Arrêt du Tribunal fédéral suisse en date du 4 mars 2011 (4A_437/2010), 1ère Cour de droit civil
Article :
Art. 2, alinéa 2, let. a de la loi suisse sur les brevets (CH-PatG) ; Art. 7d CH-PatG ; art. 52(1) CBE ; art. 52(4) CBE 1973 ; art. 53c) CBE ; art. 54(4) et (5) CBE
Mot-clé :
Posologie d'un médicament connu - Analyse des décisions de l'OEB et des juridictions nationales – Forme des revendications dites "de type suisse" – Droit uniforme – Protection de la liberté du médecin
Sommaire de la rédaction :
1. La brevetabilité n'est pas exclue du simple fait que l'unique caractéristique n'appartenant pas à l'état de la technique est une posologie d'un médicament connu. Eu égard à la brevetabilité, il est toutefois nécessaire que cette posologie soit nouvelle et repose sur une activité inventive. Il ne suffit donc pas que la définition de la posologie dans la revendication soit simplement formulée différemment, mais il faut qu'elle inclue un enseignement technique qui diffère de l'état de la technique.
2. Avec les articles 52(4) et 53c) CBE 1973, les Etats contractants ont créé des dispositions uniformes en matière de brevetabilité, alors que la question de savoir s'il y a contrefaçon d'un brevet européen relève du droit national des brevets (cf. art. 64(3) CBE). Il ne serait donc pas acceptable d'interpréter les dispositions uniformes en matière de brevetabilité, y compris les exceptions qu'elles prévoient, du point de vue du droit national ; l'absence de disposition nationale spécifique, stipulant que l'activité thérapeutique du médecin n'est pas, de manière générale, considérée comme pouvant contrefaire un brevet, ne saurait servir d'argument en faveur d'une interprétation différente de la Convention sur le brevet européen et d'une extension des exceptions à la brevetabilité en vertu des dispositions harmonisées de la CBE. S'il s'avérait nécessaire, dans ce contexte, de prendre des mesures pour protéger la liberté du médecin, il conviendrait de prévoir, par la voie législative, une exception correspondante relatives aux effets du brevet.
Exposé des faits et conclusions
Recours contre le jugement du Tribunal de commerce du canton de Zurich du 14 avril 2009.
Les faits :
A.
Le 28 mars 2007, l'Office européen des brevets a délivré... le brevet en cause EP 1 175 904, qui porte sur l'utilisation de la substance pharmaceutique "acide alendronique" pour le traitement de l'ostéoporose.
La revendication 1 du brevet en cause se lit comme suit :
"Utilisation d'alendronate dans la fabrication d'un médicament pour le traitement de l'ostéoporose chez un être humain ayant besoin d'un tel traitement, le médicament étant administré par voie orale audit être humain, en une seule dose contenant environ 70 mg de composé d'alendronate sur la base du poids en acide alendronique actif, selon un programme thérapeutique continu, à raison d'une prise par semaine."
L'acide alendronique était déjà connu auparavant comme substance pharmaceutique pour le traitement de l'ostéoporose.
B.
B.a Le 28 janvier 2008, les intimées ont introduit auprès du Tribunal de commerce du canton de Zurich une demande reconventionnelle contre la requérante visant à faire établir la nullité de la partie suisse du brevet européen n° 1 175 904 ...
Par jugement du 14 avril 2009, le Tribunal de commerce a donné une suite favorable à cette demande. Il est parvenu, pour l'essentiel, à la conclusion que la posologie revendiquée était exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 2, alinéa 2, let. a de la loi sur les brevets (PatG) et de l'article 52(4) CBE 1973.
...
C.
Par son recours en matière civile, la requérante demande au Tribunal fédéral d'annuler le jugement du Tribunal de commerce du canton de Zurich du 14 avril 2009, de débouter les intimées de leur demande du 28 janvier 2008 et, le cas échéant, de renvoyer l'affaire devant la première instance pour qu'elle y soit rejugée.
Les intimées demandent le rejet du recours ...
Il a été fait droit au recours, la décision du Tribunal de commerce du canton de Zurich a été annulée et l'affaire a été renvoyée devant la première instance pour y être réexaminée.
Extrait des motifs
1.
...
2.
La requérante reproche à la première instance d'avoir mal apprécié, du point de vue du droit des brevets, la caractéristique de la revendication consistant en une posologie.
2.1 La première instance a laissé en suspens la question de savoir si le brevet en cause remplissait les conditions d'une "invention brevetable" au sens de l'article 52 de la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973 (CBE 1973 ; ...). Notamment, elle n'a pas déterminé si la posologie revendiquée était nouvelle et reposait sur une activité inventive (art. 52(1) CBE 1973). La première instance a, au contraire, conclu que la revendication indépendante 1 du brevet en cause était d'emblée exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 52(4) CBE 1973, disposition qui prévoit que :
"(4) Ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d'application industrielle au sens du paragraphe 1, les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. Cette disposition ne s'applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d'une de ces méthodes."
2.1.1 Dans les motifs, la première instance a considéré que la revendication 1 du brevet en cause portait sur l'utilisation d'une substance connue (l'acide alendronique) dans la fabrication d'un médicament pour une indication médicale connue (le traitement de l'ostéoporose) et qu'elle ne se distinguait de l'utilisation antérieure que par la posologie (dose de 70 mg à prendre une fois par semaine). De l'avis de la première instance, il y avait donc lieu de décider si le brevet en cause concernait une deuxième application médicale autorisée (revendication dite "de type suisse" ou "de forme suisse") ou d'une méthode thérapeutique exclue de la brevetabilité en vertu de l'article 2, alinéa 2, let. a PatG (non modifié lors de la révision du 22 juin 2007) ou de l'article 53c) de la Convention sur le brevet européen du 5 octobre 1973, révisée à Munich le 29 novembre 2000 (CBE 2000). Le contenu de l'article 53c) CBE 2000 correspond à l'article 52(4) CBE 1973.
...
2.2
2.2.1 Avec la CBE 1973 et les modifications qui y ont été apportées dans la CBE 2000, c'est un droit commun aux Etats contractants qui a été institué en matière de délivrance de brevets d'invention (cf. art. premier CBE 1973 / CBE 2000). Les articles 52 et suivants constituent pour les brevets européens délivrés en vertu de cette Convention des dispositions uniformes, relatives aux conditions matérielles de la brevetabilité. Certes, la Convention ne contient aucune disposition selon laquelle les juridictions des Etats contractants seraient liées par les décisions des organes de l'Office européen des brevets. Toutefois, compte tenu du but poursuivi par la Convention, qui est l'harmonisation du droit, il convient de prendre en considération la jurisprudence des chambres de recours de l'Office européen des brevets (BGE 133 III 229 E. 3, p. 231 s.), ce que, au demeurant, les parties ne remettent pas en question. Le cas échéant, il y a lieu de tenir compte également, pour l'interprétation des dispositions, des décisions pertinentes des tribunaux étrangers, les arrêts des juridictions suprêmes revêtant une importance particulière, tandis que les décisions des instances inférieures peuvent être aussi dignes d'intérêt dans la mesure où elles sont motivées de façon convaincante (cf. BGE 121 III 336 E. 5c, p. 338 ; 117 II 480 E. 2b, p. 486 s. ; concernant la coopération judiciaire dans le domaine du droit des brevets, cf. Stefan Luginbühl, Die neuen Wege zur einheitlichen Auslegung des Europäischen Patentrechts, GRUR 2/2010 p. 99 s.).
2.2.2 Entre-temps, la Grande Chambre de recours de l'Office européen des brevets a répondu aux questions sur la brevetabilité dont elle avait été saisie à propos des posologies, et qui avaient été déjà évoquées par la première instance. Dans sa décision G 2/08 du 19 février 2010 (JO OEB 10/2010, 456 s.), la Grande Chambre de recours a déclaré que l'article 54(5) CBE 2000 n'excluait pas qu'un médicament connu pour le traitement d'une maladie soit breveté pour son utilisation dans un traitement thérapeutique différent de la même maladie (question 1) et que la délivrance d'un brevet ne devait pas non plus être exclue lorsque l'unique caractéristique revendiquée, qui n'était pas comprise dans l'état de la technique, était une posologie (question 2). Enfin, la Grande Chambre de recours a soutenu que, lorsque l'objet d'une revendication devient nouveau par le seul fait d'une nouvelle utilisation thérapeutique d'un médicament, ladite revendication ne pouvait plus prendre la forme d'une revendication dite "de type suisse", telle qu'instituée par la décision G 1/831 (question 3).
La requérante défend le point de vue selon lequel la décision G 2/08 – que la première instance n'avait pas attendue – contribuait à clarifier la situation également dans la présente affaire, d'autant plus qu'il n'y avait apparemment aucune raison de s'écarter de la jurisprudence développée à partir de la décision T 1020/03 du 29 octobre 2004 (JO OEB 4/2007, 204 s.) à propos de la CBE 1973, qui avait maintenant été confirmée au sujet de la CBE 2000. A l'inverse, les intimées sont d'avis que la Grande Chambre de recours a fondé sa décision exclusivement sur la base de la version révisée de l'article 54(5) CBE 2000, qui n'est pas applicable pas au brevet en cause. La décision G 2/08 n'est donc pas pertinente pour la présente affaire.
2.2.3 Comme les intimées l'ont relevé à juste titre, la CBE 2000 n'est entrée en vigueur que le 13 décembre 2007. En vertu de l'article premier, point 1 de la décision du Conseil d'administration de l'OEB du 28 juin 2001, relatif aux dispositions transitoires de l'article 7(1), 2e phrase de l'acte de révision de la CBE 1973, les articles 52, 53, 54(3) et (4) CBE 2000, entre autres, sont applicables également aux brevets européens déjà délivrés à la date de leur entrée en vigueur, pour ce qui est de la question de la brevetabilité. Par contre, en vertu de l'article premier, point 3 de ladite décision, l'article 54(5) CBE 2000 n'est applicable aux demandes de brevet européen en instance à la date de son entrée en vigueur que si une décision au sujet de la délivrance du brevet n'a pas encore été prise.
Le brevet en cause a été délivré le 28 mars 2007. Il s'ensuit que la question de la brevetabilité soulevée en l'espèce doit être appréciée sur la base de l'article 53c) et de l'article 54(4) CBE 2000, alors que l'article 54(5) CBE 2000 ne s'applique pas au brevet en cause, puisque celui-ci était déjà délivré à la date du 13 décembre 2007.
...
2.2.4 La Grande Chambre de recours avait déjà énoncé, au sujet de l'article 52(4) CBE 1973, que l'exclusion de la brevetabilité des méthodes mentionnées dans cette disposition s'appuyait plutôt sur des considérations socio-éthiques et relatives à la santé publique, même si, à l'époque, le législateur avait choisi la fiction légale du défaut d'application industrielle. Les praticiens en médecine humaine et vétérinaire devaient en effet être libres de prendre toutes les mesures jugées appropriées pour prévenir ou traiter une maladie, sans être entravés par l'existence de brevets. La raison pour laquelle les anciennes dispositions de l'article 52(4) CBE 1973 ont été transposées dans le nouvel article 53c) CBE 2000 était donc qu'il ne semblait plus justifié de fonder l'exclusion de ces méthodes sur le défaut d'application industrielle (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit. 474 s., points 5.3-5.5 ; décision G 1/04 du 16 décembre 2005, JO OEB 5/2006, 347, point 3, 359, point 10 ; voir aussi la décision G 1/83 du 5 décembre 1984, JO OEB 3/1985, 63, point 22). La révision du texte de l'article 53c) CBE 2000 est d'ordre purement rédactionnel et ne vise pas à modifier sur le fond la situation juridique préexistante (voir les explications relatives aux dispositions transitoires du texte révisé de la CBE 2000, JO OEB 2001, édition spéciale n° 4, p. 135, point 6 ; concernant l'arrière-plan de la révision, voir la décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 475 s. point 5.5). De même, le texte révisé de l'article 54(4) CBE 2000 n'a entraîné, par rapport à l'article 54(5) CBE 1973, aucune modification sur le fond de la situation juridique préexistante (voir les explications relatives aux dispositions transitoires du texte révisé de la CBE 2000, loc. cit., 135, points 6 et 8 ; décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 477 s., point 5.8).
Il s'ensuit, d'une part, que les décisions des chambres de recours de l'OEB rendues en vertu de la CBE 1973 restent pertinentes et que, d'autre part, contrairement à l'avis des intimées, il n'est pas exact d'affirmer que la décision G 2/08 de la Grande Chambre de recours n'est pas pertinente pour la présente procédure, d'autant plus que celle-ci se penche non seulement sur les articles 53c) et 54(4) CBE 2000 mais aussi sur la jurisprudence relative aux articles 52(4) et 54(5) CBE 1973.
2.2.5 L'article 53c) CBE 2000 opère une distinction – comme précédemment l'article 52(4) CBE 1973 – entre les revendications portant sur des méthodes de traitement thérapeutique, qui ne sont pas admissibles (1ère phrase), et celles portant sur des produits utilisés pour la mise en œuvre de telles méthodes, qui sont quant à elles admissibles (2e phrase). Chacun des deux concepts, celui de "méthodes de traitement thérapeutique" d'une part, et celui de "produits utilisés pour la mise en œuvre de telles méthodes" d'autre part, doit être appliqué au domaine respectif qui lui est juridiquement réservé. Il ne serait pas approprié de considérer l'article 53c), 2e phrase CBE 2000, par rapport à la 1ère phrase, comme une lex specialis devant être interprétée de manière restrictive. Les deux dispositions revêtent au contraire la même importance ; c'est pourquoi les revendications portant sur des méthodes de traitement thérapeutique sont totalement exclues, alors que celles qui portent sur des produits utilisés pour la mise en œuvre de telles méthodes sont admissibles, pour autant que leur objet soit nouveau et inventif (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 477, point 5.7). Il s'ensuit que les articles 53c), 2e phrase, et 54(4) CBE 2000 ne sont pas des exceptions, relevant d'une interprétation restrictive, à l'exclusion absolue des méthodes de traitement thérapeutique (art. 53c), 1ère phrase, CBE 2000), mais des dispositions de même rang visant à autoriser en principe la protection par brevet pour les médicaments. Ainsi, l'exception à la brevetabilité, en vertu de l'article 53c), 1ère phrase, CBE 2000, selon laquelle les méthodes de traitement thérapeutique sont exclues de la brevetabilité, doit être interprétée conjointement avec les dispositions (de même rang) des articles 53c), 2e phrase, et 54(4) CBE 2000, dispositions qui ne s'excluent pas mutuellement, mais qui sont, au contraire, complémentaires (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 480, point 5.9.1.2 et 486, point 5.10.9).
2.2.6 En vertu de l'article 54(4) CBE 2000 (comme cela était déjà le cas en vertu de l'article 54(5) CBE 1973), des substances ou compositions qui appartiennent à l'état de la technique ne sont pas exclues de la brevetabilité dans la mesure où elles sont destinées à être utilisées dans une méthode citée à l'article 53c) CBE 2000 et où leur utilisation dans l'une de ces méthodes n'appartient pas à l'état de la technique. Un produit pour la mise en œuvre d'une méthode de traitement thérapeutique peut donc faire l'objet d'une protection par brevet pas seulement lorsqu'il est nouveau en tant que tel et qu'il peut donner lieu à une revendication de produit. Il est également brevetable en tant que substance ou composition en vertu de l'article 54(4) CBE 2000, même s'il est connu en tant que tel, dans la mesure où il n'a pas encore été utilisé dans une méthode de traitement thérapeutique. Cette première indication médicale fait normalement l'objet de revendications générales de vaste portée, ayant la forme de revendications de produit limitées à une application spécifique (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 477 s. point 5.8 ; cf. Christoph Bertschinger, Patentfähige Erfindung, dans : Schweizerisches und europäisches Patentrecht, 2002, § 4, numéro de marge 71).
2.2.7 Sous le régime de la CBE 1973, il n'existait pas encore de disposition comparable à l'article 54(5) CBE 2000, qui aurait prévu expressément de protéger par brevet les produits (substances ou compositions) déjà connus comme médicaments. Ce vide juridique avait toutefois été comblé par la voie prétorienne, à savoir par la Grande Chambre de recours avec la décision G 1/83 (du 5 décembre 1984, loc. cit., 60 s.) et la jurisprudence fondée sur celle-ci (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 478, point 5.9). Il s'ensuit que des revendications de brevet rédigées sous la forme dite de type suisse peuvent être admises pour une deuxième indication médicale ou une application médicale ultérieure ; elles doivent avoir pour objet l'application d'une substance ou d'une composition pour obtenir un médicament destiné à une "utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et comportant un caractère inventif" (décision G 1/83 du 5 décembre 1984, loc. cit., 63, point 23, et point 2 du dispositif ; voir aussi à ce sujet Bertschinger, loc. cit. § 4, numéro de marge 72). Ceci s'applique même lorsque le procédé de préparation en tant que tel ne se distingue pas d'un procédé connu mettant en œuvre la même substance active, c'est-à-dire lorsque le médicament résultant de l'application revendiquée ne diffère en rien d'un médicament connu (décision G 1/83 du 5 décembre 1984, loc. cit., 63 points 20, 23).
Le Tribunal ne saurait suivre les intimées lorsqu'elles soutiennent que la caractéristique contenue dans la revendication 1 "lors de la préparation d'un médicament" est sans importance, d'autant moins que cette forme de revendication, en Suisse, est même ancrée dans la loi avec l'article 7d PatG (voir aussi Peter Heinrich, commentaire PatG/EPÜ, 2e éd. 2010, n° 1 concernant l'art. 7d PatG). De plus, la décision de la Grande Chambre de recours de ne plus admettre à l'avenir de revendications formulées sous la forme dite "de type suisse" est motivée par la création, avec l'article 54(5) CBE 2000, de la nouvelle catégorie de revendications de produit limitées à une application spécifique et ne concerne pas les brevets déjà délivrés (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 491 s., point 7).
Dans ces cas-là, la nouveauté requise pour la brevetabilité et donc aussi, le cas échéant, l'activité inventive (cf. art. 52(1) CBE 2000) ne découlent pas de la substance ou composition en tant que telle, mais de l'application thérapeutique envisagée.
2.2.8 En raison de la jurisprudence concernant l'article 54(5) CBE 1973 (voir à présent l'article 54(4) CBE 2000), dont la décision G 1/83 de la Grande Chambre de recours a été le point de départ et qui s'est développée depuis, une protection par brevet sous la forme de "revendications de type suisse" peut également être accordée pour une utilisation thérapeutique constituant une nouvelle indication médicale, dans la mesure où la revendication porte sur l'utilisation d'une substance ou composition pour obtenir un médicament. L'article 52(4), 1ère phrase CBE 1973 (aujourd'hui l'article 53c), 1ère phrase CBE 2000) ne s'oppose pas à l'admissibilité d'une telle revendication ; au contraire, ce sont précisément les articles 52(4), 2e phrase CBE 1973 (art. 53c), 2e phrase CBE 2000) et 54(5) CBE 1973 (art. 54(4) CBE 2000), ou leur application par analogie, qui rendent possible la protection par brevet des médicaments (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 486 s., point 5.10.9 ; décision G 1/83 du 5 décembre 1984, loc. cit., 62 s., points 21 s. ; voir aussi les commentaires de Mario M. Pedrazzini/Christian Hilti, Europäisches und schweizerisches Patent- und Patentprozessrecht, 3e éd. 2008, p. 129, selon lesquels l'article 53c) CBE 2000 ou l'article 2, alinéa 2, let. a PatG ne s'opposent pas à la délivrance d'un brevet lorsqu'une méthode de traitement est exprimée par une revendication de produit ou d'utilisation).
En outre, il convient d'admettre, avec la Grande Chambre de recours, que la législation décrite ne se limite pas à une nouvelle indication au sens d'une nouvelle maladie, mais s'applique même si l'utilisation d'un médicament connu vise le traitement d'une maladie qui a déjà été traitée avec cette composition, dans la mesure où ce traitement est nouveau et inventif. Ceci correspondait déjà sous le régime de la CBE 1973 à une jurisprudence constante des chambres de recours de l'OEB, notamment dans les cas concernant un nouveau groupe de sujets traités (T 19/86 du 15 octobre 1987, JO OEB 1-2/1989, 28, point 8 ; T 893/90 du 22 uillet 1993, points 4.1/4.2 ; T 233/96 du 4 mai 2000, point 8.7), un nouveau mode d'administration (T 51/93 du 8 juin 1994, point 3.1.2 ; T 138/95 du 12 octobre 1999, points 4 s. ; voir aussi T 120/03 du 29 octobre 2004, point 51) ou un autre effet technique (T 290/86 du 13 novembre 1990, JO OEB 8/1992, 425, point 6.1 ; T 54/93 du 14 mai 1997, JO OEB 6/1998, 291, point 3) (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 485 s., points 5.10.5-7, avec d'autres références ; Benkard/Klaus-Jürgen Melullis, dans : Europäisches Patentübereinkommen, 2002, n° 231 s. concernant l'art. 54 CBE 1973 ; voir aussi Bertschinger, loc. cit. § 4, n° de marge 87 s. ; Heinrich, loc. cit., n° 55 concernant l'art. 2 PatG / art. 53 CBE 2000). Il n'y a aucune raison pour le Tribunal fédéral de s'écarter de ces principes.
2.2.9 Il s'ensuit que des revendications portant sur une deuxième indication médicale ou une indication médicale ultérieure sont admissibles, en application de l'article 54(5) CBE 1973 (aujourd'hui l'article 54(4) CBE 2000), dans la mesure où elles portent sur l'utilisation d'une substance ou composition pour obtenir un médicament destiné à une utilisation thérapeutique déterminée nouvelle et inventive. D'après la jurisprudence de l'OEB, non critiquée par la doctrine, cette utilisation ne doit pas nécessairement concerner une autre maladie, mais il suffit qu'elle vise, par exemple, un nouveau groupe de sujets traités ou un nouveau mode d'administration (voir par ex. Benkard/Melullis, loc. cit., n° 231 s. concernant l'art. 54 CBE 1973 ; Heinrich, loc. cit., n° 55 concernant l'art. 2 PatG/art. 53 CBE 2000, n° 7 concernant l'art. 7d PatG/Art. 54 CBE 2000 ; Reinhard Spangenberg, dans : Margarete Singer/Dieter Stauder [éditeurs], Europäisches Patentübereinkommen, 5e éd. 2010, n° 94 s. concernant l'art. 54 CBE 2000 ; Rainer Moufang, dans : Rainer Schulte [éditeur], Patentgesetz mit EPÜ, 8e éd. 2008, n° 270 concernant l'art. 52 CBE 2000). Il n'y a donc apparemment aucune raison de traiter une posologie soi-disant nouvelle ou une posologie déterminée pour un médicament connu autrement que ces caractéristiques reconnues. La brevetabilité n'est donc pas exclue du simple fait que l'unique caractéristique n'appartenant pas à l'état de la technique est une posologie.
Eu égard à la brevetabilité, il est toutefois nécessaire que cette posologie soit nouvelle et repose sur une activité inventive (art. 52(1) CBE 2000). Il ne suffit donc pas que la définition de la posologie dans la revendication soit simplement formulée différemment, mais il faut qu'elle inclue un enseignement technique qui diffère de l'état de la technique. Il convient ici de souligner que la posologie sera, dans la plupart des cas, évidente, d'autant plus qu'il va de soi, lorsqu'on développe des médicaments, de tester différents dosages.
2.2.10 La Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles, dans un arrêt du 21 mai 2008 (concernant l'affaire Actavis vs. Merck ([2008] EWCA Civ 444 ; voir à ce sujet Thierry Calame : Court of Appeal stellt gefestigte EPA-Praxis über eigenes Präjudiz: Patentschutz für zweite medizinische Indikation aufgrund neuen Dosierungsregimes bejaht, in sic ! 12/2008, p. 925 s.) est parvenue à la même conclusion que le Tribunal fédéral en ce qui concerne l'appréciation des posologies en droit des brevets. Cette décision – rendue avant la décision G 2/08 de la Grande Chambre de recours de l'OEB – a bien été prise en considération par la première instance, mais a été considérée à tort comme non pertinente, au motif que la caractéristique relative à l'intervalle des prises n'apparaissait pas dans cette décision, alors qu'elle était d'importance décisive dans l'affaire à juger. La première instance méconnaît ainsi que la Cour d'appel, dans la décision citée, encore sous le régime de la CBE 1973, a radicalement modifié sa jurisprudence antérieure relative aux posologies, après avoir analysé de manière approfondie la jurisprudence européenne, et admet à présent la protection par brevet d'une deuxième indication médicale en raison d'une nouvelle posologie. Elle a notamment rejeté le précédent que constituait la décision Bristol-Myers Squibb vs. Baker Norton, auquel aussi bien la Haute Cour que la Cour d'appel s'estimaient liées dans les arrêts cités par la première instance, à propos du brevet initial dont était issu le brevet en cause. L'importance de cette modification de la pratique est soulignée par le fait que la Cour d'appel, dans cet arrêt, a établi une nouvelle exception eu égard au caractère contraignant de ses propres décisions. Il s'ensuit que les deux décisions anglaises prises en considération par la première instance ne sont pas pertinentes en l'espèce, tandis que la jurisprudence la plus récente suit clairement celle des chambres de recours de l'OEB.
En revanche, le jugement divergent 07/16296 du Tribunal de grande instance de Paris du 28 septembre 2010 mentionne certes la décision G 2/08 de la Grande Chambre de recours, mais ne l'analyse pas, estimant que les décisions des chambres de recours de l'OEB n'ont aucun effet contraignant. Le jugement de ce tribunal de première instance, ainsi que l'arrêt Carvedilol II (X ZR 236/01) du Bundesgerichtshof du 19 décembre 2006, cité par la première instance, qui, à propos de l'appréciation des posologies, ne se penche pas sur la jurisprudence européenne relative au traitement des "revendications de type suisse", sont donc d'un intérêt limité pour la présente affaire.
2.2.11 Contrairement à l'opinion des intimées, il n'est pas décisif que la décision fondamentale G 2/08 de la Grande Chambre de recours de l'OEB concerne en définitive le nouvel article 54(5) CBE 2000, qui n'est pas applicable au brevet en cause. Pour interpréter cette disposition, la Grande Chambre de recours s'est appuyée de façon déterminante sur la compréhension antérieure des articles 52(4) et 54(5) CBE 1973 et a expliqué dans le détail que les principes régissant la brevetabilité, élaborés par la jurisprudence, restent valables après l'introduction de l'article 54(5) CBE 2000, étant donné que le législateur n'a pas voulu de changement à cet égard (décision G 2/08 du 19 février 2010, loc. cit., 478 s., points 5.9 s., voir notamment p. 480, point 5.9.12, p. 486, point 5.10.8 ; voir aussi André Escher, Der Entscheid "dosage regime", sic ! 7-8/2010 p. 549 s.). ... La récente jurisprudence de l'OEB présente donc aussi un intérêt pour les situations juridiques qui relèvent de la CBE 1973.
2.2.12 Il convient néanmoins de faire remarquer qu'il y aura, sous le régime du texte révisé de la CBE 2000, des différences en ce qui concerne l'étendue de la protection. En vertu de l'article 54(5) CBE 2000, des revendications de produit limitées à une application spécifique, qui portent sur la substance elle-même, pourront à présent être admises, alors que sous le régime de la CBE 1973 seules les revendications "de type suisse" étaient autorisées, c'est-à-dire celles qui portaient sur l'utilisation d'une substance pour obtenir un médicament destiné à une application thérapeutique. Il faut s'attendre à ce qu'il résulte de cette nouvelle catégorie de revendications, qui vise la protection d'un produit limitée à une application spécifique en vertu de l'article 54(5) CBE 2000, des droits plus étendus qu'auparavant pour les titulaires de brevet, ce qui, de l'avis de la Grande Chambre de recours, pourrait conduire à limiter la possibilité pour les médecins de prescrire ou d'administrer librement des médicaments génériques (décision G 2/08 du 19 février 2010, cit. loc., 490, point 6.5).
En définitive, c'est la crainte que des médecins soient exposés à la menace d'actions en contrefaçon, d'autant plus qu'il n'existe pas de disposition spéciale qui les protégerait de telles actions, qui a été déterminante pour la décision contestée de la première instance d'exclure de la brevetabilité la revendication 1 du brevet en cause. En même temps, il convient de tenir compte du fait que la revendication faisant ici l'objet du débat est rédigée sous la forme dite de type suisse ; elle porte sur l'utilisation de l'alendronate pour obtenir un médicament, de sorte que la question d'une possible contrefaçon du brevet ne se pose pas dans les mêmes termes que dans le cas d'une plus large étendue de la protection – à laquelle s'attend la Grande Chambre de recours – conférée par des revendications de produit limitées à une application spécifique, qui sont désormais admissibles en vertu de l'article 54(5) CBE 2000. Il importe toutefois de prendre en considération le fait que les Etats contractants ont créé, avec les articles 52(4) CBE 1973 et 53c) CBE 2000, des dispositions uniformes en matière de brevetabilité, alors que la question de savoir s'il y a contrefaçon d'un brevet européen relève du droit national des brevets (cf. art. 64(3) CBE 1973/CBE 2000). Il ne serait donc pas acceptable d'interpréter les dispositions uniformes en matière de brevetabilité, y compris les exceptions qu'elles prévoient, du point de vue du droit national, avec à l'arrière-plan l'absence de règles nationales disposant que certains actes – considérés comme méritant une protection légale particulière – sont exemptés des effets du brevet (cf. art. 9 PatG). Il semblerait donc indiqué d'attirer l'attention du législateur suisse sur cette problématique. Toutefois, l'absence de disposition nationale spécifique, stipulant que l'activité thérapeutique du médecin n'est pas, de manière générale, considérée comme pouvant contrefaire un brevet, ne saurait servir d'argument en faveur d'une interprétation différente de la Convention sur le brevet européen et d'une extension des exceptions à la brevetabilité régies par les dispositions harmonisées de la CBE.
3.
C'est à tort que la première instance a considéré qu'une nouvelle posologie est en règle générale non brevetable. Elle a jugé à tort que la revendication 1 du brevet en cause tombait sous le coup de l'exception à la brevetabilité prévue par l'article 52(4) CBE 1973 ou 53c) CBE 2000.
...
CH 1/11
1 Version française : cf. G 6/83, JO OEB 1985, 67.