EXPOSÉS PRÉSENTÉS PAR DES JUGES NATIONAUX
NL Pays-Bas
Robert VAN PEURSEM - Cour d'appel, La Haye - Evolution récente du droit néerlandais des brevets
Septembre 2010 – septembre 2012
Statistiques
La jurisprudence des tribunaux exclusivement compétents pour connaître des litiges en matière de brevets aux Pays-Bas dans la période sus-indiquée est présentée ci-après. Ces statistiques portent seulement sur les affaires ayant fait l'objet d'une procédure contradictoire menée à son terme. Par conséquent, les questions préjudicielles, les désistements d'instance, les cas de non-comparution ou les règlements intervenus pendant ou après l'instance ne sont pas pris en compte. Il arrive souvent qu'une même affaire concerne plus d'un brevet. Il n'est pas rare que deux ou trois brevets soient impliqués. Enfin, dans les affaires de brevets aux Pays-Bas, la validité et la contrefaçon sont généralement jugées ensemble. Il n'y a donc pas d'instances séparées :
Cour suprême ("Hoge Raad") : |
| 2 |
Cour d'appel de La Haye : |
| 25 |
Tribunal de district de La Haye :
2010 : | 49 procédures quant au fond | 20 procédures de référé ("kort geding") |
2011 : | 45 procédures quant au fond | 15 procédures de référé |
2012 (1er sem.) | 23 procédures quant au fond | 11 procédures de référé |
Etendue de la protection
- Cour d'appel 19 octobre 2010 et Cour suprême 25 mai 2012 (confirmation) AGA v Occlutech – affaire du dispositif d'occlusion
Il s'agit là d'une affaire bien connue : la revendication du brevet concernait un dispositif médical repliable en forme d'haltères caractérisé en ce que les clamps sont adaptés à la fixation des fils aux côtés opposés du dispositif. Le dispositif d'Occlutech en forme d'haltères était destiné à l'occlusion des défauts septaux. Le tribunal de district a suivi l'argument d'Occlutech selon lequel les revendications sont limitées aux dispositifs à placer dans un canal (en sorte que les dispositifs d'occlusion septale ne constituent pas une contrefaçon du brevet), mais la Cour d'appel a rejeté cette analyse car la description du brevet montre que les dispositifs médicaux peuvent avoir une utilisation plus large. La Cour d'appel a cité la décision G 2/88 de la Grande Chambre de recours. La Cour a néanmoins confirmé le principal argument de non-contrefaçon, à savoir que le dispositif d'Occlutech ne comporte qu'un clamp à une extrémité. Absence d'équivalence : la Cour, analysant la description du brevet et les arguments du demandeur, a jugé que la fixation à des extrémités opposées du dispositif est un élément essentiel de la revendication. Appliquant le test fonction-moyen-résultat, la Cour a jugé que le "moyen" d'Occlutech est essentiellement différent et qu'il n'y a donc pas contrefaçon (comme cela a été jugé au Royaume-Uni et devant la Cour fédérale de justice en Allemagne). A ce propos, la Cour suprême n'a pas estimé erronée l'application du test fonction-moyen-résultat. La Cour ne l'a pas approuvée expressément non plus, mais ce test peut raisonnablement apparaître comme une méthode acceptable de détermination d'une équivalence aux Pays-Bas.
Dans l'affaire Occlutech, la Cour suprême a confirmé la position des Pays-Bas quant à l'article 69 CBE et au protocole interprétatif appliqué depuis Impro v Liko (2004) et Lely v Delaval (2007). La Cour a clarifié la règle du "prosecution history estoppel" (fin de non-recevoir fondée sur l'historique de la procédure) pratiquée aux Pays-Bas, telle qu'établie dans l'affaire Dijkstra v Saier (2006). La Cour a rejeté le point de vue d'Occlutech selon lequel le protocole concerne l'article 69, et non l'étendue des brevets, et que l'application correcte du protocole entraîne automatiquement le résultat voulu par l'article 1 du protocole. En effet, selon ce raisonnement, le protocole serait superflu. En outre, l'application de l'article 69 telle que voulue par l'article 1 du protocole est étroitement liée à la question de la détermination de l'étendue de la protection. La Cour suprême a jugé que le protocole fixe une ligne directrice pour l'application de l'article 69 et détermine donc l'étendue de la protection. Les autres points de vue optionnels à prendre en considération sont l'essence de l'invention et l'idée qui sous-tend le texte des revendications par opposition à la signification littérale de ce texte. Toutefois les revendications ont à l'évidence la priorité. Il a désormais été précisé que ces autres "points de vue" ont beaucoup moins d'importance que celle accordée par la règle antérieure à la CBE selon laquelle l'étendue de la protection aux Pays-Bas équivalait à la Wesenslehre allemande, et ne devait pas nécessairement être prise en compte dans tous les cas. La Cour suprême a jugé que ces autres "points de vue" pouvaient encore jouer un rôle en fonction du type de brevet, de la description et des arguments présentés par les parties. Cependant, la signification de cette décision n'est pas claire. En pratique, cela n'a peut-être pas beaucoup d'importance. La Cour suprême dans son jugement, par exemple, a estimé que la Cour d'appel avait pris en compte le "point de vue" d'AGA fondé sur l'idée sous-tendant la formulation du texte des revendications dans la mesure où la Cour d'appel avait clairement rejeté le "point de vue" suggéré selon lequel les dispositifs comportant des clamps sur un côté étaient inclus dans la revendication. Le jugement Indorato v Balmain (extension de cheveux) de la Cour d'appel du 18 octobre 2011 est une application du "point de vue" "essence de l'invention".
Au paragraphe 4.2.6, la Cour suprême emploie des mots intéressants au sujet des inventions "pionnières" : la protection est plus étendue lorsque l'on ne peut pas raisonnablement prévoir, décrire et revendiquer les diverses applications possibles. Selon la Cour d'appel, cela ne s'applique pas au cas d'espèce, position confirmée par la Cour suprême. La conséquence pour les revendications triviales peut être une protection moins étendue, comme on le constate dans la procédure de référé du président du tribunal de district en date du 14 mars 2012 Core v Lidl (échelle télescopique) : il n'est pas question d'équivalence lorsqu'une solution technique triviale revendiquée est mise en œuvre de manière légèrement différente. La Cour suprême a fait observer incidemment que dans les cas d'inventions "pionnières", le manque de clarté n'opère pas nécessairement au détriment du titulaire du brevet.
En général, les tiers ne sont pas limités dans leur utilisation de la partie publique du dossier de poursuite de la demande du brevet afin de déterminer l'étendue de la protection dont bénéficie le brevet (contrairement au titulaire du brevet qui l'est). Cela est clair depuis la décision de la Cour suprême de 2006 Dijkstra v Saier, comme le confirme par exemple la Cour d'appel dans son jugement du 1er novembre 2011 Sanofi-Aventis v Ratiopharm. On peut aussi se référer au dossier de poursuite de la demande de brevet pour déterminer si le titulaire du brevet s'est volontairement abstenu de revendiquer certains modes de réalisation qu'il cherche maintenant à inclure aux fins d'action en contrefaçon.
- Cour d'appel 24 janvier 2012 Lundbeck v Generics (cassation en cours) – et tribunal de district 14 août 2012 Lundbeck v Sandoz – affaire de l'escitalopram
Les revendications de produit concernant la substance active escitalopram (antidépresseur vedette) ont été révoquées par la Cour d'appel pour évidence (la contestation de la nouveauté a été rejetée par le tribunal) et les revendications de méthode décrivant une procédure spécifique de synthèse de l'escitalopram et la revendication concernant un produit intermédiaire ont été jugées non évidentes. La Cour a rejeté les arguments de nullité fondés sur le certificat complémentaire de protection (CCP). Le brevet de Lundbeck relatif à l'escitalopram avait été auparavant intégralement révoqué par le tribunal de district.
Le brevet européen EP '066 revendiquait l'escitalopram énantiomère pur (énantiomère pur [S] du composé racémique connu, le citalopram) et une méthode pour sa synthèse. Le tribunal a appliqué l'approche problème-solution (APS), en prenant le citalopram racémique divulgué par le brevet US '193 en tant qu'état de la technique le plus proche, rejetant l'argument de Lundbeck selon lequel on devrait prendre pour point de départ un grand groupe de composés antidépresseurs. La décision du tribunal est une forte incitation à tester séparément les énantiomères avec une espérance de réussite raisonnable. Le tribunal a défini le problème technique objectif comme étant la recherche du nouvel énantiomère du composé racémique connu qui aurait un effet amélioré. En faisant appel à ses connaissances générales, l'homme du métier en arriverait immédiatement à l'énantiomère S. Il a été considéré que l'effet amélioré de l'énantiomère-(+) avec un facteur 2, comparé au racémate, n'est pas surprenant. Cela annule les revendications 1-5.
La revendication de méthode 6 décrivait une synthèse stéréo-sélective procédant à partir d'un précurseur racémique (le diol) connu tiré de la synthèse du citalopram et décomposé en ses énantiomères. Puis, le diol pur en termes d'énantiomère était converti en escitalopram via une réaction spécifique de cyclisation. Le tribunal a jugé que l'état de la technique le plus proche n'était pas le brevet BE '943 (qui divulguait la base diol racémique) et n'était pas une revendication de méthode pour la préparation de l'escitalopram, mais un document appelé Smith, soit une méthode de préparation de l'escitalopram qui ne mentionnait pas la base diol. Le choix même de la base diol en tant que point de départ a été jugé non évident.
Néanmoins, dans le mesure où le composé escitalopram est apparu comme évident, il appartenait à Lundbeck d'apporter la preuve que, à la date de priorité, aucune autre méthode n'était connue susceptible d'être utilisée pour obtenir l'énantiomère optiquement pur. Lundbeck n'a pas réussi à apporter cette preuve.
La procédure devant la Cour d'appel a donc eu pour résultat de ne pas assurer une protection absolue à la substance, bien que la méthode de préparation du composé ait été considérée nouvelle et non évidente. Cette décision a été critiquée. Une procédure en cassation est d'ailleurs en cours. Dans l'affaire en référé du 14 août, le juge Edger Brinkman a estimé dans sa décision préjudicielle que Lundbeck avait jeté un sérieux doute sur la confirmation du raisonnement tenu par la Cour d'appel. Selon ce juge, la logique voulait que, dès lors que l'homme du métier avait une méthode inventive de préparation d'un composé, le composé lui-même était inventif, et ce, même si l'on pouvait peut-être s'attendre à l'existence de ce composé. Selon le juge, il était erroné, semble-t-il, de dire qu'une substance pouvait être brevetée seulement si cette substance elle-même était inventive. Le juge faisait aussi remarquer que cette position contredisait la jurisprudence des chambres de recours techniques de l'OEB. Le juge a déclaré qu'il laissait bien évidemment le soin à la Cour suprême de rendre une décision définitive sur cette question et il a ajouté que les doutes que soulevait la décision de la Cour d'appel n'étaient pas d'un gravité telle que l'on puisse tenir pour provisoirement valable la revendication 1 dans le cadre de la procédure d'injonction provisoire.
Ainsi, dans deux ans, nous serons en mesure de vous dire quelle a été la décision de la Cour suprême sur cette question.
Activité inventive – une application moins dogmatique de l'approche problème-solution ?
- Tribunal de district 27 octobre 2010 et Cour d'appel 1er mai 2012 (confirmation) MSD v Sandoz (co-formulation dorzolamide/timolol - évident)
- Tribunal de district 26 janvier 2011 Sandoz v Glaxo (Affaire du sérétide : fluticasone & salmétérol – évident)
- Tribunal de district 6 juillet 2011 Sandoz v Astra Zeneca (affaire du nexium – esoméprazol – isolation de l'énantiomère pas évidente (contrairement à l'affaire Lundbeck))
- Tribunal de district 7 mars 2012 Sandoz v Astra Zeneca (Seroquel XR – pas évident) l'espérance "raisonnable" de réussite dépend du niveau de motivation.
Dans les trois premiers cas, une approche problème–solution relativement classique a été utilisée, mais l'affaire du Seroquel en particulier a fait apparaître une évolution possible vers une attitude moins rigide dans ce domaine. Dans cette affaire, le test qui a été appliqué pour établir l'activité inventive est le suivant :
La première question à laquelle répondre lors de l'évaluation de l'activité inventive, même via l'approche problème-solution, était la suivante : l'homme du métier – en prenant pour acquises toutes les connaissances à sa disposition à la date de priorité – était-il motivé pour mettre au point une formulation à libération prolongée de la quétiapine et avait-il une espérance de réussite raisonnable, en l'occurrence pour que cela puisse résoudre le problème objectif ? La motivation et l'espérance de réussite raisonnable étaient interdépendantes ("vases communicants"). En effet, une forte motivation de l'homme du métier pallierait une espérance de réussite moindre de sa part. A l'inverse, une faible motivation de l'homme du métier devrait être compensée par une grande espérance de réussite. En d'autres termes, une espérance de réussite raisonnable dépendait du niveau de motivation.
La Cour a jugé que l'invention n'était pas évidente, estimant que la motivation pour la création d'une formulation à libération prolongée était très limitée à la date de priorité et que l'homme du métier n'avait pas de grande espérance de réussite dans la création d'une formulation à libération prolongée suffisamment efficace.
Autre évolution dans ce domaine : la question des anticipations sur la solution – quid des anticipations "négatives" et "positives" lorsque l'on évalue l'activité inventive ? Dans l'affaire du sérétide, la cour a jugé que la détermination de l'évidence n'était pas la somme des anticipations "positives" et "négatives", étant donné que l'homme du métier poursuivrait son activité inventive en cas d'anticipations positives, mais ne serait pas arrêté par une simple anticipation négative, à moins que celle-ci ne corresponde à un préjugé. Toutefois, dans l'affaire du Nexium, il y avait une anticipation négative : une étude antérieure avait montré qu'aucun énantiomère du Losec ne possédait de caractéristiques supérieures. Ce fut l'une des raisons données par la Cour à l'appui de son jugement de non-évidence, mais la Cour n'a pas précisé si cela équivalait à un préjugé ou non.
Pratique transfrontière après Solvay v Honeywell
- Tribunal de district 22 décembre 2010 Solvay v Honeywell – questions préjudicielles à la CJUE
- CJUE 12 juillet 2012 Solvay v Honeywell, affaire C-616/10
Le tribunal de district de La Haye sollicitait l'assentiment de la CJUE pour sa pratique transfrontière toujours en vigueur, bien qu'appliquée postérieurement aux affaires GAT v LuK et Roche v Primus, dans les affaires préjudicielles uniquement. La CJUE a approuvé la pratique transfrontière en cours des Pays-Bas concernant les mesures provisoires et a rouvert la porte aux injonctions transfrontières dans les procédures au principal, dans des conditions limitées. Il semble que la Cour de Justice ait restreint la règle édictée dans l'affaire Roche v Primus.
Solvay poursuivait en justice une société néerlandaise et deux sociétés belges du groupe Honeywell, arguant que ces trois sociétés avaient contrefait les mêmes produits dans tous les pays désignés. Solvay sollicitait une injonction transfrontière provisoire pour la durée de la procédure au principal. Le tribunal de district a soumis à la CJUE des questions préjudicielles sur les articles 6(1), 22(4) et 31 du Règlement européen n° 44/2001.
Des "jugements inconciliables" au sens de l'article 6(1) du Règlement européen peuvent être rendus dans une situation comme celle de l'affaire Solvay v Honeywell où un défendeur néerlandais et deux défendeurs belges étaient accusés d'avoir enfreint un brevet dans d'autres pays, lorsque ces défendeurs "dans une procédure pendante devant une juridiction d'un de ces Etats membres, sont accusés, chacun séparément, de contrefaçon à la même partie nationale d'un brevet européen tel qu'en vigueur dans un autre Etat membre, en raison d'actes réservés concernant le même produit". La CJUE a jugé qu'il appartient au juge statuant sur les faits de déterminer s'il existe un risque réel de jugements inconciliables, compte-tenu de tous les éléments du dossier. Il semble donc qu'il revient dans une large mesure aux tribunaux nationaux de déterminer ce qui constitue une "même situation de droit et de fait", en fonction des circonstances spécifiques de l'affaire.
L'arrêt de la CJUE dit aussi clairement que la règle édictée par GAT v LuK ne s'applique pas aux mesures provisoires : "l'article 22(4) (…) doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, dans les circonstances telles que celles en cause dans l'affaire au principal, à l'application de l'article 31 (…)". Par conséquent, la force spécifique de l'article 22(4) n'affecte pas l'application de l'article 31 du Règlement européen. La CJUE a expliqué que la raison d'être de l'article 22(4) – éviter le risque de contrariété entre les décisions – était inexistante dès lors que des décisions provisoires étaient prises par le tribunal, dans la mesure où ces mesures provisoires ne préjugeraient aucunement de la décision à prendre sur le fond par la juridiction compétente au titre de l'article 22(4), ce qui est précisément le raisonnement appliqué depuis GAT v LuK par les tribunaux néerlandais compétents en matière de brevets.
En premier lieu, l'arrêt de la CJUE paraît manifestement se rallier à la pratique transfrontière des Pays-Bas concernant les mesures provisoires, élaborée depuis les affaires GAT v LuK et Roche v Primus et telle que rapportée lors des colloques de Thessalonique (2006) et Bordeaux (2008). Cette pratique est maintenant étendue aux défendeurs étrangers. Cependant, des incertitudes subsistent dans ce domaine étant donné que la CJUE a reformulé la question principale 2 d'une manière qui n'était probablement pas celle voulue par le tribunal de district de La Haye puisque cette juridiction était déjà compétente en vertu des articles 2 à 6 du Règlement européen – et non pas de l'article 31. Il semble toutefois que le raisonnement soit aussi valable pour ce type de compétence que pour les compétences fondées sur l'article 31.
En second lieu, la décision concernant l'article 6 semble rouvrir la possibilité d'attraire des défendeurs de différents pays devant une seule et même juridiction nationale dans une procédure au principal, s'agissant d'une situation de fait telle que celle du cas d'espèce, lorsque cela est nécessaire pour éviter des jugements inconciliables dans le cadre "d'une même situation de droit et de fait", question qui doit être tranchée par cette juridiction nationale. Il ne paraît pas excessif d'en déduire que la CJUE confère désormais aux tribunaux compétence pour connaître de situations de contrefaçons impliquant des filiales étrangères en tant que codéfendeurs lorsque la société basée dans le pays du tribunal a fourni à ces filiales un matériel de contrefaçon, ces filiales offrant à leur tour ce matériel dans leurs pays d'origine respectifs : il semble que ce ne soit qu'une petite étape supplémentaire.
Principes appliqués aux Pays-Bas en matière de normes – affaires Sony v LG et Apple v Samsung
- Président du tribunal de district 10 mars 2011 Sony v LG
- Tribunal de district 14 mars 2012 Samsung v Apple
Ainsi qu'il a été rapporté lors du Colloque de Lisbonne (2010), la décision concernant la norme néerlandaise Orange Book (Tribunal de district 17 mars 2010 Philips v SK Kassetten) a été la première affaire dans laquelle le fait de faire valoir les droits d'un brevet essentiel lié à une norme s'est vu opposer par la défense l'argument de conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (FRAND).
Dans cette affaire, il avait été argué que le titulaire du brevet ne pouvait pas invoquer son brevet car il était obligé de délivrer une licence FRAND. SK Kassetten avait contrefait plusieurs brevets essentiels de Philips liés à une norme en matière de technologie CD et DVD inclus dans la norme Orange Book. Le tribunal de district a jugé qu'il n'existait aucun motif juridique permettant d'utiliser la technologie brevetée et aucun motif juridique empêchant de faire valoir les droits des brevets en cause tant qu'aucune licence n'avait été délivrée. SK Kassetten devait demander une licence FRAND, avant de commencer à utiliser la norme. Si cette demande de licence était refusée, il aurait été encore possible de demander une licence obligatoire dans le cadre d'une procédure de référé, pour la durée du procès au principal. Cette décision différait de la décision de la Cour fédérale de justice allemande dans l'affaire Orange Book. Le tribunal néerlandais avait rejeté le principe appliqué par la juridiction allemande comme étant contraire au droit néerlandais régissant les licences obligatoires, de même que pour des raisons de sécurité juridique. L'arrêt Philips v SK Kassetten indique clairement que la décision du tribunal pourrait être différente dans des circonstances exceptionnelles. Ainsi, des circonstances spéciales autorisent à déroger à la règle générale selon laquelle il n'existe aucune raison juridique de refuser à une partie de faire valoir les droits d'un brevet tant qu'aucune licence n'est pas délivrée.
Dans l'affaire Sony v LG jugée par le tribunal de district de La Haye le 10 mars 2011 et concernant la norme Blue Ray, Sony et LG étaient en litige sur le fait de savoir si Sony était prêt à contracter une licence FRAND de brevet, LG ayant procédé à une saisie de consoles Sony PS3 dans le cadre d'une procédure ex parte et invoquant ses brevets essentiels liés à une norme. Au cours de la procédure postérieure inter partes visant à la levée de la saisie, il est apparu que les parties continuaient de négocier une licence FRAND. Le président du tribunal de district a estimé qu'il y avait là une exception à la règle générale édictée dans l'affaire néerlandaise Orange Book, étant donné que les deux parties étaient membres de l'organisme normatif et liées par ses statuts, lesquels comportent une règle selon laquelle c'est un arbitre qui tranche en dernier ressort si les parties ne s'accordent pas sur des termes équitables, raisonnables et non discriminatoires. En fin de compte, il y a bien licence et, de plus, des négociations sont en cours. Au vu de ces circonstances (pendant les négociations ou l'arbitrage), il ne peut pas y avoir contrefaçon.
Dans l'affaire Samsung v Apple jugée par le tribunal de district le 14 mars 2012, Samsung invoquait quatre brevets (sur 103) essentiels liés à la norme UMTS/3G. Samsung demandait la délivrance d'une injonction contre l'iPhone et l'iPad d'Apple, ainsi qu'une réparation des préjudices antérieurs. Pour juger l'affaire du point de vue de la défense non technique d'Apple, le tribunal de district a de nouveau pris pour point de départ la règle édictée par Philips v SK Kassetten : la simple existence d'une obligation de délivrance d'une licence FRAND n'implique pas l'impossibilité pour le titulaire du brevet de faire valoir les droits qu'il détient sur ses brevets. Toutefois, la présente affaire entraîne une exception à cette règle. Etant donné les négociations en cours entre les parties sur la délivrance d'une licence FRAND, la demande d'injonction constituait, de l'avis du tribunal, un abus de droit ou une violation de l'obligation précontractuelle de négocier de bonne foi. Selon le tribunal, la menace d'une injonction lors de négociations de bonne foi exerce une pression indue sur l'autre partie afin que celle-ci accepte des conditions non-FRAND. Le tribunal a rejeté l'argument de Samsung selon lequel il était fondé à solliciter une injonction au motif qu'Apple n'avait pas négocié de bonne foi. La commercialisation antérieure par Apple de produits intégrant la norme 3G ne justifiait pas que Samsung fasse valoir ses droits auprès de la justice. En effet, Samsung avait explicitement toléré cette commercialisation et Apple a immédiatement demandé une licence après que Samsung eut clairement indiqué ne plus l'accepter. Le tribunal, s'abstenant de juger du caractère FRAND de la contre-offre d'Apple, s'est contenté de déterminer si cette dernière avait enfreint l'obligation d'Apple de négocier de bonne foi et a estimé que ce n'était pas le cas au vu des circonstances.
Le comportement d'Apple à cette date a été jugé comme étant de bonne foi, et la volonté de Samsung de faire prévaloir ses droits comme un abus de droit. Samsung pourrait toutefois recouvrer son droit à réparation par injonction si les circonstances changeaient.
En résumé : en vertu du droit néerlandais, faire valoir les droits d'un brevet essentiel lié à une norme peut être abusif dans deux situations :
- - faire valoir les droits d'un brevet essentiel lié à une norme tandis que des négociations de bonne foi ont lieu autour de l'octroi d'une licence FRAND (à moins que et jusqu'à ce que le prétendu contrevenant ne soit pas de bonne foi ou ne se rende coupable d'un abus de droit).
- - le titulaire du brevet ne respecte pas ses obligations au titre de l'octroi d'une licence FRAND (possibilité insuffisante donnée à l'autre partie de conclure une licence FRAND, par ex. : refus de négocier, conditions de l'offre déraisonnablement élevées ou autres termes et conditions extraordinaires ou déraisonnables).
D'ailleurs, les questions techniques ont été traitées dans trois autres jugements du tribunal de district rendus le 20 juin 2012. Cette jurisprudence reste pertinente pour la question des dommages-intérêts. Le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas contrefaçon dans les affaires "multiplexeur et UMTS happy bit", mais a estimé qu'il y avait contrefaçon dans l'affaire "multiplexeur".
La Cour d'appel replace l'affaire de l'olanzapine dans la ligne générale (Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis, Espagne)
- Cour d'appel 27 septembre 2011 Lilly v Ratiopharm
La Cour d'appel, annulant la décision du tribunal de district, a jugé que le brevet de l'olanzapine était valide. Selon la Cour, la revue Schauzu n'a pas divulgué l'olanzapine. Même si, comme l'avait jugé le tribunal de district, l'homme de métier était tenté de rectifier une erreur dans Schauzu, il constaterait que c'est la flumezapine, et non pas l'olanzapine, qui était visée par Schauzu. La Cour a donc considéré que l'olanzapine est un produit nouveau. La Cour a également précisé qu'aucune règle spécifique en matière d'évidence ne s'applique aux inventions de sélection (comme c'est le cas pour la nouveauté des inventions de sélection), mais elle a bel et bien exprimé une préférence pour l'application de l'approche problème–solution "dans ce domaine également". Il a été jugé que le brevet n'était pas évident par rapport aux études Chakrabarty de 1980 et 1982 et par rapport au brevet britannique GB '235, à la lumière des connaissances générales de l'homme du métier. Aucun des documents sur lesquels le demandeur s'est appuyé n'anticipe sur le fait que l'olanzapine aurait la combinaison souhaitée de principe actif anti-psychotique en l'absence d'effets secondaires extrapyramidaux et d'agranulocytose. Quant à l'importance des preuves à apporter lors de la demande de brevet à l'appui de l'effet technique de l'olanzapine revendiqué dans la demande, la Cour a jugé que "en général", les expériences in vitro suffisent à démontrer le caractère plausible de l'effet thérapeutique revendiqué ou l'absence d'effets secondaires. La Cour a fait observer que cela était conforme à l'approche de l'OEB et à la jurisprudence des tribunaux néerlandais. De plus, la Cour a estimé que la description allait bien au-delà de ce minimum étant donné qu'elle inclut des études scientifiques similaires comparant directement l'olanzapine avec la flurnezapine et l'éthylolanzapine. En outre, durant la phase de demande de brevet, un certificat complémentaire de protection et des autorisations de mise sur le marché sont venus s'ajouter au dossier. La Cour considère que ce sont des éléments supplémentaires apportant la preuve de l'effet thérapeutique combiné et de l'absence d'effets secondaires indésirables revendiqués dans la demande.
Affaire de la Banque centrale européenne : la Cour d'appel révoque le brevet de DSS
- Cour d'appel 21 décembre 2010 BCE v DSS – Brevet DSS annulé pour élément ajouté
C'est une autre affaire dans laquelle la décision du tribunal de district a été annulée. Révoquant le brevet pour cause d'élément ajouté, la Cour a fait observer qu'il semble y avoir un large consensus parmi les diverses juridictions européennes sur le test applicable en matière d'élément ajouté : Haute Cour et Cour d'appel au Royaume-Uni, Cour fédérale de justice allemande, tribunaux d'instance et Cour d'appel en France, tribunaux d'instance en Belgique et Office autrichien des brevets.