CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.3.07 en date du 21 juin 2013 - T 22/09
(Traduction)
COMPOSITION DE LA CHAMBRE :
Président :
J. Riolo
Membres :
D. T. Keeling, G. Santavicca
Requérant/opposant :
Formalities Bureau Limited
Intimé/titulaire du brevet :
Sasol Technology (Proprietary) Limited
Référence :
Qualité de partie/catalyseurs Fischer-Tropsch/SASOL TECHNOLOGY
Article : 107, 108, 112(1)a) CBE
Règle : 101(1) CBE
Mot-clé :
"Dissolution de la société de l'opposant avant que la division d'opposition ait rendu sa décision - réinscription de la société dissoute au registre des sociétés au titre de la législation nationale après la formation du recours - effet rétroactif au titre de la législation nationale" - "Question de droit d'importance fondamentale - absence de jurisprudence sur cette question - insécurité juridique concernant la qualité de partie (oui) - nécessité de saisir la Grande Chambre de recours (oui)"
Sommaire
Questions
1. Si une opposition est formée par une société qui est dissoute avant que la division d'opposition ait rendu une décision maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée, mais que cette société est ensuite réinscrite au registre des sociétés au titre d'une disposition de la législation nationale qui s'applique à cette société, en vertu de laquelle la société est réputée avoir continué à exister comme si elle n'avait pas été dissoute, l'Office européen des brevets doit-il reconnaître l'effet rétroactif de cette disposition de la législation nationale et autoriser la poursuite de la procédure d'opposition par la société réinscrite ?
2. Si un recours est formé au nom de la société dissoute contre la décision maintenant le brevet sous une forme modifiée, et que la société est réinscrite au registre des sociétés, avec effet rétroactif comme décrit à la question 1, après la formation du recours et après l'expiration du délai de recours prévu par l'article 108 CBE, la chambre de recours doit-elle considérer le recours comme recevable ?
3. S'il est répondu par la négative à l'une des questions 1 et 2, cela signifie-t-il que la décision de la division d'opposition maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée cesse automatiquement de produire ses effets, de sorte que le brevet doit être maintenu tel qu'il a été délivré ?
Exposé des faits et conclusions
I. Le 29 octobre 2008, la division d'opposition a rendu une décision intermédiaire selon laquelle le brevet européen n° 1 058 580 et l'invention qui en faisait l'objet satisfaisaient aux exigences de la Convention sur le brevet européen, compte tenu des revendications modifiées de la requête principale déposées par le titulaire du brevet le 27 août 2008.
II. La procédure d'opposition avait été engagée au nom de Formalities Bureau Limited, une société régie par la législation du Royaume-Uni, et l'acte d'opposition avait été déposé le 2 novembre 2004. L'opposant était représenté par M. Peter Charles Bawden, de la société Bawden & Associates.
III. Le 29 décembre 2008, M. Bawden, agissant pour le compte de l'opposant, a formé un recours contre la décision de la division d'opposition. La taxe de recours a été acquittée le même jour. Le mémoire exposant les motifs du recours a été déposé le 2 mars 2009. La procédure orale devant la chambre de recours a été fixée au 6 septembre 2012.
IV. Le 27 août 2012, le titulaire du brevet (intimé) a présenté des observations écrites en réponse aux moyens invoqués par l'opposant les 9 et 20 août 2012. Tout en abordant des questions de fond, l'intimé a contesté la recevabilité du recours au motif que le requérant n'était pas identifié de la même manière dans l'acte de recours et dans le mémoire exposant les motifs du recours. L'intimé a fait observer que l'acte de recours avait été déposé au nom de l'opposant initial, à savoir :
Formalities Bureau Ltd.
4 The Gate House
2 High Street Harpenden
Herts AL5 2TH
GB.
Selon l'intimé, le mémoire exposant les motifs du recours avait en revanche été déposé par une autre entité, à savoir :
Formalities Bureau
Bawden & Associates
4 The Gate House
2 High Street Harpenden
Hertfordshire AL5 2TH
United Kingdom.
L'intimé a fait valoir que conformément à la jurisprudence des chambres de recours (cf., par exemple, la décision T 298/97 du 28 mai 2001), l'acte de recours et le mémoire exposant les motifs du recours doivent tous deux être déposés par la même partie, à savoir par la partie aux prétentions de laquelle la décision faisant l'objet du recours n'a pas fait droit, afin que le recours soit recevable.
V. Dans les observations écrites qu'il a présentées le 4 septembre 2012, l'intimé a soulevé une autre objection d'irrecevabilité après avoir découvert la veille que la société au nom de laquelle l'opposition avait été formée (Formalities Bureau Limited) avait cessé d'exister en 2005, soit trois ans avant que la division d'opposition ait rendu la décision faisant l'objet du recours. A titre de preuve, il a produit un document imprimé depuis le site Internet de Companies House (registre des sociétés du Royaume-Uni), d'où il ressortait que Formalities Bureau Limited avait été dissoute le 4 octobre 2005. Il a également produit un document imprimé depuis le site Internet www.duedil.com, qui contenait des informations similaires.
VI. Lors de la procédure orale tenue le 6 septembre 2012, la Chambre a abordé uniquement la question de la recevabilité, comme annoncé dans une notification adressée la veille aux parties par télécopie. Au nom du requérant, M. Bawden a demandé à la Chambre de reporter la procédure d'un mois, afin de lui donner le temps de présenter des arguments à l'encontre des objections d'irrecevabilité soulevées par l'intimé. La Chambre a accédé à cette demande.
VII. Le 17 septembre 2012, l'intimé a présenté d'autres observations écrites, ainsi que de nombreux documents émanant de Companies House. Dans cette notification, il a demandé que :
(1) le recours soit déclaré irrecevable ;
(2) une procédure orale soit tenue dans le cas où la Chambre refuserait de déclarer le recours irrecevable ;
(3) le délai d'un mois accordé au requérant lors de la procédure orale du 6 septembre 2012 ne soit pas prorogé ;
(4) les documents joints émanant du registre des sociétés du Royaume-Uni soient admis dans la procédure ;
(5) la Chambre demande au mandataire du requérant de préciser la partie qu'il représente et de prouver que cette partie est une entité juridique existante ; en outre, que la Chambre demande au requérant de prouver que la partie "Formalities Bureau Bawden & Associates", pour laquelle le mémoire de recours a été déposé, est une entité juridique indépendante, et qu'elle était une entité juridique indépendante lors du dépôt dudit mémoire.
VIII. Le 8 octobre 2012, M. Bawden a présenté des observations écrites au nom du requérant. Il a fourni des détails concernant une demande adressée à la division de la Chancellerie de la Haute Cour de justice, qui visait à réinscrire Formalities Bureau Limited au registre des sociétés, au titre de l'article 1029 de la "UK Companies Act" (loi du Royaume-Uni relative aux sociétés) de 2006. Il a également fourni des copies de la législation pertinente du Royaume-Uni, ainsi qu'un avis juridique d'un avocat du Royaume-Uni, qui portait à la fois sur la procédure de réinscription d'une société dissoute au registre, et sur les chances de succès de la demande de réinscription de Formalities Bureau Limited au registre.
IX. Dans ses observations en date du 8 octobre 2012, M. Bawden a demandé, au nom du requérant, que :
(1) la Chambre rejette les conclusions du titulaire du brevet tendant à faire déclarer le recours irrecevable ;
(2) si nécessaire, une décision relative à la recevabilité ne soit pas rendue tant qu'une décision relative à la demande de réinscription de Formalities Bureau Limited au registre des sociétés n'aura pas été reçue ;
(3) une procédure orale soit tenue dans le cas où la Chambre envisagerait de faire droit à la requête du titulaire du brevet visant au rejet du recours comme étant irrecevable.
X. Le 7 décembre 2012, M. Bawden a informé la Chambre que la Haute Cour avait approuvé la demande de réinscription de Formalities Bureau Limited au registre des sociétés. Le 17 décembre 2012, il a fourni à la Chambre une copie d'un "General Form of Judgment or Order", en date du 5 décembre 2012, dans lequel la division de la Chancellerie de la Haute Cour de Justice ordonnait la réinscription de Formalities Bureau Limited au registre des sociétés. Le point 3 de l'ordonnance exigeait qu'une copie de l'ordonnance soit fournie au registre des sociétés et indiquait que, conformément à la loi de 2006 sur les sociétés, la société était "réputée avoir continué à exister comme si son nom n'avait pas été radié". L'ordonnance de la Haute Cour enjoignait M. Bawden d'informer tous les six mois le registre des sociétés au sujet des mesures prises pour faire progresser la présente procédure de recours.
XI. Dans sa lettre du 17 décembre 2012, M. Bawden a maintenu les requêtes exposées dans la lettre du 8 octobre 2012 et a demandé à titre de requête supplémentaire que la Chambre fournisse un avis préliminaire sur la recevabilité. Il a également indiqué que le requérant se réservait le droit de demander la saisine de la Grande Chambre de recours sur la question de la recevabilité, si la Chambre venait à considérer le recours comme irrecevable.
XII. Le 13 décembre 2012, l'intimé a soumis d'autres observations écrites à la Chambre de recours. Il a soutenu que l'opposition et le recours étaient tous deux irrecevables au motif que l'opposant avait cessé d'exister plusieurs années avant que la division d'opposition ait rendu la décision faisant l'objet du recours. Le fait que l'acte de recours et le mémoire exposant les motifs du recours aient été déposés par des entités différentes constituait, selon lui, un autre motif d'irrecevabilité du recours. L'intimé a également fait valoir que, dans la mesure où M. Bawden était l'unique directeur de Formalities Bureau Limited au moment de la dissolution, il devait savoir que la société avait cessé d'exister et que, comme il n'avait pas informé l'Office européen des brevets de cette situation, il avait manqué à son obligation de communiquer à l'Office tous les éléments pertinents pour les procédures d'opposition et de recours.
XIII. Dans son courrier du 13 décembre 2012, l'intimé a demandé :
(1) que la décision faisant l'objet du recours soit annulée et que le brevet soit maintenu tel que délivré, étant donné que la dissolution de Formalities Bureau Limited avait entraîné l'extinction de la procédure d'opposition ;
(2) à titre subsidiaire, que le recours soit déclaré irrecevable ;
(3) également à titre subsidiaire, que la Grande Chambre de recours soit saisie des questions suivantes :
"1. Les parties à une procédure devant l'OEB sont-elles tenues d'informer l'OEB des faits importants concernant cette procédure, par exemple concernant la qualité des parties ?
2. Une société qui a été dissoute en vertu du droit national des sociétés est-elle encore partie à une procédure devant l'OEB, par exemple à une procédure d'opposition ?
3. Une société qui a été dissoute en vertu du droit national des sociétés reste-t-elle partie à une procédure devant l'OEB par le simple fait que l'OEB n'est pas informé de sa dissolution ?
4. S'il est répondu par la négative à la question 3, la société dissoute recouvre-t-elle automatiquement sa qualité de partie à la procédure dans le cas où elle est réinscrite au registre des sociétés ?".
L'intimé a en outre maintenu toutes les requêtes formulées dans sa lettre du 17 septembre 2012.
XIV. Les arguments du requérant peuvent être résumés comme suit :
Concernant le prétendu doute sur l'identité du requérant
Il est manifeste que la partie ayant déposé l'acte de recours et celle ayant déposé le mémoire exposant les motifs du recours étaient censées être la même partie, à savoir Formalities Bureau Limited. Le terme "Limited" ou "Ltd" a été omis de manière fortuite dans le mémoire. La référence à Bawden & Associates figure comme un élément de l'adresse du requérant. En dépit de ces "petites erreurs typographiques", le dossier comporte suffisamment d'informations pour identifier le requérant et son adresse, comme l'exige la jurisprudence des chambres de recours (cf. décisions T 344/04 du 25 juillet 2005, T 613/91 du 5 octobre 1993, T 334/95 du 25 juin 1997 et T 786/00 du 19 décembre 2001). Si le nom et l'adresse du requérant comportent une erreur, il est possible de remédier à cette irrégularité en vertu de la règle 101(2) CBE.
Concernant la dissolution de la société de l'opposant et sa réinscription au registre des sociétés
Un opposant est une partie lésée par une décision prononçant le maintien d'un brevet sous une forme modifiée. Même si l'opposant n'existe plus, il y a un délai entre la date de délivrance du brevet et la dissolution de la société au cours duquel la société était lésée par la décision de la division d'opposition, qui s'applique rétroactivement à compter de la date de délivrance. La société aurait pu, par exemple, être soumise à des obligations juridiques ou financières, en fonction de l'issue de la procédure d'opposition.
La société de l'opposant a maintenant été réinscrite au registre des sociétés tenu par Companies House, en vertu d'une ordonnance de la Haute Cour en date du 5 décembre 2012. Conformément à l'article 1032(1) de la loi du Royaume-Uni sur les sociétés de 2006, cette ordonnance a pour effet que "la société est réputée avoir continué à exister comme si elle n'avait pas été dissoute ou radiée du registre".
XV. Les arguments de l'intimé peuvent être résumés comme suit :
A. Irrecevabilité de l'opposition
L'opposition avait cessé d'être recevable lorsque la division d'opposition a rendu la décision faisant l'objet du recours le 29 octobre 2008, puisque l'opposant avait cessé d'exister le 4 octobre 2005. Par conséquent, la décision de la division d'opposition doit être annulée et le brevet doit être maintenu tel qu'il a été délivré, car la CBE ne prévoit pas de remède juridique pour rendre une opposition recevable rétroactivement.
Il ressort clairement des décisions T 525/94 (supra) et T 353/95 (supra) des chambres de recours qu'un recours formé par une société dissoute est irrecevable. Ces affaires portaient sur la dissolution d'une GmbH allemande (Gesellschaft mit beschränkter Haftung - société à responsabilité limitée), qui équivaut à une "limited company" inscrite au Royaume-Uni. Les conséquences juridiques d'une radiation du registre sont identiques pour une GmbH allemande et pour une "limited company" du Royaume-Uni, puisque ces deux entités cessent d'exister le jour de leur dissolution. Une société dissoute ne peut pas engager des poursuites ou être poursuivie en justice.
La question qui se pose est de savoir si la réinscription de la société de l'opposant au registre des sociétés peut rendre l'opposition recevable rétroactivement en raison de la fiction juridique créée par l'article 1032(1) de la loi du Royaume-Uni sur les sociétés de 2006. Si un tel effet rétroactif était admis, il deviendrait possible de remédier à l'irrecevabilité factuelle d'une opposition plus de quatre ans après que la division d'opposition a rendu sa décision, et la société de l'opposant pourrait recouvrer sa qualité de partie à la procédure près de sept ans après avoir perdu cette qualité en raison de sa dissolution.
La CBE prévoit des moyens juridiques de remédier à la perte d'un droit par inadvertance, tels que la requête en poursuite de la procédure au titre de l'article 121 CBE ou la requête en restitutio in integrum au titre de l'article 122 CBE. La requête en restitutio in integrum doit être présentée dans un délai d'un an à compter de l'expiration du délai non observé qui a entraîné la perte d'un droit, et la partie concernée doit démontrer qu'elle a fait preuve de toute la vigilance nécessitée par les circonstances. Si la présente opposition pouvait devenir recevable rétroactivement en vertu de la fiction juridique créée par l'article 1032(1) de la loi de 2006 sur les sociétés, cela introduirait un nouveau remède juridique qui irait bien au-delà des remèdes prévus par la CBE. Le droit du Royaume-Uni sur les sociétés primerait de fait sur la CBE.
Les procédures devant l'OEB tendent à atteindre le niveau de sécurité juridique le plus élevé possible et sont donc généralement assorties de délais. Il découle de la jurisprudence de la Grande Chambre de recours que les moyens existant dans la CBE ne devraient pas être étendus (cf. décision G 1/97 (JO OEB 2000, 322), point 4, deuxième paragraphe).
Etant donné que l'opposant avait cessé d'exister plus de trois ans avant que la division d'opposition ait rendu sa décision maintenant le brevet sous une forme modifiée, cette décision doit être annulée et le brevet doit être maintenu tel qu'il a été délivré.
B. Irrecevabilité du recours
Le recours est irrecevable car le requérant n'a pas été lésé par la décision faisant l'objet du recours en qualité de partie à la procédure, au sens de l'article 107 CBE. La date déterminante à cette fin est la date de la décision. Le requérant avait perdu sa qualité de partie à la procédure du fait de sa dissolution plusieurs années avant cette date. Le seul remède possible à une telle irrégularité aurait pu être une requête en restitutio in integrum au titre de l'article 122 CBE. Cette option ne peut toutefois être retenue puisque le délai d'un an prévu par la règle 136 CBE avait expiré depuis longtemps.
Si la réinscription rétroactive de la société de l'opposant au registre des sociétés était autorisée comme remède à la perte de sa qualité de partie, l'opposant pourrait acquérir ou perdre sa qualité de partie selon qu'il décide ou non de demander la réinscription.
C. Manque de clarté concernant l'identité du requérant
L'acte de recours et le mémoire exposant les motifs du recours doivent tous deux être déposés par la même personne, à savoir par la partie aux prétentions de laquelle la décision faisant l'objet du recours n'a pas fait droit (T 298/97, supra). En l'occurrence, l'acte de recours a été déposé par "Formalities Bureau Ltd", mais le mémoire exposant les motifs du recours a été produit par "Formalities Bureau, Bawden & Associates". Etant donné que Formalities Bureau Ltd avait été dissoute lors de la formation du recours et que le mandataire avait connaissance de ce fait, il n'est pas exclu que le mémoire exposant les motifs du recours ait été délibérément déposé au nom de Formalities Bureau, Bawden & Associates.
D. Obligation pour les parties de dire la vérité et de tenir l'OEB informé
Les parties aux procédures devant l'OEB ont l'obligation générale de dire la vérité. Cette obligation est prescrite en droit allemand par l'article 124 de la loi sur les brevets (Patentgesetz) et par le principe de la bonne foi (Treu und Glauben). Elle s'applique aux procédures devant l'OEB en vertu de l'article 125 CBE. Le mandataire du requérant était l'unique directeur de Formalities Bureau Limited à la date où cette société a été dissoute, et il devait donc avoir connaissance de ce fait. En tant que mandataire en brevets européens, il est soumis à l'obligation de dire la vérité, ce qui implique de signaler tout fait pertinent qui pourrait entraver le bon déroulement d'une procédure devant l'OEB.
Le principe de loyauté de la procédure n'a pas été observé par le requérant ni par son mandataire.
Motifs de la décision
Prétendu doute concernant l'identité du requérant
1. La Chambre ne partage pas l'avis de l'intimé lorsque celui-ci affirme que l'identité du requérant n'est pas claire. Il ressort manifestement des documents figurant au dossier que l'acte de recours et le mémoire exposant les motifs du recours ont été déposés pour le compte de la société au nom de laquelle l'opposition avait été formée, à savoir Formalities Bureau Limited. L'omission du terme "Limited" dans la dénomination de la société semble être fortuite. Les termes "Bawden & Associates" ont été ajoutés en tant qu'éléments de l'adresse, et non pas comme composantes du nom du requérant. Le fait que ces termes figurent sur la ligne suivante ne crée pas de doute à ce sujet.
Conséquences juridiques de la dissolution de Formalities Bureau Limited et de sa réinscription rétroactive au registre des sociétés du Royaume-Uni
2. Le droit de faire opposition à un brevet européen est défini dans des termes très larges. L'article 99(1) CBE dispose que "toute personne" peut faire opposition dans un délai de neuf mois à compter de la publication de la mention de la délivrance du brevet européen au Bulletin européen des brevets. L'opposant n'a pas besoin d'avoir un intérêt particulier à contester le brevet (cf. G 1/84 (JO OEB 1985, 299) et T 798/93 (JO OEB 1997, 363)). Une opposition peut être formée par un "homme de paille", c'est-à-dire par une partie agissant pour le compte d'un tiers (cf. G 3/97 et G 4/97 (JO OEB 1999, 245, 270)).
3. Le terme "personne" utilisé à l'article 99(1) CBE peut renvoyer soit à une personne physique soit à une personne morale artificielle telle qu'une société à responsabilité limitée. Lorsqu'une opposition est formée par une société, cette société doit exister non seulement à la date à laquelle l'opposition est formée, mais elle doit aussi continuer d'exister tout au long de la procédure d'opposition et, dans le cas d'un recours, tout au long de la procédure de recours. Dans la décision T 525/94 du 17 juin 1998, il a été considéré qu'un recours formé au nom d'une société qui avait été dissoute est irrecevable. Dans la décision T 353/95 du 25 juillet 2000, la procédure de recours a été clôturée sans décision sur le fond, car la société du requérant, qui existait certes lors de la formation du recours, avait été dissoute alors que la procédure était encore en instance.
4. Dans la présente affaire, l'opposition a été formée au nom de Formalities Bureau Limited. Cette société existait encore lorsque l'opposition a été formée, mais avait cessé d'exister au moment où la division d'opposition a rendu sa décision maintenant le brevet sous une forme modifiée. La société avait en fait été dissoute plus de trois ans auparavant. Dans l'affaire T 353/95, la chambre de recours a affirmé que seule une personne physique ou morale existante peut être partie à une procédure d'opposition. La procédure d'opposition aurait donc pu être clôturée après la dissolution de l'unique opposant. Cependant, la division d'opposition aurait pu également poursuivre d'office la procédure au titre de la règle 60(2) CBE 1973 (désormais règle 84(2) CBE). En outre, étant donné que le requérant n'existait pas juridiquement lorsque le recours a été formé en son nom, ni à aucun moment au cours du délai de deux mois prévu par l'article 108 CBE pour former le recours, le recours aurait pu être rejeté comme irrecevable au titre de la règle 101(1) CBE, au motif qu'il n'était pas conforme à l'article 107 CBE. Cet article dispose qu'un recours peut être formé par toute partie à la procédure aux prétentions de laquelle une décision n'a pas fait droit. Comme elle avait cessé d'exister, la société n'aurait pas pu être une partie à la procédure, et encore moins une partie aux prétentions de laquelle la décision de la division d'opposition n'a pas fait droit.
5. La question qui se pose dans les circonstances particulières de la présente espèce est de savoir si le fait que la société de l'opposant existe à nouveau par suite de sa réinscription - avec effet rétroactif - au registre des sociétés du Royaume-Uni permet de remédier aux irrégularités mentionnées aux points 3 et 4 ci-dessus.
6. La question de savoir si une société existe est régie par le droit en vertu duquel elle a été créée. Formalities Bureau Limited a été créée en vertu du droit du Royaume-Uni. Conformément à l'article 1032(1) de la loi du Royaume-Uni sur les sociétés de 2006, "l'ordonnance de la Cour en réinscription [d'une société dissoute] au registre a généralement pour effet que la société est réputée avoir continué à exister comme si elle n'avait pas été dissoute ou radiée du registre". Le point 3 de l'ordonnance de la division de la Chancellerie de la Haute Cour de Justice en date du 5 décembre 2012 reconnaît expressément l'effet rétroactif de la réinscription de Formalities Bureau Limited au registre des sociétés (cf. paragraphe X de l'exposé des faits et conclusions ci-dessus). En outre, il ressort clairement des termes de l'ordonnance que la réinscription de la société au registre des sociétés du Royaume-Uni visait à lui permettre de continuer à participer à la présente procédure de recours.
7. L'intimé fait valoir pour l'essentiel que l'opposition n'était plus recevable lorsque la décision faisant l'objet du recours a été rendue et que le recours était irrecevable lorsqu'il a été formé, de sorte qu'il ne peut être remédié à ces irrégularités fondamentales en recourant à une fiction juridique prévue par la législation nationale en vertu de laquelle une société dissoute est réputée avoir continué à exister tout au long de la période concernée comme si la dissolution n'avait jamais eu lieu. Selon l'intimé, la reconnaissance d'un tel effet rétroactif par l'Office européen des brevets affaiblirait le système de remèdes juridiques et de délais prévu dans la CBE.
8. La Chambre n'est pas convaincue par l'argument de l'intimé reposant sur les articles 121 et 122 CBE. Ces deux dispositions concernent le cas où une partie à une procédure n'a pas observé un délai à l'égard de l'Office européen des brevets. Ce cas de figure ne s'est pas produit en l'occurrence, et il est donc difficile de comprendre en quoi ces articles sont pertinents.
9. En revanche, l'argument général de l'intimé selon lequel un aspect particulier du droit des sociétés du Royaume-Uni ne devrait pas pouvoir prendre le pas sur la CBE ne peut être rejeté aussi aisément. Le fait est que, bien que l'opposition ait été recevable lorsqu'elle a été formée, la procédure d'opposition aurait pu être clôturée à tout moment entre le 4 octobre 2005 (date de la dissolution de la société de l'opposant) et le 29 octobre 2008 (date de la décision faisant l'objet du recours) au motif que l'unique opposant avait cessé d'exister. De plus, le recours était irrecevable lorsqu'il a été formé, puisque le requérant n'existait pas à ce moment-là. Peut-il être remédié rétroactivement à ces irrégularités en vertu d'une disposition de la législation nationale qui permet de réinscrire une société au registre sept ans après sa dissolution et de considérer que la société n'a jamais été dissoute ? Cette question n'est pas clairement tranchée dans la CBE ni dans la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB. Elle pose une question de droit d'importance fondamentale, au sens de l'article 112(1) CBE, dans la mesure où elle concerne le système de remèdes prévu dans la CBE, l'acquisition et le maintien de la qualité de partie à une procédure devant l'OEB, ainsi que la relation entre la CBE et la législation nationale. Cette question doit manifestement être tranchée étant donné que la Chambre n'est pas en mesure sinon de déterminer s'il existe une base adéquate pour la poursuite de la procédure d'opposition par la société réinscrite et si le recours est recevable. Il convient donc de soumettre cette question à la Grande Chambre de recours conformément à l'article 112(1)a) CBE.
10. S'il ne peut être remédié rétroactivement aux irrégularités mentionnées aux points 3 et 4 ci-dessus par suite de la réinscription de la société de l'opposant au registre des sociétés du Royaume-Uni en vertu de l'article 1032(1) de la loi de 2006 sur les sociétés, il conviendra de déterminer si cela a pour conséquence que la décision de la division d'opposition cesse automatiquement de produire ses effets et que le brevet attaqué est maintenu tel qu'il a été délivré. Cette question doit également être soumise à la Grande Chambre de recours.
Obligation des parties de tenir l'OEB informé de certains éléments
11. L'intimé n'a pas démontré la pertinence de la question qu'il demande à la Chambre de soumettre à la Grande Chambre de recours concernant l'obligation des parties de tenir l'OEB informé de certains éléments. Il n'a pas indiqué notamment les conséquences spécifiques qui, selon lui, découleraient en l'occurrence d'un manquement à cette obligation (si l'existence de cette dernière était établie). La Chambre ne juge donc pas nécessaire de soumettre cette question à la Grande Chambre de recours.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Les questions de droit suivantes sont soumises à la Grande Chambre de recours :
1. Si une opposition est formée par une société qui est dissoute avant que la division d'opposition ait rendu une décision maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée, mais que cette société est ensuite réinscrite au registre des sociétés au titre d'une disposition de la législation nationale qui s'applique à cette société, en vertu de laquelle la société est réputée avoir continué à exister comme si elle n'avait pas été dissoute, l'Office européen des brevets doit-il reconnaître l'effet rétroactif de cette disposition de la législation nationale et autoriser la poursuite de la procédure d'opposition par la société réinscrite ?
2. Si un recours est formé au nom de la société dissoute contre la décision maintenant le brevet sous une forme modifiée, et que la société est réinscrite au registre des sociétés, avec effet rétroactif comme décrit à la question 1, après la formation du recours et après l'expiration du délai de recours prévu par l'article 108 CBE, la chambre de recours doit-elle considérer le recours comme recevable ?
3. S'il est répondu par la négative à l'une des questions 1 et 2, cela signifie-t-il que la décision de la division d'opposition maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée cesse automatiquement de produire ses effets, de sorte que le brevet doit être maintenu tel qu'il a été délivré ?