SEANCE DE TRAVAIL
La juridiction unifiée relative aux brevets
Thomas KÜHNEN - Président de chambre à la Cour d'appel de Düsseldorf - Le principe de séparation des procédures – la pratique allemande
I. Fondement et expressions du principe de séparation des procédures
En raison du principe de séparation des procédures s'appliquant en Allemagne, des juridictions distinctes statuent respectivement sur la validité d'un brevet d'une part et sur la contrefaçon d'autre part, dans le cadre de procédures distinctes. Les procédures en contrefaçon sont des actions ordinaires au civil, qui sont donc exercées devant les juridictions de l'ordre judiciaire (tribunaux de première instance [Landgerichte], cours d'appel [Oberlandesgerichte, OLG]), Cour fédérale de justice [Bundesgerichtshof, BGH]) conformément aux règles de procédure prévues à cet effet par le Code de procédure civile et pour lesquelles les parties disposent des voies de recours habituelles en matière civile (appel devant la cour d'appel, recours contre le refus d'autoriser un pourvoi en révision ou révision devant la Cour fédérale de justice). En revanche, la question de la validité des brevets relève de la compétence des offices allemands des brevets et du Tribunal fédéral des brevets (en tant qu'instance juridictionnelle) dont les décisions d'annulation sont à leur tour susceptibles de recours devant la Cour fédérale de justice. Compte tenu de cette répartition des compétences, la Cour fédérale de justice a un rôle tout à fait particulier, dans la mesure où elle constitue l'instance de dernier ressort tant dans le cadre de l'action en contrefaçon, que dans celui de l'action en nullité. Il lui incombe donc dans un cas (celui de l'action en contrefaçon) de se livrer à un simple contrôle juridique, alors que dans l'autre cas (celui du recours contre une décision d'annulation) elle exerce un contrôle en droit et en fait sur les décisions attaquées.
Les conséquences de cette bipartition institutionnelle entre les actions en contrefaçon et en invalidité sont doubles.
En premier lieu, l'objection de non-brevetabilité du titre litigieux ne peut être accueillie dans le cadre du litige en contrefaçon. Le juge de la contrefaçon est au contraire lié par la décision de délivrance du brevet et n'est pas compétent pour apprécier la brevetabilité de son propre chef.1 En conséquence, tant que l'annulation du brevet litigieux ou que la limitation apportée à l'étendue de la protection qu'il confère pour en exclure le mode de réalisation attaqué n'ont pas acquis force de chose jugée, le rejet de l'action en contrefaçon ne peut se fonder sur la non-brevetabilité dudit titre. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y aurait aucun intérêt à contester sa validité dans le cadre de l'action en contrefaçon. Il existe au contraire plusieurs correctifs visant à compenser le fait que l'on ne puisse faire valoir l'invalidité du brevet litigieux en tant que moyen à part entière à l'appui de la non-contrefaçon.
En second lieu, le principe de séparation des procédures peut entraîner des divergences dans l'interprétation du même brevet telle qu'elle ressort des deux actions (en contrefaçon et en invalidité). Des correctifs sont également prévus dans cette hypothèse.
1. Suspension de l'action en contrefaçon
Pour pouvoir tenir compte du moyen fondé sur la non-brevetabilité du titre litigieux dans le cadre de l'action en contrefaçon, il est possible d'ordonner la suspension de cette dernière, d'office ou sur demande de l'une des parties, jusqu'à la clôture de la procédure en invalidité devant la première instance ou jusqu'à ce que la décision sur la validité ait acquis force de chose jugée.2 Cette règle de procédure se fonde sur le droit processuel interne (article 148 du Code de procédure civile).
Le sursis à statuer est envisageable lorsqu'une procédure d'opposition ou de nullité est en instance contre le brevet litigieux. Il peut également être prononcé dans le cadre d'un recours contre le refus d'autoriser un pourvoi en révision devant la Cour fédérale de justice3 et son usage est souvent signalé devant cette instance lorsque l'action en invalidité (en l'occurrence un recours contre une décision d'annulation) est également pendante devant elle. Il est au contraire exclu dans le cadre d'une procédure en référé en raison du caractère intrinsèque d'urgence de cette dernière, qui exclut un gel temporaire de l'action.
Il importe peu pour le prononcé du sursis à statuer que la procédure en invalidité dont l'issue est attendue soit conduite avec la participation du défendeur à l'action en contrefaçon ou qu'elle soit exclusivement aux mains d'une tierce partie. Il devrait cependant, semble-t-il, relever de l'intérêt bien compris du défendeur à l'action en contrefaçon d'être en mesure d'exercer son influence sur le déroulement de l'action en invalidité. Pour cela, deux solutions s'offrent à lui : premièrement, l'introduction d'une action en nullité qui lui soit propre ; deuxièmement, son intervention dans l'action en nullité d'un tiers, qui est pendante. Cette dernière solution est envisageable lorsque le brevet attaqué est susceptible de porter préjudice à l'activité commerciale de l'intervenant en sa qualité de concurrent4, ce qui est normalement le cas lorsque l'intervenant a été sommé de cesser des actes de contrefaçon ou a fortiori si une action en contrefaçon a été diligentée contre lui. Sur le plan de la procédure, une intervention, lorsqu'elle est recevable, confère à l'intéressé la position d'un intervenant à titre accessoire en tant que litisconsort, c'est-à-dire de partie à part entière (art. 69 Code de procédure civile).5 Deux conséquences importantes en découlent. D'une part, les décisions rendues dans le cadre de la procédure en nullité ont force de chose jugée à l'égard de l'intervenant6, en conséquence de quoi une fois que le rejet de l'action en nullité est passé en force de chose jugée, l'intervenant ne peut plus introduire lui-même de nouvelle action en nullité dans le cadre du litige dans lequel il est intervenu. D'autre part, il doit accepter la procédure en nullité dans laquelle il intervient dans l'état dans lequel elle se trouve, de sorte que les délais courants s'appliquent à lui et qu'il ne peut prétendre à un report de la procédure orale ; en revanche, il jouit d'une certaine autonomie dans la mesure où il peut - même contre la volonté de la partie principale au soutien de laquelle il intervient – soulever des moyens de défense propres. Le retrait de sa demande par la partie principale (par exemple en cas de transaction conclue avec le titulaire du brevet) n'a aucune conséquence pour l'intervenant, qui peut poursuivre seul l'action en nullité. Cela vaut également pour la procédure de recours contre une décision sur la validité, lorsque l'intervention a lieu à ce stade seulement. Toutefois, si la déclaration d'intervention avait déjà été présentée en première instance et que le recours est retiré en deuxième instance, l'intervenant doit lui-même interjeter appel s'il veut pouvoir poursuivre la procédure après le retrait de sa requête ou de son recours par la partie principale (si elle a conclu une transaction par exemple).7
a) Condition de dépendance
S'agissant des conditions du sursis à statuer, son prononcé est subordonné par l'article 148 du Code de procédure civile au fait que la décision dans le litige en contrefaçon dont la suspension est demandée dépende de l'issue de la procédure d'opposition ou en nullité en instance par ailleurs. Cette condition de "dépendance" (Vorgreiflichkeit) ne peut en principe se réaliser que si la contrefaçon illégale du brevet est susceptible d'être établie au profit du requérant. Autrement dit, si les faits ne semblent pas constitutifs de contrefaçon ou si le défendeur peut faire valoir des motifs de justification, la décision sur la contrefaçon ne dépendra pas de l'issue la procédure d'opposition ou en nullité, et l'action en contrefaçon devra être rejetée – indépendamment de l'issue de ladite procédure.8
Ce n'est que dans certains cas exceptionnels que le sursis à statuer peut être prononcé alors même que les chances de prospérer de l'action en contrefaçon ne peuvent être clairement déterminées. Il peut se concevoir pour des raisons d'économie de la procédure notamment, dans le cas où des mesures d'instruction s'imposent en vue d'établir les actes constitutifs de contrefaçon ou de permettre au défendeur de présenter des observations.9 L'ajournement de l'instruction et la suspension du litige peuvent alors se justifier, si la recherche des éléments de preuve est particulièrement ardue, étendue et onéreuse et que l'on peut anticiper avec un degré de certitude suffisant l'invalidité du brevet. Cependant, lorsqu'une expertise semble nécessaire il convient, dans le doute, d'accéder au souhait du requérant de faire procéder à l'expertise tout en poursuivant parallèlement la procédure d'opposition ou de nullité.10 En effet, d'une part, l'établissement d'un rapport d'expertise écrit ne constitue une charge ni pour le juge de la contrefaçon, ni pour le défendeur, son poids financier lui-même ne retombant pas sur ce dernier, car en cas d'annulation du brevet les frais d'expertise incombent au requérant – en tant que partie succombante – et que celui-ci doit également acquitter l'avance sur les dépens. D'autre part, le requérant peut légitimement souhaiter que l'obtention d'une expertise ne retarde pas inutilement la réalisation de ses droits protégés par le brevet, ce qui se produirait assurément si le litige en contrefaçon était d'abord suspendu et l'expertise demandée seulement à l'issue de la procédure d'opposition ou en nullité – laquelle n'aurait pas eu l'issue attendue. Les intérêts des parties se présentent tout autrement lorsqu'il s'agit de décider si l'expert qui a déposé son rapport doit être entendu oralement. De manière générale, cela ne semble pas très utile, particulièrement lorsque le brevet litigieux a été révoqué ou annulé en première instance et que l'on ne peut prévoir si, quand et, le cas échéant, avec quel contenu il sera finalement validé par les instances supérieures.
Si les parties adressent unanimement au juge de la contrefaçon une demande de sursis à statuer (ce qui se produit en principe lorsque le brevet litigieux a été annulé en première instance), une suspension du litige est ordonnée d'emblée, notamment sans que soit vérifié dans le détail que la condition de dépendance est remplie. Cela se justifie par l'argument selon lequel l'action en contrefaçon appartient aux parties et que l'on ne saurait donc les contraindre à adopter contre leur volonté expresse une décision qu'elles ne souhaitent pas et qui aurait pour conséquence prévisible de les obliger, alors même que le sort du brevet litigieux n'est pas encore celé, à former un nouveau recours dans le cadre de l'action en contrefaçon.
b) Pouvoir d'appréciation
La décision de surseoir à statuer relève du pouvoir d'appréciation du juge de la contrefaçon, qui évalue les chances de succès de l'action en opposition ou en nullité de manière sommaire sur la base des éléments dont il dispose. À cette fin, le défendeur à l'action en opposition ou en nullité doit lui communiquer l'exposé complet des moyens soulevés dans le cadre de celle-ci, y compris ses objections.
Le pronostic du juge de la contrefaçon sur la question de savoir si le titre de protection attaqué va être déclaré valide ou non à l'issue de la procédure en opposition ou en nullité ne peut être nécessairement engagé qu'en considération de l'état du litige. Une objection concernant la validité, soulevée par le défendeur dans le cadre de la discussion relative au sursis à statuer, n'est donc pas propre en elle-même à justifier le prononcé de celui-ci, tant que les écritures correspondantes n'ont pas été également soumises dans le cadre de l'action en opposition ou en nullité. L'inverse est également valable. Le titulaire d'un brevet qui réplique aux moyens soulevés contre la validité de son titre dans le cadre de l'action en contrefaçon exclusivement, en omettant de communiquer les éléments correspondants au Tribunal fédéral des brevets (en vue notamment de se ménager la possibilité d'une interprétation différente des moyens présentés à l'appui de la contrefaçon devant ce dernier), ne pourra en principe s'opposer efficacement au prononcé du sursis à statuer, à moins que les moyens invoqués à l'appui de l'invalidité du brevet litigieux ne soient tellement dénués de pertinence qu'ils n'appellent aucune réponse – a fortiori eu égard à la compétence technique du Tribunal fédéral des brevets.
La règle selon laquelle l'évaluation des chances de succès de l'action en invalidité contre le titre litigieux est réalisée sur la base de l'état de la procédure d'invalidité en instance, connaît une exception dans un cas bien précis. Si une action en opposition contre un brevet européen ne peut se fonder sur l'invocation d'un droit antérieur au sens de l'article 139 (2) CBE, celui-ci peut en revanche fonder une action (nationale) en nullité contre la partie allemande du brevet européen. Corrélativement, l'action en nullité n'est pas recevable tant que la procédure européenne en opposition n'est pas close.11 En conséquence, dans l'hypothèse de l'invocation d'un droit national antérieur si, au moment de l'action en contrefaçon l'opposition est encore pendante, la demande de sursis à statuer devra être rejetée car l'action en opposition ne pourra prospérer, l'existence d'un droit national antérieur ne pouvant servir de fondement juridique à une action en opposition contre le brevet litigieux, et l'action en nullité, qui resterait donc seule susceptible d'aboutir pour satisfaire à la condition de dépendance, n'est pas encore formée et l'on ne peut du reste avec certitude compter sur le fait qu'elle pourra l'être. La Cour fédérale de justice12 admet néanmoins la possibilité de suspendre la procédure en contrefaçon tant que l'action en opposition est pendante, compte tenu de l'imminence d'une action en annulation présentant des chances d'aboutir.13 Naturellement, le sursis à statuer n'est plus justifié si l'action en annulation n'est pas effectivement introduite immédiatement à l'issue de la procédure d'opposition.
Comme la suspension de l'action est soumise au pouvoir d'appréciation du juge de la contrefaçon et qu'il ne l'exerce en pratique qu'avec retenue au bénéfice du contrefacteur – ainsi qu'il sera exposé en détail ci-dessous –, celui-ci devrait veiller à attaquer le brevet litigieux aussi rapidement que possible, à savoir dès la date à laquelle il prend sa décision commerciale, ou lorsque débutent la production et/ou la distribution des marchandises (supposées) contrefaites, et au plus tard au moment où il reçoit l'avertissement préalable à l'action en contrefaçon. Il devrait en outre user de la possibilité de déposer une requête en examen accéléré devant l'Office des brevets, afin de s'assurer que la décision sur l'opposition intervienne, sinon avant la décision sur la contrefaçon, du moins dans un laps de temps s'ouvrant au moment de la clôture de l'instruction et laissant toute latitude au juge de la contrefaçon d'attendre l'issue de l'action en invalidité pour fixer la date de sa propre décision (laquelle doit être rendue cinq mois au plus après l'audience de clôture14). Le droit procédural européen prévoit désormais expressément une telle possibilité – à la fois au bénéfice des parties et du juge de la contrefaçon.15
aa) Première instance
Eu égard au fait que le sursis à statuer représente, en raison de la longueur des procédures d'opposition et de nullité, une atteinte substantielle aux droits du requérant, notamment en ce qui concerne l'injonction de cessation de la contrefaçon, laquelle est prononcée pour une période limitée, et considérant en outre qu'il convient d'éviter un abus de procédure de la part du défendeur, selon la jurisprudence en vigueur actuellement le sursis à statuer n'est en principe accordé en première instance que s'il apparaît comme très probable que le brevet litigieux sera révoqué ou annulé sur la base d'une action en opposition ou en nullité.16
Cette approche restrictive est également valable en principe lorsque le brevet litigieux est déjà arrivé à expiration ou que la protection qu'il confère s'achève au cours du litige. Le fait que la question d'une injonction ne se pose plus pour l'avenir pourrait certes relativiser l'urgence pour le requérant de faire valoir ses droits, cependant il retire également son intérêt à l'action en invalidité pour le défendeur, ce qui justifie de s'en tenir aux règles générales du sursis. Cette approche, qui joue au détriment du défendeur à l'action en contrefaçon, est d'autant plus appropriée qu'il devrait lui incomber de faire révoquer ou annuler le brevet litigieux avant de s'engager dans les actes de contrefaçon, de manière à clarifier la situation en temps voulu. Le courrier d'avertissement préalable à l'action en justice devrait, au plus tard, l'inciter à cette clarification. S'il attend la fin du délai de réponse pour attaquer le brevet litigieux (ou même plus longtemps encore), il compromet gravement ses propres intérêts. Il est donc justifié de ne pas ordonner en principe le sursis à statuer lorsque l'état de la technique opposé au titre de protection attaqué correspond à celui qui a été pris en considération pour la procédure de délivrance ou dans le cadre d'une action en opposition ou en nullité rejetée, ou lorsqu'il est encore plus éloigné de l'objet de l'invention que celui qui a déjà été examiné.
La même approche prévaut, a fortiori, lorsque le brevet a été maintenu en première instance. En raison des règles de répartition des compétences prévues par la loi, le juge de la contrefaçon doit en principe prendre acte de la décision de maintien – prise avec le concours de techniciens spécialisés. Dans le cadre de la décision sur le sursis à statuer il ne lui appartient pas de préjuger de tous les éléments du recours faisant suite à une opposition ou contre une décision sur la validité. Dans ces hypothèses, lorsque l'argumentation paraît défendable et fondée sur des motifs compréhensibles, il doit au contraire s'en tenir à la décision adoptée, de sorte qu'en l'absence de circonstances particulières, il n'y a pas de motif de surseoir à statuer à l'action en contrefaçon. En revanche, le sursis à statuer s'impose lorsque la décision sur la validité repose sur des postulats qui apparaissent à l'évidence erronés au juge de la contrefaçon ou sur une argumentation qui n'est plus soutenable (relative, par exemple, à la nouveauté, au niveau inventif, à l'irrecevabilité de l'extension de l'objet d'un brevet) ou lorsque les moyens de droit soulevés contre la décision sur la validité présentent un nouvel état de la technique (sans qu'il y ait eu négligence pour autant) qui, parce qu'il est plus proche de l'invention que celui qui a été pris en considération en première instance, peut laisser présager avec un degré de probabilité suffisant, l'annulation du brevet.17
Pour le juge de la contrefaçon, il s'avère également impossible de répondre positivement à la question de l'éventualité d'une annulation avec un degré suffisant de certitude (et donc d'ordonner le sursis à statuer) lorsque les éléments techniques en jeu dans la discussion sont si compliqués et/ou présentent un caractère si complexe qu'il n'est pas en mesure de se faire une idée réelle de la situation.
Le principe opposé prévaut au contraire lorsque le brevet litigieux a été révoqué ou déclaré nul en première instance ; dans ce cas, le sursis à statuer doit être en principe ordonné.18 Il ne peut être refusé que - de façon exceptionnelle - si le tribunal saisi du litige en contrefaçon dispose de compétences techniques propres lui permettant de considérer de manière crédible que la décision d'annulation est fondée sur une appréciation à l'évidence erronée et qu'il est prévisible, sans aucun doute, que le juge de l'instance supérieure l'invalidera.19 Cette situation n'est susceptible de se produire que dans l'hypothèse où les éléments de l'espèce sont simples sur le plan technique et où ils paraissent suffisamment clairs à des juridictions non constituées de spécialistes ; ce qui n'est pas le cas en revanche pour des inventions complexes appartenant par exemple au domaine de l'électronique ou de la chimie.
Si, en première instance, le brevet a fait l'objet d'une limitation, de sorte que le mode de réalisation attaqué ne le met plus en œuvre, et si l'appelant continue à défendre le brevet litigieux dans sa forme délivrée (mise en œuvre par la réalisation attaquée), il n'appartient pas au juge de la contrefaçon d'apprécier les chances de succès du recours formé contre la révocation partielle. Il est alors préférable qu'il suspende le litige en contrefaçon jusqu'à l'issue de ce recours. En effet, même si le recours formé contre la révocation partielle devait, de l'avis du juge de la contrefaçon, n'avoir aucune chance d'aboutir et que le mode de réalisation attaqué ne mettait à l'évidence aucunement en œuvre le brevet tel que maintenu, l'action en contrefaçon ne devrait en aucun cas être rejetée. En effet, il appartient exclusivement aux instances de délivrance de statuer sur la validité du brevet litigieux dans sa forme délivrée. Le juge de la contrefaçon est lié par leurs conclusions, quelles qu'elles soient, sans disposer d'un pouvoir propre d'appréciation. En conséquence, tant que le titre litigieux n'a pas fait l'objet d'une décision de révocation (partielle) passée en force de chose jugée, son sort demeure en suspens – tout à fait indépendamment du pronostic d'annulation éventuellement formulé par le juge de la contrefaçon. Autrement dit, l'action en contrefaçon demeure susceptible d'aboutir jusqu'à l'issue définitive de la procédure en invalidité ; ce qu'un rejet de la demande en contrefaçon avant l'issue de la procédure en invalidité empêcherait.20 Cela vaut également – nonobstant l'effet contraignant de la décision selon l'art. 111, par. 2, première phrase CBE – lorsque la chambre de recours technique a déjà conclu à la non-admissibilité de la revendication principale telle que délivrée et a renvoyé l'affaire à la division d'opposition pour examen des requêtes subsidiaires qui n'ont pas encore été traitées.21
En revanche, il ne saurait être fait droit à une demande de suspension fondée sur un prétendu usage public antérieur, lorsque celle-ci est étayée par des moyens de preuve littérale (notamment des actes juridiques) présentant des lacunes mais complétés par des preuves testimoniales.22 En effet, eu égard au fait que les témoins cités déposent seulement dans le cadre de la procédure d'opposition ou de nullité, mais non dans celui de la procédure en contrefaçon, il n'est pas possible pour le juge de la contrefaçon de prévoir en quel sens ils vont déposer et si leurs déclarations à l'appui des prétentions des requérants dans la procédure d'opposition ou de nullité seront estimées dignes de foi. En elle-même, la fragilité du pronostic interdit d'accueillir la demande de sursis à statuer, à moins que la probabilité de l'annulation du brevet soit très forte. La soumission de déclarations écrites de la part des témoins ne change rien à ce point de vue.
bb) Deuxième instance
Si en première instance le défendeur a été condamné, la pratique en matière de sursis à statuer à l'action en contrefaçon est plus généreuse devant le second degré de juridiction.23 Elle repose sur la considération selon laquelle le requérant peut faire valoir son droit d'exclusivité découlant du brevet, par le biais de la constitution d'une garantie à laquelle est subordonnée la force exécutoire provisoire du jugement de première instance (article 709 du Code de procédure civile), et que l'appel, qui s'il est accueilli peut tout au plus avoir pour effet de rendre les titres exécutoires sans constitution de garantie24, se prête donc mieux à une suspension. En réalité il ne suffit pas dans cette hypothèse non plus que l'annulation du brevet litigieux relève seulement du possible : elle doit être probable.25 Si la demande en cessation pour contrefaçon devient sans objet en raison de l'expiration du brevet et qu'il ne s'agit plus que d'obtenir la reddition des comptes et l'exécution forcée de l'annulation, il semble même, d'après la jurisprudence de la Cour d'appel de Karlsruhe26, qu'il suffise qu'une appréciation sommaire de l'action en invalidité permette de conclure que la possibilité d'une annulation du brevet litigieux ne présente pas un caractère trop hypothétique.27
Si la requête a été rejetée à tort par le tribunal de première instance et que le juge d'appel acquiert la conviction que le défendeur doit être condamné, les mêmes règles en matière de sursis à statuer s'appliquent à la deuxième instance qu'à la première. Ceci est également valable lorsqu'au cours de la procédure en appel un nouveau titre de protection est introduit, avec l'autorisation de la partie adverse ou l'accord du tribunal qui estime opportun de le prendre en considération, dans la mesure où sont constatés des faits constitutifs de contrefaçon avec les prétentions qui en découlent pour le requérant.
cc) Troisième instance
Dans le cas particulier d'un recours contre le refus d'autoriser un pourvoi en révision, la Cour fédérale de justice28 a reconnu elle aussi que le fait qu'une action en nullité dont l'issue peut avoir une influence sur l'appréciation des faits donnant lieu à l'action en contrefaçon soit pendante ne suffit pas en lui-même à imposer le prononcé d'un sursis à statuer. Il convient de prendre en considération les intérêts (opposés) du demandeur à l'action en contrefaçon, qui vont dans le sens d'une issue rapide de celle-ci ; rapidité dont l'importance est d'autant plus grande que l'action en nullité a été formée tardivement. La Cour en a conclu que, lorsque l'action en nullité n'est engagée qu'après la fin de la procédure de contrefaçon au fond, le prononcé du sursis à statuer ne se justifie que si les chances de succès de ladite action sont manifestes.29 Si le brevet litigieux est finalement annulé et en présence d'une telle négligence de la part du défendeur, il suffit de lui indiquer qu'il a la possibilité de se pourvoir par le biais d'une action en rescision (par analogie, art. 580, n° 6 Code de procédure civile).
Sauf dans ces cas exceptionnels, la Cour fédérale de justice tend de manière générale à surseoir à ses décisions définitives en matière de contrefaçon jusqu'à ce qu'elle ait statué sur la validité du brevet litigieux dans le cadre du recours contre la décision d'annulation. Cette pratique s'explique par le fait que les deux procédures exigent une interprétation du brevet qui doit, bien sûr, être uniforme.
c) (A titre subsidiaire) Combinaison de revendications30
Si des doutes subsistent quant à la validité du brevet litigieux dans sa forme délivrée, il est inutile pour le demandeur à l'action en contrefaçon de fonder à titre subsidiaire ses prétentions sur une combinaison de revendications (par exemple une revendication principale combinée à une sous-revendication). Formuler sa requête de cette manière ne lui permettra pas en effet d'éviter le prononcé du sursis à statuer, car il ne pourra être fait droit à la requête subsidiaire qu'une fois qu'il a été établi que la requête principale est dénuée de fondement. Or, il n'est pas possible de statuer sur ce dernier point tant que la procédure en nullité ou en opposition est pendante.
S'il veut éviter la suspension de l'action en contrefaçon, il est donc indispensable que le demandeur limite strictement l'objet de sa demande aux combinaisons de revendications paraissant valides. Il ne risquera un rejet partiel de sa requête, ainsi que de devoir supporter les frais proportionnels y afférents, que si, en raison de la limitation apportée à la revendication, l'action n'englobe plus les modes de réalisation initialement attaqués. Si en revanche, tous les modes de réalisation attaqués demeurent compris dans le texte de la revendication telle qu'elle a été limitée alors, d'un point de vue économique, le demandeur a avec son action pleinement atteint l'objectif recherché ; une formulation plus précise sera alors adoptée pour décrire les formes de contrefaçon (celle résultant de la revendication telle que limitée), ce que le demandeur est libre de faire sans risquer d'être partiellement débouté.
Le juge lui-même peut décider spontanément d'adopter une formulation plus précise que celle de la requête pour décrire les formes de contrefaçon en cause ; cela peut se produire notamment lorsque les parties à l'action en invalidité se trouvent en désaccord sur le point de savoir si le texte de la revendication visée par le demandeur (telle qu'elle a été délivrée, par exemple) a fait l'objet d'une extension inadmissible. Cette question peut demeurer en suspens si le juge a recours, pour décrire la forme de contrefaçon, à une formulation écartant l'extension supposée inadmissible. Cela est possible et opportun, lorsque tous les modes de réalisation attaqués se laissent englober dans la formulation de la requête telle qu'elle a été précisée et que le juge de la contrefaçon n'est donc pas tenu de répondre expressément à la question de l'extension.
Naturellement, la revendication telle qu'elle a été délivrée peut faire l'objet de demandes subsidiaires. Cela peut se produire occasionnellement, lorsque le texte de la revendication telle que délivrée ne saurait être abandonné, car il y a une certaine chance qu'à l'issue de la procédure en invalidité il soit finalement maintenu. Une présentation "inversée" de la requête permet alors d'éviter un rejet définitif de l'action dans l'hypothèse où le juge de la contrefaçon estime que les caractéristiques limitatives ne sont pas réalisées. En raison de l'existence de la requête subsidiaire, le sursis à statuer est préférable dans le cas où l'on considère que la revendication limitée n'est pas réalisée, car il ménage un délai au requérant.
2. Révision
Le principe de séparation des procédures peut conduire à une situation dans laquelle certaines des caractéristiques de la revendication sont interprétées différemment dans le cadre de l'action en contrefaçon et dans celui de l'action en invalidité ; ces interprétations divergentes empêchant le juge de trancher dans chacune de ces deux procédures. La jurisprudence a mis au point un procédé afin de remédier, au moins partiellement, à ces effets indésirables.
Tout d'abord, le juge de la contrefaçon doit, lorsqu'il interprète le brevet, prendre connaissance de l'opinion du juge de la validité et en tenir compte en la considérant comme une opinion de poids émanant d'un expert.31 Ce n'est qu'en cas de nécessité et s'il y a pour cela des arguments solides, qu'il s'éloigne de cette interprétation. Dans l'hypothèse où l'interprétation du brevet donnée par le juge de la contrefaçon diverge de celle adoptée dans le cadre de la procédure en nullité et si le tribunal qui a statué sur la contrefaçon est une cour d'appel, les recours offerts par le droit sont en principe limités. Si la cour d'appel n'a pas autorisé le pourvoi en révision (ce qui arrive rarement en pratique), la seule solution est que la Cour fédérale de justice elle-même accueille le pourvoi formé par la partie succombante contre le refus d'autoriser la révision. La loi (article 543, par. 2 du Code de procédure civile) prévoit à cet effet des motifs qu'elle énumère limitativement : à savoir que l'affaire en cause soulève des questions d'intérêt fondamental ; ou que le développement du droit ou la garantie de l'uniformité de la jurisprudence exigent une décision de la Cour fédérale de justice. Une simple erreur d'interprétation n'est pas suffisante en principe. La jurisprudence de la Cour fédérale de justice a ainsi considéré comme un motif propre à autoriser la révision le fait que la revendication visée par l'action en contrefaçon ait reçu dans le cadre de la procédure en nullité (déjà close) une interprétation incompatible avec la décision sur la contrefaçon telle qu'elle a été rendue l'obligeant à revoir cette dernière.32 Dans cette hypothèse, l'autorisation se fonde sur la divergence d'interprétation du brevet et l'impossibilité qui en résulte pour la Cour fédérale de justice de garantir l'uniformité de la jurisprudence. Si l'action en nullité prend fin seulement après l'épuisement du délai fixé pour exposer les motifs du recours contre le refus d'autoriser la révision dans l'action en contrefaçon, la restitutio in integrum doit être prononcée de manière à permettre à la partie concernée de soumettre (a posteriori) les éléments de fait pertinents dans le cadre de la procédure d'autorisation.33
L'interprétation des caractéristiques de la revendication donnée par la Cour fédérale de justice dans le cadre du recours contre la décision d'annulation du brevet prévaut donc finalement ; même d'ailleurs lorsque le juge du fond dans le cadre de l'action en contrefaçon exercée devant lui est parvenu à une interprétation différente du brevet après avoir sollicité l'avis d'experts du domaine concerné. Sur le plan juridique, cette solution se justifie par le fait que la détermination de la signification technique du brevet constitue, selon la Cour fédérale de justice, une question purement juridique34, en conséquence elle estime pouvoir exercer un contrôle illimité sur l'interprétation du brevet effectuée par le juge du fond, pour la rectifier.35 Dans l'hypothèse d'une action en contrefaçon qui, au moment de la conclusion du recours contre la décision d'annulation, est encore pendante devant les juges du fond ou n'a même pas encore été engagée, il découle de facto de la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, que le juge de la contrefaçon est tenu de fonder son appréciation sur l'interprétation des caractéristiques telle qu'elle figure dans le jugement d'appel contre la décision d'annulation. Dans le doute, il peut donc être préférable de suspendre la procédure en contrefaçon jusqu'à l'arrêt de la Cour fédérale de justice dans la procédure en nullité, car toute interprétation d'un brevet (même si elle a été adoptée, le cas échéant, avec le concours d'experts) est a priori considérée comme provisoire si elle entre en conflit avec une interprétation ultérieure divergente de la Cour fédérale de justice.36 En revanche, le juge de la contrefaçon demeure libre de son interprétation lorsque la décision sur la validité passe en force de chose jugée sans que la Cour fédérale de justice ne soit intervenue, par exemple dans une procédure d'opposition ou dans une procédure de nullité en première instance. Dans ces hypothèses, les décisions relatives à la validité du brevet représentent – comme toujours – de simples observations de l'homme du métier utiles à l'intelligence de l'invention.
3. Injonction provisoire
Le fait que la non-validité d'un brevet ne constitue pas un moyen de défense à part entière contre une allégation de contrefaçon dudit brevet a en outre certaines conséquences en matière d'exercice de la protection provisoire dans ce domaine ; protection provisoire sur laquelle le juge de la contrefaçon est appelé à se prononcer, même si les possibilités de recours en la matière se limitent au niveau de la cour d'appel.
a) Généralités
En principe, il est également possible d'obtenir le prononcé d'une injonction provisoire en matière de contrefaçon de brevet.37 Elle permet au titulaire du brevet de faire valoir tant le droit de faire cesser la contrefaçon, conformément au paragraphe 1 de l'article 139 de la loi sur les brevets, que – ainsi qu'il résulte du paragraphe 3 de l'article 140b de ladite loi et sous les conditions qu'elle énonce – le droit d'obtenir des informations sur l'origine et les canaux de distribution des marchandises portant atteinte aux droits protégés par le brevet, régi par les paragraphe 1 et 2 du même article. En revanche, le droit à des dommages-intérêts ainsi que celui, préalable, de demander la reddition des comptes du contrefacteur, ne peuvent pas être exercés (garantis) par la voie d'une injonction provisoire38 ; pas plus d'ailleurs que le droit au rappel des produits.39 Cependant, il est possible de demander au cas par cas la saisie conservatoire40 par un huissier des marchandises concernées afin de garantir le droit à leur destruction.
Le prononcé d'une injonction provisoire visant à obtenir des informations au titre de l'article 140b de la loi sur les brevets suppose la présence une "contrefaçon évidente". Cela n'est le cas que lorsque le bien-fondé des allégations de contrefaçon soulevées n'est pas seulement probable mais revêt un degré de certitude suffisant propre à écarter tout doute raisonnable et qu'une décision dans un sens différent, dans le cadre d'une procédure ultérieure au fond, est quasiment exclue.41
b) Particularités du droit des brevets en matière d'injonctions provisoires
Certaines des particularités du régime de l'injonction provisoire en droit des brevets, comparée à d'autres types de litiges au civil, tiennent au fait que dans le domaine des contrefaçons de brevet les faits livrés à l'appréciation du juge ont un caractère technique et qu'ils nécessitent en principe des discussions approfondies oralement ou par le biais d'échanges d'écritures entre les parties, afin de mettre le juge de la contrefaçon – même s'il n'est pas homme du métier – en mesure de se faire une idée suffisamment précise de la question pour pouvoir rendre sa décision. Dans le cadre d'une procédure sommaire cela n'est possible que de façon limitée et dans certaines hypothèses seulement. En particulier, compte tenu de la brièveté du délai dont elle dispose, les possibilités de la partie adverse de mener des recherches approfondies en vue de contester la validité du titre de protection sont limitées. En même temps, le prononcé d'une injonction de cessation de la contrefaçon a le plus souvent des conséquences radicales sur les activités commerciales du défendeur et aboutit donc de facto à une réalisation définitive des prétentions du titulaire du brevet pendant la période de validité de l'injonction.
Afin d'éviter le risque d'une décision erronée qui pourrait être lourde de conséquences, la jurisprudence tient compte de la situation de fait existant et n'envisage en principe le prononcé d'une injonction que lorsque, tant la question de la validité du brevet, que celle de sa contrefaçon42 peuvent être tranchées si clairement en faveur du requérant qu'aucune décision erronée susceptible d'avoir des conséquences sur une éventuelle procédure ultérieure au fond et de justifier une révision n'est sérieusement à craindre.43 Plus la solution à ces deux questions penche résolument en faveur du titulaire du brevet, moins la renonciation à une protection provisoire est justifiée pour tenir compte d'intérêts quelconques de la partie adverse en matière de concurrence. En conséquence, lorsque la validité du brevet et la contrefaçon sont claires, de plus amples réflexions sur l'équilibre des intérêts en présence sont en principe inutiles.44 Dans certains cas, lorsque la situation juridique est claire, la nécessité d'une protection provisoire s'impose donc d'elle-même.45
Il n'existe aucun principe juridique excluant a priori certains domaines techniques d'une procédure de protection provisoire. Il y a naturellement des hypothèses dans lesquelles pour des raisons purement pratiques le titulaire du brevet devrait renoncer à faire ordonner une injonction, car les domaines techniques concernés requièrent des connaissances particulières dont ne dispose pas le juge de la contrefaçon et qu'ils exigeraient de prendre conseil auprès de spécialistes, ce qui est impossible dans le cadre d'une telle procédure.46
c) Validité du brevet
Pour que les doutes concernant la validité du brevet puissent entraîner un rejet de la demande d'injonction, il faut qu'une action en opposition ou en nullité soit formée en vue de faire obstacle à la protection provisoire, car seules ces actions sont réellement susceptibles d'entraîner l'annulation du brevet.47 Il n'est donc pas utile que le défendeur dans le cadre de la procédure d'injonction provisoire se contente de démontrer qu'une action en opposition ou en nullité pourrait déboucher sur l'annulation du brevet, s'il n'a pas effectivement engagé (au plus tard à la clôture de la procédure orale de demande d'injonction) devant l'Office allemand des brevets et des marques, l'Office européen des brevets ou le Tribunal fédéral des brevets une procédure par laquelle il peut obtenir la révocation ou l'annulation du brevet sur le fondement des moyens qu'il invoque. Si le délai entre le moment où il prend connaissance de la demande d'injonction provisoire et la date de l'audience est trop bref pour exiger qu'il introduise un recours dans les formes, il doit au moins être prévisible avec un degré suffisant de certitude que la validité du titre de protection sera contestée en temps voulu.48 Le délai dans lequel on peut compter sur le dépôt d'un recours dans les formes dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la difficulté et de la complexité du domaine technique concerné, ainsi que des possibilités du défendeur en matière de recherches, celles-ci pouvant être rendues plus ardues en cas d'éventuels usages publics antérieurs ou de difficultés à se procurer des publications imprimées en recourant aux banques de données publiques (documentation de sociétés, actes de congrès, ouvrages spécialisés, publications en langue japonaise). Si le délai s'écoulant entre la date à laquelle la mention de la délivrance du brevet est publiée et celle de l'audience est particulièrement bref, de sorte que l'on ne puisse pas même exiger du défendeur un effort raisonnable de recherche d'éventuelles antériorités, et en l'absence de référence à des documents précis, la demande d'injonction provisoire peut être rejetée car l'état du droit n'est pas clair et qu'il ne faut pas écarter trop aisément l'argument selon lequel un effort raisonnable de recherche d'antériorités pourrait permettre d'établir l'état pertinent de la technique.49
Dès lors que la validité du brevet est contestée, il revient du reste au requérant qui entend faire valoir la protection provisoire à son profit, de convaincre le juge de la contrefaçon que les objections soulevées par le défendeur sont infondées et que le brevet va sans aucun doute passer avec succès le contrôle de validité en cours.50 Les conséquences d'une situation dans laquelle les chances de succès de l'action en invalidité ne peuvent être clairement établies pèsent donc sur le requérant – contrairement à ce qu'il en est dans le cas de l'article 148 du Code de procédure civile -, car les domaines techniques dont relève le brevet sont complexes et que le juge de la contrefaçon n'est pas en mesure de se livrer à une appréciation digne de foi.51
En principe on ne peut considérer que la validité du brevet est suffisamment établie que lorsqu'il s'est révélé être à l'épreuve d'une procédure d'opposition ou de nullité en première instance.52 Peu importe que cette dernière ait été menée entre les litigants parties à la procédure d'injonction ou par des tiers (par exemple l'ancien titulaire du brevet et/ou tout autre concurrent). L'injonction provisoire n'est donc pas prononcée en principe lorsque la procédure d'opposition contre le brevet est encore en instance ou qu'elle n'a même pas encore été engagée (parce que le brevet vient seulement d'être délivré). Le demandeur ne peut se soustraire à cette contrainte même si, au lieu d'une décision immédiate, il demande la fixation d'une date d'audience suffisamment éloignée pour permettre au défendeur de rechercher et de présenter d'éventuelles antériorités opposables aux droits litigieux.53 En effet, il ne relève pas de la compétence du juge de la contrefaçon de connaître de façon incidente d'une action en opposition ou en contrefaçon dans le cadre de la protection provisoire. Pour qu'un brevet devienne propre à donner lieu à une injonction provisoire, il faut au contraire pouvoir faire état d'une décision positive des instances compétentes en matière d'opposition ou de nullité et disposant de l'expertise technique nécessaire.
Il n'est possible de passer outre à la nécessité d'une décision contradictoire sur la validité du titre litigieux, prononcée au bénéfice du requérant à l'action en contrefaçon, que dans des cas exceptionnels, notamment lorsque :
- la partie adverse a présenté des observations lors de la procédure de délivrance, de telle sorte que la délivrance du brevet est assimilable à une décision d'opposition contradictoire ;
- l'action en invalidité n'a pas été exercée au motif que la validité du brevet fait l'objet d'une reconnaissance générale (ce que révèle la présence de preneurs connus, etc.) ;
- les moyens invoqués à l'appui de l'invalidité du brevet (qui doivent bien sûr être soulevés par le défendeur dans le cadre de la procédure d'injonction provisoire54) se révèlent inconsistants dès l'exercice du contrôle sommaire requis pour accorder la protection provisoire ;
- des circonstances exceptionnelles rendent inacceptable pour le requérant d'attendre l'issue de la procédure d'opposition ou de nullité, en raison du préjudice pouvant résulter pour lui de la poursuite des actes de contrefaçon.55 Cette situation se produit fréquemment dans les cas de contrefaçon de la part de fabricants de médicaments génériques.56 Alors que le dommage causé par leurs agissements, si le maintien du brevet est finalement prononcé, est extrêmement élevé et irréparable (si l'on tient compte de la chute des prix provoquée par l'adaptation du prix fixé pour les médicaments concernés), l'injonction prononcée à tort (puisque le brevet est ensuite annulé) aurait, elle, pour seule conséquence d'écarter provisoirement le génériqueur du marché de façon injustifiée, ce qui peut être intégralement compensé par la condamnation du titulaire du brevet à des dommages-intérêts d'un montant approprié. S'il est, en outre, tenu compte du fait que, de manière générale, la présence sur le marché du génériqueur ne suppose pas de prise de risque de sa part sur le plan économique (car la préparation en cause a été suffisamment testée sur le plan médical par le titulaire du brevet et qu'elle a déjà sa place sur le marché), l'injonction de cessation devrait être prononcée, même si le juge de la contrefaçon n'a acquis aucune certitude quant à la validité du titre litigieux, mais qu'il estime que les arguments en faveur de la validité sont plus nombreux qu'en sa défaveur.
Cependant, de la nécessité de principe d'obtenir une décision contentieuse positive sur la validité du brevet, il découle à l'inverse que, dès que celle-ci est acquise, la validité du brevet doit en principe être considérée comme suffisamment certaine.57 Une situation dans laquelle le juge de la contrefaçon attendrait une décision définitive sur l'opposition ou la nullité pour ordonner des mesures provisoires ne serait en effet pas conforme aux règles garantissant une protection provisoire effective en matière de brevets (article 50, paragraphe 1 ADPIC, article 9, paragraphe 1, point a) de la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle). Il est au contraire tenu de prendre acte de la décision sur le maintien du brevet adoptée par l'instance spécialisée compétente (Office allemand des brevets et des marques, Office européen des brevets, Tribunal fédéral des brevets) à l'issue d'un examen technique opéré par des experts et, sauf circonstances exceptionnelles, d'en tirer les conclusions qui s'imposent en prononçant les injonctions de cessation nécessaires pour protéger les droits du titulaire du brevet.58 Il n'y a de raison de douter de la décision sur la validité et de s'abstenir de prononcer une injonction que si le juge de la contrefaçon estime que l'argumentation développée par l'instance ayant statué sur l'opposition ou la nullité n'est pas soutenable ou lorsque l'action engagée contre le brevet par le biais d'un recours contre les décisions sur l'opposition ou la validité s'appuie sur des considérations auxquelles le juge d'appel est susceptible de faire droit (parce qu'elles sont nouvelles, par exemple), qui n'ont pas encore été prises en compte par les instances chargées de l'affaire et sur lesquelles elles n'ont pas encore eu l'occasion de statuer. En revanche, la demande d'injonction ne doit pas être rejetée, malgré le maintien du titre de protection en première instance, au seul motif que le juge de la contrefaçon fait prévaloir sa propre appréciation des éléments techniques de l'espèce sur celle, tout aussi valable, des instances appelées à statuer sur l'opposition ou la nullité.59
Si à la date de la procédure d'injonction le brevet a déjà été révoqué ou déclaré nul en première instance, en règle générale les incertitudes que cela entraîne quant à sa validité sont de nature à exclure le prononcé d'une injonction de cessation.60 Il ne peut en être autrement que de façon exceptionnelle dans le cas où la décision d'annulation du brevet est à l'évidence entachée d'une erreur et que l'on peut donc anticiper avec certitude son annulation par l'instance supérieure.61 Il ne suffit pas pour cela d'établir que les motifs d'annulation sont manifestement erronés, il faut en outre que le juge de la contrefaçon parvienne à une conclusion digne de foi selon laquelle aucun autre motif d'annulation ne saurait être décisif. Cela n'est possible que si l'invention porte sur un objet technique que le juge de la contrefaçon peut apprécier à la lumière de ses seules compétences, sur la base de l'exposé des faits présenté par les parties.62 Pour qu'il conclue à la présence d'une erreur manifeste entachant la décision de nullité il faut en outre qu'un préjudice inhabituel menace le titulaire du brevet s'il était empêché d'exercer son droit d'exclusivité jusqu'à la décision d'appel dans la procédure en invalidité. Cela tombe sous le sens en ce qui concerne les brevets de médicaments et les génériqueurs ; en outre, un exposé motivé des faits est dans ce cas exigé du demandeur.63
d) Divergences d'interprétation
S'il apparaît à l'issue de la procédure d'injonction provisoire dans le cadre de l'action en validité, que l'interprétation du brevet adoptée est si différente qu'il ne peut plus être considéré comme exploitable, on se trouve alors en présence d'un changement ultérieur de circonstances de nature à justifier le retrait de l'injonction prononcée dans le cadre de la procédure en contrefaçon (au sens des articles 936 et 927 du Code de procédure civile).
3. Sursis à exécution forcée
En lien avec le principe de la séparation des procédures, il convient enfin d'évoquer la possibilité (conformément aux articles 719 et 707 du Code de procédure civile) de surseoir à l'exécution forcée d'un jugement de contrefaçon (au motif qu'il est dépourvu de fondement, notamment en cas d'invalidité du brevet). C'est là en effet une façon d'atténuer les conséquences du principe de séparation des procédures.
Certes, en principe une demande de sursis à exécution a peu de chances d'aboutir dans les cas où l'exécution forcée est subordonnée à la constitution préalable d'une garantie (comme c'est le cas, conformément à l'article 709 du Code de procédure civile, pour les condamnations pour contrefaçon prononcées par les tribunaux de première instance). Car on considère en effet que l'exigence d'une garantie protège suffisamment les intérêts du défendeur et que les intérêts du titulaire du brevet doivent ici primer. Dans le domaine du droit des brevets, une retenue particulière s'impose en matière de sursis à exécution lorsqu'une demande d'injonction provisoire est envisagée et que le brevet arrive presque à expiration.64 En principe, le sursis à exécution ne saurait donc intervenir que sous des conditions très strictes65 à savoir notamment : lorsqu'à la date de la décision sur la demande de sursis à exécution on peut considérer, sur la base d'un examen sommaire, que le jugement à exécuter sera invalidé. En conséquence, le prononcé du sursis à exécution provisoire, subordonné à la constitution d'une garantie, doit s'imposer lorsque le jugement rendu en première instance par le juge du fond annule le brevet litigieux en tout ou en partie (dans une mesure telle que la réalisation attaquée n'est plus couverte par la protection qu'il offre).66 Le prononcé d'une telle ordonnance est en outre indiqué, en cas d'ajournement d'audience dans la procédure d'opposition ou de nullité en raison de la soumission par le titulaire du brevet d'une requête subsidiaire limitée dans le délai imparti et que cela permet ainsi de donner l'opportunité au demandeur à l'action en opposition ou en nullité d'effectuer une nouvelle recherche d'antériorités en tenant compte de cette requête subsidiaire67, dans la mesure où la forme de réalisation attaquée ne met pas en œuvre la revendication telle que limitée dans ladite requête.68 La décision d'ajournement montre dans ce cas clairement que la requête subsidiaire sera en tout état de cause considérée comme valide et qu'il faut s'attendre à une annulation du brevet dans sa forme délivrée.
Le seul fait que le requérant qui a introduit l'action en nullité mette ultérieurement en évidence l'existence d'autres antériorités et que la date fixée pour l'audience soit repoussée afin de permettre au tribunal et au défendeur de se préparer convenablement, n'est cependant pas suffisant pour ordonner le sursis à exécution. La juridiction d'appel se livre au contraire dans ce cas à un examen des nouveaux documents cités afin d'établir s'ils auraient pu justifier de surseoir à l'action en contrefaçon en appliquant les critères rigoureux sur lesquels se fonde le tribunal de première instance en la matière. Le sursis à exécution n'est prononcé que si cette question peut recevoir une réponse positive.69 Les mêmes principes s'appliquent lorsque le défendeur invoque une nouvelle action en invalidité engagée juste avant ou même juste après la clôture des débats devant le tribunal de première instance. Si rien ne vient justifier de manière plausible que les objections n'aient pas déjà été soulevées dans le cadre de la première procédure et soumises à l'appréciation de techniciens experts (du fait par exemple que le défendeur a volontairement omis de faire état d'antériorités pertinentes), le prononcé du sursis à exécution forcée ne saurait plus être justifié, sauf s'il apparaît au juge d'appel à l'issue d'un examen sommaire que ladite action – formée avec un retard inexcusable – va déboucher sur l'annulation du brevet.70 Les conséquences du doute pèsent dans ce cas sur le défendeur.
II. "Exceptions" au principe de séparation des procédures
Cependant, le principe de séparation des procédures connaît également des exceptions : plus précisément une exception apparente (l'objection dite "Formstein") et une exception véritable (le modèle d'utilité).
1. L'objection "Formstein"
L'objection dite "Formstein" se rapporte à la situation dans laquelle le mode de réalisation attaqué ne réalise pas les caractéristiques du brevet littéralement, mais par équivalent. Dans ce cas, le défendeur dispose avec l'objection "Formstein"71 d'un moyen particulier de défense au fond.
a) Conditions d'application
Cette objection implique que la protection offerte par un brevet ne peut être étendue à un mode de réalisation attaqué lorsque, par l'ensemble de ses caractéristiques (réalisées à la fois littéralement et par équivalent) ledit mode de réalisation est dépourvu de nouveauté en l'état de la technique ou apparaît comme évident eu égard à l'état de la technique déterminant pour le brevet litigieux.72 L'idée sous-jacente à l'objection "Formstein" est que la protection conférée par le brevet litigieux ne doit pas être étendue par le biais du traitement des équivalents à un objet relevant de l'état de la technique déjà connu et pour lequel le titulaire n'aurait donc pu obtenir la protection du brevet dans le cadre de la procédure de délivrance.
Il convient de noter que l'objection "Formstein" ne concerne pas seulement les caractéristiques du brevet considérées individuellement, c'est-à-dire les seules caractéristiques réalisées par équivalent, mais que le mode de réalisation attaqué doit apparaître dans son intégralité comme évident eu égard à l'état de la technique. Il ne saurait être apprécié indépendamment du titre de protection litigieux. Il faut au contraire le considérer comme une utilisation sous forme équivalente de ce dernier et il convient donc de se fonder sur la revendication, même si les caractéristiques réalisées par équivalent doivent être formulées différemment de la revendication.73Le mode de réalisation en cause doit être antériorisé ou évident eu égard à l'état de la technique. S'il est nécessaire pour étayer l'objection "Formstein" de s'appuyer sur différents écrits et schémas, non seulement toutes les caractéristiques de la forme de réalisation attaquée doivent ressortir de ces pièces sans nécessiter plus ample analyse, mais la combinaison des différentes pièces entre elles pour obtenir le mode de réalisation attaqué doit paraître évidente à l'homme de métier. Il est d'autant plus difficile de prouver ce dernier point que les pièces nécessaires pour étayer l'objection "Formstein" sont nombreuses.
b) Limites
L'objection "Formstein" comporte une limite objective importante liée au fait que les règles de répartition des compétences en vigueur, entre les instances de délivrance d'une part et le juge de la contrefaçon d'autre part, attribuent exclusivement le contrôle de la brevetabilité de l'objet du brevet à l'office des brevets, que le juge de la contrefaçon est tenu de prendre acte de la délivrance du brevet et qu'il se trouve lié par la décision adoptée dans le cadre de la procédure de délivrance ou de nullité sans avoir la possibilité d'exercer son propre contrôle. L'examen de l'objection "Formstein", selon laquelle eu égard à l'état de la technique la réalisation attaquée ne représente pas une invention brevetable, ne peut échapper à cette contrainte. Cela suppose donc que l'extension de la protection conférée par le brevet au mode de réalisation attaqué en tant qu'équivalent ne doive pas être refusée sur la seule base de considérations qui – si elles étaient appliquées à l'objet du brevet – devraient conduire à la constatation qu'il ne contient aucun enseignement pratique brevetable en matière technique.74 En d'autres termes, l'objection "Formstein" ne peut atteindre son but que si l'état de la technique opposable concerne bien les variantes équivalentes et non les seules caractéristiques de la revendication réalisées littéralement par la forme de réalisation attaquée.75 Dans le cas contraire, l'action en contrefaçon ne reviendrait pas seulement à examiner la question de savoir si une forme de contrefaçon déterminée, qui parce qu'elle se base sur une variante équivalente de la revendication n'a pas encore en elle-même fait l'objet d'un examen dans le cadre de la procédure de délivrance, constitue une invention brevetable ; mais cela conduirait également à contester de manière inadmissible l'étendue de la protection conférée par le brevet litigieux, fixée lors de la délivrance de celui-ci et liant le juge de la contrefaçon.
2. La brevetabilité d'un modèle d'utilité
Les modèles d'utilité sont enregistrés à l'issue d'un simple examen portant sur le respect des exigences formelles. En principe, ils garantissent cependant à leur titulaire les mêmes droits (à la cessation de la contrefaçon, à des dommages-intérêts, etc.) qu'un brevet, à ceci près que leur échéance est fixée à dix ans seulement. Comme aucun examen au fond de la nouveauté et de l'activité inventive n'intervient préalablement à l'enregistrement, si le modèle d'utilité fait l'objet d'une action en contrefaçon cette lacune devra être comblée. La juridiction saisie de l'action en contrefaçon ne pourra donc statuer que lorsqu'elle aura elle-même acquis la conviction, de son propre chef (ou en faisant appel à une expertise technique si nécessaire), de la brevetabilité du modèle d'utilité (nouveauté, activité inventive).
La non-brevetabilité du modèle d'utilité peut être opposée par les contrefacteurs supposés à des allégations de contrefaçon et invoquée à l'appui de la demande de rejet d'une requête en contrefaçon. En outre, ils ont également la possibilité - comme dans le cas d'un brevet - d'attaquer le modèle d'utilité litigieux dans le cadre d'une action en validité distincte (par le biais d'une requête en annulation), ainsi que de présenter en lien avec cette action une demande de sursis à statuer (article 19 de la loi sur les modèles d'utilité). Le juge saisi de l'action en contrefaçon doit faire droit à cette demande s'il ne considère pas le modèle d'utilité comme brevetable. Sinon il exerce son pouvoir d'appréciation ; et ce de telle manière, qu'en pratique il ménage un délai au moins jusqu'à l'issue de la procédure d'annulation en première instance s'il a des doutes quant à la validité du modèle d'utilité litigieux. La compétence propre du juge de la contrefaçon en matière de contrôle de la brevetabilité s'éteint lorsqu'une décision ayant force de chose jugée intervient dans le cadre de la procédure en annulation. Une décision d'annulation produit ses effets à l'égard de tous ; un rejet de la demande d'annulation ne produit ses effets qu'à l'égard des parties à la procédure en annulation, ce qui fait que le juge de la contrefaçon n'est libéré de l'obligation de se prononcer lui-même sur la validité du modèle d'utilité que lorsque le défendeur à l'action en contrefaçon a participé à la procédure en annulation ayant donné lieu à une décision passée en force de chose jugée.
La question de savoir si le défendeur à l'action en contrefaçon se contente de faire valoir la non-validité du modèle d'utilité litigieux – ce qu'il est libre de faire – au titre de simple objection dans le cadre de l'action en contrefaçon ou l'attaque également au moyen d'une requête en annulation, doit être tranchée en fonction du contexte et avant tout du domaine technique dont relève le modèle d'utilité en cause. Dans certaines affaires techniques, il peut en effet s'avérer risqué en raison de complexité des moyens techniques invoqués de faire valoir l'absence de brevetabilité dans le seul cadre d'une action en contrefaçon. Mais il faut également tenir compte du fait que le requérant, dans le cas où son modèle d'utilité est contesté, ne dispose de moyens de défense d'une large portée que dans le cadre de la procédure en contrefaçon. En effet, dans ce cadre seulement, le requérant peut adapter le modèle d'utilité au mode de réalisation attaqué, réduisant ainsi considérablement l'étendue de la protection qu'il fait valoir.76 À l'inverse, dans le cadre d'une action en annulation, qui fixe le sort du modèle d'utilité pour l'avenir également, ainsi que ses effets à l'égard de tous, tiers et parties, il tend la plupart du temps à obtenir un titre de protection aussi large que possible.
1 BGH, GRUR (Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht, Protection de la propriété industrielle et du droit d'auteur) 2003, 550 – Richterausschluss ; BGH, GRUR 2004, 710, 711 – Druckmaschinen-Temperierungssystem.
2 Reimann/Kreye, in Mélanges Tilmann, 2003, p. 587 ; Scharen, FS 50 Jahre VPP (in Mélanges à l'occasion des 50 ans de l'Association des Experts en Propriété Industrielle), 2005, p. 396 ; Kaess, GRUR 2009, 276 ; Fock/Bartenbach, Mitt. (Mitteilung der deutschen Patentanwälte, Journal des avocats allemands en droit des brevets) 2010, 155. Pour une vue d'ensemble de la pratique européenne en matière de sursis à statuer : Dagg, Mitt. 2003, 1.
3 BGH, GRUR 2004, 710 – Druckmaschinen-Temperierungssystem.
4 BGH, GRUR 2006, 438 – Carvedilol I.
5 BGH, GRUR 2008, 60, 65 – Sammelhefter II.
6 BGH, GRUR 2008, 60, 65 – Sammelhefter II.
7 BGH, GRUR 2011, 359 – Magnetowiderstandssensor.
8 Pour un autre point de vue : OLG München, InstGE (Entscheidungen der Instanzgerichte zum Recht des geistigen Eigentums, Décisions des tribunaux de première instance en matière de droit de la propriété intellectuelle) 11, 192 – dépendance abstraite, dans le cadre de laquelle on se contente d'une dépendance théorique probable de la question de la validité.
9 LG Mannheimn, décision du 30.3.2012 – 7 O 41/08.
10 LG Düsseldorf, InstGE 8, 112 – sursis à statuer dans le cas où l'action en contrefaçon exige un complément d'instruction.
11 BGH, GRUR 2011, 848 - Mautberechnung.
12 GRUR 2011, 848 - Mautberechnung.
13 Cela n'est pas très convainquant eu égard du moins à la motivation fournie, dans la mesure où la suspension de l'action en contrefaçon sera accordée en considération d'une procédure en opposition n'ayant à l'évidence aucune chance d'aboutir ou dans le cas d'une action en annulation n'ayant même pas encore été introduite à la date du prononcé du sursis à statuer. La Cour fédérale de justice n'indique pas pourquoi elle exige un exercice raisonnable du pouvoir d'appréciation du juge et comment ce sursis est conciliable avec l'article 148 du Code de procédure civile, lequel ne le prévoit expressément que dans le cas où le point de droit dont dépend la solution d'un litige constitue l'objet d'un autre litige encore "pendant".
14 BGH, MDR (Monatsschrift für Deutsches Recht, Mensuel du droit allemand) 2009, 1238 : le jugement doit se trouver au secrétariat-greffe de la juridiction concernée avant l'expiration de ce délai, accompagné d'une motivation complète et surtout revêtu de la signature des juges ayant participé à la décision.
16 BGH, GRUR 1987, 284 – Transportfahrzeug ; LG Düsseldorf, BlPMZ (Blatt für Patent-, Muster- und Zeichenwesen, Revue des brevets) 1995, 121, 126 ; von Maltzahn, GRUR 1985, 163, avec des éléments supplémentaires.
17 OLG Düsseldorf, arrêt du 7.7.2011 – I-2 U 66/10.
18 OLG München, InstGE 3, 62 – Aussetzung bei Nichtigkeitsurteil II.
19 OLG Düsseldorf, InstGE 9, 140 – Olanzapin.
20 OLG Düsseldorf, arrêt du 22.2.2012 – I-2 U 36/05.
21 LG Mannheim, décision du 30.3.2012 – 7 O 41/08.
22 OLG Düsseldorf, GRUR 1979, 636, 637 – Ventilanbohrvorrichtung ; OLG Düsseldorf, arrêt du 18.6.1998 – 2 U 29/97, jurisprudence constante.
23 OLG Düsseldorf, Mitt 1997, 257 – Steinknacker.
24 Les jugements en appel sont exécutoires sans constitution de garantie de la part du créancier (article 708, n° 10 Code de procédure civile). Seul le débiteur condamné peut éviter l'exécution forcée qui le menace par la constitution d'une garantie dont le montant est fixé par le tribunal dans son jugement, mais à la suite de cela, le créancier peut à son tour neutraliser cette possibilité en constituant de son côté préalablement à l'exécution forcée une garantie d'un montant égal à la garantie du débiteur (article 711, phrase 1, Code de procédure civile).
25 OLG Düsseldorf, InstGE 7, 139 – Thermocycler.
26 OLG Karlsruhe, InstGE 12, 220 – MP 3-Standard.
27 Si une telle appréciation peut se justifier dans certains cas particuliers, les circonstances de l'espèce sont cependant toujours décisives et il peut justement résulter desdites circonstances que l'intérêt du requérant exige l'exécution immédiate de ses droits à la reddition des comptes et à l'annulation du titre litigieux.
28 GRUR 2012, 93 - Klimaschrank.
29 BGH, GRUR 2012, 93 - Klimaschrank.
30 Pour une analyse détaillée voir Grunwald, Mitt 2010, 549.
31 BGH, GRUR 1998, 895 – Regenbecken.
32 BGH, GRUR 2010, 858 – Crimpwerkzeug III.
33 BGH, GRUR 2010, 858 – Crimpwerkzeug III.
34 BGH, GRUR 2006, 314 – Stapeltrockner ; BGH, GRUR 2011, 313 – Crimpwerkzeug IV.
35 BGH, GRUR 2011, 313 – Crimpwerkzeug IV.
36 OLG Düsseldorf, arrêt du 27.1.2011 – I-2 U 18/09.
37 Pour une synthèse des problèmes liés à l'injonction provisoire en matière de brevets et à son application : von Falck, Mitt 2002, 429 ; Pansch, Einstweilige Verfügung (L'injonction provisoire), 2003.
38 OLG Hamburg, GRUR-RR 2007, 29 – Cerebro Card.
39 Également : Jestaedt, GRUR 2009, 102, 106.
40 Il convient d'éviter une formulation mentionnant la remise des objets concernés à un huissier, en tant "qu'administrateur-séquestre" ou "administrateur fiduciaire". Les deux expressions renvoient en effet au sens strict à une activité d'administration des biens, qui en principe ne figure pas parmi les tâches dévolues aux huissiers, mais représente une activité annexe soumise à approbation et qu'ils peuvent refuser d'exercer.
41 OLG Hamburg, InstGE 8, 11 – Transglutaminase.
42 Outre la réalisation des caractéristiques de l'invention, des questions juridiques décisives pour l'acte constitutif de la contrefaçon sont également visées ici, par exemple la question de savoir si une foire-exposition réunit les conditions de l'offre (LG Mannheim, InstGE 13, 11 = GRUR-RR 2011, 83 – Sauggreifer). Cependant, seules les questions juridiques réellement douteuses ou les situations juridiques vraiment confuses ont une importance particulière et peuvent être opposées à une demande d'injonction.
43 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset ; OLG Karlsruhe, InstGE 11, 143 – VA-LCD-Fernseher.
44 OLG Düsseldorf, arrêt du 27.10.2011 – I-2 U 3/11; OLG Düsseldorf, arrêt du 10.11.2011 – I-2 U 41/11.
45 OLG Düsseldorf, arrêt du 10.11.2011 – I-2 U 41/11.
46 Par exemple : dans le cas d'un brevet de médicaments lorsque la contrefaçon n'est pas évidente (par exemple vérifiable à partir des informations sur le produit fournies par le défendeur lui-même), mais qu'il est nécessaire pour l'établir de procéder à des recherches et à des mesures sur le produit en cause contre lesquelles des objections relatives aux méthodes mises en œuvre ou aux résultats obtenus peuvent être soulevées sans que le juge de la contrefaçon soit en mesure de vérifier par lui-même leur pertinence.
47 OLG Düsseldorf, InstGE 7, 147 – Kleinleistungsschalter ; OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset ; pour une autre opinion : von Falck, Mitt 2002, 429, 433.
48 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
49 LG Mannheim, InstGE 11, 159 – VA-LCD-Fernseher II ; OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
50 La Cour d'appel de Brauschweig (GRUR-RR 2012, 97 – Scharniere auf Hannovermesse) et le Tribunal de première instance de Munich I sont moins exigeants (comparer avec Wuttke/Guntz, VPP-Rundbrief 2012, 7, 14), ce dernier considérant le prononcé d'une injonction provisoire comme possible dès lors qu'aucun doute majeur n'existe sur la validité du brevet.
51 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
52 OLG Düsseldorf, InstGE 9, 140, 146 – Olanzapin ; OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
53 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
54 OLG Düsseldorf, arrêt du 22.12.2011 – I-2 U 78/11.
55 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
56 OLG Düsseldorf, arrêt du 17.1.2013 – I-2 U 87/12.
57 OLG Düsseldorf, arrêt du 10.11.2011 – I-2 U 41/11.
58 OLG Düsseldorf, arrêt du 10.112011 – I-2 U 41/11.
59 OLG Düsseldorf, arrêt du 10.11.2011 – I-2 U 41/11.
60 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset.
61 OLG Düsseldorf, InstGE 9, 140 – Olanzapin.
62 OLG Düsseldorf, InstGE 9, 140 – Olanzapin.
63 OLG Düsseldorf, InstGE 12, 114 – Harnkatheterset ; OLG Düsseldorf, arrêt du 19.03.2009 – I-2 U 55/08.
64 BGH, GRUR 2000, 862 – Spannvorrichtung.
65 Cela vaut également pour le droit au rappel des produits : OLG Düsseldorf, décision du 02.11.2009 – I-2 U 115/09.
66 OLG Düsseldorf, InstGE 9, 173 – Herzklappenringprothese.
67 Sur la nécessité de l'ajournement voir : BGH, GRUR 2004, 354 – Crimpwerkzeug.
68 OLG Düsseldorf, InstGE 9, 173 – Herzklappenringprothese.
69 OLG Düsseldorf, décision du 5.8.2010 – I-2 U 19/10.
70 OLG Düsseldorf, décision du 4.1.2012 – I-2 U 105/11.
71 D'après l'arrêt du même nom de la Cour fédérale de justice, GRUR 1986, 803 – Formstein.
72 Pour une synthèse sur l'objection dite "Formstein" voir : Nieder, in Mélanges König, 2003, p. 379.
73 BGH, GRUR 1999, 914 – Kontaktfederblock.
74 BGH, GRUR 1997, 454 – Kabeldurchführung.
75 LG Düsseldorf, GRUR 1994, 509 – Rollstuhlfahrrad.
76 BGH, GRUR 2003, 867 – Momentanpol.