CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.4.2 en date du 26 avril 1994 - T 925/91 - 3.4.2
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | E. Turrini |
Membres : | R. Zottmann |
B. J. Schachenmann |
Titulaire du brevet/intimé :
Exxon Research and Engineering Company
Opposant/Requérant : Siemens AG
Référence : effluents de combustion/EXXON
Article : 108, 99 (1) CBE
Règle : 65 (1), 64 b), 56 (1), 55 c), 67 CBE
Mot-clé : "Forme du recours - recevable (oui)" - "Examen de l'opposition - recevabilité (oui)" - "Remboursement de la taxe de recours (non)" - "Vice substantiel de procédure (non)"
Sommaire
I. Si l'opposition est rejetée comme irrecevable par la première instance, la procédure d'opposition est juridiquement terminée, sans qu'une décision ait été rendue sur le fond de l'opposition. Il est incompatible avec le principe de procédure énoncé ci-dessus que la décision rejetant l'opposition comme irrecevable en examine le fond.
II. Des observations relatives à des questions de fond dans une décision rejetant l'opposition comme irrecevable n'ont aucun effet juridique. Même si elles sont trompeuses, elles ne constituent pas un vice substantiel de procédure justifiant le remboursement de la taxe de recours.
Exposé des faits et conclusions
I. Le requérant (opposant) a formé un recours contre la décision de la division d'opposition, en date du 4 octobre 1991, rejetant l'opposition formée contre le brevet européen n° 0 162 893 comme irrecevable.
La division d'opposition a affirmé que l'opposition n'était pas conforme aux dispositions de la règle 56 (1) CBE ensemble la règle 55 c) et qu'elle n'était donc pas recevable.
II. Le requérant a demandé que la décision attaquée soit annulée et que l'opposition soit considérée comme recevable. Il a en outre demandé, à titre de requête auxiliaire, la tenue d'une procédure orale.
Dans le mémoire exposant les motifs du recours en date du 4 février 1992, déposé par écrit, la question de la recevabilité de l'opposition n'était pas explicitement traitée, le requérant se focalisant sur les questions de nouveauté et d'activité inventive.
III. L'intimé a demandé le rejet du recours. Il a en outre demandé, à titre de requête auxiliaire, la tenue d'une procédure orale.
Dans ses observations écrites, l'intimé s'est essentiellement limité à des questions de fond.
IV. Une procédure orale s'est tenue le 26 avril 1994. L'intimé, cité à cette procédure par une notification en date du 11 février 1994, ne s'est pas présenté.
V. Lors de la procédure orale, le requérant a exposé les arguments suivants :
La décision attaquée ne traite pas seulement de la recevabilité de l'opposition, mais aussi des questions de nouveauté et d'activité inventive.
Le mémoire exposant les motifs du recours, en date du 4 février 1992, évoque au moins implicitement la question de la recevabilité de l'opposition. A cet égard, l'attention est attirée sur le second paragraphe de la page 6 du mémoire, qui se réfère au premier paragraphe de la page 4 de la décision attaquée. Le recours est donc recevable.
En ce qui concerne la recevabilité de l'opposition, il faut noter que la Grande Chambre de recours a indiqué, dans sa décision G 1/84 (JO OEB 1985, 299), que "sauf en cas de détournement manifeste de la procédure, le public a intérêt la plupart du temps à ce que toute opposition soit examinée pour elle-même". En l'espèce, on considère que l'acte d'opposition en date du 17 octobre 1989 répond aux exigences de recevabilité. Dans le mémoire exposant les motifs de l'opposition, toutes les caractéristiques de la revendication 1 et des revendications dépendantes ont été examinées à la lumière de l'état de la technique cité. Le "modèle cinétique" mentionné dans la revendication 1 du brevet tel que délivré est considéré comme faisant partie des connaissances techniques générales de l'homme du métier. Même s'il n'est pas nécessaire de le prouver, il a été déposé ultérieurement avec la lettre du 2 janvier 1991.
Motifs de la décision
1. Recevabilité du recours
Aux termes de la règle 65 (1) CBE, un recours est rejeté pour irrecevabilité s'il n'est pas conforme aux exigences des articles 106 à 108 CBE et à celles de la règle 1 (1) et de la règle 64 b) CBE, à moins qu'il n'ait été remédié aux irrégularités avant l'expiration, selon le cas, de l'un ou l'autre des délais fixés à l'article 108 CBE.
1.1 Dans la présente espèce, la première question à examiner est celle de savoir si le recours est conforme aux dispositions de la règle 64 b) CBE. Selon cette règle, l'acte de recours doit comporter une requête identifiant la décision attaquée et indiquant la mesure dans laquelle sa modification ou sa révocation est demandée.
Bien que, dans l'acte de recours en date du 3 décembre 1991, rédigé en allemand, il aurait été correct d'identifier la décision attaquée comme "Verwerfung des Einspruchs als unzulässig", plutôt comme "Zurückweisung des Einspruchs", on peut néanmoins admettre qu'il est satisfait à l'exigence de la règle 64 b) CBE concernant l'identification de la décision attaquée.
S'agissant de la mesure dans laquelle la modification ou la révocation de la décision est demandée, l'acte de recours ne comporte pas de requête détaillée. Toutefois, on peut déduire de son libellé que le recours a été formé contre cette décision même. En cela, l'étendue du recours, au sens de la règle 64 b) CBE est suffisamment indiquée (cf. T 7/81, JO OEB 1983, 98).
La Chambre est donc convaincue qu'il est satisfait aux exigences de la règle 64 b) CBE.
1.2 La seconde question à examiner est celle de savoir si le recours a été correctement motivé dans le mémoire déposé par écrit et exposant les motifs du recours (article 108 CBE).
La présente espèce semble bien, de prime abord, correspondre à la décision T 213/85 (JO OEB 1987, 482), confirmée entre-temps par les décisions T 169/89 (EPOR 91, 262) et T 534/89 (JO OEB 1994, 464).
Selon ces décisions, un recours doit être rejeté comme irrecevable faute d'avoir été correctement motivé, si une opposition a été rejetée en raison d'une motivation insuffisante et si les motifs du recours ne font que contester la brevetabilité, sans entrer dans les détails de la recevabilité de l'opposition.
Toutefois, les faits sur lesquels repose la présente espèce semblent inclure des aspects supplémentaires qui ne figuraient pas dans les affaires susmentionnées.
Tandis que, dans l'affaire T 213/85, la décision attaquée de la première instance se limitait au problème de l'irrecevabilité de l'opposition, la division d'opposition, dans la présente affaire, ne s'est pas contentée de rejeter l'opposition comme irrecevable, mais a en outre exprimé son avis sur la validité du brevet (cf. point 8 de la décision attaquée).
La procédure de la première instance est entachée d'une insuffisance, dans la mesure où elle ne s'est pas terminée par le rejet de l'opposition comme irrecevable. Au lieu de cela, la Division d'opposition a continué à examiner l'opposition au fond. Aux termes de la décision T 0328/87 (JO OEB 1992, 701), une opposition ne peut toutefois pas être examinée au fond, lorsqu'elle est déclarée irrecevable. Dès le rejet, la procédure d'opposition est juridiquement terminée, et il est clair que la procédure d'examen au fond ne peut pas s'ouvrir. L'irrecevabilité de l'opposition (lorsqu'elle est décidée définitivement) ou du recours a pour conséquence de faire passer le brevet européen dans les droits nationaux des Etats désignés, ceux-ci devenant dès lors seuls compétents pour apprécier sa validité en fonction de leur législation respective (cf. point 4 de la décision citée).
La décision attaquée semble donc trompeuse en ce qui concerne sa base. Les motifs de la décision ne se limitent pas à la question de la recevabilité, mais traitent également du fond de l'opposition (cf. motifs, point 8, mais aussi point 5 se référant aux arguments présentés après expiration du délai d'opposition, et point 9 se référant à une demande de modification dans la description). L'absence de distinction claire dans le mémoire exposant les motifs du recours entre la question de l'irrecevabilité et les arguments concernant l'examen au fond de l'opposition reflète donc purement et simplement le vice de forme de la décision attaquée elle-même. On peut voir une autre indication de la nature trompeuse de la procédure d'opposition dans le fait que l'intimé n'a pas distingué non plus, dans sa réponse au recours, entre la question de l'irrecevabilité de l'opposition et celle de la brevetabilité de l'invention.
Pour ces motifs, lorsqu'on applique le principe de bonne foi régissant les relations entre l'OEB et ses usagers (cf. G 5/88, JO OEB 1991, 137), le recours doit être considéré comme recevable. Le requérant, même s'il n'a pas distingué clairement entre les deux questions traitées dans la décision attaquée, a au moins contesté les éléments des motifs et du dispositif de la décision qui, du point de vue des parties, semblaient être les plus pertinents.
Il faut aussi considérer que le point 8 des motifs de la décision attaquée pourraient avoir incité le requérant à croire que la question de l'irrecevabilité aurait été examinée d'office par la Chambre de recours et qu'il n'était donc pas nécessaire de formuler des observations sur cette question dans le recours.
1.3 Les observations formulées dans la décision attaquée sur des points de fond sont sans importance et n'ont aucun effet juridique, une fois que l'opposition est réputée irrecevable. Néanmoins, la Chambre estime qu'il faut éviter, en principe, de formuler de telles observations, et ce pour les raisons suivantes.
La recevabilité de l'opposition est une condition procédurale indispensable ("unverzichtbare prozessuale Voraussetzung", T 289/91, JO OEB 1994, 649) pour que puisse être entrepris l'examen quant au fond de l'opposition (art. 101(1) CBE). Si l'opposition est rejetée comme irrecevable, la procédure est juridiquement terminée sans qu'une décision ait été rendue quant au fond de l'opposition (cf. T 328/87, JO OEB 1992, 701). Une décision rejetant une opposition comme irrecevable et examinant simultanément le fond de l'opposition (irrecevable) semble être en contradiction avec les principes de procédure susmentionnés.
En outre, une insuffisance procédurale de ce type pourrait entraîner une incertitude juridique pendant la phase nationale et pourrait désavantager tant le titulaire du brevet que l'opposant. Si, par exemple, la division d'opposition rejetait une opposition comme irrecevable (avec pour conséquence que le brevet est maintenu tel que délivré) et exprimait, dans la même décision, l'avis que, néanmoins, le maintien du brevet semble compromis pour absence de brevetabilité, une telle déclaration pourrait porter tort au titulaire du brevet lorsqu'il essaierait de faire valoir son brevet dans un Etat contractant. Même si un tribunal national ne considèrerait pas la déclaration de la division d'opposition relative à l'absence de brevetabilité comme ayant un caractère juridique obligatoire, cette déclaration pourrait, en pratique, avoir une influence sur la procédure nationale au détriment du titulaire du brevet. L'opposant aussi bien que les tiers pourraient par ailleurs être induits en erreur par les motifs de la décision et croire que le brevet a été déclaré non valide, et qu'ils pourraient donc ne pas le prendre en considération.
Bien que, dans la présente espèce, la division d'opposition, loin de considérer que le brevet (maintenu) n'était pas valide, l'a au contraire jugé valide, la situation ne diffère pas, en principe, des circonstances mentionnées plus haut. Du point de vue du droit procédural, la question de savoir si la déclaration de la division d'opposition était favorable ou non à la validité du brevet attaqué ne peut pas, dans ce contexte, être pertinente (en raison du principe de l'égalité de traitement du titulaire du brevet et de l'opposant dans le cadre de la procédure d'opposition - cf. G 1/86, JO OEB 1987, 447).
Afin d'éviter tout malentendu, il convient de noter que la Chambre approuve la pratique de la division d'opposition consistant à statuer en même temps sur l'ensemble des motifs d'opposition qui étaient correctement étayés par l'opposant, afin de parvenir à une procédure rapide et simple (cf. T 182/89, JO OEB 1991, 391). Toutefois, il ne semble pas que cette procédure soit appropriée si une opposition est considérée comme irrecevable.
1.4 Compte tenu de ce qui précède, le recours est réputé recevable.
2. Recevabilité de l'opposition
2.1 Aux termes de la règle 56 (1) CBE, l'opposition est rejetée comme irrecevable si elle n'est pas conforme aux dispositions de l'article 99 (1), de la règle 1 (1) et de la règle 55 c) CBE ou ne désigne pas le brevet en cause de manière suffisante, à moins qu'il n'ait été remédié à ces irrégularités avant l'expiration du délai d'opposition.
Dans la présente espèce, l'opposition a été formée contre le brevet pris dans sa globalité (cf. page 5 de l'acte d'opposition, deuxième paragraphe) et se fondait sur le motif d'opposition visé à l'article 100 a) CBE (cf. page 2, premier paragraphe). Bien que l'acte d'opposition n'indique pas explicitement aux termes duquel des articles 52 à 57 CBE l'objet du brevet ne doit pas être considéré comme brevetable, il découle néanmoins du contexte que l'absence d'activité inventive est le seul motif sur lequel se fonde l'opposition. Concernant ce motif, des documents relatifs à l'état de la technique sont invoqués.
Dans la décision attaquée, la division d'opposition a indiqué qu'il n'était pas satisfait à l'exigence visée à la règle 55 c) CBE, aux termes de laquelle l'acte d'opposition doit comporter, entre autres, les faits et justifications invoqués à l'appui des motifs. En particulier, la division d'opposition a conclu que les allégations de l'opposant concernant le "modèle cinétique" mentionné dans la revendication 1 étaient purement spéculatives et dénuées de toute preuve véritable. Même en prenant en compte les documents déposés après l'expiration du délai d'opposition, l'argumentation de l'opposant n'indiquait pas pourquoi des sources de l'état de la technique différentes suggéreraient une absence d'activité inventive.
2.2 Selon la décision T 222/85 (JO OEB 1988, 128, point 4), la règle 55 c) CBE vise à garantir que la mise en cause du brevet par l'opposant dans l'acte d'opposition soit suffisamment étayée pour qu'à la fois le titulaire du brevet et la division d'opposition sachent de quoi il retourne. La condition énoncée à la règle 55 c) CBE, selon laquelle l'acte d'opposition doit comporter les faits et justifications invoqués à l'appui des motifs, en liaison avec les dispositions de l'article 99 (1) CBE, considère la matière et exige de l'opposant qu'il présente une argumentation sur le fond de sa cause.
La condition énoncée à la règle 55 c) CBE concernant les faits et justifications invoqués à l'appui des motifs ne sera remplie que si l'exposé des "faits et justifications" pertinents (c.-à-d. qui coïncident avec la mesure dans laquelle le brevet incriminé est mis en cause) est suffisant pour permettre à la division d'opposition et au titulaire du brevet de pénétrer l'argumentation et le fond de la cause de l'opposant en relation avec les motifs de l'opposition. Cela doit être apprécié objectivement en se plaçant du point de vue de l'homme du métier normalement qualifié dans le domaine dont relève le brevet attaqué.
Dans la présente espèce, l'opposant a subdivisé l'objet de la revendication 1, aux fins d'analyse, en une pluralité de caractéristiques dont la liste figure à la page 2 de l'acte d'opposition. Chacune de ces caractéristiques a été examinée en détail par rapport à l'état de la technique cité. En ce qui concerne la dernière caractéristique mentionnée, relative au "modèle cinétique", il a été indiqué à la page 4 que celui-ci faisait partie des connaissances techniques générales de l'homme du métier à la date pertinente, et que la justification en serait fournie ultérieurement, ce qui a été fait par courrier en date du 2 janvier 1991. Il apparaît donc que l'exposé des faits et justifications pertinents était suffisant pour pénétrer objectivement l'argumentation et le fond de la cause de l'opposant. Le caractère suffisant de l'acte d'opposition doit, à cet égard, être distingué du bien-fondé de l'opposition, qui n'est pas examiné ici.
En outre, même dans des cas où il y aurait quelque doute sur le caractère suffisant des faits et justifications exigés par la règle 55 c) CBE, le public a intérêt la plupart du temps à ce que l'opposition soit examinée pour elle-même, comme l'a souligné la Grande Chambre de recours dans sa décision G 1/84 (JO OEB 1985, 299). Ceci signifie qu'en pareil cas, le bénéfice du doute doit être accordé à l'opposant pour ce qui concerne la question de la recevabilité de l'opposition.
2.3 Par ces motifs, l'opposition est réputée recevable.
3. Remboursement de la taxe de recours
3.1 Bien que le remboursement de la taxe de recours n'ait pas été demandé, il est ordonné, conformément à la règle 67 CBE, lorsqu'il est fait droit au recours, si le remboursement est équitable en raison d'un vice substantiel de procédure.
Dans la présente espèce, il faut considérer les éléments suivants. Sur le formulaire OEB 2307, notifié aux parties en tant que page de garde de la décision attaquée, il était indiqué que l'opposition était rejetée pour irrecevabilité en vertu de la règle 56 (1) CBE. Le fond de la décision attaquée est donc clairement indiqué en dépit de la nature trompeuse des déclarations figurant aux points 8 et 9 des motifs, comme cela a été souligné plus haut.Ces points ne peuvent cependant pas être considérés comme passés en force de la chose jugée, puisqu'ils concernent clairement des questions sur lesquelles la division d'opposition n'a pas statué.
Etant dépourvues d'effet juridique, les observations relatives aux questions de fond figurant dans la décision attaquée n'ont donc pas eu d'effet préjudiciable pour l'opposant.
Il s'ensuit que, bien que la nature trompeuse d'une partie des motifs soit considérée comme incorrecte du point de vue procédural, il ne s'agit pas, de l'avis de la Chambre, d'un vice substantiel de procédure au sens de la règle 67 CBE.
Par ces motifs, la taxe de recours n'est pas remboursée.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
1. La décision attaquée est annulée.
2. L'affaire est renvoyée devant la première instance pour suite à donner sur la base du fait que l'opposition est recevable.