COMPTE RENDU
Ulrich JOOS - Juriste, OEB, Affaires juridiques Internationales, DG 5 - Fabienne GAUYE - Juriste, OEB, Affaires juridiques Internationales, DG 5 - Compte rendu sur le déroulement du Colloque
Du 15 au 17 septembre 2010, 120 juges des brevets venant d'Europe, ainsi que des invités venant des Etats-Unis et du Japon, se sont réunis dans l'imposante salle d'honneur de la Cour suprême portugaise, la Salão Nobre des Supremo Tribunal de Justiça, à Lisbonne, pour discuter de l'évolution actuelle du droit des brevets en Europe. Ils ont travaillé sur une quantité de sujets et ont mis à profit l'opportunité de comparer entre elles les différentes approches nationales.
I. M. Eurico José Marques dos Reis, juge de la Cour d'appel de Lisbonne, qui animait la séance d'ouverture, a donné la parole en premier à M. Luís Noronha do Nascimento, Président de la Cour suprême portugaise. M. Noronha do Nascimento a souhaité une cordiale bienvenue aux participants du colloque et a mentionné que la Cour d'appel de Lisbonne pouvait être fière de ses 177 ans d'existence.1 Le Ministre de la justice portugais, M. Alberto Martins, a salué les juges au nom du gouvernement. Il a souligné que, dans son pays aussi, le droit des brevets et un bon système juridictionnel assurant la protection de la propriété industrielle étaient considérés comme essentiels pour la promotion de l'innovation.2 M. Benoît Battistelli, Président de l'Office européen des brevets, a plaidé en faveur de la création d'un brevet unique de l'UE et d'une juridiction européenne en matière de brevets compétente pour les brevets européens et les futurs brevets de l'UE et a assuré que l'OEB ferait tout son possible pour soutenir ces projets.3 Dans son discours d'introduction, M. António Campinos, alors encore directeur de l'INPI portugais, aujourd'hui Président de l'OHMI, a pu évoquer non seulement les initiatives européennes, mais aussi l'évolution dynamique du droit de la propriété industrielle et l'intensification des activités innovantes au Portugal.4 M. Peter Messerli, Vice-président de l'OEB, en charge de la Direction générale 3 (recours) de l'OEB et Président de la Grande Chambre de recours de l'OEB, a parlé des dernières activités au sein des chambres de recours et du travail de la Grande Chambre de recours de l'OEB au cours des deux dernières années.5
II. La première séance de travail, présidée par M. Eurico José Marques dos Reis, a été consacrée au futur système juridictionnel en matière de brevets en Europe. Madame Margot Fröhlinger, directrice de la Direction D ("Economie basée sur la connaissance") à la direction générale 'Marché intérieur et services' de la Commission européenne, a fait un exposé sur l'avancement du projet de brevet de l'UE et d'une Cour européenne des brevets (EEUPC).6 Elle a regretté l'utilisation insuffisante du droit de la propriété industrielle en Europe et le fait que les intérêts des PME innovantes ne soient généralement pas assez pris en compte dans la discussion concernant l'amélioration de la protection par brevet en Europe. Concernant le projet de création d'une Cour européenne des brevets pour les brevets européens et les futurs brevets de l'UE, elle a souligné que son indépendance vis-à-vis des structures de la Cour de justice de l'UE, la décentralisation de la première instance et un droit unifié de la procédure en étaient les éléments indispensables. Certes, la prise de position des avocats généraux, récemment divulguée au public, eu égard à l'avis de la Cour de justice de l'UE concernant le projet d'accord EEUPC, Avis 1/09, faisait état de problèmes liés au droit communautaire, qui affectaient le projet, mais elle montrait aussi des voies de solution. Ce qui comptait toutefois, c'était l'avis, attendu pour la fin 2010, de la Cour de justice, qui n'était pas liée par la prise de position des avocats généraux.
Le rapport de Madame Fröhlinger a suscité une vive et longue discussion, au cours de laquelle seul un participant danois a remis en cause le projet d'une Cour européenne des brevets au motif que beaucoup d'associations d'avocats en Europe avaient une attitude critique par rapport au projet EEUPC. Certes, les mandataires allemands et anglais étaient favorables au projet, mais beaucoup d'avocats dans de plus petits Etats craignaient de ne plus avoir de travail à l'avenir. Certes, l'industrie danoise s'était officiellement prononcée en faveur d'un système européen de règlement des litiges, mais les PME appréhendaient un système européen avec inquiétude. De plus, avant l'entrée en vigueur d'un accord EEUPC, il faudrait surmonter, du moins dans certains pays, d'importants obstacles liés au droit constitutionnel ; ainsi, dans plusieurs Etats au moins, le transfert de compétences des juridictions nationales vers une cour européenne ne serait sans doute possible que sur la base d'un référendum. Un autre membre de l'auditoire a regretté, au contraire, que ne soit pas pris en compte, en Europe, ce qui était fait pour l'amélioration du système juridictionnel en matière de brevets dans d'autres grands pays de la PI, tels que la Chine et le Japon. La structure de la Cour européenne des brevets, elle, a été peu discutée. Des avis positifs ont été émis sur le projet de décentraliser la première instance, mais de prévoir une composition internationale du collège des juges. Dans ce contexte, le président a attiré l'attention sur la situation des juges dans les pays où – comme au Portugal, sa patrie – les tribunaux ne statuaient que rarement sur des litiges en matière de brevets. Les juges originaires de ces pays appartiendraient eux aussi au collège des juges de la Cour européenne des brevets ; la seule chose qui leur manquerait serait l'expérience qu'ils pourraient cependant acquérir au fil de leur coopération avec des juges expérimentés en matière de brevets.
La plupart des contributions au débat ont tourné autour de la prise de position des avocats généraux sur le projet d'accord EEUPC. En règle générale, les intervenants ont regretté que la prise de position eût été révélée prématurément, suite à une indiscrétion sans doute préméditée, et ils ont constaté que la façon dont les avocats généraux avaient abordé les problèmes liés au droit communautaire avait contribué à la résonance négative du projet de création d'une Cour européenne des brevets dans la presse.
La discussion s'est d'abord concentrée sur les réserves des avocats généraux au sujet de la compatibilité du projet d'accord EEUPC avec le droit communautaire. Il s'est agi notamment des objections suivantes :
(1) la primauté du droit communautaire était insuffisamment garantie dans le nouveau système juridictionnel ;
(2) les remèdes disponibles en cas de non-respect de la primauté du droit communautaire, notamment lorsqu'il serait omis, contrairement à l'article 48 du projet d'accord, de saisir la Cour de justice de l'UE à titre préjudiciel, étaient insuffisants ;
(3) le régime linguistique devant la division centrale du Tribunal de première instance était susceptible de porter atteinte au droit de la défense ;
(4) dans les procédures devant l'OEB et ses chambres de recours, les décisions consistant à refuser de délivrer des brevets communautaires ou à révoquer de tels brevets, n'étaient pas soumises à un contrôle juridictionnel effectif concernant l'application correcte du droit communautaire.
La première objection des avocats généraux, d'après une opinion exprimée à plusieurs reprises, pouvait être facilement réfutée, étant donné qu'il était clair jusqu'à présent que la Cour européenne des brevets aurait à observer le droit communautaire ; après tout, chaque juge national était déjà tenu de respecter la primauté du droit de l'UE. Cela valait en particulier pour l'obligation, le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'UE à titre préjudiciel. La règle figurant déjà dans le projet d'accord EEUPC, selon laquelle le tribunal était lié par le droit communautaire directement applicable, pouvait être étendue sans difficulté.
Le président a fait remarquer que le temps était un facteur important pour le contentieux des brevets. Il importait de limiter les voies de recours auprès de la Cour de justice de l'UE, non pas en raison de la mauvaise qualité de ses décisions, mais parce que l'accroissement du nombre des instances conduisait à une durée exagérée des procès.
Un intervenant suisse s'est exprimé, ne serait-ce que dans l'intérêt d'une procédure expéditive, contre les renvois préjudiciels devant la Cour de justice de l'UE. En ouvrant une voie de recours devant une institution qui appartient à une organisation ayant une orientation beaucoup plus générale et politique, on s'éloignait de l'idée de créer un système spécifique pour les brevets. A cet égard, la représentante de la Commission a fait observer que les Etats membres de l'UE n'avaient pas le choix, étant donné que leurs tribunaux nationaux avaient l'obligation d'opérer un renvoi lorsque l'interprétation du droit communautaire était en cause. Il n'était pas possible de contourner cette obligation en créant une juridiction internationale. Un autre participant helvétique s'est montré moins sceptique, trouvant que si la Cour de justice de l'UE se contentait d'interpréter l'accord EEUPC, cela ne présenterait sans doute pas de problèmes pour les Etats non membres de l'UE. Il existait déjà un système parallèle avec le traité de Lugano, dans le cadre duquel les Etats non membres de l'UE reconnaissaient l'interprétation de la Cour de la Justice de l'UE. Toutefois, une telle solution n'était possible qu'en ce qui concernait un accord spécifique, pas le droit de l'UE en général.
Concernant la deuxième problématique, celle des remèdes juridiques en cas de non-respect du droit de l'Union par la Cour européenne des brevets projetée, il ne s'est pas dégagé de clair consensus.
Les avocats généraux ont envisagé trois options possibles :
(1) Un pourvoi des parties devant la Cour de justice de l'UE limité aux questions de droit. A cet égard, il a été observé qu'il n'était pas question de prévoir un tel pourvoi pour les brevets européens (faisceaux de brevets nationaux), et qu'il en résulterait un allongement des procédures concernant les brevets de l'UE, contrairement aux intentions du projet d'accord EEUPC. En outre, la Cour de justice de l'UE, qui n'était pas spécialisée en droit des brevets, se verrait imposer une charge de travail à peine soutenable.
(2) Une demande de réexamen des décisions de la Cour des brevets par la Cour de justice, remède qui ne serait toutefois ouvert que dans de strictes limites.
(3) Un pourvoi dans l'intérêt de la loi, qui pourrait être ouvert à la Commission et éventuellement aux Etats membres de l'UE. Cette solution permettrait d'éviter un allongement des voies de recours, étant donné qu'un tel pourvoi serait sans doute très rare dans la pratique. D'un autre côté, des problèmes étaient redoutés si une partie voulait contester une décision, mais si ni la Commission ni aucun Etat n'était prêt à utiliser cette voie de recours ouverte à eux seuls.
Bon nombre de participants ont considéré qu'il serait préférable d'ouvrir à la Commission le pourvoi devant la Cour de justice et que les parties à la procédure aient des droits à dommages et intérêts contre les Etats liés par l'accord EEUPC. De l'avis de certains, cela correspondrait au système actuel en cas de violation du droit de l'Union par des tribunaux nationaux et ne poserait pas de trop gros problèmes pratiques. Après tout, la Cour européenne des brevets projetée était comparable à un tribunal national commun. Une participante a complété en disant que la violation par un tribunal national de son obligation de saisine suscitait des droits au titre de la responsabilité de l'Etat et qu'il fallait envisager le transfert de ce système au niveau européen, c'est-à-dire prévoir une responsabilité de l'UE. La représentante de la Commission a concédé qu'il était nécessaire d'avoir un mécanisme de sanction. En cas de violation de l'obligation de saisine, une partie privée à la procédure devait pouvoir faire valoir des droits à réparation. La question était de savoir contre qui ? Contre la Cour des brevets elle-même, qui aurait la personnalité juridique ? Contre l'Etat de résidence ? Ou, selon une autre intervention, contre tous les Etats liés par l'accord EEUPC conjointement ?
D'après un juge, il ne fallait pas mettre sur le même plan, en ce qui concerne l'obligation de saisir la Cour de justice de l'UE, la Cour européenne des brevets et un tribunal national. En effet, la nouvelle cour était une juridiction européenne. L'idée qu'elle dût être supervisée par la Cour de justice de l'UE était plutôt insolite. Entre-temps, le droit communautaire avait infiltré tous les domaines juridiques et toute juridiction nationale était invitée à appliquer ses règles. Le droit communautaire n'était plus quelque chose qu'on ne pût confier qu'à la Cour de justice de l'UE. Il convenait à cet égard de faire confiance à la future juridiction.
Un autre participant a dit que les avocats généraux avaient estimé suffisant le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'UE. Il était donc clair que la Cour de justice de l'UE ne devait traiter que les questions abstraites de droit et qu'elle ne serait pas amenée, comme en cassation ou en procédure de réexamen, à appliquer directement des dispositions relevant du droit des brevets dans une affaire concrète.
D'autres interventions ont concerné la question de la portée de l'obligation de saisine touchant les juridictions des Etats de l'UE, certains considérant qu'il ne fallait pas que n'importe quelle question de droit communautaire pût faire l'objet d'une saisine. Les juridictions nationales étaient elles aussi en mesure d'appliquer et d'interpréter le droit de l'Union. La Cour de la justice de l'UE était l'instance qui veillait à ce que le droit européen fût interprété et compris dans toute l'Europe. Il fallait envisager de limiter à l'avenir les saisines au cas de décisions divergentes de juridictions supérieures. Il n'y avait guère de raisons de craindre de telles divergences de la part d'une cour européenne chargée de veiller à l'interprétation uniforme du droit des brevets. Il n'y aurait donc lieu de saisir la Cour de justice que sur des questions ne relevant pas spécifiquement du droit des brevets, qui se posaient en liaison avec d'autres aspects juridiques. Cette approche pourrait permettre de vaincre les réserves des spécialistes en droit des brevets. La représentante de la Commission a approuvé ce point de vue dans la mesure où les juridictions nationales avaient, d'ores et déjà, une large marge d'appréciation en ce qui concernait les saisines de la Cour de justice de l'UE. La Commission n'engagerait une procédure pour violation de l'accord contre l'Etat membre concerné qu'en cas de grave violation de l'obligation de saisine.
Il reste cependant à éclaircir quelles sont les questions, dans une procédure devant la future Cour européenne des brevets, qui présentent un caractère de droit communautaire et doivent donc, le cas échéant, être soumises à la Cour de justice de l'UE. Un juge a estimé qu'il serait difficile, après une adhésion de l'UE à la CBE, ayant pour effet que cette convention deviendrait elle aussi un élément du droit communautaire, de répondre au souhait de l'industrie, notamment, de ne pas recourir à la Cour de justice de l'UE pour des questions relevant du droit des brevets. Un autre, acquiesçant, a dit que, suite à la création d'un brevet de l'UE, tous les aspects du droit relatif au brevet européen seraient intégrés au droit communautaire, y compris les questions de nouveauté, d'activité inventive et d'applicabilité industrielle.
D'autres, au contraire, se sont efforcés d'établir des frontières. Les juges avaient l'habitude de traiter les questions touchant aux conditions de la brevetabilité, à l'interprétation des revendications et à la contrefaçon et seraient peu enclins à les soumettre à la Cour de justice de l'UE. Les aspects fondamentaux de la brevetabilité ou de l'étendue de la protection, ainsi que les exceptions à la brevetabilité n'avaient, jusque-là, jamais été considérés comme relevant du droit communautaire, mais comme matière réglementée par la CBE, que tous ses Etats contractants avaient transposée en droit national. Il y avait eu toutefois un empiètement de l'UE dans le domaine de la CBE avec la directive en matière de biotechnologie, de sorte que c'était maintenant un avocat général et la Cour de justice qui décidaient de la façon dont il convenait d'interpréter une revendication quand elle concernait une invention biotechnologique. Le risque était réel que ce fût la Cour de justice de l'UE qui statuât sur ce qui était devenu partie intégrante du droit communautaire suite à une extension insidieuse de l'acquis communautaire. La seule façon de parer à ce danger était de définir (dans l'accord ou un autre document) ce qui ne relevait pas du droit de l'UE, mais uniquement de la CBE.
La représentante de la Commission a précisé qu'il n'y aurait qu'une seule Cour d'appel européenne en matière de brevets, qui pourrait veiller à l'interprétation et à l'application uniformes du droit européen des brevets par les divisions locales et régionales. A l'heure actuelle, la Cour de justice de l'UE était saisie, à titre préjudiciel, de nombreuses questions de droit, mais il s'agissait la plupart du temps de questions concernant la libre circulation des marchandises, services et capitaux etc., c'est-à-dire de l'interprétation des traités de l'UE eux-mêmes. Concernant le droit communautaire secondaire, c'était généralement des directives qu'il fallait interpréter par décision préjudicielle. Dans les deux domaines, il restait bien des questions à éclaircir. Mais là où il s'agissait de droit directement applicable, comme la CBE, droit qui serait en outre interprété et appliqué par une seule juridiction, il y aurait peu de situations justifiant de saisir la Cour de justice de l'UE.
De l'avis général des participants, une solution satisfaisante pouvait facilement être apportée à la troisième problématique, à savoir le régime linguistique devant la division centrale : il était possible de garantir le droit d'accès à des moyens de défense appropriés de manière satisfaisante dans la pratique, par exemple en offrant des services de traduction. Pour d'autres, si un Etat ne possédait pas de division locale et ne voulait pas participer à une division régionale, mais avait l'intention de choisir la division centrale de l'EEUPC comme première instance, il conviendrait alors que les audiences devant cette division concernant les litiges originaires d'un tel Etat soient tenues dans la langue de cet Etat, à moins que les deux parties ne conviennent d'une autre langue.
La quatrième objection des avocats généraux concerne le contrôle juridictionnel des décisions rendues par les chambres de recours. Ils ont critiqué que les décisions de rejet de demandes de brevet de l'UE, ou de révocation de tels brevets, ne pussent pas faire l'objet d'un contrôle eu égard à l'application correcte du droit de l'UE. Selon eux, une solution possible serait d'ouvrir contre ces décisions le pourvoi devant la future Cour européenne des brevets, qui pourrait examiner la décision ou saisir la Cour de justice de l'UE. Ils ont toutefois fait observer que deux ordres juridiques différents étaient ici en jeu, à savoir le droit de l'UE et le système instauré par la CBE. Les décisions rendues sur la base du droit communautaire n'avaient pas d'effet contraignant direct sur les Etats contractants de la CBE qui n'appartenaient pas à l'UE. Il n'était pas simple de trouver une solution à ce problème.
Un participant a rappelé que la plus importante question à clarifier dans l'avis de la Cour de justice de l'UE était de savoir si la Cour européenne des brevets pouvait être créée par le biais d'un accord international. Les avocats généraux avaient répondu à cette question par l'affirmative. Dès lors que l'on acceptait l'approche selon le droit international public, il était logique que l'UE devienne elle aussi partie contractante de la CBE. Le système de voies de recours prévu par la CBE, notamment le caractère définitif et inattaquable des décisions des chambres de recours de l'OEB, prévaudrait également en ce qui concerne leurs décisions relatives à des brevets de l'UE, laquelle serait obligée d'accepter les mécanismes de la CBE tels qu'ils sont.
Pour la réussite du projet de "Cour européenne des brevets", a résumé un participant, il était déterminant que les Etats membres de l'UE parviennent à réaliser un consensus politique en faveur de la création d'une juridiction européenne pour statuer sur des affaires de droit civil. La représentante de la Commission a acquiescé. De plus, il était clair que, derrière bon nombre d'arguments juridiques, se dissimulaient des considérations politiques. Il n'en serait plus question si la Cour de justice venait à donner le feu vert au projet EEUPC. Mais il serait également décisif de voir de quelle manière la procédure concernant les litiges européens en matière de brevets serait conçue ; en effet, certaines solutions proposées par les avocats généraux étaient soit inapplicables en pratique, soit politiquement inacceptables.
III. La séance de travail suivante a, elle aussi, porté sur le futur système juridictionnel européen en matière de brevets. Sous la présidence de Mme Sophie Darbois, conseillère à la Cour d'appel de Paris, a été présenté un projet de règlement de procédure pour la nouvelle juridiction des brevets européens et des brevets de l'UE (EEUPC). Ce projet n'est pas un document de l'UE, mais un document de travail non encore publié, rédigé par un groupe de juges et encore en voie d'élaboration.
M. Klaus Grabinski, juge à la Cour fédérale de justice allemande, a donné un aperçu sur la première phase de la procédure devant la Cour EEUPC selon le règlement de procédure qui pourrait éventuellement être intégré au droit européen. Cette phase écrite, conduite par le judge rapporteur, est initiée par l'introduction d'un mémoire d'assignation, devant contenir les requêtes et les faits pertinents concernant, notamment, les prétendus actes de contrefaçon et les revendications de brevet en cause. Des preuves écrites doivent aussi être présentées dès ce premier stade, tandis que d'autres preuves, telles que les déclarations de témoins, les expertises etc., peuvent être proposées. L'idée directrice est qu'un exposé complet des faits doit être fourni dès le début. Après notification de l'assignation, le défendeur dispose de deux mois pour soulever l'exception d'incompétence du tribunal et de quatre mois pour présenter sa défense, laquelle doit également contenir un exposé des faits complet par le défenseur et peut inclure une action reconventionnelle en nullité du brevet. Le demandeur doit alors réagir à l'action reconventionnelle dans un délai de trois mois, le cas échéant en produisant des revendications modifiées et des requêtes auxiliaires. Il est prévu de ne pas admettre le depot de modifications à la dernière minute. Il y avait lieu aussi d'introduire dans le projet le droit du demandeur de réagir au mémoire de la défense, ainsi que le droit du défendeur de s'exprimer au sujet des modifications demandées par le demandeur.
M. Robert van Peursem, juge au Tribunal de grande instance de La Haye, a donné un aperçu sur la deuxième phase de la procédure devant la Cour EEUPC, la phase intérimaire, dans laquelle le judge rapporteur doit s'efforcer activement de faire avancer l'affaire. Après conclusion de la phase écrite, le judge rapporteur doit convoquer les parties à une entrevue intérimaire, au cours de laquelle, après que tous les arguments ont été échangés, l'affaire peut éventuellement être réglée par un compromis. La procédure intérimaire ne doit pas durer plus de deux mois et contribue à une préparation efficace de la procédure orale, toujours dans le respect du principe de proportionnalité. Dans certaines circonstances, cela peut impliquer l'échange de mémoires supplémentaires ou l'invitation à fournir des preuves pour clarifier certains points. A la fin de la phase intérimaire, le judge rapporteur émet la convocation à la procédure orale et transmet le dossier au président de chambre chargé de diriger la procédure orale. Le judge rapporteur dispose de larges pouvoirs qui lui permettent une conduite efficace de la procédure ("case management"). Par exemple, il peut proroger le délai de production du mémoire de la défense, s'il y a lieu. Il décide si les exceptions d'incompétence sont traitées immédiatement, soumises à la chambre ou examinées pendant la procédure principale. Le judge rapporteur, ainsi que chaque partie, peut soumettre toute question à la chambre, mais une ordonnance du judge rapporteur reste d'abord effective. On peut dire en résumé que le "case management" selon la conception du projet de règlement de procédure EEUPC est une tâche difficile, à confier aux juges des brevets très expérimentés.
Le juge Lord Robin Jacob, juge à la Cour d'appel d'Angleterre, a consacré son exposé à la procédure orale, mais en rappelant tout d'abord que le projet d'une Cour européenne des brevets se laissait retracer au moins jusqu'à une initiative du Conseil de l'Europe en 1949. Plus tard, d'autres projets avaient échoué à cause de la question linguistique (malgré l'existence de solutions pragmatiques), mais surtout parce que des hommes politiques et des juristes dépourvus de la connaissance du système des brevets ne comprenaient pas ce qui était important pour l'industrie dans ce domaine. A la fin des années '90, un groupe de juges avait émis l'idée de créer une juridiction commune des brevets pour les Etats contractants de la CBE qui voulaient y participer. Ce projet d'accord instituant un système européen de règlement des litiges en matière de brevets (EPLA) avait ensuite été relégué au second plan, suite à certaines évolutions dans l'UE, mais avait servi de point de départ. Finalement, lors d'une rencontre à Venise il y avait quelques années, plusieurs juges avaient développé les grandes lignes d'un règlement de procédure pour la nouvelle juridiction, qui étaient reprises dans le projet présenté ici.
A propos de la procédure orale, Sir Robin a indiqué que, normalement, elle ne devait pas durer plus d'un jour, mais que, si c'était insuffisant pour les gros dossiers, il y aurait assez de flexibilité. L'important était que la Cour définisse les questions à traiter et exerce ainsi un strict contrôle sur la procédure. Il convenait de mener la procédure de façon équitable, ce qui incluait la possibilité de vérifier les preuves soumises à l'appui des faits. Il n'y aurait d'examens croisés de style anglais que s'il y avait de bonnes raisons de le faire, par exemple en cas d'avis divergents sur l'évaluation des preuves fournies à l'appui d'un usage antérieur ou sur les connaissances générales dans un domaine technique donné. Contrairement à la procédure actuelle en Angleterre, des expertises contradictoires justifieraient rarement de procéder à des auditions. En ce qui concerne les expertises, il convenait d'accorder plus d'attention aux explications qu'au résultat. Les témoins introduits par surprise ne seraient pas admis. Les ajournements de procédure orale devraient rester des exceptions absolues, si les affaires étaient bien préparées. Parmi les autres points figuraient l'éventuelle nécessité d'une traduction simultanée, l'enregistrement de la procédure orale, ainsi que le rendu de la décision motivée par écrit, dès que possible après la clôture de la procédure orale. Dans ce type de procédure, la capacité du juge à conduire fermement la procédure était décisive ; cela requérait une bonne préparation, mais aussi une formation correspondante des avocats.
Enfin, M. Eurico José Marques dos Reis a exposé quelles étaient les règles prévues pour les mesures provisoires. Selon l'article 37 du projet d'accord EEUPC, il s'agit notamment de l'injonction provisoire (de ne pas faire) prononcée contre le contrefacteur présumé, ou contre des tiers dont ce dernier a sollicité les services en tant qu'intermédiaire, de l'ordonnance de la saisie-contrefaçon ou de la confiscation de marchandises supposées contrefaisantes, ainsi que de la saisie des biens mobiliers et immobiliers du contrefacteur présumé ou du gel de ses comptes bancaires, si le recouvrement d'une créance en dommages-intérêts paraît menacé.
D'après le projet de règlement de la procédure EEUPC, la partie qui demande une mesure provisoire doit introduire une demande écrite dont le contenu correspond mutatis mutandis à celui d'une assignation. Le requérant doit spécifier avec précision la mesure demandée et aussi indiquer exactement quelle action est déjà pendante devant le tribunal ou sera engagée sous peu ; il doit prouver qu'une mesure provisoire est nécessaire pour contrer la menace d'une violation de droit ou pour y mettre fin. S'il est demandé que l'ordonnance soit rendue inaudita altera parte (sans entendre la partie adverse), il convient d'en donner les raisons. Le requérant doit introduire sa demande dans un délai raisonnable, après avoir eu connaissance de l'acte visé par sa demande, et acquitter la taxe prescrite. Toute personne craignant qu'une mesure provisoire soit demandée prochainement à son encontre peut déposer un écrit en défense de sauvegarde de ses droits (protective letter), qui est inscrite au registre du tribunal. Cette inscription est supprimée si aucune demande d'ordonnance d'une mesure provisoire n'a été introduite au bout de trois mois.
Monsieur Eurico José Marques dos Reis a ensuite expliqué que l'ordonnance de mesures provisoires serait généralement rendue par un juge unique, dans l'intérêt d'une procédure expéditive. Le tribunal avait toute discrétion d'informer ou non l'intimé sur la demande d'ordonner une mesure provisoire, de l'inviter à présenter des moyens de défense, de fixer une procédure orale avec le requérant seulement ou avec les deux parties, ou de rendre immédiatement une décision. L'urgence de l'affaire constituait un aspect décisif dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Le tribunal pouvait aussi inviter les parties à produire d'autres pièces, avant ou pendant la procédure orale, qui permettraient de conclure avec une probabilité suffisante à la validité du brevet ou à la réalité de la contrefaçon, par exemple. Dans le cadre de l'ordonnance de mesures provisoires, il convenait de toujours respecter le principe de proportionnalité et de tenir compte du préjudice qu'une des parties pouvait subir du fait de l'ordonnance ou non d'une telle mesure. Le tribunal devait veiller à ce que toutes les mesures provisoires fussent suspendues si le requérant n'engageait pas l'action principale dans les 31 jours. Les décisions du tribunal de première instance feraient l'objet d'un contrôle si la Cour d'appel était saisie.
Il a été critiqué, pendant la discussion, que le tribunal ne commençait à avoir un contact direct avec les représentants des parties que pendant la phase intérimaire ; il semblait utile de pouvoir téléphoner avec ces représentants ou même programmer une première procédure orale à un stade très précoce, par exemple après le premier échange de mémoires. Les intervenants ont répondu que le judge rapporteur, dans l'exercice de son large pouvoir d'organisation de la procédure, pouvait bien entendu contacter les parties dès la phase écrite de la procédure, s'il le jugeait utile.
Certains ont redouté que la possibilité pour la chambre de superviser les décisions du judge rapporteur puisse devenir un moyen de retarder la procédure à dessein. Mais si le judge rapporteur bénéficiait de l'aide d'un expert technicien pendant la phase intérimaire, l'autorité de ses décisions en serait renforcée ; en cas de décision rendue sur une plus large base, il serait possible de renoncer au réexamen par la chambre. Il serait préférable que le judge rapporteur puisse autoriser l'appel devant la Cour d'appel, soit directement, soit uniquement avec la décision finale. Selon les rédacteurs du règlement de la procédure EEUPC, toutefois, c'est à la chambre et non à la Cour d'appel de contrôler les décisions du judge rapporteur. Là où il le jugeait nécessaire, ce dernier pouvait consulter un expert technique membre du collège des juges, solliciter de manière informelle l'accord des membres de la chambre ou soumettre la question à la chambre.
Il a aussi été demandé si le tribunal ou le judge rapporteur était tenu d'informer les parties sur son appréciation provisoire de l'affaire. De l'avis des intervenants, il était tout à fait envisageable d'introduire une telle règle dans le projet, l'envoi d'une telle notification étant plutôt du ressort de la chambre que de celui du juge unique. Le droit procédural du Tribunal fédéral allemand des brevets ou des chambres de recours de l'OEB pourrait servir de modèle.
Enfin, les intervenants ont fait observer qu'il convenait d'autoriser la production tardive de documents lorsque celui qui les produisait pouvait invoquer de manière crédible qu'il n'avait pas pu présenter plus tôt ces moyens de preuve. Concernant le moment du rendu de la décision, plusieurs participants ont rappelé que, en droit allemand de la procédure comme devant les chambres de recours de l'OEB, la décision était généralement prononcée à la fin de la procédure orale, mais que les motifs de la décision étaient notifiés ultérieurement par écrit.
IV. Une séance de travail, qui s'est déroulée sous la présidence de M. Boleslaw Bialkowicz, membre du service des affaires juridiques de l'Office polonais des brevets, a permis d'examiner les exceptions à la brevetabilité dans le domaine de la médecine.7
Mme Sylvie Mandel, conseillère à la Cour de cassation française, a passé en revue la jurisprudence française en matière d'exclusion de la brevetabilité des méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et des méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal, citées à l'article 53 c) CBE. Mme Brigitte Günzel, présidente de la Chambre de recours juridique de l'OEB, s'est concentrée sur deux décisions récentes de la Grande Chambre de recours. La première portait sur la notion de méthode de traitement chirurgical au sens de l'article 53 c) CBE8 et la seconde sur la question de savoir si une nouvelle posologie pour des médicaments connus peut faire l'objet d'une protection, en tant que nouvelle indication médicale, en vertu de l'article 54(5) CBE.9 M. Peter Meier-Beck, président de chambre à la Cour de justice fédérale allemande, a introduit la problématique de la délivrance de brevets pour des cellules souches humaines, que sa juridiction a soumise à la Cour de justice de l'UE à titre préjudiciel,10 et a conclu par quelques remarques sur la brevetabilité de la deuxième indication médicale et des indications suivantes.
Au cours de la discussion, Madame Günzel s'est opposée aux critiques à l'égard de la brevetabilité des nouvelles posologies et a clarifié que, pour faire breveter une deuxième indication médicale, il ne suffisait pas d'apporter auxdites instructions une modification purement verbale. L'important, c'était que la modification de la posologie ou du mode d'administration eût un autre effet physiologique chez les patients, c'est-à-dire permît d'obtenir un autre effet technique. De nouvelles posologies pouvaient présenter des avantages, tels que la prévention d'effets secondaires ou la diminution de la quantité de substance active nécessitée. Dans le cas d'espèce, l'instruction "à prendre avant d'aller dormir" pouvait paraître banale, mais reposait sur de nouvelles connaissances concernant le métabolisme du foie, d'après lesquelles la substance active, prise de nuit, avait un effet moins toxique sur le foie. Une telle invention pouvait être aussi précieuse que l'utilisation d'un médicament connu pour le traitement d'une maladie qui, jusque là, n'avait pas été traitée avec ce médicament.
Un participant a soulevé la question de savoir comment la contrefaçon d'une revendication relative à une nouvelle posologie pouvait être établie et a défendu l'opinion que cela dépendait du conditionnement du médicament, c'est-à-dire si, par exemple, la nouvelle posologie était recommandée par le fabricant dans la notice. Si un médecin prescrivait à son patient un ancien médicament, disponible sur le marché et contenant la substance active en question, et lui recommandait de le prendre selon la nouvelle posologie, il était libre de le faire.
V. Une autre séance de travail, présidée par M. Tomas Norström, juge du Tribunal de grande instance de Stockholm, a été consacrée à la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur.11 M. Dai Rees, président d'une chambre de recours technique de l'OEB, a d'abord circonscrit la problématique de l'exclusion des programmes d'ordinateur de la brevetabilité. Il a ensuite expliqué le raisonnement de la Grande Chambre de recours qui l'a conduite à conclure à l'irrecevabilité de la saisine de la Présidente de l'OEB en vertu de l'article 112(1)b) CBE, qui avait pour objet des questions correspondantes.12 M. Randall R. Rader, juge en chef de la Cour d'appel des Etats-Unis pour le Circuit fédéral (CAFC), a parlé de la décision rendue récemment par la Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire Bilski.13 La Cour suprême avait, certes, considéré que le "test de la machine ou de la transformation" élaboré par la CAFC, afin de pouvoir distinguer les "idées abstraites" des inventions brevetables, était un instrument utile dans de nombreux cas ; mais il a estimé encore plus important la définition de ce qui est "abstrait".
Pendant la discussion, la question a été posée de savoir si l'exclusion des logiciels informatiques en tant que tels n'était pas en voie de devenir une exclusion dépourvue de tout contenu substantiel. Car, premièrement, une revendication ne devenait pas nouvelle et inventive du seul fait qu'elle prévoyait une mise en œuvre par programme d'ordinateur. Et, deuxièmement, il fallait mettre de côté tout ce qui était exclu par ailleurs, comme les méthodes dans le domaine des activités économiques par exemple. Quel test un juge devait-il appliquer, s'il voulait suivre l'approche de l'OEB ? Monsieur Rees a répliqué qu'il valait mieux ne pas mettre l'accent sur l'exclusion ; l'OEB cherchait à s'éloigner de cette façon de voir. Certes, dans une affaire comme Bilski, l'OEB considérerait probablement que la revendication portait sur un objet non brevetable, en vertu de l'article 52(2) CBE. Mais si, par exemple, une méthode de gestion quelconque était mise en œuvre sur un ordinateur, cela ne relevait pas des exceptions à la brevetabilité, mais se situait manifestement dans la ligne de l'évolution générale et n'avait donc pas un caractère inventif. La disposition contenant les exceptions à la brevetabilité figurait dans la Convention et avait une certaine importance aux yeux du législateur. Mais dans la pratique, elle ne jouait qu'un faible rôle, étant donné que même les demandeurs, dans le cas d'un procédé commandé et mis en œuvre par ordinateur, ne voyaient pas dans l'usage d'un ordinateur à cet effet quelque chose d'inventif.
Un autre participant s'est référé à une décision anglaise déjà un peu ancienne, d'après laquelle le brevet n'avait pas été délivré pour la calculette revendiquée, parce que ce que l'inventeur avait réellement inventé, selon la Cour d'appel,14 n'était qu'un meilleur algorithme pour calculer une racine carrée. Il se demandait si, à la lumière de l'approche actuelle de l'OEB, la contribution technique apportée à la fabrication d'une calculette plus performante pourrait être reconnue. Monsieur Rees a estimé que c'était possible, tout en formulant une mise en garde vu que l'évaluation des algorithmes soulevait des questions délicates. Un juge a complété en évoquant que, dans une affaire sur laquelle il avait été statué récemment en Angleterre, un brevet avait été délivré parce que l'algorithme en cause rendait l'ordinateur plus rapide. De nos jours, il était difficile d'appliquer judicieusement une exclusion formulée dans la CBE, qui remontait au début de l'ère informatique.
La revendication Bilski a été caractérisée, du point de vue britannique, comme une tentative de s'approprier un monopole exagéré sur les méthodes pour assurer les paris ; mais la revendication était trop large, ou alors l'exposé de l'invention était insuffisant. C'est pourquoi le juge Rader a été confronté à la question de ce qui était abstrait dans la revendication. Il a reconnu que c'était une question légitime. Mais dans ce domaine, une jurisprudence s'était développée qui accordait plus d'importance à la forme de la revendication qu'à son contenu substantiel. Etant donné qu'il s'agissait d'une exclusion de certains objets, il n'était pas nécessaire de définir le mot "abstrait", dans la mesure où ces objets étaient compréhensibles, concrets et utiles d'une façon ou d'une autre ; dès lors, il était plus prometteur de se demander s'ils étaient anticipés par l'état de la technique. Mais lorsque le terme "abstrait" devenait le point crucial d'une décision, il fallait s'efforcer de tracer des limites. Le plus judicieux était probablement de qualifier d'abstrait ce qui était si vague qu'il se révélait impossible d'identifier un état de la technique dans lequel on pût effectuer la recherche.
Un participant a résumé le débat en disant qu'il ne fallait pas passer son temps à définir ce qu'était une idée abstraite ou un objet exclu. Il était plus judicieux de statuer sur les affaires, chaque fois que c'était possible, en fonction de l'existence d'une activité inventive.
VI. M. Pieter-Paul Bracke, président d'une chambre de recours technique de l'OEB, a dirigé la séance de travail au cours de laquelle a été débattue la question du rôle que jouait l'intention dans les revendications.15 M. Dieter Brändle, juge suppléant au Tribunal de commerce du canton de Zurich et Président désigné du Tribunal fédéral suisse des brevets, a examiné – après avoir constaté que les brevets sont des expressions de la volonté, dans lesquels le demandeur indique pour quel enseignement technique il souhaite obtenir une protection – s'il faut tenir compte des éléments subjectifs en droit des brevets et, le cas échéant, dans quels contextes. Il a abordé des questions telles que : la volonté du demandeur ou de l'inventeur a-t-elle de l'importance ? Quel rôle jouent les expressions de la volonté dans la procédure de délivrance ? Du point de vue de qui doit-on interpréter une revendication ou une description ? M. Rainer Moufang, membre juriste des chambres de recours de l'OEB, s'est penché dans son exposé sur la signification des mentions relatives à une utilisation ou à une finalité dans les revendications de brevet. M. Christopher Floyd, juge au Tribunal des brevets de Londres, a fait un rapport sur la façon dont les revendications portant sur de nouvelles possibilités d'application d'une substance connue étaient considérées par les tribunaux anglais avant l'entrée en vigueur de la CBE, puis dans un passé récent, et a livré ses réflexions sur la question de savoir à quoi pourrait ressembler une meilleure formulation des revendications pour ce genre d'inventions.
Pendant la discussion, un juge a approuvé ce qu'avait dit Monsieur Moufang et a confirmé qu'en Allemagne il convenait généralement de comprendre une revendication de dispositif destiné à une finalité particulière comme portant sur un dispositif approprié pour une finalité particulière, ce caractère approprié pouvant avoir une influence sur la configuration physique de l'objet dans l'espace, objet qui doit, par exemple, avoir une certaine taille pour la finalité voulue. Un autre juge a rapporté que la contrefaçon d'une revendication d'utilisation était appréciée, en Allemagne, en fonction de la question de savoir si le produit était conçu (aussi) pour l'utilisation revendiquée dans le brevet, par exemple si cette utilisation était indiquée dans le mode d'emploi du produit. Ce genre d'indications constituait un critère objectif de distinction. Dans le cas d'une revendication portant sur l'utilisation à une fin nouvelle d'un procédé connu en soi, il ne pouvait y avoir quasiment, en pratique, qu'une atteinte indirecte au brevet : quelqu'un fabriquait un produit, qui pouvait être utilisé dans le procédé pour atteindre le nouveau but recherché, et il mentionnait explicitement dans le mode d'emploi que le nouveau but du procédé pouvait être atteint. En effet, contrairement au cas d'une revendication d'utilisation d'un produit, dans lequel l'adaptation à la nouvelle utilisation se manifeste, par exemple, par des indications correspondantes dans le mode d'emploi, une telle révélation de la nouvelle utilisation susceptible de constatation objective était à peine concevable dans le cas d'une revendication portant sur une nouvelle utilisation d'un procédé connu. Un contrefacteur présumé pouvait toujours dire qu'il utilisait le procédé uniquement aux fins connues depuis longtemps. Des participants allemands ont aussi exprimé leurs doutes quant à la décision Mobil de la Grande Chambre de recours,16 étant donné que, pour obtenir un brevet, il ne suffisait pas d'avoir découvert qu'un objet, qui était déjà utilisé de la manière habituelle dans le même contexte technique, produisait un effet non découvert jusque là. Ici en effet, il n'existait pas dans la procédure en contrefaçon de possibilités objectives de distinguer, de sorte que cela dépendrait de l'intention du demandeur, à savoir quel effet il souhaitait obtenir (tout en obtenant forcément l'autre aussi).
Un autre participant a estimé que les revendications d'utilisation fournissaient une incitation souhaitable et utile à rechercher d'autres possibilités d'utilisation pour des substances déjà connues. Un autre encore a soulevé la question de savoir s'il était indiqué de délivrer un brevet à celui qui avait découvert une fonction d'une protéine naturelle, dont l'existence était connue et qui pouvait être isolée de son environnement naturel, mais dont la fonction était jusque-là inconnue, brevet qui s'étendait à toutes les fonctions de la protéine, même à celles qui ne seraient révélées que plus tard. Il a aussi fait référence à ce sujet à la décision Monsanto de la Cour de justice de l'UE,17 selon laquelle une revendication de produit devait elle aussi être interprétée comme se limitant à la fonction divulguée par le titulaire du brevet. Ce principe ne devait-il pas être appliqué plus largement aux protéines et acides nucléiques disponibles dans la nature et une telle limitation ne devait-elle pas être introduite explicitement dans la revendication pendant la procédure de délivrance ? Alors que ce point de vue avait trouvé un certain soutien dans l'auditoire, Monsieur Moufang a expliqué que lors de la transposition de la directive de l'UE en matière de biotechnologie dans le règlement d'exécution de la CBE, une telle limitation de l'étendue de la protection n'avait pas été prévue, mais que ce genre de disposition avait été introduit dans les lois allemande et suisse sur les brevets. Cette situation pouvait conduire à des interprétations différentes d'un brevet européen d'un pays à l'autre. En dehors de cela, il était parfois difficile de déterminer exactement ce qu'était la fonction divulguée par le demandeur, par exemple si l'invention concernait le traitement du cancer en général ou seulement celui d'un certain type de cancer.
Une autre personne a fait remarquer que cette question ne se limitait pas au domaine de la biotechnologie, mais que le principe de la protection absolue des substances s'était développé au siècle dernier à l'égard de toutes les nouvelles compositions chimiques. Aujourd'hui, cela posait des problèmes, qu'il s'agissait de résoudre ; il était peu probable de trouver la solution dans des limitations de la revendication d'après des possibilités d'utilisation non définissables avec précision. Quelqu'un a objecté que ce commentaire concernait un tout autre cas de figure. Lorsqu'on fabriquait une nouvelle composition chimique ou une nouvelle machine, on enrichissait l'état de la technique de ces objets et des modes d'utilisation décrits. Si, par contre, il s'agissait de substances présentes dans la nature, dont on connaissait l'existence, la contribution à l'état de la technique résidait uniquement dans la découverte de la nouvelle possibilité d'utilisation. Il existait ici un champ libre pour l'évolution du droit ainsi que pour une définition plus précise de la contribution inventive lors de la formulation de la revendication.
VII. La deuxième journée du Colloque des juges s'est terminée par l'étude de cas "Escalier de comble repliable".18 M. João Bernardo, Juiz-Conselheiro à la Cour suprême portugaise, a animé le début et la clôture de cette séance de travail. M. Ulrich Joos, juriste de l'OEB, et M. Dieter Stauder, Professeur émérite de l'Université Robert Schuman de Strasbourg, ont introduit le sujet, avant que les participants – répartis en trois groupes anglophone, germanophone et francophone – se mettent au travail. A la fin de la séance, les solutions élaborées ont été présentées à l'assemblée plénière.
M. Robin Jacob a relaté les discussions au sein du groupe anglophone. Ce dernier a tenu le brevet pour non valable, mais a reconnu la contrefaçon, pour le cas où le brevet serait estimé valable. L'interprétation de deux caractéristiques de la revendication a été considérée comme importante : premièrement "ouverture de plafond de dimension prédéterminée", ce qui semblait signifier tout simplement "ouverture du plafond, dans laquelle l'échelle de grenier doit s'introduire". La deuxième caractéristique "en sorte que chaque section latérale du cadre intérieur est espacée selon une distance prédéterminée" posait plus de problèmes. Que signifiait prédéterminé ? Qui déterminait l'interstice ? Il ressortait de la description qu'il s'agissait en fait d'éviter une surcharge au niveau des articulations des bras de support.
Concernant la question de la nouveauté, le résultat était que la photo ne montrait rien et ne nuisait donc pas à la nouveauté. Quant à l'accessibilité de l'invention pour le ministre ou le photographe, les avis étaient partagés ; la question de savoir si le ministre ou le photographe pouvaient comprendre la construction, parce qu'ils disposaient de connaissances techniques correspondantes, était-elle importante ? En définitive, d'après le critère légal existant, il fallait considérer cette construction comme anticipée. Mais cela ne clarifiait toujours pas la question de savoir si le procédé de fabrication revendiqué était lui aussi antériorisé. Ici, il avait fallu décider si la revendication devait être comprise de telle façon que les étapes du procédé revendiqué ne pouvaient être exécutées que dans l'ordre indiqué ou si un autre ordre (techniquement envisageable) était possible. Le groupe avait opté en faveur de la seconde interprétation. Au final, le procédé de fabrication était anticipé du fait de l'accessibilité de l'invention pour le ministre, le photographe et chez des particuliers, étant donné que, à partir de là, toute personne techniquement qualifiée pouvait reproduire un semblable escalier.
A propos de l'activité inventive, beaucoup avaient été d'avis que le perfectionnement de la construction, manifestement défectueuse, décrite dans l'état de la technique avait constitué une solution évidente.
La première objection contre l'action en contrefaçon, à savoir que le contrefacteur n'indiquait pas les dimensions de l'ouverture du plafond, a été rejetée comme non pertinente eu égard à l'interprétation susmentionnée de la revendication. Le groupe ne s'est pas non plus laissé convaincre par la deuxième objection, selon laquelle il avait choisi par hasard les mêmes interstices entre cadres extérieur et intérieur que le demandeur pour pouvoir installer dans chaque cas l'échelle la plus large possible.
Le groupe avait relevé une contradiction dans l'argumentation du défendeur en ce qui concerne ses objections contre la validité du brevet, d'une part, et celles contre l'action en contrefaçon, d'autre part. Pour ce qui est de la contrefaçon, il avait refusé d'accorder une importance quelconque à certaines dimensions prédéterminées, alors que ces caractéristiques étaient soi-disant pertinentes pour l'attaque contre la validité du brevet, c'est-à-dire que le défendeur s'appuyait sur une interprétation stricte pour se défendre contre l'accusation de contrefaçon et sur une interprétation plus large pour justifier son objection de nullité.
Mme Irmgard Griss, Présidente de la Cour suprême autrichienne, a présenté la solution du groupe germanophone. Là aussi, il a été conclu à l'absence de nouveauté, mais à une contrefaçon du brevet, au cas où il serait valable. La majorité avait toutefois conclu à une activité inventive. L'accessibilité destructrice de la nouveauté, au sens de l'article 54(1) CBE, ne résultait pas de la photo du ministre, mais bien du montage des échelles de grenier dans des maisons privées : la possibilité de prendre connaissance des détails de construction était suffisante, peu importait que cela se produisît réellement.
En ce qui concernait l'activité inventive, le groupe était parti du principe que l'escalier de comble repliable, d'après l'état de la technique, était en général une solution satisfaisante et que des problèmes de fonctionnement ne se posaient que dans des situations particulières. Le problème de surcharge des bras de support a, certes, été jugé manifeste, mais la solution trouvée a été considérée majoritairement comme non évidente.
Il a été reconnu qu'il avait été porté atteinte à la revendication 1. Concernant l'atteinte à la revendication 6, le raisonnement a été que la revendication 1, selon l'interprétation du groupe germanophone, ne décrivait pas l'ordre des étapes du procédé et, dans ce cas, la revendication 6 était inutile. Mais si l'on interprétait la revendication 1 comme prescrivant un ordre obligatoire des étapes du procédé, alors on pouvait lire la revendication 6 comme étant une revendication de produit, qui s'étendait à tous les procédés de fabrication.
M. Bernard Corboz, juge fédéral du Tribunal fédéral suisse, a résumé les conclusions des juges francophones. La publication de la photo n'avait pas détruit la nouveauté. Il était vrai que le ministre et le photographe avaient été en contact direct avec le prototype de l'escalier de comble ; mais en tant que personnes étrangères au domaine technique concerné, il n'avaient pas pu reconnaître le procédé de fabrication. La photo elle-même ne révélait pas assez d'informations pour pouvoir exécuter l'invention. A propos du montage de l'escalier, les juges s'étaient demandés s'il était livré prémonté, ou s'il devait être monté sur place, étant donné que dans le second cas il aurait été plus facile de comprendre en quoi résidait l'invention. Au sujet des employés du demandeur, qui procédaient au montage, le groupe francophone avait supposé qu'ils étaient tenus à la confidentialité. Concernant la revendication 1, certains avaient défendu l'opinion que l'installation d'un escalier prémonté en atelier ne divulguait pas le procédé de fabrication en série. Quant à la revendication 6 de produit, les avis avaient été partagés : soit l'escalier avait été rendu, en principe, accessible à tous par son montage dans des maisons privées, par ex. aux gens reçus par les occupants, ou bien la situation était différente de celle où un livre est placé dans une bibliothèque publique, parce que l'accès à des maisons privées n'est pas ouvert à quiconque.
Pour l'évaluation de l'activité inventive, le groupe francophone avait suivi l'avis de son membre technicien, qui avait conclu à une telle activité. Dans un véritable procès, les parties auraient certes pu introduire d'autres arguments dans la procédure, avec leurs propres expertises ; ici, il n'y avait toutefois aucune raison de douter de l'appréciation de l'expert technique du groupe.
Il a été conclu à la contrefaçon du brevet du demandeur par la fabrication et la vente d'escaliers de comble repliables de même construction ; les objections du défendeur n'ont pas été retenues. La revendication 6, portant sur l'escalier proprement dit, a été interprétée de telle sorte qu'elle n'englobait que les escaliers repliables fabriqués selon le procédé de la revendication 1, alors que des escaliers fabriqués d'une façon différente ne tombaient pas dans le champ de protection. Pour cette raison, les juges n'ont pas vu de différence significative entre la contrefaçon (constatée) de la revendication 1 et la question de contrefaçon de la revendication 6.
Avant que Ulrich Joos ne fasse un bref résumé de la décision anglaise sur laquelle se fondait l'étude de cas,19 M. Dieter Stauder a fait part de quelques idées personnelles sur cette affaire. Il s'agissait d'une petite invention provenant d'une petite entreprise et les acheteurs de ces escaliers étaient de petites gens qui voulaient acheter quelque chose de convenable en payant le moins cher possible – c'était pour ainsi dire l'arrière-plan social de ce cas. L'aspect le plus passionnant dans le problème juridique de la nouveauté était de savoir si, à partir de la photo ou de l'inspection de l'escalier, on pouvait reconnaître l'essentiel du procédé et les avantages de la standardisation des principaux éléments constructifs. Probablement non. Ce qui apparaissait en liaison avec le montage dans des maisons privées, c'était la rigidité de la notion de nouveauté absolue, car cette notion s'opposait au désir compréhensible de tester d'abord les nouvelles constructions dans la pratique. En outre, il allait parfois à l'encontre du sens naturel de la justice de devoir soudain considérer un état de la technique trouvé au bout du monde, qu'aucun homme de l'art n'avait jamais consulté, comme anticipant la nouveauté ou l'activité inventive. Mais notre droit des brevets était tel qu'il était et le juge ne pouvait introduire un délai de grâce en matière de nouveauté, qui aurait bien aidé dans notre affaire d'escalier repliable.
VIII. La dernière séance de travail, présidée par M. Johannes Karcher, a été consacrée dans une première partie aux développements du droit national des brevets et, dans une seconde partie, aux décisions jurisprudentielles nationales récentes.20
M. Tobias Bremi a présenté un court exposé sur la création du nouveau Tribunal fédéral suisse des brevets qui constitue un développement important du système juridictionnel en matière de brevets en Suisse. Actuellement, compte tenu du système fédéraliste, chacun des vingt-six cantons suisses détermine la compétence d'un tribunal pour les litiges en matière de brevets et chacun d'eux a son propre droit de la procédure civile qui s'applique à ces litiges. 60 % des litiges en matière de brevets, soit 30 à 40 affaires en moyenne par an, sont concentrés sur quatre tribunaux de commerce, lesquels, faute de juges de formation technique dans les chambres compétentes, ont généralement recours à l'aide d'experts ce qui ne favorise pas la conduite expéditive ni la cohérence de la jurisprudence. Cette situation faisait depuis longtemps l'objet de critiques.
La récente réforme de la justice a permis de supprimer un certain nombres d'obstacles constitutionnels et a donc conduit, notamment, à la création du Tribunal fédéral des brevets. Ce tribunal aura compétence exclusive pour statuer sur les actions en validité ou en contrefaçon d'un brevet, sur les actions en octroi d'une licence sur un brevet, ainsi que pour ordonner des mesures provisionnelles et pour l'exécution de telles décisions. La Direction du tribunal compte deux juges ordinaires comme membres: un président, de formation juridique, Dieter Brändle, et un juge de formation technique, Tobias Bremi. En outre, une vingtaine de juges spécialisés de formation technique et une dizaine de juges de formation juridique ont été élus, qui sont appelés au cas par cas à siéger comme juges suppléants. Pour les litiges en matière de brevets, il n'y aura donc bientôt qu'une seule juridiction nationale de première instance pour toute la Suisse, à savoir le Tribunal fédéral des brevets, et une seule instance de recours, le Tribunal fédéral. Les voies de recours seront donc réduites et il sera donc possible d'obtenir rapidement une décision définitive. Le nouveau tribunal aura son siège à St Gall et entrera en activité très vraisemblablement au 1er janvier 2012.
M. Richard Arnold a exposé les aménagements apportés à la Patents County Court créée il y a une vingtaine d'années pour entendre des affaires simples présentant une importance commerciale limitée mais dont l'objectif n'a malheureusement pas été atteint. Un certain nombre de propositions de réformes ont donc été faites visant à rendre le système à la fois plus efficace et plus économique. Les propositions formulées prévoient notamment une réforme radicale sur le plan juridictionnel et procédural inspirée du projet de règles de procédure du Projet d'accord sur la Juridiction du brevet européen et du brevet de l'UE. Le montant des dommages-intérêts serait limité à 500 000 livres sterling et le remboursement des dépens à la partie gagnante (illimité en ce moment) serait plafonné à 50 000 livres sterling, ce qui permettra de savoir dès le départ que le risque est limité pour le défendeur. En outre, la procédure serait radicalement simplifiée, les échanges d'arguments entre les parties se faisant essentiellement par écrit. Cette proposition de réforme permettra donc la création d'un cadre réellement distinct pour les affaires de brevet portant sur des sommes relativement modestes.
Mme Sylvie Mandel a indiqué que depuis le début de l'année 2010, le Tribunal de Grande instance de Paris et la Cour d'appel de Paris avaient une compétence exclusive en matière de brevet. Le délai de traitement des affaires est d'environ quinze mois et d'un an au niveau de la Cour de cassation.
Mme Ulrika Stenback Gustavson a indiqué que plusieurs modifications du code de procédure civile suédois étaient entrées en vigueur en novembre 2008. En particulier, tous les recours en matière d'actions civiles concernant des affaires de brevet requièrent une autorisation de la Cour d'appel quant à leur recevabilité. En Suède il n'y a qu'une seule juridiction qui traite des litiges en matière de brevet, à savoir la Stockholm City Court.
M. Raimund Lutz a tenu à souligner que les travaux concernant l'élaboration de la future Juridiction du brevet européen et du brevet de l'UE, qui dominent actuellement les discussions, ne devraient pas faire perdre de vue le fait qu'aujourd'hui ce sont encore les tribunaux nationaux qui sont en charge du règlement des litiges en matière de brevet en Europe. Même si la nouvelle juridiction européenne était créée aujourd'hui, il faudrait certainement encore attendre dix à quinze ans avant que le premier cas ne soit porté devant cette cour. Jusqu'à cette date, les tribunaux nationaux fonctionneront encore et il est important que ce fonctionnement soit optimisé. Le législateur allemand a ainsi adopté une loi de modernisation du droit des brevets aux termes de laquelle les règles de procédure en matière de nullité des brevets auprès du Tribunal fédéral des brevets et de la Cour fédérale de justice ont été améliorées de manière à concentrer l'examen de la preuve au niveau du Tribunal fédéral des brevets et de décharger ainsi la Cour fédérale de justice. Cette loi, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2009, prévoit en outre que le Tribunal fédéral des brevets communique aux parties, avant une audience, son opinion provisoire : cela permet aux parties de connaître l'ensemble des moyens invoqués et en même temps, cela contribue à accélérer la procédure.
M. Ari Wiren a indiqué que la législation finlandaise avait introduit une modification semblable à celle introduite par la Suède en 2008 pour ce qui est de l'autorisation à requérir de la Cour d'appel quant à la recevabilité des recours en matière de brevet. Par ailleurs, la nouveauté la plus importante est que les cas de contrefaçon et de nullité seraient traités ensemble.
Durant la seconde partie de la séance de travail, plusieurs juges nationaux ont rapporté des cas récents décidés par les tribunaux de leur pays. La plupart des contributions sont reproduites dans leur intégralité à partir de la page 149 de la présente Edition spéciale du JO OEB. Il est brièvement rendu compte ici de l'un ou l'autre point essentiel des interventions.
M. David Kitchin, pour le Royaume-Uni, a évoqué la décision Virgin Atlantic v Premium Aircraft rendue par la Cour d'appel qui avait à répondre à la question de savoir quelle décision un tribunal national devait prendre lorsqu'il jugeait en fin de compte que le brevet européen était valable mais qu'un recours était en cours auprès d'une chambre de recours technique de l'OEB. En outre, la Cour a dû également répondre à deux questions spécifiques : en premier lieu, quelle méthode adopter face à une requête aux fins d'injonction et que faire pour répondre à une action en dommages-intérêts.
Pour ce qui concerne l'injonction, la Cour d'appel a jugé que le demandeur avait apporté la preuve de son droit et que seul un argument très fort pouvait empêcher la Cour de prononcer une injonction, même si la Cour était consciente que la chambre de recours de l'OEB pouvait révoquer le brevet. En matière de dommages et intérêts, la Cour a estimé qu'elle était liée par sa jurisprudence, à savoir que lorsque les questions de contrefaçon et de validité ont été jugées de façon définitive par la juridiction nationale, elles ont l'autorité de la chose jugée entre les parties. Si le brevet est ensuite révoqué par l'OEB, cela a des conséquences pour l'avenir en ce sens que toute injonction devient caduque. Toutefois, le droit à dommages et intérêts subsiste.
La question complexe qui se pose à cet égard est de savoir s'il est juste que des dommages-intérêts soient versés au plaignant pour qu'il poursuive la contrefaçon après la décision de la Cour d'appel et avant la révocation du brevet par l'OEB, compte tenu du fait que si le brevet est révoqué, il l'est ab initio.
M. Peter Messerli a tenu à souligner à cet égard que les chambres de recours de l'OEB n'avaient pas les moyens de vérifier s'il y avait des affaires pendantes devant des tribunaux nationaux ; cependant les tribunaux concernés peuvent envoyer une requête à l'OEB lui demandant par exemple d'accélérer la procédure. Les chambres de recours sont tout à fait ouvertes à ce genre de requêtes.
Mme Rian Kalden, pour les Pays-Bas, a évoqué trois cas, parmi la centaine dont a eu à connaître le Tribunal de Grande Instance de La Haye au cours de l'année 2010.
Dans l'affaire Solvay S.A. c/Honeywell, le Tribunal a considéré que si des juridictions différentes devaient statuer sur la question de la contrefaçon transfrontalière des mêmes brevets (étrangers) par deux parties, chacune responsable devant une juridiction différente (NL et BE), il existerait un risque de décisions inconciliables sur la contrefaçon du même brevet par le même produit. Par conséquent, la question de savoir comment interpréter la condition nécessaire de "décisions inconciliables" relative au contenu de l'article 6(1) du Règlement Bruxelles I entrait en compte et devait être soumise à la Cour de justice de l'UE. De même, le Tribunal a jugé qu'il existait des incertitudes sur l'interprétation correcte de l'article 22(4) du Règlement européen et a décidé de soumettre des questions à la Cour de justice de l'UE sur ce point.
La deuxième affaire, Mundipharma Pharmaceuticals c/ Sandoz, concerne l'admissibilité des disclaimer. Le brevet en litige concernait des formulations permettant la libération contrôlée d'oxycodone, indiquée pour le soulagement de la douleur. Le brevet en cause était issu d'une demande divisionnaire. Selon les revendications de la demande parente, le mode de réalisation préféré était une matrice de résine acrylique à libération contrôlée. Afin de faire la distinction entre ces deux demandes et d'éviter une double protection par brevet, le brevet en litige contenait une revendication couvrant une matrice de dosage à libération contrôlée différente d'une matrice de résine acrylique. La validité de cette revendication a été remise en cause par le défendeur sur la base du fait qu'elle représentait un élément ajouté. Le défendeur a fait valoir que le disclaimer en tant que tel n'était pas divulgué dans la demande telle que déposée et il conviendrait donc de qualifier le disclaimer de "disclaimer non divulgué" au sens de la décision de la Grande Chambre de recours de l'OEB, G 1/0321 : en effet, empêcher la double protection par brevet ne fait pas partie des critères d'admissibilité des disclaimers mentionnés dans ladite décision.
Le Tribunal a considéré notamment qu'il pouvait seulement s'agir d'un disclaimer non divulgué au sens de la décision G 1/03 si, ni le disclaimer, ni l'objet du disclaimer ne trouvait de fondement dans la demande originale, autrement dit dans les seuls cas où l'objet du disclaimer n'avait été divulgué ni en termes positifs ni en termes négatifs dans la demande initiale.
Dans la troisième affaire citée, Philips c/ SK Kassetten/FRAND, le Ttribunal a jugé que le défendeur, SK Kassetten, était responsable de contrefaçon de plusieurs brevets fondamentaux détenus par le plaignant, Philips, concernant une technologie relative au CD et au DVD contenue dans la norme du Livre Orange. Pour le Tribunal, il n'existe aucun motif légal d'autoriser SK Kassetten à utiliser la technologie brevetée ou de refuser à Philips le respect de ses brevets, aussi longtemps que SK Kassetten ne détiendra pas de licence. En général pour obtenir une licence FRAND, le consentement du titulaire du brevet est requis. SK Kassetten aurait donc dû demander une licence FRAND avant de commencer à exploiter la technologie.
M. Massimo Scuffi, pour l'Italie, a évoqué une décision de la Cour d'appel de Turin du 4 décembre 2008 établissant la nullité partielle d'un brevet européen détenu par la société Mars, Inc. concernant un procédé de préparation de riz à cuisson rapide instantanée. Dans l'affaire en litige, il avait été découvert que la déformation de la structure d'un grain de riz, nécessaire pour créer les trous permettant l'absorption plus rapide de l'eau et, partant, une cuisson plus rapide, était déjà réalisée de façon indépendante au cours de l'étape de broyage, si bien que l'étape de compression légère des grains, typique de l'état de la technique, était devenue inutile. Les juges de Turin ont considéré que cette étape n'était pas inventive mais constituait simplement une découverte non brevetable, au motif que le principe évident et banal selon lequel ce qui s'avère inutile peut toujours être omis n'était accompagné d'aucun principe de construction.
Mme Sophie Darbois, pour la France, a rapporté les grandes lignes de la décision de la Cour d'appel de Paris du 2 juillet 2010, SA TREVES c/ SA RENAULT, SILAC, SIMOLDES PLASTICOS. La Société TREVES qui a pour activité la conception, la production et la commercialisation de produits destinés à l'industrie automobile, était titulaire d'un brevet français et d'un brevet européen couvrant la même invention sous priorité de la demande française et désignant la France. TREVES n'a pas payé la première annuité due en France pour la partie française du brevet européen, cette partie a donc été déchue par décision du Directeur de l'INPI. TREVES a ensuite découvert que des sociétés concurrentes fournissaient du matériel destiné à équiper le véhicule Renault Clio qui reproduisait selon elle des revendications de son brevet français et les a donc assignés en contrefaçon. Les problèmes posés étaient de savoir d'abord si le brevet français avait pu continuer à produire ses effets en dépit de la substitution du brevet européen désignant la France et de la déchéance des droits sur la partie française du fait du non-paiement de la redevance annuelle, et ensuite à quelle date cette déchéance avait pris effet. La Cour d'appel a notamment retenu que la substitution du brevet européen au brevet français était intervenue avant la constatation de la déchéance sur la partie française du brevet européen et qu'en conséquence, la Société TREVES ne pouvait plus se prévaloir des droits sur son brevet français.
A l'issue de cette dernière séance de travail, les participants ont encore écouté avec intérêt Mme Ana Luisa Geraldes, Directeur du Centre d'études judiciaires, qui leur a expliqué le fonctionnement de ce Centre créé en 2008 et dont l'objectif principal est de former les magistrats. Ce fut ensuite à M. José Magalhães, Secrétaire d'État à la justice et à la modernisation judiciaire qu'il revint la tâche de clore le 15e Colloque des juges européens de brevets. Il a souligné l'importance que revêtait ce Colloque pour le Portugal et l'impact certain qu'il aurait non seulement sur le processus de modernisation du droit portugais des brevets mais également sur le projet de création d'un tribunal national spécialisé en matière de brevets. Il a également remercié et félicité les organisateurs de la conférence.
Au nom des juges européens, le doyen d'entre eux, M. Pierre Gehlen, a ensuite vivement remercié les hôtes portugais pour leur hospitalité chaleureuse et la remarquable organisation de ce 15e colloque. Il a également remercié l'OEB pour son soutien à la réalisation de la conférence ainsi que les interprètes.
1 Voir p. 1 de la présent édition.
2 Voir p. 2 de la présent édition.
3 Voir p. 6 de la présent édition.
4 Voir p. 11 de la présent édition.
5 Voir p. 19 de la présent édition.
6 Voir p. 59 de la présent édition.
7 Voir p. 66.
8 G 1/07 du 15.2.2010, JO OEB 2011, 134.
9 G 2/08 du 19.2.2010, JO OEB 2010, 456.
10 BGH du 17.12.2009, GRUR Int 2010, 236 - cellules précurseurs neurales.
11 Voir p. 93.
12 Décision G 3/08 du 12.5.2010, JO OEB 2011, 10.
13 561 U.S. (2010).
14 Gale's application [1991] R.P.C. 305 - 333.
15 Voir p. 108.
16 G 2/08 du 11.12.1989, JO OEB 1990, 93 - Additif réduisant le frottement/MOBIL OIL III.
17 Affaire C-428/08, JO OEB 2010, 428.
18 Le texte intégral de l'étude de cas est reproduit en annexe aux présents documents du Colloque (p. 209 et s.).
19 Voir p. 291.
20 Voir p. 149.