CHAMBRES DE RECOURS
Décisions de la Grande Chambre de recours
Décision de la Grande Chambre de recours, en date du 30 novembre 1994 - G 10/93
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | P. Gori |
Membres : | G. Gall |
C. Andries | |
G. D. Paterson | |
C. Payraudeau | |
E. Persson | |
P. van den Berg |
Demandeur : Siemens Aktiengesellschaft
Référence : Portée de l'examen lors d'une procédure ex parte de recours/SIEMENS
Article : 96(2), 97(1), 110, 111(1), 114(1) CBE
Mot-clé : "Invocation de nouveaux motifs lors d'une procédure ex parte" - "Reformatio in peius"
Sommaire
Dans une procédure de recours contre une décision d'une division d'examen rejetant une demande de brevet européen, la chambre de recours a le pouvoir d'examiner si la demande de brevet et l'invention sur laquelle elle porte satisfont aux conditions de la CBE. Il en est de même pour les conditions que la division d'examen n'a pas prises en considération ou qu'elle a considérées comme remplies. Si la chambre a des raisons de penser que de telles conditions de brevetabilité pourraient ne pas être remplies, elle les introduit dans la procédure.
Rappel de la procédure
I. Dans sa décision T 933/92, rendue le 6 décembre 1993 (JO OEB 1994, 740), la chambre de recours 3.4.1 a soumis d'office, conformément à l'article 112(1)a) CBE, les questions suivantes à la Grande Chambre de recours :
1. Dans une procédure de recours contre une décision d'une division d'examen rejetant une demande de brevet européen au motif qu'il n'est pas satisfait à une ou plusieurs exigences expresses de la CBE, la chambre de recours a-t-elle l'obligation ou le pouvoir, lors de l'examen du recours conformément à l'article 110 CBE, d'examiner si la demande de brevet satisfait également aux conditions de la CBE que la division d'examen a par ailleurs considérées comme remplies lors de la procédure d'examen et qu'elle n'a donc pas invoquées comme motifs de rejet de la demande dans sa décision ?
2. Si une chambre n'est pas tenue par une telle obligation, mais qu'un tel pouvoir lui est reconnu, dans quelles conditions devrait-elle faire usage de ce pouvoir ?
II. Ces questions se sont posées dans le cadre d'une procédure de recours engagée à l'encontre d'une décision rendue par une division d'examen, rejetant la demande de brevet européen au motif que la nouvelle version des revendications présentée lors de la procédure d'examen ne respectait pas les dispositions de l'article 123(2) CBE.
III. Dans la décision de saisine, il est fait état des circonstances suivantes à propos de la procédure devant la division d'examen :
la demande de brevet en cause a été déposée à l'origine en tant que demande PCT et elle a fait l'objet d'un examen préliminaire international au titre du chapitre II du PCT. Après l'entrée en phase nationale (régionale) devant l'OEB, le demandeur a présenté une version modifiée des documents de la demande et a demandé que le brevet soit délivré sur la base de ces modifications.
Dans une notification émise dans le cadre de l'examen de la demande de brevet prévu à l'article 96 CBE,la division d'examen a formulé des objections au regard de l'article 123(2) CBE contre la modification des documents initiaux de la demande. En outre, elle y a indiqué que :
"Pour lever l'objection susmentionnée, il semble nécessaire de revenir à la revendication 1 sur laquelle se fonde le rapport d'examen préliminaire.
Cette revendication satisfait en effet aux conditions de l'article 52(1) CBE (nouveauté et activité inventive)."
IV. Le demandeur ayant maintenu sa requête, la division d'examen a rejeté la demande. La décision n'a plus porté sur la brevetabilité de la version initiale des revendications.
V. Le demandeur a formé un recours contre la décision de rejet de la division d'examen, au motif que le rejet au titre de l'article 123(2) CBE n'était pas fondé.
VI. Lors de l'examen du recours conformément à l'article 110 CBE, la chambre de recours est parvenue à une opinion provisoire qui, si elle correspond à la décision de la division d'examen pour ce qui est de la violation de l'article 123(2) CBE, est cependant à l'opposé de ce que la division d'examen avait indiqué dans sa notification quant à l'existence d'une activité inventive au sens de l'article 56 CBE. La Chambre n'en a cependant pas informé le requérant.
VII. Dans la décision de saisine, la chambre de recours 3.4.1 a estimé, dans le cadre de l'examen d'un recours contre une décision d'une division d'examen au titre de l'article 110 CBE, qu'on ne connaissait pas entièrement la portée des obligations et des pouvoirs d'une chambre de recours lors de l'examen d'une demande de brevet au regard de conditions de la CBE que la division d'examen a par ailleurs considérées comme remplies lors de la procédure d'examen, et qu'elle n'a donc pas invoquées comme motifs de rejet de la demande dans sa décision.
VIII. Le requérant a eu la possibilité de prendre position lors de la procédure T 933/92.
Il estime qu'il convient principalement de tenir compte des principes énoncés aux articles 113 et 114 CBE. Le demandeur a demandé à la chambre de recours l'annulation de la décision de rejet de la division d'examen et la délivrance du brevet dans une version déterminée ou le renvoi de la demande - sous certaines conditions - à la division d'examen. Pour apprécier une demande de brevet, la chambre de recours doit s'en tenir strictement à la version sur laquelle la demande est fondée (art. 113 CBE). Ainsi, lorsque la division d'examen a "déjà délivré" un brevet au demandeur "conformément à sa requête auxiliaire", et que le recours formé par le demandeur porte exclusivement sur le rejet de la requête principale, la chambre de recours ne peut, faute de requête allant en ce sens, révoquer d'office le "brevet délivré selon la requête subsidiaire" , et ce même pour un nouveau motif, dont la division d'examen n'aurait que peu ou pas tenu compte.
Pour ce qui est de l'examen des faits, la chambre de recours n'est cependant pas limitée aux moyens et aux conclusions du demandeur. Dans une décision portant sur un recours contre le rejet d'une demande de brevet, la chambre de recours peut également intégrer des faits affectant la brevetabilité, qu'elle a établis elle-même, dans sa décision concernant la délivrance du brevet, et donc tenir compte d'office d'un nouveau motif de rejet. Ayant compétence pour apprécier les faits, elle a par conséquent, non seulement la possibilité mais aussi l'obligation d'examiner d'un point de vue matériel et juridique si la version des revendications sur laquelle le recours du demandeur est fondé satisfait aux autres conditions de délivrance ; elle doit toutefois donner au demandeur la possibilité de prendre position à propos du motif nouvellement invoqué (art. 113(1) CBE). Dans des cas critiques, et notamment sur requête du demandeur, il semble utile de procéder à un renvoi à la division d'examen, pour éviter que le demandeur perde le bénéfice d'une instance en raison du motif nouvellement invoqué ou du nouvel état de la technique.
Exposé des motifs
1. La décision de saisine soumet à la Grande Chambre de recours la question de savoir si, lors de l'examen d'une décision de la division d'examen portant rejet de la demande de brevet, la chambre de recours peut invoquer des motifs relatifs à des conditions que la division d'examen a considérées comme remplies.
2. Dans la décision de saisine, la chambre a estimé qu'on ne connaissait pas entièrement la portée des obligations et des pouvoirs d'une chambre de recours sur ce point, dans une procédure ex parte. La Grande Chambre de recours a déduit de la principale finalité de la procédure de recours inter partes, consistant à offrir à la partie déboutée la possibilité de contester le bien-fondé de la décision de la division d'opposition, que la prise en considération de motifs d'opposition nouvellement invoqués lors de la procédure de recours est limitée (G 9 et 10/91, JO OEB 1993, 408, 419, point 18 des motifs). Cette position est justifiée par le caractère contentieux de la procédure de recours contre une décision rendue sur opposition, et le fait que, dans le système de la CBE, elle suit la délivrance du brevet. La procédure judiciaire de contrôle des décisions administratives rendues en première instance a par nature un caractère moins inquisitoire qu'une procédure administrative. La division d'opposition ou la chambre de recours n'est pas tenu d'aller au-delà des motifs d'opposition indiqués dans la déclaration visée à la règle 55 c) CBE et d'examiner tous les motifs d'opposition mentionnés dans la CBE. De nouveaux motifs d'opposition ne peuvent être pris en considération au stade de la procédure de recours qu'avec le consentement du titulaire du brevet (point 3 de la conclusion de l'avis G 10/91, JO OEB 1993, 421).
3. Ces principes ne sont pas transposables à la procédure ex parte. Les motifs d'opposition mentionnés à l'article 100 a), b) et c) CBE ne sont pas comparables, de par leur fonction, aux motifs de rejet de la demande définis en détail à l'article 97(1) CBE. Contrairement à la procédure de recours engagée à l'encontre d'une décision rendue sur opposition, l'examen judiciaire effectué dans la procédure ex parte a lieu avant la délivrance du brevet et n'a pas de caractère contentieux. Il consiste en l'examen des conditions de délivrance d'un brevet dans une procédure à laquelle une seule partie - le demandeur - participe. Les instances compétentes doivent s'assurer que les conditions de brevetabilité sont remplies. Par conséquent, dans le cadre de procédures ex parte, les chambres de recours n'ont pas à se limiter à l'examen des motifs de la décision attaquée, ni aux faits et aux moyens de preuve sur lesquels cette décision est fondée, et elles peuvent prendre en considération de nouveaux motifs. Ce qui précède vaut aussi bien pour les conditions de brevetabilité dont la division d'examen n'a pas tenu compte lors de l'examen, que pour celles qu'elle a jugé remplies dans une notification ou dans une décision de rejet.
4. La possibilité de prendre en considération de nouveaux motifs dans la procédure ex parte ne signifie cependant pas que les chambres de recours effectuent un examen complet de la demande au regard des conditions de brevetabilité. C'est la tâche de la division d'examen. La procédure devant les chambres de recours, y compris dans le cas d'une procédure ex parte, est en premier lieu principalement destinée à contrôler la décision attaquée. Toutefois, si elle a des raisons de penser qu'une condition de brevetabilité pourrait ne pas être remplie, la chambre de recours peut introduire celle-ci dans la procédure de recours ou, par un renvoi à la division d'examen, assurer qu'il en sera tenu compte dans la suite de l'examen.
5. Que la chambre de recours tranche elle-même l'affaire ou la renvoie à la division d'examen pour suite à donner (art. 111(1) deuxième phrase CBE), elle doit décider en exerçant son pouvoir d'appréciation. Pour ce faire, la chambre tient compte des circonstances déterminantes de l'espèce et examine notamment si des mesures d'instruction supplémentaires sont nécessaires, si l'on est en présence d'un vice de procédure excluant une décision au fond, si les faits ont beaucoup changé par rapport à la décision attaquée, quelle est la position du demandeur quant à la "perte du bénéfice d'une instance", si une décision de la chambre peut sensiblement accélérer la procédure, et si d'autres motifs sont ou non en faveur d'un renvoi. L'importance respective de chacun de ces critères dépend des circonstances de l'espèce.
6. La décision de saisine se réfère à la décision de saisine T 60/91, JO OEB 1993, 551, qui a conduit à la décision de la Grande Chambre de recours G 9/92 (JO OEB 1994, 875), et porte sur la possibilité de modifier la décision qui a été attaquée au détriment du requérant, dans une procédure de recours engagée à l'encontre d'une décision rendue sur opposition. A cet égard, il convient d'indiquer que le rejet d'une demande par la division d'examen entraîne une perte totale des droits. Toute modification d'une telle décision au détriment du demandeur est exclue dans une procédure de recours ex parte - du point de vue du résultat. Si la décision attaquée est confirmée pour d'autres motifs, on en reste au rejet de la demande. Par conséquent, on ne peut établir de parallèle avec la décision citée, car elle entraîne une perte partielle des droits, le brevet étant maintenu sous une forme modifiée par la division d'opposition.
7. Les arguments avancés par le requérant dans l'affaire T 933/92 ont un tout autre point de départ. Ils se rapportent au fait que la division d'examen s'est exprimée sur deux versions différentes des documents de la demande, et qu'elle a jugé l'une d'entre elles brevetable (voir supra III). Une confirmation de la décision de rejet causerait un préjudice inadmissible au requérant, si la division d'examen a déjà jugé positivement une version déterminée. De nouveaux motifs peuvent certes être introduits dans la procédure en respectant la voie prescrite, mais les droits antérieurement acquis dans la procédure devant la division d'examen doivent être maintenus. Le requérant estime qu'un recours devrait toujours conduire à un renvoi à la division d'examen, lorsque celle-ci a émis une notification dans laquelle elle juge brevetable une version déterminée de la demande. Le recours est uniquement dirigé contre le rejet de la requête principale. Faute de requête allant en ce sens, la chambre de recours ne peut plus "révoquer" d'office "le brevet délivré conformément à la requête présentée à titre subsidiaire".
Le requérant considère donc que la notification de la division d'examen selon laquelle une version déterminée de la demande serait brevetable, aurait valeur de délivrance (partielle) de brevet. La Grande Chambre de recours ne peut se ranger à cette opinion. La division d'examen n'est pas liée par l'avis positif ou négatif exprimé dans le cadre de l'examen au titre de l'article 96(2) CBE. Elle peut même rouvrir le dossier - pour quelque motif que ce soit - après que le demandeur a donné son accord selon la règle 51(4) CBE (cf. G 10/92, JO OEB 1994, 633, point 7 des motifs). Par sa décision portant rejet de la demande, la division d'examen a statué sur la requête en délivrance d'un brevet au regard des revendications présentées en dernier lieu (cf. point III supra). Si la chambre de recours parvient à la conclusion que l'invention revendiquée n'est pas brevetable, elle peut confirmer cette décision. Le renvoi en première instance ne constitue aucunement une obligation.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
Il convient de répondre comme suit à la question de droit soumise à la Grande Chambre de recours :
Dans une procédure de recours contre une décision d'une division d'examen rejetant une demande de brevet européen, la chambre de recours a le pouvoir d'examiner si la demande de brevet et l'invention sur laquelle elle porte satisfont aux conditions de la CBE. Il en est de même pour les conditions que la division d'examen n'a pas prises en considération ou qu'elle a considérées comme remplies. Si la chambre a des raisons de penser que de telles conditions de brevetabilité pourraient ne pas être remplies, elle les introduit dans la procédure.