CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.2.2, en date du 19 décembre 1991 - T 513/90 - 3.2.2
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | G.S.A. Szabo |
Membres : | J. du Pouget de Nadaillac |
| F. Benussi |
Titulaire du brevet/requérant: Japan Styrene Paper Corporation
Opposant/intimé : BASF Aktiengesellschaft
Opposant/Partie à la procédure: Kanegafuchi Kagahu Kogyo K.K
Référence: Articles expansés/ JAPAN STYRENE
Article: 56 CBE
Mot-clé: "Activité inventive (non)" - "Evidence - choix allant de soi dans la pratique"
Sommaire
Si, pour une application particulière d'un procédé connu, l'homme du métier pouvait de toute évidence utiliser un matériau approprié disponible généralement sur le marché et s'il y avait de fortes chances pour qu'il l'utilise quelles que soient ses caractéristiques, cette utilisation ne saurait dans ces conditions être considérée comme impliquant une activité inventive du seul fait des caractéristiques présentées par ce matériau (cf. point 4.4 de l'exposé des motifs).
Exposé des faits et conclusions
I. Le brevet européen n° 0 072 499 comportant trois revendications a été délivré le 27 mars 1983 à la suite du dépôt le 4 août 1982 de la demande de brevet européen n° 82 107 059.6 La revendication 1 de ce brevet est libellée comme suit :
"1. Procédé de fabrication d'un article expansé et moulé en résine polypropylène, qui comprend la mise sous pression de particules ayant subi un prémoussage constituées d'un copolymère éthylène/propylène ayant un indice de fusion de 0,1 à 25, une chaleur latente de cristallisation ne dépassant pas 28 cal/g (117,2 J/g) et une teneur en éthylène de 1 à 30 % en poids, comme résine de base, avec un gaz minéral ou un mélange gazeux du gaz minéral et d'un agent volatil de gonflement, de façon à conférer une pression élevée à l'intérieur desdites particules, le chargement subséquent desdites particules dans un moule capable de renfermer les particules mais permettant aux gaz de s'échapper, et puis le chauffage desdites particules pour les expanser jusqu'à la forme du moule."1
II. Des oppositions ont été formées contre la délivrance du brevet. Dans une décision prononcée à l'issue de la procédure orale le 5 avril 1990, puis consignée par écrit le 28 mai 1990, la division d'opposition a révoqué le brevet au motif que l'objet des revendications n'impliquait pas d'activité inventive par rapport aux publications ci-après :
(D1) DE-A-2 363 923,
(D6) EP-A-0 053 333 ;
(D8) Ullmanns Encyklopädie der technischen Chemie (Encyclopédie Ullman de la chimie industrielle), 4e édition, vol. 19, 1980, pp. 206-207;
(E1) Deux études "Analysis of commercially available polypropylene resins" (Analyse de résines polypropylènes existant sur le marché) (rapports 1 et 2), 20.12.84, rédigés par le Torey Research Center, Inc ; et (E3) "Catalog of Polypropylene Resins" (Catalogue des résines polypropylènes), "Sumitomo Noblen", publié par Sumitomo Chemical Co., Ltd.
III. Cette décision a été rendue sur la base du document (D1) considéré comme étant le document qui correspondait à l'état de la technique le plus proche. Dans la description de ce document, il est fait référence à des résines polyoléfines expansées et moulées, de densité réduite et de forme complexe, y compris notamment les résines éthylène/polyoléfine. L'homme du métier avait donc à adapter cette divulgation pour pouvoir appliquer aux résines éthylène/polypropylène existant sur le marché. Les caractéristiques de ces matériaux telles que les connaissait l'homme du métier à cette époque étaient les mêmes que celles qui avaient été spécifiées à cet égard dans la revendication du brevet en litige, et il était donc évident d'utiliser dans la pratique le procédé en question.
IV. Le 26 juin 1990, la requérante (titulaire du brevet) a introduit un recours contre cette décision et a acquitté la taxe de recours correspondante; elle a déposé le 8 octobre 1990 le mémoire exposant les motifs du recours.
V. La requérante a fait valoir essentiellement les arguments suivants dans ses conclusions écrites et lors de la procédure orale qui s'est tenue le 19 décembre 1991 :
a) Le document (D1) marquait semble-t-il une préférence pour les résines polyoléfines réticulées, alors que le brevet en litige visait en particulier les substances non réticulées. Avant la date de priorité du brevet en litige, il était considéré d'une manière générale que la réticulation était indispensable pour l'expansion de particules.
b) Par rapport aux substances non réticulées, les substances réticulées présentent une diminution de la fluidité et une baisse de la valeur de l'indice de fusion. Ces substances ne correspondent pas nécessairement aux polymères ayant un indice de fusion de 0,1 à 25 comme le prévoit le brevet.
c) Les documents sur lesquels s'était fondée la division d'opposition pour déterminer les connaissances générales de l'homme du métier ou pour constater que les substances en question étaient disponibles étaient postérieurs à la date de priorité du brevet ou avaient trait à des conditions autres que celles qui sont à prendre en considération pour la préparation d'articles expansés.
d) D'une manière générale, il n'y avait aucune raison d'admettre que, tel qu'il avait été suggéré, le passage des copolymères polyéthylènes au moins partiellement réticulés, du type décrit dans le document (D1), aux copolymères polypropylènes ne nécessiterait pas une teneur en gel supérieure à 10 %.
VI. L'intimée (initialement opposante 01) a fait valoir les arguments suivants :
a) Dans l'exemple 7 du document (D1), il est utilisé un polyéthylène ayant une teneur en gel de 0,7 % seulement, ce qui permet de déduire que le pourcentage de matériau non réticulé s'élevait à 99,3 %. Dans ce même document, il est fait expressément référence à une teneur en gel, c'est-à-dire une réticulation pouvant descendre jusqu'à 0,01 %. Dans le document (D6), les polymères dont la teneur en gel est inférieure ou égale à 10 % sont classés dans la catégorie des polymères essentiellement non réticulés.
b) Dans le document (D1), il était fait expressément référence à des copolymères éthylène/propylène. Le polyéthylène cité dans l'exemple 7 avait un indice de fusion de 0,3, ce qui faisait penser à un matériau compris dans la plage de valeurs spécifiée dans la revendication du brevet en cause.
VII. La requérante demande l'annulation de la décision attaquée et le maintien du brevet tel que délivré. A titre subsidiaire, elle demande que l'objet de la revendication 3 soit repris dans la revendication 1, et la description modifiée en conséquence.
L'intimée conclut au rejet du recours.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. L'état de la technique le plus proche
De l'avis de toutes les parties, le document (D1) constitue l'état de la technique le plus proche, donc le plus pertinent. Ce document divulgue toute une série de matériaux à base de polyoléfine et décrit les étapes du procédé nécessaires à la préparation d'articles expansés et moulés. Bien que dans les exemples il soit question de granulés de polyéthylène, les "copolymères d'éthylène et autre oléfines telles que le polypropylène..." sont eux aussi mentionnés expressément dans l'introduction générale. Même s'il est marqué une certaine préférence pour les matériaux au moins partiellement réticulés, le document indique à cet égard une teneur en gel pouvant descendre jusqu'à 0,01 % (page 3, ligne 21).
Les aspects physiques et chimiques du procédé de préparation impliquent les étapes de mise sous pression au gaz (vieillissement), de moulage et de chauffage, qui seront, estime-t-on, applicables par analogie à l'ensemble des oléfines, qu'elles soient réticulées ou non (cf. revendications du document).
3. Le problème technique et sa solution
Bien qu'il soit utilisé du polyéthylène dans les exemples cités dans le document (D1) pour illustrer les procédés revendiqués, d'autres matériaux expressément mentionnés dans ce document, notamment les copolymères éthylène/propylène peuvent jusqu'à preuve du contraire poser des problèmes techniques pour l'homme du métier. C'est en particulier le cas dans la présente espèce, où l'homme du métier savait également de par ses connaissances générales que le polypropylène présente d'excellentes propriétés chimiques, physiques et mécaniques et que d'autres méthodes de fabrication de matériaux expansés destinées à tirer parti de ces propriétés n'ont pas donné de résultats satisfaisants (cf. explications données dans le brevet en cause, colonne 1, lignes 4 à 28).
Compte tenu de ce qui précède, il s'avérait objectivement que le document (D1) amenait l'homme du métier à se poser le problème technique de l'application de la méthode générale présentée dans ce document à des résines polypropylènes, en particulier à des résines éthylène/polypropylène, ceci en raison de la référence expresse faite à ces dernières dans ce document. Il s'agissait ainsi de trouver le type de matériau qui permettrait à cet égard d'obtenir une mousse présentant les avantages attendus.
La solution de ce problème impliquait l'utilisation d'un matériau caractérisé par des plages de valeurs données pour certaines propriétés physiques, à savoir un indice de fusion compris entre 0,1 et 25, une chaleur latente de cristallisation ne dépassant pas 28 cal/g et une teneur en éthylène de 1 à 30 %.Les conditions de préparation proprement dites indiquées dans la revendication 1 sont incontestablement reprises du document (D1), mais les caractéristiques concernant la qualité du matériau n'étaient pas décrites dans ce document, si bien que l'objet de l'invention doit être considéré comme nouveau.
4. Activité inventive
4.1 Les caractéristiques choisies concernant la qualité semblent toutefois correspondre à ce qui existait communément sur le marché, et pouvoir également être considérées comme faisant partie des connaissances générales, la littérature spécialisée y faisant référence. En particulier, l'encyclopédie d'Ullman (D8) indique que les copolymères éthylène/propylène existant dans le commerce comportent "jusqu'à 30 % d'éthylène en poids", principalement sous la forme de polymères séquencés, c'est-à-dire qu'ils sont, dans une certaine mesure, réticulés. Comme cela a déjà été expliqué dans la décision de la première instance, il est également indiqué dans ce même ouvrage de référence que la chaleur latente de cristallisation du polypropylène atteindrait jusqu'à 30 cal/g et que toute teneur en éthylène abaisserait nécessairement cette valeur, la remenant dans la plage de valeurs spécifiée dans la revendication. Ceci vaut également pour la large plage de valeurs concernant l'indice de fusion (0,1 à 25) que suggèrent divers ouvrages tels que le document (D8).
4.2 La Chambre se range également à l'avis de la première instance qui avait estimé qu'un document publié après la date de priorité peut être pertinent et important lorsqu'il s'agit de montrer quelle était la situation qui prévalait avant la date de priorité. Il était affirmé en l'occurrence dans le document en question que le type de copolymère éthylène/propylène sur lequel porte le brevet pouvait être facilement obtenu sur le marché, ce qui revenait à prouver, à l'aide d'un ouvrage publié à une date postérieure, l'existence auparavant de connaissances générales à cet égard.
4.3 Outre le fait que l'on connaissait les valeurs physiques spécifiées en l'occurrence dans la revendication principale, on peut noter que les plages de valeurs indiquées sont très larges et que les informations qu'elles fournissent ne sont dans ces conditions guère sélectives. C'est ainsi que la revendication pourrait couvrir des matériaux très divers, tous ces matériaux donnant une mousse présentant les avantages escomptés du fait de la forte proportion de polypropylène. C'est pourquoi l'activité inventive, si activité inventive il y a, doit tenir à l'originalité du procédé et non pas aux propriétés inattendues du produit. C'est ce qu'il faut admettre puisque les produits ne sont pas revendiqués en tant que tels.
4.4. Toute divulgation directe et sans équivoque dans l'état de la technique de l'objet qui a été revendiqué, c'est-à-dire toute divulgation conduisant tout naturellement à l'objet revendiqué, détruit la nouveauté de cet objet. Ceci vaut notamment pour l'exécution des instructions destinées à la mise en oeuvre d'un procédé, que l'homme du métier ait ou non connu toutes les caractéristiques du procédé ou le résultat obtenu (cf. décision T 12/81 "Diastéréoisomères/BAYER", JO OEB, 1982, 296).
Par ailleurs, la notion d'évidence peut se définir comme la possibilité d'accéder indirectement à la totalité des caractéristiques d'un objet, soit par reconnaissance mentale des implications des divulgations faites dans l'état de la technique, soit, - et cet aspect nous intéresse également – grâce à la mise en oeuvre d'une pratique courante dans l'état de la technique et notamment à l'utilisation de ce qui est disponible à cette fin.
La Chambre estime donc que si, pour une application particulière d'un procédé connu, l'homme du métier pouvait de toute évidence recourir à un matériau approprié disponible généralement sur le marché et s'il y avait de fortes chances pour qu'il l'utilise quelles que soient ses caractéristiques, cette utilisation ne saurait être considérée comme impliquant une activité inventive du seul fait des caractéristiques présentées par ce matériau. Il va sans dire que si cette utilisation est déjà en soi évidente pour d'autres raisons, le choix tout naturel des moyens particuliers existant sur le marché ne saurait, jusqu'à preuve du contraire, impliquer un effort intellectuel ou un travail de mise en oeuvre pratique, ni constituer une "sélection dans un but précis". Ainsi, un peu comme il est inévitable que la nouveauté soit détruite lorsque l'on suit certaines instructions connues pour la mise en oeuvre de certaines étapes dans la pratique, c'est par une démarche évidente que l'homme du métier aurait mis en oeuvre le procédé sans en connaître en l'occurrence toutes les caractéristiques.
Même si ce type de matériau n'est pas totalement disponible, s'il est néanmoins suffisamment répandu qu'il y ait des chances sérieuses pour que l'onessaie par pur hasard de l'utiliser à cette fin, ce choix doit être considéré comme évident, ce qui, bien entendu, ne saurait affecter le droit à une protection par brevet pour un produit nouveau obtenu par ce procédé, s'il devait s'avérer que ce produit implique lui-même une activité inventive.
4.5 Il est probable que pour la mise en pratique du procédé selon le document (D1) avec des copolymères éthylène/propylène, l'on aurait utilisé des granulés existant déjà dont les caractéristiques étaient en tout état de cause comprises dans les vastes plages de valeurs des caractéristiques physiques des produits revendiqués. Rien dans l'état de la technique ne dissuadait l'homme du métier de tester ce procédé, étant donné que les difficultés rencontrées auparavant pour la production de matières expansées tenaient à l'utilisation de méthodes qui étaient différentes. Etant donné que l'on voulait obtenir des matières expansées présentant des caractéristiques avantageuses, il ne s'agissait pas seulement de savoir si l'homme du métier pouvait ou non utiliser ces résines particulières, il fallait aussi tenir compte du fait qu'il était fortement probable qu'il les utiliserait en pratique pour obtenir l'effet recherché. On n'avait pas affaire à un cas dans lequel il est possible intellectuellement de déduire l'objet de l'invention de l'état de la technique, mais à un cas dans lequel cet objet découle de manière évidente de cet état de la technique dans les conditions concrètes envisagées, telles qu'elles prévalaient à la date de la demande. Néanmoins, dans ce second cas l'objet de la demande peut là encore être dénué de ce fait de toute activité inventive, comme l'est l'objet de la revendication 1 selon la requête principale qui ne satisfait pas pour cette raison aux conditions requises par les articles 52 et 56 CBE.
4.6 La requête subsidiaire porte sur la revendication 1 de la requête principale, limitée de plus à l'utilisation de matériaux non réticulés. L'on pensait qu'avec ce type de matériau, le traitement risquait d'être plus problématique et que, de ce fait, la qualité du produit serait peut-être moins facilement prévisible. Là encore, l'objet revendiqué ne porte pas sur un produit doté de propriétés particulières ou avantageuses impliquant une activité inventive; et la seule question à trancher est celle de savoir s'il était évident ou non d'appliquer le procédé considéré à des matériaux de ce type. Dans la présente espèce, ni l'état de la technique pertinent décrit dans le document (D1), ni la demande de brevet ou le brevet délivré n'amènent à penser qu'il est impossible de traiter des matériaux non réticulés ou que des conditions spéciales devraient être réunies pour surmonter les difficultés que l'on rencontrerait.
Comme exposé plus haut, dans l'exemple cité dans le document (D1), le matériau utilisé n'est réticulé qu'à 0,7 % et il est proposé, comme proportion minimale de gel 0,01 %. Dans ces conditions, l'homme du métier saurait exactement ce qu'il obtiendrait avec un matériau légèrement différent, mais complètement non réticulé, et tiendrait compte des différences. La possibilité de mettre en pratique le procédé généralement connu avec ou sans matériau réticulé était indiquée dans cette antériorité qui avait été citée, et il n'est pas convaincant de la part de la requérante de suggérer que les hommes du métier étaient prévenus contre cette antériorité. Aussi convient-il de conclure que la revendication modifiée 1 selon la requête subsidiaire est elle aussi dépourvue d'activité inventive.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Le recours est rejeté.
1 Ndt : Texte de la traduction française fournie par la demanderesse