demande continuation-in-part n° 153 107 le 8 février 1988. Le 3 février 1989, il a déposé la demande internationale n° PCT/US 89/00355, dans laquelle l'OEB est cité comme office désigné (demande euro-PCT n° 89 902 578.7). Dans cette demande, le demandeur a uniquement revendiqué la priorité de la demande continuation-in-part n° US 153 107.
II. Le 10 août 1989, la demande internationale a été publiée sous le numéro WO 89/07087.
III. Le 9 mars 1990, le demandeur a présenté à l'USPTO une requête en vue d'obtenir l'autorisation de rectifier la demande internationale en y ajoutant la date de priorité la plus ancienne. L'USPTO a rejeté cette requête par décision en date du 1er mai 1990 au motif que l'autorisation de rectifier n'a pu être donnée dans le délai prescrit à la règle 91.1(g) et (i) PCT, à savoir dans le délai de dix-sept mois à compter de la date de priorité.
IV. Le 27 mars 1990, avant l'entrée dans la phase régionale (européenne), le demandeur a, en vertu de la règle 88 CBE, présenté une requête en rectification de la demande euro-PCT en vue d'ajouter la priorité de la demande antérieure, et a demandé qu'un avis indiquant qu'une requête en rectification a été présentée soit publié en même temps que les données relatives à la demande au Bulletin européen des brevets lors de l'entrée dans la phase régionale. La demande est entrée dans la phase régionale le 29 juin 1990 et, à cette occasion, le demandeur a renouvelé sa requête visant à rectifier sa demande et à faire publier un avis correspondant au Bulletin européen des brevets. Le Bulletin européen des brevets du 27 mars 1991 a fait mention de l'entrée de la demande dans la phase régionale, mais ne contenait pas un tel avis.
V. Par décision en date du 29 janvier 1991, la section de dépôt a rejeté la requête en rectification de la demande au motif que, selon la jurisprudence de la Chambre de recours juridique, elle était tardive, n'ayant pas été présentée suffisamment tôt pour pouvoir être signalée dans la publication de la demande. Comme il s'agit d'une demande euro-PCT, la publication pertinente est, conformément à l'article 158(1) CBE, celle à laquelle il a été procédé en vertu de l'article 21 PCT. L'intérêt du public exige qu'une correction de la date de priorité ne soit pas admise après cette publication car le public doit pouvoir se fier aux informations publiées.
VI. Le 6 mars 1991, le requérant a formé un recours contre cette décision, en acquittant simultanément la taxe de recours. Un mémoire écrit exposant les motifs du recours en date du 7 juin 1991 est parvenu à l'OEB le jour même par téléfax (confirmé par lettre portant la même date et reçue le 10 juin 1991).
VII. Lors de la procédure orale qui s'est déroulée le 14 mai 1992, le requérant a demandé l'annulation de la décision attaquée et la correction de la demande de brevet européen n° 89 902 578.7 par adjonction d'une revendication de priorité de la demande américaine n° 152 186 datée du 4 février 1988.
VIII. Les motifs invoqués par le demandeur dans son mémoire écrit et lors de la procédure orale peuvent se résumer comme suit : la règle 88, première phrase CBE ne subordonne pas les corrections à l'observation d'un délai. Bien plutôt, elle laisse toute latitude pour décider au cas par cas de la recevabilité d'une correction. L'exercice de ce pouvoir d'appréciation ne doit pas être entravé par l'introduction d'un délai. Le remplacer par un délai fixe serait contraire à l'article 150(3) CBE qui, comme la règle 88 CBE, ne prévoit aucun délai. Dans un cas particulier il devrait être possible - selon les circonstances - d'apporter une correction même s'il est trop tard pour la signaler dans le Bulletin européen des brevets. Dans plusieurs décisions antérieures, la Chambre de recours juridique avait autorisé des dérogations au principe selon lequel il faut aviser le public (il est fait référence aux affaires suivantes : J 12/80, JO OEB 1981, 143 ; J 4/82, JO OEB 1982, 385 ; J 14/82, JO OEB 1983, 121 ; J 3/82, JO OEB 1983, 107 et J 11/89, en date du 26 octobre 1989, non publiée). Dans ces affaires, l'intérêt légitime du demandeur a primé la nécessité d'informer les tiers. Le demandeur a estimé qu'en l'espèce, une exception était également justifiée. La date de priorité dont il demande l'adjonction est antérieure de quatre jours seulement à celle revendiquée, et ni la publication de la demande internationale ni l'entrée dans la phase régionale n'ont été retardées. En outre, le public avisé aurait été en mesure de soupçonner une erreur dans la revendication de priorité, puisque la priorité revendiquée était celle d'une demande continuation-in-part. Enfin, le public aurait été suffisamment informé si la mention relative à l'entrée dans la phase régionale publiée au Bulletin européen des brevets avait compris un avis, comme cela avait été demandé un an avant la publication. Le public se fie aux informations relatives à une demande euro-PCT publiées après l'entrée dans la phase régionale et non pas à la demande internationale publiée. Au moment où une demande internationale est publiée, il n'est pas certain du tout que la demande PCT entrera dans la phase européenne et, si tel est le cas, les Etats européens qui seront désignés ne sont pas connus. C'est en consultant le Bulletin ou le Registre de l'OEB que le public établit l'existence d'une demande de brevet européen.
IX. Conformément à l'article 12bis du règlement de procédure des chambres de recours (JO OEB 1989, 361), le Président de l'OEB a, sur sa demande, été invité à présenter ses observations sur la présente affaire ainsi que sur trois autres affaires en instance relatives à des erreurs commises dans des déclarations de priorité. Deux d'entre elles, à savoir J 3/91 (Uni-Charm) et J 2/92 (Etats-Unis), portaient sur des erreurs de dactylographie concernant la date de priorité et le numéro de dépôt de la priorité. La Chambre de recours juridique n'avait encore jamais été saisie d'affaires de ce genre. Jusqu'alors, les cas de priorité portaient tous sur l'omission de la date et de l'Etat de la demande antérieure, comme dans une quatrième affaire portée devant la Chambre (J 9/91 (Lochridge)).
X. Le Président de l'OEB a présenté par écrit ses observations sur ces affaires et s'est fait représenter lors de la procédure orale. Il a estimé que, en cas d'erreurs dans la revendication de priorité, il convient de distinguer entre a) les erreurs relatives à la date, à l'Etat et au numéro de dépôt de la demande antérieure faites dans une déclaration de priorité et b) l'omission de l'indication de la date et de l'Etat lors du dépôt de la demande européenne. En ce qui concerne les erreurs de la première catégorie, telles que celles qui font l'objet des affaires J 3/91* (Uni-Charm) et J 2/92* (Etats-Unis), une correction en vertu de la règle 88, première phrase CBE devrait en principe être possible.
S'agissant des erreurs de la seconde catégorie (b) ci-dessus), dans laquelle entre celle qui fait l'objet de la présente affaire J 6/91, une correction au moyen de la restitutio in integrum en vertu de l'article 122 n'est pas possible, la règle 38(2) ne fixant pas de délai. Une correction en vertu de la règle 88, première phrase CBE est néanmoins possible. Cependant, dans l'intérêt des tiers, il conviendrait d'observer une limitation dans le temps. Celle-ci doit être définie de manière que le délai de publication de dix-huit mois - calculé à compter de la date de priorité la plus ancienne - puisse être observé. C'est pourquoi il a estimé qu'une rectification n'est pas admissible dans la présente affaire J 6/91.
XI. La Chambre de recours juridique statue en l'espèce sur l'affaire J 6/91 (Du Pont). Le même jour, elle rend également les décisions suivantes : J 3/91 (Uni-Charm) et J 9/91 (Lochridge). Chacune de ces affaires fait l'objet d'une décision sur le fond. Cependant, compte tenu du nombre de requêtes en rectification relatives à des déclarations de priorité dont elle est actuellement saisie, la Chambre profite de l'occasion pour reconsidérer la jurisprudence qu'elle a élaborée sur ce point et pour donner une interprétation supplémentaire du droit et de la procédure à suivre en cas de requête en rectification d'erreurs en vertu de la règle 88. Les considérations générales et les principes de droit s'appliquant à l'ensemble des affaires précitées sont exposés dans la présente décision.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2.1 La jurisprudence de la Chambre de recours juridique en matière de rectification d'erreurs et de fautes contenues dans les pièces soumises à l'OEB, en vertu de la règle 88 CBE, a été élaborée au cas par cas depuis 1980. Les premières affaires portaient sur des requêtes en rectification de désignations d'Etats dans des demandes de brevet européen. Les principes alors établis furent ensuite appliqués aux affaires relatives à des rectifications d'erreurs contenues dans des déclarations de priorité et ayant trait à la date et à l'Etat d'une demande antérieure.
2.2 Dans l'affaire J 8/80 (JO OEB 1980, 293), qui constituait le premier recours concernant la règle 88 CBE, la Chambre avait commenté de façon détaillée le droit applicable ainsi que, lors de requêtes basées sur la règle 88 CBE, la procédure qui doit être suivie. Elle a posé pour tous les cas de ce genre les principes généraux suivants :
(1) il devrait y avoir une erreur, dans le sens de la règle 88 CBE, dans une pièce soumise à l'OEB lorsque la pièce ne reproduit pas la véritable intention pour laquelle elle avait été déposée. L'erreur peut se présenter sous forme d'une déclaration inexacte ou elle peut ressortir d'une omission. La rectification peut donc se faire de la sorte que la déclaration inexacte est formulée exactement ou que ce qui a été omis est ajouté (point 4 des motifs de la décision) ;
(2) pour pouvoir faire droit à une requête en rectification, il doit être clair pour l'OEB qu'il y a bien une erreur, en quoi l'erreur consiste et comment la correction doit être faite (point 5 des motifs de la décision) ;
(3) lorsque l'erreur en question n'est pas évidente et dans les cas où il n'est pas immédiatement discernable que rien d'autre ne pouvait être envisagé que ce qui est proposé dans la requête en correction, il doit être posé les exigences les plus grandes en ce qui concerne la charge de la preuve. Il ne peut pas être permis que des dispositions qui doivent faciliter la rectification d'erreurs effectives soient utilisées par quelqu'un dans le but d'obtenir, de cette façon, une modification de son opinion ou un développement de ses intentions (point 6 des motifs de la décision).
Dans cette affaire, où la requête en rectification avait été présentée moins d'un mois après le dépôt de la demande, il a été indiqué que dès lors que la requête en rectification avait été introduite immédiatement, il n'était pas nécessaire de se demander si le droit d'obtenir une correction était sujet à certaines limitations naturelles (point 10 des motifs de la décision).
2.3 Dans la décision suivante relative à la règle 88 CBE (J 12/80, JO OEB 1981, 143), la Chambre de recours juridique a rappelé cette constatation et a déclaré que "dans le présent recours, il n'y a pas le moindre doute que la requête en correction a été déposée immédiatement" (point 7 des motifs de la décision). Dans le sommaire de cette décision, cette déclaration avait été interprétée comme suit : "La correction d'erreurs dans la requête en délivrance d'un brevet européen n'est pas exclue lorsque la requête en rectification est formée immédiatement ...".
Dans cette affaire, la demande avait été publiée sans la désignation de la Suisse pendant que le recours était en instance de règlement. Cela pose la question de l'intérêt public concernant la sécurité juridique. Toutefois, le requérant n'ayant pas le contrôle de la publication, la chambre a estimé qu'il serait injuste de le priver du bénéfice de la correction de l'erreur à laquelle, par ailleurs, il a en principe droit, à raison de la publication intervenue dans l'intervalle.
La Chambre a conclu comme suit : "Il est vrai que la règle 88 de la CBE ne contient aucune disposition formelle concernant la protection des tiers comme celle que l'on peut trouver dans l'article 122(6) de la CBE permettant de régler des situations semblables survenant lors d'une restitutio in integrum. En l'absence d'une disposition spécifique dans la CBE, la solution de tous les problèmes du droit des tiers doit être laissée aux tribunaux nationaux compétents" (point 9 des motifs de la décision).
2.4 Cette jurisprudence a été précisée dans la décision J 3/81 (JO OEB 1982, 100). Dans cette affaire, la Chambre de recours juridique a énoncé deux principes auxquels elle s'est systématiquement tenue par la suite.
(1) Une requête en rectification d'une erreur lors de la désignation des Etats dans une demande européenne et qui tendrait à ajouter un Etat ne peut être admise dans l'intérêt des tiers si la demande est déposée trop tard pour permettre d'annexer à la publication une indication correspondante à l'usage des tiers (point 6 des motifs de la décision).
(2) Lorsqu'une demande internationale déposée au titre du PCT est réputée être une demande de brevet européen, cette même règle générale doit s'appliquer, dans l'intérêt des tiers, bien que la publication par le Bureau international de l'OMPI précède nécessairement le moment où le demandeur peut requérir l'OEB de corriger une quelconque erreur figurant dans la demande. Cependant, le demandeur peut prier le Bureau international de publier un avis, auquel cas il pourrait être fait droit à une requête en rectification en vertu de la règle 88 (point 9 des motifs de la décision).
2.5 Dans deux décisions datées respectivement du 21 juillet 1982 (J 4/82, JO OEB 1982, 385) et du 19 janvier 1983 (J 14/82, JO OEB 1983, 121), la Chambre de recours juridique a considéré qu'il y a lieu d'appliquer aux requêtes en rectification de déclarations de priorité les mêmes conditions que celles fixées pour la correction de la désignation des Etats. Dans ces décisions, la Chambre a fait droit aux requêtes, estimant qu'une erreur commise dans une déclaration de priorité peut être rectifiée en application de la règle 88, première phrase CBE, à condition que la requête en rectification ait été présentée suffisamment tôt pour être signalée dans la publication de la demande. Les deux décisions précitées concernaient plusieurs priorités et, dans chacun des cas, la priorité initiale avait en fait été revendiquée dans la requête en délivrance non rectifiée, alors que les priorités ultérieures avaient été omises. Par conséquent, l'admission ou le rejet de la requête en rectification ne pouvait avoir d'effet sur la date de publication de la demande, telle qu'elle est prévue à l'article 93(1) CBE, c'est-à-dire dès que possible après l'expiration d'un délai de dix-huit mois à compter de la date de priorité.
En outre, dans la décision J 14/82, la Chambre a conclu qu'elle doit décider, lorsqu'il n'a pas été publié d'avis, si le fait d'autoriser la rectification peut porter préjudice aux intérêts des tiers, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce (point 5 des motifs de la décision).
2.6 L'omission d'une première (et unique) priorité est traitée pour la première fois dans la décision J 3/82 en date du 16 février 1983 (JO OEB 1983, 171). La Chambre avait autorisé la correction de cette omission, bien qu'aucun avis n'eût été publié, parce que l'OEB portait la responsabilité du défaut de publication. En autorisant la rectification, elle a dérogé au principe général qui veut que, "lorsqu'une revendication de priorité a été omise par erreur dans un formulaire de requête en délivrance, et que l'autorisation de corriger cette erreur aurait pour effet d'avancer la date de publication de la demande stipulée à l'article 93(1) de la CBE, la requête en rectification de l'erreur doit parvenir à l'OEB en temps utile pour que la demande soit publiée à la date prescrite, avec la mention obligatoire informant le public du dépôt de la requête en rectification" (sommaire de la décision).
Dans l'affaire J 21/84 en date du 29 novembre 1985 (JO OEB 1986, 75), la Chambre s'est tenue au principe selon lequel une requête en rectification d'une revendication de priorité doit être présentée suffisamment tôt pour permettre l'insertion d'un avis aux tiers dans la publication de la demande.
Dans la décision J 8/89 du 4 juillet 1989 [1990] EPOR 55, qui portait sur la correction de la désignation d'un Etat, la Chambre avait estimé qu'il est de principe que, sauf cas exceptionnel, la désignation d'Etats ne peut être corrigée lorsque la requête en rectification est présentée trop tard pour être signalée dans la publication de la demande. Dans cette affaire, la Chambre avait qualifié d'exceptionnel le cas "où la publication est prématurée ou inexacte, sans que le demandeur ou son mandataire en soit responsable" (point 3 des motifs de la décision).
2.7 La dernière affaire relative à une rectification d'une déclaration de priorité a fait l'objet de la décision J 11/89 en date du 26 octobre 1989 (non publiée). Le demandeur avait omis de revendiquer une seconde priorité japonaise ultérieure et n'a présenté sa requête en rectification qu'après la publication de la demande. Cependant, il avait fourni à l'OEB, dans le délai de seize mois fixé à la règle 38(3) CBE, une copie du dernier document de priorité japonais en même temps qu'une copie du document de priorité dûment revendiqué. Tout en relevant l'incohérence, la section de dépôt n'a pris aucune mesure pour en informer le demandeur. La Chambre a fait droit à la requête en rectification, bien qu'elle ait été présentée après la publication et que le public n'en ait pas été avisé, en raison des circonstances particulières de l'espèce : d'une part, rien ne dénotait un manque de diligence de la part du mandataire ; d'autre part, il aurait été convenable et équitable que la section de dépôt attirât l'attention du demandeur sur cette incohérence ; enfin, la revendication de priorité omise se référait à une demande ultérieure à celle qui avait été effectivement mentionnée dans la demande publiée.
2.8 Récemment, dans la décision J 7/90 en date du 8 août 1991 (JO OEB 1993, 133), qui concerne la correction de la désignation d'un Etat, la Chambre a confirmé l'obligation de présenter une requête en rectification suffisamment tôt pour qu'un avis puisse être publié en même temps que la demande de brevet européen.
3. Telle qu'élaborée depuis 1980, la jurisprudence de la Chambre de recours juridique relative à la correction, en vertu de la règle 88 CBE, d'erreurs contenues dans la désignation d'Etats et dans les revendications de priorité peut être résumée comme suit :
(1) Il y a erreur lorsqu'une pièce soumise à l'OEB ne reproduit pas la véritable intention pour laquelle elle a été déposée ;
(2) Une erreur peut consister en une indication inexacte ou résulter d'une omission ;
(3) Les exigences les plus grandes doivent être posées en ce qui concerne la charge de la preuve qui incombe au demandeur pour établir qu'il y a bien une erreur, en quoi elle consiste et comment la correction doit être faite ; la règle 88 ne doit pas pouvoir être utilisée par quelqu'un dans le but d'obtenir, de cette façon, une modification de son opinion ou un développement de ses intentions ;
(4) La requête en rectification doit être présentée immédiatement et, sauf cas exceptionnel, suffisamment tôt pour être signalée dans la publication de la demande ;
(5) Dans le cas des demandes internationales déposées au titre du PCT, la publication par le Bureau international de l'OMPI en vertu de l'article 21 PCT remplace, conformément à l'article 158(1) CBE, la publication au Bulletin européen des brevets ;
(6) Lorsqu'il n'a pas été publié d'avis, il y a lieu de décider si le fait d'autoriser la rectification peut porter préjudice aux intérêts des tiers ; à ce jour, il a été fait droit à des requêtes en rectification d'une priorité sans publication d'un avis aux tiers uniquement lorsque les conditions précitées avaient été remplies, dans les circonstances particulières suivantes :
i) l'OEB était en partie responsable du défaut de publication d'un avis ; et/ou
ii) l'intérêt des tiers n'avait pas été gravement lésé, étant donné que, par exemple, l'erreur ressortait à l'évidence de la demande publiée, que seule une seconde priorité ou une priorité ultérieure a été ajoutée, ou que les tiers avaient été informés d'une autre manière de toute l'étendue de la protection souhaitée par le demandeur.
La Chambre relève toutefois que, en ce qui concerne le point i) supra, la part de responsabilité de l'Office dans ces décisions est imputable au fait que l'OEB n'avait pas encore clairement défini sa politique à une époque où la situation juridique et la pratique suivie par l'Office n'étaient pas encore clairement définies en matière de correction d'erreurs en vertu de la règle 88 (cf. J 21/84, point 5 des motifs de la décision).
4. A ce jour, la majorité des requêtes en rectification en vertu de la règle 88 sur lesquelles la Chambre a statué concernait des désignations d'Etats et des déclarations de priorité. S'agissant des erreurs commises dans des revendications de priorité, toutes les requêtes en rectification portaient sur l'omission de la date et de l'Etat d'une demande antérieure. Cependant, comme indiqué au point IX supra, la Chambre est actuellement saisie d'affaires portant sur la correction d'erreurs d'ordre typographique commises dans des déclarations relatives à la date et à l'Etat de demandes antérieures, si bien qu'il y a lieu d'examiner si, et dans quelle mesure, les règles applicables à la correction de telles erreurs divergent des conditions applicables aux omissions. Les conclusions de la Chambre sur ce point sont énoncées dans sa décision J 3/91 (Uni-Charm).
5.1 En l'espèce, vu les conditions applicables à la correction d'une priorité omise fixées par la jurisprudence de la Chambre, telles qu'énoncées au point 3 supra, il est clair pour la Chambre qu'il y a bien une erreur, en quoi elle consiste et comment la correction doit être faite. Le demandeur et requérant a omis de revendiquer la priorité d'une demande plus ancienne, antérieure de quatre jours à la date de la demande dont la priorité avait effectivement été revendiquée dans la demande internationale. Cependant, la requête en rectification n'avait pas été présentée suffisamment tôt pour être signalée dans la publication de la demande par le Bureau international de l'OMPI (en l'occurrence, la publication visée à l'article 158(1) CBE).
5.2 Aussi y a-t-il lieu de se demander si, en autorisant la correction, l'intérêt des tiers serait lésé et si, dans la présente affaire, des circonstances particulières permettraient de déroger à la règle selon laquelle une requête en rectification doit être présentée suffisamment tôt pour être signalée dans la publication de la demande. Pour statuer sur la question, la Chambre tient compte du fait que, comme exposé plus haut (point 2.3), la solution de tous les problèmes du droit des tiers doit être laissée aux tribunaux nationaux compétents (J 12/80), puisque la règle 88 CBE ne comporte aucune disposition expresse pour la protection des tiers. La Chambre estime par ailleurs qu'une juridiction nationale pourrait protéger suffisamment ces droits en appliquant par analogie l'article 122(6) CBE (J 10/87, JO OEB 1989, 323).
5.3 Le demandeur a fait valoir que la règle 88, première phrase CBE ne subordonne pas les corrections à l'observation d'un délai, mais laisse toute latitude pour décider au cas par cas de la recevabilité d'une correction. Le demandeur a également invoqué l'article 150(3) CBE, qui dispose que lorsque l'OEB agit en qualité d'office désigné ou d'office élu pour une demande internationale, cette demande est réputée être une demande de brevet européen. En conséquence, il aurait suffi qu'un avis soit publié au Bulletin européen des brevets. En ce qui concerne ces arguments, la Chambre se tient à sa jurisprudence. Comme elle l'avait relevé dans la décision J 7/90 mentionnée plus haut, "la règle 88, première phrase CBE n'oblige aucunement l'OEB à autoriser la correction de n'importe quelle erreur à n'importe quel moment. Il ressort des trois versions de cette règle ("können" - "may be" - "peuvent") que la recevabilité d'un certain type de rectification est laissée à l'appréciation de l'Office. Cela signifie également que la correction d'erreurs peut être assujettie à des conditions. La limitation de temps est une condition raisonnable" (point 2.2 des motifs de la décision). Une limitation de temps imposée par la Chambre de recours juridique dans l'intérêt des tiers n'est guère arbitraire. Publier un avis au Bulletin européen des brevets en même temps que la mention de la demande internationale ne constitue pas une option ; comme exposé plus haut, la publication, en vertu de l'article 21 PCT, d'une demande euro-PCT remplace, conformément à l'article 158 CBE, la publication de la demande de brevet européen.
5.4 Le requérant a demandé qu'il soit dérogé au principe selon lequel il y a lieu d'aviser les tiers dans ce cas, en s'appuyant sur des décisions antérieures où l'intérêt légitime du demandeur a primé la nécessité d'informer les tiers. Il a souligné que la date de priorité omise était antérieure de quatre jours seulement à celle qui avait été effectivement revendiquée, et que le public avisé aurait été en mesure de soupçonner une erreur dans la revendication de priorité, puisque la demande internationale était une demande continuation-in-part de la demande fondant la priorité omise, dont les indications ont été données dans le premier paragraphe de la description de la demande internationale publiée. Selon le requérant, cela représentait une information suffisante pour les tiers. En soi, le fait que la date de priorité omise était antérieure de quatre jours seulement ne sert pas la cause du requérant. Ainsi que l'avait constaté la Chambre dans la décision J 14/82, "aux termes de l'article 93 de la CBE, il y a lieu de publier dès que possible la demande de brevet européen, afin de signaler au public qu'un brevet européen est susceptible d'être délivré. Pour les tiers, il importe de connaître non seulement les aspects techniques de l'invention et les Etats contractants désignés, mais aussi la date de dépôt ainsi que la date des diverses priorités. Le public devrait normalement pouvoir compter sur une information complète et exacte" (point 6 des motifs de la décision). De l'avis de la Chambre, ce principe est, dans l'intérêt des tiers, de la plus haute importance dans le cas d'une première priorité ou d'une priorité unique, à moins qu'il ne ressorte de la demande publiée qu'il se peut qu'une première priorité ou une priorité unique manque ou est erronée ou bien que la date de cette priorité est erronée (comme, par exemple, dans le cas d'une transcription inexacte d'une date japonaise, cf. J 3/91 (Uni-Charm)).
5.5 Le requérant soutient qu'en l'espèce, il ressortait de la demande publiée que la priorité plus ancienne manquait. La demande internationale, qui revendiquait effectivement la priorité d'une demande continuation-in-part datée du 8 février 1988, était elle-même présentée comme une demande continuation-in-part, et le premier paragraphe de la description publiée était intitulé et libellé comme suit :
"Contexte de l'invention
Renvois à une demande apparentée
La présente demande est une continuation-in-part de la demande n° (CR-8641), déposée le 4 février 1988."
Selon la Chambre, le fait que cette demande internationale a été elle-même présentée comme une demande continuation-in-part ne suffit pas, à lui-seul, pour informer le public avisé qu'il manque peut-être une première priorité. Une continuation-in-part est une deuxième demande qui reprend une grande partie ou l'intégralité de la demande antérieure en y ajoutant un objet non divulgué dans celle-ci. Les revendications qui dépendent d'un nouvel objet ajouté par une demande continuation-in- part bénéficient de la date de dépôt de la demande continuation-in-part, mais non de celle de la demande initiale (cf. Chisum, Patents, Vol. 4, 1992, 13.03 [3]). Que la demande dont la priorité est revendiquée soit une demande continuation-in-part ne signifie donc pas obligatoirement qu'il y avait une priorité antérieure qui aurait dû être revendiquée. Cependant, la Chambre estime que dans les circonstances particulières de l'espèce, le fait que la demande internationale a été présentée comme une demande continuation-in-part, combiné à d'autres éléments qui auraient sauté aux yeux du lecteur dès les deux premières pages de la demande internationale publiée, aurait suffi pour attirer l'attention du public avisé sur la possible omission d'une première priorité ou sur une erreur typographique. Ces éléments sont les suivants :
La date de la priorité effectivement revendiquée et celle de la demande antérieure dont la demande internationale est une continuation-in-part sont espacées de quatre jours seulement (8 et 4 février respectivement), ce qui est inhabituel ; la demande internationale a été déposée le 3 février 1989, soit dans l'année de priorité de la demande en date du 4 février 1988 et en temps utile pour en revendiquer la priorité.
Le fait que la demande internationale a été déposée le 3 février 1989 laisserait entendre que le demandeur envisageait de revendiquer la priorité du 4 février 1988 et que, par conséquent, une première priorité manquait. Les tiers avisés pourraient également expliquer cette incohérence en considérant que la date du 8 février indiquée pour la date de priorité effectivement revendiquée était une erreur de dactylographie. En effet, la demande publiée ne fait pas clairement apparaître que la demande dont la priorité est revendiquée et la demande initiale dont la présente demande est une continuation-in-part sont une seule et même demande (seul le numéro de série du demandeur pour la dernière demande est donné).
5.6 Aussi la Chambre considère-t-elle qu'en l'espèce, il est légitime de déroger au principe général qui veut qu'une requête en rectification soit présentée suffisamment tôt pour être signalée dans la publication de la demande, et estime qu'il convient d'autoriser la correction demandée en ajoutant la date de priorité omise. La Chambre est convaincue que l'intérêt des tiers est protégé par le fait qu'il ressortait de la demande publiée qu'une erreur a peut-être été commise en ce qui concerne la date de priorité revendiquée. La Chambre a également tenu compte de la diligence avec laquelle le demandeur et requérant a agi, ainsi que du fait que la procédure de délivrance du brevet et l'entrée dans la phase régionale, y compris la publication de la demande à l'expiration d'un délai de dix-huit mois, n'ont été aucunement retardées.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision faisant l'objet du recours est annulée.
2. Il est ordonné que le formulaire de requête, déposé le 3 février 1989 conformément à l'article 4 PCT, concernant la demande internationale PCT/US 89/00355 (ultérieurement demande de brevet européen n° 89 902 578.7) soit rectifié, dans la mesure où l'Office européen des brevets est concerné en tant qu'office désigné, en ajoutant dans le cadre VI, à la page 4 dudit formulaire, la date de priorité de la demande de brevet américain n° 0 152 186 déposée le 4 février 1988.
* publiées dans ce numéro, JO OEB 1994, 365 et 375.