LA JURISPRUDENCE DES CHAMBRES DE RECOURS ET DE LA GRANDE CHAMBRE DE RECOURS EN 2018 ET 2019
II. DEMANDE DE BREVET ET MODIFICATIONS
A. Revendications
1. Interprétation de termes ambigus ou confirmation du libellé d'une revendication
(CLB, II.A.6.3.3)
Dans l'affaire T 1409/16, la chambre a estimé que des disjonctions aussi bien exclusives qu'inclusives pouvaient être rendues par la formule "either (...) or" (soit (...) soit). Le seul fait que l'expression "and/or" ("et/ou") avait été employée (dans le sens d'un "ou" inclusif) dans une autre revendication du brevet contesté ne laissait pas nécessairement conclure que la formule "either (...) or" dans la revendication en cause devait avoir un sens différent, à savoir celui d'un "ou" exclusif. Il n'y a aucune obligation absolue d'employer une terminologie parfaitement uniforme pour exprimer des caractéristiques données si celles-ci peuvent être exprimées de différentes manières. La chambre a estimé que la formule "either (...) or" ne pouvait être considérée comme exprimant un "ou" exclusif que lorsque les deux situations visées s'excluaient mutuellement de par leur nature même, autrement dit lorsqu'elles étaient incompatibles. Voir également le chapitre I.B.2.1. "Usage antérieur public – Structure interne ou composition d'un produit".
B. Unité de l'invention
1. Appréciation de l'absence d'unité et évaluation des demandes de remboursement de nouvelles taxes de recherche dans la procédure d'examen
(CLB, II.B.3.3.)
Selon la décision T 756/14, lorsque la division d'examen statue sur une demande de remboursement de (nouvelles) taxes de recherche, elle doit clairement indiquer dans le dispositif la demande concrète sur laquelle il est statué, dans quelle mesure elle fait droit à cette demande et ordonne le remboursement de taxes de recherche, ainsi que la décision prise au sujet des éventuels autres éléments de la demande. Le fait de prévoir un recours indépendant contre une décision intermédiaire au sens de l'art. 106(2) CBE est une décision constitutive de la division d'examen, faute de laquelle la décision intermédiaire n'est pas susceptible de recours et qu'il convient donc d'intégrer également dans le dispositif.
C. Possibilité d'exécuter l'invention
1. Exposé clair et complet
1.1 Paramètres
(CLB, II.C.5.5.)
L'affaire T 1845/14 portait sur la question de savoir si les ambiguïtés, non contestées, des deux caractéristiques paramétriques (SCBD et CDBI) de la revendication 1 entraînaient une insuffisance de l'exposé, comme allégué par l'opposant (intimé). La chambre, sur la base de son analyse détaillée des deux paramètres, a d'abord conclu que pour reproduire l'invention, l'homme du métier aurait eu besoin de méthodes de mesure adaptées pour déterminer le SCBD et le CDBI. De telles méthodes étaient accessibles à l'homme du métier à la date de priorité du brevet litigieux (malgré l'ambiguïté de la définition du CDBI). Une argumentation distincte avancée par l'intimé portait sur l'aptitude de l'homme du métier à résoudre le problème sous-jacent au brevet. La chambre a analysé la contribution des décisions T 593/09, T 815/07 et T 172/99, en faisant également référence à la décision Kirin-Amgen Inc c. Hoechst Marion Roussel Ltd [2004] UKHL 46 de la Chambre des Lords du Royaume-Uni (paragraphe 126), à la décision T 608/07 et, en lien avec celle-ci, à la décision Zipher Ltd c. Markem Systems Ltd [2008] EWHC 1379 de la Haute Cour d'Angleterre et du Pays de Galles (dans laquelle trois types d'objection ont été décrits : "insuffisance classique", "insuffisance Biogen" (cf. T 1727/12), "insuffisance qui découle d'une ambiguïté"). La chambre a conclu que toutes ces décisions concernant un paramètre mentionné dans une revendication dont la définition était ambiguë s'appuyaient sur une définition du terme "invention" qui ne renvoyait pas à la combinaison des caractéristiques définies par les termes de la revendication considérée, mais plutôt à l'idée inventive ou au concept inventif que l'inventeur avait à l'esprit et qui a conduit le titulaire du brevet à chercher à protéger ce qui était revendiqué. Le même critère pour évaluer la suffisance a été utilisé en particulier dans les décisions T 593/09, T 815/07 et T 172/99 : l'aptitude de l'homme du métier, souhaitant reproduire ce qui est revendiqué, à résoudre le problème sous-jacent au brevet en question qui est mentionné dans le fascicule du brevet, mais ne fait pas partie de la définition de l'objet revendiqué. Dans l'affaire T 1845/14, la chambre a toutefois retenu que l'aptitude de l'homme du métier, souhaitant réaliser l'invention, à résoudre le problème sous-jacent au brevet litigieux n'est pas un critère approprié pour évaluer la suffisance lorsque le problème ne fait pas partie de la définition de l'objet revendiqué. En effet, selon la chambre, rien ne justifie de recourir à une signification différente du terme "invention" lorsqu'il est question de la suffisance de l'exposé. Il n'y a nulle raison de définir l'invention sur la base d'un effet dont il est allégué dans le brevet qu'il est obtenu par l'objet revendiqué ou sur la base de conditions spécifiques pour mesurer un paramètre lorsque le libellé de la revendication ne le nécessite pas. Cela reviendrait à apprécier la suffisance sur la base d'une lecture restreinte de la revendication. Il n'est pas procédé de la sorte lorsque les autres exigences de brevetabilité, telles que la nouveauté et l'activité inventive, sont évaluées et il n'y pas de raison apparente d'évaluer la suffisance sur une base différente. Rien ne justifie donc de fonder l'évaluation de la suffisance sur l'aptitude à déterminer quelles étaient la définition d'un paramètre dans une revendication ou les conditions pour sa mesure qui étaient nécessaires ou que le titulaire du brevet avait à l'esprit au moment de rédiger le brevet lorsque cette définition ou ces conditions sont considérées comme nécessaires pour garantir la résolution effective du problème sous-jacent au brevet, mais que le problème lui-même ou un effet dérivable du problème n'était pas défini dans les revendications. L'invention est définie par les termes des revendications, auxquels il convient de donner leur sens technique le plus large dans le contexte où ils sont utilisés. Cette position est également corroborée par la décision G 1/03 (JO OEB 2004, 413) (modes de réalisation qui ne fonctionnent pas). Étant donné que le sens du terme "invention" est étayé par les décisions G 2/98 (JO OEB 2001, 413) et G 1/03, une saisine n'est pas nécessaire. La chambre a conclu que, dans le cas d'un paramètre manquant de clarté défini dans une revendication dont les valeurs requises dans la revendication sont qualifiées, dans le fascicule du brevet, d'essentielles pour la résolution du problème sous-jacent au brevet en question, l'aptitude de l'homme du métier à résoudre ce problème en reproduisant ce qui a été revendiqué n'est pas un critère adapté pour évaluer la suffisance de l'exposé lorsque le problème ou un effet dérivable du problème ne fait pas explicitement ou implicitement partie de la définition de l'objet revendiqué. Cette conclusion ne signifie pas nécessairement que l'ambiguïté du CDBI constitue simplement une question de clarté.
Dans l'affaire T 54/17, il a été fait référence à la jurisprudence constante selon laquelle deux conditions doivent être remplies en ce qui concerne l'art. 100b) CBE. D'une part, l'homme du métier doit pouvoir déduire du fascicule du brevet au moins un mode de réalisation de l'invention revendiquée. D'autre part, il doit pouvoir réaliser l'invention dans toute l'étendue revendiquée. Concernant la première condition, la chambre a partagé l'argument de l'intimé (opposant) selon lequel la description ne donnait pas d'exemple de réalisation pour l'idée qualifiée de "centrale" par le requérant, à savoir le fait d'enregistrer les paramètres opérationnels de composants individuels en même temps que les paramètres environnementaux et de déduire de ces valeurs mesurées des événements opérationnels. Même si l'homme du métier pouvait imaginer un mode de réalisation, cela ne suffirait pas pour remplir la deuxième condition, à savoir que l'invention puisse être réalisée dans toute l'étendue revendiquée. La description était formulée en termes très généraux, en ce qu'il était question du débranchement d'un composant fortement surchauffé. En revanche, elle ne précisait pas selon quels critères il était décidé de ne pas débrancher également l'autre composant voisin. La chambre a retenu à cet égard que cette (deuxième) condition a une signification particulière, surtout lorsque la revendication comprend des paramètres inhabituels. La chambre a fait référence aux conditions énumérées dans la décision T 172/99. Si la solution à un problème technique est définie au moyen d'un paramètre nouvellement formulé et donc inhabituel, le titulaire du brevet est alors tenu de divulguer l'ensemble des informations. Dans l'affaire en question, il convenait justement d'entendre l'"événement opérationnel" et le "modèle de réaction" revendiqués comme des "paramètres inhabituels". Ces termes ont une certaine signification dans la langue allemande, mais n'ont pas nécessairement un sens technique évident dans le domaine du pilotage d'un système de traitement. Selon la chambre, la contribution de cette invention n'était qu'une idée très générale, à savoir la prise en compte de paramètres environnementaux dans un procédé de surveillance et de pilotage. La description ne contenait aucun mode de réalisation qui aurait permis de clarifier et de représenter cette idée. Il n'était pas possible non plus d'abstraire cette idée concernant les paramètres "événement opérationnel" et "modèle de réaction" par la divulgation de la description. La chambre a donc estimé qu'un homme du métier ne pouvait pas réaliser l'invention (concernant l'interruption de la procédure, cf. également chapitre III.D.2.).
2. Exécution de l'invention sans effort excessif
2.1 Échec occasionnel
(CLB, II.C.6.6.1)
Dans l'affaire T 383/14 (table de tri pour la vendange), la chambre a estimé qu'une revendication cherche à définir un dispositif dans des conditions idéales, c'est-à-dire celles du fonctionnement théoriquement optimal ou nominal. Cependant, l'homme du métier à qui s'adresse la revendication conçoit aisément que les conditions de fonctionnement pratiques ne sont pas celles idéales définies par la revendication. Ainsi, l'homme du métier, à la lecture de la revendication, appréhende immédiatement le fonctionnement pratique après la vendange et comprend donc les termes litigieux "uniquement" et "seulement" dans leur sens non exclusif, conforme au fonctionnement pratique de tous les dispositifs mécaniques qui ne peuvent avoir un taux de fiabilité ou de réussite de 100 %, et qui dans le cas précis du triage ou calibrage est encore plus faible. Ainsi, l'argument des opposants selon lequel ce ne sont pas "seulement" les baies de raisin qui passent par les ouvertures n'a pas convaincu la chambre, car cette situation n'est pas la situation réaliste de la reproductibilité du tri sélectif, mais plutôt celle d'un échec occasionnel parfaitement prévisible pour un appareil de tri et également envisagé par la jurisprudence.
3. La condition de suffisance de l'exposé dans le domaine des biotechnologies
3.1 Dépôt de matière biologique
(CLB, II.C.7.6.)
Dans l'affaire T 1338/12, contrairement à la division d'examen, la chambre estime que la demande en question est régie par la CBE 1973, spécifiquement par la règle 28 CBE 1973 concernant le dépôt de matière biologique. Selon une jurisprudence des chambres de recours déjà bien établie, si la matière biologique est accessible à l'homme du métier et à la disposition du public, sans aucune réserve ni restriction, c'est-à-dire si la matière biologique est suffisamment divulguée par d'autres moyens, le dépôt de la matière biologique n'est pas nécessaire pour remplir les conditions de l'art. 83 CBE 1973 (cf. T 2068/11). En l'espèce, il s'agissait donc de déterminer si la condition prévue à l'alinéa 3 de la règle 28(3) CBE 1973 (correspondant à l'alinéa 1 de la règle 33 CBE) était en fait remplie, c.-à-d. si la souche T. thermophilus, variante GY1211, était accessible à l'homme du métier ou à la disposition du public, sans aucune réserve ni restriction, à la date pertinente. La chambre ne considère pas que la condition est remplie par le seul fait que ladite souche avait été divulguée par deux publications scientifiques. En effet, la chambre ne partage pas l'argument du requérant selon lequel les auteurs d'une publication scientifique doivent mettre à disposition de la communauté scientifique la matière biologique objet de la publication, aux fins de vérification des données de la publication. Il n'y a pas unanimité générale, commune à toutes les publications scientifiques et éditeurs de journaux scientifiques. Par ailleurs, aucune preuve n'a été produite montrant les conditions exigées par les éditeurs des journaux en question. Et même si les éditeurs d'un journal scientifique peuvent exiger des auteurs d'un article scientifique de mettre à disposition du public la matière biologique objet de la publication, ils ne peuvent pas s'assurer que tel est toujours le cas. La demande d'un échantillon de la matière biologique doit être adressée directement aux auteurs de l'article scientifique et donc la distribution de cette matière biologique reste toujours à la discrétion finale de ces auteurs.
4. Rapport entre l'article 83 et l'article 84 CBE
4.1 L'article 83 CBE et la clarté des revendications
(CLB, II.C.8.2.)
Dans l'affaire T 250/15, sur la question de la suffisance de description, la chambre a fait remarquer que le paramètre de la revendication pour caractériser un polymère est largement utilisé et clairement défini. En outre, l'homme du métier connaît au moins deux méthodes. Les incertitudes possibles concernant d'éventuelles déviations des résultats de mesure obtenus par les différentes méthodes connues n'affectent pas la capacité de l'homme du métier de choisir un polyamide approprié sur la base de ses connaissances et des informations données dans le brevet ; cette conclusion est conforme à la jurisprudence actuelle des chambres de recours. L'opposant a demandé à la chambre de saisir la Grande Chambre de recours essentiellement pour savoir si la difficulté que peut avoir l'homme du métier pour déterminer si un objet tombe dans l'étendue de la protection couverte par la revendication concerne la clarté de la revendication ou plutôt la suffisance de l'exposé de l'invention. La chambre, par référence à la décision T 1811/13, a fait observer qu'il existe aujourd'hui une opinion clairement prédominante parmi les chambres selon laquelle la définition du "domaine interdit" d'une revendication ne devrait pas être considérée comme une question liée à l'art. 83 CBE. La chambre saisie de l'affaire T 1811/13 a ajouté que cela ne veut pas dire qu'un manque de clarté ne peut pas entraîner une divulgation insuffisante de l'invention. Dans la présente affaire T 250/15, la chambre, par souci d'exhaustivité, a également jugé que la décision T 626/14 ne remet pas en cause, vu la décision T 1811/13, le fait qu'un flou quant à l'étendue de la protection ne constitue pas un défaut d'exposé de l'invention. La présente chambre note enfin que la décision T 626/14, comme l'affaire T 464/05, concerne une constellation particulière dans un certain domaine technique. Le cas en l'espèce est toutefois différent en ce sens que le paramètre vise une propriété clairement définie et inhérente au matériau. En outre, il n'a pas été contesté que l'homme du métier dispose d'un nombre limité de méthodes de mesure appropriées et généralement connues. La chambre a rejeté la demande de saisine de la Grande Chambre de recours. Elle a en outre expliqué en quoi spécifiquement les faits de l'espèce T 250/15 diffèrent de ceux des affaires T 593/09, T 466/05, T 225/93 et T 626/14.
La chambre, dans l'affaire T 1305/15, savait que, selon la jurisprudence, les incertitudes sur la mesure d'un paramètre ne conduisaient pas nécessairement à une objection pour insuffisance de l'exposé, mais pouvaient simplement représenter une objection cachée de manque de clarté au sens de l'art. 84 CBE (T 608/07). Cela pourrait être le cas, par exemple, lorsqu'aucune méthode de mesure n'était spécifiée dans le brevet et que différentes méthodes connues étaient à la disposition de l'homme du métier, pouvant conduire à des résultats différents (T 1768/15). Toutefois, lorsque le paramètre revendiqué (le paramètre ZP dans l'affaire T 1305/15) est essentiel pour résoudre le problème qui sous-tend l'invention, la méthode utilisée pour le mesurer doit être de nature à produire des valeurs constantes, afin que l'homme du métier sache, lorsqu'il exécute l'invention, si ce qu'il produit résoudra ou non le problème (T 815/07). En raison du grave manque d'informations concernant la méthode de mesure du ZP, le ZP situé sur la surface de la membrane interne était si mal défini que l'homme du métier, cherchant à reproduire la membrane à fibres creuses selon le brevet attaqué, ne savait pas si la membrane produite était capable de résoudre le problème qui sous-tend l'invention. Cela constituait un effort excessif pour l'homme du métier, l'empêchant de réaliser comme prévu l'invention, et constituant donc une insuffisance de l'exposé (citant l'affaire T 593/09).
5. Preuve
(CLB, II.C.9.)
Dans l'affaire ex parte T 2340/12, la demande était relative à une unité d'implosion d'énergie spatiale. La chambre a observé qu'elle ne comprenait pas comment le champ de torsion ou l'énergie spatiale devait être mesurés. Le requérant (demandeur) a soutenu que l'on pouvait trouver plus de 40 000 citations sur Internet concernant "l'énergie spatiale". Mais aucune citation internet concrète n'avait été citée pour expliquer les concepts de champ de torsion ou d'énergie spatiale. Le demandeur s'était uniquement référé aux mesures "indirectes" effectuées mais n'a pas précisé la nature de ces expériences ou leur pertinence pour l'invention revendiquée bien qu'il ait été invité à le faire dans l'opinion provisoire rendue par la chambre. La division d'examen a formulé des critiques concernant les expériences. Le requérant a souligné que la CBE ne prévoit aucune obligation de fournir de telles preuves expérimentales. Le requérant a en outre mis en doute la compétence de la division d'examen pour exiger de telles preuves. La chambre a estimé que, dans le cas d'inventions dans des domaines technologiques dépourvues de tout fondement théorique ou pratique accepté, la jurisprudence des chambres de recours avait établi que la demande devait contenir tous les détails de l'invention nécessaires pour obtenir l'effet recherché (voir T 541/96, point 6.2 des motifs). Ceci était la conséquence directe du fait que l'homme du métier serait incapable de s'appuyer sur des connaissances générales de base acceptées concernant des inventions dans de tels domaines. La chambre a estimé que la CBE ne contient aucune disposition selon laquelle la délivrance d'un brevet dépend de la production, par le demandeur, de la preuve que l'invention revendiquée fonctionne de manière satisfaisante sous la forme de résultats d'expérimentation. Le dépôt de ces résultats ne doit pas être considéré comme une obligation imposée au demandeur mais, au contraire, comme un droit, lui offrant la possibilité de convaincre que la division d'examen (ou la chambre) a commis une erreur dans ses conclusions initiales. La décision contient des développements détaillés sur la charge de la preuve dans les affaires ex parte en cas d'objection pour insuffisance de l'exposé.
D. Priorité
1. Droit de priorité du demandeur
(CLB, II.D.2.2.)
Le brevet litigieux dans l'affaire T 725/14 (voir aussi l'affaire parallèle T 924/15) a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire. À la fois la demande initiale et la demande de brevet européen dont la priorité était revendiquée ont été déposées au nom d'Avantium. La question litigieuse était de savoir si le droit de priorité avait été transféré à Furanix (titulaire du brevet/intimé) au moyen d'une déclaration de transfert datée du 1er mars 2007 (D17) avant le dépôt de la demande initiale le 12 mars 2007, et, dans l'affirmative, si ce transfert invalidait la priorité de la demande initiale et donc du brevet frappé d'opposition.
La chambre a rejeté l'argument de l'intimé selon lequel le transfert ne prenait effet qu'à la date à laquelle une demande d'inscription du transfert était envoyée à l'OEB conformément à la règle 22 CBE. La règle 22 CBE n'a aucune incidence sur l'établissement du droit de priorité. Le transfert du droit de priorité doit être établi en appliquant le droit national (cf. p. ex. T 205/14, T 1201/14). En règle générale, le droit applicable est déterminé conformément aux règles de conflit de lois de la juridiction saisie, en l'occurrence la chambre. Ni la CBE ni le droit dérivé de la CBE ne prévoient de telles règles de conflit de lois si bien qu'aucune orientation n'est fournie pour déterminer le droit national applicable. Les parties étaient d'accord sur l'applicabilité du droit néerlandais et la chambre n'a vu aucune raison de s'écarter de cette position. La demande dont la priorité était revendiquée était une demande européenne qui n'était soumise à aucune loi nationale et qui n'appelait l'application d'aucun droit national particulier. Toutes les autres circonstances conduisaient à appliquer le droit néerlandais, Avantium et Furanix étant toutes deux des entreprises instituées en vertu du droit néerlandais et ayant leur siège social à Amsterdam, où le document D17 avait été signé.
Faisant référence à un avis juridique déposé afin d'expliquer les conditions de transfert du droit de priorité en vertu du code civil néerlandais, la chambre a conclu que les conditions de délivrance officielle en vertu d'un titre juridique valable étaient remplies et que D17 suffisait pour que le transfert du droit de priorité, en tant que l'un des droits afférents à la demande de brevet, produise ses effets au regard du droit néerlandais. Il ressortait clairement du libellé de D17 que le droit de priorité avait été transféré à Furanix le 1er mars 2007 ou à une date antérieure. Le document D17 avait une grande force probante puisqu'il avait pour raison d'être d'apporter la preuve du transfert de droits, alors que les preuves contraires produites par l'intimé n'étaient pas convaincantes. Le requérant s'était acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait pour prouver que le transfert du droit de priorité avait eu lieu. Par conséquent, la revendication de priorité n'était pas valable.
La chambre a affirmé que la conjonction "ou" (dans l'expression "ou son ayant cause") à l'art. 87 CBE et à l'art. 4 de la Convention de Paris doit clairement être interprétée comme un "ou exclusif" (cf. également J 19/87). Elle a rejeté toute interprétation inclusive de ce "ou" selon laquelle la priorité pourrait être revendiquée non seulement par le demandeur initial ou par son ayant cause, mais aussi à la fois par le demandeur initial et par son ayant cause.
2. Première demande relative à l'invention
2.1 Identité de l'invention
(CLB, II.D.4.1.)
Dans l'affaire T 1662/14, la revendication 1 selon la requête principale portait sur un système de distribution d'un agent anesthésique pour la distribution intraveineuse d'une dose souhaitée de propofol à un patient. La chambre devait déterminer si et dans quelle mesure la demande euro-PCT D2 était comprise dans l'état de la technique au sens de l'art. 54(3) CBE. La date de dépôt et la date de publication de D2 étaient postérieures à la date de dépôt du brevet litigieux (qui ne revendiquait aucune priorité), mais D2 revendiquait la priorité de D3, une demande US qui émanait du prédécesseur en droit du demandeur de D2, qui avait un contenu technique identique à celui de D2 et qui avait été déposée avant la date de dépôt du brevet litigieux. La chambre a examiné si la revendication de la priorité de D3 était valable.
D11 était également une demande US déposée par le prédécesseur en droit du demandeur de D2 et son contenu technique était identique à celui de la demande initiale dont le brevet litigieux était issu. D3 constituait une demande "continuation-in-part" de D11, si bien que D11 avait laissé subsister des droits au sens de l'art. 87(4) CBE. Par conséquent c'est D11 et non D3 qui constituait la première demande relative à l'invention divulguée. D2 ne pouvait donc pas valablement revendiquer la priorité de D3 pour cette invention. Cependant, D2 divulguait aussi des éléments plus spécifiques en sus de l'objet général déjà compris dans D11 pour lequel il ne pouvait pas bénéficier de la priorité de D3. En d'autres termes, D2 divulguait un système comprenant des caractéristiques techniques supplémentaires non divulguées dans D11. Par conséquent, D11 ne constituait pas la première demande pour ce système plus spécifique si bien que la priorité revendiquée par D2 était valable pour ce système à l'égard duquel D3 constituait bien la première demande. Ce système spécifique était compris dans l'état de la technique conformément à l'art. 54(3) CBE et antériorisait l'objet de la revendication 1.
3. Priorités multiples ou priorité partielle pour une seule revendication
3.1 Application de la décision G 1/15 dans la jurisprudence des chambres de recours
(CLB, II.D.5.3.3)
Dans la décision T 437/14 du 12 mars 2019, la chambre a tenu compte des réponses de la Grande Chambre de recours aux questions relatives aux disclaimers non divulgués qu'elle avait soumises dans l'affaire G 1/16 (JO OEB 2018, A70). Les conclusions de la chambre concernant la recevabilité des disclaimers non divulgués sont résumés au point II.E.1.2. de la présente publication.
En ce qui concerne la validité du droit de priorité et la nouveauté, l'opposant 3 avait fait valoir que l'objet de la revendication 1 selon la nouvelle requête principale était dépourvu de nouveauté par rapport à D57 et D58, deux demandes divisionnaires, issues de la demande sur la base de laquelle le brevet litigieux avait été délivré, qui divulguaient des composés spécifiques couverts par la revendication 1 et qui revendiquaient valablement la priorité de la demande antérieure US 09/452, 346. En revanche, compte tenu des disclaimers introduits dans la revendication 1, cette dernière ne revendiquait pas valablement la priorité de la demande US 09/452, 346. De l'avis de l'opposant, D57 et D58 étaient donc compris dans l'état de la technique au sens de l'art. 54(3) pour l'objet de cette revendication.
Selon la chambre, cette argumentation de l'opposant n'aurait pu aboutir que si les deux conditions suivantes avaient été remplies, à savoir que la revendication 1 couvre au moins un mode de réalisation de la/des demande(s) divisionnaire(s) et qu'elle ne bénéficie d'aucune priorité (même partielle) de la demande US 09/452, 346 pour la/les partie(s) liée(s) à ce(s) mode(s) de réalisation. Dans sa décision intermédiaire antérieure, la chambre avait déjà conclu que les revendications de la nouvelle requête principale étaient fondées sur la description de la demande telle que déposée. Cette description était identique à celle de la demande US 09/452, 346 dont la priorité était revendiquée. Par conséquent, abstraction faite de la question des disclaimers, l'objet revendiqué était également divulgué dans cette demande antérieure.
En ce qui concerne l'introduction des deux disclaimers dans la revendication 1, la chambre, se référant au point 4 des motifs de la décision G 1/03 (JO OEB 2004, 413), était convaincue que ces disclaimers n'apportaient aucune contribution technique et satisfaisaient aux exigences de l'art. 123(2) CBE. Elle a donc conclu que l'objet de la revendication 1 bénéficiait de la priorité de la demande antérieure. Si les documents D57 et D58 divulguaient effectivement des composés spécifiques couverts par la revendication 1 et revendiquaient valablement la priorité de la demande antérieure, la revendication 1 revendiquait elle aussi une priorité partielle valable découlant de cette demande pour ces mêmes composés. La revendication 1 était de fait une revendication générique du type "OU" couvrant des objets alternatifs divulgués directement et sans ambiguïté dans le document de priorité et, à ce titre, elle pouvait bénéficier de la priorité partielle pour l'objet alternatif concerné conformément à la décision G 1/15. Par conséquent, la deuxième condition susmentionnée n'était pas remplie et les documents D57 et D58 n'étaient pas compris dans l'état de la technique au sens de l'art. 54(3) CBE aux fins de l'appréciation de la nouveauté.
E. Modifications
1. Extension au-delà du contenu de la demande telle que déposée – dépendances de "style US"
(CLB, II.E.1.3.1)
Dans l'affaire T 1362/15, la chambre avait émis un avis provisoire selon lequel la dépendance de "style US" des revendications initiales (c.-à-d. lorsque les revendications dépendantes pertinentes font séparément référence à la revendication indépendante) ne semblait pas fournir de base pour la combinaison revendiquée dans la revendication 10 des requêtes subsidiaires 2 à 4. Le requérant (titulaire du brevet) a demandé de soumettre deux questions à la Grande Chambre de recours. La première était de savoir s'il est conforme à l'art. 123(2) CBE d'incorporer les caractéristiques d'une pluralité de revendications dépendantes dans une revendication indépendante lorsque la demande telle que déposée initialement comprend un jeu de revendications présentant une dépendance de "style US" et un mode de réalisation qui combine les caractéristiques de la revendication indépendante et des revendications dépendantes. La deuxième consistait à savoir si le fait que le mode de réalisation présente éventuellement des caractéristiques supplémentaires peut entraîner une violation de l'art. 123(2) CBE.
La chambre n'a pas jugé nécessaire de saisir la Grande Chambre, entre autres pour les raisons suivantes. S'agissant des points en question, la Grande Chambre de recours a déjà clairement défini, notamment dans l'avis G 2/98 (JO OEB 2001, 413) et la décision G 2/10 (JO OEB 2012, 376), les principes généraux qui régissent les exigences de l'art. 123(2) CBE, à savoir que l'homme du métier doit être objectivement en mesure, à la date de dépôt, de déduire directement et sans équivoque l'objet revendiqué de la demande initiale considérée dans son ensemble, en se fondant sur les connaissances générales dans le domaine considéré. Concernant la dépendance de "style US" des revendications, la chambre a fait observer qu'il n'existe aucune limitation réelle des combinaisons possibles des caractéristiques dans les revendications d'une demande US. L'article 112 du Titre 35 du Code des Etats-Unis précise uniquement qu'une revendication dépendante multiple ne doit servir de base à aucune autre revendication dépendante multiple. Il ne s'agit toutefois pas d'une limitation insurmontable. Le requérant avait en outre avancé que, dans les cas où la revendication modifiée est une combinaison de caractéristiques contenant des caractéristiques de revendications dépendantes initiales qui ne respectaient pas la dépendance initiale, l'existence d'un mode de réalisation dans l'exposé contenant toutes les revendications combinées (avec toutefois encore plus de caractéristiques) devrait suffire pour satisfaire à l'exigence prévue à l'art. 123(2) CBE. Selon le requérant, il s'agit en outre d'une question de droit sur laquelle la jurisprudence des chambres diverge considérablement. La chambre a analysé les décisions prétendument divergentes T 2619/11 et T 1414/11 et a conclu que ces deux décisions s'appuyaient sur les mêmes critères et ne se contredisaient pas.
2. Disclaimer
2.1 Antériorisation fortuite
(CLB, II.E.1.7.3 a))
Dans l'affaire T 1218/14, la chambre a clarifié la signification du critère mentionné dans la décision G 1/03 (JO OEB 2004, 413), selon lequel une divulgation qui détruit fortuitement la nouveauté doit être totalement dénuée de pertinence pour l'activité inventive. Le fait de conclure que l'objet revendiqué était inventif par rapport au document D1 en tant que document secondaire ne signifiait pas que le document D1 était dénué de pertinence pour l'activité inventive au sens de ce critère. Ce critère doit être considéré non pas comme un critère alternatif ou supplémentaire, mais comme une conséquence du critère énoncé dans les décisions G 1/03 et G 1/16 (JO OEB 2018, A70), en vertu duquel, d'un point de vue technique, ladite divulgation doit être à ce point étrangère et éloignée que l'homme du métier ne l'aurait jamais prise en considération lors de la réalisation ou de l'élaboration de l'invention.
2.2 Le disclaimer non divulgué ne doit pas être lié à l'enseignement de l'invention
(CLB, II.E.1.7.3 f))
Dans la décision G 1/16 (JO OEB 2018, A70), la Grande Chambre de recours a confirmé que le disclaimer non divulgué ne doit pas être lié à l'enseignement de l'invention et précisé que la question qui se pose n'est pas celle de savoir si un disclaimer non divulgué réduit l'enseignement technique initial sur le plan quantitatif (ce qui est inévitablement le cas), mais s'il modifie cet enseignement sur le plan qualitatif, de telle sorte que le demandeur ou le titulaire du brevet se trouve dans une meilleure position au regard des autres conditions de brevetabilité.
Dans l'affaire T 660/14, la revendication 1 de la requête subsidiaire 4 contenait deux caractéristiques supplémentaires selon lesquelles les éléments d'actionnement et de commande du dispositif revendiqué de commande de bicyclette pouvaient pivoter selon des axes décalés non communs et ne pouvaient pas pivoter ensemble selon l'un quelconque des axes décalés. La chambre, appliquant le critère de la décision G 1/03 (JO OEB 2004, 413) tel qu'interprété dans la décision G 1/16 (JO OEB 2018, A70), a estimé que les disclaimers apportaient une contribution technique à l'objet divulgué. Les revendications 7 et 8 telles que déposées portaient sur l'élément d'actionnement et l'élément de commande disposés de façon à pouvoir pivoter selon des axes parallèles et/ou décalés. Comme indiqué dans la description, cela pouvait être considéré comme offrant des avantages ergonomiques. La chambre en a conclu que les disclaimers introduisaient dans la revendication modifiée une différence technique par rapport au contenu de la demande initiale. L'arrangement rotatif des éléments d'actionnement et de commande selon les axes était de nature technique, du fait notamment de la divulgation des bénéfices ergonomiques. Aussi la chambre en a-t-elle conclu que l'exclusion par disclaimer de cette disposition l'était également. Elle a estimé que cette conclusion était par ailleurs confirmée lorsque l'on examinait s'il avait simplement été apporté un changement quantitatif à l'enseignement technique initial ou si l'introduction des disclaimers non divulgués avait effectivement entraîné un changement qualitatif (G 1/16). L'exclusion par disclaimer des axes décalés communs et de la rotation commune selon l'un quelconque des axes décalés a modifié les considérations ergonomiques figurant dans la demande telle que déposée, entraînant un changement qualitatif de l'enseignement technique initialement divulgué en ce sens que la position du titulaire du brevet a été modifiée en ce qui concerne l'activité inventive.
Dans l'affaire T 437/14, la chambre, prenant en compte les réponses aux questions sur les disclaimers non divulgués qu'elle avait soumises à la Grande Chambre de recours dans l'affaire G 1/16 (JO OEB 2018, A70), a rappelé que, pour les disclaimers non divulgués, le critère adapté consiste à déterminer si les critères énoncés dans la décision G 1/03 sont remplis (JO OEB 2004, 413). Le critère de la norme de référence visé dans la décision G 2/10 (JO OEB 2012, 376) n'est pas le critère pertinent. La chambre avait déjà conclu, dans sa décision intermédiaire du 17 octobre 2016, que les disclaimers introduits dans la revendication 1 étaient des disclaimers non divulgués, qu'ils établissaient la nouveauté par rapport à des antériorisations fortuites au regard de l'art. 54(2) CBE et qu'ils ne retranchaient pas plus que ce qui était nécessaire pour restaurer la nouveauté par rapport à ces documents. Dans la présente décision, la chambre a en outre estimé que rien ne prouvait que les disclaimers apportaient une contribution technique ajoutant des éléments qui allaient au-delà du contenu de la demande telle que déposée. En particulier, la chambre a fait observer que les opposants n'avaient pas produit – et qu'elle ne constatait pas non plus – d'éléments prouvant que la limitation de l'éventail des composés couvert par la formule de la revendication 1, limitation qui résultait de l'exclusion des sept composés spécifiques définis dans le disclaimer, devenait pertinente pour établir l'activité inventive ou la suffisance de l'exposé. Par conséquent, les disclaimers remplissaient également les conditions exposées aux points 2.6 et 2.6.1 des motifs de la décision G 1/03 et au deuxième paragraphe du dispositif de la décision G 1/16. Concernant la question de la validité du droit de priorité et de la nouveauté, voir la section II.D.3.1.
3. Extension de la protection conférée
3.1 Article 123(3) CBE et article 69 CBE
(CLB, II.E.2.3.1)
Dans l'affaire T 131/15, la définition étroite de la caractéristique en cause dans la revendication 1 du brevet délivré, telle que défendue par l'opposant (à savoir l'interprétation de "direction opposée" dans un sens géométrique précis), aurait eu pour effet qu'aucun des modes de réalisation divulgués n'aurait été couvert par la revendication. Cependant, la chambre a souligné que, pour déterminer s'il est satisfait aux exigences de l'art. 123(3) CBE 1973, il ne suffit pas de considérer uniquement les revendications de manière isolée. L'approche à suivre a été exposée dans la décision G 2/88 (JO OEB 1990, 93), dans laquelle il est fait référence à cette fin à l'art. 69(1) CBE 1973 et à son protocole interprétatif. À la lumière de ces principes, la chambre est parvenue à la conclusion suivante : lorsqu'une expression figurant dans une revendication d'un brevet délivré, prise littéralement et isolément, aurait pour effet d'exclure tous les modes de réalisation divulgués de l'étendue de la protection, mais qu'il est possible de tirer du brevet lui-même une définition de cette expression en vertu de laquelle les modes de réalisation divulgués (ou au moins une partie d'entre eux) entreraient dans l'étendue de la protection conférée par la revendication, à condition que cette définition ne soit pas manifestement déraisonnable au regard du sens normal des mots utilisés dans l'expression en question, il convient normalement, au moment de juger s'il est satisfait aux exigences de l'art. 123(3) CBE, de considérer l'étendue de la protection comme comprenant au moins ce qui serait couvert par les termes de la revendication telle qu'on l'entendrait selon cette définition (à savoir que les "rayons transmis et reçus suivent en substance le même chemin, avec une légère déviation pour tenir compte de la taille physique du transmetteur et du récepteur").
3.2 Suppression des dessins
(CLB, II.E.2.4.5)
Dans l'affaire T 1360/13, la chambre a rejeté la requête principale du requérant (titulaire du brevet) au motif qu'elle ne satisfaisait pas à l'art. 123(2) CBE. La requête principale contenait les feuilles des dessins, qui faisaient partie du brevet tel que délivré. Celles-ci avaient été échangées conformément à la règle 26 PCT pendant la phase internationale (office récepteur : OEB). La question qui se posait dans la présente affaire était de savoir si la suppression des dessins et des références à ceux-ci dans la description dans plusieures requêtes subsidiaires avait pour effet d'élargir l'étendue de la protection conférée (art. 123(3) CBE). Faisant référence à la décision G 2/88 (JO OEB 1990, 93) et à l'art. 69 CBE, la chambre a retenu que même si, après lecture des seules revendications, aucune clarification ne semblait nécessaire, il ne pouvait être exclu que la description et les dessins soient nécessaires pour interpréter les revendications, c'est-à-dire pour déterminer l'étendue de la protection conférée. En principe, la terminologie utilisée dans un brevet forme une unité et dépend du domaine technique de l'invention et des préférences du rédacteur. La description et les dessins comprennent généralement des définitions explicites ou implicites des termes utilisés dans les revendications, par ex. des explications concernant les fonctions des caractéristiques revendiquées, les objectifs à atteindre par l'invention, etc. Se concentrer exclusivement sur la formulation de la revendication signifierait que, du point de vue de l'étendue de la protection, l'intégralité de la description et les dessins du brevet pourraient être supprimés, auquel cas il serait passé totalement outre aux intentions de l'inventeur. La chambre a conclu qu'au regard de l'art. 69(1) CBE, il n'est pas possible, après que le brevet a été délivré, de supprimer de celui-ci, sans enfreindre l'art. 123(3) CBE, une information figurant dans la description et/ou les dessins de ce brevet qui concerne directement une caractéristique d'une revendication et restreint potentiellement son interprétation. Dans la présente affaire, la suppression des dessins et de toute référence à ceux-ci dans la description conduisait non seulement à une généralisation de l'enseignement du brevet, mais également à une interprétation plus générale de la revendication. La chambre a établi une distinction entre l'affaire dont elle était saisie et les affaires T 2259/09 et T 236/12.
3.3 Changement de catégorie
(CLB, II.E.2.6.4)
L'affaire T 1830/14 portait sur la conversion d'une revendication de méthode d'un brevet délivré en une revendication de dispositif. La chambre a rappelé qu'une revendication portant sur un appareil offrait une protection absolue de l'appareil défini et que l'étendue de la protection conférée était donc plus large que celle définie par une revendication portant sur une méthode de production ou sur l'utilisation de ce même appareil. Dans l'affaire en question, une caractéristique avait été supprimée de la revendication d'appareil 1 selon la requête principale par rapport à l'appareil de refroidissement défini dans la revendication 1 du brevet délivré. Le requérant a fait valoir que la revendication de méthode indépendante 9 du brevet délivré définissait un appareil de refroidissement sans la caractéristique supprimée et que, par conséquent, la suppression de cette caractéristique dans la revendication d'appareil n'élargissait pas l'étendue de la protection. Cependant, faisant référence aux principes énoncés dans la décision T 82/93 (JO OEB 1996, 274), la chambre a fait observer qu'en l'espèce, deux caractéristiques définissant le fonctionnement de l'appareil de refroidissement dans la revendication 9 du brevet délivré n'étaient pas présentes dans la revendication 1 de la requête principale. La protection que la revendication 9 du brevet délivré conférait à l'appareil de refroidissement défini était limitée à l'appareil lorsqu'il transfère de la chaleur conformément aux caractéristiques manquantes, c'est-à-dire uniquement lorsqu'il est en marche. La revendication 1 en question définissait le même appareil de refroidissement que la revendication 9 du brevet délivré, mais lui conférait une protection absolue, indépendamment de la question de savoir s'il était en marche ou à l'arrêt. Il en découlait que l'étendue de la protection selon la revendication 1 était plus large que celle selon la revendication 9 du brevet délivré, et que la requête principale ne satisfaisait pas aux exigences de l'art. 123(3) CBE. La chambre a accepté la requête subsidiaire IV, étant donné que la revendication d'appareil contenait également les caractéristiques définissant le fonctionnement de l'appareil.
F. Demandes divisionnaires
1. Requête en report de la décision concernant la demande de brevet européen antérieure
(CLB, II.F.3.1.4)
Dans l'affaire T 592/15, la chambre a rejeté la requête du requérant (demandeur) visant à ce que "la demande soit maintenue en instance jusqu'au dépôt d'une demande divisionnaire". La chambre a donc compris les moyens du requérant comme étant une requête visant à ce que la chambre sursoie à statuer sur le bien-fondé du recours en question au moins jusqu'à ce que le requérant ait déposé une demande divisionnaire. La chambre a fait observer que, conformément à la jurisprudence des chambres de recours, les requêtes et les actes obligeant une chambre à examiner des questions qui ne relèvent pas du recours ne sont pas admissibles et ne peuvent pas être traités quant au fond dans le cadre de la procédure de recours concernée (T 502/02). Dans l'affaire en question, la requête visant à surseoir à statuer sur le bien-fondé du recours jusqu'au dépôt d'une demande divisionnaire aurait obligé la chambre à vérifier que le requérant dépose bel et bien une demande divisionnaire, voire, le cas échéant, à reporter la procédure orale. La chambre a souligné que la question de savoir si une demande divisionnaire a été déposée ne relevait pas de la présente procédure de recours, en particulier parce que la procédure relative à une demande divisionnaire et la procédure relative à la demande principale sont en principe indépendantes (G 4/98, JO OEB 2001, 131). Comme argument supplémentaire pour ne pas faire droit à la requête, la chambre a fait observer que le requérant aurait également la maîtrise totale de la durée de la procédure de recours, en ayant notamment la possibilité de la suspendre indéfiniment, si aucune demande divisionnaire n'est déposée.
2. Double protection par brevet
2.1 Décision de saisine
(CLB, II.F.5.)
Dans l'affaire T 318/14, la chambre a soumis à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes en application de l'art. 112(1)a) CBE :
1. Une demande de brevet européen peut-elle être rejetée au titre de l'art. 97(2) CBE si elle revendique le même objet qu'un brevet européen qui a été délivré au même demandeur et n'est pas compris dans l'état de la technique au sens de l'art. 54(2) et (3) CBE ?
2.1 S'il est répondu par l'affirmative à la première question, quelles sont les conditions d'un tel rejet et faut-il appliquer des conditions différentes suivant que la demande de brevet européen faisant l'objet de l'examen :
a) a été déposée à la même date qu'une demande de brevet européen sur la base de laquelle un brevet européen a été délivré au même demandeur,
b) a été déposée en tant que demande divisionnaire européenne (art. 76(1) CBE) relative à une telle demande, ou
c) revendique la priorité d'une telle demande (art. 88 CBE) ?
2.2 En particulier, dans ce dernier cas, un demandeur a-t-il un intérêt légitime à obtenir la délivrance d'un brevet sur la base de la demande de brevet européen (ultérieure) étant donné que la date déterminante pour calculer la durée du brevet européen en vertu de l'art. 63(1) CBE est la date de dépôt et non la date de priorité ?
2.2 Même objet revendiqué
(CLB, II.F.5.2.)
Dans l'affaire T 2563/11, les requérants avaient fait valoir que, bien que le texte des revendications indépendantes soit le même dans le brevet initial et dans la demande divisionnaire, en raison des différences entre les deux descriptions, l'étendue de la protection au sens de l'art. 69 CBE n'était pas identique, de sorte que l'interdiction de la double protection par brevet ne s'appliquait pas. La chambre a néanmoins souligné qu'en ce qui concerne l'interdiction de la double protection par brevet, il fallait tenir compte du fait que "le même objet" soit revendiqué, celui-ci étant défini par la catégorie et les caractéristiques techniques de la revendication (art. 84 CBE, règle 43(1) CBE). Pour répondre à la question de savoir si l'objet revendiqué est le même, il ne faut donc pas faire appel à la description, en particulier si les revendications en elles-mêmes sont claires et compréhensibles (cf. T 197/10). En revanche, s'il est vrai que l'étendue de la protection conférée par un brevet européen est elle aussi déterminée par les revendications du brevet, l'art. 69(1) CBE dispose que la description et les dessins servent à interpréter les revendications. Il s'ensuit donc que l'étendue de la protection conférée par le brevet peut être plus large que l'objet revendiqué. En l'espèce, la chambre n'a pas partagé l'avis du requérant selon lequel, vu les différences importantes entre les descriptions, l'objet revendiqué dans la revendication 1 de la demande divisionnaire était plus large que celui qui était revendiqué dans la demande initiale.