CHAMBRES DE RECOURS
Décisions des Chambres de recours techniques
Décision de la Chambre de recours technique 3.3.1, en date du 3 mars 1994 - T 552/91 - 3.3.1
(Traduction)
Composition de la Chambre :
Président : | A. Jahn |
Membres : | R. K. Spangenberg |
| J.-C. Saisset |
Demandeur/requérant : Merck Patent GmbH
Référence : Dérivés du chromane/MERCK
Article : 84, 123 (2) CBE
Mot-clé: "Modification d ́une formule structurelle reconnue après coup comme étant erronée (non) - revendications de produits caractérisés par leur procédé d ́obtention (autorisées)"
Sommaire
I. Si une demande de brevet européen porte sur des substances chimiques définies au départ par une formule chimique erronée qui ne peut être rectifiée en application de la règle 88 CBE, le remplacement de la formule erronée par la formule correcte est contraire à l'article 123(2) CBE. Cela vaut également lorsqu'il est prouvé que lesdites substances résultent clairement et obligatoirement d'un procédé divulgué de façon complète dans le texte initial de la demande telle que déposée (points 4.2 et 4.3 des motifs).
II. Toutefois, il est possible, sans contrevenir à l'article 123 (2) CBE, d'inclure dans le jeu de revendications une revendication de produits caractérisés par leur procédé d'obtention qui indique tous les éléments de la méthode permettant d'obtenir lesdites substances (réactifs, conditions de réaction, séparation) (point 5.2 des motifs).
Exposé des faits et conclusions
I. La demande de brevet européen n 87 118 275.4 a été déposée le 10 décembre 1987 et publiée sous la cote EP-A-273 262. La demande comporte huit revendications, dont la première a pour objet des dérivés du chromane de formule générale I suivante :
Dans cette formule, les résidus R1 à R4, R6 et R7 ont diverses significations qui sont sans importance aux fins de la présente affaire. R5 représente un résidu 1H-2-pyridone-1-1yl, 1H-6-pyridazinone-1-yl, 1H-2-pyrimidinone-1-yl, 1H-6- pyrimidinone-1-yl, 1H-2-pyrazinone-1-yl ou 1H-2-thiopyridone- 1-yl non substitué ou substitué une ou deux fois par A, F, Cl, Br, I, OH, OA, OAc, NO2, NH2, AcNH, HOOC et/ou AOOC, ces résidus pouvant également être partiellement hydogénés, A pouvant être un alkyle avec 1 à 6 atomes de carbone et Ac pouvant être un alkanoyle avec 1 à 8 atomes de carbone ou un aroyle avec 7 à 11 atomes de carbone. La revendication 3 porte sur un procédé de fabrication des composés de formule générale I, caractérisé, pour ce qui est de la présente affaire, en ce que l'on fait réagir un 3,4-époxychromane de formule II
avec un composé de formule III
R5 - H (III)
ou avec l'un de ses dérivés réactifs. Les autres revendications sont sans importance en l'espèce. Deux ans à peine après le dépôt de la demande, le demandeur a constaté à la faveur d'une analyse de la structure aux rayons X qu'en faisant réagir les réactifs de formule III comportant un substituant hydroxyle, avec les composés de formule II, on n'obtient pas les composés attendus de formule I, mais des isomères de formule I'
dans laquelle R5''' représente un résidu (relié à l'oxygène par un atome de carbone du cycle) 1H-2-pyridonyle, 1H-6- pyridazinonyle, 1H-2-pyrimidinonyle, 1H-6-pyrimidinonyle, 1H- 2-pyrazinonyle ou 1H-2-thiopyridonyle. Pour tenir compte de ce nouvel élément, le demandeur a déposé le 9 mars 1991 les revendications modifiées 1 à 17. Bien que celles-ci ne comportent à proprement parler aucune modification de la formule structurelle, le groupe de substances dont la formule était incorrecte a été supprimé des revendications de substances et les substances revendiquées ont été caractérisées dans les nouvelles revendications 10 à 17 par des caractéristiques de procédé. Ainsi, la revendication indépendante 10 portait sur tous les dérivés du chromane pouvant être obtenus par la méthode de réaction selon la revendication 3 initiale. La revendication indépendante 11 était aussi une revendication de produits caractérisés par leur procédé d'obtention ("product-by-process claim"), mais elle ne visait que les composés susmentionnés dont la constitution s'est révélée erronée après coup. Les revendications 12 à 17 concernaient des composés spécifiques caractérisés par leur point de fusion et par les réactifs des formules II et III nécessaires à leur fabrication.
II. Après avoir informé le demandeur que, selon elle, la demande modifiée ne satisfaisait pas aux conditions de l'article 123 (2) CBE, la division d'examen de l'Office européen des brevets a rejeté la demande par décision en date du 26 avril 1991, au motif que les revendications 10 à 17 ne découlaient pas du contenu de la demande initiale telle que déposée, laquelle n'englobait que les substances correspondant à la formule I. Les composés ayant une autre constitution que celle exposée dans la demande initiale doivent être considérés comme une extension de l'objet de la première divulgation et ne sauraient faire l'objet de revendications, même s'il s'agit de revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention. En outre, les conditions relatives à la correction d'erreurs dans les pièces initiales, visées à la règle 88 CBE, ne sont pas remplies. La caractérisation des composés revendiqués par leur méthode de fabrication ne satisfait pas non plus aux conditions de l'article 84 CBE, car les revendications n'indiquent pas clairement l'objet pour lequel la protection est demandée et ne se fondent pas sur la description. Cela vaut également pour les objets des revendications 12 à 17 qui visent des composés spécifiques ayant des points de fusion donnés, puisqu'aucun procédé permettant d'obtenir lesdits composés n'est décrit de façon complète dans les pièces originales ; il ressort seulement de la description que ces substances ont été obtenues de façon "analogue" à la fabrication de composés correspondant à la formule I.
III. Un recours a été formé contre cette décision le 27 juin 1991, date à laquelle a été également acquittée la taxe de recours prescrite et déposé le mémoire exposant les motifs du recours. Dans ce mémoire, il est affirmé que la divulgation du procédé de fabrication dans la demande a fait connaître à l'homme du métier des composés nouveaux non compris dans la revendication 1, et qu'il ne reste donc plus qu'à examiner la manière dont cette partie de l'invention peut être définie. A cet effet, l'utilisation de revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention paraît appropriée. Par ailleurs, aucune objection ne peut être formulée à l'encontre des revendications 12 à 17, car les réactifs visés dans ces revendications découlent ni plus ni moins des pièces originales.
IV. Une procédure orale a eu lieu le 3 mars 1994. Au début de la procédure, la Chambre a exposé son point de vue provisoire au sujet des conditions auxquelles une protection par brevet peut être obtenue pour des substances dont la constitution n'est pas indiquée initialement de façon correcte.
Au cours de la procédure, le requérant a produit un jeu de revendications modifiées, les revendications 1 à 17. Par rapport à la version sur laquelle se fonde la décision attaquée, les revendications 1 à 4 ont seulement été modifiées sur le plan rédactionnel ; en outre, la revendication 10 de cette version a été supprimée en vue de tenir compte d'une éventuelle objection de la Chambre eu égard au manque de concision des revendications (article 84 CBE). Les revendications 11 à 17 ont été renumérotées et deviennent les revendications 10 à 16. En outre, une nouvelle revendication 17 a été ajoutée, dans laquelle le groupe de substances dont la constitution n'avait pas été correctement indiquée au départ est caractérisé par la formule générale modifiée I'. La revendication 10 s'énonce désormais comme suit :
"Dérivés du chromanol ou du chromane que l'on obtient en faisant réagir un époxychromane correspondant à la formule II selon la revendication 3 (cf. point II ci-dessus) avec un composé correspondant à la formule III'
R5'' - H (III'),
dans laquelle R5'' est un résidu 1H-2-pyridone-1-yl, 1H-6- pyridazinone-1-yl, 1H-2-pyrimidinone-1-yl, 1H-6-pyrimidinone- 1-yl, 1H-2-pyrazinone-1-yl ou 1H-2-thiopyridone-1-yl substitué une fois par OH, ces résidus étant substitués par un autre résidu A, F, Cl, Br, I, OH, OA, OAc, NO2, NH2, AcNH, HOOC ou AOOC et/ou partiellement hydrogénés, A et Ac ayant la même signification que dans la revendication 1 (cf. point I ci- dessus), ou avec un de ses sels en présence d'une base et d'un solvant inerte ; ensuite, traitement et séparation par chromatographie du chromène et du chromanol, selon la méthode classique."
La revendication 11 concerne un dérivé du chromanol ayant un point de fusion entre 262 et 265 C, pouvant être obtenu en faisant réagir du 2,2-diméthyl-3,4-époxy-6-cyano-chromane avec du 3-hydroxy-1H-2-pyridone en présence d'hydrure de sodium dans du diméthylsulfoxyde ; traitement et séparation par chromatographie du chromène correspondant par le gel de silice avec du dichlorométhane.
Les revendications 12 à 16 portent sur d'autres composés spécifiques caractérisés de façon correspondante.
La revendication 17 vise pour la première fois des dérivés du chromane de formule I' (cf. point I).
Le requérant fait valoir que les étapes de procédé selon les revendications 10 à 16 en vigueur conduisent sans aucun doute possible à l'obtention des substances répondant à la formule I'. Seule une analyse permet de constater la présence de substances selon la formule I, mais celles-ci ne sont pas produites en quantités isolables, comme il ressort du document
(1) J. Med. Chem. 33 (1990), 2759 - 2767
publié ultérieurement et déposé pendant la procédure d'examen. La nouvelle revendication 17 porte sur les mêmes substances que la revendication 10 qui revendique des produits caractérisés par leur procédé d'obtention, de sorte qu'il n'existe aucune différence entre ces deux revendications du point de vue des conditions imposées par l'article 123 (2) CBE. Si la revendication 10 est donc admissible, la revendication 17 doit l'être aussi, même si les conditions visées à la règle 88 CBE pour rectifier la formule générale ne sont pas réunies. Cela est également conforme à la jurisprudence allemande puisque dans la décision "Cycloalcène" (GRUR 1973, 313), le tribunal fédéral des brevets a autorisé la correction, pendant la procédure de délivrance, d'une formule constitutive indiquée de façon erronée au départ. Au demeurant, la revendication 17 définit bien plus clairement que la revendication 10 l'objet pour lequel la protection est demandée, et elle remplit donc mieux les conditions de l'article 84 CBE.
V. Le requérant demande le renvoi de l'affaire devant la division d'examen en vue de la poursuite de la procédure d'examen sur la base des revendications 1 à 17 produites lors de la procédure orale (requête principale) et, subsidiairement, sur la base des revendications 1 à 16 (requête subsidiaire).
Au terme de la procédure orale, la Chambre a prononcé sa décision d'accéder à la requête subsidiaire.
Motifs de la décision
1. Le recours est recevable.
2. La division d'examen a rejeté la demande au motif qu'en déposant des revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention pour un groupe de substances dont la formule s'est révélée erronée pendant la procédure de délivrance, le demandeur a enfreint l'article 123 (2) CBE. La Chambre déduit en outre de la décision litigieuse que des objections ont également été soulevées à l'encontre desdites revendications au titre de l'article 84 CBE. Ce sont ces revendications, quoique sous une forme modifiée, qui ont été soumises à la Chambre. D'autre part, la formule structurelle pour le groupe de substances dont la formule initiale était erronée a été modifiée pour la première fois pendant la procédure de recours. En l'espèce, la Chambre a donc à se prononcer uniquement sur l'admissibilité des revendications en vigueur 10 à 17 eu égard aux dispositions des articles précités.
3. Il semble, de l'avis de la Chambre, que se pose ici pour la première fois la question de savoir dans quelle mesure et sous quelle forme il est possible de protéger des groupes de substances chimiques et des composés spécifiques dont la formule structurelle indiquée au départ se révèle fausse par la suite. Le requérant cherche à obtenir cette protection d'une part au moyen d'une nouvelle revendication de produit qui vise le groupe de composés répondant à la formule constitutive qui s'est avérée correcte ultérieurement (requête principale), d'autre part au moyen de revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention, dans lesquelles la formule structurelle reconnue comme fausse ne figure pas (requête subsidiaire). En fait, il ne devrait pas être donnée une suite favorable à la requête principale, ne serait-ce que parce que, comme le fait observer le requérant lui-même, les revendications 10 et 17 portent sur le même objet, si bien que les revendications dans leur ensemble ne peuvent pas être considérées comme étant claires et concises au sens de l'article 84 CBE. La Chambre renonce à faire en sorte que cette irrégularité soit supprimée car il ne peut être fait droit à la requête principale pour d'autres raisons.
4. Requête principale
4.1 La requête subsidiaire ne diffère de la requête principale qu'en ce qu'elle n'inclut pas la revendication 17. La Chambre peut donc se borner à vérifier si cette revendication est compatible avec les dispositions des articles 84 et 123 (2) CBE.
4.2 Il se peut que la revendication 17 satisfasse mieux à l'impératif de clarté (article 84 CBE) que la revendication 10, qui est une revendication de produits caractérisés par leur procédé d'obtention. Dans l'intérêt de la sécurité juridique, la rectification de la formule erronée au moyen de cette revendication peut dès lors paraître souhaitable. Toutefois, comme la modification après coup de la formule I, qui devient la formule I' dans la revendication 17, ne peut pas être considérée comme une rectification s'imposant à l'évidence au sens de la règle 88 CBE - ce que le requérant a reconnu lui-même lors de la procédure orale - cette modification ne peut être admise que si elle ne va pas à l'encontre des dispositions de l'article 123 (2) CBE, lesquelles servent également à garantir la sécurité juridique.
4.3 L'article 123 (2) CBE dispose qu'une demande de brevet européen ne peut être modifiée de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée. Par "contenu", la Chambre entend l'ensemble de la divulgation technique que l'homme du métier peut effectivement déduire de la demande (cf. Singer, Kommentar zum EPÜ (1989), p. 591 ; T 514/88, JO OEB 1992, 570 et dans un autre contexte également G 3/89, JO OEB 1993, 117, point 2 des motifs). Il ne suffit donc pas de prouver que la modification de la demande de brevet initiale ne revient pas à revendiquer un objet différent de celui divulgué initialement pour que ladite modification soit admissible au titre de l'article 123 (2) CBE. Il importe surtout que la modification n'ajoute à la demande aucune information technique utile que l'homme du métier ne pouvait déduire des pièces de la demande initiale.
4.4 La revendication 17 est contraire à ce principe car c'est seulement grâce à la formule générale modifiée ultérieurement que l'homme du métier prend connaissance des informations essentielles concernant la véritable constitution chimique du groupe de substances et la structure interne desdites substances. C'est à partir de ces informations qu'il est possible de déduire les propriétés physiques, chimiques et techniques utiles de l'objet revendiqué. Les informations ajoutées à la demande par la modification de la formule générale relative à la véritable structure du groupe de substances visé par la revendication 17 ne pouvaient cependant pas être déduites de la version initiale de ladite formule, laquelle attribuait une constitution différente auxdites substances. Le requérant n'a pas du reste contesté cet état de choses. La modification de la demande par l'ajout de la revendication 17 va donc à l'encontre des dispositions de l'article 123 (2) CBE. Par conséquent, il ne peut être fait droit à la requête principale.
4.5 Pour appuyer son avis contraire, le requérant se réfère en vain à la pratique juridique allemande. D'une part, la Chambre n'est pas convaincue qu'une pratique comparable existe dans les autres Etats parties à la CBE ; d'autre part, la Chambre n'ignore pas que la pratique allemande en matière de modification des pièces initiales de la demande diffère de celle de l'OEB. Ainsi, l'indication d'équivalents, d'avantages ou d'exemples supplémentaires, qui pour les motifs énoncés au point 4.3 enfreignent l'article 123 (2) CBE, est jugée conforme à la loi allemande sur les brevets (cf. Schäfers dans "Benkard, Patentgesetz", 9e édition 1993, § 38, point 19 et suivants). Au demeurant, la décision "Cycloalcène" citée dans ce contexte ne porte pas sur la question de savoir s'il est possible dans le cadre d'une invention de substance, de rectifier après coup une formule de structure qui se révèle erronée ; elle autorise uniquement l'insertion d'une formule de constitution modifiée dans une revendication d'une invention concernant un procédé de fabrication de composés chimiques ; dans ce cas, en effet, il n'en résulte aucun changement des étapes à suivre pour obtenir les produits résultant du procédé, ces étapes constituant le seul objet de l'invention.
5. Requête subsidiaire
5.1 Hormis la désignation "dérivés du chromanol ou du chromène" qui, pour être générale, n'en est pas moins correcte, et le procédé de fabrication, la demande telle que déposée initialement ne comporte aucune indication permettant de caractériser plus clairement et de façon admissible les substances devant être protégées par la revendication 10 (cf. point IV). D'autre part, l'indication en plus des étapes de fabrication, du point de fusion et de l'appellation générale correcte dans chaque cas, confère un maximum de clarté aux revendications 11 à 16 dans les limites de ce qui est admissible. Par conséquent, le fait que les revendications 10 à 16 soient formulées comme des revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention est conforme à l'impératif de clarté énoncé à l'article 84 CBE.
5.2 La Chambre constate que d'après la décision attaquée, il ne serait pas possible de protéger au moyen d'une revendication de produits caractérisés par leur procédé d'obtention des substances définies par une formule chimique dont la constitution se révèlerait erronée après coup, au motif que cela reviendrait à revendiquer implicitement des substances correspondant à une formule non divulguée au départ. Cela signifie qu'en pareil cas, une substance ne pourrait, d'une manière générale, être protégée si la formule divulguée n'était pas exacte (et ne pouvait être rectifiée au titre de la règle 88 CBE).
La Chambre ne partage pas ce point de vue car il ne tient pas compte du fait qu'une revendication de substance vise à protéger la substance proprement dite et non pas une formule. Cette dernière sert seulement à définir la substance à protéger. Par conséquent, si la définition initiale au moyen d'une formule structurelle se révèle ultérieurement incorrecte et que les pièces initiales indiquent d'autres moyens permettant de caractériser clairement la substance divulguée, ceux-ci peuvent être utilisés en remplacement dans la formulation d'une revendication portant sur ladite substance. A cette fin, on pensera en premier lieu à un procédé d'obtention, lequel est de toute façon décrit, en règle générale, dans la demande initiale afin de garantir une divulgation suffisante. Dans un pareil cas, il faut cependant que tous les paramètres du procédé nécessaires à une définition claire des substances revendiquées en tant que produits obtenus obligatoirement à l'aide dudit procédé soient repris dans la revendication (cf. T 12/81, JO OEB 1982, 296, point 8 des motifs). Etant donné que les réactions chimiques se déroulent rarement dans une seule direction et ne mènent donc que rarement à des produits uniformes, l'indication des réactifs et des conditions de réaction doit généralement être accompagnée de l'indication du mode de traitement du mélange réactionnel permettant d'obtenir les substances revendiquées, surtout lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il est impossible de séparer ces substances, la structure exacte des produits à isoler n'ayant pas été indiquée.
5.3 Il est évident que ces conditions sont plus difficiles à remplir pour la revendication 10 qui concerne un vaste groupe de substances, que pour les composés spécifiques des revendications 11 à 16, lesquelles indiquent en outre les points de fusion (indiqués dans la demande initiale) en tant que paramètres supplémentaires caractérisant les substances revendiquées ; en effet, des méthodes d'isolement permettant d'obtenir de façon univoque certaines substances spécifiques ne réussissent pas forcément avec tous les membres d'un groupe de substances.
5.4 En l'espèce, la Chambre estime qu'il est plausible que la méthode exposée dans la revendication 10 en vigueur, consistant à faire réagir un époxychromane correspondant à la formule II selon la revendication 3 avec un composé correspondant à la formule R5'' -H (III'') ou avec l'un de ses sels en présence d'une base et d'un solvant inerte, et à procéder ensuite de façon classique au traitement et à la séparation par chromatographie du chromène et du chromanol, donne obligatoirement des produits uniformes ; en réponse à la question posée par la Chambre de savoir si cette méthode n'engendrerait pas quand même comme sous-produits des composés correspondant à la formule I initialement divulguée, le requérant s'est référé au paragraphe à la fin de la page 2765 et au début de la page 2766 du document ayant valeur d'expertise (1), et a fait valoir par conséquent de façon irréfutable que ces composés étaient formés en quantités détectables analytiquement mais non isolables. La méthode précitée et donc son résultat obligatoire sont divulgués dans les pièces initiales par la revendication 3 se fondant sur les passages de la description, page 6, lignes 25 à 39 et page 8, lignes 33 à 36 en liaison avec l'exemple 1. L'expression "faire réagir" implique clairement que cette revendication de produits caractérisés par leur procédé d'obtention n'englobe que les dérivés du chromanol ou du chromène dans lesquels sont présents les principaux éléments structurels des formules II et III''. La revendication 10 modifiée en vigueur est donc compatible avec les dispositions de l'article 123 (2) CBE.
5.5 En ce qui concerne les revendications 11 à 16 visant des composés spécifiques, il a été constaté à juste titre dans la décision attaquée que les réactifs correspondant à la formule III', cités dans ces revendications, ne sont pas explicitement mentionnés dans la description initiale. La Chambre est toutefois convaincue qu'ils peuvent à l'évidence être déduits des indications figurant à l'exemple 1 du texte initial de la demande (cf. page 8, ligne 40 à page 11, ligne 53 de la demande publiée dont le contenu est identique à celui de la demande initiale). On y trouve d'abord une description de la réaction entre le 2,2-diméthyl-3,4-époxy-6-cyan-chromane avec le 1H-2-pyridone dans le solvant diméthylsulfoxyde en présence de NaH, suivie de la chromatographie par le gel de silice avec du dichlorométhane comme solvant d'élution ; cette réaction donne deux produits : le 2,2-diméthyl-4-(1H-2-pyridone-1-yl)- 6-cyan-2H-chromène ayant un point de fusion entre 146 et 148 C et le 2,2-diméthyl-4-(1H-2-pyridone-1-yl)-6-cyan-chroman-3- ol ayant comme point de fusion 244 C. Vient ensuite une longue liste d'appellations chimiques partiellement accompagnées d'indications de points de fusion introduites par l'expression "on obtient de façon analogue". On relève notamment :
2,2-diméthyl-4-(1H-3-hydroxy-2-pyridone-1-yl)-6-cyano- chromane-3-ol, F.262-265 oC (page 9, ligne 1 de la demande publiée),
2,2-diméthyl-4-(1H-3-hydroxy-2-pyridone-1-yl)-6-cyano-2H- chromène, F.290-295 oC (page 9, ligne 2 de la demande publiée),
2,2-diméthyl-4-(1H-4-hydroxy-2-pyridone-1-yl)-6-cyano- chromane-3-ol, F.248-250 oC (page 9, ligne 3 de la demande publiée),
2,2-diméthyl-4-(1H-5-hydroxy-2-pyridone-1-yl)-6-cyano- chromane-3-ol, F.256,5-258 oC (page 9, ligne 5 de la demande publiée),
2,2-diméthyl-4-(1H-3-hydroxy-6-pyridazinone-1-yl)-6-cyano- chromane-3-ol, F.254-256 oC (page 11, ligne 40 de la demande publiée), et
2,2-diméthyl-4-(1H-4-hydroxy-6-pyrimidinone-1-yl)-6-cyano- chromane-3-ol, F.235-237 oC (page 11, ligne 50 de la demande publiée).
A l'instar du requérant, la Chambre estime que l'homme du métier déduit de ces indications qu'il y a lieu de faire réagir les réactifs correspondant aux appellations ci-dessus dans les conditions décrites dans l'exemple cité, puis d'isoler moyennant séparation par chromatographie du mélange issu de la réaction le produit ayant le point de fusion spécifié. La Chambre est convaincue que les produits ainsi définis par les réactifs, les conditions de réaction, les conditions d'isolement, le point de fusion et une appellation qui, pour être générale, n'en est pas moins correcte, sont sans équivoque identiques aux produits précités divulgués au départ (sous une désignation incorrecte). Par conséquent, les revendications 11 à 16 ne sont pas elles non plus contraires aux dispositions de l'article 123 (2) CBE.
5.6 La demande doit donc être renvoyée devant la première instance pour poursuite de l'examen sur la base des revendications selon la requête subsidiaire. Il y aura lieu d'examiner également si la revendication 8 est conforme à l'article 52 (4) CBE.
Dispositif
Par ces motifs, il est statué comme suit :
La décision attaquée est annulée. L'affaire est renvoyée devant la première instance pour poursuite de l'examen sur la base des revendications selon la requête subsidiaire.