CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision intermédiaire de la Chambre de recours technique 3.3.2, en date du 26 février 1993 - T 815/90 - 3.3.2*
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | P.A.M. Lançon |
Membres : | U.M. Kinkeldey |
| R.L.J. Schulte |
Demandeur : Etats-Unis d'Amérique, représentés par le ministère du commerce des Etats-Unis d'Amérique
Référence : Virus de l'hépatite A/ETATS-UNIS D'AMERIQUE
Article : 83, 112(1)a) CBE
Règle : 28 CBE
Mot-clé : "Exposé suffisant de l'invention" - "Indication du numéro de dépôt d'une culture" - "Question soumise à la Grande Chambre de recours"
Sommaire
La question suivante est soumise à la Grande Chambre de recours :
L'indication du numéro de dépôt d'une culture conformément à la règle 28(1)c) CBE peut-elle être communiquée après l'expiration du délai fixé à la règle 28(2)a) CBE ?
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n° 85 904 746.6, déposée le 18 septembre 1985, revendiquant une priorité du 19 septembre 1984 et publiée sous le n° WO-A-86/01826 a été rejetée par la division d'examen. Le rejet se fondait sur neuf revendications déposées le 10 février 1989. Les revendications 1 et 7 s'énonçaient comme suit :
"1. Composition uniforme du virus atténué vivant de l'hépatite A adaptée pour provoquer une réaction de production d'anticorps chez des primates supérieurs, caractérisée en ce que la composition est constituée de matériel triplement cloné des souches ATCC VR2097, VR2098 ou VR2099.
7. Méthode de production d'une composition uniforme du virus atténué vivant de l'hépatite A, comprenant l'étape de dilution en série du virus de l'hépatite A non cloné ATCC VR2097, VR2098 ou VR2099 et d'inoculation de chaque dilution dans une culture de cellules de mammifères séparée ainsi que de mise en culture de cette dernière et de récupération des particules de virus cloné, ladite étape étant répétée au moins deux fois afin de produire à partir de là un lot de semence mère pour l'obtention d'une composition de vaccin."
II. La demande a été rejetée au motif qu'elle ne répondait pas aux conditions posées à l'article 123(2) CBE, parce que la mention de trois clones portant respectivement les numéros de dépôt VR2097, VR2098 et VR2099 constituait un objet s'étendant au-delà de l'exposé initial de l'invention.
Pour faire le tour de la question et compte tenu de l'éventualité d'un recours du demandeur, la division d'examen a en outre fait observer que, même si l'indication des numéros de dépôt des trois clones avait été acceptable d'un point de vue formel au titre de l'article 123(2) CBE, le problème de leur dépôt tardif par rapport aux conditions fixées par la règle 28(2)a) CBE ne se serait pas moins posé. Elle a déclaré que bien que connaissant certainement la décision J 8/87 (JO OEB 1989, 9), qui traitait d'un problème similaire, elle ne se sentirait pas liée par celle-ci en l'espèce, mais inclinerait plutôt à suivre une décision rendue par une autre division d'examen (publiée dans le JO OEB 1990, 156) par laquelle une demande avait été rejetée en raison de la communication tardive du numéro de dépôt d'un micro-organisme.
III. Le requérant a formé un recours contre cette décision, acquitté la taxe correspondante et déposé un mémoire exposant les motifs du recours.
IV. Par une lettre en date du 21 août 1991, le requérant a déposé un jeu de nouvelles revendications 1 à 7, dont les revendications 1 et 6 s'énoncent comme suit :
"1. Composition uniforme du virus atténué vivant de l'hépatite A adaptée pour provoquer une réaction de production d'anticorps chez des primates supérieurs, caractérisée en ce que la composition est constituée de matériel triplement cloné de la souche HM-175 (VR2093), en ce que le matériel est issu d'au moins 10 à 30 passages et en ce que le triple clonage est effectué par dilution terminale.
6. Méthode de production d'une composition uniforme du virus atténué vivant de l'hépatite A, comprenant l'étape de dilution en série du virus de l'hépatite A non cloné HM-175 (ATCC VR2093) et d'inoculation de chaque dilution dans une culture de cellules de mammifères séparée ainsi que de mise en culture de cette dernière et de récupération des particules de virus cloné, ladite étape étant répétée au moins deux fois afin de produire à partir de là un lot de semence mère pour l'obtention d'une composition de vaccin."
Le requérant a en outre produit une déclaration sous serment établie au nom du National Institute of Health (NIH) des Etats-Unis d'Amérique.
Le requérant allègue, pour l'essentiel, que du fait de la suppression des numéros de dépôt des trois clones qui figuraient dans le jeu de revendications soumis à la division d'examen, le motif de rejet de la demande, à savoir la non-conformité des revendications avec l'article 123(2) CBE, ne tient plus.
Selon lui, bien que le numéro de dépôt figurant maintenant dans les revendications 1 et 6 n'ait pas été communiqué dans le délai de 16 mois visé à la règle 28(2)a) CBE, cela n'empêche pas nécessairement la demande de satisfaire à la condition d'exposé suffisant de l'invention au sens de l'article 83 CBE, car le public pouvait quand même accéder à chaque souche concernée du virus de l'hépatite A, comme l'exige la règle 28 CBE, ce qui ressort clairement de la politique du NIH telle qu'elle est expliquée dans ladite déclaration sous serment.
V. A titre préliminaire, la Chambre a émis un avis qu'elle a communiqué au requérant dans ces termes : la condition d'exposé suffisant de l'invention n'est remplie ni par la description écrite contenue dans la demande, ni par la politique du NIH, et la question de la communication tardive du numéro de dépôt figurant maintenant dans les revendications 1 et 6 est donc devenue décisive. La Chambre a indiqué qu'elle ne suivrait pas la décision J 8/87 de la chambre de recours juridique (cf. point II supra) et que, dans ces conditions, il faudrait saisir la Grande Chambre de recours, conformément aux dispositions de l'article 112 CBE.
VI. Le requérant demande que la décision de la division d'examen soit annulée et que la demande de brevet donne lieu à la délivrance d'un brevet sur la base des revendications déposées le 23 août 1991 ou bien que l'affaire soit renvoyée à la division d'examen pour poursuite de la procédure.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. Les revendications sur lesquelles se fonde le présent recours ne font plus référence aux numéros de dépôt VR2097, VR2098 et VR2099 dont la division d'examen considérait qu'ils contrevenaient aux dispositions de l'article 123(2) CBE, et le motif de rejet des revendications invoqué par la division d'examen n'est donc plus pertinent.
Envisageant tous les aspects de la question, la division d'examen avait déclaré explicitement au point V de sa décision que si elle avait eu à statuer en se fondant sur la communication tardive du numéro de dépôt, elle aurait suivi une décision d'une autre division d'examen (cf. point II supra) plutôt que la décision J 8/87 (cf. ce même point supra).
C'est précisément ce problème qui est au centre du débat concernant les revendications sur lesquelles se fonde le recours et qui se réfèrent à un numéro de dépôt.
3. Aux termes de l'article 83 CBE, l'invention doit être exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Lorsque cette condition ne peut être remplie au moyen d'une description écrite, parce que l'invention concerne un procédé microbiologique ou un produit obtenu par un tel procédé et comporte l'utilisation d'un micro-organisme auquel le public n'a pas accès, la règle 28(1) CBE précise que l'invention "n'est considérée comme exposée conformément aux dispositions de l'article 83 que si :
a) une culture du micro-organisme a été déposée, au plus tard à la date de dépôt de la demande, auprès d'une autorité de dépôt habilitée ;
b) la demande telle que déposée contient les informations pertinentes dont dispose le demandeur sur les caractéristiques du micro-organisme et
c) la demande comporte l'indication de l'autorité de dépôt et le numéro de dépôt de la culture".
3.1 Exposé suffisant par une description écrite
3.1.1 Selon la description écrite, l'invention telle qu'elle est maintenant revendiquée dans les revendications 1 à 6 se comprend comme le fait que l'on a constaté qu'un virus de l'hépatite A humaine HM-175 adapté aux cultures de cellules, aux passages 10 et 20 dans une culture de cellules primaires de rein de singe vert africain, était atténué dans le cas de chimpanzés auxquels on l'avait inoculé, mais produisait des séroconversions, comme cela s'est manifesté par l'induction d'anticorps de l'hépatite A sans preuve biochimique de maladie du foie (page 2, lignes 13 à 18, et tableau 1). Des lots de semence mère de la souche HM-175 du virus de l'hépatite A ont été clonés trois fois par dilution terminale aux niveaux de passage 10, 20 et 30 (figure 2). Deux clones du niveau de passage 20 ont fait l'objet d'une évaluation en vue de prouver l'atténuation chez les chimpanzés. Les deux clones testés n'ont entraîné qu'une faible hépatite, voire pas d'hépatite du tout, chez les chimpanzés auxquels ils avaient été inoculés. Avec le clone n° 1, un anticorps a été produit chez trois animaux sur six auxquels il avait été inoculé, et avec le clone n° 2 chez trois animaux sur quatre. L'utilisation de matériel viral triplement cloné de la souche HM-175 du virus de l'hépatite A montre qu'il s'agit d'un vaccin efficace pour les chimpanzés en tant que virus vivant (page 3, lignes 2 à 12).
La souche HM-175 du virus de l'hépatite A humaine est décrite dans "Infection and Immunity", 32 (1), avril 1981, pages 388 à 393 (document (1)). Ce document est mentionné dans la demande en cause, plus précisément de la page 3, ligne 35, à la page 4, première ligne de la description.
3.1.2 Trois exemples donnés dans la description indiquent comment est exécutée l'invention ; ils concernent le clonage du virus (exemple 1), l'utilisation du matériel de semence mère (exemple 2) et l'inoculation aux animaux (exemple 3).
La description ne contient aucune indication sur l'endroit où trouver et/ou la façon de créer cette souche du virus de l'hépatite A humaine, mais mentionne à ce propos le document (1).
3.1.3 Ce qui est divulgué dans ce document peut être considéré comme étant décrit par référence dans la demande de brevet en cause (cf. décision T 6/84, JO OEB 1985, 238). Il s'agit du virus de l'hépatite A humaine, propagé dans des cultures de cellules primaires de rein de singe vert africain. Trois souches de virus de l'hépatite A ont été utilisées MS-1, SD-11 et HM-175. La souche HM-175 a produit l'immunofluorescence la plus intense, et c'est donc cette souche qui a fait l'objet de passages successifs dans la culture cellulaire. Cette souche a été obtenue lors d'une épidémie qui avait éclaté en Australie et recueillie sur un malade (cf. page 388, colonne de droite, sous "Materials and Methods", 6e et 7e lignes). On a pensé qu'elle pouvait s'avérer utile comme source d'antigène pour des tests sérologiques et éventuellement comme souche pour un vaccin. Dans cet article scientifique, les souches particulières MS-1, SD-11 et HM-175 ont fait l'objet d'une comparaison et les auteurs de l'article ont conclu que les résultats suggéraient des différences entre les souches en ce qui concerne leur aptitude à se développer in vitro. La souche HM-175, soit isolée directement, soit après passage dans un ouistiti, a produit régulièrement plus d'antigène viral que les souches MS-1 ou SD-11 (cf. page 391, colonne de droite, sous "Discussion", deuxième paragraphe).
3.1.4 Ceci signifie que l'utilisation de la souche HM-175 n'est pas arbitraire, mais est décisive pour l'invention et que, par conséquent, l'homme du métier qui cherche à reproduire l'invention telle qu'elle est revendiquée dans les revendications 1 à 6 a besoin du matériel biologique isolé à l'époque lors d'une épidémie d'hépatite en Australie.
Aussi, la Chambre conclut-elle que l'invention ne peut pas être reproduite à partir des informations fournies par écrit.
3.2 Accès du public au matériel biologique
3.2.1 La Chambre a examiné la question de savoir si l'on peut ou non dire que l'invention a été suffisamment exposée ; en effet, les auteurs du document (1) ont peut-être cultivé et conservé la souche en question dans leur laboratoire et peut-être été soumis à une obligation irrévocable de la fournir à toute personne désirant l'obtenir, ce qui rendrait de fait accessible la souche HM-175. Si tel est le cas, ladite souche peut être considérée comme ayant été rendue accessible au public, par analogie avec les dispositions de la règle 28(1) CBE.
3.2.2 L'argumentation du requérant va dans ce sens ; à l'appui du recours, il a produit une déclaration établie sous serment par le directeur de l'Office of Technology Transfer, M. Adler, qui atteste que les auteurs de l'article scientifique (document (1)) sont aussi les inventeurs mentionnés dans la demande en cause. Ils travaillent en outre dans les services du National Institute of Health (NIH), qui est lui-même un organisme du requérant, les Etats-Unis d'Amérique, et sont tenus d'observer la politique du NIH en matière de diffusion et d'accessibilité au public des matériels biologiques nouvellement mis au point.
M. Adler a attesté que le NIH soutient et encourage le libre échange de matériel biologique avec les chercheurs et le grand public. Cette politique est exposée dans le "NIH Guide for Grants and Contracts" (Guide du NIH portant sur l'octroi de subventions et sur la passation de contrats pour des travaux de recherche) et est en vigueur au moins depuis le 30 mars 1984, c.-à-d. avant la date du document de priorité concernant la demande de brevet en cause. Par conséquent, les agents travaillant pour la recherche au NIH s'y connaissent dans l'application de cette politique décrite dans ce guide et remettent régulièrement aux personnes qui le demandent des matériels biologiques tels que des virus. Du fait qu'une telle politique doit tenir compte des droits de brevet, ces matériels biologiques uniques ne sont généralement pas rendus accessibles avant la publication des résultats de la recherche correspondants. Toutefois, dès que cette exigence est satisfaite, des échantillons sont remis sur demande aux chercheurs et au grand public.
3.2.3 De l'avis de la Chambre, ces indications montreraient notamment que le public ne pouvait pas accéder, comme l'exigent les dispositions de l'article 83 ensemble la règle 28 CBE, au matériel biologique mentionné dans le document (1), en raison des droits de brevet à respecter, ainsi que le démontre précisément la demande de brevet en cause. Comme il ressort du document "NIH policy relating to reporting and distribution of unique biological materials produced with NIH funding", (Politique du NIH relative à la déclaration et à la diffusion de matériels biologiques dont la production est financée par le NIH), au paragraphe B "NIH policy on reporting of newly developed materials" (Politique du NIH concernant la déclaration de matériels nouvellement mis au point), il est rappelé aux personnes effectuant des recherches que les matériels biologiques uniques ou nouveaux et leurs produits sont considérés comme des inventions et sont donc soumis aux différentes lois et réglementations sur les brevets. Par conséquent, le NIH demande que les personnes ou entreprises auxquelles sont octroyées des subventions ou avec lesquelles sont passés des contrats pour l'exécution de travaux de recherche observent les règlements ou clauses y afférents concernant l'obligation de déclarer les inventions au NIH.
3.2.4 En outre, et cela est tout aussi important, il n'est dit nulle part que le NIH a l'obligation de garantir que le matériel biologique nécessaire pour exécuter l'invention dans la présente espèce est cultivé et conservé vivant.
3.2.5 Enfin, la Chambre fait observer que la politique du NIH, consistant à remettre aux personnes qui le demandent des matériels biologiques développés dans le cadre de programmes de recherche du NIH, peut être modifiée à tout moment, de telle sorte que la remise de matériels biologiques nouvellement mis au point pourrait faire l'objet de restrictions, quelles qu'elles soient.
4. Accessibilité par un dépôt auprès d'une autorité de dépôt habilitée
4.1 Il découle de ce qui précède que l'on se trouve dans la situation visée à la règle 28(1) CBE, c'est-à-dire que l'invention concerne un procédé microbiologique ou un produit obtenu par un tel procédé et comporte l'utilisation d'un micro-organisme auquel le public n'a pas accès et qui ne peut être décrit dans la demande de brevet européen de façon à permettre à un homme du métier d'exécuter l'invention. Dans ce cas, aux termes de la règle 28(1) CBE, l'invention n'est considérée comme exposée conformément aux dispositions de l'article 83 que si les conditions énoncées à la règle 28(1) a) à c) CBE sont remplies.
4.2 La demande contient une déclaration (page 1, lignes 33 à 36, à page 2, lignes 1 à 4) indiquant que la souche HM-175 du virus de l'hépatite A a été déposée auprès de l'American Type Culture Collection (ATCC) dans le cadre d'une procédure de brevet, et ce, antérieurement au dépôt de cette demande, réalisant ainsi la permanence du dépôt et l'accessibilité de la souche au public dès la délivrance du brevet. La condition de la règle 28(1)a) CBE est donc remplie. En outre, la Chambre est convaincue que la demande telle que déposée contient les informations pertinentes dont disposait le demandeur sur les caractéristiques du micro-organisme, comme l'exige la règle 28(1)b) CBE. Néanmoins, le numéro de dépôt attribué par l'autorité de dépôt pour un dépôt bien défini n'est pas mentionné dans la demande.
La Chambre a examiné la question de savoir si l'indication de la "désignation maison" de la souche déposée, HM-175, permet de conclure que l'exposé de l'invention est suffisant.
4.3 Le requérant a produit le 20 février 1987 des pièces se rapportant au dépôt de la souche HM-175 du virus de l'hépatite A. Selon un récépissé de dépôt en date du 5 décembre 1985, trois sous-souches de la souche HM-175 du virus de l'hépatite A ont été déposées, à savoir les clones 5, 6 et 7, sous les numéros ATCC VR2097, VR2098 et VR2099. Selon un récépissé de dépôt en date du 16 août 1984, versé au dossier le 23 août 1991, cinq autres souches du virus de l'hépatite A portant la "désignation maison" HM-175 ont été déposées, à savoir les clones 1 à 4 et une souche non clonée, portant les numéros de dépôt ATCC VR2089 à VR2093.
4.4 A supposer qu'un homme du métier ait reconnu qu'il était possible, d'après la description de la demande déposée initialement, d'obtenir de l'autorité de dépôt, l'American Type Culture Collection, la remise d'une souche "HM-175" du virus de l'hépatite A, l'autorité de dépôt n'aurait pas été en mesure, sur la seule base de cette "désignation maison", de distinguer entre les huit souches HM-175 du virus de l'hépatite A qui avaient été déposées.
4.5 Comme une chambre de recours l'a déjà dit dans une décision antérieure (T 418/89, JO OEB 1993, 20) relative à l'exposé suffisant de l'invention dans un cas où celle-ci concerne du matériel biologique déposé, la condition à remplir pour qu'une invention soit exposée de manière suffisante au sens de l'article 83 CBE est non seulement que l'invention puisse être exécutée, mais aussi qu'elle puisse l'être au prix d'un effort raisonnable. Or, ce n'est pas le cas dans la présente affaire. De l'avis de la Chambre, le fait de demander à l'autorité de dépôt de remettre toutes les souches du virus de l'hépatite A ayant la "désignation maison" HM-175, puis de devoir rechercher quelle est celle qui pourrait être nécessaire pour exécuter l'invention dépasse la limite d'un effort raisonnable.
4.6 Pour que l'exposé de l'invention soit suffisant, il faudrait donc que le public ait été informé du numéro de dépôt de la souche HM-175, passage 20, non clonée, à savoir le numéro ATCC VR2093.
4.6.1 Conformément à la règle 28(1)c) CBE, l'autorité de dépôt et le numéro de dépôt de la culture doivent être indiqués dans la demande. A la page 1, ligne 35 de la description, l'autorité de dépôt, l'American Type Culture Collection, est effectivement indiquée ; la première condition de la règle 28(1)c) CBE est donc remplie. Mais le numéro de dépôt de la souche n'était pas mentionné dans la demande telle que déposée.
4.6.2 La règle 28(2) CBE prévoit que les indications mentionnées au paragraphe 1, lettre c) peuvent être communiquées dans un délai de 16 mois à compter de la date de dépôt de la demande ou, si une priorité est revendiquée, à compter de la date de priorité. En l'espèce, comme il ressort à l'évidence des faits évoqués plus haut, le numéro de dépôt visé à la règle 28(1)c) CBE a été communiqué le - 23 août 1991, pendant la procédure de recours - presque sept ans après la date de priorité de la demande de brevet en cause.
4.6.3 Dans la décision J 8/87 (cf. point II supra), la chambre de recours juridique a dit que, étant donné qu'un demandeur peut communiquer les indications concernant un dépôt de culture (règle 28(1)c) CBE) à tout moment avant l'expiration du seizième mois suivant la date de priorité, il ne peut exister une irrégularité, à laquelle il convient d'inviter le demandeur à remédier, qu'après l'expiration de ce délai. La chambre de recours juridique a observé que cette situation présentait une analogie avec celle d'une autre affaire dans laquelle, des copies certifiées conformes de documents de priorité n'ayant pas été produites dans le délai de 16 mois prévu à la règle 38(3) CBE, elle avait jugé qu'il convenait de donner au demandeur la possibilité de remédier à cette irrégularité dans un nouveau délai. Selon la chambre de recours juridique, l'analogie résidait en ce que, dans les deux cas, l'irrégularité n'existait qu'à l'expiration du délai. Elle a donc considéré qu'une solution similaire devait s'appliquer dans les deux cas.
La Chambre n'est pas portée à faire sien ce raisonnement.
4.6.4 A la place qu'elle occupe dans le contexte de la CBE, la règle 28 énonce des prescriptions qui doivent être obligatoirement observées afin de garantir un exposé suffisant de l'invention lorsque celle-ci comporte l'utilisation de matériel vivant, ce qui obéit au principe même de la Convention sur le brevet européen selon lequel une invention doit être décrite de telle façon qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Il n'existe aucun moyen de remédier à une insuffisance de l'exposé de l'invention dans la demande telle que déposée, à la seule exception du délai de 16 mois fixé par la règle 28(2)a) CBE. La Chambre partage donc le point de vue exprimé dans la décision attaquée. Elle souscrit notamment au raisonnement détaillé sur la finalité de la règle 28 et particulièrement de la règle 28(2)c) CBE (cf. décision de la division d'examen, points 7 à 9, citée au point II supra), dans lequel il est fait référence aux travaux préparatoires à la règle 28(2) CBE. Il ressort à l'évidence de ces travaux préparatoires que le délai de 16 mois fixé par la règle 28(2)a) CBE a été introduit pour garantir que les indications relatives au dépôt soient communiquées dans tous les cas avant la publication de la demande de brevet, c.-à-d. avant que le public ne soit informé. Si donc une invention ne peut être exécutée par un homme du métier au sens de l'article 83 CBE qu'à l'aide de matériel vivant déposé auprès d'une autorité de dépôt habilitée et auquel est attribué un numéro de dépôt de culture qui est le seul moyen de l'identifier, cette condition préalable pour que l'exposé de l'invention dans la demande de brevet soit suffisant doit obligatoirement être déjà remplie à la date du dépôt de la demande et ne saurait constituer une simple exigence de forme applicable à la demande de brevet.
4.6.5 En conséquence, la Chambre incline à ne pas suivre la décision J 8/87 de la Chambre de recours juridique (cf. point II supra).
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La question suivante est soumise à la Grande Chambre de recours pour décision :
"L'indication du numéro de dépôt d'une culture conformément à la règle 28(1)c) CBE peut-elle être communiquée après l'expiration du délai fixé à la règle 28(2)a) CBE ?"