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DE Allemagne
Arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), Xe Chambre civile, en date du 24 septembre 1991
(X ZR 37/90)*
Référence : Beheizbarer Atemluftschlauch (tuyau d'air der espiration chauffant)
Article : 64(1) et (3), 69 (1) CBE et protocole interprétatif
Article : 10, 14 Loi sur les brevets
Mot-clé : "Etendue de la protection conférée par le brevet – pas d'extension de la protection à des objets auxquels manquent des caractéristiques essentielles de l'invention revendiquée -nécessité d'assurer un degré raisonnable de certitude aux tiers"- "Contrefaçon indirecte d'un brevet"
Sommaire
1. Quiconque souligne dans le fascicule du brevet l'importance particulière d'une caractéristique de l'invention ne peut faire valoir de droits découlant du brevet à l'encontre de la mise en oeuvre d'un objet auquel manque cette caractéristique.
2. Comme on peut le déduire ne serait-ce que par la place qu'il occupe dans le texte par rapport aux autres articles, l'article 10 de la Loi sur les brevets n'implique aucun élargissement des dispositions relatives à l'étendue de la protection conférée par le brevet contenues à l'article 14(= art. 69 (1) CBE) qui lui fait suite. Lorsqu'il est question à l'article 10, alinéa 1) de la Loi sur les brevets, de "l'invention brevetée", il s'agit de l'invention protégée au sens de l'article 14 de cette loi ou de l'article 69 (1) CBE.
Exposé des faits et conclusions
Le demandeur est titulaire du brevet européen n° 214976 (brevet litigieux) (...) qui porte sur un "dispositif pour chauffer un aérosol". La revendication 1 du brevet litigieux s'énonce comme suit :
"Dispositif pour produire un aérosol, pourvu d'un tuyau d'air de respiration (5) flexible et en forme de spirale par lequel l'aérosol, produit par une chambre de nébuliseur (1), peut être conduit vers le patient, dans le cas duquel l'aérosol produit est chauffé par au moins un filament de chauffage disposé dans le tuyau d'air de respiration (5), caractérisé en ce que le ou les filaments de chauffage sont disposés dans les spirales du tuyau d'air de respiration (5), ou bien constituent celles-ci et en ce qu'un transmetteur de signal, acoustique et/ou optique, est disposé pour indiquer tout écart de la température mesurée de l'aérosol projeté à la sortie du tuyau d'air de respiration (5) par rapport à une température déterminée."
La demande de brevet ayant donné lieu à la délivrance du brevet litigieux revendiquait (...) la priorité du modèle d'utilité allemand n° 84 15 364 enregistré dans le registre des modèles d'utilité le 4 octobre 1984 (modèle d'utilité litigieux) (...). La revendication 1 du modèle d'utilité litigieux, qui a entre-temps été annulé, s'énonçait comme suit :
"Dispositif pour produire un aérosol, dans le cas duquel l'aérosol produit peut être conduit d'une chambre de nébuliseur vers le patient via un tuyau d'air de respiration flexible et en forme de spirale et est chauffé par des filaments de chauffage, caractérisé en ce que le ou les filaments de chauffage sont incorporés dans les parois du tuyau d'air de respiration."
Le demandeur a intenté contre la défenderesse une action en contrefaçon du brevet litigieux.
La défenderesse commercialise des tuyaux d'air de respiration flexibles et en forme de spirale pour des nébuliseurs d'aérosol. Les parois interne et externe de ces tuyaux présentent un profil à nervures et cannelures qui s'étend en forme de spirale tout le long du tuyau. Dans les cannelures situées du côté intérieur, des filaments de chauffage cheminent le long de la paroi intérieure, en suivant également le déroulement du profil en spirale de celle-ci.
Le demandeur a fait valoir devant le Landgericht (tribunal régional) que la commercialisation de ces tuyaux constituait une contrefaçon indirecte du modèle d'utilité litigieux. Il a à cet égard affirmé que les tuyaux étaient, du point de vue fonctionnel de l'invention, des pièces autonomes utilisables dans le dispositif protégé par le modèle d'utilité. Le Landgericht a pour l'essentiel fait droit à la demande.
La défenderesse a interjeté appel. Pendant la procédure d'appel, les revendications 1 et 2 du modèle d'utilité litigieux ont été supprimées pour manque d'activité inventive. Le demandeur a alors appuyé sa demande sur le brevet litigieux délivré entre-temps.
L'Oberlandesgericht (tribunal régional supérieur) a donné gain de cause à la défenderesse et rejeté la demande. Le demandeur a formé un pourvoi contre ce rejet aux mêmes fins que devant l'instance précédente.
Motifs de l'arrêt
Le pourvoi est rejeté.
I. La Cour d'appel a estimé que l'objet du brevet litigieux résidait dans les caractéristiques suivantes d'un dispositif pour produire un aérosol :
1. Le dispositif a un tuyau d'air de respiration flexible et en forme de spirale
2. par lequel l'aérosol produit par une chambre de nébuliseur est conduit vers le patient.
3. Au moins un filament de chauffage est disposé dans le tuyau d'air de respiration pour chauffer l'aérosol produit.
4. Le ou les filaments de chauffage sont disposés dans les spirales du tuyau d'air de respiration ou constituent eux-mêmes ces spirales.
5. Un transmetteur de signal, acoustique et/ou optique, est disposé pour indiquer tout écart de la température mesurée de l'aérosol projeté à la sortie du tuyau d'air de respiration par rapport à une température déterminée.
Le pourvoi n'élève aucune objection à cet égard. Aucun vice juridique n'est à relever.
II. 1. La Cour d'appel a été d'avis que le tuyau attaqué n'utilisait pas l'objet du brevet litigieux, même si l'on allait jusqu'à supposer en faveur du demandeur que ce tuyau réalisait les caractéristiques 1 à 4 du brevet litigieux. En effet, l'absence du transmetteur de signal selon la caractéristique 5 du brevet litigieux, sans solution de rechange, revêtait pour le dispositif protégé une importance qui était loin d'être négligeable. Cette caractéristique était la seule qui apportât une solution à la deuxième partie du problème de l'invention protégée (partie qui était présentée dans le fascicule du brevet comme étant non moins importante que la première partie), à savoir rendre immédiatement décelable tout écart de température dans l'aérosol par rapport à une température prédéterminée. Le demandeur lui-même avait insisté sur l'importance de cette caractéristique puisqu'il l'avait de son propre chef transférée d'une sous-revendication dans la revendication principale.
Il était alors douteux que l'on pût tant soit peu concevoir qu'un brevet dont l'étendue de la protection dépendait essentiellement du contenu des revendications fût contrefait alors qu'une des caractéristiques des revendications était absente, sans solution de remplacement, du mode de réalisation attaqué. Il ne pouvait y avoir non plus contrefaçon du brevet litigieux par fabrication de tuyaux ne présentant que les caractéristiques 1 à 4 du brevet litigieux, du fait qu'un objet n'ayant que ces caractéristiques ne serait en tout état de cause pas brevetable car il découlerait de façon évidente de l'état de la technique connu à la date de priorité du brevet litigieux.
2. Dans son pourvoi, le demandeur conteste en vain ce point de vue.
a) Dans la présente affaire, la contrefaçon directe du brevet (art. 64 (1) et (3), 69 (1) CBE ; art. 9, point 1 de la deuxième phrase, et 139 Loi sur les brevets) est exclue, indépendamment des questions de savoir si, compte tenu de l'article 69(1) CBE (ainsi que de l'article 14 de la Loi sur les brevets), il y a lieu d'ailleurs d'accorder une protection partielle par brevet, quelle est, le cas échéant, l'étendue de la protection et si la combinaison partielle est en tant que telle brevetable, questions sur lesquelles la Chambre ne s'est pas encore prononcée. Etendre la protection d'un brevet à un objet auquel manque une caractéristique dont l'importance particulière est soulignée dans le fascicule du brevet serait incompatible avec le souci exprimé dans le protocole interprétatif de l'article 69(1) CBE d'assurer aux tiers un degré raisonnable de certitude. (...)
A l'encontre de ce qui précède, le demandeur allègue en vain dans son pourvoi que l'homme du métier déduit du contenu sémantique de la revendication 1 du brevet litigieux que la caractéristique 5, qui figurait à l'origine dans une sous-revendication, ne contribue en rien à la solution du "véritable problème de l'invention", à savoir chauffer uniformément l'aérosol dans l'ensemble du tuyau d'air de respiration sans qu'il y ait de contact direct avec les filaments de chauffage, et qu'elle ne représente qu'un aspect supplémentaire visant à compléter de façon avantageuse la solution déjà apportée au problème par le dispositif selon les caractéristiques 1 à 4. Il ne ressort pas du fascicule du brevet que la caractéristique 5 figurait au départ dans une sous-revendication. Ne serait-ce qu'eu égard à la nécessité d'assurer un degré raisonnable de certitude aux tiers, évoquée plus haut, les faits survenant dans le déroulement de la procédure de délivrance ne peuvent en outre être pris en considération pour l'évaluation de l'étendue de la protection conférée par le brevet.
Contrairement à l'argument du demandeur, "le contenu sémantique de la revendication 1 du brevet litigieux" n'indique nullement que le transmetteur de signal selon la caractéristique 5 vient seulement s'ajouter à la combinaison des caractéristiques 1 à 4 sans faire partie intégrante d'une combinaison des caractéristiques 1 à 5. En revanche, le fait que la caractéristique 5 figure dans la revendication principale et non pas, par exemple, dans l'une des sous-revendications montre que la protection est demandée pour les cinq caractéristiques combinées. La description du brevet, qui sert à interpréter les revendications, comme le prévoit l'article 69(1), deuxième phrase CBE, ne permet pas non plus d'arriver à une autre conclusion.
b) C'est également à juste titre que l'Oberlandesgericht n'a pas fait droit à la demande lorsqu'il a examiné s'il existait en l'espèce une contrefaçon indirecte (art. 64 (1) et (3) CBE ensemble l'art. 10, alinéa 1) Loi sur les brevets).
aa) Les dispositions de l'article 10 de la Loi sur les brevets qui définissent en quoi consiste le danger de contrefaçon indirecte ont pour but de faire obstacle en amont à la mise en oeuvre non autorisée de l'invention protégée. Aussi, elles interdisent même la livraison ou l'offre de livraison des moyens qui permettraient au réceptionnaire de mettre en oeuvre l'invention protégée sans y avoir été autorisé. C'est cependant l'invention protégée en tant que telle, c'est-à-dire l'invention avec toutes ses caractéristiques, qui doit être exposée à un danger de mise en oeuvre par des personnes non autorisées. Comme on peut le déduire ne serait-ce que par la place qu'il occupe dans le texte par rapport aux autres articles, l'article 10 de la Loi sur les brevets n'implique aucun élargissement des dispositions relatives à l'étendue de la protection conférée par le brevet contenues à l'article 14 (= art. 69 (1) CBE) qui lui fait suite. Lorsqu'il est question à l'article 10, alinéa 1) de la Loi sur les brevets, de "l'invention brevetée", il s'agit de l'invention protégée au sens de l'article 14 de cette loi ou de l'article 69 (1) CBE.
bb) Le demandeur (...) n'a pas fait valoir que le tuyau attaqué avait les propriétés ou la finalité requises pour satisfaire aux conditions ci-dessus. Au contraire, il a affirmé que la défenderesse ainsi que d'autres concurrents "pourraient commercialiser le brevet litigieux, sans la caractéristique 5, avec succès" (...) et que lui-même n'avait d'ailleurs jusqu'alors jamais fait usage de cette caractéristique.
cc) (...) Vu que l'objet du brevet litigieux n'est pas mis en oeuvre par la seule utilisation des caractéristiques 1 à 4 pour un dispositif de chauffage d'aérosol, il ne saurait y avoir de contrefaçon directe ou indirecte, et la demande se révèle donc non fondée.
DE 2/93
* Traduction du texte officiel de la décision, abrégé aux fins de la publication. Le texte officiel a été publié dans son intégralité dans Bl.f.PMZ 1992, 109 et dans Mitt. 1991, 241.