CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.4.2, en date du 17 décembre 1998 - T 315/97 - 3.4.21
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | E. Turrini |
Membres : | M. Chomentowski |
B. J. Schachenmann |
Titulaire du brevet/intimé : Minnesota Mining and Manufacturing Company
Opposant/requérant : Nippon Carbide Industries Co., Ltd. New Tokyo Building
Référence : Reformatio in pejus/Minnesota Mining
Article : 112(1)a) CBE
Mot-clé : "Reformatio in pejus"
Sommaire
La question de droit suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
Y a-t-il lieu de rejeter une revendication modifiée - par exemple par la suppression d'une caractéristique restrictive de la revendication - qui placerait l'opposant et unique requérant dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours ?
Exposé des faits et conclusions
I. L'intimé est titulaire du brevet européen n° 0 225 103, délivré avec vingt revendications sur la base de la demande de brevet européen n° 86 308 961.1, qui cite notamment la demande US-A-4 505 967 comme état de la technique.
La revendication 1 du brevet tel que délivré s'énonce comme suit :
"1 Méthode de fabrication d'une feuille rétroréfléchissante à lentilles encapsulées, qui comprend les étapes suivantes :
(1) on encastre partiellement sensiblement une monocouche de lentilles dans une feuille porteuse,
(2) on dépose une matière spéculairement réfléchissante sur la surface portant les lentilles de la feuille porteuse,
(3) par application de chaleur et de pression, on met en contact, avec un film de liant thermoplastique de haut poids moléculaire ayant un poids moléculaire moyen d'au moins 60 000 et un indice de viscosité à l'état fondu inférieur à 750, les parties du dépôt spéculairement réfléchissant qui sont sur les lentilles sans que le film touche aucune partie du dépôt spéculairement réfléchissant qui est sur la surface de la feuille porteuse, entre les lentilles,
(4) on enlève la feuille porteuse,
(5) on dépose un film de recouvrement sur les lentilles découvertes, et
(6) par application de chaleur et de pression, le long d'un réseau de lignes d'interconnexion, on ramollit et on déforme le film de liant de manière à l'amener en contact avec le film de recouvrement, afin de former des cellules hermétiquement fermées à l'intérieur desquelles les lentilles sont encapsulées et ont une interface d'air."
Les revendications 2 à 8 étaient des revendications de procédé dépendantes, et les revendications 9 à 20 des revendications de produit.
II. Une opposition a été formée contre le brevet pour absence de nouveauté et d'activité inventive au regard de plusieurs antériorités.
III. La division d'opposition a décidé de maintenir le brevet sous une forme modifiée. En particulier, l'étape 3 du procédé revendiqué a été modifiée comme suit (certaines des caractéristiques ajoutées sont indiquées en caractères gras) :
"3) on assemble contre la monocouche de lentilles dans la feuille porteuse un film de liant thermoplastique de haut poids moléculaire ayant un poids moléculaire moyen d'au moins 60 000, un changement graduel de viscosité dans un intervalle de température de 50°C dans l'intervalle de ramollissement indiqué par une réduction inférieure à un ordre de grandeur du module de perte mesuré en dynes par centimètre carré, et un indice de viscosité à l'état fondu inférieur à 750, on passe l'assemblage entre des rouleaux, la chaleur, la pression et le taux de passage entre les rouleaux étant sélectionnés de façon à encastrer les lentilles dans le film de liant thermoplastique et ce faisant à mettre en contact le film de liant thermoplastique avec le dépôt spéculairement réfléchissant sur les lentilles, mais sans qu'il y ait le moindre contact entre le film de liant thermoplastique et une partie quelconque du dépôt spéculairement réfléchissant qui est sur la surface de la feuille porteuse entre les lentilles."
IV. L'opposant - seul requérant - a formé un recours contre la décision intermédiaire de la division d'opposition de maintenir le brevet sous une forme modifiée.
V. Lors de la procédure orale qui s'est tenue le 17 décembre 1998 devant la Chambre, l'intimé (titulaire du brevet) a déposé au total treize jeux de revendications à titre principal et subsidiaire, dont certains figuraient déjà au dossier et avaient été examinés au cours de la procédure devant la division d'opposition.
La requête principale versée au dossier contient les revendications 1 à 8 telles que maintenues par la division d'opposition dans sa décision intermédiaire. Contre la revendication 1 selon cette requête, le requérant (opposant) a élevé une objection tirée d'une caractéristique introduite au cours de la procédure d'opposition. Elle concerne la définition du film de liant thermoplastique par son module de perte dans l'étape 3 du procédé revendiqué ("un changement graduel de viscosité indiqué par une réduction ... du module de perte mesuré en dynes par centimètre carré"). Le requérant a soutenu que cette caractéristique n'était pas claire (article 84 CBE), qu'elle s'étendait au-delà du contenu de la demande telle que déposée (article 123(2) CBE) et qu'elle définissait un objet qui n'était pas exposé de manière suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter (article 83 CBE).
La première requête subsidiaire consiste en un jeu de revendications qui se distingue de celui selon la requête principale en ce que la caractéristique contestée par le requérant a été supprimée dans la revendication 1.
Parmi les autres requêtes subsidiaires, certaines maintiennent, au moins en partie, la caractéristique supprimée dans la première requête subsidiaire et/ou contiennent des modifications supplémentaires. Ainsi, dans la septième requête subsidiaire, la revendication 1 comprend de nouveau cette caractéristique ainsi que, de surcroît, des caractéristiques qui précisent les moyens utilisés pour le chauffage et la pression et qui ne figurent pas dans la première requête subsidiaire.
Dans sa dernière requête subsidiaire, l'intimé demande le renvoi de l'affaire à la division d'opposition, aux fins de réexaminer la brevetabilité de tous les jeux de revendications.
Le requérant, pour sa part, demande que toutes les requêtes présentées par l'intimé soient examinées quant à leur clarté et à la "reformatio in pejus" et que les questions suivantes soient soumises à la Grande Chambre de recours :
"1) Y a-t-il lieu de rejeter une revendication modifiée qui, si elle était admise par la chambre de recours, placerait l'opposant et unique requérant dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours ? (cf. T 923/92, JO OEB 1996, 564 contre T 752/93, en date du 16 juillet 1996, non publiée au JO OEB);
2) S'il est répondu par la négative à cette question, est-il utile dans ces circonstances de renvoyer l'affaire à la division d'opposition pour suite à donner ?
VI. A l'appui de ses requêtes, le requérant a développé les arguments suivants.
La requête principale de l'intimé mentionne notamment "un changement graduel de viscosité ... en dynes par centimètre carré", caractéristique qui ne figure pas textuellement dans les revendications de la demande telle que déposée ou dans les revendications du brevet tel que délivré, mais qui se fonde sur une référence dans la demande initiale au document USA-4 505 967. La requête principale n'est pas claire, étant donné qu'elle ne précise pas sans ambiguïté quels fils de liant thermoplastique de haut poids moléculaire sont couverts par la présente formulation de la revendication comprenant la caractéristique susmentionnée.
Cette caractéristique a été supprimée dans la première requête subsidiaire de l'intimé. La protection conférée par le brevet a ainsi été étendue aux méthodes de fabrication d'une feuille rétroréfléchissante à lentilles encapsulées utilisant un film de liant thermoplastique de haut poids moléculaire qui ne présente pas "un changement graduel de viscosité ... en dynes par centimètre carré", comme c'était le cas pour le procédé selon la revendication 1 maintenue dans la décision intermédiaire.
Or, la Grande Chambre de recours a constaté dans sa décision G 9/92, JO OEB 1994, 875 (cf. en particulier le sommaire II) ainsi que dans sa décision G 4/93, dont le texte est identique à celui de la décision G 9/92, que si l'opposant est l'unique requérant contre une décision intermédiaire maintenant le brevet dans sa forme modifiée, le titulaire du brevet ne peut en principe que défendre le brevet tel qu'approuvé par la division d'opposition dans sa décision intermédiaire. La chambre de recours peut rejeter toutes les modifications proposées par le titulaire du brevet en sa qualité de partie à la procédure conformément à l'article 107, deuxième phrase CBE, si ces modifications ne sont ni utiles, ni nécessaires.
En l'espèce, il n'est donc pas loisible à l'intimé de supprimer tout simplement la caractéristique litigieuse dans la revendication 1, car il en résulterait au stade du recours une extension considérable de la protection conférée par le brevet, ce qui préjudicierait au requérant. Si la Chambre devait juger une telle modification admissible, le requérant envisagerait de retirer le recours. L'intimé ne peut quant à lui que limiter le film de liant thermoplastique selon la revendication 1 à deux résines spécifiques qui sont expressément mentionnées dans le brevet opposé et qui s'avèrent présenter le module de perte défini par la caractéristique contestée.
Si la Chambre devait nourrir le moindre doute à ce sujet et être encline à ne pas suivre la décision G 9/92, les questions devraient être soumises à la Grande Chambre de recours.
VII. A l'appui de ses requêtes, l'intimé a pour l'essentiel fait valoir les arguments suivants.
Le lecteur averti est en mesure de déterminer quel film de liant thermoplastique de haut poids moléculaire est couvert par la présente formulation comprenant la caractéristique "un changement graduel de viscosité ... en dynes par centimètre carré", même s'il ne choisirait pas certains de ces matériaux pour d'autres raisons techniques. La revendication 1 selon la requête principale est donc claire.
S'agissant de la recevabilité de la première requête subsidiaire, il convient de tenir compte de ce qui suit :
En premier lieu, si la caractéristique contestée de la revendication 1 selon la requête principale devait être jugée sans importance, sa suppression - par laquelle on en arrive à la première requête subsidiaire - n'a alors pas pour effet d'étendre la protection conférée.
En second lieu, selon la décision G 9/92 (cf. point 16 des motifs), la Chambre peut rejeter les modifications proposées par le titulaire du brevet et intimé au cours de la procédure de recours si elles ne sont ni utiles, ni nécessaires, ce qui est le cas lorsqu'elles ne sont pas occasionnées par le recours.
Or, en l'espèce, dans la mesure où la caractéristique "un changement graduel de viscosité ... en dynes par centimètre carré" a été supprimée pour lever l'objection selon laquelle cette caractéristique est source d'ambiguïté, la modification proposée dans la première requête subsidiaire au stade du recours était utile et nécessaire, au sens de la décision G 9/92, en ce qu'elle était occasionnée par le recours. Elle ne devrait donc pas être rejetée. Cela est également conforme à la décision T 752/93, qui a constaté que de telles modifications pourraient effectivement étendre la portée des revendications telles que maintenues par la division d'opposition.
En tout état de cause, même si l'intimé ne s'oppose pas à une saisine de la Grande Chambre de recours sur la question de la "reformatio in pejus" en rapport avec la première requête subsidiaire, il se féliciterait de voir la Chambre lui faire part de ses observations sur la recevabilité et l'admissibilité des jeux de revendications selon les autres requêtes subsidiaires, dont certaines contiennent la caractéristique contestée dans la revendication 1.
Motifs de la décision
1. Le recours répond aux conditions énoncées aux articles 106, 107 et 108 CBE ainsi qu'aux règles 1(1) et 64b) CBE; il est donc recevable.
2. Requête principale
2.1 La revendication 1 selon la requête principale de l'intimé comprend à l'étape 3 la caractéristique selon laquelle le film de liant de haut poids moléculaire est tel qu'il présente "un changement graduel de viscosité dans un intervalle de température de 50°C dans l'intervalle de ramollissement indiqué par une réduction inférieure à un ordre de grandeur du module de perte mesuré en dynes par centimètre carré".
Cette caractéristique a été ajoutée, lors de la procédure d'opposition, à la revendication 1 du brevet tel que délivré, afin de préciser le type de film de liant thermoplastique de haut poids moléculaire à utiliser dans l'étape 3 du procédé et de limiter ainsi le procédé par rapport à celui selon la revendication 1 du brevet tel que délivré, laquelle ne donne aucune précision sur le matériau du film de liant.
Cette caractéristique supplémentaire ne figurait pas textuellement dans les revendications de la demande telle que déposée, et il n'a pas été contesté que la modification correspondante du brevet litigieux se fondait sur un passage de la description de la demande telle que déposée (cf. page 3, lignes 30 à 35), qui s'énonce comme suit :
"Les meilleurs résultats sont obtenus, lors de la mise en oeuvre de cette invention, lorsque la résine du liant thermoplastique de haut poids moléculaire présente un changement graduel de viscosité dans un intervalle important de températures, comme l'enseigne le brevet US n°4 505 967 (Bailey), colonne 8, lignes 16 à 59, et fig. 6."
La figure 6 du brevet US-A-4 505 967 présente un ensemble de graphiques A à E de module de perte en dynes par centimètre carré en fonction d'une température en degrés Celsius pour une variété de matériaux polymériques présentant une propriété utile à l'obtention de la feuille rétroréfléchissante de l'invention qui y est divulguée. Toutefois, selon ce document, seuls les matériaux ayant les propriétés représentées sur les courbes A et B permettaient d'obtenir les "meilleurs résultats".
2.2 A ce propos, la Chambre a fait observer au cours de la procédure orale que la figure 6 du document cité présentait un ensemble de courbes A à E et qu'outre les courbes A et B correspondant aux matériaux utiles à l'invention, au moins la courbe E semblait également satisfaire à la condition de la caractéristique ajoutée dans la revendication 1. En réponse à la question de savoir si les procédés utilisant le matériau selon la courbe E étaient également couverts par la revendication 1 selon la requête principale, l'intimé a déclaré que si ce matériau pouvait être moins adapté pour d'autres raisons, de sorte que l'homme du métier ne l'utiliserait pas dans le but prévu, il n'en était pas moins compris dans la revendication.
Or, on notera que, dans ce cas, il existe une certaine ambiguïté. Telle qu'il est formulé, le passage de la présente description renvoyant au document US-A-4 505 967 et commençant par les termes "Les meilleurs résultats ..." peut être interprété comme se rapportant à l'ensemble des courbes A à E, alors que selon le passage visé dans ce document, seuls les matériaux représentés sur les courbes A et B de la figure 6 du document US-A-4 505 967 permettent d'obtenir les "meilleurs résultats".
Par conséquent, l'homme du métier n'est pas en mesure d'établir à partir du libellé de la revendication 1, interprétée à la lumière de la description et des dessins, quels sont les matériaux qu'il est prévu d'utiliser pour le film de liant dans l'étape 3 du procédé selon cette revendication, à savoir soit uniquement ceux des courbes A et B, soit ceux des courbes A, B et au moins E.
2.3 Par ces motifs, la Chambre ne saurait envisager de faire droit à la requête principale de l'intimé. Il est déterminant pour la suite de la procédure de savoir si la première requête subsidiaire de l'intimé peut être accueillie.
3. Les requêtes subsidiaires
3.1 Dans la première requête subsidiaire de l'intimé, la caractéristique susmentionnée a été supprimée. La protection conférée par le brevet se trouve ainsi étendue aux procédés de fabrication d'une feuille rétroréfléchissante à lentilles encapsulées qui ne sont pas limitées à l'utilisation d'un film de liant thermoplastique présentant "un changement graduel de viscosité sur un intervalle de température de 50°C dans l'intervalle de ramollissement indiqué par une réduction inférieure à un ordre de grandeur du module de perte mesuré en dynes par centimètre carré", comme c'était le cas pour le procédé selon la revendication 1 maintenue par la décision intermédiaire.
L'argument de l'intimé selon lequel si la caractéristique critiquée de la revendication 1 selon la requête principale est sans importance, sa suppression, par laquelle on en arrive à la première requête subsidiaire, n'a pas pour effet d'étendre la protection, n'est pas convaincant. Il est en effet objecté à l'encontre de cette caractéristique non pas qu'elle est sans importance, mais qu'elle prête à équivoque en ce qui concerne les films de liants qu'elle couvre, telle qu'elle est formulée. Ainsi, il n'a pas été contesté que les matériaux du film de liant correspondant aux courbes A et B de la figure 6 du document US-A-4 505 967 visé dans la présente description répondent à la condition de ladite caractéristique. En revanche, il n'apparaît pas clairement si cela vaut aussi pour les matériaux présentant les caractéristiques de la courbe E de cette figure (cf. point 2.1 supra).
3.2 En l'espèce, il ne saurait donc être contesté que la modification conduisant à la première requête subsidiaire et consistant à supprimer la caractéristique "un changement graduel de viscosité ... en dynes par centimètre carré" de l'étape 3) de la revendication 1 a pour effet d'étendre la protection et ainsi de placer le requérant dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours. Cela pourrait tenir soit à l'extension de la protection conférée par le brevet litigieux, soit à un préjudice financier dû aux frais que le requérant aurait inutilement exposés pour le recours s'il se voit obligé, comme il l'a déclaré à la procédure orale, de retirer le recours et donc d'accepter le brevet litigieux sous une forme appelant des objections.
Il n'est pas non plus contesté que la suppression demandée découle du recours et qu'elle pourrait être jugée utile et nécessaire, étant donné qu'elle vise à répondre à une objection soulevée durant la procédure de recours.
S'agissant de la première requête subsidiaire de l'intimé, la question décisive à trancher est donc de savoir si, en l'espèce, il y a lieu de rejeter la modification - à savoir la suppression de la caractéristique restrictive figurant dans la revendication 1 - qui a été proposée par le titulaire du brevet, lequel n'a pas formé de recours, et qui placerait l'opposant et unique requérant dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas fait recours, et ce même si elle résulte du recours.
3.3 Dans la décision T 923/92 (JO OEB 1996, 564, points 40 à 42 des motifs), la chambre a déclaré que "comme dans l'affaire G 4/93 (...), il y a lieu de rejeter les requêtes modifiées qui, si la chambre y faisait droit, placeraient le requérant dans une situation pire que s'il n'avait pas formé de recours". Elle a ajouté qu'il y a donc lieu d'examiner si la revendication modifiée a une portée plus large que les revendications maintenues par la division d'opposition. La chambre ayant conclu, dans les circonstances de l'espèce, que la portée était la même dans les différentes requêtes et qu'en conséquence, les requérants ne se trouveraient pas dans une situation plus défavorable, elle a finalement fait droit à la requête contenant la revendication modifiée.
Dans l'affaire qui a donné lieu à la décision T 579/94 en date du 18 août 1998 (point 2.1 des motifs), le titulaire du brevet, qui n'avait pas formé recours, avait produit un nouveau jeu de revendications en réponse à une objection élevée au titre de l'article 123(2) CBE à l'encontre d'une revendication maintenue sous une forme modifiée par la division d'opposition. Le nouveau jeu de revendications avait une portée plus large que les revendications sur lesquelles se fondait la décision intermédiaire. La chambre a donc estimé que si elle admettait ce nouveau jeu de revendications, elle enfreindrait le principe de "l'interdiction de la reformatio in pejus" énoncé dans les décisions G 9/92 et G 4/93. Selon elle, le fait que les nouvelles revendications aient été déposées en réponse à une objection ne justifiait pas que l'on dérogeât au principe susmentionné, et cela d'autant moins que ce n'était pas le seul moyen de répondre à l'objection en question.
3.4 A l'inverse, il a été relevé dans la décision T 752/93 en date du 16 juillet 1996 (exergue et points 2.3 et 2.4 des motifs) que dans une situation telle que celle qui est exposée ci-dessus, il importe peu que les modifications demandées par le titulaire du brevet qui n'a pas formé de recours entraînent une restriction ou une extension de la protection conférée par le brevet maintenu sous une forme modifiée par la division d'opposition dès lors que les modifications sont utiles et nécessaires et qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions de l'article 123(3) CBE.
Dans l'affaire T 1002/95 en date du 20 février 1998 (points 3.1 à 3.5 des motifs), l'opposant et unique requérant avait contesté la recevabilité d'une modification qui remédiait à une irrégularité selon l'article 123(2) CBE dans une revendication maintenue par la division d'opposition. L'irrégularité étant indépendante des objections qu'il avait formulées au stade du recours, il a considéré qu'il se trouvait dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours. La chambre a cependant estimé qu'un titulaire du brevet qui n'a pas formé de recours est en droit d'effectuer des modifications de sa propre initiative, même si ces modifications, bien qu'ayant été apportées pour pouvoir répondre à un motif d'opposition visé à l'article 100 CBE, ne résultaient pas du recours formé par l'opposant. La chambre s'est référée à la nouvelle règle 57bis CBE, qui autorise explicitement et sans limite de temps les modifications de la description, des revendications et des dessins d'un brevet, dans la mesure où ces modifications sont apportées pour pouvoir répondre à des motifs d'opposition, même si le motif en cause n'a pas été invoqué par l'opposant. Il est donc satisfait aux exigences énoncées dans les décisions G 9/92 et G 4/93, lorsque la modification n'est pas occasionnée par le recours mais un motif d'opposition.
3.5 Il ressort des décisions susmentionnées que la jurisprudence des chambres de recours n'est pas uniforme. Certaines décisions soulignent le principe selon lequel l'opposant et unique requérant ne doit pas être placé dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours (point 3.3 supra). Il découle de ce principe que la portée des revendications maintenues sous une forme modifiée par la division d'opposition fait obstacle à toute modification, sollicitée par le titulaire qui n'a pas formé de recours, entraînant une extension de la portée des revendications. D'autres décisions (cf. point 3.4 supra) énoncent quant à elles que le seul critère à appliquer pour admettre de telles modifications consiste à savoir si celles-ci sont utiles et nécessaires - qu'elles soient occasionnées par le recours ou un motif d'opposition -, même s'il en résulte une extension des revendications à la base de la décision intermédiaire ayant fait l'objet du recours.
Le fait que cette question de droit ait été soulevée à plusieurs reprises après que la Grande Chambre de recours a rendu les décisions G 9/92 et G 4/93 en 1994 et que, dans au moins trois cas, les parties aient demandé la saisine de la Grande Chambre de recours sur ce point (T 752/93, T 812/94 du 14 mars 1996 et la présente affaire) témoigne de l'incertitude juridique que suscite cette jurisprudence parmi les parties.
3.6 Aussi la Chambre estime-t-elle qu'il est nécessaire d'établir clairement quel est celui des critères énoncés dans la décision G 9/92 qui doit l'emporter, à savoir le fait que l'unique requérant soit placé dans une situation plus défavorable, d'une part, et l'utilité et la nécessité des modifications, d'autre part. Comme indiqué précédemment, une décision est requise à cet effet.
Il s'ensuit donc que les deux conditions prévues à l'article 112(1)a) CBE pour saisir la Grande Chambre de recours sont remplies. La question soulevée est une question de droit d'importance fondamentale, puisqu'elle concerne à la fois les droits des parties à la procédure de recours et les compétences des chambres de recours. En outre, compte tenu de ce que des décisions antérieures ont donné des priorités différentes aux critères définis dans la décision G 9/92, la saisine vise également à assurer une application uniforme du droit.
En conséquence, il se pose la question de savoir dans quelles circonstances une modification des revendications sollicitée par le titulaire et intimé est admissible si elle a pour effet de placer l'opposant et unique requérant dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La question de droit suivante est soumise à la Grande Chambre de recours:
Y a-t-il lieu de rejeter une revendication modifiée - par exemple par la suppression d'une caractéristique restrictive de la revendication - qui placerait l'opposant et unique requérant dans une situation plus défavorable que s'il n'avait pas formé de recours ?