EXPOSÉS PRÉSENTÉS PAR DES JUGES NATIONAUX
DE Allemagne
DE Allemagne - Peter MEIER-BECK - Dr. jur., Président de chambre à la Cour fédérale de justice, professeur h. c. à l'université de Düsseldorf - La jurisprudence de la Cour fédérale de justice en matière de droit des brevets en 2008 et 2009
En 2008 et 2009, les tribunaux allemands ont rendu une quantité de décisions dans le domaine du droit des brevets, qu'il est impossible de commenter individuellement. A lui tout seul, le Bundesgerichtshof (BGH, Cour fédérale de justice), la dernière instance tant pour les litiges en contrefaçon que pour les actions en nullité, rend près de 50 arrêts par an dans le domaine des brevets. Le présent rapport se limite donc à la jurisprudence du BGH et même à quelques décisions seulement, qui me paraissent particulièrement intéressantes du point de vue de l'harmonisation de la pratique européenne en matière de droit des brevets.
1. Invention
Dans un arrêt consécutif au pourvoi d'un demandeur de brevet, portant la référence un peu encombrante de "Steuerungseinrichtung für Untersuchungsmodalitäten"1, le BGH s'est à nouveau penché sur la question de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur. Le Tribunal fédéral des brevets avait conclu que le "procédé de traitement des données médicales pertinentes dans le cadre de l'examen d'un patient à effectuer" n'avait pas pour objet une invention relevant d'un domaine technique au sens de l'article 1 PatG (loi allemande sur les brevets, correspondant à l'article 52 CBE). Le BGH n'a pas approuvé cette décision.
En premier lieu, il a établi clairement que l'objet de la demande présente la technicité requise pour la brevetabilité d'une invention mise en œuvre par ordinateur dès lors qu'il sert à traiter, stocker et transmettre des données au moyen d'un dispositif technique. Pour le critère de technicité, il importe peu que l'objet de la demande présente ou non, en dehors des caractéristiques techniques, également des caractéristiques non techniques. Selon cette décision, la jurisprudence2 fondée sur la théorie dite "du noyau", visant à exclure les combinaisons non brevetables, avait été abandonnée dès la décision "Tauchcomputer"3. De ce fait, la question de savoir si des combinaisons de caractéristiques techniques et non techniques, ou exclues de la protection par brevet, sont brevetables dans un cas particulier dépend uniquement – en dehors des exclusions prévues par l'article 1 (3) PatG (art. 52(2) CBE) qui peuvent se présenter – de la question de l'activité inventive sur laquelle elles reposent. Il s'ensuit que l'application du principe déjà établi dans la décision "Sprachanalyseeinrichtung"4, selon lequel tout dispositif technique revendiqué (par ex. un ordinateur) implique un enseignement technique, est en fait étendue aux revendications de procédé qui enseignent l'utilisation d'un tel dispositif technique. Par conséquent, il est exclu qu'un enseignement mettant en œuvre un ordinateur puisse être considéré comme non technique.
D'après la jurisprudence de la chambre des brevets, si tant est qu'une invention mise en œuvre par ordinateur puisse échouer à cause du critère d'"invention", ce sera tout au plus parce qu'elle n'a pas pour objet la solution d'un problème technique concret avec des moyens techniques.5 Toutefois, l'enseignement à évaluer6 a passé cette barre – placée bas – de sorte que, même de ce point de vue, c'est l'activité inventive qui s'avère être le critère décisif pour la brevetabilité. Dans cette mesure, la chambre attire (de nouveau7) l'attention sur ce que l'exigence d'un problème technique concret à résoudre signifie en même temps qu'il convient, lors de l'examen de la nouveauté et de l'activité inventive, de prendre en considération la solution à apporter au problème. En règle générale, les instructions étrangères à la technique ne suffisent pas dans ce contexte ; elle n'ont d'importance que dans la mesure où elles influencent la solution apportée à des problèmes techniques avec des moyens techniques. Il convient plutôt de dire qu'une invention mise en œuvre par ordinateur n'est brevetable que si la solution apportée au problème technique concret est nouvelle et inventive.8 C'est la garantie pour que, en finale, seule l'innovation technique et non l'idée commerciale astucieuse ou le concept original de management puisse bénéficier d'une protection par brevet.
2. Nouveauté
Dans l'arrêt "Betonstraßenfertiger" du 30 janvier 20089, il s'agissait de statuer sur le contenu divulgué par une première demande. De sa compréhension dépendait la question de savoir si la priorité de cette demande était revendiquée à juste titre et si, par conséquent, l'exposition dans un salon d'une machine conforme à l'invention, avant le dépôt du brevet en cause, constituait ou non un obstacle à la nouveauté de son objet.
Il est possible, lors du dépôt d'une demande de brevet européen, de revendiquer le droit de priorité d'une demande antérieure, à condition que les deux demandes concernent la même invention (art. 87(1) CBE). L'arrêt "Betonstraßenfertiger" confirme la jurisprudence existante10, selon laquelle cette condition n'est remplie que si la combinaison de caractéristiques revendiquée dans la demande ultérieure est divulguée dans la demande antérieure dans son ensemble comme faisant partie de l'invention objet de la demande.11 Comme déjà dans la décision "Luftverteiler", le BGH s'est approprié la formule des chambres de recours de l'Office européen des brevets selon laquelle il faut pour cela que l'objet de l'invention revendiquée puisse être déduit « directement et sans ambiguïté » de la demande antérieure considérée dans son ensemble. Il s'ensuit que les principes qui gouvernent l'examen de la nouveauté12 s'appliquent aussi lorsqu'il s'agit d'apprécier l'identité de la divulgation. Bien entendu, il ne résulte pas de l'interprétation étroite de la notion de "même invention" que l'identité fasse défaut à la moindre disparité apparente entre le texte ou les dessins de la demande antérieure et ceux du brevet considéré. Si la seule raison pour laquelle les deux documents ne sont pas parfaitement superposables est qu'il a été remédié aux imperfections de langage ou des dessins de la première demande, sans qu'il s'agisse d'inventions différentes ni d'une extension, l'exigence d'une identité directe et non ambiguë est remplie.13
La décision "Olanzapine"14, du 16 décembre 2008, a suscité un intérêt considérable des milieux intéressés. Ici, à nouveau, toute l'argumentation tourne autour de la notion de divulgation. Pour savoir si une divulgation antérieure nuit à la nouveauté d'un brevet, il importe de se demander quelle est l'information technique divulguée à l'homme du métier, sachant que cette notion de divulgation n'est pas différente de celle qui est utilisée ailleurs en droit des brevets15. Il n'y a donc pas lieu d'examiner sous quelle forme l'homme du métier, notamment grâce à ses connaissances générales, peut mettre en œuvre un enseignement général donné ou, le cas échéant, de quelle façon il peut transposer cet enseignement, mais uniquement de se demander ce que l'homme du métier tire de l'antériorité comme étant le contenu de l'enseignement (général) donné. Ainsi, la Chambre rejoint, en citant expressément la jurisprudence des chambres de recours de l'Office européen des brevets, la formule sur l'importance de ce que l'homme du métier peut déduire "directement et sans ambiguïté" d'un document.16
Le BGH n'y voit pas de contradiction avec le fait qu'il a tenu pour indispensable, notamment eu égard à la finalité de l'examen (distinct) de la nouveauté, qui est d'éviter la double protection par brevet, d'élargir la notion de divulgation nuisible à la nouveauté au-delà du "seul libellé" 17. La prise en compte de ce qui n'est pas mentionné explicitement dans les caractéristiques de la revendication ou dans le texte de la description, mais qui est évident ou indispensable, du point de vue de l'homme du métier, compte tenu de ses connaissances générales, pour la mise en œuvre de l'enseignement objet de la protection et qui, par conséquent, ne nécessite pas de divulgation particulière, ne vise pas à compléter la divulgation par les connaissances générales du spécialiste, mais, comme pour l'interprétation du sens littéral d'une revendication, à comprendre le sens du contenu divulgué, c'est-à-dire de l'information technique que le lecteur averti tirerait de la source considérée en gardant à l'esprit ses propres connaissances générales.18
D'après la décision "Olanzapine", il en va de même des variantes, qui sont elles aussi incorporées au contenu de la divulgation, depuis la décision "Elektrische Steckverbindung", quand elles sont tellement évidentes pour l'homme du métier, vu le contenu global de l'antériorité, qu'elles s'imposent à lui sans problème pour autant qu'il lise le document attentivement, en prêtant moins d'attention aux mots qu'à leur sens manifeste, de sorte que, mentalement, il les "lit en même temps" pour ainsi dire, même s'il n'en est pas conscient19. Superficiellement, le mot évident (naheliegen), dit la Chambre, peut sembler faire référence au domaine des équivalents ; mais, selon elle, l'expression "lit en même temps" montre clairement qu'il ne s'agit pas de la prise en compte de moyens de substitution, mais de saisir dans son ensemble l'information technique que l'homme du métier trouve dans un document. Les variantes et perfectionnements de cette information ne font pas plus partie du contenu divulgué que les conclusions que l'homme du métier, grâce à ses connaissances générales, peut tirer de l'information technique reçue.20
Puis la Chambre des brevets a transposé ces principes au domaine de la chimie des éléments et, plus particulièrement, à l'évaluation de l'information contenue dans une formule structurelle. Ainsi, le fait qu'une composition chimique corresponde à une formule publiée antérieurement ne signifie pas la divulgation de la composition chimique concrète, pas plus que le fait que le mode concret de réalisation d'un dispositif soit couvert par une revendication formulée de manière générale ne signifie la divulgation du mode concret de réalisation du dispositif.21 Ce qui importe c'est plutôt de savoir si cette composition concrète est divulguée. Pour cela, il faut des indications qui permettent à l'homme du métier de reproduire aisément l'invention relative à cette composition chimique, c'est-à-dire d'obtenir réellement la substance en question.22 De même, comme pour les brevets portant sur des dispositifs, il ne convient pas, d'après la décision "Olanzapine", de mettre sur le même plan la capacité de l'homme du métier à fabriquer, en utilisant des procédés connus ainsi que ses autres connaissances générales, un nombre plus ou moins grand de compositions individuelles, couvertes par une formule structurelle déjà divulguée, et la divulgation de ces compositions individuelles.23 Au contraire, les compositions individuelles sont, du moins généralement, de simples mises en pratique de l'information technique donnée à l'homme du métier par la divulgation de la formule structurelle ou de toute autre formule à caractère général. La publication d'une telle formule ne constitue pas la divulgation des compositions individuelles en tant que telles, qui sont couvertes par la formule ; pour les rendre accessibles à l'homme du métier au sens de l'examen de la nouveauté, des informations supplémentaires sont généralement nécessaires, notamment en ce qui concerne leur individualisation. Une composition individuelle non explicitement mentionnée ne peut être réputée divulguée que si l'homme du métier la "lit en même temps", comme précédemment expliqué, peut-être parce qu'il la connaît comme étant le mode de réalisation habituel de la formule générale indiquée et que, pour cette raison, elle s'impose immédiatement à lui, quand il lit la formule générale, comme ce dont il est en tout cas aussi question. Le but recherché ici est une harmonisation poussée avec la jurisprudence des chambres de recours techniques de l'OEB, selon laquelle seuls les enseignements techniques qui divulguent une substance comme étant le résultat obligatoire d'un procédé décrit antérieurement ou une forme spécifique, c'est-à-dire individualisée, font obstacle à la nouveauté.24
Dans un autre arrêt du 10 septembre 200925, le BGH s'est à nouveau penché sur la question de la nouveauté d'une composition chimique. Dans cette décision, il applique les principes de l'arrêt "Olanzapine" au cas de figure classique d'un composé connu, le racémate, déjà décrit, et de ses énantiomères non décrits.
3. Activité inventive
Dans la décision "Olanzapine", il est aussi question de ce que "l'état de la technique le plus proche" ne peut être déterminé qu'après coup (ex post), une fois que l'on a pris connaissance de l'invention, et qu'il ne doit pas être considéré sans esprit critique comme "tremplin" permettant de réaliser l'invention. La Chambre voit une première étape, à prendre en considération lors de l'évaluation de l'activité inventive, dans la décision de l'homme du métier de développer l'approche qui était exposée dans la publication considérée par le Tribunal fédéral des brevets comme détruisant la nouveauté. Selon la Chambre, il n'y a pas lieu de négliger cette première décision sélective sous prétexte que l'examen de l'activité inventive doit toujours être effectué sur la base de l'état de la technique le plus proche. Il n'existe pas de telle priorité de "l'état de la technique le plus proche". Ce n'est que rétrospectivement que l'on peut reconnaître quelle antériorité se rapproche le plus de l'invention et comment l'inventeur aurait pu procéder pour parvenir à la solution selon l'invention. Le choix du point de départ nécessite donc une justification, qui réside généralement dans les efforts de l'homme du métier pour trouver à un problème spécifique une solution qui soit meilleure que celle proposée par l'état de la technique connu.26
Dans la plupart (et de loin) des décisions prononçant la nullité d'un brevet, la question de la brevetabilité est traitée sous l'angle de l'activité inventive. Souvent, ces décisions montrent clairement que l'activité inventive est certes une condition légale de la brevetabilité, mais qu'elle ne fait pas l'objet de l'examen. Ce qui est examiné, c'est plutôt la question de savoir si l'objet de l'invention, à la date de priorité, découlait d'une manière évidente pour l'homme du métier de l'état de la technique (art. 56, 1ère phrase, CBE, art. 4, 1ère phrase, PatG). L'examen doit porter non pas sur l'activité inventive, mais sur le défaut d'une telle activité, c'est-à-dire sur le caractère évident de l'invention : en l'absence d'indices du caractère évident de l'invention, celle-ci est réputée, comme dit la loi, reposer sur une activité inventive. Ainsi, la loi tolère, dans une certaine mesure, que soient protégées des innovations qui ne reposent pas sur une activité inventive supérieure aux capacités de l'homme du métier de compétence moyenne. En effet, il n'est souvent pas possible d'établir après coup, de façon positive, avec les moyens d'enquête disponibles – le juge qui statue sur l'action en nullité, tout comme l'examinateur, devant toujours procéder à une appréciation rétrospective –, qu'il y ait eu activité inventive. Pour cette raison, il faut se contenter de ce qu'il ne se trouve pas, ni dans l'état de la technique ni dans les connaissances générales de l'homme du métier, d'indices suffisants permettant de juger que l'objet de l'invention était évident pour l'homme du métier.
Que l'accent soit mis sur la nécessité d'une incitation ou d'un motif conduisant à adopter la solution (selon l'invention) à un problème ne doit pas conduire au malentendu selon lequel il ne faudrait plus nier l'activité inventive, d'après la récente jurisprudence du BGH, que si un document écrit montrait explicitement à l'homme du métier le chemin à prendre pour parvenir à l'invention. Il convient toutefois de s'inquiéter lorsque l'incitation est réduite aux "efforts constants de l'homme du métier en vue de réaliser des perfectionnements". Ceci n'est qu'une formule vide, qui ne saurait remplacer la justification concrète du caractère évident. En outre, le simple fait qu'il n'y ait pas d'obstacles s'opposant à une certaine façon de procéder ne remplace pas l'incitation.27
Il est tout aussi nécessaire de justifier le recours supposé à d'autres spécialistes par l'homme du métier "compétent" en premier lieu.28 Même le recours à un savoir qui fait partie des connaissances générales peut nécessiter une justification.29 La tentative de démontrer qu'une solution technique concrète fait partie des connaissances générales de l'homme du métier ne saurait généralement, en tout cas, remplacer l'existence de raisons d'appliquer cette solution dans un contexte technique dans lequel elle n'a pas été utilisée jusque-là.
En effet, comme il est dit dans l'arrêt „Betrieb einer Sicherheitseinrichtung"30, l'expérience montre que le progrès technique n'emprunte pas forcément les chemins qui s'avèrent, lors d'une analyse rétrospective de la situation de départ, comme matériellement plausibles, voire comme plus ou moins obligatoires. Pour pouvoir considérer le choix d'une solution qui diverge des chemins empruntés jusque-là non seulement comme possible, mais aussi comme évident pour l'homme du métier, il est donc généralement nécessaire – en dehors des cas où l'homme du métier sait d'emblée ce qu'il a à faire – de recevoir des impulsions, incitations ou raisons supplémentaires, allant au-delà de la simple identification du problème technique et poussant à rechercher la solution au problème technique par la voie de l'invention.31
Lors d'un tel examen de l'activité inventive, les circonstances réelles, qui apportent un éclairage sur la place qu'a eu l'invention dans le développement du domaine technique concerné et sur la façon dont les concurrents et acheteurs du produit en question ont accueilli l'invention, n'ont généralement plus grande importance. D'après une décision du BGH, de tels critères auxiliaires (indices) ne peuvent justifier que dans des cas isolés de vérifier de façon particulièrement critique si des solutions connues constituent des indices suffisants en faveur du caractère évident de l'invention ou si ce n'est pas plutôt du point de vue rétrospectif seulement qu'elles semblent contenir une incitation conduisant à l'invention.32
4. Interprétation des revendications d'un brevet
La décision "Mehrgangnabe"33 concernait une action en contrefaçon fondée sur pas moins de trois brevets compliqués et difficilement accessibles pour un juge sans formation technique. Cela avait sûrement contribué à ce que la cour d'appel s'était entièrement fiée à l'interprétation des revendications fournie par l'expert judiciaire commis par elle, ce qui n'a pas trouvé l'approbation du BGH, comme il fallait s'y attendre en raison de décisions antérieures sur le même sujet34.
Le BGH répète que, pour juger s'il y a contrefaçon d'un brevet, il faut d'abord se pencher sur l'enseignement technique qui ressort, du point de vue de l'homme du métier concerné par le brevet en cause, des caractéristiques de la revendication considérées individuellement et globalement.35 La question de savoir ce qui en découle comme objet de la protection est une question de droit ; c'est pourquoi l'interprétation de la revendication peut être non seulement réexaminée en entier par le BGH36, mais incombe aussi exclusivement au tribunal et pas seulement à l'expert commis par lui37. A cet égard, le fait que la compréhension par l'homme du métier des termes utilisés dans la revendication et du contexte général de celle-ci constitue la base de l'interprétation signifie seulement, que le juge des faits doit, le cas échéant, faire appel à l'aide d'un expert lorsqu'il s'agit d'établir les réalités techniques objectives ainsi que les connaissances, capacités, expériences et méthodologie de l'homme du métier concerné, qui sont déterminantes pour la compréhension de la revendication et des termes utilisés dans le fascicule de brevet ou qui peuvent en tout cas l'influencer.38
Il s'ensuit que la juste compréhension de la revendication à clarifier sur cette base ne peut pas être "établie" simplement par un examen des faits, mais est le résultat de l'interprétation du juge, avec pour arrière-plan l'ensemble des données techniques établies, le cas échéant, avec l'aide d'un expert.39 La principale tâche de l'expert est – dans le procès en contrefaçon comme dans toute autre procédure civile – l'apport de connaissances spécialisées en vue de l'appréciation des faits par le juge40; de plus, l'expert peut être chargé de déterminer certains faits, lorsque cela requiert des connaissances particulières qui manquent au juge. De même qu'il n'est pas appelé à répondre à des questions de droit, l'expert n'est pas commis dans un procès en contrefaçon pour interpréter le brevet en cause, mais pour fournir au tribunal, si les allégations des parties sont insuffisantes, les connaissances techniques nécessaires pour que le tribunal puisse lui-même comprendre l'enseignement technique protégé – comme base de l'examen de la contrefaçon et de la détermination du champ de protection – et interpréter la revendication définissant cet enseignement, en exploitant à fond le sens qu'elle renferme.41
C'est la raison pour laquelle le tribunal n'a pas à reprendre automatiquement à son compte les conclusions sur le contenu de l'enseignement technique du brevet en cause qu'un expert tire de ses connaissances techniques. En outre, l'expérience montre que l'expert a souvent tendance à s'orienter sur les modes de réalisation de l'invention, qui typiquement, de son point de vue, sont plus probants, plutôt que sur les formules plus abstraites de la revendication. C'est pourquoi la 10e chambre civile avait déjà souligné, dans la décision "Kabeldurchführung II", que les affirmations d'un expert doivent toujours être examinées en toute autonomie par le juge des faits, pour vérifier si et dans quelle mesure elles contiennent des indications pouvant apporter des éclaircissements eu égard aux questions décisives auxquelles seul le tribunal compétent peut répondre.42
Par conséquent, le BGH fait observer que la Cour d'appel n'était pas exemptée de l'obligation d'effectuer cette vérification, même dans la mesure où les explications de l'expert concordaient avec les modes de réalisation décrits et expliqués dans les descriptions des brevets. En effet, une limitation correspondante de l'interprétation serait incompatible avec le principe qu'un mode de réalisation de l'invention n'autorise généralement pas à interpréter de manière restrictive une revendication qui caractérise l'invention de manière générale.43 Certes, la description et les dessins doivent toujours servir à interpréter les revendications et il peut parfois en découler une compréhension plus étroite de la revendication que celle suggérée par son seul libellé.44 Toutefois, comme le souligne le BGH, cela requiert un examen attentif dans le cas particulier et il ne faut pas en conclure que la description et les dessins concernent seulement une partie des modes de réalisation possibles couverts par le libellé de la revendication. Il importe plutôt de savoir s'il découle de l'interprétation de la revendication, fondée sur la description et les dessins, que le résultat technique recherché par l'invention avec les moyens décrits dans la revendication ne peut être obtenu qu'en suivant un tel enseignement technique plus restreint. Dans ce contexte, peuvent aussi jouer un rôle des réalités techniques objectives qui ne sont pas mentionnées dans le fascicule de brevet, mais qui font partie des connaissances de l'homme du métier et qui peuvent donc influencer la compréhension de la revendication, par exemple parce que, du point de vue de l'homme du métier, seule une certaine configuration semble permettre d'atteindre le résultat recherché par l'invention ou, inversement, parce qu'une certaine configuration paraît d'emblée inadaptée pour atteindre ce résultat.45
1 Décision du 20 janvier 2009 – X ZB 22/07, GRUR 2009, 479.
2 BGH, GRUR 1986, 531 - Flugkostenminimierung.
3 BGHZ 117, 144 = GRUR 1992, 430.
4 BGHZ 144, 282 = GRUR 2000, 1007.
5 BGH, décision du 20 janvier 2009 – X ZB 22/07, GRUR 2009, 479, numéro de marge 11 – Steuerungseinrichtung für Untersuchungsmodalitäten.
6 BGH, GRUR 2009, 479, numéro de marge 12 – Steuerungseinrichtung für Untersuchungsmodalitäten.
7 Cf. BGHZ 149, 68 = GRUR 2002, 143 – Suche fehlerhafter Zeichenketten; BGHZ 159, 197 = GRUR 2004, 667 – elektronischer Zahlungsverkehr.
8 BGH, décision du 20 janvier 2009 – X ZB 22/07, GRUR 2009, 479, numéro de marge 11 – Steuerungseinrichtung für Untersuchungsmodalitäten.
9 GRUR 2008, 597 (traduction anglaise, voir IIC 2009, 340).
10 BGHZ 148, 383 = GRUR 2002, 146 = JO OEB 2002, 331 (en trois langues) – Luftverteiler.
11 BGH, GRUR 2008, 597, numéro de marge 17 – Betonstraßenfertiger.
12 BGHZ 148, 383 = GRUR 2002, 146 = JO OEB 2002, 331 (en trois langues) – Luftverteiler; BGH, GRUR 2003, 133 – elektronische Funktionseinheit, décisions comportant respectivement d'autres références.
13 BGH, GRUR 2008, 597, numéro de marge 17 – Betonstraßenfertiger.
14 Arrêt du 16 décembre 2008 – X ZR 889/07, BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382.
15 Cf. BGH, GRUR 2004, 407, 411 – Fahrzeugleitsystem.
16 BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382, numéro de marge 25 – Olanzapine, avec référence à BGHZ 148, 383, 389 = GRUR 2002, 146 = JO OEB 2002, 331 (en trois langues) – Luftverteiler; BGH, GRUR 2004, 133, 135 – Elektronische Funktionseinheit; BGH, GRUR 2008, 597, numéro de marge 17 – Betonstraßenfertiger; Grande Chambre de recours de l'OEB, JO OEB 2001, 413; Chambre de recours technique de l'OEB, GRUR Int. 2008, 511 – Traction sheave elevator/KONE.
17 BGHZ 128, 270, 277 = GRUR 1995, 330 – Elektrische Steckverbindung.
18 BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382, numéro de marge 26 – Olanzapine.
19 BGHZ 128, 270, 276 s. = GRUR 1995, 330 – Elektrische Steckverbindung.
20 BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382, numéro de marge 26 – Olanzapine.
21 Voir, à cet égard, déjà BGHZ 103, 150, 157 = GRUR 1988, 447 – Fluoran.
22 BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382, numéro de marge 27 – Olanzapine, avec référence à BGHZ 103, 150, 157 = GRUR 1988, 447 – Fluoran.
23 BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382, numéro de marge 27 – Olanzapine, avec référence à BGH, GRUR 2000, 296, 297 – Schmierfettzusammensetzung.
24 JO OEB 1982, 296 – Diastereomere/BAYER; JO OEB 1984, 401 – Comosés spiro/CIBA GEIGY; JO OEB 1988, 381 – Xanthines/DRACO; JO OEB 1990, 195 – Enantiomere/HOECHST; décision du 19.2.2003 – T 940/98 – Diastereomere des 3-Cephem-4-acide carboxylique-1-(isopropoxycarbonyloxy)ethylesters/HOECHST. La Cour suprême d'Angleterre et du Pays de Galles (Floyd J.) s'est aussi appuyée sur cette jurisprudence dans la procédure anglaise concernant le même brevet européen litigieux ([2008] EWHC 2345 (Pat)).
25 Xa ZR 130/07, GRUR 2010, 123 – Escitalopram (Lundbeck).
26 BGHZ 179, 168 = GRUR 2009, 382, numéro de marge 51 – Olanzapine. De même BGH, décision du 18 juin 2009 – Xa ZR 138/05, GRUR 2009, 1039 – Fischbissanzeiger.
27 BGH, décision du 8 décembre 2009 – X ZR 65/05, GRUR 2010, 407 – einteilige Öse.
28 BGH, décision du 29 septembre 2009 – X ZR 169/07, GRUR 2010, 41 – Diodenbeleuchtung.
29 BGH, décision du 30 avril 2009 – Xa ZR 56/05, GRUR 2009, 743 – Airbag-Auslösesteuerung.
30 BGH, décision du 30 avril 2009 – Xa ZR 92/05, BGHZ 182, 1 = GRUR 2009, 746.
31 BGHZ 182, 1 = GRUR 2009, 746, numéro de marge 20 – Betrieb einer Sicherheitseinrichtung.
32 BGH, décision du 30 juillet 2009 – Xa ZR 22/06, GRUR 2010, 44 – Dreinahtschlauchfolienbeutel.
33 BGH, décision du 12 février 2008 – X ZR 153/05, GRUR 2008, 779 (traduction anglaise, voir IIC 2008. 839).
34 BGH, GRUR 2001, 770, 772 – Kabeldurchführung II; BGHZ 164, 261, 268 = GRUR 2006, 131 (traduction anglaise, voir IIC 2006, 743) – Seitenspiegel; BGHZ 171, 120 = GRUR 2007, 410 (traduction anglaise, voir IIC 2007, 726), numéro de marge 18 – Kettenradanordnung.
35 BGHZ 171, 120 = GRUR 2007, 410 (traduction anglaise, voir IIC 2007, 726) numéro de marge 18 – Kettenradanordnung; BGHZ 172, 108 = GRUR 2007, 859, numéro de marge 13 – Informationsübermittlungsverfahren I.
36 Jurisprudence constante ; cf. BGHZ 142, 7, 15 = GRUR 1999, 977 – Räumschild; BGHZ 160, 204, 213 = GRUR 2004, 1023 ((traduction anglaise, voir IIC 2005, 971) – Bodenseitige Vereinzelungseinrichtung; BGHZ 176, 311 = GRUR 2008, 896 (traduction anglaise, voir IIC 2009, 475), numéro de marge 17 – Tintenpatrone.
37 BGHZ 171, 120 = GRUR 2007, 410 (traduction anglaise, voir IIC 2007, 726), numéro de marge 18 – Kettenradanordnung.
38 BGH, GRUR 2008, 779, numéro de marge 30 s. (traduction anglaise, voir IIC 2008, 839) – Mehrgangnabe, avec référence à BGHZ 164, 261, 268 = GRUR 2006, 131 (traduction anglaise, voir IIC 2006, 743) – Seitenspiegel; BGHZ 171, 120 = GRUR 2007, 410 (traduction anglaise, voir IIC 2007, 726), numéro de marge 18 – Kettenradanordnung.
39 BGHZ 160, 204, 213 = GRUR 2004, 1023 (traduction anglaise, voir IIC 2005, 971) – Bodenseitige Vereinzelungseinrichtung.
40 BGHZ 37, 389, 393 s.; BGHZ 159, 254, 262; BGH, NJW 1993, 1796, 1797.
41 BGH, GRUR 2008, 779, numéro de marge 32 (traduction anglaise, voir IIC 2008, 839) – Mehrgangnabe.
42 BGH, GRUR 2001, 770, 772 – Kabeldurchführung II. Voir aussi BGHZ 171, 120 = GRUR 2007, 410 (traduction anglaise, voir IIC 2007, 726), numéro de marge 18 – Kettenradanordnung: "En règle générale, la compréhension que l'expert a d'une revendication n'est pas en tant que telle plus prépondérante, dans le cadre de l'interprétation par le juge, que la compréhension d'une partie".
43 BGH, GRUR 2008, 779, 34 (traduction anglaise, voir IIC 2008, 839) – Mehrgangnabe, avec référence à BGHZ 160, 204, 210 = GRUR 2004, 1023 (traduction anglaise, voir IIC 2005, 971) – Bodenseitige Vereinzelungseinrichtung; BGHZ 172, 88 = GRUR 2007, 778 (traduction anglaise, voir IIC 2008, 223), numéro de marge 18, 21 – Ziehmaschinenzugeinheit.
44 Cf. BGH, GRUR 1999, 909, 911 s. – Spannschraube.
45 BGH, GRUR 2008, 779, numéro de marge 37 (traduction anglaise, voir IIC 2008, 839) – Mehrgangnabe.