SEANCE DE TRAVAIL
La juridiction unifiée relative aux brevets
Klaus GRABINSKI
Juge à la Cour fédérale de justice
Comparaison et interactions entre les chambres de recours de l'OEB et les juridictions nationales – état des lieux de la pratique allemande
I. Révocation d'un brevet à la suite d'un jugement de contrefaçon passé en force de chose jugée : et après ?
Sur le fondement des demandes formulées à cet effet par le requérant1, le jugement prononcé par les juridictions allemandes saisies en matière de contrefaçon comporte obligatoirement une condamnation à des mesures de cessation de la contrefaçon, de communication d'informations et de reddition de comptes, ainsi que la constatation de l'obligation incombant au contrefacteur de verser des dommages et intérêts, en vertu des articles 139, par. 1 et 2, et 140 b) de la loi sur les brevets, et des articles 242 et 259 du Code civil.2 Il comprend, en outre, une condamnation aux dépens par laquelle les frais de la procédure sont mis à la charge du défendeur en proportion de ses torts. Par ailleurs, le défendeur peut être condamné au paiement d'un montant déterminé de dommages et intérêts par une décision ayant force de chose jugée, rendue dans le cadre d'une procédure de fixation du montant de la réparation faisant, le cas échéant, suite à la procédure de contrefaçon.
Dans le cas où le brevet litigieux est révoqué par une décision définitive d'une chambre de recours de l'Office européen des brevets, ou de sa division d'opposition sur instruction d'une chambre de recours, après que les jugements de contrefaçon et de fixation du montant de la réparation sont passés en force de chose jugée, le défendeur à l'action en contrefaçon dispose notamment des voies de droit suivantes :
1. Action en opposition à l'exécution forcée, article 767 du Code de procédure civile ;
2. Action en rescision, article 580, par. 6, du Code de procédure civile ;
3. Action en remboursement des dommages et intérêts versés, article 812, par. 1, première phrase, du Code civil ; et
4. Action en remboursement des frais de la procédure en contrefaçon, article 812, par. 1, première phrase, du Code civil.
1. Action en opposition à l'exécution forcée, en vertu de l'article 767 du Code de procédure civile
Cette action est dirigée contre la licéité des mesures d'exécution forcée prévues par le jugement de contrefaçon, dans la mesure où il porte condamnation à des mesures de cessation de la contrefaçon, de reddition de comptes et de communication d'informations. Aux termes de l'article 767, par. 2, du Code de procédure civile, elle ne peut être fondée que sur des objections au titre exécutoire apparues après la clôture des débats oraux ayant donné lieu au jugement passé en force de chose jugée, et que le défendeur n'a donc pu faire valoir dans le cadre de la procédure judiciaire ayant précédé le jugement.
En vertu de l'article 68 de la CBE, la demande de brevet européen, ainsi que le brevet européen auquel elle a donné lieu, sont réputés n'avoir pas eu dès l'origine les effets prévus aux articles 64 et 67 dans toute la mesure où le brevet a été révoqué au cours d'une procédure d'opposition. La question se pose donc de savoir si, aux fins de l'application de l'article 767, par. 2, du Code de procédure civile, il convient de retenir comme date d'apparition des objections au jugement de contrefaçon : celle de la décision définitive de révocation prononcée par la division d'opposition ou la chambre de recours, ou celle découlant de l'effet rétroactif de la révocation, prévu à l'article 68 de la CBE. La première solution devrait prévaloir, car le défendeur à l'action en contrefaçon ne peut invoquer avec succès la révocation du brevet litigieux qu'une fois que la décision pertinente de la chambre de recours ou de la division d'opposition est devenue définitive.3
Si l'action en opposition à l'exécution est recevable et fondée, l'exécution forcée prévue par le jugement de contrefaçon doit être déclarée illicite ab initio – par suite de l'effet rétroactif des décisions définitives de révocation, prévu à l'article 68 de la CBE.4
2. Action en rescision, en vertu de l'article 580, par. 6, du Code de procédure civile
Cette action est dirigée contre l'autorité de la chose jugée de la décision de contrefaçon et, le cas échéant, également contre le jugement de condamnation aux dommages et intérêts rendu dans le cadre de la procédure de fixation du montant de la réparation, mais non contre la licéité de l'exécution forcée prévue par ces jugements. Elle tend à ce que la procédure en contrefaçon, et le cas échéant la procédure de fixation du montant de la réparation, soient reprises et donnent lieu à de nouveaux débats, de sorte que la révocation ou le maintien limité du brevet litigieux puissent être invoqués dans le cadre de cette nouvelle instance en vue d'obtenir le rejet de l'action en contrefaçon. Il faut pour cela que ladite action en rescision soit recevable et fondée.
L'article 580 du Code de procédure civile comporte une liste limitative de motifs de rescision. En présence de l'un de ces motifs, la rescision est recevable. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, l'action en rescision peut être fondée, en application du paragraphe 6 de l'article 580 du Code de procédure civile, sur le motif selon lequel le brevet sur lequel porte la décision du juge de la contrefaçon a été révoqué par une décision définitive rendue au cours d'une procédure d'opposition.5 Cela vaut également en cas de révocation partielle, lorsque la condamnation intervenue dans le cadre de la procédure de contrefaçon antérieure est affectée par la révocation, notamment par exemple parce que l'utilisation d'une caractéristique introduite dans la revendication à la faveur de la décision de révocation n'a pas pu être constatée dans le jugement de contrefaçon.6 En tout état de cause, selon l'article 582 du Code de procédure civile, le défendeur à l'action en contrefaçon ne doit pas avoir été en mesure de faire valoir la décision définitive de révocation dans le cadre de la procédure de contrefaçon. Il faut, pour que cette condition soit satisfaite, que le jugement de contrefaçon et, le cas échéant, le jugement fixant le montant de la réparation, aient acquis force de chose jugée.
En outre, aux termes de l'article 586, par. 1 et 2 du Code de procédure civile, pour être recevable, l'action en rescision doit être introduite dans un délai d'un mois, ce délai commençant à courir à compter du jour où la partie concernée a eu connaissance du motif de rescision. Si la chambre de recours révoque le brevet européen sur le fondement de l'article 101, par. 2, première phrase, de la CBE, ce jour sera celui où le défendeur à l'action en contrefaçon a eu connaissance de cette décision. Si la chambre de recours ne statue cependant pas elle-même sur l'opposition, mais ordonne à la division d'opposition de maintenir le brevet européen dans une mesure précisément déterminée, la révocation partielle constitutive du motif de rescision intervient seulement avec le maintien du brevet dans sa forme modifiée par la division d'opposition en application de l'instruction de la chambre de recours.7
3. Action en remboursement des dommages et intérêts versés, en vertu de l'article 812, par. 1, première phrase, du Code civil
Si le défendeur à l'action en contrefaçon a déjà versé des dommages et intérêts pour contrefaçon d'un brevet, en vertu du jugement le condamnant à réparation, il peut faire valoir son droit à obtenir le remboursement de cette somme sur la base de l'enrichissement sans cause, conformément à l'article 812, par. 1, première phrase, du Code civil. Les conditions d'application de cette disposition sont, outre l'enrichissement du requérant à l'action en contrefaçon ayant découlé du versement des dommages et intérêts, la disparition du motif de ce versement. La doctrine allemande ne s'accorde pas sur le point de savoir si cela suppose l'annulation du jugement définitif ordonnant le paiement, par la voie d'une action en rescision.8 Il convient selon nous de répondre à cette question par la négative. En effet, selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, les objections que le débiteur pourrait faire valoir par la voie de l'action en opposition à l'exécution en vertu de l'article 767 du Code de procédure civile, dans la mesure où elles sont apparues après la clôture de la procédure orale ayant donné lieu au jugement devenu définitif, perdurent dans le cas où l'exécution forcée est menée à bien et peuvent être invoquées au fond dans le cadre de l'action en répétition de l'indu.9 Si l'on est d'accord avec cette jurisprudence, elle devrait également être valable en ce qui concerne le droit à remboursement des dommages et intérêts versés faisant suite à la révocation du brevet.
4. Action en remboursement des frais de la procédure en contrefaçon, en vertu de l'article 812, par. 1, première phrase, du Code civil
Ainsi qu'il est mentionné plus haut, le défendeur est condamné aux dépens en tant que partie succombante. S'il a, de ce fait, remboursé au requérant les frais de justice et d'avocat engagés par celui-ci, il sera intéressé, en cas de révocation du brevet, par la possibilité de se faire rembourser les sommes acquittées. Il souhaitera en outre obtenir à son tour du requérant à l'action en contrefaçon la prise en charge des frais exposés pour sa propre défense. Ces deux demandes supposent que le jugement de contrefaçon passé en force de chose jugée soit modifié de sorte que, d'une part, le fondement juridique du remboursement des frais effectué par le défendeur disparaisse,10 afin que la restitution de ceux-ci puisse être demandée sur la base de l'enrichissement sans cause, en vertu de l'article 812, par. 1, première phrase, du Code civil, et de sorte qu'apparaisse, d'autre part, un fondement juridique pour le remboursement pouvant désormais être obtenu du requérant. Cela n'est possible que par la voie de l'action en rescision prévue par l'article 580 du Code de procédure civile.
II. Subsidiarité de l'action en nullité en cas de procédure d'opposition ou de recours pendante devant l'Office européen des brevets
1. Relation entre la procédure d'opposition ou de recours et l'action en nullité
La relation entre une procédure d'opposition ou de recours pendante devant l'Office européen des brevets et une action en nullité susceptible d'être introduite auprès de la Cour fédérale de justice est régie par l'article 81, par. 2, de la loi sur les brevets. Cette disposition n'autorise pas l'introduction d'une action en nullité, tant qu'il est encore possible de former opposition ou qu'une procédure d'opposition est pendante. Cela vaut aussi bien pour les procédures d'opposition devant l'Office allemand des brevets et des marques, que devant l'Office européen des brevets.
La Cour fédérale de justice a décidé en la matière qu'une action en nullité est également irrecevable au regard d'une procédure d'opposition pendante devant l'Office européen des brevets, lorsque ladite action est exclusivement fondée sur une demande de brevet national mieux traitée du point de vue des droits antérieurs, au sens de l'article 139, par. 2, de la CBE, et qui n'est invocable que dans le cadre de la procédure nationale en nullité.11
2. Relation entre la procédure d'opposition ou de recours et l'action en contrefaçon
La recevabilité de l'action en contrefaçon, qui en vertu du droit allemand doit, comme on le sait, faire l'objet d'une procédure distincte de la procédure en nullité, devant un tribunal régional compétent en matière de litiges concernant les brevets (selon le principe dit de "séparation"), ne dépend pas du point de savoir si une procédure d'opposition ou de recours peut encore être introduite auprès de l'Office européen des brevets dans les délais prévus ou est actuellement pendante. En cas de procédure d'opposition ou de recours pendante parallèlement devant l'Office européen des brevets, le défendeur à l'action en contrefaçon demandera néanmoins le sursis à statuer dans le cadre de la procédure de contrefaçon jusqu'à ce qu'une décision intervienne dans la procédure d'opposition ou de recours parallèle, conformément à l'article 148 du Code de procédure civile. Après la clôture de la procédure orale, le juge de la contrefaçon appréciera alors, tout d'abord indépendamment de la demande de sursis à statuer, si l'action en contrefaçon est recevable et fondée. Si tel n'est pas le cas, il réunira au besoin des éléments de preuve concernant les faits litigieux, ou rejettera la demande. Si tel est au contraire le cas, il appréciera s'il convient de suspendre l'instance. Le critère déterminant de cette décision sera celui des chances de succès de l'opposition, au vu des arguments des parties et des décisions intermédiaires déjà intervenues, ou encore des décisions déjà rendues par la division d'opposition ou la chambre de recours saisie.12 Le juge de la contrefaçon ne surseoira à statuer que s'il estime que l'opposition a des chances sérieuses d'aboutir. La procédure de demande de sursis à statuer engagée en cas de procédure d'opposition ou de recours parallèle devant l'OEB n'est donc pas fondamentalement différente de celle engagée en cas d'action parallèle en nullité devant le Tribunal fédéral des brevets, ou de pourvoi auprès de la Cour fédérale de justice.
III. Caractère contraignant des décisions de maintien des chambres de recours ? Portée réciproque des décisions des chambres de recours et des juridictions nationales
Les décisions de la division d'opposition ou d'une chambre de recours, portant rejet de l'opposition formée contre un brevet européen, n'ont aucun caractère contraignant à l'égard des décisions ultérieures des juridictions allemandes compétentes en matière de nullité ou de contrefaçon.13 Si un brevet européen est maintenu sous une forme modifiée (limitée), les motifs de la décision de la division d'opposition ou de la chambre de recours peuvent être utilisés pour interpréter les revendications, comme éléments de la description du brevet, uniquement toutefois s'ils portent sur la modification (limitation)14 et, en outre, seulement si la description n'a pas elle aussi été modifiée en conséquence.15
Selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, les juridictions allemandes doivent toutefois tenir compte des décisions rendues par la division d'opposition ou les chambres de recours, ou encore par les tribunaux des autres États parties à la Convention sur le brevet européen et, le cas échéant, se pencher attentivement sur les motifs qui ont conduit à un résultat divergent dans les décisions antérieures. Cette considération vaut également, lorsqu'il s'agit d'un point de droit, par exemple de la question de savoir si l'objet d'un droit de protection découlait de façon évidente de l'état de la technique. Toutefois, le non-respect de cette obligation ne porte pas atteinte dans tous les cas au droit de la partie concernée d'être entendue.16
IV. Brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur : état des lieux, différences, perspective
La jurisprudence de la Cour fédérale de justice concernant les inventions dites "mises en œuvre par ordinateur" a été exposée de façon exemplaire dans l'arrêt "Wiedergabe topografischer Informationen" (représentation d'informations topographiques), rendu en 2010.17
Comme l'indiquent les mots-clés de l'arrêt, l'objet du brevet litigieux était un procédé de représentation visuelle d'une carte topographique sur l'écran d'un système de navigation destiné aux véhicules. La revendication prévoyait la sélection d'informations topographiques dans une structure de données en fonction de la position du véhicule, et leur représentation d'une manière déterminée décrite en détail dans la revendication de procédé. Le résultat devait être la représentation sur l'écran d'une section de carte topographique, qui, d'un côté, corresponde à la perception réelle du conducteur conduisant le cas échéant dans une direction donnée et, d'un autre côté, comporte, grâce à une vue aérienne décalée vers l'arrière, des informations qui dans la réalité, même dans des conditions optimales, ne sont pas perceptibles par ledit conducteur.
La première question qui s'est posée dans le cadre de l'examen du motif d'annulation tiré de la non-brevetabilité invoqué par la requérante était celle de savoir si l'objet de la revendication de procédé relevait du domaine technique et devait par conséquent être qualifié d'invention au sens de l'article 52, par. 1, de la CBE. La Cour fédérale de justice a répondu à cette question par l'affirmative car, selon sa jurisprudence, un procédé dont l'objet est l'exécution de différentes étapes au moyen du traitement électronique de données, satisfait à l'exigence de technicité, lorsqu'il permet le traitement, le stockage ou la transmission de données au moyen d'un appareil technique. Il importe donc peu que la revendication comporte, outre des caractéristiques techniques, des caractéristiques non techniques, ni de savoir lesquelles parmi ces caractéristiques caractérisent l'enseignement revendiqué.18
Il convenait, en outre, d'examiner si l'objet de la revendication n'était pas exclu de la brevetabilité, au motif qu'il s'agissait d'un programme de traitement de données ou de présentation d'informations, au sens de l'article 52, par. 2 c) ou d) de la CBE. À cet égard, la Cour fédérale de justice a estimé que seul était brevetable un enseignement comportant des instructions sur la manière de résoudre un problème technique pratique en mettant en œuvre des moyens techniques et qu'en dehors de leur caractère technique les instructions présentées ne présentaient un intérêt que dans la mesure où elles avaient une incidence sur la résolution du problème technique à l'aide de moyens techniques. Qu'il suffisait toutefois qu'une partie des caractéristiques de l'enseignement protégé par la revendication serve à la résolution du problème technique. Le fait que la revendication comporte au surplus des caractéristiques non techniques n'excluait pas la brevetabilité.19 En l'espèce, la solution technique apportée à un problème technique tenait à la sélection des informations topographiques en fonction de la direction de déplacement et de la position du véhicule, ainsi qu'à la représentation de ces informations à l'écran d'une manière spécifique par un processus automatisé.
Restait ensuite à apprécier si la revendication de procédé était nouvelle et si elle impliquait une activité inventive, conformément aux articles 52, par. 1, 54 et 56 de la CBE. La Cour fédérale de justice a estimé qu'il convenait de répondre par la négative à la deuxième proposition, car l'enseignement de la revendication de procédé découlait de manière évidente de l'état de la technique pour l'homme du métier. Elle n'a pris en considération pour cette appréciation que les caractéristiques déterminantes pour la solution du problème technique, ou ayant à tout le moins une incidence sur cette solution,20 à savoir essentiellement l'instruction concernant la détermination de la position actuelle du véhicule, l'obtention de la représentation à l'aide du traitement électronique de données, et l'instruction liée à la prise en considération, pour le choix de l'angle de représentation, du mouvement actuel du véhicule et de sa position actuelle simulée. Les autres instructions figurant dans la revendication de procédé étaient dépourvues de caractère technique, car elles se rapportaient à une projection des données topographiques appropriées aux fins de la navigation, et elles ont donc été écartées de l'examen de l'activité inventive.21 Eu égard au fait que les caractéristiques techniques visées étaient connues dans l'état de la technique et que leur combinaison était également évidente, on pouvait conclure au défaut d'activité inventive. La Cour fédérale de justice n'a pas tranché la question de savoir s'il convenait, pour l'examen de la nouveauté, de prendre en considération les seules caractéristiques techniques, car cette question ne présentait plus de pertinence en l'espèce.
La structure de l'examen adoptée dans l'arrêt "Wiedergabe topografischer Informationen" a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures de la Cour fédérale de justice.22 Elle correspond pour l'essentiel à la pratique décisionnelle des chambres de recours de l'Office européen des brevets, d'ailleurs citée dans l'arrêt de la Cour allemande.
V. Activité inventive, approche problème-solution : y a-t-il encore place pour une harmonisation ?
1. Aux termes des directives relatives à l'examen de l'Office européen des brevets, l'approche problème-solution qu'il convient d'appliquer à l'appréciation de l'activité inventive comporte trois étapes principales consistant à :
i) déterminer l' "état de la technique le plus proche" ;
ii) établir le "problème technique objectif à résoudre" ;
iii) examiner si l'invention revendiquée, en partant de l'état de la technique le plus proche et du problème technique objectif, aurait été évidente pour l'homme du métier.23
On ne saurait douter du fait qu'une approche aussi schématique, dont il convient d'après les directives de ne s'écarter qu'à titre exceptionnel, ne soit dans l'intérêt d'une appréciation objective et compréhensible en ce qui concerne la procédure d'examen,24 à laquelle, en vertu de l'article 18, par. 2, de la CBE, ne prennent souvent part que le déposant et un membre de la division d'examen. Mais, dans le cadre d'une procédure judiciaire, menée de manière contradictoire entre un ou plusieurs requérants et défendeurs, cette approche n'est applicable que sous certaines réserves.
2. Ces réserves visent notamment la première étape de l'examen, au cours de laquelle "l'état de la technique le plus proche" doit être déterminé. La pratique montre que le requérant à l'action en nullité fait la plupart du temps état de plusieurs points de départ (imprimés, usages antérieurs publics, etc.) en vue de contester l'existence de l'activité inventive. La juridiction saisie doit alors examiner si l'homme du métier aurait effectivement sélectionné ces points de départ. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, la sélection d'un point de départ donné pour l'examen de l'activité inventive exige d'être spécifiquement justifiée. Cette justification peut être déduite des efforts consentis par l'homme du métier dans un but précis, en vue de trouver une solution meilleure ou différente de celle offerte par l'état de la technique.25 Cela peut s'appliquer à un ou plusieurs points de départ (imprimés, usages antérieurs publics, etc.). Il n'y a aucune raison de limiter a priori l'examen de l'activité inventive à un "état de la technique le plus proche", car le risque pourrait être sinon de se livrer à une appréciation ex post, non permise, de l'état de la technique dans la perspective de ce qui est "le plus proche".
Finalement, les choses ne sont pas envisagées autrement dans les Directives en vigueur relatives à l'examen pratiqué à l'Office européen des brevets, car elles indiquent à cet égard, en référence à la jurisprudence des chambres de recours et en relativisant, que dans certains cas il existe plusieurs critères équivalents pour l'appréciation de l'activité inventive et qu'en cas de rejet il suffit de montrer, à partir d'un élément de l'état de la technique pertinent eu égard à l'une de ces solutions au moins, que l'objet de la revendication est dénué d'activité inventive. En pareil cas, il n'est pas nécessaire de se demander quel document "est le plus proche" de l'invention : il importe seulement de savoir si le document utilisé peut servir valablement de point de départ pour apprécier l'activité inventive.26
3. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, la détermination du problème technique sous-jacent à un brevet est un élément de l'interprétation de la revendication. Le problème technique ressort de l'apport véritable de l'invention. Il convient de déduire de la fonction de chacune des caractéristiques dans le contexte de la revendication, quel est le problème technique effectivement résolu par lesdites caractéristiques prises individuellement et dans leur globalité. Dans cette démarche, les éléments figurant dans la description en tant qu'objet de l'invention peuvent mettre sur la voie d'une compréhension correcte du problème.27 Mais, ils ne sauraient constituer le seul et unique point de départ de l'examen de l'activité inventive. Il convient, bien au contraire, de se demander si la résolution d'un autre problème relevant du domaine de compétence de l'homme du métier n'a pas rendu l'invention évidente.28
Ce point est illustré, par exemple, par l'affaire "Sonnenschutzmittel", sur laquelle a statué la Cour fédérale de justice en 2011 ; même si les circonstances de l'espèce seront ici simplifiées.29 Le brevet considéré portait sur une composition cosmétique pouvant être utilisée comme produit de protection solaire. Il était indiqué dans la description du brevet que le filtre UV-A "A" s'était avéré efficace contre le rayonnement UV-A et le filtre UV-B "B1" comme absorbant fortement le rayonnement UV-B, une combinaison des deux filtres étant de ce fait souhaitable. Or, il était notoire dans l'état de la technique que "A" se décompose en présence de B1. Afin de renforcer la stabilité de la composition, celle-ci contenait donc, outre le filtre UV-A "A" et le filtre UV-A "B1", le filtre UV-B "B2". D'après les éléments de description du brevet cette solution reposait sur la constatation selon laquelle la combinaison souhaitable "A" et "B1" devenait plus efficace et stable lorsqu'on lui ajoutait "B2".
La Cour fédérale de justice a estimé que la combinaison de "A", "B1" et "B2", protégée par le brevet, était évidente eu égard à l'état de la technique. Pour parvenir à cette conclusion, elle ne s'est cependant pas fondée sur l'énoncé du problème tel qu'il figurait dans la description du brevet, mais sur le document "D3" publié antérieurement, qui exposait une combinaison des filtres UV-B "B1" et "B2" comme composition efficace contre le rayonnement UV-B. Le document "D3" proposait, de plus, d'ajouter à la composition formée par les filtres UV-B "B1" et "B2", un autre filtre contre le rayonnement UV-A. La Cour fédérale de justice a vu là une suggestion faite à l'homme du métier d'envisager également l'ajout d'un filtre UV-A. Le fait qu'une longue liste de filtres UV-A possibles, parmi lesquels "A", figurait dans le document "D3" n'était pas encore suffisante en soi pour inciter l'homme du métier à sélectionner précisément ce filtre UV-A. En revanche, il y était bien incité, d'un côté, par le fait que "A", selon l'expertise de l'expert judiciaire, était à la date de priorité le seul filtre UV-A de ce type autorisé, ainsi que, d'un autre côté, par le fait que l'on trouvait dans un autre document publié antérieurement des indications selon lesquelles le problème de stabilité de "A" en tant que filtre UV-A pouvait être résolu grâce à une combinaison avec "B2", en tant que filtre UV-B, de sorte que la combinaison revendiquée par le brevet était, par suite, évidente.
4. S'agissant de la question de savoir si l'invention revendiquée était évidente pour l'homme du métier en partant de l'état de la technique le plus proche et du problème technique objectif, la jurisprudence de la Cour fédérale de justice est au premier chef axée sur le point de savoir s'il y existe des incitations, suggestions, indications ou d'autres éléments susceptibles d'amener à rechercher la solution du problème technique objectif sur la voie de l'invention ; cette démarche n'étant pas nécessaire, exceptionnellement, lorsque ce qu'il convient de faire pour parvenir à l'invention est évident pour l'homme du métier en raison de ses connaissances et de son expérience dans le domaine considéré.30
La Cour fédérale de justice a eu l'occasion d'expliciter cette approche fondée sur la notion "d'incitation" dans un grand nombre de décisions, au regard d'hypothèses concrètes. L'exposé détaillé de cette jurisprudence dépasserait cependant le cadre de la présente contribution. On peut toutefois, à titre d'illustration, citer le sommaire de deux décisions révélatrices rendues plus récemment. Ainsi, l'indication consistant à immobiliser pour plusieurs heures une partie du corps à la suite immédiate de l'injection d'un médicament, pour éviter qu'il ne se diffuse dans d'autres parties du corps, n'est pas en soi rendue évidente par l'état de la technique du fait qu'il était connu, à la date de priorité, que l'on pouvait traiter des complications apparaissant quelques jours après le traitement par une immobilisation.31 Au contraire, si une solution en matière de construction mécanique est considérée de par sa nature comme un moyen général à prendre en considération dans le cadre d'un grand nombre d'utilisations, selon les connaissances générales de l'ingénieur consulté, une incitation à y recourir peut découler de ce que le recours à sa fonctionnalité dans le contexte à apprécier apparaît comme objectivement utile et approprié et que l'on ne peut, par ailleurs, établir l'existence d'aucune circonstance particulière pouvant porter l'homme du métier à croire que son utilisation est impossible, difficile ou impraticable.32
Cette approche fondée sur l'"incitation", complétée par la mise à contribution, par exception non exclue, des connaissances et de l'expérience de l'homme du métier, concorde largement avec l'approche "could -would" adoptée par les chambres de recours de l'Office européen des brevets, selon laquelle il convient pour déterminer si l'invention est évidente de se demander si l'homme du métier, non seulement aurait été en mesure de parvenir à partir de l'état de la technique à une solution conforme à l'invention, mais s'il aurait effectivement agi de la sorte.33 Ainsi, il a par exemple été souligné dans la pratique juridique des chambres de recours que, lors de l'appréciation de l'activité inventive, il convient d'examiner dans quelle mesure l'homme du métier, en partant de l'état de la technique le plus proche et compte tenu de l'effet des caractéristiques distinctives par rapport à cet état de la technique, ou du problème objectif pouvant en découler, avait été incité à prendre en considération d'autres documents de l'état de la technique et à appliquer leurs enseignements au procédé ou au dispositif de l'état de la technique le plus proche. En d'autres termes, il convient de vérifier s'il existe un indice suggérant une combinaison des enseignements des documents cités.34 Si l'on laisse de côté la restriction consistant à se limiter à "l'état de la technique le plus proche" et que l'on élargit celui-ci à l'état de la technique à prendre en considération pour la solution du problème objectif du point de vue de l'homme du métier, cette démarche équivaut dans une large mesure à l'approche de la Cour fédérale de justice.
1 Au sujet de la formulation des demandes correspondantes cf. Benkard/Rogge/Grabinski, 10e éd., article 139 PatG (loi sur les brevets), points 104 et s.
2 Selon l'article 140a) et e) de la loi sur les brevets, il peut s'y ajouter une condamnation à des mesures de destruction, de retrait ou d'élimination définitive des circuits commerciaux des produits contrefaisant le brevet, ainsi que des mesures de publication du jugement. Ces mesures ne seront cependant pas prises en considération dans le cadre des développements ci-après.
3 Bacher, GRUR 2009, 216, 217 ; Kühnen, Édition spéciale 1 de la Jurisprudence des chambres de recours de l'OEB, 2009, p. 56, notamment p. 59.
4 Bacher, supra note n° 3, p. 217.
5 BGH, arrêt du 29 juillet 2010 – Xa ZR 118/09, BGHZ 187, 1 = GRUR 2010, 996 point 12 – Bordako.
6 BGH, arrêt du 17 avril 2012 – X ZR 55/09, GRUR 2012, 753 = IIC 2012, 855 [traduction en anglais] point 13 – Tintenpatrone III.
7 BGH, supra note n° 6, point 17 – Tintenpatrone III.
8 Pour : von Falck, GRUR 1977, 308, 311 ; Kühnen, supra note n° 3, p. 63 ; contre : Bacher, GRUR 2009, 216, 218 ; Benkard/Rogge, supra note n° 1, article 22 de la loi sur les brevets, point 88.
9 BGH, arrêt du 17 février 1982 – IV b ZR 657/80, BGHZ 83, 278, 280 = NJW 1982, 1147, 1148.
10 Kühnen, supra note n° 3, p. 61.
11 BGH, arrêt du 19 avril 2011 – X ZR 124/10, GRUR 2011, 848 points 8 et s. = IIC 2012, 475 (traduction en anglais du sommaire) – Mautberechnung.
12 BGH, supra note n° 11, point 21 – Mautberechnung ; OLG Düsseldorf, Mitt. 1997, 253 – Steinknacker.
13 BGH, décision du 15 avril 2010 – Xa ZB 10/09, GRUR 2010, 950 = IIC 2011, 363 (traduction en anglais), point 13 – Walzenformgebungsmaschine.
14 BGH, arrêt du 12 mai 1998 – X ZR 115/96, GRUR 1999, 145 = IIC 1999, 805 (traduction en anglais) – Stoßwellen-Lithotripter ; arrêt du 17 avril 2007 – X ZR 72/05, GRUR 2007, 778 = IIC 2008, 223 (traduction en anglais) – Zugmaschinenzugeinheit ; les deux affaires portaient sur des jugements en matière de nullité par lesquels le brevet avait été maintenu dans sa forme limitée.
15 Benkard/Scharen, supra note n° 1, article 14 de la loi sur les brevets, points 26 et s.
16 BGH, supra note n° 13, points 13 et s. – Walzenformgebungsmaschine.
17 BGH, arrêt du 26 octobre 2010 – X ZR 47/07, GRUR 2011, 125 – Wiedergabe topografischer Informationen.
18 BGH, décision du 20 janvier 2009 – X ZB 22/07, GRUR 2009, 479 – Steuerungseinrichtung für Untersuchungsmodalitäten ; BGH, supra note n° 17, point 27 – Wiedergabe topografischer Informationen.
19 BGH, décision du 22 avril 2010 – Xa ZB 20/08, BGHZ 185, 214 = GRUR 2010, 613 points 23 et s. – Dynamische Dokumentengenerierung ; BGH, supra note n° 17, point 31 – Wiedergabe topografischer Informationen.
20 BGH, décision du 24 mai 2004 – X ZB 20/03, BGHZ 159, 197, 204, 208 – Elektronischer Zahlungsverkehr ; supra note n° 17, point 31 – Wiedergabe topographischer Daten.
21 BGH, supra note n° 17, points 37 et s.
22 BGH, arrêt du 18 décembre 2012 – X ZR 3/12, GRUR 2013, 275 = IIC 974 [traduction du sommaire en anglais] – Routenplanung ; arrêt du 23 avril 2013 – X ZR 27/12, GRUR 2013, 909 – Fahrzeugnavigationssystem.
23 OEB, Directives relatives à l'examen pratiqué, version de novembre 2014, G-VII, 5.
24 OEB, Directives relatives à l'examen pratiqué, supra n° 23, G-VII, 5.
25 BGH, arrêt du 18 juin 2009 – Xa ZR 138/05, GRUR 2009, 1039 point 20 – Fischbissanzeiger.
26 OEB, Directives relatives à l'examen pratiqué, supra n° 23, G-VII, 5.1 sous la référence aux décisions T 967/97, T 558/00, T 21/08, T 308/09 et T 1289/09.
27 BGH, arrêt du 4 février 2010 – Xa ZR 36/08, GRUR 2010, 602 = IIC 2011, 218 [traduction en anglais] point 27 – Gelenkanordnung ; arrêt du 27 août 2013 – X ZR 19/12, GRUR 2013, 1272 = IIC 2014, 457 [traduction en anglais] point 22 – Tretkurbeleinheit.
28 BGH, arrêt du 1er mars 2011 – X ZR 72/08, GRUR 2011, 607 point 19 – Kosmetisches Sonnenschutzmittel III ; arrêt du 27 août 2013, supra note n° 27, point 22 – Tretkurbeleinheit.
29 Cf. pour les détails de cette affaire : BGH, supra note n° 28, points 16 et s. – Kosmetisches Sonnenschutzmittel III.
30 Jurisprudence constante, cf. par exemple BGH, arrêt du 30 avril 2009 – Xa ZR 92/05, GRUR 2009, 746 point 20 – Betrieb einer Sicherheitseinrichtung.
31 BGH, décision du 25 février 2014 – X ZB 6/13, GRUR 2014, 464 points 59 et s. – Kollagenase II.
32 BGH, arrêt du 11 mars 2014 – X ZR 139/10, GRUR 2014, 647 point 26 – Farbversorgungssystem.
33 OEB, Directives relatives à l'examen pratiqué, supra note n° 23, G-VII, 5.3.
34 Jurisprudence des chambres de recours de l'Office européen des brevets, septième édition, 2013, p. 207, sous la référence à la décision T 1126/09.