CHAMBRES DE RECOURS
Décision de la Chambre de recours technique 3.3.04 en date du 28 janvier 2022 - T 1513/17 et T 2719/19
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Présidente :
G. Alt
Membres :
P. de Heij
A. Chakravarty
Titulaire du brevet/Demandeur :
Alexion Pharmaceuticals, Inc.
Intimé/Opposant 1 :
Novartis AG
Intimé/Opposant 2 :
F. Hoffmann-La Roche AG / Chugai Pharmaceutical Co. Ltd.
Référence :
Prolongation de la survie d'une allogreffe/ALEXION
Dispositions juridiques pertinentes :
Articles 87(1), 112(1)a), 118 et 153(2) CBE
Règles 99(2) et 139 CBE
Article 11.3) PCT
Article 12(4) RPCR
Article 4 de la Convention de Paris
Mot-clé :
"Priorité" – "Rectification d'une erreur" – "Saisine de la Grande Chambre de recours"
Exergue :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours :
I. La CBE donne-t-elle compétence à l'OEB pour déterminer si une partie se prévaut valablement de la qualité d'ayant cause au sens de l'article 87(1)b) CBE ?
II. S'il est répondu par l'affirmative à la question I,
une partie B peut-elle valablement se fonder sur le droit de priorité revendiqué dans une demande PCT afin de revendiquer des droits de priorité en vertu de l'article 87(1) CBE
lorsque,
1) dans une demande PCT, la partie A est indiquée comme demandeur pour les États-Unis uniquement et la partie B comme demandeur pour d'autres États désignés, y compris en vue d'obtenir une protection régionale par brevet européen, et
2) cette demande PCT revendique la priorité d'une demande de brevet antérieure dans laquelle la partie A est indiquée comme demandeur, et
3) la priorité revendiquée dans la demande PCT est conforme à l'article 4 de la Convention de Paris ?
Exposé des faits et conclusions
Concernant l'affaire T 1513/17
I. Le recours du titulaire du brevet porte sur la décision intermédiaire de la division d'opposition révoquant le brevet européen n°1 755 674 (ci-après dénommé "le brevet"). La demande sur la base de laquelle le brevet a été délivré avait initialement été déposée en tant que demande internationale au titre du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) sous le n°PCT/US2005/017048 et publiée sous la référence WO 2005/110481 (ci-après dénommée "la demande PCT"). Elle revendique la priorité de la demande de brevet provisoire US n°60/571,444, déposée le 14 mai 2004 (ci-après dénommée "la demande dont la priorité est revendiquée").
II. La demande dont la priorité est revendiquée a été déposée au nom de R.P. Rother, H. Wang et Z. Zhong, les inventeurs. La demande PCT indique R.P. Rother, H. Wang et Z. Zhong comme inventeurs et comme demandeurs pour les États-Unis d'Amérique (US) uniquement. Elle indique Alexion Pharmaceuticals, Inc. et l'Université Western Ontario comme demandeurs pour tous les États désignés à l'exception des États-Unis. Le brevet litigieux indique Alexion Pharmaceuticals, Inc. comme titulaire du brevet, et R.P. Rother, H. Wang ainsi que Z. Zhong comme inventeurs.
III. Le brevet a fait l'objet d'une opposition sur la base des motifs visés à l'article 100a) CBE (nouveauté et activité inventive) et à l'article 100b) et c) CBE.
La validité de la revendication de priorité a été contestée, notamment au motif que les demandeurs, Alexion Pharmaceuticals, Inc. et l'Université Western Ontario, n'étaient prétendument pas les demandeurs ni les ayants cause des demandeurs de la demande dont la priorité est revendiquée. Par conséquent, l'objet des revendications du brevet n'était prétendument pas nouveau par rapport à ce qui était divulgué dans les documents D10, D20 et D21, tous publiés avant la date de dépôt de la demande de brevet.
IV. Les conclusions de la division d'opposition, dans la mesure où elles sont pertinentes pour la présente décision, peuvent se résumer comme suit.
La requête en rectification du formulaire OEB 1200, présentée par le requérant en vertu de la règle 139 CBE et visant à ce que ce dernier ainsi que H. Wang et Z. Zhong soient indiqués comme demandeurs, doit être interprétée comme une requête en rectification du formulaire PCT/RO/101. Il ne peut pas être fait droit à la requête, notamment parce que la règle 139 CBE ne prévoit pas la correction d'erreurs sur la base d'hypothèses. Contrairement à ce qui a été retenu dans l'affaire J 10/87, l'erreur en question ne peut pas être considérée comme une inadvertance excusable.
La revendication de priorité n'est pas valable, car seul le droit de priorité de l'inventeur Rother a été cédé au requérant avant le dépôt de la demande PCT. Les droits de priorité des inventeurs Wang et Zhong n'ont pas été cédés au requérant ni à l'Université Western Ontario avant le dépôt de la demande PCT.
L'objet de la revendication 1 n'est (donc) pas nouveau par rapport à ce qui est divulgué dans les documents D20 et D21.
Le document D21 pouvant être considéré comme l'état de la technique le plus proche, l'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 1 n'implique pas d'activité inventive.
L'objet de la revendication 1 de la requête subsidiaire 2 n'est pas non plus nouveau par rapport à ce qui est divulgué dans le document D21.
V. La division d'opposition a fait référence aux documents D1 à D46, tels qu'ils sont énumérés dans l'annexe à sa décision. Pour faciliter la lecture dans le cadre de la présente procédure de recours, les trois déclarations et les autres documents mentionnés au paragraphe 11 de la décision sont numérotés respectivement de D47 à D57, comme suit :
D47 Déclaration de Y. Wang en date du 17 mars 2016 ;
D48 Déclaration complémentaire de Y. Wang en date du 27 février 2017 ;
D49 Déclaration de H. Regele en date du 16 janvier 2017 ;
D50 Cession par les inventeurs à Alexion Pharmaceuticals, Inc. en date, respectivement, du 28 mars 2007, du 2 avril 2007 et du 11 septembre 2007 ;
D51 Document étayant le changement de nom de "UDEC Pharmaceuticals, Inc." en "Alexion Pharmaceuticals, Inc." ;
D52 Déclaration de S. Jarrett en date du 2 novembre 2016 ;
D53 Accord de transfert de matériel ;
D54 Déclaration de S.A. Saxe en date du 21 octobre 2016 ;
D55 Contrat de travail entre UDEC Pharmaceuticals, Inc. et R. Rother ;
D56 Acte de renonciation en date du 31 juillet 2007 ;
D57 Observations du Président de l'Office concernant l'affaire G 1/12, produites par l'intimé I dans une lettre en date du 8 mars 2017.
VI. L'intimé I (opposant 1) et l'intimé II (opposant 2) ont répondu au mémoire exposant les motifs du recours.
VII. Le requérant a produit des écritures supplémentaires en date du 28 janvier 2021 et du 5 octobre 2021. L'intimé I a produit des écritures supplémentaires en date du 15 septembre 2021. L'intimé II a produit des écritures supplémentaires en date du 20 décembre 2019 et du 8 octobre 2021.
VIII. Les documents produits par les parties dans le cadre de la procédure de recours sont numérotés comme suit :
A1 Décision Edwards Lifesciences AG c. Cook Biotech Incorporated en date du 12 juin 2009 ;
A2 Décision de la division d'opposition concernant la demande EP 10 774 475.7 ;
A3 Décision de la division d'opposition concernant la demande EP 08 798 550.3 ;
A4 Décision de la division d'opposition concernant la demande EP 15 165 133.8 ;
A5 Décision de la division d'opposition concernant la demande EP 05 777 317.8 ;
A6 Décision de la division d'opposition concernant la demande EP 09 701 993.9 ;
A7 Décision de la division d'opposition concernant la demande EP 06 837 634.2 ;
A8 Décision de la cour d'appel néerlandaise dans l'affaire 200.234.115/01.
IX. Les arguments du requérant, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, peuvent se résumer comme suit.
Recevabilité du recours
Le recours est recevable pour les motifs exposés dans l'opinion provisoire de la chambre (cf. point XXII ci-dessous).
Requête en rectification d'une erreur
La requête en rectification est admissible. La division d'opposition a établi à tort une distinction entre la situation ayant fait l'objet de la décision J 10/87 et la présente situation. Comme dans l'affaire J 10/87, le requérant s'est fié à une information qu'il pensait vraie, à savoir que les inventeurs avaient cédé l'invention à leur employeur. Ce postulat était toutefois faux. Il s'agit donc d'une erreur et non d'un changement d'avis. La jurisprudence en la matière distingue les deux cas de figure.
L'intention avait été de déposer la demande au nom de la partie dûment habilitée. D'après le requérant, les observations présentées par le Président de l'OEB en lien avec la décision G 1/12, qui énonce que les chambres de recours ont développé une jurisprudence selon laquelle "[la] règle 139 CBE n'est pas applicable à une requête visant à substituer au demandeur une autre personne si, à la date de dépôt de la demande de brevet, l'intention n'a jamais été de désigner cette autre personne comme demandeur, quand bien même l'intention du demandeur aurait reposé sur de fausses hypothèses lors du dépôt (par exemple une évaluation erronée de la situation factuelle)", sont infondées et n'ont clairement pas la signification que les opposants et la chambre ont proposé de lui donner. Le requérant fait référence aux décisions J 7/80, J 18/93 et J 17/96. Il conclut qu'il convient de faire droit à la rectification de l'erreur.
Faire droit à la rectification n'affecterait en rien la sécurité juridique étant donné que le public n'a jamais eu aucune raison de douter du droit du requérant à la priorité.
Droit à la priorité
Lorsque les demandeurs ou les titulaires d'un brevet européen ne sont pas les mêmes pour tous les États contractants désignés, ils sont considérés comme codemandeurs aux fins de la procédure devant l'Office européen des brevets (OEB), conformément à l'article 118 CBE. Par conséquent, les demandeurs de la demande dont la priorité est revendiquée ont introduit le droit de revendiquer la priorité dans la demande de brevet ultérieure. Un transfert du droit de priorité à tout demandeur supplémentaire de cette demande de brevet ultérieure n'est pas nécessaire, même si les demandeurs sont désignés pour des États contractants différents.
En l'absence de disposition prédominante du PCT, il en va de même pour une demande internationale (PCT) s'agissant de la désignation du territoire européen (EP), étant donné qu'à la date de dépôt, la demande internationale a la valeur d'une demande nationale régulière (article 11.3) PCT et article 153(2) CBE).
La revendication de priorité de la demande internationale a été dûment effectuée en vertu de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (ci-après dénommée "la Convention de Paris"). Ni la Convention de Paris, ni le PCT ne contiennent de disposition permettant de scinder le droit de priorité entre différents États contractants.
Par conséquent, en vertu du PCT et de la CBE, si un demandeur a droit à une priorité dans une demande euro-PCT, le bénéfice de la priorité s'applique à l'intégralité de la demande, au profit de tous les demandeurs.
Le brevet revendique donc valablement la priorité, car les demandeurs de la demande dont la priorité est revendiquée figurent parmi les demandeurs de la demande PCT.
La validité de l'approche des codemandeurs est une question de droit d'importance fondamentale. Il convient de saisir la Grande Chambre de recours (GCR). Les questions de saisine doivent porter également sur l'obligation de l'OEB d'apprécier le droit formel à la priorité d'une demande PCT et sur la compétence de l'OEB en la matière. Ce dernier point a en particulier été soulevé dans la notification de la chambre dans l'affaire T 845/19.
Les questions formulées par le requérant figurent au point 20 ci-dessous.
X. Les arguments de l'intimé I, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, peuvent se résumer comme suit.
Requête en rectification d'une erreur
La division d'opposition a eu raison de ne pas faire droit à la requête en rectification présentée par le requérant. La décision G 1/12 énonce que pour qu'il soit fait droit à une requête en rectification, la correction doit avoir pour effet d'introduire les éléments visés à l'origine. Dans la présente affaire, il n'importe pas de savoir si le requérant a eu l'intention de déposer la demande PCT au nom des bonnes parties, mais de déterminer s'il a eu l'intention de la déposer en son propre nom, ainsi qu'au nom de Wang et de Zhong. Cela n'est pas le cas : le document D54 confirme que le conseil en brevets interne du requérant a donné l'instruction au conseil externe de déposer la demande au nom du requérant et de l'Université Western Ontario. La demande a donc été déposée comme envisagé. La requête en rectification n'a donc pas pour effet d'introduire les éléments visés à l'origine et n'est pas admissible.
Droit à la priorité
L'approche des codemandeurs est valable. Dans le cadre du PCT, le droit de priorité revêt un caractère unitaire. Par conséquent, le fait de déposer ensemble une demande internationale suffit à habiliter les demandeurs d'un brevet européen à se fonder valablement sur la revendication de priorité de la demande PCT, même si certains demandeurs de la demande PCT ne sont pas demandeurs du brevet européen.
Une saisine de la GCR est appropriée, car l'approche des codemandeurs constitue une question de droit d'importance fondamentale au sens de l'article 112(1)a) CBE et est déterminante pour l'issue de la présente affaire. La saisine doit également porter sur la question de savoir si l'OEB a le pouvoir de statuer sur le transfert ou l'introduction de droits de priorité. Il s'agit d'un concept contesté, comme il ressort de la décision J 11/95 et des notifications des chambres dans les affaires T 239/16, T 1786/15 et T 419/16.
Les questions formulées par l'intimé I figurent au point 21 ci-dessous.
XI. Les arguments de l'intimé II, dans la mesure où ils sont pertinents pour la présente décision, peuvent se résumer comme suit.
Recevabilité du recours
Le recours n'est pas recevable. La décision de la division d'opposition était fondée sur la nouveauté et l'activité inventive. Or, les moyens du requérant portent uniquement sur la validité du droit de priorité. L'absence de priorité n'est pas un motif d'opposition. Des observations axées exclusivement sur la priorité ne peuvent donc pas infirmer la décision de révocation du brevet. Comme le recours n'aborde pas l'absence de nouveauté et d'activité inventive, il est incomplet, insuffisamment motivé et donc irrecevable.
Admission d'une nouvelle requête et de faits dans la procédure de recours
L'avis du requérant selon lequel le droit de priorité doit être reconnu comme valable même en l'absence de la correction demandée n'a pas été exprimé dans le cadre de la procédure devant la division d'opposition et n'a donc pas fait l'objet de la décision frappée de recours. Ce n'est qu'au stade de la procédure de recours que le requérant a introduit la nouvelle requête selon laquelle le droit de priorité doit être considéré comme valable même en l'absence de rectification. Cet acte peut aussi être assimilé à une nouvelle présentation de faits. La requête et les nouveaux faits doivent être considérés comme irrecevables en vertu de l'article 12(4) RPCR 2007. Il en va de même pour les nouvelles requêtes subsidiaires 1, 3 et 4.
Requête en rectification d'une erreur
La rectification demandée n'est pas admissible. La question n'est pas de savoir si la véritable intention avait été d'effectuer le dépôt au nom de la "bonne personne", comme l'a retenu à tort la division d'opposition, mais de savoir si l'intention avait été d'effectuer le dépôt au nom de la personne dont le nom devait être substitué. Le requérant et l'Université Western Ontario étaient considérés à la date de dépôt comme les bons demandeurs. Mais ce n'était manifestement pas le cas. Le requérant avait toutefois effectué le dépôt en ces noms de manière pleinement délibérée à l'époque. La rectification demandée constitue un changement d'avis. Faire droit à la requête en rectification introduirait un élément différent de ce qui avait été initialement envisagé et ne relèverait donc pas du champ d'application de la règle 139 CBE. Faire droit à la requête irait à l'encontre du principe de sécurité juridique.
Droit à la priorité
La revendication de priorité n'est pas valable en l'absence de la correction demandée.
Le requérant a admis que les inventeurs Wang et Zhong n'avaient pas transféré de droits au cours de l'année de priorité et que, par conséquent, ni le requérant, ni l'Université Western Ontario n'étaient des ayants cause des inventeurs.
Les inventeurs, le requérant et l'Université Western Ontario ne peuvent pas être considérés comme des codemandeurs de la demande PCT dans son intégralité ou pour la désignation EP de cette demande. Une telle approche est dépourvue de fondement juridique. L'article 118 CBE traite uniquement du cas où il existe différents demandeurs pour différents États contractants désignés dans le cadre de la CBE et ne concerne que les procédures devant l'OEB. Il ne peut pas être appliqué par analogie à une demande internationale avec une désignation EP dans une procédure devant l'OEB agissant en qualité d'office désigné.
L'approche des codemandeurs relative aux demandes euro-PCT est une question de droit d'importance fondamentale et nécessite de saisir la GCR, en lui demandant notamment si l'OEB est compétent pour statuer sur le droit formel au droit de priorité.
Les questions formulées par l'intimé II figurent au point 22 ci-dessous.
Concernant l'affaire T 2719/19
XII. Dans cette affaire, le recours porte sur la décision intermédiaire de la division d'examen rejetant la demande de brevet européen n°16 160 321.2 (ci-après dénommée "la demande de brevet"). Cette demande de brevet est une demande divisionnaire de la demande antérieure EP 14 177 646.8, qui est elle-même une demande divisionnaire de la demande principale EP 05 779 924.9, déposée en tant que demande internationale sous le numéro PCT/US2005/017048 et dénommée "demande PCT" au point I ci-dessus en lien avec le recours T 1513/17.
XIII. La demande de brevet n°16 160 321.2 revendique également la priorité de la demande de brevet provisoire US n°60/571,444, dénommée "demande dont la priorité est revendiquée" au point I ci-dessus en lien avec le recours T 1513/17.
XIV. Comme dans l'affaire T 1513/17, le requérant a demandé que le formulaire OEB 1200 soit corrigé de manière à indiquer le requérant, ainsi que H. Wang et Z. Zhong, comme demandeurs.
XV. Conformément à l'article 115 CBE, des tiers ont présenté des observations par lettre du 28 mars 2017. L'attention a été attirée sur la décision de rejeter la rectification demandée des noms des demandeurs et de révoquer le brevet, telle que rendue par la division d'opposition dans le cadre de la procédure orale relative au brevet découlant de la demande principale (à savoir le brevet faisant l'objet de la procédure de recours T 1513/17, voir ci-dessus).
XVI. Dans sa notification en date du 12 juin 2017, la division d'examen s'est ralliée, à titre préliminaire, à la décision de la division d'opposition, dans l'affaire connexe, de rejeter la correction demandée, et a conclu que la priorité revendiquée n'était donc pas non plus valable dans la présente affaire. Elle en a déduit que les documents D20 et D21 constituaient l'état de la technique et que l'objet de la revendication 1 de la demande de brevet n'était pas nouveau à la lumière de ce qui était divulgué dans ces documents.
XVII. Dans sa lettre en date du 1er mai 2018, le requérant a fait valoir que le droit à la priorité ne dépendait pas de la correction demandée, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point IX ci-dessus en lien avec le recours T 1513/17.
XVIII. Dans sa notification en date du 20 juillet 2018, la division d'examen a de nouveau exprimé son accord avec la décision de la division d'opposition, dans l'affaire connexe, de rejeter la correction demandée. Elle n'a en outre pas reconnu la validité de la revendication de priorité. D'après la compréhension de la chambre, le fait que le requérant soit le seul demandeur de la demande de brevet, mais qu'il ne figure pas parmi les demandeurs de la demande dont la priorité est revendiquée, en était la cause. La division d'examen a fait référence au point A-III, 6.1 de l'édition de novembre 2016 des Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB, qui énonce ce qui suit : "Toutefois, dans le cas d'une demande de brevet européen ultérieure déposée par des codemandeurs, il suffit que l'un des demandeurs soit le déposant ou l'ayant cause du déposant de la demande antérieure. Il n'est pas nécessaire de procéder à un transfert particulier du droit de priorité vers les autres (l'autre) demandeur(s), puisque la demande européenne ultérieure a été déposée conjointement. Il en va de même lorsque la demande antérieure a elle-même été déposée par des codemandeurs, à condition que tous ces demandeurs, ou leur(s) ayant(s) cause, figurent parmi les codemandeurs de la demande de brevet européen ultérieure" (souligné par la chambre).
XIX. La revendication de priorité n'étant pas valable, la division d'examen a réitéré son avis selon lequel la nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la présente demande était détruite par ce qui était divulgué dans les documents D20 et D21.
XX. Le requérant a été cité à une procédure orale, mais a informé la division d'examen qu'il n'y assisterait pas. Il a demandé qu'une décision soit rendue sur la base de ses moyens écrits. La décision ultérieure de la division d'examen renvoie à la notification du 20 juillet 2018 pour les motifs.
XXI. Dans le cadre de la procédure de recours, le requérant a suivi essentiellement le même raisonnement concernant la validité de la revendication de priorité que dans l'affaire T 1513/17. La décision de la division d'examen de rejeter la correction demandée n'a pas été contestée, alors qu'elle l'avait été dans l'affaire T 1513/17. La validité du droit de priorité est donc la seule question à trancher dans la présente affaire.
Concernant les deux affaires
XXII. La chambre a fixé une procédure orale au 8 décembre 2021 et a émis, en même temps que la citation à comparaître, une notification au titre de l'article 15(1) RPCR informant les parties de son opinion provisoire concernant des points pertinents pour la décision à prendre. Dans son opinion provisoire, la chambre a estimé, entre autres, que le recours dans l'affaire T 1513/17 était recevable, étant donné que le mémoire exposant les motifs du recours permettait aux intimés et à la chambre de comprendre pourquoi, selon le requérant, la décision frappée de recours devait être annulée.
XXIII. La procédure orale s'est tenue à la date prévue. Le recours T 1513/17 et le recours T 2719/19 ont été entendus en parallèle. Lors de l'audience, la chambre a décidé de traiter les deux recours dans une procédure commune, conformément à l'article 10(2) RPCR. À l'issue de l'audience, la présidence a annoncé que la chambre envisageait sérieusement de saisir la Grande Chambre de recours pour des questions liées au droit à la priorité.
XXIV. Des observations de tiers présentées au titre de l'article 115 CBE ont été reçues le 14 janvier 2022 et le 25 janvier 2022 pour les deux affaires T 1513/17 et T 2719/19.
XXV. Dans l'affaire T 1513/17, le requérant a demandé :
- que la décision frappée de recours soit annulée et que le brevet soit maintenu sur la base du jeu de revendications d'une requête principale, ou sur la base d'un jeu de revendications de l'une de quatre requêtes subsidiaires, toutes de nouveau présentées en même temps que le mémoire exposant les motifs du recours ;
- que, dans le cas où la validité de la revendication de priorité ne serait pas reconnue, le formulaire PCT/RO/101 soit corrigé de manière à indiquer Alexion Pharmaceuticals, Inc., H. Wang et Z. Zhong comme demandeurs ;
- qu'une ou plusieurs questions soient soumises à la GCR.
XXVI. Dans l'affaire T 2719/19, le requérant a demandé :
- que la décision frappée de recours soit annulée et que la demande de brevet soit renvoyée à la division d'examen avec ordre de délivrer un brevet sur la base des revendications actuelles (requête principale présentée le 8 novembre 2016) ;
- que l'affaire soit renvoyée devant la division d'examen dans le cas où toute autre question que celle de la validité du droit de priorité serait considérée comme pertinente ;
- qu'une ou plusieurs questions soient soumises à la GCR.
XXVII. Dans l'affaire T 1513/17, l'intimé I a demandé qu'une ou plusieurs questions soient soumises à la GCR et que le recours soit rejeté.
XXVIII. Dans l'affaire T 1513/17, l'intimé II a demandé :
- que le recours soit jugé irrecevable ;
- que la nouvelle requête et les faits soumis s'y rapportant, tendant à ce que le droit de priorité soit reconnu comme valable même en l'absence de correction, soient jugés irrecevables conformément à l'article 12(4) RPCR 2007 ;
- que les requêtes subsidiaires 1, 3 et 4 soient jugées irrecevables conformément à l'article 12(4) RPCR 2007 ;
- que soit confirmée la décision de la division d'opposition de rejeter la correction, au titre de la règle 139 CBE, des noms des demandeurs sur le formulaire de requête PCT ;
- qu'une ou plusieurs questions soient soumises à la GCR ;
- que le recours soit rejeté ;
- que l'affaire soit renvoyée devant la division d'opposition dans le cas où la décision serait annulée.
Motifs de la décision
Recevabilité du recours dans l'affaire T 1513/17
1. À l'appui de sa requête visant à considérer le recours dans l'affaire T 1513/17 comme irrecevable, l'intimé II fait valoir que le requérant n'a pas abordé les motifs qui fondaient la décision frappée de recours, à savoir l'absence de nouveauté et d'activité inventive, et que les moyens invoqués par le requérant ne portaient que sur la validité du droit de priorité. Il en conclut que ces moyens ne pouvaient donc pas infirmer la décision de révocation du brevet.
2. Ce raisonnement n'est pas convaincant. Le mémoire exposant les motifs du recours doit permettre aux intimés et à la chambre de comprendre pourquoi, selon le requérant, la décision frappée de recours doit être annulée. C'est le cas en l'espèce. Dans le cadre de la procédure devant la division d'opposition, l'intimé II a fait valoir que les documents D20 et D21 étaient disponibles comme état de la technique pour apprécier la nouveauté et l'activité inventive, car le brevet n'avait pas droit à la priorité. Dans la décision frappée de recours, la division d'opposition a refusé le droit de priorité et a donc considéré les documents D20 et D21 comme destructeurs de nouveauté. Par conséquent, il ne peut y avoir aucun doute quant au fait que le requérant demande le réexamen de la décision relative au droit à la priorité et, partant, celui de la décision relative à la nouveauté de l'objet de la revendication 1 de la requête principale et de la requête subsidiaire 2.
3. Le recours dans l'affaire T 1513/17 est donc conforme aux articles 106 à 108 CBE, ainsi qu'à la règle 99 CBE, et est recevable. Le recours, dans l'affaire T 2719/19, est recevable pour les mêmes motifs.
Requête en rectification au titre de la règle 139 CBE dans l'affaire T 1513/17
4. La requête en rectification est subordonnée à la non-reconnaissance de la validité de la revendication de priorité. Cependant, étant donné, comme expliqué ci-dessous, que des orientations de la Grande Chambre de recours (GCR) sont nécessaires pour statuer sur la validité de la revendication de priorité, la chambre doit d'ores et déjà déterminer si la correction demandée peut être acceptée. Si tel était le cas, aucune saisine ne serait nécessaire dans l'affaire T 1513/17 pour statuer sur le recours.
5. Selon la compréhension de la chambre, la correction demandée concerne la désignation des demandeurs pour tous les États désignés, à l'exception des États-Unis d'Amérique, dans le formulaire PCT/RO/101, qui doit être corrigé de manière à indiquer le requérant, Alexion Pharmaceuticals, Inc., ainsi que H. Wang et Z. Zhong.
6. La décision G 1/12 énonce que la règle 139, première phrase CBE vise des cas où une faute d'expression s'est glissée dans une déclaration (point 34 des motifs). La GCR approuve la jurisprudence selon laquelle la correction doit avoir pour effet d'introduire les éléments visés à l'origine. La possibilité d'apporter des corrections ne peut pas être utilisée par quelqu'un dans le but d'obtenir, de cette façon, une modification de son opinion ou un développement de ses intentions. C'est l'intention réelle de la partie qui doit être prise en considération (point 37 des motifs).
7. Dans la présente affaire, cette condition n'est pas remplie. La chambre considère, à l'instar des intimés, que le formulaire exprime correctement l'intention réelle au moment du dépôt de la demande PCT, à savoir que les demandeurs pour tous les États désignés, à l'exception des États-Unis d'Amérique, étaient le requérant et l'Université Western Ontario. Le conseil interne du requérant a confirmé cette intention dans sa déclaration (document D54). Cette intention reposait en effet sur l'impression erronée selon laquelle M. Wang et M. Zhong avaient cédé leurs droits sur l'invention à l'université dans le cadre de leur contrat de travail.
8. Le conseil interne a indiqué également dans sa déclaration que son intention avait été de désigner les bonnes parties. Cette indication ne fait pas écho à une faute d'expression dans le formulaire PCT/RO/101, mais plutôt aux motifs sous-jacents de cette expression. Or, ces motifs ne sont pas pertinents pour l'application de la règle 139 CBE. L'intimé I a fait valoir à juste titre que si l'intention d'une partie de prendre la mesure appropriée devenait pertinente, cela ouvrirait la porte à des possibilités illimitées de correction, au détriment de la sécurité juridique. Une telle approche porterait aussi certainement atteinte aux principes posés par la décision G 1/12.
9. Il n'est pas nécessaire d'examiner en détail les décisions citées par le requérant (J 7/80, J 18/93 et J 19/96). Soit elles n'étayent pas le point de vue du requérant selon lequel la règle 139 CBE n'exclut pas de corriger la désignation du demandeur au profit d'une personne/entité juridique qui n'était pas envisagée comme demandeur à la date de dépôt de la demande de brevet, soit, si elles étayent un tel point de vue, elles ont été remises en cause par la décision ultérieure de la GCR. Compte tenu de la conclusion précédente, il n'est pas non plus nécessaire d'aborder la question de savoir s'il est possible de corriger le formulaire PCT/RO/101.
Admission de la requête prétendument nouvelle et de la production de faits correspondants dans l'affaire T 1513/17
10. Dans la présente affaire, le mémoire exposant les motifs du recours a été déposé avant le 1er janvier 2020 et les réponses à ce mémoire ont été produites en temps utile. Par conséquent, conformément à l'article 25(2) RPCR 2020, ce n'est pas l'article 12(4) à (6) RPCR 2020, mais l'article 12(4) RPCR 2007 qui s'applique au mémoire et aux réponses.
11. Le requérant a fait valoir, pour la première fois au stade de la procédure de recours, que la priorité serait valablement revendiquée même s'il n'était pas fait droit à la correction demandée. Le requérant considère que, dans un tel cas d'espèce, il suffit que tous les inventeurs, désignés comme demandeurs de la demande dont la priorité est revendiquée, figurent parmi les demandeurs de la demande PCT ultérieure, même si ce n'est que pour la désignation US. Les demandeurs qui bénéficient du droit de priorité introduisent ainsi le droit de priorité dans la demande PCT, qui prend pleinement effet pour l'intégralité de cette demande. Selon la compréhension de la chambre, le requérant fonde cette "approche des codemandeurs" en particulier sur l'article 11.3) PCT ainsi que sur les articles 118 et 153(2) CBE.
12. Cette argumentation ne repose pas sur des faits ou moyens de preuve nouveaux, mais représente un point de vue juridique nouveau. Contrairement à ce qu'a avancé l'intimé II, cette argumentation ne suppose pas non plus de nouvelle requête visant à ce que le droit de priorité soit reconnu comme valable même en l'absence de correction. Il s'agit simplement d'un autre argument expliquant pourquoi la priorité revendiquée est valable et l'objet revendiqué est nouveau. La chambre n'est donc pas fondée ni habilitée par l'article 12(4) RPCR 2007 à considérer cette argumentation comme irrecevable.
Observations de tiers reçues le 14 janvier 2022 et le 25 janvier 2022 pour les deux affaires
13. Ces observations concernant la question de la priorité ont été reçues après la clôture des débats à l'issue de la procédure orale dans les affaires jointes. La chambre a décidé de ne pas en tenir compte dans la présente procédure.
Approche des codemandeurs dans les deux affaires
14. Compte tenu de ce qui précède, l'évaluation de l'"approche des codemandeurs" est décisive pour trancher les deux affaires.
15. L'"approche des codemandeurs" concerne, dans le cas le plus simple, la situation où une partie A est le demandeur de la demande dont la priorité est revendiquée et où les parties A et B sont les demandeurs de la demande ultérieure dans laquelle le droit de priorité est invoqué. La partie B peut alors bénéficier du droit de priorité auquel a droit son codemandeur, la partie A. Un transfert distinct du droit de priorité à la partie B n'est pas nécessaire.
16. L'approche des codemandeurs a été développée dans la jurisprudence des chambres de recours (cf. décision T 1933/12, point 2.4 des motifs ; cf. également le point A-III, 6.1 des Directives relatives à l'examen pratiqué à l'Office européen des brevets). À la connaissance de la chambre, cette approche concernant les demandes de brevet européen n'a jamais été contestée par une partie intéressée.
17. Le requérant fait valoir essentiellement que l'approche des codemandeurs, qui est applicable aux demandes de brevet européen, devrait également s'appliquer aux demandes PCT. La présente situation factuelle pourrait être désignée comme l'"approche des codemandeurs PCT" afin de la distinguer de la situation concernant une demande de brevet européen.
18. Il convient d'établir une distinction supplémentaire pour éviter une confusion terminologique concernant la situation factuelle qui sous-tendait, par exemple, l'affaire CRISPR-Cas (T 844/18). Il ressort des motifs écrits de la décision rendue dans cette affaire que la priorité avait été refusée sur la base d'une analyse approfondie des éléments de fait et de droit pertinents. Le point décisif était que la revendication de priorité ne satisfaisait pas à l'exigence selon laquelle tous les demandeurs de la demande dont la priorité est revendiquée doivent également être demandeurs de la demande PCT ultérieure pour laquelle la priorité est revendiquée (approche dite de "tous les demandeurs").
19. S'agissant du fond de l'argumentation du requérant dans la présente affaire, la chambre a connaissance de plusieurs recours dans lesquels l'approche des codemandeurs PCT est (ou a été) un concept contesté. La chambre fait par exemple référence aux notifications émises par les chambres dans les affaires T 2749/18, T 2842/18, T 1837/19 et T 845/19. La chambre a également connaissance d'un certain nombre d'affaires dans lesquelles les divisions d'opposition ont suivi cette approche, en faisant référence ou non au Communiqué de l'Office européen des brevets relatif aux conditions à observer lors du dépôt d'une demande internationale auprès de l'OEB agissant en qualité d'office récepteur au titre du PCT, JO 2014, A33, III, 9 (voir par exemple les documents A2 à A7, produits par le requérant). Il s'agit donc d'une question de droit d'importance fondamentale et pertinente pour un certain nombre d'affaires actuellement en instance devant les divisions d'opposition et les chambres de recours. Bien que les exigences juridiques relatives aux demandes de brevet aux États-Unis aient changé, ce qui réduira le nombre d'affaires dans lesquelles les faits seront similaires à ceux de l'espèce, la question conservera une importance fondamentale pendant de nombreuses années encore. De plus, la réponse à la question de savoir si l'approche des codemandeurs PCT peut être acceptée, comme le suggère le requérant, n'est pas clairement tranchée. La chambre juge donc approprié de soumettre à la GCR une question concernant l'approche des codemandeurs PCT, comme le demandent toutes les parties.
Questions à soumettre telles que formulées par les parties
20. Le requérant a demandé que les questions suivantes soient soumises à la GCR :
i) Lorsqu'il agit en qualité d'office désigné ou élu au titre de l'article 153 CBE, l'OEB est-il compétent pour examiner le droit à une revendication de priorité et/ou la validité formelle d'une telle revendication, par opposition aux questions de fond relatives à la priorité ? S'il est répondu par la négative, quelle est l'entité juridique appropriée devant laquelle une revendication de priorité peut être contestée pour des raisons de forme ? S'il est répondu par l'affirmative :
ii) Lorsqu'il agit en qualité d'office désigné ou élu au titre de l'article 153 CBE et qu'il évalue le droit à la priorité d'une demande euro-PCT qui revendique la priorité d'une première demande déposée dans un État partie à la Convention de Paris, dans quel cadre juridique l'OEB doit-il évaluer le droit à la priorité a) si ledit État partie à la Convention de Paris n'est pas un État partie à la CBE, et b) s'il en est un ?
iii) À condition que tous les demandeurs d'une demande dont la priorité est revendiquée soient demandeurs d'une demande PCT, des droits de priorité peuvent-ils être établis par la désignation d'un codemandeur de la demande PCT qui n'est pas codemandeur dans la désignation de l'OEB de la demande PCT ("approche des codemandeurs") ?
21. L'intimé I a demandé que les questions suivantes soient soumises à la GCR :
iv) Lorsqu'il agit en qualité d'office désigné ou élu au titre de l'article 153 CBE concernant une demande PCT, l'OEB est-il compétent pour déterminer qui est l'"ayant cause" en vertu de l'article 87(1) CBE lorsqu'une première demande (dont la priorité est revendiquée) a été déposée au nom du ou des inventeurs ? S'il est répondu par l'affirmative :
v) À condition que tous les demandeurs d'une demande dont la priorité est revendiquée soient demandeurs d'une demande PCT, des droits de priorité au sens de l'article 87(1) CBE peuvent-ils être établis par la désignation d'un codemandeur de la demande PCT qui n'est pas codemandeur dans la désignation de l'OEB de la demande PCT ("approche des codemandeurs") ?
vi) Une personne n'ayant aucun intérêt avéré à être titulaire du droit de priorité découlant d'une demande dont la priorité est revendiquée peut-elle contester le statut d'un titulaire de brevet comme ayant cause des droits de priorité découlant de cette demande ?
22. L'intimé II a demandé que les questions suivantes soient soumises à la GCR :
vii) Dans le cas où une première demande a été déposée par plusieurs demandeurs et où une demande PCT ultérieure a été déposée par les mêmes demandeurs ou ayants cause, un transfert du droit de priorité est-il nécessaire pour que la demande euro-PCT puisse revendiquer la priorité de la première demande, si certains demandeurs de la demande PCT ne sont pas demandeurs pour EP ?
viii) Dans le cas où une première demande a été déposée par un demandeur et où une demande PCT ultérieure a été déposée par plusieurs demandeurs ou ayants cause, y compris le demandeur de la demande dont la priorité est revendiquée, un transfert du droit de priorité est-il nécessaire pour que la demande euro-PCT puisse revendiquer la priorité de la première demande, si le demandeur de la première demande n'est pas demandeur pour EP ?
ix) S'il est répondu par la négative à la question (1) ou (2), existe-t-il d'autres conditions à remplir que le dépôt effectif et en temps utile des demandes ainsi que le respect des exigences des règles 52 et 53 CBE ?
x) S'il est répondu par l'affirmative à la question (1) ou (2), est-il possible de remplacer la preuve formelle du transfert du droit de priorité dans l'année de priorité ?
23. L'intimé II a soutenu les requêtes du requérant et de l'intimé I visant à ce que figure, parmi les questions soumises à la GCR, une question concernant la compétence de l'OEB pour statuer sur le droit à la priorité, mais il n'a pas formulé de question particulière à cet égard.
24. La compétence de l'OEB pour statuer sur le droit à la priorité a été abordée de manière approfondie dans l'affaire CRISPR-Cas (T 844/18). L'essentiel de la décision concernant cette question figure au point 18 des motifs, qui énonce qu'il n'existe aucune base juridique pour affranchir l'OEB de l'obligation de déterminer le déposant de la demande de brevet, comme l'exige l'article 87(1) CBE. La chambre, dans la présente composition, tend à partager cette conclusion. La décision T 844/18 indique également à juste titre que la "barre pour opérer un revirement de jurisprudence et de pratique établies de longue date doit être placée très haut en raison des perturbations profondes qu'un changement peut entraîner" (cf. point 86). Bien que cette observation ait concerné l'application de l'"approche de tous les demandeurs", elle vaut aussi pour la pratique bien établie des chambres de recours consistant à statuer sur les droits attachés à la priorité en général, y compris sur le droit à la priorité.
25. Dans la présente affaire, la compétence des chambres pour statuer sur le droit à la priorité n'a pas été explicitement remise en question pendant la procédure écrite. En effet, aucune des parties n'a présenté d'arguments dans ses moyens écrits expliquant pourquoi la pratique actuelle bien établie serait erronée ou pourquoi le raisonnement figurant, par exemple, dans la décision T 844/18 serait erroné, si l'on excepte la référence à la décision J 11/95 faite par l'intimé I. Cette dernière décision mentionne cette question uniquement dans l'opinion incidente et ne motive pas l'approche adoptée. Elle semble également se concentrer sur la propriété de l'invention dont la priorité est revendiquée plutôt que sur l'évaluation de la revendication de priorité. La chambre ne considère donc pas que la position adoptée dans la décision J 11/95 étaye de manière convaincante le point de vue selon lequel l'OEB n'a pas compétence en la matière.
26. Cependant, la compétence de l'OEB pour statuer sur le droit à la priorité a été remise en question, d'office, dans des notifications de différentes chambres, notamment dans les affaires T 239/16, T 419/16 et T 845/19, ainsi que dans des commentaires (cf. Bremi, dans Singer/Stauder/Luginbühl, EPÜ, 8e édition, art. 87, point 61). À titre d'exemple, dans les affaires T 239/16 et T 419/16, un parallèle faisant référence aux travaux préparatoires a été établi entre le pouvoir de déterminer si une partie a droit à une demande de brevet particulière, pouvoir dont l'OEB est dépourvu, et le pouvoir de statuer sur le droit à la priorité. Compte tenu de ce qui précède, et malgré la décision rendue dans l'affaire T 844/18, la question sera donc très probablement soulevée de nouveau dans d'autres affaires. La chambre accueille également favorablement l'argument des parties selon lequel, si des questions concernant la priorité devaient être soumises à la GCR sur un thème connexe, cette occasion serait aussi idéale pour trancher la "question de la compétence" de façon définitive. La chambre décide donc d'inclure une question concernant la compétence de l'OEB pour statuer sur le droit à la priorité.
27. En ce qui concerne les autres aspects de l'approche des codemandeurs PCT (tels que le statut de la partie qui conteste le droit de priorité, ou les différences d'approches pour une demande donnant lieu à un droit de priorité déposée dans un État partie à la CBE et pour une demande déposée dans un État non partie à la CBE), la chambre fait observer qu'il convient de soumettre uniquement des questions qui sont pertinentes pour la décision dans une affaire donnée. Ces questions doivent en outre être assez précises pour permettre une réponse claire pouvant être directement appliquée à l'affaire. Les questions ii, vi, ix et x telles que formulées par les parties (voir ci-dessus) ne sont pas pertinentes dans le cadre de droit et de fait des présentes affaires ou n'appellent pas d'autre réponse que celle nécessaire pour la question supplémentaire telle que formulée dans le dispositif. Les questions iii, v, vii et viii traitent des mêmes aspects que la question posée par la chambre, bien que dans une formulation quelque peu différente.
Base juridique pour l'approche des codemandeurs PCT ?
28. Ci-après sont présentées les considérations supplémentaires de la chambre concernant les questions soulevées.
29. Pendant la procédure orale, trois fondements juridiques possibles ont été abordés pour l'approche des codemandeurs PCT.
30. Premièrement, le requérant a fait valoir que l'approche des codemandeurs pouvait être appliquée à la présente situation, en invoquant notamment l'article 11.3) PCT ainsi que les articles 118 et 153(2) CBE. En effet, l'article 11.3) PCT prévoit (entre autres) que la demande internationale a les effets d'un dépôt national régulier dans chaque État désigné. Cette disposition est reflétée dans l'article 153(2) CBE. L'article 118 CBE énonce ce qui suit : "Lorsque les demandeurs ou les titulaires d'un brevet européen ne sont pas les mêmes pour différents États contractants désignés, ils sont considérés comme codemandeurs ou comme copropriétaires aux fins de la procédure devant l'Office européen des brevets. L'unicité de la demande ou du brevet au cours de cette procédure n'en est pas affectée ; [...]". (La chambre fait observer que, dans la présente affaire, c'est l'article 118 CBE 1973 qui s'applique. Cette disposition est toutefois identique dans la CBE 2000.)
31. Ce raisonnement ne convainc pas la chambre. La présente situation, dans laquelle certains demandeurs de la demande PCT ne sont pas demandeurs du brevet européen, est matériellement différente de celle d'une demande européenne régulière. Si l'on suppose que l'article 118 CBE offre une base juridique à l'approche des codemandeurs, ses effets se limitent alors aux demandeurs d'un brevet européen, en l'espèce le requérant et l'Université Western Ontario. Ni l'article 11.3) PCT ni l'article 153(2) CBE ne prévoient que des demandeurs PCT pour un territoire différent – en l'espèce les inventeurs désignés comme demandeurs pour les États-Unis – soient considérés comme demandeurs également pour tous les autres territoires désignés. Au contraire, la possibilité de désigner différents demandeurs pour différents États désignés (cf. règle 4.5.d) PCT) signifie nécessairement que le statut de demandeur est limité aux territoires désignés. L'article 118 CBE ne peut donc pas, selon la chambre, être appliqué à la présente situation.
32. Deuxièmement, l'intimé I a fait valoir qu'une approche des codemandeurs PCT peut être fondée sur le caractère unitaire du droit de priorité dans le PCT et donc sur l'application du seul PCT.
33. La chambre considère que cet argument est également dénué de fondement. Le PCT ne crée pas son propre régime concernant les effets d'une revendication de priorité, mais renvoie à l'article 4 de la Convention de Paris (article 8.2)a) PCT). La validité de l'approche des codemandeurs PCT doit donc, selon la chambre, être évaluée à la lumière de la Convention de Paris, en particulier pour ce qui est de la signification du terme "ayant cause", plutôt qu'à la lumière du PCT.
34. Le requérant a en outre invoqué l'arrêt rendu par la cour d'appel de La Haye dans l'affaire Biogen/Genentech c. Celltrion (Gerechtshof Den Haag, 30 juillet 2019, ECLI:NL:GHDHA:2019:1962). Cet arrêt offre une troisième perspective qui pourrait éventuellement conduire à la conclusion que l'approche des codemandeurs PCT devrait être reconnue.
35. L'affaire portait sur la validité d'une revendication de priorité invoquée par Biogen dans une demande PCT sur la base d'une demande, déposée par deux autres parties, dont la priorité était revendiquée. Le droit de priorité avait été prétendument cédé à Biogen. Les parties estimaient toutes que la validité de la cession devait être évaluée selon la législation du Massachusetts.
36. La cour d'appel a exprimé son désaccord. Elle a retenu, en substance, que la lex loci protectionis était applicable au droit de priorité, car selon l'article 2(1) de la Convention de Paris, les exigences en matière de délivrance et de révocation des brevets dans un pays donné sont déterminées conformément au droit national et le droit de priorité fait partie de ces exigences. Dans le cas d'un brevet européen délivré sur la base d'une demande PCT, la lex loci proctectionis est la CBE. La CBE n'exige pas de conditions de forme particulières pour la cession du droit de priorité. La preuve d'un accord de cession du droit de priorité suffit. Dans l'affaire dont était saisie la cour néerlandaise, un tel accord faisait partie d'un "Accord relatif aux renseignements exclusifs et inventions de l'employé et au règlement des litiges".
37. Cette approche est prometteuse, car elle permet une évaluation harmonisée et bien fondée d'un prétendu transfert du droit de priorité. Cependant, elle entraîne une incertitude quant au système juridique applicable à l'évaluation du transfert du droit de priorité : dans plusieurs décisions des chambres de recours, les exigences juridiques relatives au transfert du droit de priorité par voie d'accord ont été appréciées en appliquant le droit national. Malgré cela, il est loin d'être certain que cette approche soit correcte, étant donné que la CBE ne contient aucune règle de conflit de lois et que cette question n'a jusqu'à présent pas été traitée par la GCR. Une question distincte concernant les règles de conflit de lois à appliquer à un transfert du droit de priorité n'est toutefois pas nécessaire, car elle fait partie intégrante des questions posées et sera traitée, le cas échéant, dans les considérations de la GCR.
38. Si la GCR devait partager le point de vue de la cour d'appel selon lequel la CBE est le seul système juridique à appliquer pour évaluer le droit de priorité, il semblerait alors que la CBE n'impose, ni dans l'article 87 CBE, ni ailleurs, aucune exigence de forme relative au transfert du droit de priorité par voie d'accord (voir également la décision T 1201/14, point 3.2.1 des motifs, ainsi que la décision T 205/14, points 3.6.2 et 3.6.3 des motifs, traitant de la même question). Dans ce cas, l'on pourrait faire valoir que le dépôt mutuel d'une demande PCT par les parties A et B, dans laquelle la partie B est désignée comme demandeur pour le territoire de la CBE et la partie A (qui a droit à la priorité) est désignée comme demandeur pour les États-Unis, démontre – en l'absence d'indications contraires – l'existence d'un accord implicite entre la partie A et la partie B, conférant à la partie B le droit de bénéficier de la priorité pour le territoire de la CBE. Cet accord implicite pourrait éventuellement suffire à entraîner le transfert du droit de priorité à la partie B pour le territoire de la CBE.
39. Par ailleurs, dans le cas où un système juridique national particulier serait applicable, un droit de priorité pourrait tout de même être considéré comme valablement transféré à la partie B si le système applicable n'exige pas non plus de condition de forme.
40. L'intimé II a invoqué auprès de la chambre la décision rendue le 16 avril 2013 par le Bundesgerichtshof (BGH) dans l'affaire X ZR 49/12 (Fahrzeugscheibe), qui reflète un raisonnement similaire pour ce qui concerne l'accord implicite de transfert du droit de priorité. L'affaire portait sur la validité de la partie allemande d'un brevet européen qui revendiquait la priorité d'une demande de brevet allemand, déposée par une entreprise au sein du même groupe d'entreprises que celui du titulaire du brevet. Le titulaire du brevet faisait valoir que la priorité avait été correctement transférée du fait d'un accord de recherche et de développement entre les entreprises. Le BGH a retenu 1) que le transfert du droit de priorité dépendait de la règle allemande applicable de conflit de lois, en l'espèce, au moment du transfert, de l'article 33(2) EGBGB (Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch ; traduction : Loi introductive au code civil) (jusqu'au 17 décembre 2009 ; ultérieurement : article 14(2) du règlement Rome I). Il a ensuite retenu 2) que, conformément à la règle applicable de conflit de lois, le droit national allemand s'appliquait au transfert du droit de priorité en tant que droit applicable à la demande dont la priorité était revendiquée et 3) que le droit allemand n'exigeait pas de condition de forme particulière pour le transfert. Après avoir établi en outre que l'article 87 CBE n'exigeait pas non plus de telles conditions de forme, le BGH a apprécié les faits de l'espèce, qui l'ont amené à conclure qu'il existait un accord implicite ("konkludente Einigung") entre les parties visant à transférer le droit de priorité au demandeur, ce qui suffisait à reconnaître la priorité pour le brevet européen.
41. La décision britannique KCI Licensing Inc and others c. Smith & Nephew PLC and others (affaire HC09C02624) du 23 juin 2010, à laquelle l'intimé I a fait référence dans ses moyens, illustre cette approche dans une moindre mesure, mais étaye le point de vue selon lequel la demande PCT pourrait être considérée comme la preuve d'un accord de transfert du droit de priorité. Dans cette affaire, deux brevets européens revendiquaient la priorité d'une demande de brevet US, déposée par l'inventeur. La demande PCT ultérieure désignait l'inventeur comme demandeur pour les États-Unis, le titulaire des brevets européens ultérieurs (KC Inc) comme demandeur pour tous les États désignés, à l'exception des États-Unis, et une filiale dudit titulaire des brevets (Mediscus) comme demandeur pour la "Grande-Bretagne uniquement". Il a été conclu que KC Inc avait le droit de revendiquer la priorité et que Mediscus n'était pas codemandeur de la demande PCT s'agissant des brevets européens. Cependant, même s'il avait fallu considérer Mediscus comme codemandeur, cela n'aurait pas nui à la revendication de priorité, bien qu'il n'y eût aucune preuve d'une quelconque cession du droit de priorité de KC Inc à Mediscus. La raison en était l'accord implicite qui pouvait être déduit de la demande PCT. La décision énonce ce qui suit au paragraphe 98 : "Le conseil de KCI a admis qu'il ne pouvait renvoyer à aucune cession écrite, ni même à aucun accord oral, mais a fait valoir que la conclusion qu'il convenait de tirer des circonstances du dépôt de la demande PCT était que KC Inc avait consenti, par sa conduite, à transférer une partie de son intérêt dans l'invention à sa filiale Mediscus. Il a affirmé que cela suffisait à faire de Mediscus un ayant cause aux fins de la revendication de priorité et qu'aucune condition de forme plus stricte ne devait être remplie. J'accepte ce moyen." Bien que ce raisonnement constitue une opinion incidente, il conforte en effet, comme l'a avancé l'intimé I, la qualification, dans certaines circonstances, de la demande PCT comme instrument de transfert du droit de priorité.
42. Compte tenu de tout ce qui précède, des orientations quant à la question de la priorité sont nécessaires pour parvenir à une décision dans les présentes affaires.
43. Dans les questions suivantes, les références à une "partie A" et à une "partie B" visent à faciliter la compréhension et non à limiter les considérations aux scénarios ne faisant intervenir que deux parties.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours :
I. La CBE donne-t-elle compétence à l'OEB pour déterminer si une partie se prévaut valablement de la qualité d'ayant cause au sens de l'article 87(1)b) CBE ?
II. S'il est répondu par l'affirmative à la question I,
une partie B peut-elle valablement se fonder sur le droit de priorité revendiqué dans une demande PCT afin de revendiquer des droits de priorité en vertu de l'article 87(1) CBE
lorsque,
1) dans une demande PCT, la partie A est indiquée comme demandeur pour les États-Unis uniquement et la partie B comme demandeur pour d'autres États désignés, y compris en vue d'obtenir une protection régionale par brevet européen, et
2) cette demande PCT revendique la priorité d'une demande de brevet antérieure dans laquelle la partie A est indiquée comme demandeur, et
3) la priorité revendiquée dans la demande PCT est conforme à l'article 4 de la Convention de Paris ?