COMMUNICATIONS DE L'OEB
Décisions des divisions d'examen et d'opposition
Décision de la division d'opposition en date du 7 novembre 2001 *
(Traduction)
Titulaire du brevet : The President and Fellows of Harvard College
Opposants:
1) The British Union for the Abolition of Vivisection
2) Bundesverband der Tierversuchsgegner Menschen für Tierrechte e.V. et al.
3) Ökologisch-Demokratische Partei, Deutschland
4) Reinhard Büchner
5) Fraktion Bündnis 90 / Grüne im Sächsischen Landtag
6) Ursel Fuchs et al.
7) Die Grünen im Bayerischen Landtag
8) Evangelischer Stadtkirchenverband Köln
9) Bundesland Hessen der Bundesrepublik Deutschland
10) Florianne Koechlin et al.
11) Johannes Voggenhuber et al.
12) Keine Patente auf Leben, Schweiz
13) Sylvia Hamberger et al.
14) Bundeszentrale der Tierversuchsgegner Österreichs
15) Wiener Tierschutzverein and Zentralverband der Tierschutzvereine Österreichs
16) Helmtrude Helletsberger
17) Deutsches Tierhilfswerk e. V.
Référence : Souris oncogène/HARVARD
Article : 52(1), (2), (4), 53a) et b), 54, 56, 57, 83, 100a) et b) CBE
Règle : 23quater, lettre b et 23quinquies, lettre d CBE
Directive 98/44/CE : Considérant 31
Mot-clé : "Les animaux peuvent être brevetés" - "Suffisance de l'exposé (oui) : même avis que dans la décision T 19/90" - "Revendications ayant pour objet des races spécifiques (non)" - "Brevetabilité des animaux en général au regard des dispositions sur les bonnes moeurs (oui)" - "Brevetabilité des animaux d'expérimentation dont l'exploitation est autorisée dans les Etats contractants au regard des dispositions sur les bonnes moeurs (oui)" - "Admissibilité d'une revendication courent de nombreuses catégories d'animaux qui ne sont pas des animaux d'expérimentation (non)"
Exposé des faits et conclusions
I. Le brevet européen n° 0169672 a été délivré sur la base de la demande de brevet européen n° 85304490.7, qui a été déposée le 24 juin 1985 en revendiquant la priorité du 22 juin 1984 (US 623774).
La mention de la délivrance du brevet a été publiée au Bulletin européen des brevets 1992/20 du 13 mai 1992.
Le titulaire du brevet est The President and Fellows of Harvard College.
Le brevet porte sur des mammifères transgéniques non humains.
II. Dix-sept oppositions ont été formées à l'encontre du brevet. Les opposants (O1 à O17) sont énumérés ci-après, en indiquant pour chacun d'eux le fondement juridique sur lequel ils ont basé leur opposition.
O1 : "Compassion in World Farming" (désormais "Compassion in World Farming Supporters") et "The British Union for the Abolition of Vivisection" ont formé une opposition le 18 décembre 1992 et requis la révocation du brevet dans son ensemble sur le fondement de l'article 100a) CBE, en particulier pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE. L'opposant O1 a présenté d'autres moyens par lettre du 5 février 1993.
O2 : le "Bundesverband der Tierversuchsgegner Menschen für Tierrechte e. V." et al. ont formé une opposition le 5 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) CBE, pour défaut d'invention brevetable en vertu de l'article 52 CBE, atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE et non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE. L'opposant O2 a également requis à titre subsidiaire la tenue d'une procédure orale.
O3 : le parti "Ökologisch-Demokratische Partei" a formé une opposition le 5 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) CBE, pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE et non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE.
O4 : Reinhard Büchner a formé une opposition le 11 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) et b) CBE, pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE, non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE et insuffisance de l'exposé en vertu de l'article 83 CBE. Dans sa communication du 12 mai 1995, le mandataire agréé de l'opposant O4 a déclaré qu'au vu de la lettre de M. Büchner en date du 14 février 1995, il ne représenterait plus ce dernier et a demandé que l'opposition soit considérée comme retirée. Toutefois, l'opposant O4 reste partie à la procédure, dans la mesure où il découle de la lettre du mandataire que celui-ci n'était plus habilité à représenter l'opposant O4 lorsqu'il a produit sa déclaration de retrait.
O5 : Andreas Meinel et al., "Fraktion Bündnis 90/Grüne im Sächsischen Landtag", ont formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) CBE, pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE et non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b). L'opposant O5 a également requis à titre subsidiaire la tenue d'une procédure orale.
O6 : Ursel Fuchs et al. ont formé une opposition le 31 janvier 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) et b) CBE, pour défaut d'invention brevetable en vertu de l'article 52 CBE, atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE, non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE et insuffisance de l'exposé en vertu de l'article 83 CBE. L'opposant O6 a également requis à titre subsidiaire la tenue d'une procédure orale.
O7 : Ruth Paulig et al., "Die Grünen im Bayerischen Landtag", ont formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) CBE, pour défaut d'invention brevetable en vertu de l'article 52 CBE, atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE, non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE et absence de nouveauté en vertu de l'article 54 CBE.
O8 : l'"Evangelischer Stadtkirchenverband Köln" a formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) et b) CBE, aux motifs que l'invention n'était pas susceptible d'application industrielle en vertu de l'article 52(1) CBE et qu'elle constituait une découverte en vertu de l'article 52(2) CBE, ainsi que pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE, non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE, défaut de nouveauté en vertu de l'article 54 CBE, absence d'activité inventive en vertu de l'article 56 CBE et insuffisance de l'exposé en vertu de l'article 83 CBE. L'opposant O8 a également requis à titre subsidiaire la tenue d'une procédure orale.
O9 : le "Bundesland Hessen der Bundesrepublik Deutschland" a formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale. Ayant retiré son opposition par lettre en date du 14 avril 2000, l'opposant O9 n'est plus partie à la procédure.
O10 : Florianne Koechlin, Pete Schenkelaars et al., "No Patents on life", ont formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale.
O11 : Johannes Voggenhuber et al., "Grüner Club im Parlament", ont formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale.
O12 : l'association "Keine Patente auf Leben" a formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale.
O13 : Sylvia Hamberger et al., "Kein Patent auf Leben", ont formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale.
O14 : la "Bundeszentrale der Tierversuchsgegner Österreichs" a formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale.
O15 : le "Wiener Tierschutzverein" et le "Zentralverband der Tierschutzvereine Österreichs" ont formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble pour les mêmes motifs que l'opposant O8, ainsi que, à titre subsidiaire, la tenue d'une procédure orale.
O16 : Helmtrude Helletsberger a formé une opposition le 12 février 1993 et requis la révocation du brevet dans son ensemble au titre de l'article 100a) CBE, aux motifs que l'invention n'était pas susceptible d'application industrielle en vertu de l'article 52(1) CBE et qu'elle constituait une méthode de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps animal ou une méthode de diagnostic appliquée au corps animal en vertu de l'article 52(4) CBE, ainsi que pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE, non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE et absence d'activité inventive en vertu de l'article 56 CBE. L'opposant O16 a également requis à titre subsidiaire la tenue d'une procédure orale.
O17 : le "Deutsches Tierhilfswerk e. V." a formé le 1er février 1993 une opposition à l'encontre des revendications 1 à 10 et 12 à 22 du brevet contesté sur le fondement de l'article 100a) CBE, pour atteinte aux bonnes moeurs en vertu de l'article 53a) CBE et non-brevetabilité des races animales en vertu de l'article 53b) CBE.
III. Dans sa lettre de réponse du 17 juin 1994, le titulaire du brevet a présenté ses contre-arguments et tout d'abord requis le maintien du brevet tel que délivré. Il a également requis à titre subsidiaire la tenue d'une procédure orale.
IV. Par lettres du 17 octobre 1994 et du 1er mars 1995, l'opposant O1 a répondu aux arguments exposés par le titulaire du brevet et présenté de nouveaux moyens à l'encontre du brevet contesté.
V. Outre les nombreuses protestations émanant de personnes non parties à la procédure, un tiers a produit le 17 novembre 1994 des observations au titre de l'article 115 CBE en faveur de la brevetabilité des animaux.
VI. Dans la notification du 8 mai 1995 qui accompagnait la citation à la procédure orale, la division d'opposition a fait savoir qu'elle avait été complétée par un membre juriste. Par notification en date du 26 septembre 1995, elle a exposé son avis provisoire sur les questions soulevées par les parties au titre des articles 83, 52, 54, 56, 57 et 53b) CBE. Dans une autre notification en date du 9 novembre 1995, elle a abordé la question du droit des parties de participer en tant que telles à la procédure orale.
VII. Suite à la citation à la procédure orale, le titulaire du brevet a présenté de nouveaux moyens par lettre du 20 octobre 1995, auxquels l'opposant O1 a répondu par lettre du 16 novembre 1995.
VIII. La procédure orale s'est déroulée du 21 au 24 novembre 1995. A l'issue de la procédure orale, la division d'opposition a déclaré que la procédure serait poursuivie par écrit. A cet égard, référence est faite au procès-verbal de la procédure orale qui a été envoyé aux parties le 15 avril 1996.
IX. Suite à la procédure orale, le titulaire du brevet a produit de nouvelles requêtes subsidiaires par lettre du 28 novembre 1995. Puis il a présenté de nouvelles observations et modifié légèrement ses requêtes subsidiaires par lettre du 24 avril 1997.
X. Dans la période allant jusqu'à septembre 2000, les opposants O1, O2, O3, O7, O8 à O15, O16 et O17 ont présenté de nouveaux moyens, ainsi que la division d'opposition l'expose de façon détaillée au point 1 de sa notification du 20 septembre 2000, à laquelle il est fait référence. Tous ces moyens étayaient les arguments présentés à l'encontre du brevet contesté.
XI. Dans sa notification du 20 septembre 2000, la division d'opposition a attiré l'attention des parties sur les nouvelles règles 23ter à 23sexies CBE et sur la nouvelle décision G 1/98 (JO OEB 2000, 111). Elle les a par ailleurs invitées à présenter leurs observations à ce sujet et à préciser si elles souhaitaient la tenue d'une nouvelle procédure orale conformément aux articles 113 et 116(1) CBE, étant donné que la situation juridique avait changé.
XII. Le titulaire du brevet s'est vivement opposé à la tenue d'une nouvelle procédure orale par lettre du 29 septembre 2000, tandis que les opposants O8 à O15 ont requis une nouvelle procédure orale par lettre du 22 janvier 2001.
XIII. De nouvelles observations ont été présentées par l'opposant O1 (le 11 janvier et le 10 octobre 2001), l'opposant O3 (le 10 octobre 2001), les opposants O8 à O15 (le 10 septembre 2001) et l'opposant O13 (les 3 et 6 septembre 2001).
XIV. Par lettre du 24 janvier 2001, le titulaire du brevet a répondu aux arguments de l'opposant 1.
XV. La division d'opposition a émis la citation à la procédure orale le 9 mai 2001, puis exposé dans une lettre du 28 août 2001 son avis préliminaire sur la question de savoir si le brevet contesté était conforme aux articles 57, 53b) et 53a) CBE.
XVI. Le titulaire du brevet a produit de nouveaux moyens par lettre du 6 septembre 2001.
XVII. La deuxième procédure orale a eu lieu les 6 et 7 novembre 2001. A l'issue de la procédure orale, la division d'opposition a prononcé la décision de maintenir le brevet sous une forme modifiée (quatrième requête subsidiaire relative aux rongeurs). A cet égard, il est fait référence au procès-verbal de cette procédure qui a été envoyé aux parties le 23 janvier 2002. La liste complète des documents qui ont été introduits dans la procédure était jointe en annexe au procès-verbal.
XVII. Requêtes du titulaire du brevet
Le titulaire du brevet a requis à titre principal le maintien du brevet tel que délivré.
Les revendications 1 et 19 du brevet s'énoncent comme suit :
"1. Une méthode pour produire un animal mammifère transgénique non humain ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes ; dans ladite méthode une séquence oncogène activée est incoporée dans un chromosome du génome d'un animal mammifère non humain."
"19. Un animal mammifère transgénique non humain dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat d'une incorporation chromosomique dans le génome de l'animal, ou dans le génome d'un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini en plus selon n'importe laquelle des revendications 3 à 10."
Les requêtes subsidiaires qui étaient toujours maintenues au moment de la décision sont présentées ci-après. La numérotation initiale du 24 avril 1997 étant conservée, la première requête subsidiaire porte le numéro 2/2A, suivie des requêtes 3/3A et 4. Les anciennes requêtes 1/1A ont été retirées au cours de la procédure.
Requêtes 2/2A : la requête 2 diffère de la requête principale en ce que la revendication 1 de méthode et la revendication 19 relative à un animal sont limitées à un mammifère transgénique non humain, "ledit animal étant destiné à des fins d'expérimentation ou d'essais". La revendication 24 relative à une méthode en vue de fournir des cultures cellulaires contient elle aussi cette restriction. La requête 2A varie en ce que la restriction ci-dessus est limitée aux fins d'essais (les fins d'expérimentation étant supprimées).
Requêtes 3/3A : la requête 3 diffère de la requête 2 en ce que la revendication de chromosome 23 et la revendication de cellule 25 contiennent elles aussi la limitation introduite dans les revendications 1, 19 et 24. La requête 3A est la variante correspondante.
Requête 4 : la requête 4 est limitée aux rongeurs transgéniques sous tous leurs aspects.
La copie des requêtes subsidiaires est jointe en annexe à la présente décision.
Le titulaire du brevet a également présenté une requête tendant à déclarer irrecevables les oppositions formées par les opposants O1, O2, O4, O6 et O10 à O15, au motif qu'elles représentaient des "oppositions multiples" (avec plus d'un opposant), ainsi que les oppositions formées par les opposants O1 à O5, O7, O8, O10, O12, O14 et O15, au motif qu'il n'était pas prouvé qu'ils possédaient la personnalité juridique. Quant à l'opposition O17, le titulaire du brevet a déclaré qu'elle devait être déclarée irrecevable car aucun motif d'opposition n'était discernable dans l'acte d'opposition initial. Il a également demandé que la question de la recevabilité soit examinée dans le cadre de la décision sur le fond.
S'agissant de la question des "oppositions multiples", le titulaire du brevet a fait valoir qu'une seule taxe d'opposition avait été acquittée, alors qu'il aurait fallu acquitter autant de taxes d'opposition qu'il y avait de personnes impliquées. En ce qui concerne la question de la personnalité juridique, il a soutenu que chaque opposant devait fournir la preuve de son statut et qu'il convenait de clarifier la position des "sympathisants". Quant à l'opposition O17, il a allégué que la lettre du 1er février 1993 ne contenait aucun motif d'opposition recevable.
XIX. Les arguments des opposants peuvent se résumer comme suit :
i) Inventions brevetables en vertu de l'article 52(1), (2) (découvertes) et (4) CBE
L'opposant O2 a soulevé des objections en matière de nouveauté, d'activité inventive et de suffisance de l'exposé au titre de l'article 52(1) CBE. Ces arguments seront exposés sous les points relatifs aux articles correspondants de la CBE (articles 54, 56 et 83 CBE).
L'opposant O2 a également fait observer, à l'instar de l'opposant O7, que les souris transgéniques ne pouvaient pas constituer une invention en vertu de l'article 52(1) CBE. Il a en outre été allégué que les souris transgéniques selon le brevet représentaient une découverte, dans la mesure où il avait été découvert que les souris obtenues au moyen du procédé breveté avaient une prédisposition accrue aux néoplasmes.
L'opposant O6 a exposé des arguments similaires en ce qui concerne les découvertes et a établi une comparaison avec la découverte de l'Amérique.
Les opposants O8 à O15 ont fait valoir que l'invention n'était pas susceptible d'application industrielle en vertu de l'article 52(1) CBE. Ces arguments seront exposés sous le point relatif à l'article 57 CBE. Les opposants O8 à O15 ont également allégué que les revendications 1 à 15 étaient contraires à l'article 52(4) CBE, au motif que l'incorporation chromosomique d'un oncogène activé par micro-injection constituait une méthode chirurgicale. L'opposant O16 a développé cet argument en faisant observer que l'incorporation d'un gène dans le génome d'un animal vivant représentait également une méthode chirurgicale.
ii) Nouveauté (article 54 CBE)
Les opposants O8 à O15 se sont référés à plusieurs documents et en particulier à l'article de Brinster et al., "Cell" 37, pages 367 à 379, publié en juin 1984 (document D26 dans la liste des documents cités au cours de la procédure). Selon eux, ce document aurait été publié avant la date de priorité du brevet attaqué, soit avant le 22 juin 1984.
iii) Activité inventive (article 56 CBE)
Les opposants O8 à O15 et O16 ont fait valoir, en se référant pour l'essentiel aux documents cités dans le brevet et à l'article de Brinster et al. (cf. point ii) supra), qu'un nombre considérable de gènes avaient été introduits et exprimés dans des souris avant la date effective du brevet. Les souris selon le brevet contiennent un gène connu lié à un promoteur connu qui a été introduit dans les souris selon un procédé connu. La mise en oeuvre de ces procédures connues n'engendre aucun effet surprenant. Par conséquent, l'invention revendiquée représente la suite évidente de ce qui était déjà connu auparavant. Le fait que le même résultat ait été simultanément obtenu par Brinster et al. montrait par ailleurs qu'il s'agissait de simples travaux de routine.
iv) Application industrielle (article 57 CBE)
Les opposants O8 à O15 en particulier ont fait valoir que l'applicabilité industrielle des animaux autres que la souris n'était pas démontrée. A titre d'exemple d'animaux non susceptibles d'application industrielle, ils ont cité la girafe, l'éléphant ou la baleine bleue. De surcroît, la production des animaux transgéniques présentait un taux de réussite oscillant entre 1 et 3%, ce qui ne remplissait pas les critères de la commercialisation. Enfin, la mise sur le marché des souris transgéniques a été un échec.
v) Suffisance de l'exposé (article 83 CBE)
Plusieurs opposants ont fait valoir que les résultats obtenus avec les souris ne pouvaient pas être extrapolés à d'autres animaux, compte tenu notamment du faible taux de réussite enregistré lors de la production de souris transgéniques et des incertitudes qui entouraient l'introduction et l'expression du transgène dans diverses espèces animales.
vi) Brevetabilité des animaux (article 53b) CBE)
La quasi-totalité des opposants ont présenté des arguments à l'encontre du brevet litigieux sur le fondement de l'article 53b) CBE. Les arguments invoqués avant l'entrée en vigueur des nouvelles règles 23ter à 23sexies CBE et le prononcé de la décision G 1/98 étaient en substance qu'il y avait lieu d'interpréter l'article 53b) CBE en ce sens qu'il exclut de la brevetabilité les animaux en général, car il ne serait pas logique d'exclure des races animales, tout en admettant les animaux d'une manière générale. En outre, les revendications relatives aux animaux englobant des races animales, elles n'étaient pas admissibles. Les opposants ont par ailleurs estimé qu'il convenait d'appliquer la décision T 356/93 (JO OEB 1995, 545) également aux animaux. Enfin, les animaux revendiqués n'étaient selon eux pas brevetables car ils avaient été obtenus au moyen d'un procédé essentiellement biologique.
Les arguments présentés plus récemment, après l'entrée en vigueur des règles 23ter à 23sexies CBE et le prononcé de la décision G 1/98, peuvent se résumer comme suit. L'opposant O1 a fait observer que l'enseignement du brevet portait uniquement sur des souches de souris données et donc sur des races animales. Selon lui, la décision G 1/98 est applicable, dans la mesure où elle a confirmé que les variétés spécifiques ne sont pas brevetables. Les opposants O8 et O10 à O15 ont quant à eux fait valoir que les nouvelles règles ne devraient pas être prises en considération, étant donné que les oppositions ont été formées bien avant leur entrée en vigueur. Enfin, l'opposant O13 a ajouté que breveter des animaux viole deux principes généralement admis, à savoir le principe selon lequel l'Homme n'a pas inventé les êtres vivants et celui selon lequel la matière vivante ne devrait pas être brevetée. En outre, il découle des termes "if they concern plants or animals" utilisés dans la version anglaise de la règle 23quater, lettre b CBE que seules les revendications de procédé sont admises.
vii) Ordre public et bonnes moeurs (article 53a) CBE)
Tous les opposants ont présenté une multitude d'arguments sur le fondement de l'article 53a) CBE. Soit leurs arguments étaient "catégoriques", en ce sens qu'ils étaient présentés à l'appui de la non-brevetabilité des animaux en général, soit ils portaient sur la mise en balance de certaines valeurs dans la présente affaire. Ces arguments peuvent se résumer comme suit.
Dans la mesure où en l'occurrence, les souffrances l'emportent sur l'utilité de l'invention le brevet attaqué a été délivré en appliquant de façon erronée le test de la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476) qui préconise de peser soigneusement, d'une part, les souffrances endurées par les animaux et, d'autre part, l'utilité de l'invention, dans la mesure où, en l'occurrence, les souffrances l'emportent sur l'utilité de l'invention. En particulier, les preuves de la valeur limitée de l'invention n'ont pas été prises en considération. Les bénéfices à attendre de l'utilisation de la souris oncogène dans la recherche peuvent tout au plus être considérés comme modestes. L'emploi de modèles animaux ne représente qu'une fraction minime de la recherche sur le cancer, laquelle dispose d'autres moyens qui ne font pas appel aux animaux. En outre, il est généralement inadéquat de mettre en balance les souffrances endurées et l'utilité de l'invention pour déterminer si un développement particulier est contraire aux bonnes moeurs. D'autres critères sont plus appropriés, tels que le fait qu'il est par nature immoral de modifier la structure génétique d'un animal afin d'engendrer une maladie douloureuse, qu'une chose immorale ne peut pas devenir admissible au regard des bonnes moeurs du fait qu'elle est utile à l'humanité ("la fin justifie les moyens") et que la brevetabilité des animaux n'est pas en phase avec les croyances religieuses et les convictions laïques modernes.
Les valeurs morales qui prévalent dans une société régie par l'Etat de droit, à savoir la conception générale du bien et du mal, constituent un facteur décisif, même si la loi peut être considérée comme l'incarnation première de ces valeurs morales. Ainsi, il ressort clairement des sondages d'opinion que le public n'est pas favorable aux modifications génétiques des animaux, si celles-ci leur infligent des souffrances.
La Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, signée à Strasbourg en 1976, dispose qu'il convient d'éviter de causer aux animaux d'élevage des souffrances ou des dommages inutiles. Cela vaut également pour les autres animaux. Proches de l'Homme, les animaux ont le droit à l'intégrité durant leur existence.
Par ailleurs, il y a lieu de tenir compte du statut moral particulier des animaux par rapport à la matière inanimée, et il serait plus approprié de prévoir pour eux une protection sui generis à l'instar de celle qui existe pour les variétés végétales. S'il ne devrait en principe pas être possible de protéger les animaux en soi, la protection d'une méthode visant à modifier la structure génétique d'un animal n'est en revanche pas totalement exclue. En l'espèce toutefois, les souffrances l'emportent manifestement sur les avantages de l'invention, si bien qu'il convient également de ne pas accorder de protection à la méthode.
XX. Les contre-arguments du titulaire du brevet peuvent se résumer comme suit:
Le titulaire du brevet a fait observer que l'article 52(4) CBE porte sur le traitement du corps animal et qu'il convient de faire une distinction entre des cellules vivantes et un organisme intact.
ii) Article 54 CBE
Le titulaire du brevet a fait valoir que l'article de Brinster et al. avait été publié au plus tôt à la date de priorité, preuves à l'appui, et il a déclaré qu'il appartenait aux opposants de prouver que la publication avait eu lieu avant la date de priorité.
iii) Article 56 CBE
Le titulaire du brevet a déclaré qu'il n'était absolument pas possible de prédire si les animaux obtenus seraient viables et que l'on pouvait tout au plus considérer qu'il était "évident de tenter" de mettre en oeuvre la présente invention, mais qu'il n'y avait jamais eu d'"espérance raisonnable de réussite".
iv) Article 57 CBE
Le titulaire du brevet a soutenu que l'exigence d'application industrielle valait pour l'invention dans son ensemble et non pour chaque mode de réalisation particulier. Même si les modes de réalisation de l'invention ne sont pas tous utiles, il a néanmoins droit à une protection équitable. En outre, l'article 57 CBE n'exige pas que l'invention soit un succès commercial, mais qu'elle soit susceptible d'application industrielle.
A cet égard, le titulaire du brevet s'est principalement fondé sur la décision T 19/90 rendue dans le cadre de la présente affaire à la suite de la procédure d'examen, dans laquelle il était estimé que les revendications (du brevet tel qu'il sera ultérieurement délivré) satisfaisaient à l'exigence de la suffisance de l'exposé.
vi) Article 53b) CBE
Le titulaire du brevet a estimé qu'il était courant, en droit des brevets, qu'une large revendication puisse être interprétée comme comprenant un objet susceptible de ne pas être brevetable s'il était isolé de façon à donner lieu à une revendication spécifique. Selon lui, la distinction opérée dans l'article précité entre les animaux et les races animales a nécessairement un sens et on ne saurait supposer que le législateur n'a pas agi de façon délibérée. Le titulaire du brevet s'est fondé sur la conclusion générale énoncée dans la décision T 19/90, selon laquelle l'article 53b) CBE n'exclut pas de la brevetabilité les animaux en tant que tels. Il est essentiel ici de distinguer le générique du spécifique. Les animaux selon le brevet contesté représentent une invention générique qui est brevetable au regard de l'article 53b) CBE.
vii) Article 53a) CBE
Le titulaire du brevet a fait observer que s'agissant de la mise en oeuvre de l'invention, il y avait lieu d'interpréter de façon libérale la notion de bonnes moeurs. Il a également souligné l'intérêt que revêt la présente invention pour les patients humains et soutenu que l'avis général des organisations de patients était au moins aussi important pour apprécier la réaction du public que celui des groupes sur lequel les opposants s'étaient fondés. Nombre de rats et souris non transgéniques utilisés actuellement en toxicologie se caractérisent par des modèles de cancer propres à une souche qui sont très prononcés, de sorte que la présente invention n'apporte rien de fondamentalement différent. Aussi la question des bonnes moeurs devrait-elle être appréciée de la même manière. Les méthodes de sélection traditionnelles ont précisément le même objectif, à savoir l'obtention d'êtres vivants créés sur mesure pour répondre à des exigences humaines données. En outre, tous les Etats parties à la CBE exigent dans certaines circonstances que des essais soient effectués chez l'animal, souffrances ou pas.
Se référant à la décision T 356/93 (supra) et à la question de savoir si la mise en oeuvre d'une invention est contraire aux normes de conduite conventionnelles dans la culture européenne, le titulaire du brevet a estimé qu'il ne fallait pas prendre comme norme des positions extrêmes quelles qu'elles soient, mais rechercher une position de consensus. En outre, la norme doit traiter de manière restrictive l'exclusion relative aux bonnes moeurs et ne pas viser un niveau de moralité qui n'est en général pas atteint dans les Etats européens, mais tendre vers une approche commune conforme à des attitudes très répandues. Enfin, l'appréciation doit se faire au regard de la norme qui prévaut à la date de dépôt (ou de priorité) de la demande européenne et non à une date ultérieure. Les opposants n'ont fourni aucune preuve sur l'attitude du public à la date de dépôt. Par ailleurs, les termes "de nature à provoquer chez eux des souffrances" utilisés à la règle 23quinquies, lettre d CBE indiquent qu'il faut examiner si d'éventuels événements sont susceptibles de se produire à l'avenir.
On pourrait considérer que la règle 23quinquies, lettre d CBE constitue un test pour la brevetabilité des animaux, à savoir que si l'invention provoque des souffrances, elle doit présenter par ailleurs une utilité médicale pour les êtres humains ou animaux qui soit potentiellement substantielle et non pas illusoire. Cependant, la règle précitée ne doit pas être interprétée en ce sens que le titulaire du brevet serait privé de ses "droits acquis", étant donné que le brevet remonte à 1985 et que la règle précitée a été adoptée plus récemment par le Conseil d'administration, lequel n'a pas le pouvoir de passer outre à la CBE elle-même, faute de quoi la règle serait entachée d'excès de pouvoir au regard de l'article 164(2) CBE.
Motifs de la décision
Recevabilité
1.1 Toutes les oppositions répondent aux exigences des articles 99(1) et 100 CBE, ainsi que des règles 1(1) et 55 CBE ; elles sont donc recevables.
1.2 Il est notamment fait référence à la décision G 3/99 de la Grande Chambre de recours (JO OEB 2002, 347), dont le sommaire 1 s'énonce comme suit : "Une opposition formée conjointement par deux personnes ou plus et qui répond par ailleurs aux exigences de l'article 99 CBE ainsi que des règles 1 et 55 CBE est recevable sur paiement d'une seule taxe d'opposition". Cette conclusion de la Grande Chambre, que la division d'opposition applique en l'espèce, répond directement aux objections élevées par le titulaire du brevet à l'égard de la question des "oppositions multiples".
1.3 S'agissant du deuxième volet des objections soulevées par le titulaire du brevet en matière de recevabilité, la division d'opposition est convaincue que les preuves produites quant à la personnalité juridique des opposants sont suffisantes. Peu importe à cet égard que certains d'entre eux aient déclaré qu'ils avaient des sympathisants. En particulier :
- Les deux co-opposants O1 ont la capacité juridique en droit anglais (cf. communication de l'opposant O1 en date du 16 mars 1993).
- Les six co-opposants O2 sont des associations déclarées ("eingetragene Vereine"), lesquelles sont dotées de la capacité juridique en droit allemand (cf. communication de l'opposant O2 en date du 25 mars 1993).
- L'opposant O3 est un parti politique qui possède la capacité d'ester en justice en vertu de la loi allemande sur les partis (cf. communication de l'opposant O3 en date du 10 mars 1993).
- L'opposition de l'opposant O4 a été formée conjointement par une personne physique, une société non déclarée composée de plusieurs personnes physiques ("BGB-Gesellschaft") et une association déclarée. En droit allemand, une BGB-Gesellschaft a également la capacité d'ester en justice (cf. Baumbach et al., Zivilprozessordnung, 60e édition 2001, art. 50, point 4 C).
- L'opposant O5 est un groupe parlementaire ("Fraktion") auprès du Landtag de Saxe, qui possédait déjà la capacité d'ester en justice avant que la Fraktionsrechtsstellungsgesetz saxonne n'entre en vigueur le 1er janvier 1999. Les Travaux préparatoires relatifs à cette loi (cf. Sächsischer Landtag - Drucksache 2/8747 du 13 mai 1998) précisent que les dispositions qu'elle contient sur le statut juridique d'un groupe parlementaire sont purement déclaratoires. La capacité d'un groupe parlementaire d'ester en justice était largement admise par les juridictions allemandes bien avant la promulgation de lois particulières en la matière (cf. Hölscheidt S., Das Recht der Parlamentsfraktionen, 2001, p. 658 s.).
- L'opposition de l'opposant O6 a été formée conjointement par plus d'un millier de personnes physiques dont les noms sont énumérés dans l'acte d'opposition.
- L'opposant O7 est un groupe parlementaire auprès du Landtag de Bavière qui possède, en vertu de l'article 1(2) de la Fraktionsgesetz bavaroise, la capacité d'ester en justice pour son propre compte (cf. communication de l'opposant O7 en date du 13 juillet 1995).
- L'opposant O8 est une collectivité de droit public ("Körperschaft des öffentlichen Rechts") dotée de la personnalité juridique (cf. communication de l'opposant O8 en date du 5 avril 1993).
- L'opposant O9 est un Bundesland allemand doté de la personnalité juridique (cf. communication de l'opposant O9 en date du 5 avril 1993).
- Les deux co-opposants O10 sont des personnes physiques.
- L'opposition de l'opposant O11 a été formée conjointement par trois personnes physiques.
- L'opposant O12 est une association suisse dotée de la personnalité juridique (cf. annexe à l'acte d'opposition produit par l'opposant O12).
- L'opposition de l'opposant O13 a été formée par trois personnes physiques agissant conjointement.
- L'opposant O14 est une association déclarée possédant la personnalité juridique en droit autrichien (cf. communication de l'opposant O14 en date du 26 mars 1993).
- L'opposition de l'opposant O15 a été formée par deux associations dotées de la personnalité juridique en droit autrichien (cf. communication de l'opposant O15 en date du 5 avril 1993).
- L'opposant O16 est une personne physique.
- L'opposant O17 est une association déclarée possédant la personnalité juridique en droit allemand.
1.4 S'il est vrai que la lettre de l'opposant O17 en date du 1er février 1993 ne cite pas expressément de motif d'opposition recevable, les articles 100a) et 53a) CBE découlent néanmoins implicitement du libellé de la lettre, qui mentionne, au troisième paragraphe, les douleurs infligées aux animaux, la souffrance endurée par ceux-ci dans des conditions immorales et les risques pour la santé de la population. On peut donc en déduire que la question des "bonnes moeurs", qui est une condition de brevetabilité prévue à l'article 53a) CBE, constitue en l'occurrence le motif sur lequel est fondée l'opposition au titre de à l'article 100a) CBE. En outre, les arguments exposés peuvent raisonnablement être rattachés à l'objet revendiqué, et ce d'autant plus que seize autres opposants ont invoqué les mêmes motifs.
Cette conclusion est également conforme à la jurisprudence des chambres de recours. Ainsi, dans la décision T 222/85 (JO OEB 1988, 128), la chambre a estimé que l'acte d'opposition est suffisant dès lors qu'il permet au titulaire du brevet et à la division d'opposition de comprendre correctement son contenu en l'appréciant objectivement. Il importe à cet égard de distinguer entre la suffisance de l'acte d'opposition et le bien-fondé de l'opposition. Dans la décision T 925/91 (JO OEB 1995, 469), la chambre, confirmant la décision susmentionnée, a ajouté que la question de savoir si la cause de l'opposant est correctement comprise par le titulaire du brevet et la division d'opposition doit être appréciée objectivement, en se plaçant du point de vue de l'homme du métier normalement qualifié dans le domaine dont relève le brevet attaqué. Cela est particulièrement important en l'espèce. En effet, à la lecture des motifs contenus dans l'opposition ("souffrance des animaux", "risques pour la santé", "conditions immorales"), l'homme du métier ferait immédiatement le lien avec les critères énoncés par la chambre dans la décision T 19/90 en rapport avec l'article 53a) CBE, à savoir ce qu'il est convenu d'appeler la mise en balance entre, d'une part, les souffrances endurées par les animaux et les risques pour l'environnement et, d'autre part, l'utilité de l'invention pour l'humanité.
2.1 L'article 52(1) CBE prévoit que les inventions pour être brevetables, doivent remplir un certain nombre de critères (la notion d'invention n'étant toutefois pas définie). Ces critères sont la nouveauté, l'activité inventive et l'application industrielle. Il découle en outre de la règle 27 CBE qu'une "invention" doit s'incrire dans un contexte technique (cf. la règle 27(1)c) CBE qui fait référence à un problème technique et à sa solution). La présente invention porte sur des animaux transgéniques et sur des méthodes en vue d'obtenir et d'utiliser ces animaux. L'incorporation d'un gène étranger dans le génome constitue une méthode technique, de sorte qu'elle répond au critère du caractère technique que doit revêtir une invention. En outre, le simple fait que l'invention implique des organismes vivants ne change rien à son caractère technique. La division d'opposition estime donc que le présent type d'invention est susceptible d'être protégé par brevet conformément à l'article 52(1) CBE, pour autant que les critères susmentionnés soient remplis.
2.2 Trouver un organisme ou une substance qui existait à l'état naturel mais qui n'avait jusque-là pas été mis en évidence constitue une découverte. A cet égard, il importe en particulier que la substance ou l'organisme existe en tant que tel à l'état naturel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En effet, les animaux transgéniques selon la présente invention possèdent un oncogène inséré de manière artificielle, si bien qu'ils n'existent pas en tant que tels à l'état naturel mais sont le fruit d'une intervention technique de l'Homme. Par conséquent, l'exclusion des inventions englobant des découvertes qui est prévue à l'article 52(2) CBE ne joue pas en l'espèce.
2.3 L'article 52(4) CBE exclut de la brevetabilité les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps (humain ou) animal ainsi que les méthodes de diagnostic correspondantes (en appliquant la fiction selon laquelle de telles méthodes ne sont par principe pas susceptibles d'application industrielle). A cet égard, il importe de noter que toutes ces méthodes doivent être appliquées au corps animal lui-même pour tomber sous le coup de cette exclusion.
En l'espèce, l'incorporation de l'oncogène dans le génome est effectuée au niveau cellulaire, par exemple dans l'oeuf fécondé de l'animal, et non dans un animal vivant et donc dans le corps animal tel que visé à l'article 52(4) CBE. De surcroît, l'incorporation de l'oncogène dans le génome est une méthode qui n'est ni chirurgicale, ni thérapeutique, ni diagnostique.
La division d'opposition estime, en accord avec le titulaire du brevet, qu'il convient d'opérer une distinction entre des cellules vivantes et des organismes intacts lorsqu'il s'agit d'examiner si une invention tombe sous le coup de l'exclusion prévue à l'article 52(4) CBE, et que l'on ne saurait par conséquent assimiler les cellules vivantes d'un animal au corps de l'animal. Il y a donc lieu de rejeter l'objection selon laquelle les revendications 1 à 15 sont contraires à l'article 52(4) CBE.
Nouveauté
Tous les documents cités dans la procédure sont loin de détruire la nouveauté de l'objet revendiqué, à l'exception de l'article de Brinster et al. si celui-ci a été publié avant la date de priorité du présent brevet. Les opposants ont fait valoir que compte tenu de la date à laquelle cet article avait été remis à l'éditeur, il avait été publié à une date antérieure, mais ils n'ont produit aucun élément de preuve à l'appui de cette allégation. A l'inverse, le titulaire du brevet a été en mesure de produire un élément de preuve (télécopie de la British Library en date du 17 novembre 1995, qui est jointe en annexe au procès-verbal de la procédure orale tenue en novembre 1995) qui rend plausible le fait que la publication a eu lieu au plus tôt le 22 juin 1984 (la date de priorité) à la British Library. Un autre élément de preuve a été produit (lettre de M. Paul T. Clark en date du 16 décembre 1988 jointe elle aussi au procès-verbal) qui concorde avec la déclaration de la British Library ("il n'est apparemment pas possible que quiconque ait pu recevoir l'article de Brinster avant le 22 juin 1984"). Aussi la division d'opposition est-elle convaincue, faute de preuve contraire, que l'article de Brinster n'a pas été publié avant la date de priorité. L'objet revendiqué du brevet contesté se fonde entièrement sur la divulgation contenue dans le document de priorité, ce que les opposants n'ont d'ailleurs pas contesté non plus. En conséquence, l'article de Brinster n'est pas pertinent aux fins de l'appréciation de la nouveauté ou de l'activité inventive.
Activité inventive
4.1 Ainsi qu'il a déjà été constaté sous le point "Nouveauté", l'article de Brinster n'a pas été publié à une date antérieure et ne saurait être utilisé comme base pour l'examen de l'activité inventive. A l'exception d'un document (Stewart T. A. et al. (1982), Science 217, 4546) cité par l'opposant O16, les opposants n'ont pas cité de documents publiés à une date antérieure en ce qui concerne l'activité inventive, mais en ont cité plusieurs pour ce qui concerne la nouveauté. En application de l'approche problème-solution (qui implique de déterminer le document de l'état de la technique le plus proche), les documents introduits dans la procédure au titre de la nouveauté seront donc également pris en considération.
4.2.1 Parmi les documents introduits dans la procédure, la division d'opposition considère que l'article publié par Jaenisch R. and Mintz B. (1974), Proc. Nat. Acad. Sci. USA 71, 1250, représente l'état de la technique le plus proche. L'article de Stewart et al. (supra) a également été pris en considération.
Jaenisch a introduit des séquences du virus tumorigène simien 40 (SV 40) dans des blastocystes de souris. Il a obtenu des souris qui, à l'âge adulte, étaient en bonne santé et ne présentaient apparemment pas de tumeurs à l'âge d'un an, bien que l'on pût déceler de l'ADN viral dans divers tissus. Le génome SV 40 était présent dans certains tissus, mais pas dans d'autres. Les animaux ainsi créés contenaient un oncogène dans diverses parties de leur organisme. L'augmentation (décelable) de la quantité d'ADN qui a été micro-injectée dans le blastocyte corrobore l'hypothèse que l'ADN du virus SV 40 était intégré dans le génome hôte au niveau des chromosomes. Jaenisch a donc obtenu des animaux mosaïques qui contenaient un oncogène transgénique, mais ne présentaient pas de tumeurs.
Stewart a quant à lui introduit dans des oocytes de souris fécondés un plasmide recombinant contenant le gène de la globine bêta humaine, lequel a été incorporé dans la lignée germinale des souris en résultant. Il a examiné si un tel système pouvait présenter une utilité pour les études in vivo sur la malignité notamment.
4.2.2 Le brevet contesté diffère de la technique employée par Jaenisch en ce que celui-ci a obtenu, en injectant un ADN oncogène dans le blastocyste, des souris mosaïques qui contenaient le transgène dans certains tissus, mais pas dans d'autres, alors que dans l'invention selon le brevet contesté, l'oncogène est injecté dans des oeufs fécondés, ce qui garantit sa présence dans l'ensemble des cellules de l'animal en résultant.
4.2.3 Sur le plan technique, il résulte de ces différences que les animaux selon le présent brevet ont une prédisposition accrue au cancer. Il convient donc de considérer que le problème technique à la base de la présente invention consiste à obtenir des animaux ayant une telle prédisposition accrue. La solution à ce problème est fournie par les animaux tels que revendiqués dans la revendication 19 et par leur méthode d'obtention telle que revendiquée dans la revendication 1.
La division d'opposition n'a aucune raison de douter que la solution revendiquée résout bien le problème technique comme indiqué ci-dessus.
4.2.4 Bien que l'obtention de souris porteuses de transgènes exogènes fût déjà connue dans l'état de la technique (Stewart et al.), comme l'était également l'existence des oncogènes, la publication de Jaenisch enseigne à l'homme du métier que les souris portant un tel oncogène ne présentent pas de tumeurs. Aussi la division d'opposition estime-t-elle, en accord avec les arguments du titulaire du brevet, que l'on ne pouvait raisonnablement s'attendre à réussir à obtenir des animaux viables présentant une prédisposition accrue à la carcinogénèse, conformément aux enseignements du présent brevet. Les opposants n'ont pas présenté d'arguments contraires convaincants.
Par conséquent, on ne saurait considérer que l'article 56 CBE fait obstacle à la brevetabilité de l'invention telle que revendiquée dans le présent brevet.
Application industrielle
5. En vertu de l'article 57 CBE, l'invention doit être susceptible d'application industrielle. Autrement dit, l'invention doit pouvoir être fabriquée ou utilisée dans tout genre d'industrie. Etant donné que certains modes de réalisation de la présente invention, soit en l'occurrence les souris transgéniques, étaient sur le marché, l'exigence d'application industrielle est manifestement remplie en ce qui concerne ces modes de réalisation. Il est inutile de savoir, en droit des brevets, si cette commercialisation était un succès ou non. S'agissant des autres espèces animales couvertes par le brevet, il est tout à fait plausible pour beaucoup d'entre elles qu'elles puissent être utilisées dans l'industrie. La référence faite par l'opposant aux éléphants, aux girafes et aux baleines bleues est inappropriée à la lumière de la nature de l'invention qui est de fournir des animaux d'expérimentation aux fins de la recherche sur le cancer. En outre, l'argument du titulaire du brevet, selon lequel il n'est pas nécessaire de démontrer que chaque mode de réalisation de l'invention est susceptible d'application industrielle, semble raisonnable.
La division d'opposition estime en conséquence que les revendications du brevet tel que délivré répondent à l'exigence d'application industrielle.
Suffisance de l'exposé
6.1 La question de la suffisance de l'exposé a déjà été examinée en ce qui concerne des revendications en grande partie identiques à celles du brevet qui a été ultérieurement délivré. Une chambre de recours a en effet statué sur cette question dans la décision T 19/90 (JO OEB 1990, 476). Etant donné que les arguments des opposants vont dans la même direction que ceux invoqués à l'appui du rejet de la demande lors de l'examen, les conclusions énoncées à cette époque sont toujours pertinentes dans la présente situation. Il faut toutefois garder à l'esprit que contrairement à ce qu'a affirmé le titulaire du brevet, la division d'opposition n'est pas liée par la décision T 19/90 en vertu de l'article 111(2) CBE. Cet article dispose en effet qu'en cas de renvoi, "l'instance" qui a pris la décision attaquée est liée par les motifs et le dispositif de la décision de la chambre de recours. En l'espèce, "l'instance" telle que visée dans cet article est la division d'examen, si bien que la nouvelle division d'opposition instituée dans la procédure d'opposition ultérieure n'était plus la même "instance".
6.2 Lorsqu'elle a rejeté la demande correspondante sur la base, entre autres, de l'article 83 CBE, la division d'examen a pour l'essentiel fait valoir qu'il convient d'examiner si l'invention se fonde sur la description pour apprécier si elle est suffisamment exposée. Or, la description portait uniquement sur les souris. La division d'examen a donc estimé que les revendications englobaient des éléments qui ne pouvaient être réalisés qu'au prix d'un effort excessif. Aussi en a-t-elle conclu que l'invention était contraire au principe selon lequel l'homme du métier doit toujours être en mesure de réaliser l'invention dans toute la portée revendiquée, sans déployer d'efforts excessifs ni faire preuve d'inventivité.
6.3 Dans la décision T 19/90, point 3.3 des motifs, la chambre a estimé que "ce n'est pas parce qu'une revendication est de vaste portée que l'on peut considérer de ce seul fait que la demande ne satisfait pas aux conditions énoncées à l'article 83 CBE (nécessité d'exposer l'invention de manière suffisamment claire et complète). Ce n'est que si de sérieuses réserves peuvent être formulées à cet égard, étayées par des faits vérifiables, qu'il peut être objecté à l'encontre de la demande que l'invention n'est pas exposée de manière suffisamment claire et complète". Au point 3.8 des motifs, la chambre a estimé que les principes posés dans la décision T 292/85 (JO OEB 1989, 275) pouvaient également s'appliquer en l'espèce. Dans cette décision, la chambre avait en effet estimé qu'une invention biologique est exposée de manière suffisante s'il est indiqué clairement au moins un mode de réalisation permettant à l'homme du métier d'exécuter l'invention. Par conséquent, dans la décision T 19/90, la chambre a estimé que les revendications étaient conformes à l'article 83 CBE.
6.4 Ainsi qu'il a déjà été relevé, les arguments des opposants ne vont pas au-delà de ceux qui ont été invoqués dans la procédure d'examen et aucun de ces arguments n'a été étayé par des faits vérifiables durant la procédure d'opposition. Par conséquent, bien qu'elle ne soit pas liée par les motifs et le dispositif de la décision T 19/90, la division d'opposition ne voit aucune raison de tirer une conclusion différente de cette décision. Aussi estime-t-elle que le brevet attaqué répond aux exigences de l'article 83 CBE.
Applicabilité des règles 23ter à 23sexies CBE
7.1 Par décision du 16 juin 1999, le Conseil d'administration de l'Organisation européenne des brevets a transposé dans le droit européen des brevets les dispositions pertinentes de la Directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 et a modifié le règlement d'exécution de la CBE en ajoutant dans la deuxième partie de ce règlement un nouveau chapitre VI sur les inventions biotechnologiques, lequel se compose des règles 23ter à 23sexies. En vertu de l'article 2 de cette décision, les règles 23ter à 23sexies CBE sont entrées en vigueur le 1er septembre 1999. La décision ne contient aucune disposition transitoire. Il se pose donc la question de savoir si les nouvelles règles sont applicables dans la présente procédure d'opposition, laquelle a été engagée bien avant leur entrée en vigueur, mais ne s'est achevée qu'après, avec la décision rendue le 7 novembre 2001.
7.2 En règle générale, les instances administratives et judiciaires sont tenues, en l'absence de dispositions transitoires, d'appliquer la loi telle qu'elle est en vigueur à la date où elles rendent une décision. Ce principe s'applique également aux procédures de brevet en instance, tant au stade de l'examen que de l'opposition. S'il est vrai que dans certaines circonstances, des considérations supérieures, telles que la protection de la confiance légitime ou la doctrine des droits acquis, peuvent plaider en faveur de la non-application de nouvelles dispositions de droit matériel des brevets à des demandes de brevet déjà déposées ou à des brevets déjà délivrés, la division d'opposition adopte une attitude prudente à cet égard. Une instance administrative ou judiciaire devrait s'abstenir d'établir de manière autonome des dispositions transitoires spécifiques, à moins que l'application des nouvelles dispositions ne viole manifestement des principes de droit fondamentaux.
7.3 La division d'opposition considère qu'une telle situation exceptionnelle ne se présente pas en l'espèce. Les nouvelles règles 23ter à 23sexies CBE ne rompent pas fondamentalement avec le droit antérieur, mais se bornent à interpréter les dispositions pertinentes de la CBE (articles 52 à 57 CBE), dont le texte demeure inchangé. S'il y a eu un changement dans la situation juridique, celui-ci s'inscrit néanmoins dans le cadre de ce qu'aurait pu apporter une évolution normale de la jurisprudence. Par conséquent, ni le principe de la protection de la confiance légitime, ni la doctrine des droits acquis ne limitent l'applicabilité des nouvelles règles 23ter à 23sexies CBE dans la présente affaire.
Brevetabilité des animaux conformément à l'article 53b) CBE
8.1 Cadre juridique et jurisprudence pertinente
8.1.1 L'article 53b) CBE dispose que les variétés végétales ou les races animales ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux sont exclus de la brevetabilité.
La règle 23quater, lettre b CBE, qui porte sur la même question, dispose quant à elle que les inventions qui ont pour objet des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminée. En vertu de la règle 23ter(1) CBE, la directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques constitue un moyen complémentaire d'interprétation.
8.1.2 Les chambres de recours ne se sont pas directement prononcées sur la question de la brevetabilité des animaux, excepté dans la décision T 19/90 (supra). S'agissant de l'article 53b) CBE, cette décision énonce plusieurs considérations juridiques qui revêtent une grande pertinence pour la présente question. Il y est tout d'abord affirmé qu'il convient d'interpréter dans un sens restrictif les exceptions à la brevetabilité. La chambre a ensuite fait observer que l'utilisation, dans le même membre de phrase de l'article 53b) CBE, des notions d'"animaux" (en général) et de "races animales" montre clairement que l'expression "race animale" ne visait pas à couvrir les animaux. Le législateur ayant utilisé des termes différents, on ne peut conclure qu'il visait les "animaux" dans les deux cas. La chambre a ainsi considéré que si l'objet des revendications n'est couvert par aucun de ces trois termes, à savoir "animal variety", "race animale" et "Tierart", cet objet ne saurait être exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE.
8.1.3 La décision G 1/98 (supra) porte pour l'essentiel sur la brevetabilité des plantes au regard de l'article 53b) CBE. Dernière d'une série de décisions qui ne sont pas toutes parvenues au même résultat (cf. la décision T 356/93 supra), elle fait autorité en matière de brevetabilité des végétaux.
La Grande Chambre de recours a estimé (sommaire I) que : "Une revendication dans laquelle il n'est pas revendiqué individuellement des variétés végétales spécifiques n'est pas exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE, même si elle peut couvrir des variétés végétales". Dans les motifs très détaillés qu'elle a exposés, la Grande Chambre a conclu que l'article 53b) CBE poursuit le même but que l'article 2b) de la Convention de Strasbourg, à savoir faire en sorte qu'il ne soit pas délivré de brevets européens pour des objets exclus de la brevetabilité du fait de l'interdiction de la double protection prévue dans la Convention UPOV de 1961 (point 3.6 des motifs de la décision G 1/98).
8.2 Les règles et articles pertinents précités ainsi que la jurisprudence des chambres de recours conduisent aux conclusions suivantes.
8.2.1 La matière vivante et en particulier les plantes et les animaux sont brevetables, ce principe ayant été inscrit à la règle 23quater, lettre b CBE. En outre, lorsque l'on prend en compte le considérant 31 de la directive 98/44/CE à des fins d'interprétation, ce n'est pas uniquement la méthode qui est susceptible d'être protégée, mais également le produit. Ledit considérant énonce en effet qu'un ensemble végétal caractérisé par un gène déterminé (et non par l'intégralité de son génome) n'est pas soumis à la protection des obtentions et n'est de ce fait pas exclu de la brevetabilité, même lorsqu'il englobe des obtentions végétales. Il clarifie ainsi la règle 23quater, lettre b CBE (dont les termes utilisés dans la version anglaise "if they concern plants or animals" pourraient être interprétés dans un sens différent), dans la mesure où la protection du produit est prévue dans les textes. Même si ce considérant porte uniquement sur les plantes, étant donné qu'il mentionne le régime de protection particulier des variétés végétales, la règle 23quater, lettre b CBE ne saurait être interprétée différemment en ce qui concerne les animaux.
8.2.2 Il ne fait aucun doute que l'invention telle que revendiquée n'est pas uniquement applicable à des races de souris (cf. le raisonnement exposé sous le point "Suffisance de l'exposé", points 6.1 à 6.4 supra). Aussi l'argument selon lequel le brevet porte sur des souches de souris données et donc sur des races animales exclues de la brevetabilité en vertu de l'article 53b) CBE est-il inopérant. En effet, la faisabilité de l'invention n'est pas limitée à une race animale déterminée au sens de la règle 23quater, lettre b CBE.
8.2.3 S'il est vrai que la décision G 1/98 porte sur les plantes et non sur les animaux, ses conclusions peuvent néanmoins être transposées à l'interprétation de l'exclusion des races animales prévue à l'article 53b) CBE. S'agissant des variétés végétales, le but de l'article 53b) CBE, est, comme dans la Convention de Strasbourg, d'interdire la double protection avec la Convention UPOV. Il se pose donc la question de savoir dans quel but la Convention de Strasbourg a également exclu les races animales, bien qu'à cette époque, comme à présent, il n'existât aucune protection pour les races animales en tant que produits obtenus avec les méthodes de sélection animale. La raison la plus probable en est que le législateur aura eu l'intention de créer ou au moins de ménager la possibilité de créer ultérieurement un tel régime de protection pour les races animales.
On ne saurait adhérer à l'argument des opposants selon lequel l'intention du législateur était d'exclure de la brevetabilité les animaux en général. Si le but de l'article 53b) CBE était d'éviter la double protection pour les variétés végétales - et c'est là une des conclusions importantes de la décision G 1/98 -, et que le législateur eût voulu exclure les races animales dans un but différent, il aurait dû l'exprimer clairement en employant des termes appropriés dans la Convention de Strasbourg et la CBE. Or, tel n'est pas le cas. Le fait que l'exclusion des races animales et des variétés végétales soit formulée dans ces deux conventions en des termes identiques montre clairement qu'elle doit avoir le même objectif dans les deux cas.
8.2.4 S'agissant de l'approche prétendument incohérente consistant à admettre l'octroi d'une protection pour des animaux qui couvre des races animales, mais à ne pas accorder de protection à des races spécifiques, on peut appliquer le même raisonnement que celui qui a été développé en détail dans la décision G 1/98 pour ce qui concerne les plantes (cf. point 3.3.3 des motifs).
8.2.5 Ainsi que l'a relevé la décision T 19/90 (supra), il ne serait pas approprié d'employer les deux notions différentes d'"animaux" et de "races animales" dans le même membre de phrase de l'article 53b) CBE si celui-ci était censé couvrir la même catégorie d'animaux. Comme tel ne saurait raisonnablement être le cas, il convient d'interpréter cet article sur la base de son libellé, à savoir que l'exclusion est limitée aux races animales et ne saurait être étendue aux animaux en général. La division d'opposition suit en cela les conclusions énoncées dans la décision T 19/90.
8.3 Pour toutes ces raisons, la division d'opposition estime que l'article 53b) CBE ne s'oppose pas à la brevetabilité de l'objet revendiqué dans le brevet.
Brevetabilité des animaux au regard des dispositions de l'article 53a) CBE relatives aux bonnes moeurs
9.1 Cadre juridique et jurisprudence pertinente
9.1.1 L'article 53a) CBE interdit la délivrance de brevets pour les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs.
9.1.2 La règle 23quinquies, lettre d CBE, qui porte sur un élément particulier exclu de la brevetabilité en vertu de l'article 53a) CBE, dispose quant à elle qu'il n'est pas délivré de brevets pour les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés.
9.2 Une décision des chambres de recours, à savoir la décision T 19/90 (supra), porte sur la question de la brevetabilité des animaux à la lumière des bonnes moeurs, tandis que la décision T 356/93 (supra) fournit des indications générales sur le critère des bonnes moeurs.
Dans l'affaire T 19/90, la chambre a conclu que lorsqu'une invention est susceptible d'infliger des souffrances aux animaux et de présenter des risques pour l'environnement, il existe des raisons impératives qui font que les dispositions de l'article 53a) CBE doivent être prises en considération, et qu'il serait approprié de mettre en balance un certain nombre de valeurs, à savoir, d'une part, les souffrances endurées par les animaux et les risques éventuels pour l'environnement et, d'autre part, l'utilité de l'invention pour l'humanité.
Dans l'affaire T 356/93, la chambre a défini la notion d'ordre public comme couvrant la protection de l'intérêt public et l'intégrité physique des individus en tant que membres de la société, et la notion de bonnes moeurs comme étant fondée sur la conviction selon laquelle certains comportements sont conformes à la morale et acceptables, tandis que d'autres ne le sont pas, eu égard à l'ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans une culture donnée, soit, dans le cas de la CBE, la culture inhérente à la société et à la civilisation européennes. En conséquence, les inventions dont la mise en oeuvre n'est pas conforme aux normes de conduite conventionnelles adoptées dans cette culture doivent être exclues de la brevetabilité car elles sont contraires aux bonnes moeurs.
9.3 La division d'opposition souhaite énoncer un certain nombre de principes sur lesquels elle fonde son approche concernant l'article 53a) CBE.
- Conformément à la jurisprudence bien établie de l'OEB, l'article 53a) CBE n'est applicable que dans des cas exceptionnels. Toutefois, selon la décision T 19/90, la présente affaire ferait partie de ces cas exceptionnels.
- En vertu de la règle 23quater, lettre b CBE, les animaux sont en principe brevetables dès lors que certaines conditions sont remplies. Aussi convient-il de rejeter tous les arguments selon lesquels il n'est d'une manière générale pas admissible au regard de l'article 53a) CBE de délivrer des brevets ayant pour objet de la matière vivante ou des animaux.
- La division d'opposition n'a pas l'intention d'appliquer des positions extrêmes lorsqu'elle appréciera si les critères énoncés à l'article 53a) CBE sont remplis. Par conséquent, elle ne prendra pas en considération l'usage abusif qui pourrait être fait de l'invention, pas plus qu'elle ne méconnaîtra ni n'omettra d'examiner avec le plus grand soin les critères de brevetabilité prévus dans la CBE que sont l'ordre public et les bonnes moeurs. Elle juge appropriée une approche qui tient compte de ces deux positions.
- La mise en balance de certaines valeurs, telle qu'elle est préconisée dans la décision T 19/90, est remplacée par la règle 23quinquies, lettre d CBE, qui contient une approche similaire.
- Aux fins de l'article 53a) CBE, il convient d'apprécier l'ordre public et les bonnes moeurs en faisant principalement appel aux dispositions législatives et réglementaires qui sont communes à la plupart des pays européens, car elles constituent le meilleur indicateur de ce qui est considéré comme bien ou mal dans la société européenne. Dans la mesure où de telles dispositions existent sur la question, il n'est ni nécessaire, ni approprié de se fonder sur d'autres modes d'évaluation possibles, tels que les sondages d'opinion invoqués ou demandés par plusieurs opposants.
9.4 Lorsque l'on applique les principes précités pour apprécier si une invention ayant pour objet des animaux d'expérimentation destinés à la recherche médicale répond aux critères de l'ordre public et des bonnes moeurs prévus à l'article 53a) CBE, les dispositions législatives et réglementaires régissant l'utilisation de tels animaux d'expérimentation fournissent de précieuses indications, car elles montrent si la mise en oeuvre d'une invention est de fait interdite ou non. En effet, l'utilisation des animaux à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques est autorisée sous certaines conditions dans la plupart, voire l'ensemble des Etats parties à la CBE. Ainsi, pour les Etats membres de l'UE, cette utilisation est réglementée par la directive 86/609/CE, et il existe apparemment des dispositions similaires dans les autres pays. Aussi la division d'opposition en conclut-elle qu'il est conforme à l'exigence des bonnes moeurs de délivrer un brevet pour les animaux selon la présente invention qui sont susceptibles d'être utilisés en tant qu'animaux d'expérimentation, au sens de cette directive, dans la mesure où la mise en oeuvre de l'invention est explicitement autorisée.
9.5 Après avoir conclu à la brevetabilité de principe de l'invention, il convient d'appliquer dans un deuxième temps les critères prévus à la règle 23quinquies, lettre d CBE. Les deux critères à examiner sont la "souffrance" et "l'utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal". Selon la règle précitée, s'il y a souffrance, celle-ci doit être contrebalancée par une utilité médicale substantielle. Cela pose deux questions, à savoir comment la division d'opposition établit-elle s'il y a souffrance et si l'utilité médicale est substantielle, et à quelle date l'appréciation doit-elle être effectuée, a savoir à la date de dépôt de la demande de brevet ou à la date à laquelle l'appréciation est réellement effectuée.
S'agissant de cette dernière question, il semble approprié d'établir une comparaison avec les autres conditions de brevetabilité. On relèvera à cet égard que celles-ci doivent toutes être appréciées à la date de dépôt. En accord avec le titulaire du brevet, la division d'opposition ne voit aucune raison de procéder différemment pour ce qui concerne l'article 53a) ou la règle 23quinquies, lettre d CBE. En outre, cette conclusion est corroborée par le texte de la règle 23quinquies, lettre d CBE, dont les termes "de nature à provoquer" font allusion à un événement futur et contiennent un élément de probabilité. Si l'appréciation avait dû être effectuée à une date ultérieure, le législateur n'aurait pas eu besoin d'introduire cet élément de probabilité.
En ce qui concerne la souffrance, la division d'opposition convient avec toutes les parties à la procédure qu'il y a souffrance, indépendamment de la date à laquelle cette appréciation est effectuée, dès que les animaux d'expérimentation présentent des tumeurs.
Quant à l'utilité médicale substantielle de l'invention, il y a lieu de l'apprécier avec un élément de probabilité et sans prendre en considération les preuves ultérieures sur le résultat réel de la mise en oeuvre de l'invention puisque cette appréciation doit être effectuée à la date de dépôt du brevet, ainsi qu'il a été constaté plus haut. A cet égard, il importe de savoir si, à la date de dépôt, l'inventeur avait de bonne foi tout lieu de croire que son invention apporterait un bénéfice médical substantiel. Par conséquent, aux fins de la règle 23quinquies, lettre d CBE, il convient de peser, d'une part, la probabilité - incontestée - que les animaux d'expérimentation endureront des souffrances et, d'autre part, le fait que, à la date de dépôt de la demande, l'inventeur croyait de bonne foi en l'utilité médicale substantielle de l'invention.
En l'espèce, on ne saurait nier que les animaux selon l'invention ont été créés pour une bonne cause, à savoir la progression de la recherche sur le cancer. Compte tenu de la nouvelle approche que l'inventeur a adoptée vis-à-vis du problème des essais en cancérologie, il avait de bonne foi tout lieu de croire, à la date de dépôt, que son invention apporterait un bénéfice médical substantiel. En conséquence, la règle 23quinquies, lettre d CBE ne s'oppose pas à la brevetabilité des animaux revendiqués qui ont déjà été considérés comme brevetables au regard de l'article 53a) CBE (cf. point 9.4 supra).
10. Pour résumer, on peut donc conclure que les revendications ayant pour objet des animaux en tant que tels et les méthodes d'obtention desdits animaux sont admissibles au regard de l'article 53a) CBE dans la mesure où au moins les catégories représentatives des animaux revendiqués remplissent les critères auxquels doivent répondre les animaux d'expérimentation en vertu de la législation nationale des Etats parties à la CBE. Les revendications selon la requête principale, qui portent sur des mammifères autres que l'être humain, ne remplissent pas cette condition, car elles couvrent de nombreuses catégories d'animaux qui ne sont pas des animaux d'expérimentation. Ces revendications ne sont donc pas admissibles au regard de l'article 53a) CBE.
Requêtes subsidiaires
11. Les requêtes subsidiaires 2, 2A et 3A contiennent la prétendue limitation apportée à la définition des animaux, selon laquelle ledit animal est "destiné à des fins (d'expérimentation ou) d'essais". La division d'opposition estime que lorsque l'on applique les normes habituelles d'interprétation des revendications (cf. Directives C-III, 4.8), cette formulation ne limite pas la portée de la revendication. Ainsi, en droit des brevets, une revendication de produit portant sur une substance n'est normalement pas limitée par l'indication de son utilisation. Il en va de même pour les revendications de procédés dont la portée est déterminée par les caractéristiques du procédé et la définition des produits obtenus en appliquant les paramètres du procédé. Il convient donc de rejeter ces requêtes subsidiaires au titre de l'article 53a) CBE pour les mêmes raisons que la requête principale.
12. A la différence de la requête principale, qui porte sur des mammifères autres que l'être humain, la quatrième requête subsidiaire a pour objet des rongeurs. Cette requête n'appelle aucune objection au titre de l'article 123(2) et (3) CBE et de l'article 84 CBE. Pour les raisons exposées plus haut, elle satisfait également aux exigences des articles 52, 53b), 54, 56, 57 et 83 CBE.
Les rongeurs comprennent des espèces représentatives qui sont utiles aux fins des essais autorisés chez l'animal. La division d'opposition considère que pour apprécier le critère des bonnes moeurs prévu à l'article 53a) CBE, il n'est ni aisé ni absolument nécessaire, en l'espèce, d'opérer une distinction exacte entre ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Ce qui importe c'est que des catégories représentatives des animaux revendiqués à utiliser à des fins expérimentales soient autorisées à cet effet. Un objet non admissible au regard de l'article 53b) CBE qui est revendiqué fortuitement en termes généraux peut être toléré car la mise en oeuvre de l'invention portant sur cet objet ne serait de toute façon pas autorisée par la loi. On ne saurait par ailleurs se ranger à l'argument des opposants selon lequel la portée des revendications devrait être limitée aux souris, car cela exclurait de la protection des catégories d'animaux qui peuvent être utilisés en tant qu'animaux d'expérimentation au sens de la directive 86/609/CE (supra). En conséquence, la division d'opposition estime que l'article 53a) CBE ne s'oppose pas à la délivrance d'un brevet pour la présente invention, dès lors que les revendications sont limitées aux rongeurs. La quatrième requête subsidiaire est donc admissible.
Autres requêtes
13. Les opposants O1, O8, O10 à O15 ainsi que le titulaire du brevet ont présenté une requête en remboursement des frais par l'OEB au titre de l'article 104 CBE, au motif que la division d'opposition les a convoqués à une deuxième procédure orale qui n'aurait pas été nécessaire si une décision avait été rendue immédiatement. L'article 104 CBE ne prévoyant pas un tel remboursement, mais uniquement une répartition différente des frais entre les parties, ces requêtes sont rejetées.
14. La requête des opposants tendant à récuser l'ensemble de l'instance pour des raisons de partialité a été rejetée comme abusive à la première procédure orale qui a eu lieu en 1995.
La division d'opposition s'est efforcée tout au long de la procédure de parvenir à une solution conforme à la CBE. Le fait que les opposants aient pu avoir une simple impression de partialité à certains stades de la procédure ne saurait justifier le remplacement de l'ensemble de la division d'opposition, avec toutes les conséquences que cela entraînerait, telles que la nécessité de rouvrir toute la procédure.
Décision
La division d'opposition estime en conséquence que le brevet tel que modifié au cours de la procédure d'opposition par l'introduction de la requête subsidiaire 4 remplit les conditions de la Convention sur le brevet européen. La requête principale ainsi que les requêtes 2, 2A, 3 et 3A sont rejetées au titre de l'article 53a) CBE.
* Texte officiel de la décision, abrégé et légèrement adapté aux fins de la publication. Un recours a été formé contre la décision.