CHAMBRES DE RECOURS
Décision de la Grande Chambre de recours, en date du 25 novembre 2014 - G 1/13
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | W. van der Eijk |
Membres : | K. Garnett |
| A. Klein |
| R. Moufang |
| R. Murphy |
| U. Oswald |
| G. Weiss |
Titulaire du brevet/Requérant : Sasol Technology (Proprietary) Limited
Opposant/Intimé : Formalities Bureau Limited
Référence : Fischer-Tropsch Catalysts/SASOL TECHNOLOGY II
Dispositions juridiques pertinentes :
Articles 99(1), 112(1), 121 et 122 CBE
Mot-clé : "Recevabilité de la saisine (oui)" – "Société ayant fait opposition qui a cessé d'exister en vertu du droit national" – "Rétablissement rétroactif de l'existence de la société ayant fait opposition en vertu du droit national" – "Reconnaissance par l'OEB du rétablissement rétroactif de l'existence de la société ayant fait opposition en vertu du droit national (oui)" – "Poursuite de la procédure d'opposition par la société ayant fait opposition qui a été rétablie (oui)" – "Recevabilité du recours (oui)"
Sommaire :
Il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :
1. Si une opposition est formée par une société qui, par la suite, conformément à la législation nationale pertinente s'appliquant à cette société, cesse d'exister sous tous aspects, mais que l'existence de la société en question est rétablie ultérieurement au titre d'une disposition de cette législation nationale applicable, en vertu de laquelle la société est réputée avoir poursuivi son existence comme si elle n'avait pas cessé d'exister, l'ensemble de ces événements se produisant avant qu'une décision de la division d'opposition maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée passe en force de chose jugée, l'Office européen des brevets doit reconnaître l'effet rétroactif de cette disposition de la législation nationale et autoriser la poursuite de la procédure d'opposition par la société rétablie.
2. Si, dans les circonstances factuelles sous-jacentes à la question 1, un recours valable est formé dans le délai au nom de la société ayant fait opposition qui a cessé d'exister contre la décision maintenant le brevet européen sous une forme modifiée, et que l'existence de la société est rétablie, avec effet rétroactif comme décrit à la question 1, après l'expiration du délai de recours prévu par l'article 108 CBE, la chambre de recours doit considérer le recours comme recevable.
3. Il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.
Exposé des faits et conclusions
I. Par une décision intermédiaire du 21 juin 2013 concernant l'affaire T 22/09 (JO OEB 2013, 582), la chambre de recours technique 3.3.07 a soumis à la Grande Chambre de recours les questions de droit suivantes pour décision, conformément à l'article 112(1)a) CBE (ci-après dénommées "les questions soumises") :
1. Si une opposition est formée par une société qui est dissoute avant que la division d'opposition ait rendu une décision maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée, mais que cette société est ensuite réinscrite au registre des sociétés au titre d'une disposition de la législation nationale qui s'applique à cette société, en vertu de laquelle la société est réputée avoir continué à exister comme si elle n'avait pas été dissoute, l'Office européen des brevets doit-il reconnaître l'effet rétroactif de cette disposition de la législation nationale et autoriser la poursuite de la procédure d'opposition par la société réinscrite ?
2. Si un recours est formé au nom de la société dissoute contre la décision maintenant le brevet sous une forme modifiée, et que la société est réinscrite au registre des sociétés, avec effet rétroactif comme décrit à la question 1, après la formation du recours et après l'expiration du délai de recours prévu par l'article 108 CBE, la chambre de recours doit-elle considérer le recours comme recevable ?
3. S'il est répondu par la négative à l'une des questions 1 et 2, cela signifie-t-il que la décision de la division d'opposition maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée cesse automatiquement de produire ses effets, de sorte que le brevet doit être maintenu tel qu'il a été délivré ?
II. Les principales circonstances de l'affaire ayant conduit à la saisine sont les suivantes :
a) Le 2 novembre 2004, la société Formalities Bureau Ltd (ci-après dénommée "FBL"), constituée selon les lois du Royaume-Uni, a fait opposition au brevet européen n° 1058580.
b) Le 27 septembre 2005, alors que la procédure d'opposition était toujours en instance, FBL a été radiée du registre des sociétés du Royaume-Uni et, le 4 octobre 2005, elle a été "dissoute" par publication d'un avis au journal officiel "London Gazette". Elle a ainsi cessé d'exister au regard du droit du Royaume-Uni. Il a été procédé à cet acte administratif au motif que FBL n'avait pas produit les déclarations nécessaires auprès du registre des sociétés, ce qui avait conduit ce dernier à penser que FBL n'exerçait plus ses activités.
c) La procédure d'opposition engagée au nom de FBL a néanmoins été poursuivie par le mandataire agréé qui avait été chargé du dossier par FBL, à savoir M. Peter Bawden, comme si FBL existait toujours. Le 29 octobre 2008, la division d'opposition a rendu une décision intermédiaire selon laquelle le brevet et l'invention qui en faisait l'objet étaient jugés conformes aux exigences de la CBE, compte tenu des revendications modifiées qui avaient été déposées par le titulaire du brevet.
d) Le 29 décembre 2008, la société FBL, agissant là aussi par l'intermédiaire de M. Peter Bawden, a formé un recours.
e) Peu avant la procédure orale au stade du recours, dont la date avait été fixée au 6 septembre 2012, le titulaire du brevet et intimé (ci-après dénommé "le titulaire du brevet") a découvert que FBL avait cessé d'exister. Lors de la procédure orale, le titulaire du brevet a demandé, entre autres, que le recours soit déclaré irrecevable ; FBL a notamment demandé le report de la procédure. En l'espèce, la chambre de recours a ordonné la poursuite de la procédure par écrit, afin de permettre à FBL de produire des moyens concernant la recevabilité de son recours.
f) Le 26 septembre 2012, une demande a été adressée à la Haute Cour du Royaume-Uni en vue de la réinscription de FBL au registre des sociétés du Royaume-Uni. L'objectif déclaré de cette demande était de permettre à FBL de poursuivre la procédure de recours après opposition devant la chambre de recours. Le 5 décembre 2012, la Haute Cour du Royaume-Uni a ordonné la réinscription du nom de FBL au registre des sociétés. FBL a été réinscrite au registre le 8 décembre 2012, date à laquelle l'ordonnance de la Haute Cour du Royaume-Uni a été remise au registre des sociétés du Royaume-Uni. Au regard du droit du Royaume-Uni, FBL était ainsi réputée avoir continué à exister comme si elle n'avait pas été dissoute ou radiée du registre, c'est-à-dire comme si elle n'avait jamais cessé d'exister.
g) Le 13 décembre 2012, le titulaire du brevet a, entre autres, déposé une requête en "annulation" de la décision intermédiaire de la division d'opposition, au motif que la procédure d'opposition s'était éteinte lorsque FBL avait cessé d'exister. Le titulaire du brevet a demandé à titre subsidiaire que le recours formé au nom de FBL soit déclaré irrecevable.
h) La chambre de recours technique a décidé par la suite de soumettre les questions ci-dessus à la Grande Chambre de recours.
III. Décision de saisine
a) La chambre de recours technique a fait observer que la question de savoir si une personne morale telle qu'une société existe, est régie par le droit en vertu duquel elle a été créée, ce droit étant, dans le cas de FBL, celui du Royaume-Uni.
b) La chambre a également constaté que, bien que l'opposition ait été recevable lorsqu'elle a été formée, la procédure d'opposition aurait pu être clôturée à tout moment entre la date de la dissolution de FBL et la date de la décision faisant l'objet du recours, au motif que l'unique opposant avait cessé d'exister. La chambre a ajouté que, étant donné que FBL n'existait pas juridiquement lorsque le recours a été formé en son nom, ni à aucun moment au cours du délai de deux mois prévu par l'article 108 CBE pour former un recours, le recours aurait pu être rejeté comme irrecevable au titre de la règle 101(1) CBE, au motif qu'il n'était pas conforme à l'article 107 CBE. Comme elle avait cessé d'exister, la société n'aurait pas pu être une partie à la procédure, et encore moins une partie aux prétentions de laquelle la décision de la division d'opposition n'a pas fait droit.
c) La chambre a estimé que ni la CBE ni la jurisprudence des chambres de recours de l'OEB ne répondent clairement à la question de savoir s'il peut être remédié rétroactivement à ces irrégularités en vertu d'une disposition de la législation nationale qui permet de réinscrire FBL au registre et de considérer qu'elle n'a jamais été dissoute.
d) Selon la chambre, il s'agit d'une question de droit d'importance fondamentale, au sens de l'article 112(1) CBE, dans la mesure où elle concerne le système de remèdes prévu dans la CBE, l'acquisition et le maintien de la qualité de partie à une procédure devant l'OEB, ainsi que la relation entre la CBE et le droit national. Cette question doit être tranchée étant donné que la chambre n'est pas en mesure sinon de déterminer s'il existe une base adéquate pour la poursuite de la procédure d'opposition par la société réinscrite et si le recours est recevable.
e) La chambre a en outre estimé que, s'il ne peut être remédié rétroactivement à ces irrégularités par suite de la réinscription de FBL au registre des sociétés du Royaume-Uni conformément à la législation de ce pays, il convient de déterminer si cela a pour conséquence que la décision de la division d'opposition cesse automatiquement de produire ses effets et que le brevet attaqué est ainsi maintenu tel qu'il a été délivré. Cette question doit également être soumise à la Grande Chambre de recours.
IV. Dans des lettres du 5 décembre 2013 et du 5 mars 2014, le titulaire du brevet a présenté sa position concernant la saisine. FBL a fait de même dans une lettre du 31 décembre 2013.
V. Le 9 décembre 2013, en réponse à une invitation émise par la Grande Chambre de recours conformément à l'article 9 de son règlement de procédure (RPGCR), le Président de l'Office européen des brevets a présenté des observations concernant la saisine.
VI. Après avoir invité les tiers à lui adresser leurs observations conformément à l'article 10(2) RPGCR, la Grande Chambre de recours a reçu deux prises de position. La première, datée du 27 décembre 2013, a été présentée par la Fédération internationale des conseils en propriété intellectuelle (ci-après dénommée "FICPI") ; la deuxième, datée du 1er janvier 2014, a été envoyée par un mandataire agréé.
VII. Le 13 mai 2014, la Grande Chambre de recours a émis une notification attirant l'attention sur des aspects juridiques susceptibles d'être pertinents. Elle a exprimé des doutes sur le point de savoir si la saisine soulevait réellement une question de droit d'importance fondamentale et si la jurisprudence des chambres de recours ne suggérait pas déjà une solution aux problèmes de procédure qui se posaient et, partant, s'il était nécessaire de répondre aux questions soumises. Le titulaire du brevet et FBL ont répondu à cette notification, respectivement le 15 juillet 2014 et le 22 juillet 2014.
VIII. Les arguments du titulaire du brevet peuvent se résumer de la manière suivante :
La saisine concerne des questions de droit d'importance fondamentale, car elle porte a) sur la relation entre des aspects procéduraux du droit européen des brevets d'une part, et le droit national d'autre part, et b) sur un principe important selon lequel il est nécessaire de savoir à tout moment de la procédure d'opposition qui est l'opposant. Dans la présente espèce, on ne savait pas, après que FBL avait cessé d'exister, qui était l'opposant, si tant est qu'il y en ait eu un. De plus, il existe en principe un grand nombre de situations de droit différentes qui sont similaires au droit du Royaume-Uni pertinent dans la présente affaire.
La jurisprudence des chambres de recours, en particulier en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles le successeur universel d'un opposant peut poursuivre la procédure d'opposition et, plus particulièrement, eu égard à ce qui constitue un successeur universel, n'apporte pas de solution aux problèmes de procédure qui se posent ici.
La réponse aux questions soumises doit être conforme à la CBE et, dans la mesure du possible, être cohérente avec la jurisprudence des chambres de recours, qui en fait donnent toutes deux une réponse claire auxdites questions.
L'introduction d'une opposition est régie par la CBE ; une fois formée, l'opposition est "confiée" à l'OEB et elle est instruite uniquement en vertu des dispositions de la CBE. Par exemple, l'opposition ne peut pas être librement transmise et l'opposant ne peut pas disposer librement de sa qualité de partie à la procédure (G 2/04).
Si un opposant cesse d'exister, les conditions impératives qui déterminent la recevabilité de l'opposition ne sont plus remplies (T 525/94, T 353/95 et T 1178/04). Une opposition doit être recevable à tout moment au cours de la procédure et il peut être procédé à n'importe quel stade de la procédure, y compris durant le recours, à un examen, même d'office, de sa recevabilité (cf. G 3/97, G 4/97, T 289/91, T 28/93, T 522/94 et T 1178/04). Le statut d'une opposition devenue irrecevable est irréversible. L'opposition ne peut être rétablie rétroactivement, puisqu'elle relève de la compétence et du système juridictionnel de l'OEB et que la CBE ne prévoit aucun remède ni aucun moyen pour rétablir l'opposition.
S'agissant de la jurisprudence, c'est le droit procédural de la CBE, et non le droit national, qui détermine de façon autonome si une partie qui n'a plus d'existence peut rester partie à la procédure ; la qualité d'opposant est régie exclusivement par le droit procédural de la CBE (T 15/01 et T 1421/05). Concernant la procédure d'opposition, "une décision de l'OEB relative à la validité du brevet suppose que l'opposition est recevable" (voir les décisions G 3/97 et G 4/97). Une procédure d'opposition peut devenir irrecevable quand bien même elle aurait été recevable au départ. L'opposition en instance de FBL est devenue irrecevable lorsque FBL a cessé d'exister.
Selon la décision T 525/94, lorsqu'une personne morale ayant qualité de requérant n'existe plus, le recours devient irrecevable. Les décisions T 477/05 et T 480/05 ont abouti à la même conclusion. Les affaires dans lesquelles la procédure de recours a simplement été close (T 353/95, T 74/00 et T 2334/08) ne changent rien au fait que la clôture de la procédure de recours doit être fondée sur des règles juridiques claires ou sur une jurisprudence cohérente.
Si la Haute Cour du Royaume-Uni est en mesure de rétablir une société dissoute, elle ne peut en revanche faire de même pour l'opposition formée par cette société. La qualité d'opposant est un élément accessoire de FBL, mais elle ne fait pas partie intégrante de la personnalité morale de la société. L'ordonnance de la Haute Cour a ainsi rétabli la personnalité morale de FBL, mais pas les ramifications externes et les liens extrinsèques de la société, comme les caractéristiques qui ne sont que le résultat de l'introduction d'une opposition ou d'un recours. Du reste, l'ordonnance de la Haute Cour, tout en rétablissant l'existence de FBL, ne précisait pas que cela visait un objectif particulier, et elle n'abordait aucun aspect relatif à la procédure de recours ou d'opposition.
Le fait que la Haute Cour du Royaume-Uni puisse donner d'autres instructions afin que la société et toutes les autres personnes se retrouvent ("autant que faire se peut") dans la même situation que si la société n'avait pas été radiée (cf. Loi de 2006 du Royaume-Uni sur les sociétés, section 1032(3)) montre bel et bien qu'il y a certains aspects que le rétablissement rétroactif ne peut reconstituer, ainsi que le confirme la section 1034 de cette même loi, qui traite de la propriété d'une société qui cesse d'exister.
Une fois formée, l'opposition relève de la compétence de l'OEB et la Haute Cour n'entend pas régir les questions qui ne concernent pas le registre des sociétés du Royaume-Uni.
Si l'effet rétroactif du rétablissement de FBL et la recevabilité rétroactive de l'opposition et du recours étaient reconnus, FBL se verrait accorder un moyen de recours qui n'est pas prévu par la CBE. Le droit du Royaume-Uni pourrait ainsi l'emporter sur la CBE. La CBE prévoit des moyens de recours en cas de perte d'un droit (par exemple poursuite de la procédure en vertu de l'article 121 CBE ou restitutio in integrum au titre de l'article 122 CBE), mais ces moyens ne sont pas applicables dans les présentes circonstances.
L'une des idées sous-tendant la procédure à l'OEB est de garantir un degré élevé de sécurité juridique, notamment en imposant des délais dans les procédures d'opposition et de recours (G 3/97). Il serait contraire à ce principe d'accorder un nouveau moyen de recours, en particulier s'il n'est manifestement pas assorti d'un délai. Cela serait également contraire aux principes énoncés dans la décision G 1/97, qui est défavorable à l'introduction de nouveaux moyens de recours. Il en va de même pour le principe selon lequel la procédure d'opposition doit être une procédure simple et rapide (G 2/04).
En ce qui concerne le recours, l'article 107 CBE dispose que toute partie à la procédure aux prétentions de laquelle une décision n'a pas fait droit peut former un recours contre cette décision. Cependant, une partie qui n'existe plus ne peut pas introduire de recours. La règle 101(1) CBE prévoit qu'un recours non conforme aux articles 106 à 108 CBE doit être rejeté comme irrecevable. Lorsque le recours a été formé, FBL n'existait pas et ne pouvait ester (ni être poursuivie) en justice, et elle n'était donc pas partie à la procédure. Le recours est par conséquent irrecevable.
Là encore, il n'existe dans la CBE aucune disposition qui permettrait de rétablir une opposition ou un recours qui a été frappé d'irrecevabilité après que la société ayant fait opposition a cessé d'exister, de même que les chambres de recours n'ont rendu aucune décision en ce sens.
L'irrecevabilité de l'opposition et du recours découle en outre du fait que, après que FBL a cessé d'exister, le pouvoir de son mandataire s'est éteint.
La situation est en fait la même en droit allemand.
La Grande Chambre de recours devrait également se prononcer sur la question de savoir s'il existe une obligation d'informer l'OEB d'importants éléments concernant la procédure à l'OEB, et quelles seraient les conséquences d'un manquement à cette obligation. Le mandataire agréé de l'opposant devait nécessairement savoir que son client avait cessé d'exister, mais il n'en a pas informé l'OEB. Un mandataire doit agir de bonne foi à l'égard de l'OEB et des autres parties (J 16/05), et les réponses aux questions soumises devraient dès lors mettre l'accent sur ce type de cas. Si le mandataire s'était conformé à cette obligation, la division d'opposition aurait dû d'emblée déclarer que l'opposition était irrecevable.
D'autre part, si le titulaire du brevet ne s'était pas rendu compte que FBL avait cessé d'exister, il est fort probable que l'existence de FBL n'aurait jamais été rétablie, si bien que la chambre aurait rendu une décision passée en force de chose jugée qui aurait été entachée d'un vice substantiel de procédure, à savoir que l'opposition et le recours étaient irrecevables.
IX. Les arguments de FBL peuvent se résumer de la manière suivante :
Les questions soumises sont d'une importance fondamentale car elles sont susceptibles de se poser dans le cas de sociétés créées selon les lois d'un grand nombre de pays du Commonwealth. L'existence de plus de 4 000 entreprises est rétablie chaque année rien qu'au Royaume-Uni. L'interface entre le droit national et la CBE au sujet de la qualité de partie peut avoir une incidence sur les autres procédures devant l'OEB.
La jurisprudence des chambres de recours concernant la transmission de la qualité d'opposant à un successeur universel est applicable à la présente espèce et permet de traiter les questions procédurales qui se posent dans le cadre du recours.
Des personnes morales telles que des sociétés n'existent qu'en vertu du système juridique qui régit leur création et leur fonctionnement. Le statut d'une personne morale par opposition à une personne physique est déterminé par le droit national (T 353/95 et T 15/01). D'autres dispositions de la CBE reconnaissent que c'est le droit national, et non la CBE, qui régit, par exemple, le droit à l'obtention d'un brevet et les droits d'un salarié.
Il ne fait aucun doute qu'en vertu du droit du Royaume-Uni, le rétablissement de l'existence de FBL a pour conséquence que cette dernière est réputée avoir continué d'exister comme si elle n'avait pas été dissoute ou radiée du registre des sociétés du Royaume-Uni.
Le rétablissement de FBL visait uniquement à lui permettre de poursuivre la procédure de recours faisant suite à l'opposition.
L'OEB doit par conséquent admettre qu'une fois rétablie l'existence de FBL, cette dernière n'a, à aucun moment, cessé d'exister. L'OEB ne peut passer outre au droit national.
Le concept d'effet rétroactif n'est pas étranger à la CBE. La révocation d'un brevet prend effet dès l'origine. Il en va de même pour les brevets qui sont maintenus sous une forme modifiée.
S'agissant des autres aspects, l'opposant a indiqué qu'il soutenait les observations présentées par le Président de l'Office.
X. Le Président de l'Office a soumis pour l'essentiel les observations suivantes :
Une personne morale qui n'existe pas n'a pas la capacité d'ester en justice ni d'être poursuivie en justice (G 3/99) et ne peut être ou rester partie à la procédure. La situation d'une partie doit être examinée à tous les stades de la procédure.
La pratique suivie par les chambres de recours dans le cas où une société cesse d'exister varie. Ainsi, dans l'affaire T 525/94, le recours est devenu "irrecevable", et dans les affaires T 480/05 et T 353/95, la procédure de recours a été clôturée. Il n'y a pas de pratique établie en première instance.
Des personnes morales telles que des sociétés n'existent et n'ont la capacité d'agir qu'en vertu du système juridique qui régit leur création et leur fonctionnement. C'est également le droit national applicable qui détermine si une société a cessé d'exister. La CBE ne contient aucune disposition distincte régissant de telles personnes morales, qu'il s'agisse de demandeurs, de titulaires de brevets ou d'opposants, et c'est donc le droit national qui doit s'appliquer.
La question qui se pose dès lors est de savoir si des limites devraient être posées à ce principe. Pour y répondre, il convient d'envisager les différentes situations susceptibles de se présenter dans la pratique, et de déterminer de quelle manière les différents intérêts en présence pourraient être affectés si le rétablissement rétroactif d'une société était reconnu.
Il est donc nécessaire d'évaluer les conséquences que pourrait avoir la reconnaissance du rétablissement rétroactif d'une société dans différentes situations juridiques, en tenant compte également des diverses approches suivies dans d'autres systèmes juridiques nationaux. Il faut éviter que les résultats ne divergent selon les différentes législations nationales considérées. Il convient d'examiner les réponses favorables ou défavorables à la question de savoir s'il y a lieu de limiter l'application du droit national, eu égard notamment aux principes relatifs à l'acquisition et au maintien de la qualité de partie ainsi qu'au principe de sécurité juridique.
Si la division d'opposition agit sans tenir véritablement compte de la situation, le rétablissement rétroactif, à un stade ultérieur, d'une société ayant fait opposition, s'il est reconnu par l'OEB, confirmera la position sur laquelle s'étaient appuyés le titulaire du brevet, l'OEB et le public en général pour agir. La reconnaissance de l'existence rétroactive d'une société n'aura aucune incidence sur la procédure, étant donné que la perte du statut juridique sera réputée ne s'être jamais produite. La sécurité juridique sera ainsi préservée. Seul le titulaire du brevet sera lésé, à supposer qu'il avait le droit d'obtenir qu'il soit mis fin à la procédure.
Il convient d'apporter aux questions soumises des réponses qui a) ne dépendent pas des informations dont dispose la société ayant fait opposition ou son représentant, b) ne dépendent pas de la question de savoir si la procédure d'opposition aurait pu être poursuivie en vertu de la règle 84(2) CBE si la division d'opposition avait appris que l'opposant avait cessé d'exister, c) tiennent compte du fait qu'il peut y avoir d'autres opposants dans la procédure, d) tiennent compte du droit d'être entendu et de la manière dont il convient de signifier les notifications, etc., à l'opposant pendant la période où la société n'existait pas, et e) tiennent compte du fait que d'autres systèmes juridiques (par exemple en Allemagne et en Autriche) ont une approche différente vis-à-vis de ce type de situation.
S'agissant de l'éventuelle limitation du principe selon lequel l'OEB se réfère en général au droit national pour les questions relatives à l'existence ou à la non-existence d'une personne morale, il convient de noter que les articles 58 et 60(1) CBE renvoient de manière générale au droit national. Il en va de même pour les questions concernant la validité d'un instrument de transfert d'une demande de brevet européen ou d'un brevet européen (article 74 CBE ; J 16/05). En revanche, l'acquisition de la qualité de demandeur ou de titulaire d'un brevet est régie par la CBE. De manière générale, la règle 22(3) CBE empêche la reconnaissance rétroactive d'un changement de demandeur, étant donné que l'on doit savoir à tout moment qui sont les parties à la procédure, excepté dans le cas d'un successeur universel d'une partie qui a cessé d'exister.
Lorsqu'il s'agit d'examiner comment la disparition d'une société en tant que partie et sa réapparition rétroactive à un stade ultérieur seraient traitées en vertu de la CBE et dans la pratique, il est difficile de trouver des parallèles avec d'autres situations.
"Toute personne", et donc toute personne morale reconnue par le droit national, peut faire opposition (article 99 CBE). Cependant, contrairement à ce qui se passe avec un demandeur ou un titulaire de brevet, être opposant ne confère pas un titre en soi, mais seulement un statut de partie à la procédure en vertu de la CBE. Il s'ensuit que le statut d'un opposant dépend dans une plus large mesure du droit autonome de la CBE. Cela est notamment illustré par le fait que la qualité d'opposant ne peut être librement transmise (G 2/04), même si la validité d'un instrument de transfert relève du droit national. La transmission de la qualité d'opposant à un successeur universel sera reconnue par l'OEB, mais là encore, c'est le droit national qui définit ce que l'on doit entendre par successeur universel. En tout état de cause, ces principes ne permettent pas de répondre aux questions soumises : dans la présente espèce, il n'y a jamais eu d'autre opposant que FBL. Il en va de même pour les dispositions relatives à l'interruption de la procédure lorsque le demandeur ou le titulaire du brevet est dans l'incapacité d'agir (règle 142 CBE).
L'opposition est conçue comme une procédure simple et rapide ; cette procédure est donc soumise à un certain nombre de délais et de conditions strictes (G 2/04). Le rétablissement d'un opposant qui avait cessé d'exister peut certes prolonger la procédure, mais cela doit être mis en balance avec l'intérêt du public à obtenir la révocation de brevets non valables. En tout état de cause, la CBE prévoit déjà des cas dans lesquels la procédure est retardée, sans que des délais ne soient fixés (cf. par exemple la règle 142 CBE).
De façon générale, il n'existe aucune raison impérieuse, découlant de la nature de la procédure d'opposition, de ne pas reconnaître le rétablissement rétroactif de la société ayant fait opposition.
Pour autant, un opposant ne pourra pas "réapparaître" dans une procédure des années après avoir cessé d'exister. La règle 129 CBE permet en effet de sceller définitivement le sort d'une affaire lorsque la société ayant fait opposition n'a plus d'existence.
Plusieurs procédures prévues par la CBE mettent l'accent sur le fait que les parties et le public doivent pouvoir se fier aux déclarations des parties, par exemple dans le cas d'un retrait (règle 139 CBE).
Une comparaison avec des moyens de recours tels que la poursuite de la procédure et la restitutio in integrum, visés respectivement aux articles 121 et 122 CBE, ne permet pas d'apporter une réponse claire aux questions soumises.
Le fait que, pour des raisons de sécurité juridique, il ne doit jamais y avoir de doute quant à la personne qui est habilitée à exercer les droits découlant de la procédure (G 2/04) n'est pas incompatible avec la reconnaissance du rétablissement rétroactif de la société ayant fait opposition.
XI. S'agissant des observations de tiers, la FICPI a fait valoir que l'Office devrait reconnaître l'effet rétroactif en vertu du droit national. La reconnaissance de cet effet ne reviendrait pas à introduire un nouveau moyen de recours dans la CBE, mais la non-reconnaissance de cet effet reviendrait à ignorer le droit national.
XII. Les observations soumises par le mandataire agréé peuvent se résumer de la manière suivante : la division d'opposition peut poursuivre la procédure si l'opposant décède ou devient incapable, ou en cas de retrait de l'opposition (règle 84(2) CBE). Par conséquent, même après la dissolution de FBL, la procédure d'opposition aurait pu être poursuivie et la même décision être rendue. La décision a bel et bien été prise et n'est pas dès l'origine sans effet. La décision de la division d'opposition ne peut pas être annulée. Il convient par conséquent de répondre par la négative aux questions 1 et 3. S'agissant de la question 2, le recours était irrecevable au moment où il a été formé, étant donné que FBL n'existait pas. La CBE contient des dispositions qui ont trait à l'inobservation de délais, mais aucune d'elles ne s'applique aux faits de la présente espèce, si bien que la question 2 appelle également une réponse négative.
Motifs de la décision
1. Même si la nature des questions pour lesquelles la chambre à l'origine de la saisine souhaite obtenir des réponses est claire, la référence à une société "dissoute", bien que correcte selon le droit du Royaume-Uni, peut prêter à confusion, étant donné que le concept de "dissolution" d'une société a des significations différentes selon le système juridique considéré. Ainsi, en droit allemand, la dissolution ("Auflösung") d'une société ne signifie pas que la société en question cesse d'exister. Dans le contexte des questions soumises, la Grande Chambre de recours utilisera donc de manière générale les termes de société ayant "cessé d'exister". La question 1 doit en outre être reformulée de manière à clarifier à quel stade l'existence de la société est rétablie. Ces aspects sont traités dans le dispositif de la Grande Chambre de recours.
2. Question de droit d'importance fondamentale
2.1 La présente saisine est fondée sur le fait qu'une question de droit d'importance fondamentale se pose (article 112(1) CBE). Il convient de considérer une question de droit comme revêtant une importance fondamentale si son incidence va au-delà de l'affaire spécifique en instance et, par exemple, si elle est susceptible d'être pertinente dans un grand nombre d'affaires similaires et/ou si elle est importante non seulement pour les utilisateurs du système du brevet européen, mais aussi pour les chambres de recours et l'OEB lui-même (voir la décision G 1/12 du 30 avril 2014 (à paraître au JO OEB)1, points 11 et 12 des motifs).
2.2 La chambre à l'origine de la saisine a estimé qu'une question de droit d'importance fondamentale se posait dans la mesure où elle concernait le système de remèdes prévu dans la CBE, l'acquisition et le maintien de la qualité de partie à une procédure devant l'OEB, ainsi que la relation entre la CBE et la législation nationale (voir le point 9 des motifs de la décision).
2.3 Les questions soumises doivent cependant être examinées dans un contexte plus large.
2.3.1 Il convient en premier lieu de noter que la saisine concerne une société qui a cessé d'exister, et non une société soumise à une quelconque procédure de liquidation ou de redressement judiciaire (souvent pour insolvabilité) en vertu du droit national, procédure au cours de laquelle la société continue d'exister moyennant, en règle générale, une limitation de sa capacité à agir.
2.3.2 Il importe plus précisément de considérer la présente saisine dans le contexte plus large des différents systèmes de droit national qui régissent les personnes morales. Ainsi, l'affaire instruite par la chambre à l'origine de la saisine porte exclusivement sur une société qui relève du droit du Royaume-Uni. Elle concerne en particulier une société qui a cessé d'exister en tant que personne morale, mais dont l'existence a été rétablie ultérieurement par le biais d'une procédure propre à la législation du Royaume-Uni, et dont la conséquence est que la société est réputée avoir poursuivi son existence comme si elle n'avait pas cessé d'exister (Loi de 2006 du Royaume-Uni sur les sociétés, section 1028(1)). De plus, le droit du Royaume-Uni détermine expressément ce qu'il advient des actifs ou des droits que possédait la société immédiatement avant de cesser d'exister. Ainsi, l'ensemble du patrimoine et des droits quels qu'ils soient, acquis par cette société ou détenus en fiducie pour celle-ci immédiatement avant qu'elle ne cesse d'exister, sont réputés être "bona vacantia" ("biens vacants") ; ils deviennent propriété de la Couronne (à savoir Sa Majesté la Reine) et peuvent être traités en conséquence (section 654(1) de la Loi de 1985 du Royaume-Uni sur les sociétés, en vigueur à l'époque où FBL a cessé d'exister). L'idée sous-tendant la notion de "biens vacants" est qu'en vertu du droit du Royaume-Uni, ce patrimoine ou ces droits doivent toujours avoir un propriétaire, en l'occurrence la Couronne (cf. Halsbury's laws of England, 5e Édition, volume 12(1), paragraphe 231). Après avoir été rétablie, FBL a recouvré la propriété de la totalité de ce patrimoine et de ces droits (cf. Halsbury's laws of England, 5e Édition, volume 12(1), paragraphe 238).
2.3.3 Or, l'article 99(1) CBE dispose que toute personne peut faire opposition à un brevet européen. Les termes "toute personne" englobent en l'occurrence toute personne morale ou tout organisme assimilé à une personne morale en vertu du droit dont il relève (cf. la décision G 3/99 (JO OEB 2002, 347), point 9 des motifs, citant la décision T 635/88 (JO OEB 1993, 608), point 2 des motifs). Il s'ensuit que toute personne morale qui est reconnue en tant que telle en vertu d'un régime juridique quelconque dans le monde peut faire opposition, et non pas seulement les entités juridiques reconnues en vertu des droits respectifs des États parties à la CBE. La Grande Chambre de recours n'ignore pas que des dispositions équivalentes à celles, précitées, de la Loi du Royaume-Uni sur les sociétés existent dans le droit de la République d'Irlande (cf. section 311(8) de la Loi (irlandaise) sur les sociétés, 1963, telle que modifiée ultérieurement). Il en va probablement de même dans d'autres régimes juridiques qui, pour des raisons historiques, ont des similitudes avec le système du Royaume-Uni (comme FBL l'a également fait valoir).
2.3.4 En ce qui concerne les autres systèmes de droit nationaux en Europe, il semble cependant que les questions soulevées par la présente saisine ne soient pas pertinentes pour au moins deux d'entre eux. Ainsi, selon les informations dont dispose la Grande Chambre de recours, si une société établie en vertu du droit allemand est radiée du registre, elle ne cesse d'exister que si elle est également sans patrimoine ("vermögenslos"), ces deux conditions étant dénommées en allemand "Doppeltatbestand". Si cette deuxième condition n'est pas remplie, une réinscription ultérieure de la société au registre, dans le cas où il s'avère nécessaire de liquider l'entreprise ou ses activités, n'a pas d'effet rétroactif, mais a plutôt un caractère déclaratif concernant la poursuite de son existence : la société est ainsi réputée avoir toujours continué d'exister (cf. les observations du Président de l'Office, point 2.4). La Grande Chambre de recours croit comprendre également que la qualité d'opposant qui est attachée à une société, avant sa radiation du registre, dans une procédure d'opposition devant l'OEB serait assimilée à un actif à cette fin, ou à une partie de ses activités considérée comme n'ayant pas été liquidée ("Auswirkungen auf laufenden Prozesse" – cf. Hachenburg/Ulmer GmbHG, 8e édition, § 74, point 27). De plus, même si une société qui n'a pas cessé d'exister mais qui a été radiée du registre n'a pas la capacité d'agir, le pouvoir donné à un représentant pendant que la société avait toujours la capacité d'agir reste valable (cf. là encore les observations du Président de l'Office, point 2.4).
2.3.5 Pour autant que la Grande Chambre de recours puisse en juger, la situation en droit français ne semble pas non plus directement comparable à celle découlant du droit anglais. Ainsi, à la différence du droit anglais, la radiation d'une société du registre du commerce et des sociétés (RCS) n'a pas, en elle-même, d'incidence sur la disparition de la personnalité morale et donc sur sa capacité à agir en justice. En fait, la dissolution de la société n'est que la première étape sur le chemin de la perte de la personnalité morale, et donc l'inexistence de la société. La personnalité morale subsiste (pour les besoins de la liquidation) tant que le patrimoine qui lui est lié n'est pas liquidé, la disparition de toute valeur active ou passive dans le patrimoine de la société, par sa liquidation ou sa transmission, causant la fin de la personnalité morale de la société, si bien qu'elle cesse d'exister. De plus, contrairement à la radiation, la dissolution est généralement irréversible. L'existence de l'action est subordonnée à l'existence juridique de la personne qui agit ou se défend, existence qui lui confère sa capacité de jouissance du droit d'agir en justice. La personnalité morale survit pour les besoins de la liquidation mais le représentant légal ne peut être que le liquidateur. Les actes, y compris de procédure, accomplis par les ex-dirigeants sont nuls.
2.4 La Grande Chambre de recours considère néanmoins que la situation juridique sous-jacente aux questions soumises pourrait se présenter aussi dans d'autres cas. Elle tient compte du fait que l'existence réputée rétroactive d'une société pourrait poser question dans des situations autres que la présente procédure de recours faisant suite à l'opposition. C'est pourquoi elle considère que la saisine soulève une question de droit d'importance fondamentale.
3. Conformément à l'article 112(1)a) CBE, la Grande Chambre de recours ne devrait être saisie que si une décision de sa part est jugée nécessaire. Cela est le cas si la décision de la chambre à l'origine de la saisine dépend de celle de la Grande Chambre de recours. La Grande Chambre de recours admet qu'il ne peut être répondu aux questions de la saisine directement et sans ambiguïté en se référant à la CBE (cf. G 1/12, point 11 des motifs). À la lumière des moyens soumis par le titulaire du brevet, la Grande Chambre de recours convient en outre que la jurisprudence des chambres de recours ne permet pas d'apporter une réponse claire aux questions de procédure qui se posent dans la présente espèce et qu'il est donc nécessaire de répondre aux questions de la décision de saisine.
4. La saisine est donc recevable.
5. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, il ne peut être répondu aux questions de la saisine directement et sans ambiguïté en se référant aux dispositions de la CBE. La Grande Chambre de recours estime que pour y répondre, il est nécessaire d'examiner l'interaction entre le droit national et la CBE. Les facteurs suivants semblent à cet égard être pertinents :
5.1 Les personnes morales telles que les sociétés n'existent qu'en vertu du système juridique national qui régit leur création, leur existence ultérieure et leur cessation (l'expression "système juridique national" utilisée ici et par la suite englobe également le droit régional dans des affaires où interviennent des personnes morales telles que les sociétés européennes). En ce qui concerne la CBE, l'existence – ou l'inexistence – d'une personne morale est déterminée exclusivement par ce droit national (cf. par exemple la décision T 15/01 (JO OEB 2006, 153), point 9 des motifs). La personnalité juridique d'une personne morale agissant dans les procédures prévues par la CBE doit être appréciée sur la base des mêmes critères que devant les juridictions nationales, à savoir la capacité d'ester en justice ou d'être poursuivi en justice en son nom et pour son propre compte (cf. G 3/99, op. cit., point 9 des motifs).
5.2 Selon un principe généralement admis dans le droit national et dans la CBE, les personnes morales qui n'existent pas ne peuvent engager une procédure ou être partie à une procédure (cf. par exemple la décision T 353/95 du 25 juillet 2000, point 2 des motifs).
5.3 Contrairement au statut de demandeur ou de titulaire de brevet européen, la qualité d'opposant est une notion purement procédurale et son mode d'obtention relève du droit procédural régi par la CBE (cf. G 3/97, JO OEB 1999, 245, point 2.1 des motifs). Alors que la qualité d'une personne morale, en tant que telle, doit être déterminée par le droit national applicable, le droit de former une opposition, d'être partie à une procédure d'opposition devant la division d'opposition, de former un recours et d'être partie à une procédure de recours ainsi que d'obtenir une décision juridiquement contraignante sur les requêtes présentées est soumis au droit procédural de la CBE et doit être déterminé, de façon autonome, par celui-ci (cf. la décision T 15/01, op. cit., point 9 des motifs).
5.4 Les questions soulevées dans le cadre de la saisine doivent être résolues en tenant également compte d'une part des principes généraux, tels que l'égalité de traitement, la sécurité juridique et l'efficacité de la procédure, et d'autre part des intérêts des parties impliquées ainsi que du public (cf. la décision T 1091/02 (JO OEB 2005, 14), point 2.4.1 des motifs).
6. La Grande Chambre de recours considère que le point de départ du raisonnement devrait être le principe clairement établi de la CBE selon lequel il convient de se référer au droit national pour déterminer si une personne morale existe ou a cessé d'exister et si elle a la capacité à agir (cf. point 5.1 ci-dessus). À l'évidence, l'OEB devrait donc dans un premier temps suivre le droit du Royaume-Uni dans la présente espèce, du moins en ce sens qu'il devrait reconnaître que FBL a existé et avait la capacité à agir jusqu'à ce qu'elle ait cessé d'exister, et qu'il en va de même après que son existence a été rétablie.
7. La Grande Chambre de recours estime à titre provisoire que l'OEB devrait ensuite suivre le droit national également en ce qui concerne la fiction de l'existence rétroactive d'une telle personne morale. Il s'agit là d'appliquer simplement le principe général selon lequel de telles questions relèvent exclusivement du droit national.
8. Il y a bien entendu des limites à la mesure dans laquelle l'OEB devrait observer le droit national. Par exemple, l'OEB ne pourrait pas reconnaître une disposition du droit national qui impliquerait l'octroi, à une entreprise, de droits procéduraux contraires à la CBE. De tels aspects sont du ressort exclusif de l'OEB et ne peuvent être laissés au droit national. La transmission des oppositions est un exemple d'interface entre le droit national et la CBE. Si la validité d'un contrat visant à transmettre l'opposition entre parties est régie par le droit national pertinent, la qualité d'opposant en tant que partie à la procédure ne peut quant à elle être transmise librement (G 2/04, JO OEB 2005, 549).
9. La question se pose dès lors de savoir si des limites ne devraient pas être posées au respect du droit national eu égard aux circonstances de la présente saisine, par exemple en raison des conséquences négatives qui s'ensuivraient pour le titulaire du brevet, les autres parties à la procédure, l'OEB ou le public en général. Pour répondre à cette question, il faut tenir compte du fait qu'une société ayant fait opposition peut cesser d'exister, puis être rétablie à tout moment avant, pendant ou après la procédure d'opposition. La réponse ne devrait pas non plus dépendre des motifs pour lesquels la société ayant fait opposition a cessé d'exister, ou de la mesure dans laquelle ses dirigeants ou son représentant pourraient en être tenus pour responsables. Les conséquences éventuelles du comportement d'une partie ou de son représentant sur la procédure constituent un autre aspect qui n'est pas l'objet de la présente saisine (cf. point 17 ci-dessous).
10. Le titulaire du brevet, la division d'opposition et la chambre à l'origine de la saisine avaient pour leur part agi jusqu'en septembre 2012 sur la base de l'hypothèse selon laquelle FBL existait. Le fait de reconnaître l'existence rétroactive de FBL ne ferait que confirmer cette hypothèse.
11. Concernant le public, il est peu vraisemblable qu'un membre intéressé du public, après avoir constaté dans le registre des sociétés du Royaume-Uni que FBL n'existait plus, aurait, par exemple, conduit ses affaires sur la seule foi de cette information. S'il s'était intéressé à la procédure devant l'OEB, il se serait plus probablement fié aux données figurant dans le registre des brevets de l'OEB et/ou à celles contenues dans le dossier ouvert à l'inspection publique. Les informations provenant de ces différentes sources l'auraient sans doute laissé perplexe mais, selon toute vraisemblance, il n'aurait pas ignoré celles disponibles auprès de l'OEB.
12. Par ailleurs, si des mesures prises pendant la procédure d'opposition devaient être déclarées rétroactivement nulles, le cas échéant plusieurs années après l'introduction de l'opposition, les hypothèses émises jusque-là par le titulaire du brevet, l'OEB et le public se révéleraient inexactes.
13. Un autre élément à prendre en considération qui entre ici en jeu est bien entendu l'intérêt du titulaire du brevet. Il est allégué que le fait de reconnaître le rétablissement rétroactif de l'existence de FBL priverait le titulaire de son droit d'obtenir le rejet du recours et de l'opposition pour irrecevabilité. Cet argument soulève toutefois la question de savoir si celui-ci disposait d'un tel droit. Il est certain que, dans une procédure devant la division d'opposition, le titulaire d'un brevet aurait le droit de demander à ce qu'il soit mis fin à la procédure de la manière adéquate dès lors que l'inexistence de la société ayant fait l'opposition aurait été découverte. La même chose vaut pour la procédure de recours. Si la société ayant fait opposition présentait en réponse une requête en report de la procédure, afin de pouvoir déposer une demande en vue d'être rétablie, le problème auquel serait confrontée la division d'opposition ou la chambre de recours serait que la société ayant fait opposition n'existait pas à ce moment-là. De l'avis de la Grande Chambre de recours, la question de savoir si la division d'opposition ou la chambre de recours aurait ajourné la procédure, si nécessaire d'office, afin de permettre à la société ayant fait opposition d'être rétablie, relève de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation (dans la présente espèce, l'existence de FBL avait été rétablie alors que la chambre avait ordonné la poursuite de la procédure par écrit, afin de permettre à FBL de présenter ses moyens – cf. point II e) ci-dessus).
14. La Grande Chambre de recours convient que le titulaire du brevet a un intérêt légitime à obtenir qu'il soit mis fin à la procédure d'opposition, mais elle ajoute que cela ne plaide pas clairement en sa faveur au point que l'OEB ne devrait pas reconnaître, dans les présentes circonstances, le rétablissement rétroactif d'une société en vertu du droit national. Il est tout aussi important que les parties, l'OEB et le public puissent se fier aux informations publiques et que la sécurité juridique soit garantie. La Grande Chambre de recours confirme par conséquent sa conclusion provisoire (point 7 ci-dessus).
15. Cette conclusion ne semble pas s'écarter de la situation générale qui prévaut dans d'autres systèmes de droit national, compte tenu des informations dont dispose la Grande Chambre de recours et dans la mesure où ils peuvent être jugés équivalents (cf. points 2.3.4 et 2.3.5 ci-dessus).
16. S'agissant des différents arguments du titulaire du brevet :
16.1 La Grande Chambre de recours reconnaît bien entendu les principes généraux suivants : une personne morale dépourvue d'existence ne peut être ou rester partie à la procédure ; lorsqu'une opposition ou un recours est formé par une société dépourvue d'existence, l'opposition ou le recours seront en principe irrecevables ; lorsque l'unique opposant cesse d'exister, la division d'opposition peut mettre fin à la procédure ; et lorsque l'unique requérant qui était opposant cesse d'exister, il devrait être mis fin à la procédure de recours de la manière adéquate. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que ces principes puissent être appliqués dans le cas où l'existence de la société ayant fait opposition est rétablie avec effet rétroactif en vertu du droit national. En fait, c'est ce point qui est au cœur des questions soumises.
16.2 Dans les affaires citées par le titulaire du brevet à l'appui de l'argument selon lequel un recours formé par une société qui a cessé d'exister est irrecevable (T 525/94 du 17 juin 1998, T 353/95 du 25 juillet 2000, T 477/05 du 22 février 2007 et T 480/05 du 8 mars 2007), le requérant apparemment n'existait plus, si bien que la procédure de recours avait été clôturée. Toutefois, là encore, si ces affaires montrent que le recours de la société FBL aurait pu subir le même sort durant la période où elle n'existait pas, elles ne permettent pas de répondre à la question de savoir ce qui devrait advenir lorsque, conformément au droit national, un requérant/opposant est réputé avoir toujours existé.
16.3 Le titulaire du brevet s'est référé au principe selon lequel la procédure d'opposition devrait être une procédure simple et rapide (G 2/04, point 2.1.4 des motifs). Il est exact que le fait de découvrir que la société ayant fait opposition a cessé d'exister peut retarder la procédure si celle-ci est reportée afin de permettre à la société en question de présenter une demande de rétablissement. Cependant, dans la présente affaire, le rétablissement de FBL, qui a pris environ trois mois, a eu lieu en tout état de cause pendant la période où la procédure était suspendue afin que les parties puissent présenter leurs moyens. Lorsque le retard est excessif ou représente un abus, la division d'opposition et les chambres de recours disposent d'un moyen qui consiste, non pas à reporter la procédure, mais à y mettre fin.
16.4 La conclusion de la Grande Chambre de recours ne signifie pas que le droit national supplante la CBE, ou l'emporte sur elle. La CBE et le droit national (en l'occurrence celui du Royaume-Uni) ne sont pas incompatibles à cet égard.
16.5 Il est exact que la CBE prévoit plusieurs moyens de recours, tels que la poursuite de la procédure et la restitutio in integrum (visées respectivement aux articles 121 et 122 CBE), en cas de perte de droit. Le titulaire du brevet se réfère à la décision G 1/97 (JO OEB 2000, 322), point 4 des motifs, deuxième paragraphe, à l'appui de son argument selon lequel la Grande Chambre de recours devrait se montrer très réticente à étendre les moyens de recours prévus par la CBE. Cependant, il ne s'agit pas dans la présente espèce d'accorder de nouveaux moyens de recours, mais d'établir s'il convient de suivre le droit national en ce qui concerne la fiction de l'existence d'une société.
16.6 La conclusion de la Grande Chambre de recours ne signifie pas que le titulaire d'un brevet, en de telles circonstances, doive s'attendre à voir réapparaître des années plus tard un opposant qui avait cessé d'exister. Si, par exemple, une opposition a été rejetée pour irrecevabilité au motif qu'elle a été formée par un opposant qui n'existait pas, la société ayant fait opposition ne pourra pas ultérieurement nier que le dispositif lui a été signifié (et affirmer par conséquent qu'il n'est pas passé en force de chose jugée) tout en faisant valoir qu'elle est réputée avoir toujours existé (cf. également point 19 ci-dessous). La Grande Chambre de recours note également de manière incidente qu'à sa connaissance, l'existence d'une société ne peut être rétablie, conformément à la législation actuellement en vigueur au Royaume-Uni, que dans un délai de six ans à compter de la date à laquelle la société a cessé d'exister (Loi de 2006 du Royaume-Uni sur les sociétés, section 1030(4)).
16.7 Le titulaire du brevet a allégué que l'irrecevabilité de l'opposition et du recours découlait également du fait que, après que FBL avait cessé d'exister, le pouvoir de son mandataire s'était éteint. D'une part, cet argument soulève la question de l'effet rétroactif du rétablissement de la société. D'autre part, conformément à la règle 152(8) CBE, un mandataire est réputé être mandaté aussi longtemps que la cessation de son mandat n'a pas été notifiée à l'Office européen des brevets.
16.8 Contrairement aux moyens avancés par le titulaire du brevet, la Grande Chambre de recours ne voit pas en quoi le fait que l'ordonnance de la Haute Cour ne mentionne pas les motifs du rétablissement de FBL est d'une quelconque pertinence. Il en va de même pour l'argument selon lequel la Haute Cour peut donner d'autres instructions afin que la société se retrouve "autant que faire se peut" dans la même situation que si elle n'avait pas été radiée. Aucune preuve n'a été produite à l'appui de ces moyens. Selon les informations de la Grande Chambre de recours, la disposition selon laquelle l'existence d'une société est rétablie rétroactivement s'applique, en vertu du droit du Royaume-Uni, conformément aux termes exacts de son libellé (cf. la décision de la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles dans l'affaire Peaktone Ltd c. Joddrell [2012] EWCA Civ 1035).
17. L'argument du titulaire du brevet selon lequel la Grande Chambre de recours devrait également se prononcer sur la question de savoir s'il existe une obligation d'informer l'OEB d'importants éléments concernant la procédure à l'OEB, et quelles seraient les conséquences d'un manquement à cette obligation, ne fait pas l'objet des questions soumises et il n'existe aucune base factuelle pour que la Grande Chambre de recours "se prononce". La chambre à l'origine de la saisine a en effet refusé d'inclure une telle question dans la décision, déclarant (au point 11 des motifs) ce qui suit :
"L'intimé n'a pas démontré la pertinence de la question qu'il demande à la Chambre de soumettre à la Grande Chambre de recours concernant l'obligation des parties de tenir l'OEB informé de certains éléments. Il n'a pas indiqué notamment les conséquences spécifiques qui, selon lui, découleraient en l'occurrence d'un manquement à cette obligation (si l'existence de cette dernière était établie). La Chambre ne juge donc pas nécessaire de soumettre cette question à la Grande Chambre de recours."
18. Aussi la Grande Chambre de recours répond-elle par l'affirmative aux questions 1 et 2. La question 3 n'appelle donc pas de réponse. La Grande Chambre de recours a déjà fait observer que les questions soumises doivent être reformulées de manière à faire référence à une société qui a cessé d'"exister", et non à une société qui a été dissoute. De plus, la question 1 ne précise pas le stade auquel l'existence de la société est rétablie ; elle doit par conséquent être reformulée.
19. Enfin, il est nécessaire de préciser que, dans les circonstances de la présente espèce, toutes les étapes de la procédure qui ont eu lieu pendant que la société ayant fait opposition n'existait pas, doivent produire pleinement leurs effets. La société rétablie ne peut pas être mise dans une situation plus favorable que si elle avait continué d'exister pendant toute cette période.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Il est répondu comme suit aux questions soumises à la Grande Chambre de recours :
1. Si une opposition est formée par une société qui, par la suite, conformément à la législation nationale pertinente s'appliquant à cette société, cesse d'exister sous tous aspects, mais que l'existence de la société en question est rétablie ultérieurement au titre d'une disposition de cette législation nationale applicable, en vertu de laquelle la société est réputée avoir poursuivi son existence comme si elle n'avait pas cessé d'exister, l'ensemble de ces événements se produisant avant qu'une décision de la division d'opposition maintenant le brevet attaqué sous une forme modifiée passe en force de chose jugée, l'Office européen des brevets doit reconnaître l'effet rétroactif de cette disposition de la législation nationale et autoriser la poursuite de la procédure d'opposition par la société rétablie.
2. Si, dans les circonstances factuelles sous-jacentes à la question 1, un recours valable est formé dans le délai au nom de la société ayant fait opposition qui a cessé d'exister contre la décision maintenant le brevet européen sous une forme modifiée, et que l'existence de la société est rétablie, avec effet rétroactif comme décrit à la question 1, après l'expiration du délai de recours prévu par l'article 108 CBE, la chambre de recours doit considérer le recours comme recevable.
3. Il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.