CHAMBRES DE RECOURS
Décision de la Grande Chambre de recours, en date du 22 juin 2021 - G 4/19
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président :
C. Josefsson
Membres : | T. Bokor |
| M.-C. Courboulay |
| J. Karttunen |
| W. van der Eijk |
| G. Eliasson |
| A. Ritzka |
Requérant (demandeur) :
Société des Produits Nestlé S.A.
Référence :
Double protection par brevet
Dispositions juridiques pertinentes :
Articles 52(3), 54(2), 54(3), 60(1), 63(1), 64(1), 66, 67(1), 76(1), 79, 79(3), 87, 88, 90(5), 94, 97(2), 112, 112(1), 123(2), 123(3), 125, 139(3), et 177 CBE
Articles 64(1), 67(1), 87, 165(1), 165(2), 166 et 167 CBE 1973
Articles 9 et 10 RPGCR
Conventions internationales :
Articles 11, 12, 14, 15, 31, 31(1), 31(2), 31(2)a), 31(2)b), 32, 32a), 32b), et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969
Mots-clés :
"Recevabilité de la saisine - (oui)" – "Interprétation de l'article 125 CBE" – "Absence d'une disposition de procédure dans la Convention" – "Moyens complémentaires d'interprétation en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités" – "Base juridique d'un rejet au titre de l'article 97(2) CBE pour cause de double protection par brevet"
Sommaire :
1. Une demande de brevet européen peut être rejetée au titre des articles 97(2) et 125 CBE si elle revendique le même objet qu'un brevet européen qui a été délivré au même demandeur et n'est pas compris dans l'état de la technique au sens de l'article 54(2) et (3) CBE.
2. La demande en question peut être rejetée sur cette base juridique, indépendamment de la question de savoir
a) si elle a été déposée à la même date que la demande de brevet européen à l'origine du brevet européen déjà délivré, ou
b) si elle constitue une demande antérieure ou une demande divisionnaire (article 76(1) CBE) relative à une telle demande, ou encore
c) si elle revendique la même priorité (article 88 CBE) qu'une telle demande.
Exposé des faits et conclusions
I. Par sa décision du 7 février 2019 dans l'affaire T 318/14 (JO OEB 2020, A104), rendue par écrit le 20 décembre 2019, la chambre de recours 3.3.01 a soumis les questions suivantes à la Grande Chambre de recours :
"1. Une demande de brevet européen peut-elle être rejetée au titre de l'article 97(2) CBE si elle revendique le même objet qu'un brevet européen qui a été délivré au même demandeur et n'est pas compris dans l'état de la technique au sens de l'article 54(2) et (3) CBE ?
2.1 S'il est répondu par l'affirmative à la première question, quelles sont les conditions d'un tel rejet et faut-il appliquer des conditions différentes suivant que la demande de brevet européen faisant l'objet de l'examen :
a) a été déposée à la même date qu'une demande de brevet européen sur la base de laquelle un brevet européen a été délivré au même demandeur,
b) a été déposée en tant que demande divisionnaire européenne (article 76(1) CBE) relative à une telle demande, ou
c) revendique la priorité d'une telle demande (article 88 CBE) ?
2.2 En particulier, dans ce dernier cas, un demandeur a-t-il un intérêt légitime à obtenir la délivrance d'un brevet sur la base de la demande de brevet européen (ultérieure) étant donné que la date déterminante pour calculer la durée du brevet européen en vertu de l'article 63(1) CBE est la date de dépôt et non la date de priorité ?"
II. Le recours en instance devant la chambre à l'origine de la saisine (ci-après dénommée "la chambre") est dirigé contre la décision par laquelle la division d'examen avait rejeté la demande de brevet européen n°10718590.2 en vertu de l'article 97(2) CBE ensemble l'article 125 CBE. La division d'examen avait constaté que la revendication 1 de l'unique requête relative à des revendications présente dans le dossier portait sur un objet identique à l'objet revendiqué dans le brevet européen n° 2 251 021, lequel avait été délivré sur la base de la demande de brevet européen dont la priorité était revendiquée par la demande en cause. Selon la division d'examen, la délivrance d'un deuxième brevet portant sur la revendication en question enfreindrait le principe de l'interdiction de la double protection par brevet (ci-après dénommée également par le seul terme "l'interdiction"), principe qui est admis dans la plupart des systèmes de brevets, comme il est indiqué dans les Directives. La division d'examen a ajouté que l'applicabilité de cette interdiction avait été confirmée par une opinion incidente formulée par la Grande Chambre de recours dans ses décisions G 1/05 et G 1/06. La division d'examen a relevé que l'interdiction s'étendait également aux demandes de brevet européen revendiquant la priorité interne d'une autre demande de brevet européen et que la décision T 1423/07 n'était pas applicable étant donné que, dans cette affaire, les demandes avaient été déposées par des demandeurs différents.
III. Le requérant (demandeur) a fait valoir dans le cadre de son recours que l'interdiction ne s'applique pas en cas de priorité interne. Selon lui, les décisions G 1/05 et G 1/06 se rapportent à des demandes divisionnaires et ne s'appliquent que dans ce contexte. La décision T 1423/07 reconnaît l'existence d'un intérêt légitime, qui réside en l'occurrence dans la durée de protection plus longue dont un demandeur bénéficie s'il revendique une priorité interne. Le principe "ne bis in idem" ne peut pas non plus servir de base à l'interdiction. De l'avis du requérant, l'article 125 CBE ne constitue pas une base juridique adéquate pour interdire la double protection par brevet, car cette question relève du droit matériel. Il ressort des documents préparatoires à la Convention, et en particulier des points 665 et 666 des procès-verbaux de la Conférence diplomatique préalable à l'adoption de la Convention, qu'aucun accord au sens de l'article 31(2)a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (ci-après dénommée "la Convention de Vienne") n'est intervenu sur cette question. Même si un avis majoritaire a pu se dégager en faveur de l'interdiction, celui-ci se limitait aux demandes ayant la même date de dépôt. Du point de vue du requérant, l'article 139(3) CBE ne peut pas non plus servir de base à l'interdiction. Cette disposition met en évidence le fait que la question de la double protection par brevet est entièrement dévolue à la législation nationale. La saisine de la Grande Chambre est justifiée. Au cours de la procédure orale devant la chambre, le requérant a demandé à titre principal la délivrance d'un brevet et, à titre subsidiaire, la saisine de la Grande Chambre, et il a accepté, aux fins d'une telle saisine, la formulation des questions proposée par la chambre.
IV. Pour étayer ses arguments, le requérant a renvoyé à plusieurs des documents préparatoires à la Convention (généralement dénommés "travaux préparatoires"). Ces documents sont traités plus en détail dans les motifs de la présente décision.
V. La décision de saisine examine les dispositions de la Convention qui ont jusqu'ici été considérées dans la jurisprudence des chambres de recours comme étant susceptibles de constituer une base juridique pour l'interdiction, à savoir les articles 60(1), 63(1), 76(1) et 125 CBE. La chambre a estimé qu'aucune de ces dispositions ne convenait à cette fin.
VI. Les doutes de la chambre concernant l'applicabilité de l'article 125 CBE reposent sur deux arguments principaux (points 56 à 64 des motifs). Premièrement, elle a estimé que le libellé et le champ d'application de l'article 125 CBE ne peuvent à eux seuls, autrement dit sans référence aux travaux préparatoires, être interprétés comme englobant le principe de l'interdiction de la double protection par brevet. Selon les règles d'interprétation prévues par les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne, l'article 125 CBE, tel qu'interprété conformément à l'article 31 de la Convention de Vienne, n'est ni ambigu ni obscur, ni encore manifestement absurde ou déraisonnable, et ne donne donc pas matière à une interprétation en application de l'article 32 de la Convention de Vienne qui tienne également compte de l'intention du législateur découlant des travaux préparatoires. Deuxièmement, en l'absence d'accord entre tous les États contractants lors de la Conférence diplomatique, il n'est pas non plus possible d'interpréter l'article 125 sur la base d'un accord distinct intervenu entre toutes les parties ou d'un instrument accepté par toutes les parties au sens, respectivement, de l'article 31(2)a) ou 31(2)b) de la Convention de Vienne.
VII. Les motifs de la présente décision traitent en détail des documents préparatoires sur lesquels la chambre s'est fondée dans ce contexte ainsi que pour d'autres aspects des motifs de sa décision.
VIII. Le Président de l'OEB a été invité à présenter ses observations sur la saisine, et les tiers ont eu la possibilité de soumettre leurs observations écrites en vertu des articles 9 et 10 du règlement de procédure de la Grande Chambre de recours (RPGCR). Ces observations ont été transmises au requérant.
IX. Dans ses observations datées du 21 septembre 2020, le Président de l'OEB a fait valoir que la base juridique de l'interdiction est l'article 125 CBE. Il ressort clairement des documents préparatoires à la Convention que l'intention du législateur était d'interdire la double protection par brevet en vertu de cet article. Le fait que la majorité des États contractants appliquent ce principe peut être déduit de leur législation nationale mettant en œuvre l'article 139(3) CBE. Aucun accord n'est certes intervenu entre toutes les parties sur cette question lors de la Conférence diplomatique, mais un tel accord n'était pas nécessaire. L'accord majoritaire peut tout de même être pris en considération en tant qu'intention identifiable du législateur et, partant, en tant que moyen complémentaire d'interprétation en vertu de l'article 32 de la Convention de Vienne. Il peut être fait appel aux documents préparatoires au titre de l'article 32 de la Convention de Vienne pour confirmer l'interprétation susvisée des articles 125 et 139(3) CBE. Par conséquent, la pratique établie de longue date qui consiste pour l'Office à appliquer l'interdiction est correcte et elle est également étayée par les décisions G 1/05 et G 1/06 de la Grande Chambre de recours.
X. Plusieurs associations professionnelles, sociétés et particuliers ont présenté des observations comme amicus curiae au titre de l'article 10 RPGCR. Dans deux cas, les observations ont été présentées de manière anonyme. La majorité des observations d'amicus curiae soutiennent l'avis selon lequel la Convention ne contient aucune base juridique adéquate pour l'interdiction de la double protection par brevet et, partant, pour la pratique de l'Office.
XI. Le requérant n'a pas présenté de moyens supplémentaires. Il n'a pas non plus demandé la tenue d'une procédure orale devant la Grande Chambre. Par conséquent, la présente décision peut être rendue dans le cadre d'une procédure écrite, sans tenue préalable d'une procédure orale.
Motifs de la décision
A. Recevabilité de la saisine
A.1 Interprétation des questions soumises
1. La teneur essentielle de la question 1 est la suivante : existe-t-il dans la CBE une base juridique permettant de rejeter une demande de brevet pour cause de double protection par brevet ?
2. La chambre a exposé en détail de quelle manière elle interprète le terme "double protection par brevet" (points 17 à 23 des motifs) et la Grande Chambre interprète ce terme dans le même sens. Cependant, si la question fondamentale qui se pose peut être formulée de manière simple, la chambre avait de bonnes raisons de formuler la question 1 d'une manière plus différenciée, sachant que le terme "double protection par brevet" lui-même n'est peut-être pas tout à fait clair dès lors qu'il est dissocié des cas de figure spécifiques traités dans la saisine et dans le corpus relativement restreint de jurisprudence. Premièrement, une distinction doit être établie entre le cas de figure relevant de l'article 139(3) CBE (protection conférée simultanément par un brevet national et par un brevet européen) et la double protection par brevet au sens étroit, où deux (ou plus de deux) demandes de brevet européen sont concernées (points 19 et 21 des motifs). Deuxièmement, il convient de garder à l'esprit la distinction entre la "double protection" (revendications dont la portée se recoupe en partie) et la "double protection par brevet" (point 24 des motifs). La Grande Chambre relève qu'en allemand le terme "double protection" ("Doppelschutz") est également employé pour désigner le cas de figure régi par l'article 139(3) CBE ainsi que les situations comparables de protection parallèle.
3. Même si l'on comprend d'emblée le terme "double protection par brevet" au sens étroit, il se peut que ce terme ne suffise pas à lui seul pour indiquer aux lecteurs que l'enjeu de la saisine est de savoir s'il existe une base juridique dans la CBE permettant d'interdire la double protection par brevet. Les chambres de recours ont certes rendu des décisions qui traitent de manière spécifique de la question relative à la base juridique de l'interdiction, mais il y a également des décisions qui concernent plutôt la définition du "même objet" ou du "même demandeur" dans le contexte de la double protection par brevet. La manière dont ces éléments sont intégrés dans le libellé de la question 1 montre clairement que ces dernières questions de droit ne constituent pas l'objet de la présente saisine.
4. La saisine n'explique pas pourquoi l'article 97(2) CBE est mentionné dans la question 1. La Grande Chambre en conclut que cette référence sert à différencier le rejet d'une demande de brevet après l'examen effectué par la division d'examen des autres rejets envisageables, par exemple d'un rejet par la section de dépôt en application de l'article 90(5) CBE. La saisine est axée principalement sur l'analyse des diverses dispositions de la Convention qui ont été proposées dans la jurisprudence comme source juridique de l'interdiction de la double protection par brevet (articles 60, 63, 76 et 125 CBE) et qui, à ce titre, sont susceptibles d'être invoquées en combinaison avec l'article 97(2) CBE comme base juridique d'un rejet. La chambre a également indiqué que la saisine n'englobe pas la question de savoir si et comment cette interdiction pourrait être applicable dans le cadre d'une procédure d'opposition (point 31 des motifs). La Grande Chambre estime donc que la référence à l'article 97(2) CBE fait apparaître clairement que la question soumise se limite à (l'applicabilité de l'interdiction lors de) la procédure d'examen quant au fond devant la division d'examen en vertu de l'article 94 CBE.
5. La question 1 ne mentionne pas la condition supplémentaire selon laquelle le brevet européen délivré et le brevet européen potentiel doivent tous deux produire leurs effets sur le même territoire. Compte tenu du système de désignation (articles 66 et 79 CBE) et en particulier de la possibilité de retirer la désignation d'États individuels (article 79(3) CBE), la Grande Chambre part du principe qu'une objection de double protection par brevet n'est soulevée dans la pratique actuelle de l'Office que si des désignations encore valables à la fois dans le brevet délivré et dans la demande concernée se recoupent. Étant donné qu'il ressort clairement des motifs de la décision de saisine que la chambre avait bien conscience de cette condition (points 29 et 30), la Grande Chambre estime que cette condition est également contenue implicitement dans la question elle-même.
6. La teneur essentielle de la question 2.1 est la suivante : s'il existe une base juridique dans la CBE pour l'interdiction de la double protection par brevet, les trois cas de figure pouvant conduire à une double protection par brevet doivent-ils être traités de la même manière ? Ces cas de figure ont tous en commun le fait que le brevet délivré et la demande doivent avoir la même date effective (point 18 des motifs).
7. Il ne doit être répondu à la question 2.1 que si la Grande Chambre conclut à l'existence d'une base juridique dans la CBE pour l'interdiction de la double protection par brevet. La formulation "… quelles sont les conditions d'un tel rejet … ?" peut sembler être de portée très large et viser à couvrir tous les critères concevables pour établir les conditions d'application de l'interdiction de la double protection par brevet. La saisine invite par exemple la Grande Chambre à clarifier les conditions de l'"[absence d'] intérêt légitime" envisagée dans les décisions G 1/05 et G 1/06 comme base possible de l'interdiction (point 13.4 des motifs). Elle l'invite également à clarifier la notion de "même invention" (point 80 des motifs). Les observations d'amicus curiae posent également la question de savoir quels critères doivent être appliqués pour définir le "même demandeur". Il ressort néanmoins clairement des motifs de la décision de saisine que l'objet central de la question 2.1 s'inscrit assurément dans le prolongement de la question 1, puisqu'elle consiste à déterminer si la base juridique de l'interdiction en vertu de la CBE – si tant est qu'il y en ait une – s'applique aux trois cas de figure énumérés, ou seulement à l'un ou à deux d'entre eux. La Grande Chambre se bornera à répondre à la question 2.1 en ce sens.
8. En ce qui concerne la question 2.2, la chambre souhaite à l'évidence savoir avant tout si le motif donné dans la décision T 1423/07 (l'intérêt légitime à bénéficier d'une durée de protection plus longue, au vu de l'opinion incidente formulée par la Grande Chambre de recours au point 13.4 des motifs des décisions G 1/05 et G 1/06) peut fonder une exception à l'interdiction de la double protection par brevet pour des demandes ayant des dates de dépôt différentes, mais la même date de priorité.
9. De plus, les questions 2.1 c) et 2.2 se limitent apparemment aux cas de priorité interne dans lesquels les deux demandes sont des demandes de brevet européen dont l'une fonde la priorité de l'autre. Cependant, comme indiqué dans les observations du Président (point 104), la même question peut se poser dans des cas où deux demandes de brevet européen ayant des dates de dépôt différentes revendiquent la priorité de la même demande nationale.
10. De plus, les questions 2.1 b) et c) semblent déjà se limiter au cas (plus probable) où la demande déposée antérieurement (demande fondant le droit de priorité ou demande antérieure au titre de l'article 76 CBE (généralement dénommée "demande initiale")) conduit aussi en premier à la délivrance d'un brevet et où l'examen de la demande ultérieure (à savoir la demande revendiquant la priorité ou la demande divisionnaire) s'achève par la suite. Cependant, une telle restriction semble non intentionnelle et la question peut être appliquée de manière plus générale à toute combinaison de deux demandes liées entre elles sur le plan procédural qui relèvent des cas de figure visés dans les questions 2.1 b) et c), quelle que soit la demande qui aboutit en premier à la délivrance d'un brevet.
A.2 Critères de recevabilité en vertu de l'article 112 CBE
11. L'article 112(1) CBE dispose ce qui suit :
" Afin d'assurer une application uniforme du droit ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose :
a) la chambre de recours … saisit en cours d'instance la Grande Chambre de recours lorsqu'elle estime qu'une décision est nécessaire à ces fins …
b) …"
12. Sur cette base, une saisine de la Grande Chambre par une chambre de recours est recevable s'il y a des divergences dans la jurisprudence en ce qui concerne l'application de la CBE ou si une question de droit d'importance fondamentale se pose. Il est à noter qu'une question de droit peut revêtir une importance fondamentale même sans divergence dans la jurisprudence. De plus, il peut s'avérer nécessaire d'assurer une application uniforme du droit sans qu'il y ait pour autant un nombre élevé de décisions divergentes (G 1/11, point 1 des motifs). Enfin, la décision de la Grande Chambre sur la question soumise doit être déterminante pour l'issue de l'affaire en instance devant la chambre concernée (G 1/14, point 2 des motifs).
13. La question 1 de la saisine ne concerne pas la seule application correcte d'une disposition juridique : elle porte avant tout sur la question de savoir si certaines procédures appliquées par l'Office reposent sur une base juridique adéquate. Le fait que les actes des administrations publiques ne peuvent pas être arbitraires et doivent être fondés sur le droit est considéré comme un principe fondamental du droit public (principe de légalité). La Grande Chambre considère donc aussi que la question soumise est une question de droit d'importance fondamentale, même sans jurisprudence divergente ou abondante sur ce sujet. Cela étant, comme la chambre l'a relevé à juste titre, la jurisprudence fait effectivement apparaître des divergences sur la question de l'existence même d'une base juridique adéquate pour interdire la double protection par brevet (points 43 à 46 des motifs), et la partie principale de la décision de saisine est consacrée à l'examen et à l'analyse de décisions dans lesquelles différentes dispositions de la CBE ont été mises en évidence comme base juridique possible de l'interdiction, ou dans lesquelles il a été considéré qu'il n'existait aucune base juridique.
14. Les questions 2.1 et 2.2 ne deviennent pertinentes que s'il est répondu par l'affirmative à la question 1. Elles concernent des aspects qui n'apparaissent pas nécessairement d'emblée comme des questions de droit d'importance fondamentale, mais plutôt comme des éléments touchant à l'application du principe de l'interdiction de la double protection par brevet. Comme indiqué au point 7 ci-dessus, la question 2.1 est formulée de telle manière qu'elle peut être interprétée comme recherchant une réponse concernant tous les critères concevables d'application de l'interdiction. Or, une question de portée si vaste serait sans doute irrecevable, puisque, par principe, la Grande Chambre n'a pas compétence pour trancher à l'avance des questions juridiques qui ne se sont pas encore posées dans une affaire devant une chambre de recours.
15. À cela s'ajoute le fait qu'il ne ressort pas de la saisine que la Grande Chambre doit clarifier en détail tous les aspects des questions soumises. Par exemple, la définition de la notion de "même invention" n'apparaît pas comme un point litigieux dans l'affaire à l'origine de la saisine, étant donné que les revendications rejetées par la division d'examen sont identiques à celles du brevet déjà délivré (point 3 des motifs).
16. Au vu de ce qui précède, la Grande Chambre interprète la question 2.1 de manière étroite, comme cherchant pour l'essentiel à savoir si la base juridique potentiellement contenue dans la CBE s'applique de manière équivalente aux trois cas de figure identifiés, ou s'il y a des raisons de leur réserver un traitement différencié, en prévoyant par exemple une exception pour l'un d'entre eux. D'autres questions susceptibles de se poser dans le contexte de la double protection par brevet, comme celles de la "même invention" ou du "même demandeur", ne sont pas considérées comme étant couvertes par la saisine.
17. La Grande Chambre relève en outre, s'agissant de la recevabilité de la question 2.1, que les décisions citées dans le contexte plus spécifique de la question 2.2. peuvent aussi être considérées comme constituant des divergences dans la jurisprudence aux fins de la réponse à la question 2.1. Ainsi, par exemple, dans certaines décisions, les chambres ont jugé que l'opinion incidente formulée dans les décisions G 1/05 et G 1/06 est limitée aux demandes divisionnaires et initiales (T 1423/07, point 3 des motifs), tandis que dans d'autres, elles ont estimé que cette opinion est de portée plus générale ou qu'elle couvre à tout le moins également les demandes liées entre elles par une priorité (T 2461/10, point 14 des motifs, confirmé dans T 2563/11, point 2.5 des motifs).
18. La question 2.2, plus spécifique, fait mention d'une raison d'admettre éventuellement une exception à l'interdiction. La chambre a démontré qu'il existe des décisions divergentes sur ce point également (T 318/14, points 65 à 67 des motifs). La formulation de la question semble suggérer que la justification de l'interdiction réside dans le principe (d'absence) d'intérêt légitime, suivant les décisions G 1/05 et G 1/06. La Grande Chambre part donc de l'hypothèse qu'elle ne devra répondre de manière distincte à cette question que si elle conclut que les cas de figure visés dans la question 2.1 appellent éventuellement un traitement différent et qu'une interdiction de la double protection par brevet doit effectivement être fondée sur le principe de l'intérêt légitime à l'égard de la procédure.
19. La Grande Chambre est convaincue qu'une décision sur les questions soumises (interprétées au sens étroit) est nécessaire pour que la chambre puisse statuer sur le recours. La Grande Chambre juge en outre la structure des questions adéquate. Bien que la chambre ne l'indique pas expressément, il peut être déduit de la décision de saisine que de l'avis de la chambre elle-même, l'affaire qu'elle instruit pourrait être tranchée soit de manière générale, soit de manière plus spécifique, en fonction des réponses apportées par la Grande Chambre. Cela est reflété dans la formulation des questions soumises.
20. En résumé, la Grande Chambre est convaincue que la saisine est recevable. Plus précisément, chacune des questions est recevable, pour autant que la clarification demandée des conditions de rejet soit limitée aux conditions qui sont indissociables de la question relative à la base juridique du rejet. Une reformulation des questions n'est pas nécessaire. Les observations figurant aux points 9 et 10 ci-dessus concernant les cas de figure visés par la question 2.1 b) et c) peuvent être prises en considération en ce qui concerne la formulation des réponses.
B. Aspects de fond soulevés par la saisine : question 1
B.1 L'article 125 CBE comme base juridique suggérée
21. La chambre a analysé plusieurs dispositions de la Convention afin de déterminer si elles pouvaient servir de base juridique adéquate pour l'interdiction de la double protection par brevet. Il ressort clairement de la saisine et de l'ensemble de la jurisprudence que l'article 125 CBE est la disposition qui est le plus fréquemment évoquée et, à tout le moins de prime abord, la plus prometteuse. L'article 125 CBE est également mentionné dans les Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB en tant que base juridique permettant de rejeter une demande et c'est par conséquent ainsi qu'il a été invoqué par la division d'examen dans la décision frappée de recours. Il y a donc lieu de commencer par cette disposition.
B.1.1 Applicabilité de l'article 125 CBE à la question de la double protection par brevet
22. L'article 125 CBE, qui s'intitule "Référence aux principes généraux", dispose qu'"[e]n l'absence d'une disposition de procédure dans la présente convention, l'Office européen des brevets prend en considération les principes généralement admis en la matière dans les États contractants".
23. Il convient tout d'abord d'établir si le champ d'application de l'article 125 CBE ou, plus précisément, d'une disposition de procédure qui fait défaut dans la Convention, mais qui peut être établie à l'aide d'un principe de droit procédural, peut s'étendre à des questions de fond. Dans la présente affaire, on peut se demander si la disposition manquante et donc hypothétique qui régirait la question de la double protection par brevet pourrait être considérée comme une disposition de procédure. Autrement dit, le terme "disposition de procédure" nécessite une interprétation.
24. La décision G 1/97 de la Grande Chambre de recours (JO OEB 2000, 322) concernant l'interprétation de l'article 125 CBE n'est d'aucune utilité pour la présente affaire. La conclusion de la Grande Chambre de recours, selon laquelle l'article 125 CBE ne permet pas d'introduire de nouvelles procédures (point 3 des motifs), n'apporte pas de réponse à la question de savoir si cet article peut couvrir l'appréciation de la double protection par brevet. En tout état de cause, la décision G 1/97 n'exclut pas cette possibilité : il n'est pas nécessaire d'introduire de nouvelle procédure, cette appréciation pouvant s'inscrire dans le cadre de la procédure existante d'examen quant au fond conformément à l'article 94 CBE (voir également le point 71 des observations du Président).
25. Dans son analyse des décisions pertinentes, la chambre a eu tendance à adhérer à l'approche suivie par les décisions dans lesquelles la double protection par brevet a été considérée comme comprenant à la fois des questions de procédure et des questions de fond (point 63 des motifs, renvoyant à la décision T 1423/07), mais elle n'a pas expliqué en détail pourquoi elle défendait cette position. Elle a également fait observer que des décisions plus anciennes excluaient expressément que l'article 125 CBE puisse régir des questions de droit matériel (point 43 des motifs, renvoyant à la décision T 587/98 (JO OEB 2000, 497), points 3.1, 3.2 et 3.5 des motifs.)
26. La décision T 1423/07 indique que la double protection par brevet comprend aussi des aspects procéduraux et que cette conclusion est étayée par le point 665 des procès-verbaux de la conférence diplomatique de Munich pour l'institution d'un système européen de délivrance de brevet (ci-après R3). La chambre ayant statué a estimé que cette source "confirme les aspects procéduraux de la double protection par brevet". Elle en a conclu que le rejet d'une demande de brevet européen pour cause de double protection par brevet comprend des aspects procéduraux ainsi que des aspects relevant du droit matériel, si bien que l'article 125 CBE est applicable. Dans la décision T 1423/07, la chambre a également conclu que même si certains États contractants appliquent l'interdiction, il n'est pas possible d'établir que cette dernière est généralement admise dans le contexte spécifique du stade qui précède la délivrance (points 2.2.1 et 2.2.2 des motifs).
27. La Grande Chambre estime également qu'une disposition couverte par l'article 125 CBE peut tout à fait englober des aspects qui touchent à des questions de fond, telles que l'étendue de l'objet revendiqué. Cette interprétation peut être fondée sur la Convention elle-même, sans référence aux documents préparatoires. Partant, il n'est pas exclu que certaines questions pouvant être considérées comme "relevant du droit matériel" doivent être tranchées sur le fondement d'un principe de droit procédural.
28. En vertu de la jurisprudence constante de la Grande Chambre de recours, même si la Convention de Vienne ne lie pas formellement les chambres de recours, elle constitue une source de droit international appropriée pour l'interprétation de la Convention. Cela a également été reconnu dans la décision de saisine, qui applique les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne.
29. Ces articles, qui figurent dans la partie III, section 3 de la Convention de Vienne (intitulée "Interprétation des traités"), s'énoncent comme suit (les parties non pertinentes étant omises) :
Article 31 de la Convention de Vienne – Règle générale d'interprétation
(1) Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
(2) Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité.
(3)…
(4)…
Article 32 de la Convention de Vienne – Moyens complémentaires d'interprétation
Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 :
a) Laisse le sens ambigu ou obscur ; ou
b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.
30. Eu égard à l'article 177 CBE, qui dispose que les trois textes de la Convention en langues allemande, anglaise et française font également foi, il y a aussi lieu de citer l'article 33 de la Convention de Vienne, figurant lui aussi dans la partie III, section 3 :
Article 33 de la Convention de Vienne – Interprétation de traités authentifiés en deux ou plusieurs langues
(1) Lorsqu'un traité a été authentifié en deux ou plusieurs langues, son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu'en cas de divergence un texte déterminé l'emportera.
(2)…
(3) Les termes d'un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques.
(4)…
31. En règle générale, il convient d'appliquer dans un deuxième temps la méthode de l'interprétation systématique si, à la suite de l'interprétation grammaticale (littérale), le sens ordinaire d'un terme n'est toujours pas suffisamment clair. Ce même principe est exprimé à l'article 31(1) et (2) de la Convention de Vienne, où il est affirmé que les termes du traité doivent être interprétés dans leur contexte, le contexte principal étant le texte du traité lui-même.
32. L'article 125 CBE figure au chapitre I de la septième partie de la Convention (Dispositions communes). Ce chapitre s'intitule "Dispositions générales de procédure". Le mot "générales" renvoie aux quatrième, cinquième et sixième parties, à savoir aux procédures de délivrance, d'opposition et de recours. Ces parties sont elles aussi consacrées à des dispositions de procédure et la plupart des articles contenus dans les dispositions générales du chapitre I de la septième partie sont manifestement de nature procédurale, en ce sens qu'ils ne concernent pas les dispositions de fond contenues dans la deuxième partie de la Convention, en particulier les dispositions du chapitre I de la deuxième partie (articles 52 à 57 CBE).
33. Il peut donc être reconnu que les dispositions du chapitre I de la septième partie sont de nature procédurale. La Grande Chambre estime que dans la version anglaise, la différence minime entre le terme "procedural provisions" à l'article 125 CBE, dans le chapitre I de la septième partie, et l'expression "provisions governing procedure" dans le titre du chapitre n'est pas censée établir de distinction sur le fond. Cela vaut également pour la version allemande : "Vorschriften über das Verfahren" (article 125 CBE) et "Vorschriften für das Verfahren" (titre du chapitre I). Dans la version française, le terme "disposition[s] de procédure" figure à la fois dans l'article 125 CBE et dans le titre du chapitre I. Ainsi, il ressort à la fois du texte de l'article 125 CBE et de l'emplacement de cet article dans la Convention que l'article 125 CBE porte sur des dispositions de procédure comparables aux articles précédents de ce chapitre.
34. Cela étant, le chapitre I contient aussi les articles 123(2) et (3) CBE, qui sont appliqués quotidiennement à l'Office, le premier servant aussi de base juridique pour un rejet au titre de l'article 97(2) CBE. Par conséquent, d'un point de vue formel, les articles 123(2) et (3) CBE sont des dispositions de procédure. Pourtant, ces dispositions ne peuvent pas être perçues comme étant de nature purement procédurale, puisqu'elles exigent que l'objet de la revendication soit déterminé lorsqu'elles sont appliquées dans le cadre de la procédure d'examen ou d'opposition. Il est à noter que dans les décisions G 1/05 et G 1/06, la Grande Chambre de recours a estimé que la conformité avec l'article 123(2) CBE était une condition de fond, dont l'examen doit être effectué par la division d'examen (point 3.3 des motifs).
35. Il ressort de ce qui précède que dans le système de la CBE, le terme "disposition de procédure" pourrait tout à fait s'étendre aux dispositions exigeant un examen quant au fond de l'objet revendiqué. Plus particulièrement, les dispositions du chapitre I de la septième partie pourraient permettre le rejet d'une demande de brevet au titre de l'article 97(2) CBE pour des raisons autres que le non-respect des conditions de fond en matière de brevetabilité prévues au chapitre I de la deuxième partie de la Convention (articles 52 à 57 CBE).
36. Par conséquent, la Grande Chambre conclut que, d'un point de vue purement systématique, l'article 125 CBE pourrait constituer une base juridique permettant de réglementer la double protection par brevet – qu'il s'agisse de l'autoriser ou de l'interdire – même si l'examen de questions de fond comme celle du "même objet" peut aussi entrer en jeu.
B.1.2 Interdiction ou autorisation de la double protection par brevet en tant que principe généralement admis du droit procédural dans la pratique des États contractants
37. Étant donné qu'il a été conclu que l'article 125 CBE pourrait constituer la base juridique d'une interdiction de la double protection par brevet, la question suivante consiste à déterminer si un tel principe existe et s'il est généralement admis dans les États contractants.
38. La Grande Chambre n'a connaissance d'aucune source fiable qui pourrait confirmer directement cette hypothèse comme un fait. Les sources citées dans la décision de saisine (point 60 des motifs) ou dans les observations du Président de l'OEB, par exemple les recueils régulièrement mis à jour des dispositions pertinentes du droit national (document N5 dans la décision de saisine), ne font état que de la pratique des États contractants concernant la mise en œuvre de l'article 139(3) CBE, mais ne peuvent pas fournir d'informations directes concernant leur pratique en matière de double protection par brevet au sens étroit, c'est-à-dire concernant la possibilité de délivrer deux brevets nationaux, de manière comparable à la double protection par brevet dans le contexte des brevets européens uniquement, comme expliqué au point 2 ci-dessus. À l'évidence, l'Office n'a pas d'autre possibilité que de déduire de la pratique générale concernant l'interprétation de l'article 139(3) CBE que l'interdiction de la double protection par brevet constitue également un principe généralement admis (points 80 et 81 des observations du Président). Les faits précités s'intègrent assurément bien dans l'hypothèse selon laquelle l'interdiction de la double protection par brevet au sens étroit est également admise et appliquée dans la majorité des États contractants. Il n'en demeure pas moins que la Grande Chambre ne dispose pas d'informations qui lui permettraient d'établir de manière sûre la pratique dans tous les États contractants, ou au moins dans une majorité d'entre eux, et de confirmer ainsi sur cette base l'applicabilité de l'interdiction en vertu de l'article 125 CBE.
B.1.3 L'interdiction comme expression du principe d'un intérêt légitime à l'égard de la procédure (conséquences à tirer des décisions G 1/05 et G 1/06)
39. Le Président de l'OEB a fait valoir que l'opinion incidente formulée par la Grande Chambre de recours dans les décisions G 1/05 et G 1/06 entérine la pratique de l'Office. La version actuelle des Directives relatives à l'examen pratiqué à l'OEB (mars 2021) fait également référence à ces décisions dans le contexte de la double protection par brevet (voir point G-IV, 5.4). Bien que cette partie des Directives ne soit pas citée au point 93 des observations du Président, au point 94, les décisions G 1/05 et G 1/06 semblent être associées à l'idée selon laquelle la nécessité d'avoir un intérêt légitime à l'égard de la procédure est un principe de droit procédural généralement admis dans les États contractants. Cependant, dans ces décisions, la Grande Chambre de recours n'a pas expliqué comment l'interdiction de la double protection par brevet devait être déduite du principe de l'intérêt légitime. Cela est compréhensible, puisque les décisions G 1/05 et G 1/06 ne portent pas sur cette question spécifique. De plus, la Grande Chambre de recours ne semblait pas se fonder sur l'article 125 CBE lorsqu'elle a admis que "le principe de l'interdiction de la double protection par brevet est fondé sur le fait qu'un demandeur n'a pas d'intérêt légitime à voir une procédure aboutir à la délivrance d'un deuxième brevet" et qu'elle en a déduit qu'il n'y avait rien à redire à la pratique de l'OEB (G 1/05 et G 1/06, point 3.14 des motifs). La Grande Chambre de recours n'a pas même affirmé qu'elle considérait l'intérêt légitime à l'égard de la procédure comme étant un principe généralement admis de droit procédural, ce qui aurait pu permettre de conclure à l'applicabilité de l'article 125 CBE. De fait, la seule conclusion qui puisse réellement être tirée de l'opinion incidente formulée par la Grande Chambre de recours dans ses décisions G 1/05 et G 1/06 est que l'absence d'intérêt légitime pourrait expliquer l'interdiction.
40. De plus, il est nécessaire d'examiner dans son contexte, en particulier dans celui du point 13.5 des motifs, la déclaration de la Grande Chambre de recours au point 13.4 des motifs selon laquelle elle "admet" l'existence de l'interdiction et n'a rien à redire à la pratique de l'Office. Au point 13.5 des motifs, la Grande Chambre de recours explique, en reprenant les observations du Président de l'OEB (point VIII d) des décisions G 1/05 et G 1/06), que la reconnaissance de l'interdiction ne pouvait pas empêcher les demandeurs de maintenir en instance des séries de demandes divisionnaires contenant chacune le même objet. Cette conclusion de la Grande Chambre de recours au point 13.5 des motifs aurait été applicable a fortiori si l'Office n'avait pas appliqué l'interdiction. La Grande Chambre de recours n'avait donc aucune raison de mettre en cause la pratique de l'Office, car il n'était pas nécessaire pour elle de confirmer cette pratique aux fins de sa propre décision. La pratique de l'Office n'a pas non plus été mise en cause par la jurisprudence à cette époque, pas même par la décision T 587/98 (supra), citée dans la décision de saisine (point 43 des motifs) en tant que décision mettant en doute l'applicabilité de l'article 125 CBE aux questions relevant du droit matériel. De fait, dans la décision T 587/98, la chambre a pris grand soin de limiter ses conclusions à la question d'une revendication de large portée englobant l'intégralité d'une revendication plus restreinte dans le contexte des demandes divisionnaires (sommaire et point 3.7 des motifs), mais cette décision ne va pas jusqu'à mettre en doute le principe général de l'interdiction de la double protection par brevet.
41. Par conséquent, il ne serait pas approprié, aux fins de la présente saisine, d'entériner sans réserve l'interdiction de la double protection par brevet sur la base de l'opinion incidente formulée dans les décisions G 1/05 et G 1/06.
42. En résumé, les passages précédents (points 38 à 41) ne permettent pas à eux seuls à la Grande Chambre de conclure que l'interdiction de la double protection par brevet est un principe généralement admis dans les États contractants. Il est donc nécessaire de faire appel à d'autres sources.
B.2 Recours aux documents préparatoires à la Convention ("travaux préparatoires")
43. La décision de saisine aborde la question de savoir si les dispositions de la Convention de Vienne pourraient justifier de faire appel aux documents préparatoires à la CBE à des fins d'orientation. La chambre a estimé qu'en vertu de l'article 32 ensemble l'article 31 de la Convention de Vienne, cela n'était pas possible pour l'affaire en cause. La raison semble être que, selon la chambre, aucune des conditions prévues à l'article 32 de la Convention de Vienne n'est remplie. Ainsi, concernant la question de la double protection par brevet, le fait d'interpréter la Convention, en l'occurrence l'article 125 CBE, à l'aide des règles d'interprétation prévues à l'article 31 de la Convention de Vienne a) ne laisse pas le sens ambigu ou obscur, et b) ne conduit pas à un résultat manifestement absurde ou déraisonnable (point 59 des motifs). En tout état de cause, aucune autre conclusion ne peut être tirée des affirmations de la chambre dans ce point et selon lesquelles "[L]'avis majoritaire dont il est question au point 665 du document M/PR/I ne peut pas […] être invoqué à titre de moyen complémentaire d'interprétation" et "[a]ucune de ces possibilités [conditions a) et b) de l'article 32 de la Convention de Vienne] ne s'applique […] à la question de droit concernée en l'espèce".
44. La Grande Chambre souscrit aux conclusions de la chambre en ce qui concerne la condition b) : ainsi qu'il ressort clairement du contexte intégral de l'affaire sous-jacente, la CBE pourrait admettre, ou bien pourrait interdire, la double protection par brevet. Aucune de ces deux possibilités n'est manifestement absurde ou déraisonnable. La délivrance de deux ou de plus de deux brevets pour la même invention au même demandeur peut sembler très peu souhaitable, mais il est difficile de considérer une telle situation comme étant totalement absurde ou manifestement déraisonnable. En ce qui concerne l'autre possibilité, à savoir le statu quo tel que prévu dans les Directives relatives à l'examen, il n'a jamais été avancé que la pratique de l'Office est manifestement absurde ou déraisonnable, mais simplement qu'elle est dépourvue de base juridique adéquate. Il n'a jamais non plus été avancé que la pratique en vigueur est d'une quelconque manière manifestement injuste. La Grande Chambre partage donc l'avis selon lequel la condition b) n'est pas applicable.
45. En revanche, il est difficile de voir en quoi les moyens d'interprétation ordinaires en application de l'article 31 de la Convention de Vienne ne laissent pas le sens de la Convention ambigu, voire obscur, en ce qui concerne la double protection par brevet. Il ressort clairement de la saisine que plus de trente années de jurisprudence n'ont pas permis de régler la question. L'ambiguïté de la Convention au regard de la question de la double protection par brevet est également confirmée implicitement par les décisions qui traitent des questions relatives au même demandeur ou à la même invention (cf. par exemple T 1391/07, point 2.5 des motifs, T 1780/12, points 8 à 10 des motifs, T 879/12, point 13 des motifs, et les autres décisions qui y sont citées). Le fait que ces questions ont été examinées est le signe que les chambres ayant statué sur les affaires concernées ne pouvaient pas avoir été entièrement convaincues qu'il n'y a pas d'interdiction de la double protection par brevet en vertu de la CBE. Si elles l'avaient été, elles n'auraient eu aucune raison de trancher les questions relatives à la même invention et au même demandeur, car ces dernières auraient été sans importance.
46. La Grande Chambre n'adhère pas à l'avis selon lequel l'interprétation de la Convention apporte à elle seule une réponse claire. Elle estime plutôt que l'article 125 CBE est formulé en des termes si généraux que, ne serait-ce que pour cette raison, son champ d'application potentiel peut être jugé ambigu. Comme expliqué au point 36 ci-dessus, selon une interprétation systématique, la possibilité de réglementer la double protection par brevet ne semble pas être exclue du champ d'application de l'article 125 CBE. Ainsi, la Convention n'est pas claire mais plutôt muette sur cette question. Il se peut que le résultat d'une interprétation systématique nécessite quand même confirmation. On ne voit donc pas du tout en quoi les moyens complémentaires d'interprétation, et notamment les travaux préparatoires à la CBE, ne peuvent pas, ou ne devraient pas, être utilisés pour déterminer la situation dans le cadre de la Convention ou le sens de l'article 125 CBE au regard de la double protection par brevet. Au contraire, il y a de bonnes raisons de consulter les travaux préparatoires, notamment sur la base de l'article 32 de la Convention de Vienne. En effet, comme le montrent les affaires citées, les chambres de recours ainsi que la Grande Chambre ont régulièrement fait appel aux travaux préparatoires dans le passé pour interpréter l'article 125 CBE.
B.2.1 Double protection par brevet à la lumière des travaux préparatoires
47. Il sera fait référence ci-après à certains documents préparatoires à la Convention. Les références utilisées sont énumérées ci-dessous. Elles remplacent les références complètes habituelles dans un souci de concision, ainsi que la numérotation N1 à N4 utilisée par le requérant et dans la décision de saisine, car il sera aussi renvoyé à des parties des travaux préparatoires qui ne figurent pas dans les extraits produits par le requérant.
R1 : Recueil des prises de position des gouvernements et autres organismes participants sur les projets de dispositions de la future Convention sur le brevet, tels qu'établis lors de la 6ème session de la Conférence Intergouvernementale pour l'institution d'un système européen de délivrance de brevets, tenue à Luxembourg, du 19 au 30 juin 1972 (forme courte : 6ème session). Ces prises de position portent la référence "M9 à M29" dans la documentation conservée par l'Office européen des brevets sur les travaux préparatoires. Le document R1 contient aussi l'extrait déposé en tant que document N2 dans la procédure à l'origine de la saisine.
R2 : Rapport de la 6ème session de la Conférence Intergouvernementale (référence employée par l'OEB : BR/219 f/72). Ce rapport contient le document N4.
R3 : Procès-verbaux de la Conférence diplomatique de Munich ("Minutes MDC 1973" dans la version anglaise de la documentation de l'OEB et "M/PR" dans la version française). Ce document contient N1.
R4 : Rapport sur la 10e réunion du Groupe de travail I de la Conférence Intergouvernementale (référence employée par l'OEB : BR/144 f/71). Ce document contient N3.
M/34 : Projet de règlement intérieur de la Conférence diplomatique. La référence employée par l'OEB est maintenue. Il est à noter que ce projet a été adopté sans modification et qu'il est devenu la version définitive du règlement intérieur - voir R3, point 10, page 14.
Ces documents sont également accessibles au public sur le site Internet de l'OEB (cf. epo.org/law-practice/legal-texts/epc/archive/epc-1973/traveaux/documents_fr.html à la date de la rédaction).
48. Il semble sans conteste que la dernière affirmation consignée du législateur compétent – la Conférence diplomatique – sur la question en cause est l'accord exprimé au point 665 du document R3. L'importance de cet accord doit être évaluée à la lumière des travaux législatifs effectués aussi bien lors de la Conférence diplomatique qu'avant celle-ci. Avant de se pencher sur les travaux préparatoires encore plus anciens, il suffit aux fins de la réponse à la question 1 de commencer par la 6ème session.
49. Lors de la 6ème et dernière session de juin 1972, l'article 125 avait déjà son libellé et son numéro actuels, et faisait ainsi également partie du projet de Convention à l'issue de la Conférence Intergouvernementale qui a fait suite à la 6ème session. Il était clair que les documents adoptés lors de la Conférence Intergouvernementale serviraient de base aux travaux de la Conférence diplomatique prévue (R1, Introduction, point 4, dernier paragraphe).
B.2.1.1 Rapport de la 6ème session (R2)
50. Comme la chambre l'a reconnu dans la décision de saisine, un consensus était déjà apparu, à l'occasion des discussions sur l'article 125 lors de la 6ème session, sur le fait que la double protection par brevet n'était pas possible (point 56 des motifs, renvoyant à N4). Ce consensus a été consigné au point 49 du document R2. Ce point s'énonce comme suit :
"Article 125
49. A l'occasion de Ia discussion de cet article, la Conférence a constaté que l'Office européen des brevets ne pourra pas délivrer plus qu'un brevet européen à Ia même personne pour la même invention faisant l'objet de demandes ayant la même date de dépôt.
La Conférence a, par ailleurs, constaté que l'Office européen des brevets est habilité à corriger toutes les erreurs qu'il commet par inadvertance."
Hormis ces deux aspects (interdiction de la double protection par brevet et correction d'erreurs d'office), aucun détail supplémentaire concernant les discussions relatives à l'article 125 n'est consigné dans le document R2.
51. Les gouvernements et organismes participants ont été invités à prendre position sur les projets de texte, y compris le projet de Convention (R1, Introduction, points 4 et 6). Les prises de position reçues avant le 15 mai 1973 ont été publiées par le gouvernement allemand en vue de préparer la Conférence diplomatique (R1, Introduction, point 6). La Grande Chambre a connaissance des prises de positions de deux gouvernements participants au sujet de l'article 125.
B.2.1.2 M/28, Prise de position du gouvernement norvégien dans le document R1
52. La Norvège, qui a participé à la Conférence Intergouvernementale depuis son commencement (R1, Introduction, point 2), a soumis des observations. La prise de position complète du gouvernement norvégien (document M/28) figure aux pages 341 à 349 du document R1 ; elle a été reçue par le Secrétariat le 5 mai 1973. Les observations au sujet de l'article 125 figurent au point 11 du document M/28 (R1, page 347). La version française s'énonce comme suit :
"À l'occasion de la discussion de l'article 125, qui a eu lieu lors de la sixième session, la Conférence Intergouvernementale 'a constaté que l'Office européen des brevets ne pourra pas délivrer plus qu'un brevet européen à la même personne pour la même invention faisant l'objet de demandes ayant la même date de dépôt' (rapport, point 49). Toutefois, le Gouvernement norvégien est d'avis qu'il ressort de l'article 52, paragraphe 3, que le fait que des demandes soient déposées à la même date ne crée nullement d'obstacle de nouveauté pour ces demandes et qu'un demandeur peut donc déposer plusieurs demandes à la même date sans qu'il en résulte un préjudice pour lui. Dans ces conditions, il conviendrait d'énoncer expressément dans la convention la restriction potentielle telle qu'elle a été constatée lors de la sixième session."
B.2.1.3 M/10, prise de position du gouvernement du Royaume-Uni dans le document R1
53. Le tableau récapitulatif établi par le Secrétariat de la Conférence diplomatique, qui énumère toutes les prises de position figurant dans le document R1 (pages 12 à 14), ne mentionne que la Norvège comme État ayant soumis des observations au regard de l'article 125 (R1, page 13, colonne de droite, en bas). Or, la prise de position du gouvernement du Royaume-Uni traite elle aussi de la question de la double protection par brevet au regard de l'article 125. Il est renvoyé au document M/10 (pages 41 à 49 du document R1). Le tableau récapitulatif ne fait pas état, pour l'article 125, des observations du Royaume-Uni contenues dans ce document, car l'article 125 lui-même n'est pas mentionné. Le document M/10 a été soumis au Secrétariat avant le document M/28, le 29 mars 1973.
54. Le point 2 du document M/10 s'intitule "Observation générale" et s'énonce comme suit :
" Nous préférerions que les constatations formulées au point 49 du rapport de la session de juin 1972 de la Conférence soient mentionnées également dans le procès-verbal de la Conférence diplomatique."
Ce point du document M/10 renvoie à l'évidence au point 49 du document R2 (voir le point 50 ci-dessus).
B.2.1.4 Procès-verbaux de la Conférence diplomatique (R3), point 665
55. Les travaux de la Conférence diplomatique étaient régis par le règlement intérieur (M/34). Ce dernier a été adopté à l'unanimité au début de la Conférence (R3, point 10, page 13). Le règlement intérieur définit les organes de la Conférence : l'Assemblée plénière, ainsi que différents comités, commissions, groupes de travail et rapporteurs (M/34, articles 3(2) à 3(4)). Les comités principaux étaient chargés d'établir des projets de textes qu'ils soumettaient à la Commission plénière (M/34, article 12(5)). La Commission plénière était chargée d'adopter les textes à transmettre à l'Assemblée plénière (M/34, articles 3(2) et 36(2)). Le Comité principal I était chargé de l'examen de la septième partie du projet de Convention (M/34, article 12(2)), y compris de l'article 125. Toutes les délégations membres avaient le droit de siéger au sein de chacun des trois Comités principaux ainsi que dans la Commission plénière (M/34, articles 12(6) et 14(2)). Les décisions des différents organes nécessitaient un vote à la majorité qualifiée (deux tiers) ou à la majorité simple, les délégations qui s'abstenaient de voter n'étant pas considérées comme votantes (M/34, articles 36 et 37). Les décisions des Comités principaux et des groupes de travail nécessitaient une majorité simple (sauf en cas de nouvel examen de propositions au titre de l'article 34).
56. L'article 125 est abordé aux points 665 à 669 du procès-verbal des travaux du Comité principal I, les points 665 à 668 étant consacrés à la question de la double protection par brevet, tandis que le point 669 fait état de l'avis unanime selon lequel l'OEB peut rectifier les erreurs commises par inadvertance. La version française du point 665 s'énonce comme suit :
"En ce qui concerne l'article 125, il est pris acte, sur demande de la délégation du Royaume-Uni, du fait que la majorité du Comité principal est d'accord sur le point suivant : il découle des principes de procédure généralement admis dans les États contractants qu'il ne peut être délivré à une personne qu'un brevet européen pour la même invention pour laquelle des demandes ont été déposées à la même date."
57. Un examen plus approfondi de cette affirmation telle que consignée dans la version anglaise ("it was established … that it was a … principle … in the Contracting States that … only one European patent [can be granted] …" (c'est la Grande Chambre qui souligne)) peut créer une certaine confusion. Une comparaison avec les versions allemande et française (voir le point 58 ci-dessous) montre qu'il pourrait y avoir une erreur de traduction. Une autre explication pourrait être que le texte original anglais soumis au vote mentionnait à l'origine la délivrance d'un seul brevet (national) comme étant le principe admis de droit procédural, dont il s'ensuivait que pas plus d'un brevet européen ne devrait être délivré pour la même invention, mais que le texte a ensuite été raccourci, d'où la formulation erronée dans la version anglaise du procès-verbal.
58. En tout état de cause, l'interprétation correcte de cette affirmation est plutôt la suivante "[it] followed from the … principles of procedural law in the Contracting States that only one European patent [can be granted]…". Cela ressort clairement de la version allemande du passage correspondant ("BerichteMUCDK" dans la documentation de l'OEB) "… Aus den allgemein anerkannten Grundsätzen des Verfahrensrechts der Vertragsstaaten ergibt sich, dass … ". La version française ("M-PR" dans la documentation de l'OEB) rend la même idée : "… il découle des principes de procédure généralement admis dans les Etats contractants qu'il … ".
59. Il est par ailleurs évident que l'initiative du Royaume-Uni consignée au point 665 du document R3 découle directement de l'observation formulée par le Royaume-Uni dans le document M/10. À la connaissance de la Grande Chambre, aucun autre passage des procès-verbaux de la Conférence diplomatique ne traite de cette question. Le seul fait qui puisse être déduit du libellé des points 665 et 666 (ce dernier point étant analysé ci-dessous) est que la position majoritaire a été constatée et consignée. Cet accord de la majorité semble avoir été constaté sans débat préalable, aucune discussion n'étant consignée ni même évoquée. Cela peut aussi être déduit du fait que la question de la FICPI et la réponse du Royaume-Uni concernant la définition de la "même invention" ont été consignées en détail (points 667 et 668 du document R3). Il est indiqué dans la décision de saisine que le rapporteur du Comité principal I n'a plus mentionné cette question dans son rapport à l'intention de la Commission plénière (point 58 des motifs).
B.2.1.5 Procès-verbaux de la conférence diplomatique (R3), point 666
60. Selon le procès-verbal, la délégation norvégienne a fait une déclaration après le vote au sujet de l'accord mentionné au point 665. Cette déclaration est consignée comme suit au point 666 du procès-verbal :
"À ce sujet, la délégation norvégienne déclare qu'elle ne peut pas approuver ce principe formulé d'une manière aussi générale, étant donné qu'en vertu de la législation scandinave il est possible, en théorie, de délivrer à un demandeur deux brevets pour la même invention."
61. Cette déclaration est compatible avec le fait que l'accord consigné au point 665 était un accord majoritaire. Comme indiqué plus haut, ni le procès-verbal ni un quelconque autre passage des travaux préparatoires ne comporte d'éléments indiquant que la question de la double protection par brevet ou l'article 125 aient fait l'objet d'autres discussions. Par conséquent, cet accord constitue non seulement la dernière affirmation consignée du législateur compétent, mais peut aussi être considéré comme étant l'expression de son intention définitive et inchangée au sujet de la double protection par brevet.
B.2.2 Interprétation de l'accord visé au point 665
62. L'importance que revêt, pour la question de la double protection par brevet, le fait qu'un accord majoritaire a été trouvé et consigné dans le procès-verbal n'est pas difficile à établir. Compte tenu du texte de l'article 125 CBE et du fait que l'accord a été expressément rattaché à cet article dans le procès-verbal, il découle de l'interprétation directe de l'accord que les États contractants (potentiels) étaient d'accord sur le fait que l'interdiction de la double protection par brevet était un principe de procédure généralement admis dans les États contractants et que, à ce titre, elle était applicable en vertu de l'article 125 CBE.
63. Selon la Grande Chambre, il fait peu de doute que si un accord entre les délégations a été mentionné dans le procès-verbal, c'était dans un but précis, et que cela devait être clair pour toutes les délégations. Les travaux d'une conférence diplomatique destinés à adopter un traité relèvent d'un processus important où les accords consignés doivent avoir un certain poids. Le but de l'accord consigné au point 665 du document R3 est clair : fournir une interprétation de l'article 125 CBE et faire en sorte que cette disposition soit appliquée conformément à cette interprétation. Comme il ressort clairement des documents pertinents (et des documents préparatoires à la Convention de Vienne elle-même), la pratique qui consiste à consulter les documents préparatoires afin de déterminer l'intention du législateur à l'origine des dispositions d'un traité était déjà établie de longue date en droit international, même si cette pratique n'a pas toujours été acceptée sans réserve.
B.2.3 Réserves exprimées dans la décision de saisine
64. La chambre a fait observer que la question de la double protection par brevet avait été soulevée lors des discussions au sujet de l'article 125 de la Convention, et que, jusqu'à la Conférence diplomatique, il y avait accord sur le fait que la double protection par brevet ne devait pas être possible. En définitive, la chambre a néanmoins estimé qu'il ne pouvait pas être établi de manière catégorique que l'interdiction de la double protection par brevet pouvait réellement entrer dans le champ d'application de l'article 125 CBE ou qu'un accord à cet effet avait été trouvé. Elle a conclu ce qui suit : "[c]ependant, il ne ressort pas des documents de la Conférence diplomatique de Munich qu'il y avait encore cet accord sur le principe …" (point 58 des motifs). Les doutes de la chambre semblent reposer sur divers facteurs ressortant du procès-verbal : le fait qu'une déclaration lors de la Conférence diplomatique avait à l'origine été prévue (point 57 des motifs, renvoyant à N3 et N4) mais que ce projet n'a jamais abouti, le fait qu'il n'avait pas été rendu compte de l'accord à la Commission plénière, et le fait que l'accord n'était que majoritaire et non unanime (point 58 des motifs, renvoyant à N1, soit aux points 665 et 666 du document R3).
65. La Grande Chambre ne partage pas les réserves de la chambre. Les différents facteurs que cette dernière a mentionnés au sujet de l'accord visé au point 665, et qui ont aussi été invoqués par le requérant, ne mettent pas en doute la validité de l'accord exprimé ni son applicabilité aux fins de l'interprétation de la Convention. Au contraire, l'accord tel que consigné suffisait en vue de la finalité qu'il poursuivait, aucun suivi supplémentaire n'était nécessaire, et rien ne suggère que le soutien en sa faveur faiblissait.
B.2.3.1 Absence d'accord unanime entre les parties contractantes
66. Dans la décision de saisine, il est conclu que les éléments consignés aux points 665 et 666 du document R3 ne permettaient ni d'établir l'existence d'un consensus ou d'un accord commun entre tous les États contractants aux fins de l'article 31 de la Convention de Vienne, ni d'instaurer une interdiction en lieu et place d'une disposition expresse de la Convention en application de l'article 32 de la Convention de Vienne (point 59 des motifs). Ce point de vue peut être valable s'il part du principe que les éléments consignés aux points 665 et 666 ne témoignent que d'une tentative et, à ce titre, d'un acte inabouti, de parvenir à un consensus. Or, à la lumière du document M/10, il est clair que le constat selon lequel "la majorité […] [était] d'accord" n'était pas une simple tentative, mais une initiative réussie de la délégation du Royaume-Uni, dont l'objectif premier était de faire en sorte que l'accord précédemment constaté concernant le principe de l'interdiction soit "mentionné […] dans le procès-verbal".
67. Le fait que cet accord n'ait pas été unanime n'empêche pas qu'il soit pris en considération comme moyen d'interprétation de la Convention. Les textes de la Convention arrêtés ont également été établis par un vote majoritaire et même la Convention dans son ensemble ne requérait pour son adoption que la majorité des deux tiers de l'Assemblée plénière (M/34, articles 36(1) et (2)). Chacun des États participant à la Conférence avait également la faculté de ne pas signer la Convention, ou de la signer sous certaines réserves (article 167 CBE 1973). Cependant, l'article 125 ne pouvait pas faire l'objet d'une réserve. Cela fait apparaître clairement que l'adoption de la Convention par un État contractant ne signifiait pas que, dès le stade des négociations lors de la Conférence diplomatique, chacun des États contractants devait approuver spécifiquement chacun des articles et chacune des règles. Le commun accord de toutes les parties concernant le champ d'application de la Convention dans son ensemble n'a été obtenu et attesté que par leurs signatures, suivies de la ratification correspondante (articles 165(1) et (2) CBE 1973, articles 11, 12 et 14 de la Convention de Vienne), ou par une adhésion (article 166 CBE 1973, articles 11 et 15 de la Convention de Vienne).
B.2.3.2 Déclaration envisagée, visée dans le document R4
68. Le requérant a avancé, et la chambre a également fait observer dans la décision de saisine (point 57 des motifs), que des documents plus anciens suggéraient qu'une déclaration au sujet de la double protection par brevet avait été envisagée en lieu et place d'une disposition expresse dans la Convention. Comme indiqué au point 119 du document R4, il a été convenu qu'une telle déclaration devrait être insérée dans le procès-verbal de la Conférence diplomatique. Ce point du document R4 est également cité dans la décision de saisine (point 55 des motifs). Le requérant a fait valoir que l'accord visé au point 665 du document R3 ne constituait pas la déclaration envisagée, la condition relative à la même date de dépôt y ayant été ajoutée. Cet argument n'est pas repris dans la décision de saisine, qui semble toutefois faire sien l'argument du requérant selon lequel l'accord visé au point 665 ne pouvait pas être considéré comme la déclaration susmentionnée (points 57 et 58), peut-être en raison de l'absence d'unanimité ou de suivi.
69. Selon la Grande Chambre, hormis le fait que le document R3 n'emploie pas le mot "déclaration", mais le mot "accord" au point 665, il n'y a aucune raison apparente de ne pas considérer cet accord comme constituant la déclaration interprétative envisagée. Les observations du gouvernement du Royaume-Uni dans le document M/10 font apparaître clairement que l'initiative de la délégation du Royaume-Uni avait le même objectif que la déclaration prévue et qu'elle parvenait en définitive au même résultat. Le Royaume-Uni a proposé que les "constatations [formulées lors de la 6ème session] soient mentionnées également dans le procès-verbal de la Conférence diplomatique". Cela a manifestement été fait et une fois que l'accord visé au point 665 avait été consigné, aucune déclaration supplémentaire n'était nécessaire.
B.2.3.3 Absence de mention de l'accord par le rapporteur du Comité principal I
70. La conclusion précédente concorde également avec le fait que le rapporteur du Comité principal I n'a plus fait mention de cette question dans son rapport à l'intention de la Commission plénière. La question de la double protection par brevet a été examinée à plusieurs niveaux et à plusieurs occasions et le texte de l'article 125 est resté inchangé. Prendre acte de cet accord de la majorité n'a pas exigé de modification du texte de la Convention et ne pouvait pas non plus être considéré comme une résolution ou une recommandation, dont l'adoption aurait relevé de la compétence de l'Assemblée plénière (M/34, article 3(2)).
71. L'absence de toute mention correspondante dans le rapport présenté par le rapporteur à la Commission plénière confirme le fait que la question n'était pas controversée et qu'elle n'a pas fait l'objet d'une réelle discussion, comme expliqué au point 59 ci-dessus. Il est renvoyé au passage suivant du document R3 (page 195, chapitre C, I, Observation préliminaire : Le rapporteur estime devoir donner à la commission plénière un aperçu aussi complet que possible des délibérations du Comité principal I et des décisions qui en ont résulté. Dans ce but, les questions d'importance mineure ou concernant plus précisément la rédaction des textes ont été délibérément omises, même si elles ont conduit à modifier ces textes." Par exemple, l'avis unanime sur la correction des erreurs visé au point 669 du document R3 n'a pas non plus été mentionné par le rapporteur. En effet, son rapport se concentre sur les questions où les avis divergeaient véritablement. L'accord visé au point 665 n'ayant pas entraîné de modification du texte de l'article 125, il y avait encore moins de raisons de le mentionner.
B.2.3.4 Absence de preuve d'un accord définitif
72. La Grande Chambre ne voit aucune circonstance indiquant une absence d'accord définitif ou un changement de position. Il est improbable qu'un changement de position sur la question de la double protection par brevet puisse s'être produit sans qu'il en ait été fait mention dans le procès-verbal. En ce qui concerne l'accord, la seule divergence consignée était la déclaration de la délégation norvégienne au point 666 du document R3 (voir ci-dessus le point 60), expliquant, seulement après que l'accord majoritaire avait été constaté, pourquoi elle ne pouvait pas soutenir la proposition du Royaume-Uni. Le règlement intérieur prévoyait expressément que les délégations pouvaient procéder à une explication du vote, même après le vote (M/34, article 39). Il s'ensuit que le désaccord de la Norvège ne signifie pas que la question était encore en suspens. Une réouverture du débat était certes possible mais aurait été difficile : si une délégation souhaitait encore faire valoir l'avis selon lequel le principe de l'interdiction ou son application au moyen de l'article 125 était une erreur, elle aurait été contrainte de présenter une demande de nouvel examen, ce qui à son tour aurait requis une majorité des deux tiers (M/34, article 34).
73. De plus, s'il y avait eu un affaiblissement du soutien en faveur du consensus sur l'interdiction de la double protection par brevet, précédemment établi lors de la 6ème session et confirmé au point 665 du document R3, cela aurait également mérité d'être mentionné par le rapporteur du Comité principal I. Les délégations de la Commission plénière auraient nécessairement eu connaissance d'une telle situation au moment de présenter les textes à l'Assemblée plénière, tout comme les délégations de l'Assemblée plénière au moment du vote pour la Convention dans son ensemble, y compris l'article 125 sous forme inchangée. Le Président de l'OEB suit une argumentation similaire (au point 40) lorsqu'il affirme qu'un changement de position à un stade si tardif aurait été consigné dans le procès-verbal.
B.2.4 Accord au point 665 du document R3 en tant que moyen complémentaire d'interprétation en vertu de l'article 32 de la Convention de Vienne
74. L'article 32 de la Convention de Vienne mentionne aussi bien les travaux préparatoires que les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu comme moyens complémentaires d'interprétation. L'accord consigné au point 665 du document R3 doit être considéré comme faisant partie intégrante du processus législatif, et non comme étant censé constituer un accord ou un instrument distinct des parties pouvant relever de l'article 31(2)a) ou b) de la Convention de Vienne et exigeant le consentement de toutes les parties. Dans la mesure où les textes de la Convention pouvaient être adoptés par un vote à la majorité des deux tiers et où les projets d'articles pouvaient être établis par une majorité simple, il aurait été absurde de s'attendre à ce que des remarques explicatives soient adoptées à l'unanimité. L'Assemblée plénière de la Conférence diplomatique ayant accepté de charger le Comité principal I d'élaborer le projet d'article 125 au nom de l'Assemblée plénière (la Commission plénière étant également un organe de l'Assemblée plénière, cf. M/34, article 3(2)), toute interprétation de l'article 125 devait en toute logique être également examinée au sein du Comité principal I. Dans ce contexte, l'accord consigné au point 665 du document R3 a été établi conformément aux dispositions relatives à la prise de décision que la Conférence diplomatique s'était elle-même fixées, si bien qu'il constitue un moyen aussi adéquat que n'importe laquelle des dispositions expresses de la Convention pour déterminer l'intention commune des États contractants.
75. Il est exact que l'accord consigné au point 665 du document R3 n'est ni un accord au sens de l'article 31(2)a) de la Convention de Vienne, ni un instrument au sens de l'article 31(2)b) de la Convention de Vienne, comme l'indiquent aussi les observations du Président de l'OEB (point 42). Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un moyen adéquat et légitime pour déterminer l'intention des parties contractantes concernant le champ d'application et le sens de l'article 125 CBE, ainsi que de la Convention de manière générale. Puisqu'une interprétation conformément à l'article 31 de la Convention de Vienne, seul ou en combinaison avec la jurisprudence, ne peut pas lever l'ambiguïté autour de la question de la double protection par brevet, le sens de la Convention doit être déterminé en établissant l'intention des parties. Conformément à l'article 32 a) de la Convention de Vienne, il est possible de faire appel à cette fin aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu.
76. En résumé, l'affirmation selon laquelle il ne peut pas être tenu compte de l'accord majoritaire sur la double protection par brevet, tel que consigné au point 665 du document R3, pour interpréter la Convention n'est pas défendable. Les documents préparatoires démontrent avec une très forte certitude qu'il y a eu un accord réel et valable selon lequel l'Office européen des brevets devrait interdire la double protection par brevet en prenant en considération les principes de droit procédural généralement admis dans les États contractants, c'est-à-dire en application directe de l'article 125 CBE. De plus, il devait assurément y avoir un consensus entre les signataires potentiels de la Convention sur le fait que cet accord majoritaire intervenait au nom de l'Assemblée plénière de la Conférence diplomatique et qu'il était consigné aux fins de définir le champ d'application de l'article 125, et donc que le principe exprimé par cet accord faisait partie de la Convention.
B.3 Autres bases juridiques suggérées
77. Au vu de ces conclusions, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres dispositions proposées en tant que base juridique adéquate pour l'interdiction de la double protection par brevet, à savoir les articles 60(1), 63(1) et 76(1) CBE. Il n'est pas davantage nécessaire de déterminer les conditions concernant l'intérêt légitime à l'égard de la procédure, ou d'examiner s'il y a lieu de combler une lacune dans la Convention. L'analyse ci-dessus montre que l'interdiction découle de l'intention législative qui sous-tend la Convention et qu'il n'y a aucune lacune à combler.
B.4 Conséquence, pour l'article 125 CBE, de l'intention établie du législateur
78. L'article 125 CBE donne expressément à l'Office européen des brevets la faculté, et, d'ailleurs, lui donne peut-être même l'instruction ou l'obligation, de prendre en considération ("berücksichtigt", "take into account") les principes généralement admis du droit procédural dans les cas où la Convention reste muette. Par conséquent, puisque le législateur compétent, en l'occurrence la Conférence diplomatique, a constaté que sur un plan factuel, l'interdiction de la double protection par brevet est un principe généralement admis, et qu'il a précisé de surcroît que, sur le plan de l'interprétation du droit, il s'agit d'un principe qui relève de l'article 125 CBE, l'Office a ce faisant non pas seulement la faculté d'appliquer ce principe, mais en a de fait aussi l'obligation.
79. Au moment de la signature de la Convention, force était de considérer l'affirmation des délégations au point 665 du document R3 comme la preuve que le principe de l'interdiction de la double protection par brevet était un principe généralement admis dans les États contractants, et c'est donc à juste titre que l'Office a appliqué ce principe dès l'origine. La Grande Chambre n'a reçu aucune information indiquant que cette situation pouvait avoir changé, par exemple en raison de l'adhésion de nouveaux États contractants ou compte tenu de lois plus récentes dans les États contractants, et aucun argument n'a été présenté en ce sens. Par conséquent, il n'y a aucune raison de conclure que l'OEB ne devrait plus appliquer ce principe.
80. Des désignations au titre de l'article 79 CBE qui se recoupent constituent une condition préalable supplémentaire pour que l'interdiction s'applique. Ni l'affirmation décisive au point 665 du document R3, ni l'accord antérieur au point 49 du document R2 n'expliquent pourquoi l'OEB doit prendre cet aspect en considération. Cependant, il n'était pas nécessaire que le procès-verbal des discussions lors de la Conférence diplomatique mentionne expressément dans ce contexte la condition préalable liée au recoupement de l'effet territorial, puisque, selon le procès-verbal, ce principe avait son origine dans les États contractants et puisque ce principe constitue une caractéristique intrinsèque des brevets nationaux. Cela étant, les constatations du Groupe de travail I au point 118 du document R4, paragraphes 2 et 4 (citées au point 90 ci-dessous) montrent que le législateur était conscient du fait qu'il n'y a double protection par brevet qu'en cas de recoupement de désignations. En outre, si l'Office ne prenait pas cette condition préalable supplémentaire en considération, autrement dit s'il refusait de délivrer un deuxième brevet européen quelle que soit la situation au regard des désignations, l'effet d'une interdiction aussi stricte irait au-delà de la portée du principe national d'origine et priverait l'interdiction de son fondement juridique.
81. Pour toutes ces raisons, il doit être répondu par l'affirmative à la question 1.
C. Questions 2.1 et 2.2
C.1.1 Question 2.1
82. Les conclusions ci-dessus de la Grande Chambre confirment que, sur la question de la double protection par brevet en vertu de la CBE au sens étroit, l'intention du législateur peut être déduite des documents préparatoires à la Convention. Selon cette intention, l'interdiction est applicable à "la même invention pour laquelle des demandes ont été déposées à la même date". Compte tenu des termes généraux employés, il n'a probablement pas été envisagé de conditions différentes pour les cas de figure définis dans la question 2.1.
83. Le requérant a fait valoir que l'accord se limitait aux demandes ayant la même date de dépôt et que, pour cette raison, le cas de figure visé dans la question 2.1 c) n'était pas couvert. Cependant, comme le montrent les documents préparatoires, l'accord final mentionné au point 665 du document R3 était une confirmation de l'accord auquel il avait été parvenu précédemment lors de la 6ème réunion (point 49 du document R2). Il est signalé dans la décision de saisine que cet accord antérieur prévoyait aussi la condition de la même date de dépôt, mais que cela était sans doute une imprécision commise par inadvertance (point 56 des motifs). Il est raisonnable de supposer que cette imprécision a été reprise lorsque l'accord visé au point 665 du document R3 a été constaté et consigné. Comme indiqué au point 80 ci-dessus, la condition supplémentaire que l'Office a appliquée de manière constante et selon laquelle l'interdiction ne s'applique que lorsque la demande examinée et le brevet déjà délivré ont des désignations d'États en commun, n'est pas non plus contenue dans l'accord visé au point 665 du document R3.
84. De plus, l'accord visé au point 665 du document R3 ne doit pas être interprété comme une disposition juridique au sens classique, mais comme ce qu'il était censé être, à savoir l'expression d'un principe général. Par conséquent, on ne peut pas s'attendre à ce qu'il soit formulé avec la précision d'une disposition juridique. Dans ce contexte, la Grande Chambre estime que la condition relative à la même date qui est énoncée au point 665 du document R3 doit être interprétée comme désignant la même "date effective" conformément à l'explication donnée au point 18 des motifs de la décision de saisine, si bien que les demandes liées entre elles par une priorité commune sont elles aussi couvertes par l'interdiction.
C.1.2 Conclusions découlant du rapport sur la 10e réunion du Groupe de travail I (R4)
85. Le fait que l'interdiction de la double protection par brevet s'applique aux trois cas de figure visés dans la question de saisine 2.1 est confirmé par les parties des travaux préparatoires qui ont précédé la conclusion finale exprimée au point 665 du document R3. La Grande Chambre ne voit (et la décision de saisine n'expose) aucune raison de conclure que ces parties des travaux préparatoires qui traitent des divers aspects de cette question (l'applicabilité de l'interdiction dans les différents cas de figure visés dans la question 2.1) ne seraient pas une source fiable permettant d'étudier l'intention législative, ou que les positions qui y sont exprimées ont été remplacées ultérieurement par des positions contraires. Il n'y a pas non plus d'indication dans les travaux préparatoires ou ailleurs que, malgré l'absence de mention de conditions particulières, la constatation finale explicite du législateur, à savoir l'accord consigné au point 665 du document R3, était pour une quelconque autre raison censée ne pas être d'application générale. En effet, la chambre a considéré (point 55 des motifs) que les travaux préparatoires ne semblent pas admettre d'exception pour les demandes de brevet européen qui ont des dates de dépôt différentes mais une priorité commune, étant donné que, comme il ressort du document R4 (cf. points 117 à 120), la question de l'interdiction de la double protection par brevet a également été abordée en ce qui concerne de telles demandes, et non uniquement en ce qui concerne les demandes divisionnaires. D'autres décisions citées dans la décision de saisine, par exemple la décision T 2461/10 (supra, point 14), parviennent à la même conclusion.
86. La Grande Chambre approuve ces conclusions formulées dans la décision de saisine et dans la décision T 2461/10. Les points 117 et 118 du document R4 font apparaître clairement que l'intention du législateur d'exclure la protection du même objet couvrait non seulement les combinaisons de demandes "demande initiale-demande divisionnaire", mais aussi les demandes ayant une priorité commune, car les points précités contiennent tous deux une affirmation analogue en ce sens (voir également la décision de saisine, point 55 des motifs, où ces passages sont cités). D'un point de vue formel, le point 117 porte sur les demandes divisionnaires (article 137a du projet de Convention à ce moment-là), mais son premier paragraphe précise déjà que ces considérations s'étendent au cas des demandes parallèles (cas de figure a) de la question 2.1). Le point 118 traite explicitement des demandes ayant une priorité commune, ce qui démontre que l'interdiction est également applicable à ces demandes.
87. Il est également renvoyé au point 27 des observations du Président de l'OEB et à la décision T 2563/11 (supra, points 2.4et 2.5 des motifs), dans laquelle la chambre ayant statué a relevé que le point 120 du document R4 explique plus en détail pourquoi, dans le contexte des demandes divisionnaires, une disposition interdisant les revendications portant sur le même objet avait été supprimée, et pourquoi cela plaidait en faveur d'une interdiction de portée plus générale. La chambre est parvenue à la même conclusion au point 69 de la décision de saisine, dans le cadre de son analyse de l'article 76(1) CBE. Une comparaison entre le texte original et le texte modifié de l'article 137a (Demandes divisionnaires européennes) illustre ce point.
L'article 137a(2), tel qu'approuvé lors de la 9e réunion du Groupe de travail I (en octobre 1971), s'énonçait comme suit :
"(1)…
(2) Les revendications de la demande initiale et de toute demande divisionnaire ne peuvent porter sur un objet pour lequel une protection est sollicitée dans l'une des autres demandes. La description et les dessins ne doivent, si possible, se référer qu'à l'objet pour lequel une protection est sollicitée dans la demande en cause. Toutefois, s'il est nécessaire de décrire dans une demande l'objet pour lequel une protection est sollicitée dans une autre demande, référence doit être faite à cette autre demande."
(source : BR/134 f/71, voir les Observations préliminaires, point 2, où il est expliqué que ce projet reprenait le résultat de la 9e réunion du Groupe de travail I et qu'il ferait l'objet d'un examen lors de la 10e réunion ; ce passage est également cité au point 54 des motifs de la décision de saisine.)
Suite aux suppressions effectuées lors de la 10e réunion, l'article 137a(2) s'énonçait comme suit :
"(2) La description et les dessins de la demande initiale et de toute demande divisionnaire ne doivent, si possible, se référer qu'à l'objet pour lequel une protection est sollicitée dans la demande en cause. Toutefois, s'il est nécessaire de décrire dans une demande l'objet pour lequel une protection est sollicitée dans une autre demande, référence doit être faite à cette autre demande."
(source : BR/139 f/71, cf. R4, point 4)
88. À elles seules, ces suppressions dans le texte de l'article 137a du projet de Convention ne vont peut-être pas dans le sens d'une interdiction générale de la double protection par brevet et pourraient au contraire sembler entériner la possibilité de revendiquer un objet identique. L'explication correcte figure toutefois au point 120 susmentionné du document R4 et, à cet égard, il est plus instructif d'examiner la version allemande (BR/144 d/71) que la version anglaise (citée par le Président de l'OEB au point 27 de ses observations) : "Um einem Umkehrschluss aus Artikel 137 a Absatz 2 vorzubeugen, der dahin gehen könnte, dass - ausser bei Teilanmeldungen - die Patentansprüche späterer Anmeldungen denselben Gegenstand enthalten dürfen wie die Ansprüche früherer Anmeldungen, beschloss die Arbeitsgruppe, Satz 1 dieser Bestimmung zu streichen." La version allemande met plus clairement en évidence le fait que la suppression était destinée à éviter que l'on ne puisse tirer la conclusion inverse selon laquelle seules les demandes divisionnaires doivent porter sur un objet différent, tandis que les autres demandes déposées pourraient porter sur le même objet. La version française (BR/144 f/71) correspond à la version allemande. Ainsi, le point 120 du document R4 est conforme à la conclusion du raisonnement ci-dessus de la Grande Chambre, selon laquelle l'interdiction de la double protection par brevet est de portée générale et s'applique à tous les cas de figure visés dans la question 2.1.
89. La Grande Chambre estime donc que les travaux préparatoires ne font apparaître aucune circonstance ou condition particulière inhérente aux cas de figure identifiés qui permettrait de conclure qu'un traitement différent devrait être apporté à l'un ou à l'autre d'entre eux en ce qui concerne l'interdiction de la double protection par brevet. Il est répondu ce faisant à la question 2.1.
90. Le requérant a fait valoir par ailleurs que le point 118 du document R4 suggère (dernière phrase du quatrième paragraphe) qu'en cas de priorité interne, le législateur acceptait une durée de protection prolongée pour les États désignés à la fois dans la demande fondant la priorité et dans la demande ultérieure. Le passage correspondant s'énonce comme suit : "Le Groupe de travail est parvenu à la conclusion que le demandeur ne peut obtenir deux fois le même brevet pour la même invention et pour le même État désigné, même s'il revendique la priorité d'une demande de brevet européen antérieure. Mais il n'est pas nécessaire de régler cette question dans la Convention. D'après les dispositions actuelles de la Convention de Paris, il faut s'attendre à ce que la durée de validité d'un brevet puisse être prolongée pour l'État qui fait l'objet d'une double désignation".
91. Ce passage doit toutefois être lu à la lumière de la condition décrite à la fin du deuxième paragraphe du point 118 du document R4, à savoir la supposition que la demande antérieure aura été retirée dans l'intervalle : La plupart des délégations ont estimé qu'en principe les dispositions de l'article 73 de la Convention [Droit de priorité, correspondant pour l'essentiel à l'article 87 CBE 1973 et à l'article 87 CBE 2000] n'empêchent pas le demandeur de revendiquer pour une demande de brevet européen la priorité d'une demande antérieure de brevet européen, d'autant plus que l'article 8 du PCT prévoit cette possibilité pour des demandes internationales. Elles ont seulement émis des doutes quant à la licéité de désigner dans la nouvelle demande de brevet européen un État déjà désigné dans la demande antérieure car, pour cet État, la durée de validité du brevet pourrait ainsi être augmentée du délai qui s'est écoulé entre le dépôt de la première demande et celui de la demande ultérieure, si la première demande était retirée entre-temps" (c'est la Grande Chambre qui souligne). Au troisième paragraphe du point 118, le Groupe de travail a remarqué que le problème de la durée de validité plus longue se trouverait probablement résolu suite aux modifications prévues de la Convention de Paris. Par conséquent, la durée de validité prolongée telle que mentionnée peut être interprétée comme une combinaison de la durée de la protection au titre de l'article 64(1) CBE et de la durée de protection provisoire au titre de l'article 67(1) CBE (à l'époque articles 18 et 19, pour l'essentiel identiques aux articles correspondants de la CBE 1973 et de l'actuelle CBE). C'est pourquoi l'affirmation du Groupe de travail invoquée par le requérant ne concerne pas la situation de double protection par brevet au sens étroit, ni ne contredit l'affirmation explicite formulée précédemment par le Groupe de travail selon laquelle un deuxième brevet ne peut pas être délivré pour la même invention, même en cas de de priorité interne.
C.2 Question 2.2
92. Il ressort clairement des conclusions qui précèdent que l'intention du législateur en ce qui concerne l'interdiction de la double protection par brevet s'étend également aux demandes ayant une priorité commune. Comme indiqué plus haut, la réponse à la question 2.1 est que l'interdiction s'applique aux trois cas de figure définis. Il s'ensuit que la question 2.2 ne requiert pas de réponse distincte.
DISPOSITIF
Par ces motifs, il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :
1. Une demande de brevet européen peut être rejetée au titre des articles 97(2) et 125 CBE si elle revendique le même objet qu'un brevet européen qui a été délivré au même demandeur et n'est pas compris dans l'état de la technique au sens de l'article 54(2) et (3) CBE.
2.1 La demande en question peut être rejetée sur cette base juridique, indépendamment de la question de savoir
a) si elle a été déposée à la même date que la demande de brevet européen à l'origine du brevet européen déjà délivré, ou
b) si elle constitue une demande antérieure ou une demande divisionnaire (article 76(1) CBE) relative à une telle demande, ou encore
c) si elle revendique la même priorité (article 88 CBE) qu'une telle demande.
2.2 Compte tenu de la réponse à la question 2.1 une réponse distincte n'est pas nécessaire.