CHAMBRES DE RECOURS
Décision intermédiaire de la Chambre de recours technique 3.3.03 en date du 27 juin 2023 - T 438/19
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | D. Semino |
Membres : | F. Rousseau |
Intimé/Titulaire du brevet :
Mitsui Chemicals, Inc.
Mitsui Chemicals Tohcello, Inc.
Requérant/Opposant :
Borealis AG
Dispositions juridiques pertinentes :
Article 12(4) RPCR
Articles 100b), 54(2), 112(1)a) CBE
Mots-clés :
Document à nouveau produit avec le mémoire exposant les motifs du recours - admis (oui)
Suffisance de l'exposé (oui)
Activité inventive
Saisine de la Grande Chambre de recours
Exergue :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans difficulté excessive par l'homme du métier avant cette date ?
2. S'il est répondu par la négative à la première question, les informations d'ordre technique concernant ledit produit qui ont été rendues accessibles au public avant la date de dépôt (p. ex. au moyen de la publication d'une brochure technique ou d'un document de la littérature brevet ou non-brevet), sont-elles comprises dans l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment de la question de savoir si la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans difficulté excessive par l'homme du métier avant cette date ?
3. S'il est répondu par l'affirmative à la première question, ou s'il est répondu par la négative à la deuxième question, quels sont les critères applicables pour déterminer si la composition ou la structure interne du produit pouvait ou non être analysée et reproduite sans difficulté excessive au sens de l'avis G 1/92 ? En particulier, est-il exigé que la composition et la structure interne du produit puissent être analysées dans leur intégralité et être reproduites à l'identique ?
Exposé des faits et conclusions
I. Le recours est dirigé contre la décision de la division d'opposition rejetant l'opposition formée contre le brevet européen n° 2 626 911, dont la revendication 1 se lit comme suit :
"1. Matériau approprié comme matériau d'encapsulation pour pile solaire, qui comprend un copolymère éthylène/α-oléfine qui a
(a1) une teneur de 80 à 90 % en moles d'unités structurelles dérivées d'éthylène et de 10 à 20 % en moles d'unités structurelles dérivées d'une α-oléfine en C3 à C20 ;
(a2) un MFR allant de 10 à 50 g/10 minutes, mesuré selon la norme ASTM D1238 à 190 °C et sous une charge de 2,16 kg ;
(a3) une densité allant de 0,865 à 0,884 g/cm3, mesurée selon la norme ASTM D1505 ;
(a4) une dureté shore A allant de 60 à 85, mesurée selon la norme ASTM D2240 ; et
(a6) une teneur en élément aluminium allant de 10 à 500 ppm."
Une opposition a été formée pour les motifs visés à l'article 100a) ensemble l'article 56, et à l'article 100b) CBE.
II. La procédure d'opposition s'appuie notamment sur les éléments de preuve suivants :
D1 : WO 2008/036708 A2
D2 : WO 2010/114028 A1
D5 : ENGAGE™ 8400, Technical Information, Dow, 7 septembre 2011
D5a : ENGAGE® polyolefin elastomer, Product Information, DuPont Dow Elastomers, février 2004
D12 : Analytical Chemistry, Practice Series, Equipment Analysis 4, ICP emission analysis, publié par Kyoritsu Shuppan Co. Ltd., 2013, pages 196 à 205,
D12a : Pages 196 à 203 de D12, dans lesquelles des passages traduits sont surlignés
D12b : Traduction des passages surlignés de D12a
D13 : Modern Methods for Trace Element Determination, C. Vandecasteele and C.B. Block, publié par Maruzen Co. Ltd., 1995, pages 9 à 21
D13a : Pages 9 à 11 de D13, dans lesquelles des passages traduits sont surlignés
D13b : Traduction des passages surlignés de D13a
D15 : Graphique montrant la résistivité en fonction de la teneur en aluminium pour les exemples de synthèse du brevet en cause (produit par le titulaire par lettre du 6 mars 2017)
D16 : BS EN 1122:2001 Plastiques - Détermination du cadmium - Méthode par décomposition par voie humide
D18 : US 5,986,028
III. Les motifs de la décision contestée pertinents dans le cadre de la procédure de recours peuvent être résumés comme suit :
a) D16 dont l'admission n'a pas été contestée a été admis dans la procédure.
b) D18 se rapportait à des résines différentes de celles définies dans la revendication 1 du brevet en cause, puisqu'il divulguait des niveaux d'aluminium de résidu de catalyseur dans le polyéthylène inférieurs à 20 ppm, de préférence inférieurs à 5 ppm, qui ne chevauchaient que marginalement les niveaux de 10 à 500 ppm définis dans la revendication 1 du brevet en cause. Ce document n'étant pas de prime abord pertinent, il n'a pas été admis dans la procédure.
c) En ce qui concerne la suffisance de l'exposé, le paragraphe 172 du brevet en cause et les connaissances générales enseignaient qu'une masse définie de matériau était décomposée par voie humide pour mesurer la teneur en aluminium. D16 mentionnait la décomposition par voie humide du plastique pour déterminer la teneur en cadmium, mais pas la teneur en aluminium. Il n'avait pas été démontré que l'utilisation de différents acides ou des deux méthodes décrites dans D16 pour déterminer la quantité de cadmium conduirait à des résultats différents lors de la mesure de la quantité d'aluminium. Bien que la composition revendiquée puisse comprendre, en plus de la teneur en aluminium dans le copolymère d'éthylène, d'autres quantités d'aluminium, cela n'a pas eu d'effet sur la détermination de la teneur en aluminium dans le copolymère d'éthylène. En outre, il relevait des connaissances générales de déterminer à l'avance la teneur en aluminium des matériaux revendiqués, conformément aux exemples de synthèse du brevet en cause. Par conséquent, l'invention était suffisamment exposée.
d) L'exemple 3 de D1 divulguait toutes les caractéristiques de la revendication 1, à l'exception de la teneur en aluminium. Tous les autres documents de l'état de la technique disponibles étaient structurellement plus éloignés. Il a donc été conclu que le produit ENGAGE® 8400 décrit dans l'exemple 3 de D1 représentait l'état de la technique le plus proche.
L'exemple synthétique 13 du brevet en cause concernait un copolymère ayant une teneur en aluminium de 5 ppm. Ce niveau était comparable à la teneur de 4,4 ppm divulguée concernant le produit ENGAGE® 8400. Cet exemple présentait une très bonne résistivité volumique. Les expériences résumées par le titulaire du brevet dans D15 n'ont pas démontré l'importance cruciale de la quantité d'aluminium définie dans la revendication 1 pour obtenir une résistivité volumique améliorée. Le problème résolu par rapport à D1 était donc de fournir un matériau encapsulant alternatif pour piles solaires.
Au vu des informations fournies aux paragraphes [0044] et [0045] du fascicule de brevet, il semble que le titulaire ait réalisé qu'il existait une plage optimisée pour la teneur en aluminium en tenant compte de contraintes pratiques et économiques. Si, comme le prétend l'opposant, une composition d'encapsulation possède de meilleures propriétés lorsque la teneur en aluminium est plus faible, il fallait en conclure que l'homme du métier aurait de préférence réduit la quantité d'aluminium à zéro. En outre, il n'était pas raisonnable de supposer que l'homme du métier aurait augmenté la teneur en aluminium dans l'exemple 3 de D1, car cela aurait nécessité soit d'ajouter des ions aluminium au produit ENGAGE® 8400, ce qui n'était pas réaliste, soit de sélectionner un polymère différent qui ne satisfaisait pas nécessairement à toutes les autres exigences de la revendication 1. Il a donc été conclu que la quantité d'aluminium définie dans la revendication 1 du brevet tel que délivré n'était pas évidente pour l'homme du métier.
e) L'opposition a donc été rejetée.
IV. L'opposant (requérant) a formé un recours contre cette décision. Le requérant a produit à nouveau le document D18 avec son mémoire exposant les motifs du recours.
V. Dans sa réponse au mémoire exposant les motifs du recours, le titulaire du brevet (intimé) a présenté les requêtes subsidiaires 1 à 5, dont le libellé n'est pas pertinent pour la présente décision.
VI. En préparation de la procédure orale, par une notification établie conformément à l'article 15(1) RPCR 2020, la chambre a fait connaître son analyse provisoire sur certaines questions pertinentes pour la décision à prendre. Si les objections soulevées par le requérant concernant une insuffisance de l'exposé n'ont pas semblé convaincantes, une décision quant à l'activité inventive de l'objet de la revendication 1 du brevet tel que délivré dépendait finalement de la question de savoir si le produit ENGAGE® 8400 (disponible dans le commerce) avait été rendu accessible au public avant la date effective du présent brevet. En ce qui concerne l'argument de l'intimé selon lequel le produit commercial ENGAGE® 8400 n'avait pas été rendu accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE compte tenu du raisonnement de la Grande Chambre de recours dans l'avis G 1/92 (JO OEB 1993, 277), la chambre a indiqué qu'un renvoi à la Grande Chambre de recours pourrait être nécessaire. La notification contient une analyse de l'avis G 1/92 et son interprétation dans diverses décisions des chambres de recours, ainsi que des propositions de questions à soumettre à la Grande Chambre de recours.
VII. Le requérant, par lettre du 12 juillet 2022, et l'intimé, par lettre du 18 août 2022 accompagnée d'une annexe, ont pris position sur l'accessibilité du public au produit ENGAGE® 8400 et sur l'interprétation à donner à l'avis G 1/92.
VIII. Une procédure orale s'est tenue le 8 septembre 2022 au cours de laquelle :
- le requérant a demandé l'annulation de la décision attaquée et la révocation du brevet européen,
- l'intimé a demandé le rejet du recours, ou, à titre subsidiaire, l'annulation de la décision attaquée et le maintien du brevet sous une forme modifiée sur la base de l'une des requêtes subsidiaires 1 à 5 déposées avec la réponse au mémoire exposant les motifs du recours,
- la chambre a décidé d'admettre le document D18 dans la procédure de recours,
- la chambre a conclu que le brevet remplissait les conditions de suffisance de l'exposé,
- la question de savoir si, en l'espèce, une décision sur l'activité inventive nécessitait une saisine de la Grande Chambre de recours conformément à l'article 112(1)a) CBE pour clarifier l'application de l'avis G 1/92 a été examinée.
Après la clôture des débats sur cette question, la chambre a informé les parties que la procédure allait se poursuivre par écrit.
IX. Les arguments des parties, dans la mesure où ils sont pertinents, peuvent être déduits des motifs de la décision ci-dessous. Outre l'admission de D18 et la question de la suffisance de l'exposé relative à la détermination de la teneur en aluminium, le point litigieux porte essentiellement sur l'interprétation à donner de l'avis G 1/92. Alors que le requérant est favorable à une saisine de la Grande Chambre afin de clarifier la manière dont l'avis G 1/92 devrait être appliqué, l'intimé conteste l'existence de différentes interprétations raisonnables de l'avis G 1/92 qui seraient déterminantes pour l'issue de la présente affaire.
Motifs de la décision
Admission de D18
1. Le requérant a déposé le document D18 par lettre du 10 septembre 2018, en préparation de la procédure orale prévue devant la division d'opposition, et l'a de nouveau produit avec le mémoire exposant les motifs du recours. Le requérant a demandé l'annulation de la décision de la division d'opposition de ne pas admettre le document D18 dans la procédure.
1.1 Cette requête relève du pouvoir d'appréciation de la chambre de considérer comme irrecevables les faits, preuves et requêtes qui auraient pu être produits ou n'ont pas été admis au cours de la procédure de première instance (article 12(4) RPCR 2007, qui s'applique en vertu de l'article 25(2) RPCR 2020). Selon la jurisprudence constante, en particulier la décision G 7/93 (JO OEB 1994, 775), point 2.6 des motifs, une chambre de recours ne doit annuler des décisions rendues par des instances du premier degré ayant exercé leur pouvoir d'appréciation que si elle parvient à la conclusion que l'instance du premier degré n'a pas exercé son pouvoir conformément aux principes corrects ou qu'elle a exercé ce pouvoir de manière déraisonnable.
Cependant, même si la division d'opposition a appliqué les critères corrects d'une manière non déraisonnable, la chambre doit néanmoins exercer de manière indépendante son propre pouvoir d'appréciation en vertu de l'article 12(4) RPCR 2007, étant donné que le document a été produit à nouveau et que son admission dans la procédure de recours a été demandée par le requérant sur le fondement de moyens supplémentaires et de nouvelles circonstances. Dans ce contexte, la chambre, suivant la ligne adoptée dans la décision T 971/11 du 4 mars 2016, considère qu'un document qui aurait été admis dans la procédure de recours s'il avait été déposé pour la première fois au début de cette procédure ne doit toutefois pas être considéré comme irrecevable pour la seule raison qu'il a déjà été déposé devant la première instance (et qu'il n'a pas été admis) (voir point 1.3 des motifs).
1.2 À cet égard, lors de la procédure orale devant la division d'opposition, suite à la décision de la division de ne pas admettre D18 dans la procédure, le titulaire du brevet a fait valoir pour la première fois dans la procédure que l'exemple 3 de D1, considéré par l'opposant comme représentant l'état de la technique le plus proche, ne pouvait pas être reproduit et n'était donc pas un point de départ approprié pour apprécier l'activité inventive (procès-verbal, page 4, lignes 6 à 10). Se référant au point 1.4 des motifs de l'avis G 1/92 et à la décision T 23/11 du 13 février 2014, le titulaire du brevet alléguait que la divulgation de cet exemple ne permettait pas de reproduire l'invention, puisque D1 ne divulguait pas le processus de polymérisation aboutissant au produit ENGAGE® 8400. La division d'opposition a toutefois décidé que l'exemple 3 de D1 utilisant ENGAGE® 8400 constituait un point de départ approprié pour l'appréciation de l'activité inventive, sans traiter cet argument (motifs de la décision, page 9, lignes 6 à 16).
Dans le mémoire exposant les motifs du recours, le requérant a traité de manière préventive la question de la divulgation suffisante de l'exemple 3 de D1 et a fait valoir que le document D18 fait l'objet d'un renvoi dans le paragraphe situé entre les pages 14 et 15 de D1 en tant que document décrivant la préparation des polymères ENGAGE®. D1 décrit dans ce passage que les polymères éthylène/α-oléfine homogènes, ramifiés et substantiellement linéaires, pour lesquels les polyéthylènes AFFINITY® et ENGAGE® disponibles auprès de The Dow Chemical Company sont mentionnés à titre d'exemples, sont particulièrement préférés et sont décrits plus en détail dans trois brevets américains, dont l'un correspond à la référence D18.
En conséquence, produire à nouveau le document D18 avec le mémoire exposant les motifs du recours en lien avec l'argument selon lequel ce document démontrerait la divulgation suffisante de ENGAGE® 8400, avec pour conséquence que l'exemple 3 de D1 peut être considéré comme état de la technique le plus proche, est une réaction légitime, au stade le plus précoce possible, aux nouveaux moyens invoqués par le titulaire du brevet au cours de la procédure orale après que la division d'opposition eut déjà décidé de ne pas admettre le document D18. Selon la chambre, cela constitue une raison suffisante pour admettre D18 dans la procédure.
1.3 Contrairement à l'argument de l'intimé, on ne pouvait pas s'attendre à ce que le requérant réagisse immédiatement à ce moyen nouveau et succinct en demandant à nouveau, au cours de la procédure orale, l'admission de D18 dans la procédure. Ne pas autoriser, dès le début de la procédure de recours, des moyens invoqués en réponse directe à cette nouvelle circonstance et les preuves présentées serait contraire à l'équité de la procédure. Dans ce contexte, l'argument de l'intimé, selon lequel une objection relative au défaut de reproductibilité d'une divulgation n'aurait rien d'exceptionnel, n'est donc pas pertinent. L'argument de l'intimé selon lequel D18 ne ferait pas partie des connaissances générales et ne pourrait pas démontrer une divulgation suffisante de ENGAGE® 8400 se rapporte en réalité au débat sur le fond et n'est donc pas pertinent pour l'admission de D18.
1.4 Dans ces circonstances, la chambre n'a aucune raison de faire usage du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 12(4) RPCR 2007 pour considérer D18 comme non admissible. D18 est donc admis dans la procédure de recours.
Suffisance de l'exposé
2. Selon la jurisprudence constante des chambres de recours de l'OEB, un brevet européen satisfait aux exigences de suffisance de l'exposé si un homme du métier, se fondant sur les informations fournies dans le fascicule de brevet et, si nécessaire, sur ses connaissances générales, est en mesure de réaliser l'invention dans l'ensemble du domaine revendiqué sans difficulté excessive, c'est-à-dire au prix d'un effort raisonnable. Il s'agit en l'espèce de préparer un matériau qui répond à la définition paramétrique et structurelle de la présente revendication 1, en particulier en ce qui concerne la teneur en aluminium.
L'objection du requérant concerne la capacité de l'homme du métier à déterminer de manière précise et fiable la quantité d'aluminium dans le copolymère éthylène/α-oléfine. Le requérant soutient que la revendication 1 n'est pas suffisamment exposée en raison de l'absence d'informations suffisantes sur la manière de déterminer cette quantité.
2.1 Il n'est pas contesté que le brevet enseigne que la présence d'aluminium dans le copolymère éthylène/α-oléfine provient de l'utilisation d'un composé organique aluminumoxy ou d'un composé organique d'aluminium ajouté comme co-catalyseur pour la polymérisation du copolymère éthylène/α-oléfine (page 4, lignes 12-15 et paragraphe 44 du brevet en cause), le paragraphe 44 décrivant que la teneur en aluminium dépend de la concentration dudit co-catalyseur ajouté au cours du processus de polymérisation. Il n'est pas non plus contesté que des indications générales concernant la production du copolymère éthylène-oléfine revendiqué sont fournies dans les paragraphes 81 à 93 du brevet en cause, y compris une description de la quantité de catalyseur et de co-catalyseur à utiliser (voir paragraphes 86 et 87 du brevet en cause).
2.2 L'intimé a souligné dans la section 51 de sa réplique que le brevet litigieux décrit plusieurs exemples de synthèse fournissant une description détaillée des catalyseurs et des conditions de réaction dans le cadre de la préparation du matériau de la revendication 1. En effet, des méthodes de préparation spécifiques sont décrites aux paragraphes 186 à 198 du brevet en cause concernant treize copolymères pour lesquels sont indiqués les taux d'alimentation en éthylène, en comonomère, en catalyseur et en composés co-catalytiques à base d'aluminium, ainsi que la quantité de résidu d'aluminium dans les copolymères produits.
Bien que certains des copolymères produits ne soient pas conformes à la présente invention, puisqu'ils ne présentent pas toutes les propriétés énoncées dans la revendication 1, ces procédés de préparation montrent néanmoins comment l'homme du métier souhaitant préparer un copolymère comprenant une quantité de résidu d'aluminium selon les exigences de la revendication 1 du brevet tel que délivré ajusterait les taux d'alimentation en éthylène, α-oléfine, catalyseur et composés co-catalytiques à base d'aluminium de manière à obtenir les copolymères définis dans la revendication 1 du brevet en cause.
Le requérant n'a pas soutenu, et encore moins fourni de preuves, que l'homme du métier, répétant l'enseignement fourni dans le brevet en cause et menant un nombre raisonnable d'expérimentations, ne serait pas en mesure d'obtenir le copolymère éthylène/α-oléfine répondant à la définition paramétrique de la revendication 1, y compris la quantité d'aluminium résiduel.
2.3 L'objection du requérant selon laquelle l'homme du métier n'est pas en mesure d'exécuter l'invention concerne plutôt la capacité de l'homme du métier à déterminer avec précision la quantité d'aluminium dans un copolymère éthylène/α-oléfine, lorsqu'il s'agit de vérifier si la quantité d'aluminium résiduel visée est conforme à la revendication 1 du brevet tel que délivré.
Il n'est toutefois pas contesté que l'homme du métier trouverait l'enseignement pertinent pour cette mesure dans le paragraphe 172 du brevet en cause, selon lequel le copolymère éthylène/α-oléfine est décomposé par un procédé humide puis dilué avec de l'eau pure jusqu'à un volume final donné, la quantité d'aluminium étant déterminée à l'aide d'un spectromètre spécifique. On peut donc conclure que l'homme du métier trouverait, après avoir réalisé quelques expériences, les conditions appropriées (taille des particules de l'échantillon de copolymère à analyser, type d'acide, concentration, température et durée) pour décomposer efficacement le copolymère éthylène/α-oléfine afin de mesurer de manière fiable la teneur en aluminium d'un échantillon de copolymère donné. Il est fait référence à cet égard aux documents D12 (voir D12a et D12b), D13 (voir D13a et D13b) et D16, qui fournissent des indications générales sur la manière de décomposer les matières organiques telles que les plastiques (D12 et D16) afin de déterminer la teneur en éléments métalliques qu'elles contiennent.
2.4 L'argument concernant la difficulté de déterminer avec exactitude la quantité d'aluminium dans un copolymère éthylène/α-oléfine donné en l'absence de toute indication de ces conditions expérimentales spécifiques revient à soutenir que les limites de la revendication 1 du brevet tel que délivré ne sont pas clairement définies. Il s'agit d'une question de clarté qui, compte tenu de la décision G 3/14 (JO OEB 2015, A102), ne peut être examinée.
Il n'a toutefois pas été soutenu que le manque de précision allégué concernant la mesure de la teneur en résidu d'aluminium constitue un obstacle pour l'homme du métier cherchant à reproduire le matériau revendiqué en utilisant un ensemble spécifique de conditions pour la décomposition du copolymère éthylène/α-oléfine. La chambre n'a aucune raison d'adopter un point de vue différent. Dans ce contexte, on observe que les exemples de synthèse 2 et 13 du brevet en cause montrent qu'il est possible de préparer des copolymères répondant à toutes les autres exigences de la revendication 1, même si la quantité de résidu d'aluminium se situe en dehors de la plage définie dans la revendication opérationnelle 1. Cela montre que la quantité exacte de résidu d'aluminium définie dans la revendication 1 du brevet tel que délivré n'est pas cruciale pour satisfaire aux autres exigences paramétriques de la revendication 1 lorsque les copolymères éthylène/α-oléfine sont préparés conformément aux instructions données dans le brevet en cause.
2.5 L'argument du requérant selon lequel la quantité d'aluminium serait le seul paramètre nouveau de la présente invention ou serait cruciale pour son activité inventive n'a aucune incidence sur l'évaluation de la suffisance de l'exposé, qui constitue une exigence distincte de la CBE.
2.6 Au vu de l'analyse ci-dessus, il est conclu que l'objet du brevet délivré remplit les conditions de suffisance de l'exposé.
Activité inventive
3. Le requérant soutient que les revendications du brevet tel que délivré n'impliquent pas d'activité inventive compte tenu de la divulgation du document D1, en particulier de son exemple 3 avec le produit ENGAGE® 8400 disponible dans le commerce.
État de la technique le plus proche
3.1 Le requérant fait valoir sur ce point que le produit ENGAGE® 8400, qui est décrit dans D1 dans l'exemple 3 (page 30) et les tableaux 1 et 7 (pages 31 et 39) comme étant adapté à la fabrication de modules de piles solaires, représente un point de départ approprié pour la présente invention et donc l'état de la technique le plus proche pour l'appréciation de l'activité inventive. Selon le requérant, ENGAGE® 8400, un copolymère éthylène/octène-1 ayant un MI de 30 g/10 min et une densité de 0,870 g/cm3, répond à toutes les exigences de la revendication 1, à l'exception de la teneur en aluminium qui est indiquée à 4,4 ppm (point 31 du mémoire exposant les motifs du recours). Le requérant se réfère à cet égard au compte rendu d'expériences joint à la lettre de l'intimé (alors demandeur) du 20 février 2015.
3.2 L'intimé met en doute la reproductibilité du produit ENGAGE® 8400 en référence à l'avis G 1/92. L'intimé conteste donc également que ce produit, tel que décrit dans D1, puisse être considéré comme l'état de la technique le plus proche pour l'appréciation de l'activité inventive.
3.3 Le requérant rejette l'argument de l'intimé selon lequel ENGAGE® 8400 serait en soi insuffisant selon l'avis G 1/92 (point 40 du mémoire exposant les motifs du recours). Comme indiqué lors de la procédure orale, le requérant conteste que le produit reproduit doit être exactement le même, car cela représenterait, dans le domaine technique actuel, un obstacle insurmontable. Selon le requérant, indépendamment de la mesure dans laquelle le polymère ENGAGE® 8400 peut être reproduit, certaines propriétés de ce matériau, qui sont couvertes par l'objet revendiqué, telles que la densité, le débit de matière fondue (MFR), la dureté Shore et la teneur en comonomère, ainsi que le produit lui-même, font partie du domaine public, comme le montrent les documents D1, D2 et D5/D5a. Il serait incorrect et déraisonnable de ne pas tenir compte de ces informations accessibles au public sur un produit disponible dans le commerce au motif que le matériau commercial spécifique ne peut être reproduit à l'identique.
3.4 Bien que l'intimé ne conteste pas que le produit ENGAGE® 8400 était disponible dans le commerce et présentait toutes les propriétés de la revendication 1 du brevet tel que délivré, à l'exception de la teneur en aluminium, il a fait valoir, en s'appuyant sur le paragraphe 1.4 des motifs de l'avis G 1/92 et sur la décision T 23/11, que le produit commercial ENGAGE® 8400 n'avait pas été rendu accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE.
Selon les moyens invoqués par l'intimé, fondés sur l'avis et la décision susmentionnés, l'accessibilité au public au sens de l'article 54(2) CBE du produit commercial ENGAGE® 8400 exigerait que l'homme du métier soit en mesure de produire un polymère qui soit non pas relativement similaire à ENGAGE® 8400, mais qui corresponde exactement à ENGAGE® 8400, et ce sans difficulté excessive (points 75 à 79 de la réplique). La chambre fait observer que cet argument de l'intimé signifie également qu'il est possible d'effectuer une analyse exacte du produit commercial ENGAGE® 8400. L'intimé fait valoir que la rétro-ingénierie d'un polymère commercial sans connaître les conditions de synthèse, en particulier les catalyseurs spécifiques et les conditions de réaction, nécessiterait un vaste programme de recherche sans garantie de succès. La nécessité de réaliser un tel programme de recherche représenterait une difficulté excessive (lettre de l'intimé du 18 août 2022, page 3, 4e paragraphe), ayant pour conséquence que le produit commercial ENGAGE® 8400 ne pourrait pas être considéré comme étant réalisable et ne pourrait donc pas non plus constituer un état de la technique. L'intimé est donc d'avis que l'état de la technique le plus proche est la divulgation générique de D1, qui est toutefois structurellement plus éloignée que les exemples de D1 utilisant ENGAGE® 8400, étant donné qu'elle ne prévoit aucune limitation concernant le MFR ou la dureté Shore A (point 88 de la réplique).
4. Il s'ensuit qu'en l'espèce, la détermination de l'état de la technique le plus proche, qui constitue la première étape de l'approche dite "problème-solution" utilisée en vue d'apprécier l'activité inventive d'une manière objective et prévisible (G 1/19, JO OEB 2021, A77, point 26 des motifs), dépend de l'application de l'avis G 1/92.
5. Toutefois, comme exposé en détail ci-dessous, les chambres de recours ont des approches divergentes en ce qui concerne l'application de l'avis G 1/92. En outre, conformément aux moyens invoqués par le requérant lors de la procédure orale et par lettre du 12 juillet 2022, la détermination des caractéristiques du produit ENGAGE® 8400 qui peuvent être considérées comme connues de l'homme du métier, soit par analyse, soit par des indications figurant dans des documents publiés avant la date de dépôt du brevet en cause, dépend également de l'application de l'avis G 1/92.
Pour les raisons exposées en détail ci-dessous, la chambre estime donc qu'il est nécessaire de demander à la Grande Chambre de recours de clarifier les questions soumises au dispositif de la présente décision (article 112(1)a) CBE).
Motifs de la saisine de la Grande Chambre de recours
6. En vertu de l'article 112(1)a) CBE, la chambre de recours, soit d'office, soit à la requête de l'une des parties, saisit en cours d'instance la Grande Chambre de recours lorsqu'elle estime qu'une décision est nécessaire afin d'assurer une application uniforme du droit ou si elle considère qu'une clarification des questions soumises concerne une question de droit d'importance fondamentale.
En ce qui concerne la recevabilité d'une saisine, il est généralement considéré comme nécessaire que la décision de la Grande Chambre sur les questions qui lui sont soumises soit déterminante pour l'issue de l'affaire concernée.
7. En l'espèce, le requérant n'a soulevé que des objections au titre de l'article 100b) CBE et de l'article 100a) ensemble l'article 56 CBE contre le brevet tel que délivré. Après avoir reconnu la suffisance de l'exposé (voir point 2 et suivants ci-dessus), la seule question à trancher concernant la requête principale est donc l'objection du requérant relative au défaut d'activité inventive, fondée sur le produit ENGAGE® 8400, décrit dans l'exemple 3 du document D1, comme état de la technique le plus proche. Comme indiqué ci-dessus, la clarification concernant l'application de G 1/92, en particulier en ce qui concerne la mesure dans laquelle le produit commercial ENGAGE® 8400 doit être reproductible par l'homme du métier pour constituer un état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, semble décisive pour l'appréciation de l'activité inventive de la revendication 1 du brevet tel que délivré. Étant donné que la chambre suit l'argument du requérant selon lequel le produit ENGAGE® 8400, s'il est reconnu comme un état de la technique, est susceptible de mettre en cause l'activité inventive de la revendication 1 du brevet tel que délivré, également en raison de D18, qu'elle a admis dans la procédure de recours (voir point 1.4 ci-dessus) et qui enseigne un niveau d'aluminium chevauchant la fourchette définie dans la revendication 1 du brevet tel que délivré, la question à clarifier est essentielle pour l'issue de la présente affaire.
La chambre fait observer par ailleurs que la question en jeu revêt une grande importance pratique, plutôt que purement théorique, car elle pourrait se poser chaque fois que l'appréciation de l'état de la technique implique la possibilité d'analyser et de reproduire la composition chimique d'un produit disponible dans le commerce. Aussi la chambre estime-t-elle que les exigences de l'article 112(1)a) CBE sont satisfaites.
Avis G 1/92
8. L'avis G 1/92 a trait à l'interprétation de l'obligation de rendre "accessible au public" au sens de l'article 54(2) CBE appliquée à l'utilisation antérieure d'un produit (point 1.1 des motifs de l'avis). Conformément à l'absence de distinction dans la CBE, l'avis porte sur tout produit tel que les produits chimiques et les articles mécaniques ou électriques. La conclusion de l'avis et le sommaire correspondant se lisent comme suit :
"1. La composition chimique d'un produit fait partie de l'état de la technique dès lors que ce produit en tant que tel est accessible au public et qu'il peut être analysé et reproduit par l'homme du métier, indépendamment de la question de savoir s'il est possible de déceler des raisons particulières pour analyser cette composition.
2. Ce même principe s'applique mutatis mutandis à tout autre produit."
8.1 Le paragraphe 1.4 des motifs de l'avis se lit comme suit : "Tout enseignement technique a essentiellement pour objet de permettre à l'homme du métier de fabriquer ou d'utiliser un produit donné en appliquant cet enseignement. Lorsque celui-ci découle d'un produit mis sur le marché, l'homme du métier doit compter sur ses connaissances techniques générales pour réunir toutes les informations lui permettant de préparer ledit produit. Si l'homme du métier parvient à découvrir la composition ou la structure interne du produit et à la reproduire sans difficulté excessive, alors le produit et sa composition ou sa structure interne sont compris dans l'état de la technique."
8.2 Compte tenu de la signification de l'expression "l'état de la technique" telle qu'utilisée à l'article 54(2) CBE, la dernière phrase du paragraphe 1.4 des motifs de l'avis G 1/92 pourrait sembler indiquer qu'un produit mis sur le marché ne serait compris dans l'état de la technique et donc accessible au public que lorsque sa composition ou sa structure interne peut être découverte et reproduite sans difficulté excessive. La reproductibilité du produit comme critère de son accessibilité au public figure également dans la première phrase du point 2.1 des motifs de l'avis, la chambre ayant estimé que la prise en compte de raisons particulières conduisant le public à identifier la composition ou la structure interne d'un produit mis sur le marché "aurait pour effet de retirer du domaine public un produit commercialement accessible et reproductible".
8.3 Cependant, la question se pose de savoir si l'exclusion d'un produit mis sur le marché au regard de son accessibilité au public au sens de l'article 54(2) CBE aurait pu être voulue par la Grande Chambre, la condition préalable à l'analyse dudit produit telle qu'énoncée dans la conclusion de G 1/92 étant que "le produit en tant que tel est accessible au public".
Ce qui semblerait également contredire la déclaration de la Grande Chambre, respectivement au point 10 et au point 8 des motifs des décisions G 2/88 et G 6/88 (JO 1990, 93 et 114) quant à la signification du terme "accessible" lorsque est défini ce qui constitue l'état de la technique conformément à l'article 54(2) CBE.
8.4 Selon l'article 54(2) CBE : "L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen".
Comme souligné au premier paragraphe du point 2.1 des motifs de la décision T 952/92 (JO OEB 1995, 755) qui traite de l'interprétation de l'avis G 1/92, la Grande Chambre a fait valoir dans les décisions G 2/88 et G 6/88 que le terme "accessible" au sens de l'article 54(2) CBE donne à penser que, pour que l'absence de nouveauté puisse être constatée, toutes les caractéristiques techniques combinées dans l'invention revendiquée doivent avoir été communiquées au public ou ouvertes à l'inspection.
8.5 En conséquence, le simple fait qu'un produit ait été mis sur le marché semblerait avoir pour effet que ce produit soit ouvert à l'inspection (et en conséquence de le rendre "accessible"), ce qui de toute évidence constitue une exigence logique ou une condition préalable à l'analyse du produit conformément aux exigences énoncées dans l'avis G 1/92, comme le montrent le point 1 de la conclusion de l'avis et le sommaire correspondant par la phrase : "dès lors que ce produit en tant que tel est accessible au public".
8.6 L'intimé fait valoir que la condition "dès lors que ce produit en tant que tel est accessible au public" énoncée dans le sommaire de l'avis G 1/92 vise à définir "dès lors que ce produit est accessible à un membre du public", de sorte qu'une analyse et une tentative de reproduction peuvent être menées (voir les points 9 et 12 de l'annexe à la lettre de l'intimé en date du 18 août 2022). Suivant cette lecture, il n'existerait aucune contradiction possible entre le sommaire et le paragraphe 1.4 des motifs.
8.6.1 La position de l'intimé se fonde sur un passage du point 6.5.4 des motifs de la décision T 1553/06 du 12 mars 2012, citant le point 2.1 des motifs de la décision T 952/92. Ce passage se lit comme suit : "Quels que soient les moyens employés pour la divulgation (description écrite, description orale, utilisation par la vente, etc.), l'accessibilité au sens de l'article 54(2) CBE se décompose en deux étapes distinctes : l'accessibilité des moyens employés pour la divulgation, et l'accessibilité de l'information que ces moyens permettent d'obtenir et qui découle d'eux."
8.6.2 En conséquence, l'intimé estime que l'avis G 1/92 devrait être interprété en ce sens qu'il énonce trois critères essentiels pour qu'un produit soit "accessible au public" aux termes de l'article 54(2) CBE (voir point 14 de l'annexe à la lettre de l'intimé en date du 18 août 2022) :
1. un membre du public est en mesure d'accéder au produit ;
2. un homme du métier doit être en mesure d'analyser la composition ou la structure interne du produit (en d'autres termes, il doit être en mesure d'accéder aux informations relatives au produit) ; et
3. un homme du métier doit être en mesure de reproduire le produit en faisant appel à ses connaissances générales et sans difficulté excessive, car ce n'est qu'à cette condition que le produit représente un enseignement technique complet.
8.6.3 En ce qui concerne le premier critère, l'intimé fait valoir que l'accès du public au produit, c'est-à-dire l'accessibilité en vue d'une analyse, est semblable à l'accessibilité du public à un document écrit à partir duquel des informations peuvent être obtenues.
La Chambre peut suivre la position de l'intimé en ce que la possibilité d'accéder directement et sans équivoque à certains moyens de divulgation, dans la présente affaire un produit commercial, constitue un précédent logique à son analysabilité.
8.6.4 En ce qui concerne le troisième critère, l'intimé se réfère d'une manière générale à la section de la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, 9e édition, intitulée "Possibilité de mettre en œuvre le contenu d'une divulgation" et que l'on retrouve sous la même numérotation I.C.4.11 dans la 10e édition de 2022 (ci-après "jurisprudence"). L'intimé se réfère expressément à la décision T 206/83 (JO OEB 1987, 5).
9. Il peut en effet être utile aux fins d'une meilleure compréhension du critère de reproductibilité énoncé dans l'avis G 1/92 et de ses répercussions concernant l'appréciation de la brevetabilité, d'examiner la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB à la date de l'avis concernant la reproductibilité de ce qui est exposé au regard des exigences de brevetabilité. Les décisions qui sont pertinentes à cet égard et qui abordent la question de la signification de l'expression "accessible au public" sont la décision T 206/83 citée par l'intimé ainsi que la décision T 26/85 (JO OEB 1990, 22).
9.1 La chambre déclare au point 2 des motifs de la décision T 206/83 ce qui suit : "...un composé défini par sa structure chimique ne peut être considéré comme divulgué dans un document donné que s'il a été "rendu accessible au public" au sens où l'entend l'article 54(2) de la CBE." La chambre ajoute au même point que "Cette nécessité d'une divulgation permettant la reproduction de l'invention ne vaut pas seulement pour les documents cités au titre de l'article 54(2) et (3) de la CBE, mais également, conformément au principe posé à l'article 83 de la CBE, pour les demandes de brevet qui doivent, aux termes dudit article, exposer l'invention "de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter" (mise en valeur ajoutée). Les exigences concernant le caractère suffisant de l'exposé de l'invention sont donc les mêmes dans tous ces cas."
Dans l'affaire T 206/83, la chambre a conclu que les composés décrits dans un document de l'état de la technique cité en vertu de l'article 54(3) CBE, et dont il était allégué qu'ils étaient destructeurs de nouveauté, n'ont pas été en réalité divulgués compte tenu de l'insuffisance de description (points 11 et 12 des motifs).
9.2 Dans la décision T 26/85, la chambre a jugé au point 8 des motifs que le libellé de l'article 54 CBE selon lequel "une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique" lequel "est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public ..., par une description écrite ..." ne devait pas être interprété comme s'appliquant uniquement au moyen employé pour la divulgation (par exemple, la description écrite). Selon la chambre, cette disposition s'applique également "à son contenu, en ce sens que toute chose comprise dans l'état de la technique ne peut être considérée comme rendue accessible au public que si les renseignements donnés à l'homme du métier sont suffisants pour lui permettre de mettre en pratique l'enseignement technique qui fait l'objet de la divulgation, compte tenu également des connaissances générales qu'il est censé avoir en la matière".
9.3 En conséquence, il ressort de ces deux décisions l'idée que la reproductibilité de ce qui est exposé constitue une condition nécessaire pour que cette divulgation soit rendue accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE. En d'autres termes, une divulgation qui ne permet pas la reproduction de l'invention ne serait pas comprise dans l'état de la technique tel que défini à l'article 54(2) CBE. Il semble que ce soit également l'idée qui sous-tend le raisonnement de la Grande Chambre au point 1.4 des motifs de l'avis G 1/92.
Signification de l'expression "accessible au public" selon les travaux préparatoires à la CBE
10. Afin de comprendre l'intention du législateur qui sous-tend l'expression "accessible au public", il semble utile de consulter les travaux retraçant la genèse de l'article 54 CBE, dont les parties citées ci-dessous ont été reconnues comme étant particulièrement pertinentes.
10.1 Résultats de la première session du groupe de travail "brevets" qui s'est tenue à Bruxelles du 17 au 28 avril 1961, (section 5, IV/2767/61-F)
Selon le compte rendu de la séance du 18 avril 1961, au cours de laquelle la discussion a porté sur l'article 14 de l'avant-projet concernant la nouveauté (page 12, deuxième paragraphe), "le groupe décide d'adopter la formule "accessible au public". Le terme "accessible" souligne la possibilité de prendre connaissance de l'invention". Selon le troisième paragraphe de cette même page, "le Président précise qu'une invention n'est divulguée que si, grâce à cette divulgation, l'homme du métier peut réaliser l'invention. Il ne paraît pas nécessaire d'énoncer expressément ce principe dans la convention. En effet, si les éléments rendus accessibles au public ne permettent pas la réalisation de l'invention, cette invention garde son caractère de nouveauté".
Le groupe de travail a chargé le comité de rédaction de rédiger le texte des alinéas 1 et 2 de l'article 14 en conformité avec les résultats de la discussion (page 12, cinquième paragraphe du document). Le texte des alinéas 1 et 2 de l'article 14 définissant la nouveauté a été adopté lors de la séance du 20 avril 1961 (page 47). Son libellé à la page 5 du document IV/2498/1/61-F est pour l'essentiel identique à celui de l'article 54(2) CBE. Il se lit comme suit :
"(1) Une invention est considérée comme nouvelle si elle ne relève pas de l'état de la technique.
(2) L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant le jour du dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen."
Le texte du groupe de travail est semblable (en dehors d'un réagencement des termes à l'alinéa (2)) à celui contenu dans l'avant-projet de la Convention sur la délivrance de brevets européens (BR/6/69, page 19).
10.2 Résultats de la cinquième session du groupe de travail "brevets" qui s'est tenue à Bruxelles du 2 au 18 avril 1962 (section 4, 3076/IV/62-F)
Les passages pertinents de ce document sont le dernier paragraphe de la page 141 et les trois premiers paragraphes de la page 142, qui se lisent comme suit :
"Au sujet du paragraphe 2 de l'article 14, M. Fressonnet rappelle la proposition française qui précise que l'état de la technique doit être rendu suffisamment accessible pour permettre à un homme du métier d'exécuter l'objet de la publication.
M. van Benthem lui fait remarquer que cette formulation proposée comporte une modification quant au fond. La condition proposée par M. Fressonnet est prévue par la loi néerlandaise et elle constitue en pratique un critère très sévère. Il ne faut pas oublier que très souvent les descriptions contenues dans les demandes de brevet ne suffisent pas pour exécuter l'invention. Si on adoptait la formule française, de tels demandes et brevets antérieurs ne pourraient pas être considérés comme relevant de l'état de la technique. En outre, il y a également des publications purement théoriques qui ne permettent pas une exécution technique immédiate. Mais elle relève néanmoins de l'état de la technique.
M. Fressonnet indique qu'il n'était pas dans l'intention de la délégation française de modifier le paragraphe 2 de l'article 14 quant au fond. Ainsi il peut se rallier à la majorité du groupe.
L'article 14 est adopté tel quel en tenant compte des modifications qui ont été décidées antérieurement."
10.3 Résultats de la dixième session du groupe de travail "brevets" qui s'est tenue à Bruxelles du 16 au 27 septembre 1963 (section 11, 9081/IV/63-F)
Le passage pertinent de ce document se trouve à la page 66 (mise en valeur par la Chambre). Il se lit comme suit :
"L'AIPPI désire qu'une preuve formelle soit exigée en ce qui concerne le contenu et la date de la divulgation orale.
L'UNICE estime qu'une description générale d'une idée inventive ne doit pas supprimer la nouveauté et propose la rédaction suivante : 'L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public, d'une façon suffisante à la mise en œuvre de l'invention, ...'. Enfin l'UNION souhaite voir préciser le terme "public".
Le gouvernement de l'Autriche formule une remarque assez semblable à celle de l'UNION.
Le Président résume ici les problèmes soulevés au sujet du paragraphe 2.
1. Il est souhaité que la divulgation orale soit accompagnée de preuves supplémentaires.
2. Il est souhaité que la description soit précisée davantage.
3. Il est souhaité que le terme "public" soit également précisé davantage.
Au sujet du premier problème, le groupe unanime estime qu'il n'y a pas lieu de prévoir des preuves particulières concernant la divulgation orale.
On peut faire confiance aux tribunaux qui sont habitués à ce genre de preuves.
Le groupe écarte également le second souhait. Il préfère la rédaction actuelle qui est plus objective."
10.4 Au vu des documents ci-dessus retraçant la genèse de l'article 54 CBE, il semblerait donc que l'expression "accessible au public" au sens de l'article 54(2) CBE visait à exprimer la possibilité dont dispose le public de prendre note de l'état de la technique, c'est-à-dire l'accessibilité du public à l'état de la technique, sans exigence quant à sa reproductibilité. L'exigence de reproductibilité du produit sans difficulté excessive énoncée à la section 1.4 des motifs de l'avis G 1/92 semblerait aller au-delà du sens voulu de l'expression "accessible au public" aux termes de l'article 54(2) CBE.
10.5 Cela pourrait être considéré comme impliquant que tout élément de la composition ou de la structure interne d'un produit mis sur le marché qui peut être découvert par l'homme du métier au moyen d'une analyse fait partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment de la reproductibilité du produit par l'homme du métier.
Applications divergentes de l'avis G 1/92 dans la jurisprudence et pertinence pour la présente affaire
11. La jurisprudence des chambres de recours a adopté des approches divergentes lors de l'application de l'avis G 1/92. La Chambre dans la présente affaire a relevé des décisions divergentes en ce qui concerne les points suivants :
(i) l'interprétation de l'expression "accessible au public" conduisant à exclure de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE le produit en tant que tel (y compris sa composition chimique / structure interne) ou seulement sa composition chimique / structure interne,
(ii) le niveau de précision requis pour l'analyse dudit produit et
(iii) les exigences de reproductibilité du produit.
Comme démontré ci-dessous, une application correcte de l'avis G 1/92 au regard de ces trois points est essentielle dans la présente affaire.
(i) Exclusion de l'état de la technique
12. Les chambres sont parvenues à des conclusions divergentes lorsqu'elles ont estimé que le produit mis sur le marché ne pouvait pas être analysé ou reproduit, décidant (a) que sa composition chimique (ou sa structure interne) ne faisait pas partie de l'état de la technique (T 946/04 du 2 mars 2006, point 3.31 des motifs ; T 1666/16 du 23 janvier 2020, point 11 des motifs), c'est-à-dire en adoptant le texte de la conclusion de l'avis G 1/92, ou (b) que le produit en tant que tel ne faisait pas partie de l'état de la technique, y compris donc sa composition chimique ou sa structure interne (T 370/02 du 14 décembre 2006, point 8.8 des motifs ; T 2045/09 du 14 mai 2014, points 29 à 39 des motifs ; T 1833/14 du 7 décembre 2017, points 1.9 et 1.10 des motifs ; T 23/11, point 2.5 des motifs) en se fondant sur le texte du point 1.4 des motifs de l'avis G 1/92.
12.1 Si à première vue la différence peut sembler être d'un intérêt théorique, elle peut en pratique conduire à des conclusions sensiblement différentes. À titre d'exemple directement lié à la présente affaire, si en application de l'avis G 1/92 un produit ne fait pas partie de l'état de la technique en vertu de l'article 54(2) CBE, ce produit ne peut pas être utilisé comme point de départ à l'appréciation de l'activité inventive.
Si la conclusion est seulement que sa composition ne fait pas partie de l'état de la technique, mais que le produit en tant que tel est toujours compris dans l'état de la technique parce qu'il est disponible dans le commerce, il pourrait être utilisé comme point de départ à l'appréciation de l'activité inventive, dans l'hypothèse où des informations techniques sur ce produit présentées dans des documents de l'état de la technique, notamment sur ses utilisations potentielles et ses avantages, le rendraient particulièrement intéressant pour l'homme du métier. Ce qui est le cas dans le présent recours, car il est démontré dans les exemples de D1 que le produit commercial ENGAGE® 8400 est adapté à la même finalité que celle de la présente invention, à savoir comme matériau d'encapsulation pour piles solaires et modules de piles solaires.
12.2 Le simple fait que la composition chimique d'un produit proposé comme point de départ à l'appréciation de l'activité inventive ne ferait pas partie de l'état de la technique, par exemple, du fait que cette composition chimique ne pourrait pas être entièrement analysée ou exactement reproduite, ne signifie pas nécessairement qu'une composition différente revendiquée qui résout un problème déterminé par rapport audit produit commercial est nécessairement inventive. Cela dépend plutôt des particularités de l'affaire en cause. Ce serait notamment pertinent dans une situation comme celle de l'espèce, dans laquelle des notices d'un produit vendu sont accessibles et contiennent des informations qui seraient en tant que telles suffisantes pour comparer le produit à l'objet revendiqué, sans autre analyse de la composition exacte du produit. Il est incontesté dans la présente affaire que les notices du produit ENGAGE® 8400 ne divulguent pas la teneur en aluminium de ce produit, mais qu'elles permettent d'établir que ledit produit commercial répond à toutes les autres exigences de la revendication 1.
12.3 En conséquence, comme montré en l'espèce et comme illustré également par certaines décisions des chambres de recours (T 505/15 du 11 juillet 2017, points 2 à 3.1 des motifs ; T 2458/09 du 30 juin 2014, point 6.1 des motifs), la question de l'application de l'avis G 1/92 afin d'apprécier l'accessibilité de la composition chimique d'un produit mis sur le marché au regard de questions d'activité inventive, en particulier pour décider si ledit produit pourrait constituer l'état de la technique le plus proche, n'est pas que théorique.
(ii) et (iii) Analysibilité et reproductibilité
13. S'agissant de la capacité à analyser et à reproduire un produit commercial tel que ENGAGE® 8400 qui est une polyoléfine, il convient de prendre en considération, comme le souligne l'intimé au point 78 de sa réplique, qu'"un polymère est un matériau complexe et un mélange de différentes molécules de poids et de structures variés qui interagissent de certaines manières".
13.1 En effet, comme beaucoup d'autres polymères synthétiques, les polyoléfines présentent des structures moléculaires complexes. Elles ne sont pas constituées d'un seul composé moléculaire dont la composition et la structure peuvent être facilement déterminées et définies, mais, sur le plan moléculaire, d'un mélange complexe de chaînes polymères hétérogènes, p. ex. en termes de masse moléculaire, l'incorporation du comonomère entre les chaînes et à l'intérieur de celles-ci, la ramification et la stéréorégularité. À plus grande échelle, la définition du polymère inclut d'autres facteurs tels que l'orientation des différentes chaînes polymères qui remplissent l'espace disponible et s'enchevêtrent. C'est la raison pour laquelle les polyoléfines possèdent une structure complexe tridimensionnelle bien que leurs monomères ne soient composés que d'atomes de carbone et d'hydrogène. Pour ces motifs, les polyoléfines sont le plus souvent définies selon des propriétés et des paramètres statistiques divers sur un plan macroscopique qui se rapportent à leur structure.
13.2 Une décision sur la capacité de l'homme du métier à reproduire un produit mis sur le marché (condition énoncée dans le sommaire de G 1/92), que l'on pourrait comprendre comme étant la capacité à reproduire ledit produit à l'identique, en ce sens que l'homme du métier ne pourrait pas différencier le produit mis sur le marché de celui qui est reproduit, nécessiterait non seulement d'apprécier le niveau de précision ou le type de caractérisation requis, mais également de définir le niveau acceptable de disparités pour considérer que le produit reproduit est identique à celui mis sur le marché.
13.2.1 À cet égard, la difficulté à définir pleinement une polyoléfine résiderait dans l'absence apparente d'une définition généralement reconnue dans la technique de ce que constituerait une analyse complète d'un tel type de polymère. Alors que l'évaluation en vue d'établir si un produit est couvert par l'objet revendiqué repose sur une référence objectivement définie, à savoir la combinaison de caractéristiques revendiquées, l'évaluation en vue d'établir si un produit commercial a été reproduit nécessiterait en premier lieu de définir ce produit, ce qui semblerait dépendre de choix délibérés en ce qui concerne les éléments de la composition ou de la structure devant être analysés ainsi que du degré d'identité exigé.
13.2.2 En conséquence, si l'évaluation en vue d'établir si un produit mis sur le marché et sa composition chimique / structure interne font partie de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE était subordonnée à la possibilité de reproduire exactement ce produit, cette évaluation semblerait impliquer nécessairement, au moins dans le domaine en question, de recourir à des critères subjectifs, donnant lieu à une insécurité juridique lorsque la nouveauté et l'activité inventive doivent être examinées à la lumière dudit produit. Cependant, il ressort clairement de l'avis G 1/92 que, pour des raisons de sécurité juridique, la Grande Chambre n'a pas souhaité fournir une définition de l'état de la technique qui donnerait lieu à une appréciation subjective de la nouveauté (voir la dernière phrase du point 2.1 des motifs de l'avis). Il n'existe également aucune raison apparente pour qu'il en aille autrement lorsque la capacité à analyser et à reproduire un produit commercial devient essentielle pour apprécier l'activité inventive, p. ex. quand ledit produit est proposé en tant qu'état de la technique le plus proche.
13.2.3 Étant donné que la Grande Chambre a déclaré que le même principe devait s'appliquer mutatis mutandis à tout autre produit, cela serait également pertinent, par exemple, pour des produits mécaniques ou électriques constitués d'un grand nombre de composants différents. Faudrait-il dans ce cas limiter l'analyse à certains éléments structurels ? Dans quelle mesure ? L'analyse devrait-elle inclure la composition chimique de ces composants et dans quelle mesure ? Cela devrait-il être exigé même si certaines de ces caractéristiques ne sont pas pertinentes pour l'objet examiné ? Ces questions ne sont que des exemples illustrant la difficulté à apprécier le niveau d'information nécessaire pour analyser et reproduire un produit mis sur le marché afin d'appliquer ce qui pourrait être en apparence un critère pour apprécier si le produit ou sa composition chimique / structure interne sont compris dans l'état de la technique (c'est-à-dire accessible au public au sens de l'article 54(2) CBE).
14. Les chambres ont relevé des divergences de vues quant au niveau d'analyse nécessaire pour déterminer la composition ou la structure interne d'un produit commercial au sens de l'avis G 1/92. Si certaines chambres ont retenu le critère de la composition exacte du produit, une condition aussi stricte n'a pas été exigée dans d'autres décisions.
14.1 Dans la décision T 946/04 (points 3.8.3, 3.8.4 et 3.9 des motifs), la chambre a exigé que la composition exacte du produit vendu puisse être déterminée, c'est-à-dire qu'il soit procédé à une analyse complète. Cela a été considéré conforme aux exigences énoncées dans G 1/92.
Dans la décision T 2068/15 du 25 janvier 2017 (points 2.6 à 2.6.4 des motifs), la chambre a estimé que la condition d'analysabilité de G 1/92 était remplie, car à la date de priorité du brevet, l'homme du métier aurait été en mesure de déterminer l'exacte composition du produit vendu.
La nouveauté n'a pas été reconnue dans la décision T 877/11 du 30 septembre 2014 (points 2.4 et 2.5 des motifs) parce qu'une analyse détaillée et précise de la composition du produit commercial pouvait en effet être menée sans difficulté afin de déterminer au moins les principaux composants dudit produit.
14.2 En revanche, dans la décision T 952/92 (point 4.4 des motifs), la chambre, s'appuyant également sur l'avis G 1/92, a considéré qu'il n'était pas nécessaire de procéder à une analyse complète d'un produit mis sur le marché pour détruire la nouveauté de l'objet revendiqué, et qu'une simple analyse suffisait pour informer l'homme du métier que la composition du produit était couverte par l'objet revendiqué.
Cette approche a également été suivie dans la décision T 1452/16 du 20 septembre 2017 (points 4.4 et 4.5 des motifs).
Dans la décision T 2048/12 du 19 janvier 2016 (point 2.4.3 des motifs), la chambre a considéré qu'il ne découlait pas de l'avis G 1/92 que la disponibilité d'un produit dans le commerce équivaut nécessairement, en tant que telle, à la divulgation (aussi) de toutes les impuretés qui sont contenues dans ce produit sans qu'elles ne soient mentionnées dans le cadre de la commercialisation du produit, et moins encore leurs quantités respectives, au simple motif que ces impuretés peuvent être identifiées et quantifiées par des moyens d'analyse.
Dans la décision T 2458/09 (point 6.1 des motifs, avant-dernier paragraphe), dans laquelle le produit commercial Omnic® a été considéré comme constituant l'état de la technique le plus proche (voir ci-dessus le point 13.3), la chambre a jugé que l'absence de certitude quant à la connaissance de certains éléments structurels de Omnic® n'empêchait pas que ce produit soit considéré comme constituant l'état de la technique le plus proche. L'homme du métier tiendrait compte des informations qui ont été rendues accessibles au public lors de la sélection d'un état de la technique comme point de départ. Tel était le cas du produit commercial Omnic® accessible au public, et tel aurait été également le cas si la divulgation avait été rendue accessible dans un document écrit de l'état de la technique. Il a été jugé que ces conclusions ne contredisaient pas les principes énoncés par la Grande Chambre de recours dans son avis G 1/92 et appliqués dans la décision T 952/92.
15. La situation est comparable en ce qui concerne la condition de reproductibilité. Si certaines chambres ont retenu comme critère la capacité à reproduire exactement le produit, une condition aussi stricte n'a pas été exigée dans d'autres décisions.
15.1 Dans la décision T 977/93 (JO OEB 2001, 84, points 11.1 à 13 des motifs), la chambre a considéré que la condition de reproductibilité énoncée dans l'avis G 1/92 n'était pas remplie, car il était impossible de déterminer si le vaccin reproduit était identique au vaccin de départ.
Dans la décision T 1833/14 (points 1.4 à 1.7 des motifs), lors de l'analyse de la condition de reproductibilité posée dans l'avis G 1/92, la chambre a déclaré qu'il convenait de se demander si l'homme du métier aurait été en mesure de préparer le produit en tant que tel, c'est-à-dire un échantillon identique au produit de l'utilisation antérieure dans toutes ses propriétés et pas seulement dans celles spécifiées dans la revendication concernée.
15.2 La nécessité d'une analyse complète, afin de permettre l'exacte reproduction du produit en question, n'a pas été en revanche considérée nécessaire dans la décision T 952/92. Dans une analyse détaillée de l'avis G 1/92, la chambre a en premier lieu déclaré au point 2.1 des motifs que "la divulgation d'un produit déjà utilisé est l'information que l'homme du métier découvre soit de visu soit par l'analyse". Elle a ensuite ajouté au point 2.2 des motifs que "c'est le fait qu'il est possible d'accéder directement et clairement à une information relative à la composition ou à la structure interne d'un produit déjà utilisé, par exemple par l'analyse, qui rend une telle composition ou structure interne "accessible au public" et l'inclut dans l'état de la technique aux fins de l'article 54(2) CBE" et a conclu au dernier paragraphe du point 2.3 des motifs que "L'utilisation antérieure d'un produit, par exemple la vente d'un produit, détruit la nouveauté d'une invention revendiquée, dès lors qu'une analyse dudit produit, effectuée à l'aide de techniques analytiques disponibles, permet d'informer l'homme du métier d'un mode de réalisation du produit, couvert par la revendication du brevet", n'acceptant pas en conséquence "les arguments du titulaire du brevet selon lesquels il faut, pour détruire la nouveauté du produit revendiqué, pouvoir effectuer une analyse complète d'un produit déjà utilisé, afin d'en permettre l'exacte reproduction".
Dans la décision T 1540/21 du 23 février 2023 (points 3.8.5 à 3.8.9 des motifs), la chambre, suivant la décision T 952/92, a considéré que la condition de reproductibilité énoncée à l'avis G 1/92 n'exigeait pas de reproduction complète du produit en question.
Dans la décision T 1452/16 (point 4.5 des motifs), la reproductibilité examinée était celle de la combinaison de caractéristiques de la revendication considérée, qui avaient été identifiées (analysées) comme étant présentes dans le produit commercial.
15.3 Dans d'autres décisions, certaines chambres, s'appuyant sur l'avis G 1/92, ont estimé qu'un produit mis sur le marché était destructeur de nouveauté ou constituait l'état de la technique le plus proche sans examiner explicitement ou seulement partiellement sa reproductibilité.
Dans les motifs de la décision T 510/10 du 17 avril 2012 (points 2.3 à 2.7 des motifs) et de la décision T 326/01 du 23 novembre 2005 (points 4 à 6 des motifs), la chambre a examiné la question de savoir si les caractéristiques définies dans la revendication pouvaient être identifiées dans le produit commercial au moyen d'une analyse, ce que le titulaire du brevet avait contesté. Rien n'indique si le titulaire a également contesté la reproductibilité du produit, si cette condition a été implicitement considérée comme étant remplie ou si elle n'a joué aucun rôle dans le raisonnement de la Grande Chambre.
Dans la décision T 877/11 du 30 septembre 2014 (points 2.4 et 2.5 des motifs), la chambre a jugé qu'une analyse détaillée et précise de la composition du chewing-gum Nicotinell® pouvait en effet être effectuée sans difficulté afin de déterminer au moins les principaux composants du chewing-gum. La reproductibilité a été mentionnée en tant que condition nécessaire, mais n'a pas été discutée en détail.
Dans la décision T 2458/09 (point 6.1 des motifs), le produit commercial Omnic® a été considéré comme constituant l'état de la technique le plus proche, mais la reproductibilité du produit commercial n'a pas été discutée.
16. L'existence d'interprétations divergentes de l'avis G 1/92 peut également être illustrée par référence au jugement de la High Court of Justice of England and Wales dans l'affaire TAKEDA UK LTD c. F. HOFFMANN-LA ROCHE AG [2019] EWHC 1911, notamment aux sections 119 à 135. La High Court a estimé que la lecture qu'il convenait de faire de l'avis G 1/92 s'agissant de savoir dans quelle mesure la reproduction du produit doit être exacte, dès lors que les informations que l'homme du métier peut obtenir en analysant le produit sont suffisantes pour lui permettre d'en réaliser une version qui détruit la nouveauté de l'objet revendiqué, est que le produit est dénué de nouveauté (voir notamment les points 122, 130 et 193). Le fait que d'autres caractéristiques d'un produit ne puissent pas être déterminées ni reproduites ne signifiait pas pour autant qu'aucune information relative au produit (composition) n'avait été introduite dans l'état de la technique par une utilisation antérieure (point 125). Cela était d'autant plus valable que la caractéristique qui ne pouvait pas être reproduite était sans rapport avec l'invention (point 126). La High Court n'a pas seulement relevé des approches divergentes dans la jurisprudence de l'OEB, mais elle a aussi clairement considéré que l'approche selon laquelle G 1/92 exigerait que pour qu'un produit soit compris dans l'état de la technique, l'homme du métier ait été en mesure de préparer le produit en tant que tel, dans toutes ses propriétés (pas seulement celles spécifiées dans l'objet revendiqué), allait au-delà de l'esprit de G 1/92 (point 124).
17. Certains auteurs sont parvenus à une conclusion similaire selon laquelle la "reproductibilité complète" du produit commercialisé (confirmée, par exemple, dans T 977/93 et T 1833/14) n'était pas impérativement requise par G 1/92 (voir Moufang dans Schulte, Patentgesetz mit EPÜ, 11e édition, § 3 numéro de marge 56, note de bas de page 172). Il est à noter que suivant cette approche, un déposant aurait la possibilité d'obtenir une protection par brevet d'un produit quand bien même ce produit serait sur le marché depuis longtemps. Les produits disponibles dans le commerce ne devraient pas a posteriori devenir l'objet d'une protection par brevet.
18. Au vu de l'analyse aux points 14 à 17 ci-dessus, la Chambre ne peut pas suivre l'argumentation de l'intimé (points 43 à 51 de l'annexe à sa lettre en date du 18 août 2022) selon laquelle il n'existerait aucune divergence dans la jurisprudence en ce qui concerne la condition de reproductibilité, cette condition exigeant la capacité à reproduire exactement le produit en question.
Considérations supplémentaires
19. L'intimé a abordé au point 54 de l'annexe à sa lettre en date du 18 août 2022 (page 18) le cas d'un produit commercial dont la production nécessite un savoir-faire que le fabricant a sciemment gardé secret, ledit produit ne pouvant de ce fait être réalisé sans cette information. Selon l'intimé, le fait de considérer en l'espèce ledit produit comme étant compris dans l'état de la technique en vertu de l'article 54(2) CBE reviendrait à priver l'inventeur de sa récompense légitime pour sa contribution à la technique qui réside dans la divulgation au public de la façon dont le produit commercial peut être effectivement préparé. Cela renvoie aux points discutés dans la documentation retraçant la genèse de l'article 54 CBE, qui sont cités aux points 10 à 10.5 ci-dessus. La question qui se poserait en l'espèce serait de savoir si la récompense légitime pour la contribution de l'inventeur à la technique se rapporterait au produit en tant que tel ou à la méthode de fabrication du produit.
20. Pour contrer la position de l'intimé et pour illustrer le cas d'espèce, le requérant a évoqué la recette du coca-cola dont on sait qu'elle est secrète. Dans l'hypothèse d'une revendication définissant simplement une boisson gazeuse contenant un colorant caramel, ne pourrait-on pas considérer que le coca-cola, qui sans conteste entre dans cette définition, détruit la nouveauté d'un tel objet revendiqué ? Pourrait-on affirmer que le fait que le coca-cola contienne de l'eau, du dioxyde de carbone et un colorant caramel ne constitue pas l'état de la technique ?
21. Les arguments des parties quant à cette question soulignent la nécessité de résoudre les divergences de vues relevées ci-dessus concernant ce qui est accessible au public et les conditions d'analysabilité et de reproductibilité. Pour répondre aux questions soulevées, il convient de tenir compte de ce que, hormis le cas d'une invention dite "de papier" pour laquelle le produit proprement dit ne peut être matérialisé, si l'invention n'est pas reproductible, un produit commercial a vu le jour et est accessible au public pour être utilisé et analysé.
22. À titre supplémentaire, il semble utile de relever que des propriétés partielles ou des informations structurelles relatives à un produit mis sur le marché sont fréquemment présentées dans de la documentation telle que des notices techniques, des brevets ou des revues scientifiques publiés avant la date de dépôt concernée. Des informations complètes sur la composition ou la structure interne de ces produits ne sont de fait jamais fournies dans ladite documentation. Il n'existe aucune raison apparente pour que de telles informations partielles sur des produits mis sur le marché, présentées dans ladite littérature sans aucune indication quant à la reproductibilité dudit produit, ces informations pouvant même résulter d'une analyse partielle dudit produit menée par les auteurs de la publication, soient traitées différemment de toute information qui pourrait être obtenue à partir d'une analyse partielle de ce produit commercial.
23. Une application de l'avis G 1/92 exigeant une analyse complète du produit et sa reproductibilité sans difficulté aurait pour effet que les informations relatives à une caractéristique d'un polymère commercial pouvant être facilement déterminée, p. ex. sa densité ou sa teneur en comonomère, serait exclue de l'état de la technique s'il n'était pas démontré que le produit en tant que tel peut être analysé et reproduit sans difficulté excessive, quand bien même ces informations pourraient avoir été accessibles au public avant la date de dépôt au moyen d'une analyse classique ou de notices de produit ou de brevets.
23.1 L'intimé fait valoir à cet égard que ces informations publiques constatées, par exemple, dans des descriptifs ne devraient pas être traitées différemment et, en conséquence, ne devraient pas être prises en compte pour l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive si le produit commercial ne peut pas être exactement reproduit. Le requérant ne partage pas cet avis et considère qu'il serait erroné de considérer que des caractéristiques mesurables ou divulguées d'un matériau connu sont invisibles aux yeux de l'homme du métier au motif qu'elles sont mesurées ou divulguées en rapport avec un matériau commercial dont la préparation spécifique est secrète.
23.2 Cette question revêt une importance particulière dans le cadre du présent recours, car des informations partielles relatives à ENGAGE® 8400, qui renvoient à sa structure et à sa composition, et qui sont pertinentes pour les caractéristiques de la présente revendication 1, à savoir le débit de matière fondue, la densité, la dureté Shore A et la teneur en octène, sont décrites dans D1, D2 et D5/D5a (point 30 du mémoire exposant les motifs du recours et point 85 de la réplique).
Conclusion
24. Il ressort de ce qui précède que l'avis G 1/92 a donné lieu à des interprétations divergentes par les chambres de recours au cours des trente dernières années, conduisant à une insécurité juridique lorsqu'il s'agit d'apprécier ce qui constitue l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE eu égard à un produit disponible dans le commerce. Cela a pour effet de rendre la saisine de la Grande Chambre de recours nécessaire à la fois pour assurer une application uniforme du droit et parce que des questions de droit d'importance fondamentale se posent. Une décision concernant les conditions dans lesquelles, pour un produit mis sur le marché avant la date de priorité, comme c'est le cas de ENGAGE® 8400, le produit en tant que tel et des informations partielles sur sa composition publiées avant la date de dépôt constituent l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, est pertinente en l'espèce, car la possibilité d'utiliser ce produit dans l'analyse de l'activité inventive est déterminante pour l'issue de l'affaire. En outre, les interprétations divergentes de G 1/92 revêtent un intérêt pratique considérable dans un grand nombre d'affaires comme le montrent les différentes décisions citées ci-dessus, un simple intérêt théorique étant exclu.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours pour décision :
1. Un produit mis sur le marché avant la date de dépôt d'une demande de brevet européen doit-il être exclu de l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE au seul motif que sa composition ou sa structure interne ne pouvait pas être analysée et reproduite sans difficulté excessive par l'homme du métier avant cette date ?
2. S'il est répondu par la négative à la première question, les informations d'ordre technique concernant ledit produit qui ont été rendues accessibles au public avant la date de dépôt (p. ex. au moyen de la publication d'une brochure technique ou d'un document de la littérature brevet ou non-brevet), sont-elles comprises dans l'état de la technique au sens de l'article 54(2) CBE, indépendamment de la question de savoir si la composition ou la structure interne du produit pouvait être analysée et reproduite sans difficulté excessive par l'homme du métier avant cette date ?
3. S'il est répondu par l'affirmative à la première question, ou s'il est répondu par la négative à la deuxième question, quels sont les critères applicables pour déterminer si la composition ou la structure interne du produit pouvait ou non être analysée et reproduite sans difficulté excessive au sens de l'avis G 1/92 ? En particulier, est-il exigé que la composition et la structure interne du produit puissent être analysées dans leur intégralité et être reproduites à l'identique ?