EXPOSÉS PRÉSENTÉS PAR DES JUGES NATIONAUX
GB Royaume-Uni
David KITCHIN - Lord Justice, Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles, juge en matière de propriété intellectuelle - Quelques affaires récentes en matière de brevets en Angleterre et au Pays de Galles
Introduction
Ces deux dernières années en Angleterre, une jurisprudence très abondante a porté sur les litiges en matière de brevets, dont une bonne partie concerne des sujets habituels de contentieux, tandis que certains autres traitent des arguments qui n'ont jusqu'à présent guère été traités par les tribunaux. Je vais résumer toute cette jurisprudence en me concentrant sur des aspects d'un intérêt particulier. Comme nous venons de le dire, l'abondance de cette jurisprudence est telle que j'ai dû limiter mon propos à quelques décisions des cours d'appel.
Nouveauté - article 54 CBE
Je commencerai par l'affaire Gemstar v Virgin1. En première instance, le juge a révoqué un certain nombre de brevets appartenant à Gemstar pour divers motifs, y compris le défaut de nouveauté. En appel, il a été convenu, pour une conduite plus efficace de la procédure, que l'appel interjeté contre la décision de défaut de nouveauté serait examiné en premier, car si cet appel était rejeté à ce titre, il devrait en être de même de l'appel dans son ensemble. Cette procédure, qui a pour but de faire des économies de coûts, est de plus en plus adoptée.
Comme c'est souvent le cas, le problème repose sur l'interprétation correcte de l'état de la technique. Le tribunal a expliqué qu'il y a défaut de nouveauté de la revendication dans le cas où une publication antérieure donne une description ou des instructions claires de faire quelque chose qui contreviendrait à la revendication si cette chose était accomplie après la délivrance du brevet2. La divulgation antérieure doit être considérée du point de vue de l'homme du métier, à la date de cette divulgation. L'homme du métier, comme ce serait le cas d'une personne physique réelle, ne doit pas obligatoirement trouver une signification. En réalité, certains documents n'ont pas de sens clair et sont si obscurs que l'on se perd en conjectures en se disant : "je n'ai aucune idée de ce que l'auteur veut dire". L'homme du métier peut se faire cette réflexion à la lecture du document, auquel cas ce dernier n'est pas destructeur de nouveauté. On ne saurait dire que sa divulgation est "claire et non ambiguë" comme elle devrait l'être3.
Evidence - article 56 CBE
Les appels interjetés auprès de la Cour d'appel en Angleterre et au Pays de Galles se font par voie de réexamen de la décision de première instance et non par ouverture d'une nouvelle audience. Une conclusion du tribunal quant à l'évidence est une conclusion de fait, qui apparaît toutefois comme relevant d'une des catégories de décisions, comme la négligence, qui obligent le juge à prendre en compte toutes les circonstances pertinentes et à procéder à une appréciation sur la base de multiples facteurs afin d'arriver à sa conclusion. C'est avec beaucoup de réticence que les cours d'appel interviennent dans ce type de décisions, sauf dans le cas où le juge s'est trompé au niveau des principes et n'est pas simplement arrivé à une décision avec laquelle un autre juge aurait pu se déclarer en désaccord4. Les juges expérimentés siégeant dans les tribunaux de brevets connaissent les principes applicables et font donc rarement ce type d'erreur5, mais c'est précisément ce qui est arrivé dans un certain nombre de cas récents. Ces cas sont des exemples intéressants.
L'affaire Apimed v Brightwake6 avait trait à l'utilisation du miel dans les pansements médicaux. L'objet de l'invention était une composition renfermant du miel et un agent gélifiant, tel l'alginate, en quantité suffisante, pour donner à la composition la consistance d'un mastic, de telle manière qu'elle puisse être roulée en feuille pliable. L'état de la technique consistait en des pansements en gaze classique imprégnée de miel. En première instance, le juge a estimé que l'invention était évidente car elle ne consistait pas à appliquer du miel sur d'autres pansements connus comme ceux composés d'alginate. Cependant, en concluant ainsi, le juge s'est trompé car il n'a pas bien déterminé le concept inventif et la différence avec l'état de la technique – le concept inventif et la différence ne résident pas dans l'application de miel à un pansement d'alginate à la place d'un pansement avec de la gaze, mais dans l'idée d'utiliser un agent gélifiant comme l'alginate sous forme de particules pour augmenter la viscosité du miel de façon à pouvoir le rouler en une feuille ou à lui donner la forme d'un mastic, sans avoir à faire un quelconque pansement.
Dans l'affaire MMI v CellXion7, l'invention consistait en des "IMSI catchers", – des dispositifs utilisés par la police et les services de sécurité pour obtenir les numéros de téléphone portable de personnes suspectées d'être des criminels et des terroristes. Tout téléphone mobile a son IMSI, un numéro d'identité permanent. Quand un téléphone portable passe d'une zone (désignée sous le code de la zone de localisation) à une autre, il envoie un signal à la station de base la plus proche ou la plus puissante et on peut l'obliger à donner son IMSI. On sait que cela sert à de fausses stations de base. L'astuce du brevet est de faire croire au téléphone qu'il est passé dans une nouvelle zone de localisation, de le faire entrer en communication avec la fausse station de base, et d'obtenir ainsi son IMSI plus rapidement. La principale question en l'espèce était de savoir si l'idée de fournir une zone de localisation différente pour capter l'IMSI était évidente, dans la mesure où l'idée de la fausse station de base était déjà connue. Le juge a estimé que l'idée n'était pas évidente. Toutefois, en arrivant à cette conclusion, son jugement a été aveuglé par une avalanche d'autres allégations et le juge a perdu de vue que l'expert du titulaire du brevet lui-même avait reconnu lors des contre-interrogatoires que l'activité de la pièce principale de l'état de la technique de l'invention était évidente. En résumé, le juge n'a pas tenu compte de la preuve la plus importante, celle de l'expert indépendant8. Cet état de choses est en grande partie imputable au défendeur qui a formulé un trop grand nombre d'allégations.
Eléments ajoutés - article 123(2) CBE
Deux affaires récentes sont venues confirmer l'approche stricte adoptée par les tribunaux face à une objection soulevée à l'encontre de l'existence d'éléments ajoutés en vertu de l'article 123(2), bien que, chose intéressante, cette objection ait été rejetée dans les deux cas.
La première affaire, Gedeon Richter v Bayer9, concerne les formulations à libération immédiate de drospirénone (hormone stéroïdienne - DSP) et d'éthinylestradiol. Le brevet en question avait pour objet de traiter le problème de la médiocre solubilité de la DSP et le fait que les techniques utilisées pour y remédier sont susceptibles d'augmenter le risque de dégradation du produit. Selon l'argument avancé, l'invention résidait dans la découverte surprenante qu'un dosage minimum de DSP, auparavant non divulgué, était nécessaire pour une activité contraceptive fiable, qu'un dosage maximum préféré avait été déterminé et permettait d'éviter des effets secondaires non désirés, et que les deux composants devaient être formulés dans un comprimé permettant une dissolution rapide. Il a été allégué que le brevet n'était pas valable au motif qu'il étendait l'objet de la demande. En effet, la demande principale divulguait seulement une méthode par pulvérisation ou micronisation, pour ce qui était du mode de dissolution rapide, alors que le brevet enseignait que l'on pouvait utiliser n'importe quelle méthode pour obtenir une dissolution rapide.
La seconde affaire, Nokia v IPCom10, est un cas complexe dans le long différend ayant opposé Nokia et IPCom. En l'espèce, le tribunal a jugé que deux des téléphones de Nokia contrevenaient à l'un des brevets d'IPCom concernant l'accès à un canal montant du système UMTS. Nokia avait allégué qu'IPCom, ayant en vue la contrefaçon, avait rédigé une revendication portant sur une sélection des caractéristiques d'un seul mode de réalisation.
Dans les deux espèces, le tribunal a souligné que le test consiste à comparer les deux divulgations et à décider si tout élément pertinent pour l'invention est intervenu par ajout ou suppression. Le test est strict en ce sens qu'un élément est ajouté s'il n'a pas été divulgué de manière claire et non ambiguë dans la demande, expressément ou implicitement11. Le principe adopté au Royaume-Uni est donc, pour l'essentiel, identique à celui qui a été expliqué par la Grande Chambre de recours dans la décision G 2/10 du 30 août 2011.
Bien que simple à énoncer, la règle n'est souvent pas facile à appliquer. On peut dire par exemple qu'une demande divulgue des éléments de manière implicite, notamment lorsqu'on l'envisage sous l'angle des connaissances générales de l'homme du métier. Où se situe la frontière entre un élément divulgué de manière non ambiguë, bien qu'implicite, et un élément qui est tout simplement évident ? Quand est-il permis de prendre une caractéristique d'un mode particulier de réalisation et de l'isoler des autres caractéristiques auxquelles elle était associée – ce que l'on appelle la généralisation intermédiaire ? Dans quelle mesure la généralisation intermédiaire est-elle différente en principe de l'extension de la portée d'une revendication ? Toutes ces questions se sont posées dans l'affaire Nokia. Pour ce qui concerne l'extension de la portée d'une revendication, le tribunal a appliqué le test en trois parties exposé par la chambre de recours technique dans l'affaire T 331/87 Houdaille12. Il s'agit d'un cadre pratique pour analyser le problème mais, pour ma part, je considère qu'il n'y a qu'une seule question fondamentale à se poser : suite à une modification, l'homme du métier obtient-il ce faisant des informations sur l'invention que l'on ne peut pas déduire directement et de façon non ambiguë de la divulgation initiale ?
Insuffisance - article 83 CBE
Une revendication doit être exposée de manière complète. Tout ce qui est revendiqué doit être utile. Mais comment doit-on traiter la question de la suffisance de l'invention lorsque la revendication a une limitation fonctionnelle ? C'est la question qui s'est posée dans l'affaire Novartis v Johnson & Johnson13. En l'espèce, il s'agissait d'un brevet portant sur des lentilles de contact souples à usage prolongé. On savait qu'il fallait que ces verres soient perméables à l'oxygène et puissent être mouillés pour permettre le déplacement du verre sur l'œil. On savait aussi que les matériaux en silicone possèdent la première caractéristique et les hydrogels la seconde. En revanche, on ne savait pas comment combiner ces deux caractéristiques. Le brevet avait pour objet d'enseigner une solution générale, et les revendications revêtaient une très grande portée. Le brevet donnait de nombreux exemples, mais les titulaires du brevet se sont trouvés confrontés à deux publications intervenues entre-temps, qui les ont conduits à faire valoir qu'il n'avait pas été prouvé que ces exemples étaient opérants. En outre, les documents produits montraient que les revendications incluaient une série de limitations fonctionnelles si étendues qu'elles ôtaient quasiment toute signification à ces revendications. Il était donc impossible de fabriquer les lentilles selon la portée des revendications sans s'engager dans un projet de recherche14. Il n'était en outre pas possible de revendiquer seulement les lentilles qui fonctionnent afin de satisfaire à l'exigence de suffisance de l'exposé. Les revendications étaient donc insuffisantes. Il est intéressant de noter que d'autres tribunaux sont arrivés à une conclusion différente15.
Application industrielle - article 52 CBE
Quels sont les éléments requis afin de remplir la condition prévue à l'article 52, selon laquelle une demande de brevet concernant un gène doit divulguer une application industrielle ? Placer la barre trop haut risque de procurer aux titulaires de brevet un contrôle injustifié sur un domaine de recherche inexploré. Placer la barre trop bas risque de décourager l'investissement dans les sciences biologiques. La Cour suprême a eu à traiter ce problème l'an dernier dans l'affaire HGS v Eli Lilly16. C'est la première affaire au Royaume-Uni dans laquelle cette question a été examinée.
Le brevet divulguait une nouvelle cytokine appelée Neutrokine-α. Le tribunal des brevets et la Cour d'appel ont estimé que le brevet n'était pas valable car l'homme du métier n'aurait pas su, sans une recherche préalable, à quelle utilisation il pouvait être consacré. La Cour suprême a annulé ces jugements, leur préférant la décision de la chambre de recours technique. La Cour a, semble-t-il, considéré qu'il suffit que la divulgation présente un intérêt pour l'industrie pharmaceutique. D'ailleurs, Lord Hope a déclaré [155] :
"L'application industrielle qu'elle (la chambre de recours technique) avait à l'esprit est l'utilisation de la molécule pour la recherche, qu'elle a sans doute considéré comme étant en elle-même une activité industrielle".
De la même manière, Lord Hope poursuit en ces termes [157] :
"Je comprends cela comme indiquant que la chambre était convaincue que la protéine est un outil de recherche pouvant servir à mettre au point des moyens et des méthodes appropriés au diagnostic et au traitement des lymphomes à cellule B et des lymphomes à cellule T."
Il faut néanmoins noter que même à ce jour, aucune application de ce type n'a été trouvée.
En outre, il est frappant de constater combien la Cour suprême a été influencée par la décision de la chambre de recours technique dans cette affaire, à un point tel, du moins dans le cas de Lord Hope, que ce dernier a approuvé une conclusion contraire quant aux faits. Il a ainsi déclaré que [161] :
"Pour la chambre de recours technique … il n'est pas nécessaire qu'un homme du métier entreprenne une recherche pour conclure que la présence de Neutrokine-α dans les lymphomes à cellule B et les lymphomes à cellule T est susceptible d'être utilisée pour mettre au point des moyens et des méthodes appropriés à leur diagnostic et leur traitement."
C'est en totale contradiction avec la conclusion du procès en Angleterre qui avait fait l'objet d'une divulgation et de contre-interrogatoires exhaustifs.
On peut aussi se demander si les chambres de recours techniques ont réellement fixé une règle cohérente à partir de laquelle on peut extraire des principes clairs. Ainsi, Lord Neuberger a dégagé comme autres principes issus des décisions des chambre de recours techniques, les principes généraux suivants : en premier lieu, le brevet doit divulguer "une application pratique" et "une utilisation rentable" pour la substance revendiquée, de telle manière que le monopole qui en résulte devrait "[déboucher sur] un certain … bénéfice commercial". En deuxième lieu, le brevet doit procurer un "bénéfice concret", à savoir que l'utilisation de l'invention "… dans la pratique industrielle" doit "pouvoir être directement déduite de la description", en liaison avec les connaissances générales de l'homme du métier. En troisième lieu, une utilisation simplement "spéculative" ne suffit pas et une "vague indication spéculative d'objectifs possibles qui peuvent être réalisés ou non" ne convient pas. En quatrième lieu, le brevet et les connaissances générales de l'homme du métier doivent permettre à celui-ci "de reproduire" ou "d'exploiter" l'invention revendiquée au prix d'un effort raisonnable ou sans avoir à entreprendre "un programme de recherche". En cinquième lieu, le brevet, considéré à la lumière des connaissances générales de l'homme du métier, doit démontrer "une chance réelle - et non purement théorique - d'exploitation de l'invention". En sixième lieu, la simple identification de la structure d'une protéine sans attribution à celle-ci d'un "rôle clair" ou d'une utilisation pratique, ou encore sans "une mention vague et spéculative d'objectifs qui pourraient ou non être atteints" ne suffit pas.
Nombre de ces points de vue concordent avec l'approche adoptée par la Haute Cour et la Cour d'appel – sans pour autant être cohérents avec les autres principes que la Cour suprême a considérés comme déterminants. Plus généralement, la Cour suprême craint à l'évidence que la révocation de brevets ne paralyse la recherche. Toutefois, certains commentateurs se sont demandé si la Cour suprême, en annulant la décision de la Cour d'appel, a suffisamment tenu compte du point de vue opposé, à savoir que des domaines de recherche, de fait la recherche fondamentale, ne doivent pas être exclus sans bonne raison.
Contrefaçon
La jurisprudence récente précise le test à appliquer pour trancher la question de la contrefaçon indirecte au titre de l'article 60(2) de la Loi sur les brevets de 1977, qui correspond à l'article 26 de la CBC. L'affaire Grimme v Scott17 concerne un brevet portant sur une machine de tri de pommes de terre comportant nécessairement des rouleaux de caoutchouc. Le défendeur vendait des machines comportant des rouleaux en acier qui étaient toutefois conçus et commercialisés pour être remplacés par des rouleaux en caoutchouc. Le tribunal a répondu à une série de questions concernant l'interprétation des mots "fourniture … désigne les moyens relatifs à un élément essentiel de l'invention pour utiliser l'invention… lorsque le tiers sait ou lorsqu'il est évident pour une personne raisonnable, au vu des circonstances, que lesdits moyens conviennent pour utiliser l'invention et ont pour objet d'utiliser l'invention."
En résumé, (i) l'intention en question est celle du destinataire ; (ii) l'intention requise n'est pas celle de la personne à laquelle le contrefacteur présumé a directement fourni les moyens, mais l'intention du consommateur final ; (iii) l'intention à venir d'un acheteur futur est suffisante si cette intention est celle à laquelle on peut s'attendre au vu de l'ensemble des circonstances18. Les exigences de connaissance et d'intention sont remplies si, au moment de la fourniture ou de l'offre de fourniture des moyens, le fournisseur sait, ou s'il est évident pour une personne raisonnable, au vu des circonstances, que le consommateur final a l'intention d'utiliser l'invention. En l'espèce, l'exigence était remplie car le défendeur a commercialisé ses machines en se fondant sur le principe selon lequel on peut utiliser aussi bien les rouleaux en acier que les rouleaux en caoutchouc.
Création ou réparation ?
A quel moment la pose d'une pièce de remplacement équivaut à fabriquer un nouveau produit breveté et ne constitue pas une simple réparation ou remise à neuf ? Dans l'affaire Schütz v Werit19, le juge Floyd a commencé son jugement en se référant au bateau de la légende grecque où Thésée et les jeunes Athéniens reviennent de Crète. Les vieilles planches de l'embarcation ayant été remplacées par un bois solide, le bateau est-il toujours le même ? Les faits de l'espèce jugée sont tout aussi simples que la légende, si ce n'est qu'ils sont plus prosaïques. Schütz est le titulaire exclusif d'une licence pour deux brevets relatifs à un conteneur intermédiaire pour produits en vrac, à savoir une grande bouteille en plastique entourée d'une cage métallique de protection, l'invention résidant dans des caractéristiques particulières de ladite cage. Werit a envoyé ses propres bouteilles en plastique à un tiers, qui les a placées dans des cages Schütz remises à neuf. Etant poursuivi devant les tribunaux pour contribution à la contrefaçon, Schütz a fait valoir que le tiers n'avait pas fabriqué un nouveau produit breveté, mais avait remis à neuf l'ancien produit.
Le juge Floyd a jugé qu'il n'y avait pas contrefaçon. Il s'est demandé si, lorsque l'on retire la pièce remplacée, ce qui reste inclut toujours l'intégralité du concept inventif. Dans l'affirmative, la remise à neuf n'équivaudrait pas à fabriquer un nouvel article. En l'espèce, l'invention consistait dans la manière dont la cage était construite. Le fait de mettre une nouvelle bouteille dans la cage n'équivalait donc pas à fabriquer l'article breveté.
Tel ne fut pas l'avis de la Cour d'appel20. Celle-ci a en effet jugé qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer le test relatif au concept inventif, qui introduirait une incertitude. Il n'y a qu'un test, à savoir si un nouvel article a été fabriqué ou non. Dans le cas présent, l'article revendiqué a cessé d'exister au moment où la bouteille et la cage ont été séparées. Ainsi, la combinaison des deux aboutit à un nouvel article. De plus, supposons que Werit ait fabriqué une nouvelle cage enserrant une ancienne bouteille. Cela constituerait une contrefaçon alors même que l'acte physique de placer la bouteille dans la cage serait identique. S'il y a "fabrication" dans un cas, il y a aussi "fabrication" dans l'autre.
Werit est autorisé à interjeter appel auprès de la Cour suprême. Il ne fait aucun doute qu'il va chercher à fonder sa plaidoirie sur une série de décisions de la Cour suprême fédérale d'Allemagne21, comme il l'a fait devant la Haute Cour et la Cour d'appel. Cette jurisprudence confère un certain fondement à la notion selon laquelle on peut se demander si les effets techniques de l'invention sont reflétés dans les pièces remplacées. Ces décisions posent aussi une question intéressante : prenons l'exemple d'un brevet qui décrit un nouveau type de cadre de raquette de tennis et dont la revendication porte sur le cadre de raquette avec les cordes posées. Le fait de mettre de nouvelles cordes à la raquette en fait-elle une nouvelle raquette ? Le test proposé par la Cour d'appel semble indiquer que oui même si le bon sens (notion parfois dangereuse à manier) donne à penser que non.
Illégalité
Enfin, l'affaire Servier v Apotex22 porte sur la possibilité de recourir en défense, dans le cadre d'une procédure en dommages-intérêts, à l'argument d'illégalité concernant une revendication. En l'espèce, (1) Servier avait obtenu une injonction provisoire pour empêcher Apotex de vendre les produits contrefaits, (2) le brevet a été ensuite déclaré non valable et l'injonction annulée, mais (3) les marchandises qui, n'eût été l'injonction, auraient été vendues au Royaume-Uni, auraient été fabriquées au Canada en violation d'un brevet au Royaume-Uni. Servier a fait valoir qu'Apotex ne pouvait pas recouvrer des dommages-intérêts pour l'interdiction faite à Apotex de vendre un matériau puisque la fabrication dudit matériau aurait été illégale pour violation d'un brevet étranger. Le juge du fond a partagé ce point de vue.
En appel, Apotex a admis ne rien pouvoir recouvrer de ce qu'il devrait payer au titre de la contrefaçon au Canada mais a fait valoir qu'il avait droit à une compensation pour toutes les autres pertes subies. La Cour d'appel a jugé qu'à la lumière de cette admission, il y avait lieu de faire droit à cet appel. Au moment considéré, Apotex croyait (à tort comme cela s'est avéré par la suite) que le brevet canadien n'était pas valable. Sa culpabilité était donc minime. Les ventes de la marchandise au Royaume-Uni n'auraient pas été illégales selon le droit canadien ou le droit du Royaume-Uni. Le tribunal canadien n'a pas souhaité ordonner une injonction provisoire et Apotex, en admettant ne rien pouvoir recouvrer au titre de la contrefaçon au Canada, se trouve dans la position dans laquelle la société aurait été en l'absence d'injonction au Royaume-Uni.
1 [2011] EWCA Civ 302, [2011] RPC 25.
2 En application de l'affaire General Tire v Firestone Tyre and Rubber [1972] RPC 457vat 485-486.
3 Suivant un raisonnement similaire dans l'affaire Schlumberger v Electromagnetic Geoservices [2010] EWCA Civ 819, [2010] RPC 33.
4 Voir, par exemple, l'affaire Biogen v Medeva [1997] RPC 1 : "Lorsque l'application d'une norme juridique telle que la négligence ou l'évidence ne porte pas sur une question de principe mais relève simplement d'une question de degré, la cour d'appel doit être très vigilante lorsqu'elle diffère de l'appréciation du juge de première instance" – Lord Hoffmann.
5 L'affaire Gedeon Richter v Bayer Pharma [2012] EWCA Civ 235 est un bon exemple d'échec de l'appel formé contre une décision de première instance ayant conclu à l'évidence.
6 [2012] EWCA Civ 5.
7 [2012] EWCA Civ 7.
8 Mölnlycke v Procter & Gamble No 5 [1994] RPC 49. L'affaire Mölnlycke v Brightwake [2012] EWCA Civ 602 en est un autre exemple où le juge s'est lancé dans un raisonnement contraire au seul élément de preuve en l'espèce – celui de l'expert du défendeur qui avait estimé que l'étape entre l'état de la technique et l'invention était inutile.
9 [2012] EWCA Civ 235.
10 [2012] EWCA Civ 567.
11 Bonzel v Intervention [1991] RPC 533 au point 574 ; Vector v Glatt [2007] EWCA Civ 805, [2008] RPC 10.
12 Le test en trois parties ainsi exposé est très pratique : le retrait d'une caractéristique ne constitue pas un élément ajouté si l'homme du métier reconnaîtrait sans aucune ambigüité (1) que la divulgation n'a pas présenté cette caractéristique comme étant essentielle, (2) que cette caractéristique n'est pas, en tant que telle, indispensable pour le fonctionnement de l'invention à la lumière du problème technique que cette invention permet de résoudre, et (3) que le remplacement ou le retrait de cette caractéristique ne nécessite aucune réelle modification d'autres caractéristiques de l'invention pour compenser ce changement.
13 [2010] EWCA Civ 1039, [2011] ECC 10.
14 La description et les revendications divulguaient deux nouveaux paramètres : le coefficient de perméabilité des ions ionoton et le coefficient de diffusion ionoflux. Ils avaient pour objet de prévoir le mouvement de l'œil et étaient présentés comme d'autres solutions possibles, mais les documents produits à l'audience montraient que les limites revendiquées n'étaient pas corrélées entre elles, l'une étant fixée si haut que rien ne l'atteignait et l'autre étant fixée si bas que tout la dépassait.
15 Notamment le Tribunal de district de La Haye, le Tribunal de Grand Instance de Paris et le Bundespatentgericht. Devant chacun de ces tribunaux, les titulaires de brevet ont maintenu que les exemples étaient fonctionnels, mais aucun n'a bénéficié d'une procédure de contre-interrogatoires.
16 [2011] UKSC 51 ; [2012] RPC 6.
17 [2010] EWCA Civ 1110 ; [2011] FSR 7 ; une deuxième affaire : KCI v Smith & Nephew [2010] EWCA Civ 1260, [2011] FSR 8 a suivi Grimme.
18 Suite à une série de décisions de la Cour Suprême Fédérale d'Allemagne dont les plus récentes sont Deckenheizung (BGH X ZR 153/03), 13 juin 2006 ; Haubenstretchautomat (BGH X ZR 173/02) 9 janvier 2007 ; Pipettensystem (BGH X ZR 38/06) 27 février 2007.
19 [2010] EWHC 660 (Pat) ; [2010] FSR 22.
20 [2011] EWCA Civ 303 ; [2011] FSR 19.
21 Impeller Flow Meter (BGH X ZR 48/03) 4 mai 2004 ; Wheel Tread (BGH X ZR 45/05) 3 mai 2006 ; Pipettensystem (BGH X ZR 38/06) 27 juin 2007.
22 [2012] EWCA Civ 593.