SEANCE DE TRAVAIL
Exclusions de la brevetabilité dans le domaine médical en particulier
Peter MEIER-BECK - Président de chambre à la Cour fédérale de justice - Les exceptions à la brevetabilité dans le domaine médical
I. Selon l'article 53 de la Convention sur le brevet européen (CBE), les brevets européens ne sont pas délivrés pour :
a) les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs,
b) les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux,
c) les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal.
Ces trois exceptions à la brevetabilité s'accompagnent de restrictions. L'art. 53 a) de la CBE stipule qu'une telle contradiction ne peut être déduite du seul fait que l'exploitation est interdite, dans tous les Etats contractants ou dans plusieurs d'entre eux, par une disposition légale ou réglementaire. L'exclusion de l'art. 53 b) CBE ne s'applique pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés. L'art. 53 c) CBE ne s'applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d'une méthode de traitement chirurgical ou thérapeutique. Il n'est donc pas toujours facile de tracer la frontière entre ce qui peut être breveté et ce qui ne le peut pas dans les cas prévus par la CBE. Je voudrais à présent examiner plus en détail deux de ces exceptions, à savoir celles visées à l'art. 53, lettres a) et c).
II. La Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof, BGH) a eu à se pencher sur la portée de l'exception à la brevetabilité dans la procédure d'annulation de brevet Greenpeace contre le professeur Brüstle (Xa ZR 58/07, GRUR Int. 2010, 236 – cellules précurseurs neurales). Les revendications du brevet en cause concernaient des cellules précurseurs isolées et épurées ayant des propriétés neuronales ou gliales, issues de cellules souches embryonnaires obtenues après des étapes de culture, de prolifération et d'isolation décrites plus précisément dans les revendications.
L'exception à la brevetabilité visée à l'art. 53 a) CBE, qui correspond à l'art. 2(1) de la loi allemande sur les brevets (PatG) applicable dans ce litige, est précisée à l'art. 2(2) PatG qui stipule que ne sont notamment pas brevetables :
1. les procédés de clonage des êtres humains ;
2. les procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humain ;
3. les utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales.
Ces dispositions reprennent mot pour mot l'art. 6(2), lettres a à c de la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, qui reprend pour sa part la règle 28, lettres a à c du règlement d'exécution de la CBE. Le tribunal fédéral des brevets compétent en première instance avait admis que les cellules précurseurs neuronales selon l'invention n'étaient pas brevetables, car leur obtention supposait la "consommation" d'embryons humains et donc que l'invention concernait l'utilisation d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales.
La BGH, doutant de la justesse de cet arrêt, a déposé une demande de décision préjudicielle auprès de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). En l'occurrence, l'interprétation de l'art. 6(2)c de la directive soulève plusieurs questions :
i) Selon l'art. 6(2)c de la directive, une invention est exclue de la brevetabilité seulement lorsqu'elle concerne des embryons humains.
Si – ce qui n'est pas le cas – des cellules souches embryonnaires ne sont pas considérées elles-mêmes comme des embryons, la question se pose de savoir si les blastocystes, à partir desquels de telles cellules souches sont obtenues et qui sont détruits dans la pratique au moment du prélèvement, sont des embryons dans l'esprit de la directive. A cette fin, il est déterminant de savoir si ce terme englobe tous les stades de développement de la vie humaine depuis la fécondation de l'ovule, comme l'a admis le Tribunal des brevets et la Grande chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB) dans sa décision G 2/06 du 25 novembre 2008, ou si un ovule fécondé ne doit être considéré comme un embryon dans l'esprit de la directive qu'à un stade de développement ultérieur – et si oui, lequel. En faveur d'une telle limite temporelle pourrait plaider le fait que l'art. 6(2) de la directive énonce quatre exemples de procédés et utilisations qui ne sont pas brevetables parce que l'exploitation commerciale des inventions en question serait contraire à l'ordre public ou aux bonne mœurs (CJCE, décision du 9.10.2001 – C-377/98, coll. 2001, I-7079 = GRUR Int. 2001, 1043, pt. 39 – Pays-Bas v/Parlement et Conseil). La protection légale de l'embryon commence toutefois à différents moments dans les Etats membres de la Communauté, de sorte qu'une conviction juridique commune, selon laquelle l'embryon doit être protégé dès la fécondation de l'ovule, pourrait faire défaut. Un argument contre cette opinion pourrait être que la directive n'offre aucun élément justifiant de repousser le début de la protection de l'embryon à un moment ultérieur, mais souligne au contraire, au considérant 16, même si c'est dans un autre contexte, que la dignité et l'intégrité de l'homme sont garanties et, pour cette raison, trouve important de réaffirmer le principe selon lequel le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son développement, n'est pas brevetable.
ii) Il convient également de déterminer si une utilisation d'embryon ou de cellules souches aux fins de la recherche scientifique s'apparente à une utilisation "à des fins industrielles ou commerciales" au sens de l'art. 6(2)c de la directive.
A la différence des trois autres exemples d'utilisation visés à l'art. 6(2), seuls les actes à ces fins sont exclus de la brevetabilité dans l'art. 6(2)c de la directive. Il ne ressort pas clairement du libellé si le seul principe énoncé au considérant 14 et ressortant également de l'art. 6(1) doit être répété, à savoir le fait qu'un brevet se borne à conférer des droits relatifs à une exploitation industrielle ou commerciale, ou si le périmètre des actes qui sont exclus de la brevetabilité au titre de l'art. 6(2) c doit être encore restreint. Indépendamment du libellé, la genèse indique que l'exception à la brevetabilité prévue à l'art. 6(2)c ne doit pas s'étendre à toute utilisation d'embryons humains qui serait accessible à la protection par brevet selon les règles générales.
Alors qu'une proposition antérieure prévoyait d'exclure de la brevetabilité les "méthodes dans lesquelles sont utilisés des embryons humains" (proposition du 29.8.1997, COM/97/0446, JO 1997 C 311/12), ceci a été modifié dans les proposition ultérieures pour aboutir à l'exclusion de l'utilisation des embryons humains à des fins industrielles ou commerciales (Position commune (CE) n° 19/98, du 26.02.1998, JO C 110/17). En même temps a été inséré le considérant 42 de la directive, qui signale que cette exclusion, "en tout état de cause", ne concerne pas les inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s'appliquent à l'embryon humain et lui sont utiles. Mais il n'en découle pas de réponse claire à la question de savoir si l'utilisation des embryons humains pour des applications thérapeutiques ou de diagnostic peut bénéficier d'une protection par brevet – ce qui, de toute façon, n'aurait qu'une faible portée, compte tenu de l'exclusion, tant pour les brevets allemands que pour les brevets européens, des méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain et des méthodes de diagnostic appliquées au corps humain (art. 2a (1), point 2, PatG, art. 53, lettre c), CBE) – ou s'il est même possible d'obtenir une protection par brevet pour l'utilisation de l'invention aux fins de la recherche scientifique. A cet égard, le fait que l'obtention de cellules souches embryonnaires aux fins de la recherche, qui va de pair avec la destruction des embryons "surnuméraires" - c'est-à-dire conçus par fécondation extra-corporelle, mais dont on n'a plus besoin pour provoquer une grossesse -, n'est pas interdite ni considérée comme contraire à l'ordre public dans tous les Etats membres, pourrait avoir de l'importance. La finalité de l'expression "à des fins industrielles ou commerciales" pourrait être de tenir compte de ces différences d'évaluation éthique et de limiter l'exclusion de l'art. 6(2), lettre c, de la directive au sens strict à des inventions dont l'exploitation s'accompagnerait forcément d'un commerce d'embryons humains ou de leur exploitation industrielle, ce qui constitue des actes moralement répréhensibles, selon la conviction juridique générale en Europe.
iii) Enfin, la question se pose de savoir s'il y a aussi une utilisation d'embryons humains au titre de l'art. 6(2)c de la directive si l'utilisation des embryons ne fait pas partie de l'enseignement technique revendiqué par le brevet, mais n'est qu'une condition à son application.
La Grande chambre de recours a décidé que la règle 28c du règlement d'exécution de la CBE interdisait également la délivrance de brevets lorsque les revendications portent sur des produits qui ne peuvent être obtenus au moment du dépôt qu'à l'aide d'une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l'origine desdits produits, même si ladite méthode ne fait pas partie des revendications.
A la différence de la situation sur laquelle la Grande chambre de recours a statué, il existe dans le brevet du prof. Brüstle d'autres étapes du procédé entre la destruction des embryons et l'utilisation de l'enseignement selon le brevet, car le brevet ne revendique pas de cellules souches embryonnaires, mais des cellules précurseurs obtenues à partir de celles-ci et deux procédés d'obtention. Cela soulève la question de savoir si un tel lien indirect suffit pour répondre par l'affirmative à l'utilisation d'embryons humains au sens de l'art. 6(2)c de la directive.
Le fait qu'au final, l'exception à la brevetabilité relative à l'utilisation d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales serait alors étendue à l'utilisation de cellules souches embryonnaires et, par conséquent, que des inventions seraient exclues de la brevetabilité, alors que leur exploitation est autorisée par le droit d'un ou de plusieurs Etats membres et n'est pas contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public, pourrait plaider contre une telle interprétation de l'art. 6(2)c de la directive. Même si l'utilisation de cellules souches embryonnaires implique l'utilisation préalable d'embryons pour obtenir les lignées de cellules souches, les deux actes pourraient toutefois faire l'objet d'un examen différencié du point de vue juridique et éthique. La loi allemande sur la protection de l'embryon (EschG) ainsi que la loi allemande sur les cellules souches procèdent à un tel examen différencié. Bien que l'art. 2 (1) EschG interdise formellement, sous peine de sanctions pénales, l'utilisation d'un embryon conçu par fécondation extra-corporelle à des fins qui ne contribuent pas à sa préservation, et donc aussi son utilisation aux fins d'obtenir des cellules souches, la loi sur les cellules souches autorise néanmoins, sous certaines conditions strictes, à utiliser des lignées de cellules souches obtenues de cette façon (hors d'Allemagne et avant la date fixée par la loi) aux fins de la recherche scientifique légale. Dans d'autres Etats membres, les systèmes juridiques procèdent à des différenciations similaires. De même, la Commission a considéré que les projets de recherche impliquant la destruction d'embryons humains en vue d'obtenir des cellules souches ne pouvaient être subventionnés, mais que les travaux consécutifs de recherche qui utilisent des cellules souches embryonnaires humaines ne sont pas exclus du financement communautaire. De telles différenciations se retrouvent aussi à d'autres endroits dans l'ordre juridique, lorsqu'une distinction est faite entre les actes proscrits et l'exploitation des "fruits de l'arbre interdit".
III. Le but de l'art. 53 c CBE est la protection de la liberté thérapeutique médicale. Un médecin ne doit pas être empêché par un brevet de choisir la méthode de traitement indiquée d'après son diagnostic pour le traitement du corps humain ou animal. Cette liberté n'est pourtant pas illimitée, du fait de la possibilité de protéger les substances, comme le prévoyait déjà la 2e phrase de l'art. 52(4) CBE 1973. La protection des substances est étendue par l'art. 54(5) CBE, selon lequel l'art. 54(2) et (3) n'exclut pas la brevetabilité d'une substance ou composition visée au paragraphe 4 pour toute utilisation spécifique dans une méthode visée à l'article 53 c), à condition que cette utilisation ne soit pas comprise dans l'état de la technique.
Ceci pose la question de ce qu'il faut comprendre par "utilisation spécifique" au titre de l'art. 54(5) CBE, ou, autrement dit : quelle est la portée de la restriction de l'exception à la brevetabilité pour les méthodes thérapeutiques liée à l'ouverture de la protection par brevet aux substances ou compositions destinées à une utilisation spécifique dans une méthode visée à l'art. 53 c) CBE ? Par conséquent, est-il possible de protéger toute méthode thérapeutique, à la seule condition qu'elle comprenne une substance utilisable à des fins pharmaceutiques et que la revendication soit formulée sous la forme d'une revendication portant sur le produit, rattachée au principe actif utilisé et proposée à une fin spécifique ou bien est-ce que la protection par brevet se limite à la protection d'une nouvelle indication – quelle que soit sa définition ?
Le fait que les Etats contractants aient décidé de garantir la protection de la deuxième indication médicale par le biais de la protection d'une substance proposée à une fin spécifique pourrait fournir un premier élément de réponse. Dans la mesure où une substance proposée à une fin spécifique dans une méthode thérapeutique doit être protégée, sa nouveauté est simulée. Certes, c'est le propre de la fiction légale que le fait simulé ne doive pas forcément exister dans la réalité. Néanmoins, la fiction légale devient moins plausible à mesure que le fait simulé s'éloigne de la réalité typique des faits réglementés. La protection de la première indication médicale offre en ce sens un bel exemple de fiction conforme aux faits. La substance faisant l'objet de la première application thérapeutique n'est en effet pas nouvelle en tant que telle. Les exigences élevées que la pharmacologie, la médecine et le système juridique posent à la première application thérapeutique d'une substance en tant que médicament justifient toutefois que le médicament soit traité comme une chose nouvelle inconnue de l'état de la technique. La fiction de la nouveauté n'est plus si évidente, mais demeure plausible, lorsque le principe actif est décrit pour la première fois comme un médicament pour traiter une maladie qui n'était jusqu'alors pas traitée avec celui-ci. Dans ce cas également, le principe actif peut être envisagé comme une substance d'une certaine constitution inconnue de l'état de la technique, qui se caractérise en tant que substance par sa capacité de traiter une maladie déterminée. Cependant, plus l'application se perd dans les détails du traitement et/ou du dosage, moins la fiction légale simulant la nouveauté de la substance devient plausible.
La genèse de la révision n'offre aucun indice manifeste montrant que les Etats contractants aient voulu une "fiction illimitée de nouveauté". Ils voulaient permettre la protection par brevet d'une deuxième indication médicale (et d'autres indications médicales), et non de nouvelles utilisations de médicaments connus. De même, les doutes qu'a exprimés la Grande Chambre de recours dans sa décision G 1/83 contre les revendications d'utilisation d'origine allemande, s'opposent, en dépit de leur bien-fondé, à une acception trop large de la notion "d'utilisation spécifique". Ils visaient en effet la protection d'une utilisation résultant de la simple reformulation de la revendication du procédé d'obtention.
Le libellé et la genèse indiquent donc que "l'utilisation spécifique" doit être comprise au sens d'une nouvelle indication médicale. Le présent exposé n'est pas le lieu pour lancer un débat sur la définition de "l'indication" dans ce contexte, par conséquent, cette question ne sera pas abordée. Il semble toutefois nécessaire de se demander si la moindre modification du dosage d'un médicament suffit réellement pour justifier une nouvelle indication.