LA JURISPRUDENCE DES CHAMBRES DE RECOURS ET DE LA GRANDE CHAMBRE DE RECOURS EN 2018 ET 2019
III. PRINCIPES DIRECTEURS DE LA PROCÉDURE DEVANT L'OEB
A. Principe de protection de la confiance légitime
1. Connaissance des dispositions juridiques pertinentes et de la jurisprudence
(CLB, III.A.1.2.1)
Dans l'affaire T 590/18 du 4 juillet 2018, la chambre a constaté ce qui suit : un ordre de débit donné sur papier (formulaire OEB 1010) après le 1er décembre 2017 peut tout au plus donner lieu au paiement de la taxe de recours si le requérant peut se prévaloir avec succès du fait qu'il a trouvé sur le site Internet actuel de l'Office, même après l'entrée en vigueur de la modification, une indication claire de la possibilité de payer les taxes de recours au moyen du formulaire OEB 1010, qu'il pouvait se fier à l'exactitude de cette indication et qu'il s'y est aussi effectivement fié. Cette confiance n'est pas justifiée par la découverte de la version PDF d'une brochure publiée avant l'entrée en vigueur de la modification. Le fait que le requérant ait eu connaissance de la modification des modes de paiement s'oppose à l'argument de confiance légitime.
2. Obligation d'avertir le demandeur d'irrégularités auxquelles il peut être facilement remédié
(CLB, III.A.3.)
Dans l'affaire T 703/19, la chambre a estimé qu'un utilisateur de l'OEB peut légitimement s'attendre à ce qu'un contrôle de plausibilité soit effectué au moment de l'introduction de son recours. Dans l'acte de recours, le requérant avait indiqué : "la taxe de recours est acquittée par la présente via le paiement en ligne". La lettre d'accompagnement relative à des pièces produites ultérieurement contenait des indications sur les types de taxes, le montant à payer, mais pas sur le mode de paiement, qui était marqué "non renseigné". Le numéro de compte n'était pas précisé. La chambre a estimé que l'absence de ces informations était en contradiction flagrante avec l'intention de payer la taxe de recours à la date de dépôt de l'acte de recours. Cette irrégularité était en tout état de cause facilement identifiable, puisque la lettre d'accompagnement et l'acte de recours ne contenaient qu'un nombre très limité d'informations.
La chambre a en outre déclaré que si le paiement de la taxe de recours, en tant que tel, relève de la responsabilité du requérant, cela n'est pas nécessairement vrai de chacun des aspects partiels qui s'y rapportent. En effet, si tel était le cas, la Grande Chambre de recours, dans sa décision G 2/97 (JO OEB 1999, 123), ne serait pas parvenue à la conclusion que, dans un exemple fictif, la chambre aurait dû attirer l'attention du requérant sur l'absence de chèque. De l'avis de la chambre, cet exemple servait avant tout à montrer que l'intention manifeste d'accomplir un acte de procédure (paiement de la taxe de recours) au moment du dépôt de l'acte de recours était en contradiction avec l'acte effectivement accompli, et qu'il était facile de s'en apercevoir. Dans la présente espèce, ces deux critères étaient remplis.
Le requérant pouvait donc légitimement s'attendre à être informé de l'absence de certaines indications dans la rubrique "mode de paiement", ce qui lui aurait permis d'acquitter la taxe de recours dans les délais, étant donné que ledit recours avait été formé plus d'un mois avant l'expiration du délai. La chambre a donc considéré que la taxe de recours avait été payée dans les délais, si bien que le recours était réputé formé.
B. Droit d'être entendu
1. Il doit ressortir clairement de la décision que les arguments ont été entendus et pris en considération
(CLB, III.B.2.4.2)
Dans l'affaire T 655/13, la chambre a estimé que la division d'examen devait produire une traduction à tout le moins du long passage du document D1 auquel elle avait renvoyé et sur lequel elle avait fondé son argumentation, ou qu'elle devait mentionner le plus clairement possible le passage pertinent, afin de permettre aux requérants (et si nécessaire à la chambre) de comprendre et de vérifier si la division d'examen avait tenu compte de leurs arguments et, ce faisant, respecté leur droit d'être entendu.
2. Aucune obligation de traiter chacun des arguments présentés
(CLB, III.B.2.4.3)
Dans l'affaire T 448/16, le requérant (titulaire du brevet) a soulevé une objection en application de la règle 106 CBE, qui consistait essentiellement à dire que la chambre aurait dû lui indiquer quelles caractéristiques faisaient défaut dans les diverses versions des requêtes subsidiaires. Cela lui aurait permis soit de présenter des arguments pertinents à l'appui des requêtes existantes, soit de formuler une nouvelle requête qui aurait remédié au problème des éléments ajoutés. La chambre a appliqué la jurisprudence constante de la Grande Chambre de recours. Elle a estimé qu'elle aurait favorisé la cause du requérant aux dépens de celle des intimés (opposants) si, après avoir discuté de manière circonstanciée de la question en cause avec les parties, elle avait précisément signalé au requérant quelles caractéristiques concrètes manquaient dans l'une quelconque des versions de la revendication 1, afin qu'il puisse répondre par des arguments pertinents ou présenter une nouvelle requête dûment adaptée. La chambre a estimé qu'une telle manière de procéder aurait préjudicié à son obligation de neutralité et lui était donc interdite. Elle a par conséquent rejeté l'objection du requérant et considéré que le droit de celui-ci d'être entendu n'avait pas été enfreint.
3. Exigence d'un texte approuvé par le demandeur
(CLB, III.B.3.3.)
Dans l'affaire T 1227/14, le requérant I (titulaire du brevet) a avancé que contrairement à ce qui avait été consigné au procès-verbal de la procédure orale, il n'avait pas chargé la division d'opposition d'adapter la description, mais avait demandé de passer à la procédure écrite aux fins de cette adaptation, ce qui n'était pas mentionné dans le procès-verbal. Il n'avait toutefois pas demandé à la division d'opposition de corriger le procès-verbal. La division d'opposition avait quant à elle rendu la décision intermédiaire contestée concernant le texte dans lequel le brevet frappé d'opposition pouvait être maintenu, sans soumettre au préalable cette version, y compris la description adaptée par ses soins, au titulaire du brevet. Ce faisant, la division d'opposition a enfreint le principe ancré à l'art. 113(2) CBE du droit d'être entendu. Même dans le cas où une instance de l'Office européen des brevets est chargée d'adapter la description, elle n'est pas libérée de l'obligation de soumettre le texte à l'approbation du titulaire du brevet.
Dans l'affaire T 861/16, la chambre a noté que nulle part, ni dans le procès-verbal ni dans la décision, était indiqué que le titulaire aurait donné son accord sur le texte modifié. De plus, l'intimé (l'opposant) ne présentait aucun fait démontrant que le titulaire avait donné son consentement explicite à un texte présenté préalablement à la décision de la division d'opposition. La chambre a estimé que le principe "qui tacet consentire videtur" n'étant pas établi dans la CBE, il ne suffit pas de demander au titulaire s'il souhaite s'exprimer sur des modifications de la description préparée par la division d'opposition. La division d'opposition doit s'assurer que le titulaire donne son accord. La chambre a estimé que faute d'un accord de la part du titulaire concernant la version maintenue, la procédure devant la division d'opposition était entachée d'un vice majeur de procédure (art. 113(2) CBE).
C. Procédure orale
1. Droit à une procédure orale au stade de l'examen, de l'opposition et du recours
(CLB, III.C.2.1.)
Dans la décision G 2/19, la Grande Chambre de recours a jugé irrecevable la première question soumise. En conséquence, elle a reformulé les deuxième et troisième questions soumises comme suit :
2. Le droit à la tenue d'une procédure orale, tel que prévu par l'art. 116 CBE, devant une chambre de recours est-il limité si un tiers au sens de l'art. 115 CBE forme un "recours" contre la décision de délivrer le brevet et qu'il fait valoir, pour justifier son recours, que la CBE ne prévoit aucun autre moyen de recours contre une décision de la division d'examen de ne pas tenir compte de ses observations concernant une violation alléguée de l'art. 84 CBE ?
3. Une chambre de recours peut-elle tenir la procédure orale à Haar sans enfreindre les art. 113(1) et 116(1) CBE s'il est demandé que cette procédure soit déplacée à Munich ?
S'agissant de la question no 2 de la saisine, la Grande Chambre de recours a fait observer que l'art. 116(1), première phrase CBE prévoit, de manière très générale, qu'il est recouru à la procédure orale sur requête d'une partie à la procédure. La chambre à l'origine de la saisine était partie du principe que le tiers était devenu, en formant son recours, partie à la procédure de recours et qu'il pouvait donc exiger la tenue d'une procédure orale (T 831/17).
La Grande Chambre de recours a constaté que ce point de vue est réducteur, puisqu'il fonde l'élément constitutif de la qualité de partie sur la seule qualité de partie à la procédure de recours. Raisonnablement interprété, l'art. 116(1), première phrase CBE n'impose pas un tel automatisme procédural, mais tolère au contraire des exceptions. La grande diversité de champs d'application s'oppose ce que l'on attribue un caractère absolu à l'art. 116(1), première phrase CBE. À l'évidence, cette disposition a été conçue par le législateur en tant que principe directeur pour les cas de figure standard auxquels les instances procédurales de l'OEB sont confrontées au quotidien. Des exceptions à ce principe ne sont toutefois pas exclues dans les cas où son application serait absurde au regard des circonstances particulières de l'affaire en question. Il convient plutôt de retenir une interprétation restrictive de l'art. 116(1), première phrase CBE, selon laquelle le fait d'avoir, sur un plan purement formel, la qualité de partie de facto à la procédure de recours ne suffit pas pour exiger la tenue d'une procédure orale si l'auteur de la requête n'est pas admis à former un recours, puisqu'il n'était pas partie au sens juridique à la procédure précédente, ou s'il invoque un motif qui n'est pas susceptible de recours.
S'agissant de la question no 3 de la saisine, la Grande Chambre de recours a indiqué que le fait que les chambres exercent actuellement leurs fonctions à Haar résulte d'actes d'ordre organisationnel que les organes de l'Organisation européenne des brevets mandatés à cette fin ont adoptés et mis en œuvre dans le cadre de leurs attributions. Concernant l'objection selon laquelle le transfert des chambres de recours à Haar n'est pas conforme aux dispositions de la CBE et est donc, dans une certaine mesure, irrégulier, la Grande Chambre de recours a retenu que cette objection n'était pas en soi du ressort des chambres de recours. Conformément à la CBE, il incombe à celles-ci, par l'exercice du pouvoir de nature juridictionnelle (art. 23 CBE), de concourir à l'exécution de la tâche confiée à l'OEB, qui consiste à délivrer des brevets européens (art. 4(3) CBE). L'examen d'une question juridique comme celle de savoir si le choix du site des chambres de recours à Haar est conforme aux dispositions institutionnelles objectives de la CBE ne relève pas à tout le moins directement de cette compétence. Un tel examen peut donc, dans le meilleur des cas, faire l'objet d'une procédure de recours au titre des art. 106 et suivants CBE s'il est rattaché à la question de savoir si le transfert du site de la chambre de recours à Haar est susceptible de préjudicier à la position juridique subjective – protégée ou à protéger – d'une partie à la procédure qui exerce ses droits devant la chambre. Cela n'était toutefois pas le cas en l'espèce.
La Grande Chambre de recours a statué comme suit :
1. Un tiers au sens de l'art. 115 CBE, qui a formé un recours contre la décision de délivrer un brevet européen, n'a aucun droit à ce qu'une procédure orale ait lieu devant une chambre de recours de l'OEB concernant sa demande de rouvrir la procédure d'examen afin de remédier à un prétendu manque de clarté des revendications du brevet européen (art. 84 CBE).
Un recours formé sur cette base n'a pas d'effet suspensif.
2. Les procédures orales tenues devant les chambres de recours sur leur site de Haar ne violent pas les art. 113(1) et 116(1) CBE.
2. Préparation de la procédure orale – Fixation et report de la date d'une procédure orale
(CLB, III.C.6.1.)
Dans l'affaire T 447/13, la division d'examen a rejeté une requête visant à reporter la procédure orale. La chambre a conclu que lorsqu'une requête visant à reporter la procédure orale est rejetée au motif que la requête n'a pas été suffisamment motivée, la décision de la division d'examen doit indiquer clairement quels éléments auraient dû être soumis ou expliqués. En outre, la chambre a estimé qu'afin de décider s'il fallait faire droit ou non à une requête en report de la procédure orale pour maladie, on entendait par "maladie grave" une maladie assez grave pour empêcher le mandataire de se rendre à la procédure orale et de présenter ses arguments de manière satisfaisante le jour dit.
D. Délais, poursuite et interruption de la procédure
1. Date de réception des documents transmis par télécopie
(CLB, III.D.)
Dans l'affaire T 858/18, la chambre a estimé que si la transmission par télécopie d'un document au sens de la règle 50(3) CBE commence à une date antérieure et se poursuit après minuit jusqu'à une date ultérieure, la date ultérieure est attribuée à l'ensemble du document comme seule date de réception. La chambre a examiné la Décision de la Présidente de l'OEB en date du 12 juillet 2007, relative au dépôt de demandes de brevet et d'autres pièces par téléfax (JO éd. spéc. 3/2007, 7) et n'y a vu aucune base juridique permettant de retenir la date antérieure comme date de réception pour la partie du document qui est parvenue à l'OEB avant minuit. Le terme "document" désigne la transcription d'une unité d'information complète. Si une partie d'un document était considérée comme un document à part entière, celle-ci ne saurait être invoquée en tant que reproduction correcte des informations que l'auteur souhaitait consigner. Par conséquent, des sous-parties incomplètes d'un document ne peuvent pas être considérées comme un document à part entière. La chambre a fait observer que dans les décisions T 2061/12 et T 2317/13, une autre approche avait été adoptée selon laquelle la date antérieure était attribuée comme date de réception à la partie d'un document au sens de la règle 50(3) CBE parvenue à l'OEB avant minuit. Dans l'affaire T 858/18, la chambre ne s'est pas ralliée à cette approche.
Dans la décision T 2307/15, la chambre a souligné que, même si certains paragraphes manquaient dans le mémoire exposant les motifs du recours déposé par le requérant le 15 février 2016 si on le comparait à la version déposée le 16 février 2016, le premier permettait néanmoins au lecteur de comprendre les motifs en vertu desquels le requérant demandait l'annulation de la décision attaquée, ainsi que les faits et preuves sur lesquels se fondait le recours. La chambre a estimé que le mémoire exposant les motifs du recours reçu par télécopie le 15 février 2016 devait donc être considéré comme complet, puisqu'il remplissait la fonction qui lui incombait. La chambre a ainsi confirmé l'approche retenue dans les décisions T 2061/12 et T 2317/13, la décision divergente T 858/18 restant une décision isolée, rendue dans une affaire particulière reposant sur des faits différents de ceux de la présente espèce.
2. Interruption de la procédure à cause d'une faillite (règle 142(1)b) CBE)
(CLB, III.D.3.6.)
Dans l'affaire T 54/17, la chambre devait statuer sur l'interruption de la procédure.
Le requérant (titulaire du brevet) avait formé un recours contre la révocation du brevet par la division d'opposition. Cette décision avait été précédée d'une première procédure de recours à l'issue de laquelle la chambre de recours avait renvoyé l'affaire pour suite à donner. À cette date, les titulaires du brevet étaient les codemandeurs M. S. (représentant commun) et M. P.
La veille de la procédure orale, M. P. a requis l'interruption de la procédure au motif qu'une procédure de faillite avait été engagée en 2015 contre les biens de M. S. et que cette procédure était toujours en instance. La procédure orale a alors été annulée. Par lettre du 22 décembre 2017, la division juridique a interrompu la procédure au 30 janvier 2015 et, par lettre du 5 mars 2018, elle a repris la procédure le 2 mai 2018.
La chambre a fait observer qu'en l'espèce, les circonstances justifiant l'interruption avaient disparu dès le 25 mars 2015. Toutefois, dans la procédure au titre de la CBE, la disparition des circonstances justifiant l'interruption n'entraîne pas automatiquement la reprise de la procédure : conformément à la règle 142(2) CBE, la procédure ne reprend qu'à l'expiration d'un délai imparti par l'OEB après que lui a été communiquée l'identité de la personne désormais habilitée à poursuivre la procédure. C'est seulement par la lettre de l'administrateur judiciaire en date du 30 janvier 2018 que l'Office a été avisé de l'identité de la personne habilitée à poursuivre la procédure, suite à quoi la division juridique a fixé la date de la reprise de la procédure au 2 mai 2018. Cela signifiait que la première procédure de recours, close par la décision du 2 octobre 2015, ainsi que la procédure d'opposition faisant suite au rejet du recours, étaient sans objet et devaient donc être réitérées.
La chambre a estimé que, dans une affaire où un recours est en instance, la question de l'interruption n'est pas de la compétence exclusive de la division juridique. Elle s'est ainsi ralliée à l'avis exprimé dans la décision T 854/12, selon lequel une chambre de recours peut statuer en toute responsabilité sur ce point dans la procédure dont elle a la charge. Autrement, en particulier dans le cas d'une interruption rétroactive, un organe extérieur aux chambres de recours pourrait lui retirer la procédure sans qu'elle puisse intervenir.
La chambre a également considéré que le titulaire du brevet ne pouvait plus solliciter l'interruption, de sorte que la procédure devait être poursuivie sans aucune restriction. La règle 142(1) CBE a pour but d'empêcher que la procédure ne suive un cours défavorable au titulaire du brevet pendant l'incapacité temporaire de ce dernier, et dès lors de préserver ses droits (T 854/12). Or, cette nécessité de préserver les droits du titulaire du brevet n'a existé, tout au plus, que pendant la période du 30 janvier 2015 au 25 mars 2015. Si le titulaire d'un brevet, ayant connaissance de circonstances qui justifient une interruption de la procédure et sont exclusivement liées à sa propre situation, poursuit la procédure sans restriction pendant plusieurs années après la disparition de ces circonstances sans jamais s'en prévaloir, il serait inéquitable qu'il sollicite l'interruption à un stade aussi tardif, ce qui supposerait de recommencer toute la procédure menée jusqu'alors, et à laquelle le titulaire a participé activement. Ceci serait contraire au principe de la bonne foi (concernant la possibilité d'exécuter l'invention, cf. également chapitre II.C.1.1).
Dans l'affaire T 1389/18, la chambre a conclu que la décision intermédiaire contestée de la division d'opposition devait être considérée à titre rétroactif comme non existante. Les recours devant la chambre étaient donc eux aussi dénués d'objet et, par conséquent, la procédure de recours a dû être close sans décision sur le fond.
À la date de la notification par laquelle la division juridique a constaté l'interruption de la procédure, la procédure d'opposition devant la division d'opposition était encore en instance, et non pas formellement achevée. Aussi la division juridique était-elle compétente au sujet de l'interruption en vertu de la règle 142 CBE.
La chambre a constaté de surcroît qu'une interruption au titre de la règle 142(1)b) CBE ne sert pas uniquement les intérêts du titulaire du brevet, mais également ceux de ses créanciers. Ces intérêts sont protégés en ce sens que cette règle vise à empêcher tout acte juridique, que ce soit de la part du titulaire du brevet ou de celle de l'OEB, susceptible d'affecter le brevet en tant qu'élément d'un patrimoine.
La chambre a dû enfin déterminer si elle est tenue de prendre en considération, dans le cadre de la procédure de recours, une interruption constatée par la division juridique en vertu de la règle 142 CBE au cours de cette procédure. Dans l'affaire T 854/12, il avait été répondu par la négative à cette question. Dans l'affaire T 1389/18, la chambre a toutefois exprimé des doutes sur la question de savoir si les motifs exposés dans la décision T 854/12 étaient transposables à l'affaire qu'elle instruisait. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la chambre a décidé de ne pas faire abstraction du constat effectué par la division juridique concernant l'interruption, et a émis une nouvelle fois sa notification antérieure, afin d'empêcher que les parties ne doivent faire face à une situation procédurale incertaine et que la procédure ne soit retardée de manière excessive.
E. Restitutio in integrum
1. La date à laquelle l'erreur aurait dû être remarquée est décisive
(CLB, III.E.4.1.1 a) (i))
Dans l'affaire T 198/16, la chambre a indiqué que la pratique actuelle consistant à appliquer l'exigence de vigilance dans le contexte de la cessation de l'empêchement au sens de la règle 136(1) CBE pouvait être considérée comme étendant la signification de l'exigence de vigilance d'une manière qui élargit la portée de ce critère essentiellement de fond en y ajoutant la fonction d'obstacle préliminaire extraordinaire à la recevabilité/à l'applicabilité. La chambre a indiqué que cette approche concernant le critère de "cessation", qui ne pouvait pas être fondée sur la lettre des dispositions, était par conséquent douteuse. La chambre a laissé ouverte la question de l'approche à suivre.
F. Langues
1. Dérogations à la langue de la procédure dans les procédures orales
(CLB, III.F.3.)
Dans l'affaire T 1895/13, le requérant a critiqué le fait que la procédure orale devant l'instance du premier degré avait eu lieu sans interprète alors même que le mandataire avait demandé des services d'interprétation simultanée. La division d'examen n'avait pas vu de bonne raison de s'écarter de la langue de la procédure (l'anglais), mais avait proposé de clarifier ses observations en allemand si nécessaire, sans pour autant accepter d'agir en tant qu'interprètes officiels. Selon le requérant, il ressortait sans ambiguïté de la règle 4(1) CBE qu'une partie pouvait à la fois s'exprimer et suivre les débats dans une langue officielle de son choix annoncée en temps voulu et la division d'examen n'avait pas le pouvoir de refuser d'assurer des services d'interprétation en pareille situation. Le requérant a estimé qu'en refusant d'assurer l'interprétation, la division d'examen avait également enfreint son droit d'être entendu en vertu de l'art. 113(1) CBE, droit qui reflète le principe d'équité procédurale.
La chambre a renvoyé à l'affaire T 2249/13 qui traite d'une situation comparable. Dans cette affaire, la chambre avait indiqué dans sa notification que, selon le requérant, la division d'examen avait enfreint la règle 4(1) et (5) CBE en refusant de fournir des services officiels d'interprétation alors que le mandataire du requérant avait présenté dans les délais une requête visant à s'exprimer et à suivre les débats dans une langue autre que la langue de la procédure. La chambre avait toutefois indiqué que même si un vice de procédure avait pu être commis, cela ne semblait avoir eu aucune incidence significative sur le droit d'être entendu du requérant (art. 113(1) CBE). Le requérant n'avait pas fait état d'un quelconque problème effectif de communication résultant de l'absence de services d'interprétation officiels, ni lors de la procédure orale devant la division d'examen ni dans son mémoire exposant les motifs du recours. Il n'avait évoqué que des problèmes hypothétiques, susceptibles de se présenter de manière générale lorsque le droit d'échanger des arguments dans la langue souhaitée se trouvait limité.
La présente chambre a ajouté que le fait de mentionner un problème potentiel ne signifiait pas que ce problème ait effectivement été rencontré. La charge de la preuve incombait au requérant, lequel ne s'était pas acquitté de son obligation de présenter les faits permettant de déterminer s'il y avait eu ou non une violation fondamentale de ses droits.
G. Aspects formels des décisions des instances de l'OEB
1. Forme des décisions
1.1 Signatures apposées à une décision selon la règle 113 CBE
(CLB, III.K.3.3.)
Dans l'affaire J 16/17, la chambre a estimé que la condition énoncée à la règle 113(1) CBE, selon laquelle les décisions de l'Office européen des brevets doivent être signées par l'agent responsable et indiquer son nom, n'est pas une simple formalité mais une étape procédurale essentielle du processus de prise de décision. Le nom et la signature servent à identifier les auteurs de la décision et à exprimer leur responsabilité inconditionnelle vis-à-vis de son contenu. Cette exigence vise à prévenir l'arbitraire et les abus et à garantir la possibilité de vérifier que l'organe compétent a pris la décision. Elle constitue donc une expression de la prééminence du droit.
1.2 Motifs incomplets et insuffisants au sens de la règle 111(2) CBE
(CLB, III.K.3.4.4 b))
Dans l'affaire T 655/13, la chambre a jugé que, pour que la division d'examen puisse motiver sa décision sur la base d'un document pertinent de l'état de la technique dans une langue non officielle de l'OEB compréhensible par la chambre, elle devait au moins fournir la traduction, utilisée lors de la procédure d'examen, des sections pertinentes du document (ou même de l'ensemble du document, si cela était nécessaire à sa compréhension globale) dans une langue officielle de l'OEB. Dans le cas contraire, la chambre n'est pas en mesure d'examiner les motifs de la décision et, dans certains cas, même de déterminer si la décision était justifiée ou non, ce qui constitue une violation de l'obligation de motiver les décisions au titre de la règle 111(2) CBE.
H. Inspection publique, Registre européen des brevets et suspension de la procédure
1. Suspension de la procédure au titre de la règle 14(1) CBE
(CLB, III.M.3., VII.1.2.)
Dans l'affaire ex parte T 1473/13, le requérant avait demandé la suspension de la procédure par référence à des recours constitutionnels en instance devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui faisait valoir l'insuffisance à l'OEB de voies de recours de nature juridictionnelle contre les décisions des chambres de recours. La chambre a souligné la finalité de la règle 14 CBE telle qu'exposée dans la décision J 2/14, à savoir empêcher un demandeur non habilité de compromettre la position d'un véritable titulaire potentiel en modifiant, ou même en retirant, la demande sans le consentement de ce dernier. La chambre a estimé que ce qui était en jeu dans la présente affaire était la compétence de la chambre pour statuer sur une demande de brevet, et en particulier pour rejeter une demande, compétence sur laquelle un futur arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale allemande pourrait avoir une influence. Selon la chambre, il n'apparaissait pas à l'évidence qu'une des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale allemande sur ces recours constitutionnels aurait des implications juridiques directes au-delà des affaires concernées. Se référant à l'un des recours constitutionnels, la chambre a expliqué qu'en l'occurrence, le requérant n'avait pas indiqué pourquoi et comment un arrêt relatif à certaines dispositions de la CBE, de son règlement d'exécution et des règlements de procédure des chambres de recours et de la Grande Chambre de recours pourrait avoir une incidence sur d'autres décisions des chambres avec effet en Allemagne. Ni les requêtes présentées dans le cadre du recours constitutionnel, ni la requête en suspension de la procédure présentée par le requérant dans le cadre de la présente affaire ne mentionnaient la loi allemande de ratification de la CBE ordonnant d'appliquer la CBE en Allemagne, pas plus que les conséquences possibles de la nullité de cette loi. Ces seuls motifs justifiaient selon la chambre le rejet de la requête en suspension de la procédure. En outre, le requérant n'avait pas non plus indiqué les désavantages possibles d'une décision de la chambre dans la présente affaire en cas de succès des recours constitutionnels. La chambre a considéré qu'en l'absence de désavantage avéré pour le requérant, les conséquences négatives respectives d'une suspension ou d'une non-suspension de la procédure (à savoir le retard de la procédure) ne pouvaient pas être mises en balance. Elle a donc conclu que la requête en suspension de la procédure devait être rejetée.
(CLB, III.M.3.2.)
Dans l'affaire J 4/17, la chambre a retenu que le législateur a laissé à la pratique et à la jurisprudence le soin de définir les circonstances qui justifient de fixer une date pour la reprise de la procédure sur une base discrétionnaire. La reprise de la procédure n'est pas limitée aux affaires marquées par des abus ou des manœuvres dilatoires. Le fait que l'OEB puisse, lorsqu'il suspend la procédure de délivrance, fixer une date pour la reprise de la procédure laisse entendre une interprétation plus large. Cependant, un demandeur ne peut pas justifier sa requête en reprise de la procédure en invoquant la longueur de l'action en revendication du droit à la demande lorsque la durée de cette procédure est en grande partie due à sa conduite.
I. Intervention
1. Admissibilité
1.1 Action nationale en contrefaçon
(CLB, III.P.1.3.)
Dans l'affaire T 1746/15, la chambre a suivi la décision T 1713/11, selon laquelle une "action en contrefaçon" au sens de l'art. 105(1)a) CBE est une action visant à établir si un tiers est commercialement actif dans un domaine qui relève du droit exclusif conféré au titulaire du brevet. La chambre a estimé que la procédure probatoire indépendante telle que prévue dans le droit allemand ("selbständiges Beweisverfahren" ou "Beweissicherungsverfahren", § 485 DE-ZPO), qui avait été engagée contre l'intimé par décision du Landgericht de Düsseldorf, n'"établissait" pas de contrefaçon au sens précité. La procédure probatoire indépendante prévue dans le droit allemand est comparable à la procédure de "saisie", par exemple à la "saisie-contrefaçon" en France, qui n'est pas considérée comme une "action en contrefaçon" au sens de l'art. 105(1)a) CBE (T 1713/11 et T 305/08).
Dans l'affaire T 439/17, le requérant (opposant) avait présenté au cours de la procédure d'opposition une déclaration d'intervention, en invoquant une procédure probatoire engagée par le titulaire du brevet en Allemagne ("Beweissicherungsverfahren", § 485 DE-ZPO). Au cours de la procédure de recours en instance, le titulaire du brevet a ensuite introduit à l'encontre de l'opposant une action en contrefaçon en bonne et due forme fondée sur les conclusions de la procédure probatoire. Le requérant a fait valoir que les deux procédures devaient être considérées comme une seule action au sens de l'art. 105 CBE, ce qui trouvait selon lui un fondement dans l'article 493 DE-ZPO. La chambre ne s'est pas ralliée à ce point de vue. Il ne ressort pas de l'article 493 DE-ZPO que les deux procédures doivent être considérées comme jointes ou liées d'une quelconque manière en droit procédural. En outre, l'intervention doit être recevable à la date à laquelle elle a lieu : autrement dit, la recevabilité de l'intervention ne saurait être établie à une date ultérieure avec effet rétroactif (ex tunc). En résumé, la chambre a estimé que la procédure probatoire et l'action en contrefaçon subséquente doivent être considérées comme deux procédures distinctes eu égard à l'application de l'art. 105(1)a) CBE. L'intervention devant la division d'opposition était donc irrecevable.
J. Répartition des frais
(CLB, III.R.2.)
Dans l'affaire T 280/15, la chambre a estimé que comme le requérant avait annoncé seulement la veille de la procédure orale, à 18 h 23, qu'il ne participerait pas à celle-ci, il ne faisait aucun doute que les conditions d'une répartition des frais en sa défaveur étaient remplies, conformément à l'art. 104(1) CBE et à l'art. 16(1)c) RPCR 2007. Cette annonce tardive avait engendré des frais pour l'intimé, notamment des frais de voyage et d'hébergement, ainsi que douze heures de frais de représentation pour la préparation de son mandataire agréé ; lesdits frais auraient pu être évités si le requérant s'était comporté selon les règles élémentaires de la politesse, comme il était tenu de le faire. De plus, le comportement du requérant, en particulier le fait qu'il n'ait pas prévenu directement l'intimé de sa non-comparution, avait privé l'intimé de la possibilité d'éviter, ou du moins de limiter, les frais supplémentaires liés à sa propre participation à la procédure orale. Le comportement du requérant eu égard à l'avis préliminaire négatif de la chambre, présenté dans la notification émise en amont de la procédure orale, avait par ailleurs nui au bon déroulement de la procédure orale organisée par la chambre. Si la chambre avait été informée plus tôt de la non-comparution du requérant, elle n'aurait eu aucune raison de maintenir la procédure orale ni de faire appel à quatre interprètes. En effet, les interprètes ont été engagés pour la procédure orale à la demande de l'intimé mais également en raison de la présence du requérant, et ce aux frais de l'Office, et ils sont repartis sans avoir été mis à contribution.
Dans l'affaire T 2313/15, l'intimé (opposant) avait demandé qu'il soit procédé à une répartition nouvelle des frais en cas de renvoi de l'affaire à l'instance du premier degré. La chambre a décidé de renvoyer l'affaire, mais n'a pas arrêté de répartition différente des frais au titre de l'art. 104(1) CBE. La chambre a noté que, lors de la procédure devant la division d'opposition, le titulaire du brevet avait traité dans sa réponse à l'acte d'opposition toutes les objections soulevées par l'opposant. À cette fin, le titulaire du brevet avait fait le choix de présenter uniquement des arguments, mais pas de requête subsidiaire ni de requête en procédure orale. Une telle approche constitue un moyen de défense légitime contre une opposition, bien que le titulaire du brevet coure alors un risque calculé de subir une décision défavorable immédiate. Le titulaire du brevet n'est ainsi pas spécifiquement tenu de demander une procédure orale devant la division d'opposition. Le simple fait qu'il ne sollicite pas de procédure orale à cette étape de la procédure n'affecte en rien son droit de former un recours ou de déposer de nouvelles requêtes au stade du recours. Pour la chambre, il n'y a aucune base juridique à l'allégation implicite de l'intimé selon laquelle les droits du titulaire du brevet dans la procédure de recours seraient d'une quelconque manière limités en raison de sa décision de ne pas avoir sollicité la tenue d'une procédure orale. La chambre n'a pas non plus jugé équitable d'imputer au titulaire du brevet le fait que la division d'opposition ait choisi de trancher l'affaire sur la base d'une seule des différentes questions soulevées, sans émettre de citation à une procédure orale (ainsi qu'elle était en droit de faire). La décision au stade du recours de renvoyer l'affaire conformément à la pratique courante n'était pas non plus imputable au requérant (titulaire du brevet) ayant obtenu gain de cause. Enfin, le fait qu'au stade du recours, le requérant ait fait porter ses arguments uniquement sur la nouveauté par rapport au document D2, c'est-à-dire sur le seul motif de la révocation, n'était aucunement répréhensible, puisque c'était là sa seule obligation.
K. Significations
1. Signification par un service postal
(CLB, III.S.1.1.)
Dans l'affaire T 1596/14, le requérant I (titulaire du brevet) a formulé une objection liée au fait que la décision de la division d'opposition lui avait été envoyée à la date du 9 juillet 2014, alors qu'elle avait été envoyée une nouvelle fois – mais seulement au requérant II (opposant) – à une date ultérieure, à savoir le 22 juillet 2014. La chambre a fait incidemment observer qu'aucun élément ne prouvait ni ne suggérait que les intérêts de l'une quelconque des parties, et en particulier ceux du requérant I, avaient été lésés en raison de l'inégalité de traitement alléguée des parties, qui résultait de la signification de la même décision à des dates différentes. Il n'en découlait aucune conséquence pour la recevabilité des recours ni pour la régularité de la procédure de recours qui a suivi. La chambre a relevé que la CBE ne prévoyait aucune sanction ni solution concrète pour ce type de situation, et qu'il était difficile d'imaginer que la suggestion faite par le requérant I de renvoyer la décision avec une seule et même date de signification constituerait une solution, puisque les parties à la procédure connaissaient déjà leurs arguments respectifs.