ANNEXE
Etude de cas "Escalier de comble repliable"
5. Folding Attic Stairs Ltd. v. The Loft Stairs Company Ltd., High Court of Justice - Patents courts - [2009] EWHC 1221 (Pat)
Numéro de citation neutre : [2009] EWHC 1221 (Pat) |
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| Affaire n° : HC06C03530 |
HAUTE COUR DE JUSTICE DIVISION DE LA CHANCELLERIE TRIBUNAL DES BREVETS |
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Cours royales de justice Strand, Londres, WC2A 2LL 9 juin 2009 |
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Devant :
Mr Peter Prescott QC (siégeant comme juge suppléant)
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Entre :
FOLDING ATTIC STAIRS LIMITED
Société demanderesse
- et -
THE LOFT STAIRS COMPANY LIMITED MICHAEL HERAGHTY
Société défenderesse
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M. James Mellor QC et M. James Whyte (instruit par Kuit, Steinart Levy LLP) pour la société demanderesse
M. Richard Davis (instruit par Shakespeare Putsman LLP) pour la société défenderesse
Dates d'audience : 23-25 et 27 février 2009
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VERSION HTML DU JUGEMENT
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Droits d'auteur de la Couronne ©
M. Peter Prescott QC :
1. Il s'agit d'une affaire de brevet qui n'est pas aisée. Elle présente deux difficultés. Que se produit-il si un fabricant permet à certains membres du grand public d'accéder à ses locaux, sans être en relation de confiance, où ils peuvent observer un produit toujours en cours de mise au point sans être experts en la matière et sans être à même d'en saisir l'utilité ? Cela peut-il invalider un brevet faisant par la suite l'objet d'une demande de dépôt ? Comment doit-on entendre l'expression "espacée selon une distance prédéterminée" dans la revendication de brevet – les termes désignant une intention sont-ils permis ?
2. Ce litige concerne les escaliers dits de grenier repliables et leur procédé de fabrication. Je décrirai la technologie correspondante en termes généraux dans un premier temps : ce n'est pas difficile.
Escaliers repliables
3. Nombre de vieilles maisons dans les Îles britanniques ont des combles vides qui ne sont pas destinés à être des lieux d'habitation mais qui abritent un espace de stockage utile. Il est ainsi très fréquent d'installer des escaliers de comble pour y avoir accès. La plupart de ces escaliers sont soit coulissants soit télescopiques et sont faits en aluminium.
4. Nous nous intéressons à un escalier d'un type différent : à savoir, un escalier repliable, généralement en bois, et quelque peu plus cher. Cet escalier, lorsqu'il n'est pas utilisé, est replié et emboîté dans un espace de stockage juste au-dessus de la trappe dans l'ouverture du plafond. L'anglais correspondant "Ope" est un terme parfaitement approprié quoiqu'inhabituel et désigne une ouverture pratiquée dans la charpente d'un bâtiment.
5. L'image ci-dessus offre une idée générale1. On peut y voir trois2 échelles ou trois parties d'échelle liées à leurs extrémités par des charnières. Cette disposition permet de replier l'escalier après utilisation. L'échelle supérieure porte la trappe du plafond et s'articule de manière permanente sur un cadre porteur dans l'ouverture du plafond. On peut également observer deux bras métalliques repliables, maintenus par un ressort pour que l'escalier reste dans sa position rangée ; ils empêchent également celui-ci de tomber trop rapidement lorsqu'on l'abaisse pour utilisation.
6. Les bras métalliques à une extrémité sont montés en pivot sur le cadre de l'ouverture du plafond ; à l'autre extrémité, aux côtés de l'échelle supérieure. Un examen plus attentif permet de constater que, pour être plus précis, les extrémités inférieures des bras métalliques sont montées en pivot sur des cornières. Ce sont les cornières qui sont fixées sur les côtés de l'échelle supérieure, mais également sur des glissières faisant partie de la trappe du plafond. Je dois souligner que les informations ci-dessus sont citées uniquement à titre d'illustration aux fins de la présente affaire : elles peuvent ou non avoir fait partie de l'état de la technique, mais je ne présume pas que tel ait été le cas.
Les Parties
7. La société demanderesse possède une usine dans le comté de Galway en Irlande. M. Michael Burke en est l'inspirateur. Il y a environ 25 ans, M. Burke a été approché par un compatriote qui avait vécu aux Etats-Unis et qui en avait rapporté un ensemble d'escaliers repliables qu'il devait faire réparer. Lors de ces recherches, M. Burke a découvert qu'il n'existait aucune société irlandaise fabriquant des escaliers de grenier repliables et peut-être une entreprise anglaise seulement. M. Burke a estimé qu'il existait une lacune sur le marché et a ainsi créé la société demanderesse. Elle fabrique des escaliers de grenier repliables sous le nom de marque "Stira". L'entreprise revendique une originalité car elle installe également ces escaliers elle-même, ou du moins un grand nombre d'entre eux. Le "kit" de l'entreprise au complet se compose d'un escalier repliable, de bras métalliques repliables, d'un cadre pour l'ouverture au plafond muni de ressorts, et d'une trappe.
8. Deux versions de la marque Stira existent pour les besoins de la présente affaire. De nombreux exemplaires de la première version, désignée dans cette affaire comme l'ancien modèle Stira, ont été commercialisés pendant de nombreuses années. Cette version est citée comme état de la technique dans cette affaire et n'était pas différente du produit illustré ci-dessus. On avance que la nouvelle version serait l'objet du brevet en cause. J'estime que 18 000 unités d'anciens escaliers Stira ont été vendues avant le dépôt le 5 novembre 1996 du brevet faisant l'objet du litige.
9. La société défenderesse faisait des affaires avec la société demanderesse. Elle achetait des modèles Stira, les importait au Royaume-Uni et procédait à leur installation. La société défenderesse appartient à M. Michael Heraghty (le deuxième Défendeur) et son épouse, mais c'est M. Heraghty qui prend toutes les décisions. Les parties ont rompu pour mésentente commerciale réciproque. M. Heraghty estimait que son entreprise payait trop cher de sorte qu'elle ne pouvait pas dégager une marge décente. M. Burke estimait que l'entreprise de M. Heraghty mettait du temps à payer. En tout état de cause, la société défenderesse a fini par cesser d'acheter les modèles Stira puis a fabriqué sa propre version. La société demanderesse intente une action en justice pour contrefaçon ainsi que pour infraction à un droit de propriété industrielle non déposé. La société demanderesse n'a pas maintenu cette dernière réclamation devant moi.
La Genèse du nouveau Stira
10. De manière assez inhabituelle, je commencerai par décrire non pas l'invention définie dans les revendications du brevet, mais comment la société demanderesse prétend avoir créé son nouveau produit. Bien entendu, il ne s'agit pas nécessairement de la même chose. Toutefois, cela aidera à expliquer deux des principaux points de cette affaire plus aisément. Cela ne me dispensera pas de déterminer l'invention telle que définie dans le brevet à la lumière de son interprétation correcte, ainsi qu'il me faudra le faire plus tard.
Le problème
11. Il existe de nombreuses vieilles maisons dans les Îles Britanniques et l'espacement entre les poutres de plafond peut varier sensiblement d'une maison à l'autre, peut-être selon les caprices du constructeur initial. Ainsi, les ouvertures de plafond présentent de multiples largeurs. (Les longueurs n'importent pas véritablement. L'enduit de plafond peut être aisément découpé ou subir les modifications souhaitées.) Ainsi, le cadre d'appui pour un escalier repliable doit être conçu de manière à s'adapter aux poutres porteuses qui contribuent à définir l'ouverture du plafond.
12. Lorsqu'il a examiné le problème, M. Burke a découvert qu'il devrait fabriquer des cadres porteurs de 5 largeurs différentes (55 à 75 centimètres d'après les mesures pratiquées sur la trappe du plafond3). Cela aurait coûté trop cher de fabriquer des échelles de cinq largeurs différentes. M. Burke a alors mis au point une échelle standard de 40 centimètres de large dont les bras support métalliques peuvent se courber selon la largeur voulue.
13. Un léger écart ne nécessitait pas de courber fortement les bras métalliques. Mais une différence importante exigeait de les courber sensiblement.
14. Courber les bras afin de régler la différence peut apparaître avec le recul comme un expédient grossier. Toutefois, le risque était qu'un industriel prévoyant de fabriquer ces escaliers repliables ne se rende pas compte de l'importance de l'usure que certains clients étaient sur le point d'imposer aux bras. Certaines personnes peuvent monter dans leur grenier seulement une fois par an afin d'y entasser divers objets sans valeur. Je crois que les escaliers non permanents ne sont pas autorisés pour accéder aux greniers transformés en lieu d'habitation, mais une zone floue peut apparaître dans la pratique. Pour autant que je sache, certaines personnes peuvent y monter tous les jours ou presque – peut-être y gardent-ils un ordinateur et utilisent-ils ce lieu comme bureau à domicile informel ou bien comme espace pour les jeunes, etc. Certains peuvent y monter en faisant attention, d'autres peuvent le faire sans ménagement. Les réglementations de construction ont pu évoluer et leur application s'assouplir avec le temps.
15. La société Demanderesse, qui non seulement fabrique mais également installe ces escaliers repliables, a donc recueilli les réactions de ses clients. Certains clients, a-t-on fini par constater, se plaignaient de ce que les bras métalliques se rompent, et ce, en raison de la contrainte excessive imposée à leurs pivots. (Les bras sont munis de pivots parce qu'ils doivent bien entendu se replier). Les modèles plus étroits n'ont pas posé ce problème.
16. Le problème tenait à ce que les bras sur les modèles plus larges n'étaient pas suffisamment dépliés. (Imaginez le surcroît de pénibilité qu'il y a à porter deux lourdes valises si vos bras ne sont pas entièrement dépliés vers le bas).
17. Burke m'a dit que son entreprise était dans une position idéale pour étudier le problème, étant contrairement aux autres la seule à assurer l'installation du produit et à recueillir ainsi de nombreuses réactions des clients.
La Solution
18. Vers 1995, la société demanderesse a fait une demande d'accréditation ISO 9002. Il s'agit d'une norme internationale, s'appliquant à l'activité et non au produit. Afin de satisfaire aux critères requis, l'entreprise a dû examiner ses processus de fabrication pour garantir qu'ils sont efficaces, s'appuient sur la documentation voulue et sont suivis de près afin de procéder à l'élimination des défauts ainsi qu'aux rectifications et améliorations voulues. La plupart des plaintes, a-t-il été constaté, résultaient de la rupture des bras métalliques ou de leurs pivots. (Je dois dire que je suis un peu surpris qu'il ait fallu l'accréditation ISO pour prendre conscience du problème. J'aurais pensé que des réparateurs seraient appelés pour réparer les bras défectueux et pour en rendre compte à la direction. Je pense toutefois qu'une accréditation ISO sert entre autres à se débarrasser d'une habitude qui n'est pas rare dans les entreprises : pratiquer la politique de l'autruche, si tant est qu'elle existe.)
19. Un autre problème a également été constaté : un goulet d'étranglement dans la fabrication des anciens modèles Stira. Je n'ai pas à m'étendre sur ce goulet d'étranglement car le processus ancien (contrairement au Stira fini lui-même) n'a pas été invoqué comme état de la technique ou présenté comme étant à la disposition du grand public ou comme ayant été utilisé ailleurs. Toutefois, l'élimination du goulet d'étranglement a fait évoluer la conception du produit. L'ancien modèle Stira étant cité comme état de la technique en tant que preuve contre le brevet en cause, je dois décrire cet aspect.
20. Une simple trappe de plafond se compose d'un panneau en contreplaqué4 appuyé sur un cadre en bois plat pour l'empêcher de se déformer. Dans l'ancien modèle Stira, ce cadre plat était fixé sur l'escalier, intercalé entre celui-ci et le panneau en contreplaqué. A mon avis, ce cadre n'avait pas un grand rôle porteur, mais il servait à ménager un surcroît d'espace pour les pieds de l'utilisateur. De chaque côté de l'escalier, se trouvait une cornière en L reliée non seulement au côté de l'échelle mais également audit cadre. (Les extrémités inférieures des bras support métalliques étaient montées pivotantes sur la cornière.) Cette caractéristique était la cause du goulet d'étranglement au niveau de la fabrication. Le cadre étant plat et relativement fin, ses quatre morceaux étaient collés ou vissés ensemble sur place, et non sur un poste de travail distinct.
21. Cela est apparu moins efficace, de sorte que l'on a revu la conception du cadre. Au lieu d'être fabriqués à partir de morceaux plats en bois, les deux morceaux latéraux ont été épaissis (ils sont devenus plus proéminents) en sorte de pouvoir être encastrés dans les sections d'extrémité. Cela a permis d'assembler le cadre séparément. J'appellerai ce nouveau cadre "le cadre intérieur"pour le distinguer du cadre extérieur, c'est-à-dire le cadre de l'ouverture du plafond à l'intérieur et juste au-dessus du dispositif emboîté en position rangée.
22. La décision a également été prise de monter les extrémités des bras support métalliques pivotantes sur les sections latérales du cadre intérieur, désormais poutres porteuses de charge, et non sur les cornières fixées aux côtés de l'échelle.
23. Même si M. Burke n'en a pas pris conscience avant un certain temps, cette nouvelle conception a un avantage : elle permet durant la fabrication d'adapter aisément la largeur du cadre intérieur à celle de l'ouverture du plafond du client plutôt que d'avoir à courber les bras métalliques. Il suffit de faire varier la longueur des sections d'extrémité du cadre intérieur. En d'autres termes, le problème de l'écart, auquel on a essayé dans un premier temps de répondre en courbant les bras métalliques, a été déplace vers une autre partie du dispositif où l'on pouvait aisément le résoudre durant la fabrication et sans dommage.
Le Brevet
24. Le brevet en cause (GB 2319051) porte sur un procédé de fabrication d'un escalier de grenier repliable. Il comporte une introduction :
"Il s'agit d'un escalier de grenier repliable comprenant un certain nombre de parties reliées par charnières pour montage dans une ouverture de plafond. Les parties d'escalier peuvent être repliées ensemble et maintenues en position rangée dans l'ouverture lorsque l'escalier n'est pas utilisé et elles peuvent être dépliées en position abaissée si nécessaire depuis l'ouverture dans le plafond afin de permettre l'accès à l'espace du grenier. Des bras support repliables sont montés pivotant de chaque côté de l'escalier entre la partie la plus haute de l'escalier et le cadre monté dans l'ouverture de plafond. Ces bras peuvent être maintenus par un ressort de compensation en position fermée pour que l'escalier reste dans la position repliée rangée dans l'ouverture de plafond lorsque l'escalier n'est pas utilisé et pour servir de contrepoids lorsque l'on déplie et replie l'escalier. Étant donné le vide entre le côté de l'escalier et le côté de l'ouverture, ces bras support sont généralement fixés en position intermédiaire par rapport à [leurs] extrémités afin de combler ce vide…"
25. Il s'agit là d'une description générale de l'ancien modèle Stira. Le brevet décrit le problème ainsi :
"Il y a toutefois une limite à l'importance du vide que l'on peut avoir. En effet, si le vide est trop important, les bras ne fonctionnent pas librement et correctement. En outre, plus le vide est important et plus importante est la contrainte exercée sur les ferrures de pivot à chaque extrémité du bras. Cette contrainte finit par entraîner une rupture des ferrures de pivot. L'importance du vide entre le côté de l'escalier et les côtés de l'ouverture dans le plafond dépend des dimensions de l'ouverture. Pour permettre la compatibilité entre différentes dimensions de l'ouverture, les escaliers doivent être fabriqués en différentes largeurs, ce qui augmente les coûts et le temps de fabrication."
"La présente invention a pour but de résoudre ces problèmes et de fournir un procédé économique de fabrication d'un escalier repliable de très bonne qualité dont le fonctionnement soit très fiable
."
26. La figure 4 du brevet montre comment l'échelle supérieure 30 de l'escalier est fixée au cadre extérieur 6 dans l'ouverture du plafond. Il est monté sur un cadre porteur (le cadre intérieur). Ce cadre intérieur est muni de sections d'extrémité 16, 17 et l'une de ses sections latérales 14 peut également être aperçue. L'un des bras métalliques 19 apparaît et pivote 20 sur la section latérale. L'autre extrémité pivote 21 sur le cadre extérieur 6 dans l'ouverture du plafond. On remarquera l'espacement entre l'échelle et la section latérale.
27. La page 7 du brevet souligne l'avantage du brevet :
"L'existence d'un cadre intérieur pour fixer l'escalier sur le cadre extérieur est particulièrement avantageuse. On peut ainsi fabriquer un escalier de dimensions standard que l'on peut monter sur des ouvertures de plafond de dimensions variables. On fabrique simplement le cadre extérieur selon des dimensions qui sont fonction des dimensions de l'ouverture dans le plafond, et le cadre intérieur est fabriqué pour pouvoir s'adapter au cadre extérieur. L'escalier [c'est-à-dire les trois "échelles"] peut donc être fabriqué d'une largeur constante, ce qui est bien évidemment plus pratique et plus efficace du point de vue de la fabrication. En faisant varier l'espacement entre les sections latérales du cadre intérieur pour s'adapter aux diverses largeurs du cadre extérieur, on peut fixer les bras de rappel dans la position optimale sans que les pivots à chaque extrémité du bras soient soumis à une contrainte excessive qui risquerait de fracturer les joints de pivot."
28. La revendication 1 du brevet ne concerne pas un escalier repliable, mais "un procédé de fabrication d'un escalier repliable …" Il faut lire un brevet en se mettant à la place de l'homme de métier et au regard des connaissances générales de base du moment. J'aborderai ces questions avant d'examiner la Revendication 1 plus en détail.
L'homme du métier auquel s'adresse le brevet et les connaissances générales de base
29. Même si le travail de charpente décrit dans le brevet pourrait probablement être effectué par un bon charpentier amateur, le document ne s'adresse pas à ce dernier. A mon avis, il s'adresse à une personne qui a une usine ou un atelier pouvant répondre à de nombreuses commandes. L'amateur ne serait pas gêné par le problème que le brevet cherche à résoudre. Il n'a pas à se préoccuper du fait que les espacements entre les poutres de plafond peuvent varier d'une maison à l'autre ; il se soucie seulement de sa propre maison et il peut faire en sorte que la largeur de son escalier corresponde à l'espacement des poutres de son plafond. Le brevet s'adresse à une usine qui ne peut pas ou ne souhaite pas s'offrir le luxe de fabriquer des escaliers de diverses largeurs, car cela serait trop onéreux.
30. Ainsi, pour résumé, je considère qu'il ne s'agit pas d'un brevet pour un processus de fabrication d'escaliers repliables, mais d'un brevet portant sur le caractère répété de cette fabrication5http://www.bailii.org/cgi-bin/markup.cgi?doc=/ew/cases/EWHC/Patents/2009/1221.html&query=title+(+Folding+)+and+title+(+Attic+)&method=boolean - note5#note5. C'est ce que je déduis du problème identifié par le brevet (voir paragraphe 25 ci-dessus) et des avantages de la solution qu'il avance (voir paragraphe 27). Quand on aura compris ce point, on verra que plusieurs des difficultés qui pèsent sur cette affaire auront été levées.
31. L'état de la technique désigne l'ensemble des connaissances dans le monde mises à la disposition du public avant une certaine date. Une connaissance est réputée mise à la disposition du public même si une personne seulement est libre d'y accéder en droit et de l'utiliser comme il lui convient. Les connaissances peuvent être communiquées dans un document, par le bouche à oreille ou par une exposition du dispositif à la vue du public.
32. Il s'ensuit – et cela est utile pour ce que je dois traiter ci-dessous dans le présent jugement – que toutes les informations contenues dans un document placé sur les rayons d'une bibliothèque publique sont considérées comme relevant de l'état de la technique. Il en est ainsi même si le document est totalement obscur et si personne ne daigne vraiment le consulter. La loi ne fait aucun doute à ce sujet. Cette doctrine peut paraître rigoureuse mais une règle doit être clairement fixée. Dans ce cas, la raison de la règle est que le public a le droit de consulter le document. De même, si un produit est exposé pour être vu dans un lieu public, par exemple, une rue, où des hommes du métier peuvent l'examiner et comprendre son mode de fonctionnement, l'argument selon lequel aucune personne du métier ne l'a examiné pour autant que l'on sache, est irrecevable. Cette connaissance fait dès lors partie de l'état de la technique.
33. Les connaissances générales de base sont un sujet très différent. Il s'agit de ce que les gens du métier savent bel et bien, ou doivent savoir, dès lors que cette connaissance est tenue pour rationnelle. "Connaissances générales de base" n'est pas une expression usitée dans la Loi sur les brevets ou dans la Convention sur le brevet européen. Il serait difficile de définir l'homme du métier ou les connaissances générales de base dans ce cas, car je ne sache pas qu'il existe une profession ou un métier reconnus de la conception des escaliers de grenier repliables. A la date du brevet, personne ne semble avoir eu cette activité dans les Îles britanniques excepté la société demanderesse et peut être une autre société. Je pense qu'il a dû y avoir une ou deux entreprises aux Etats-Unis. Il ne convient pas de donner une définition trop étroite d'une technique car vous pourriez alors imaginer des cas absurdes, par exemple, "la technique de conception des lames de rasoir vénézuéliennes bleues à deux trous", pour paraphraser le regretté M. T.A. Blanco White. Vous pouvez alors appliquer l'expression "connaissances générales de base" à ce cercle restreint de personnes qui ont fabriqué ces produits et dire que leurs connaissances sont des connaissances générales de base de la technique. Cela aurait pour effet inadmissible que tout utilisation antérieure, quelque obscure qu'elle soit, pourrait être jugée correspondre à des connaissances générales de base, ce qui assurément n'est pas conforme au droit.
34. Toutefois, la différence n'est pas considérable dans le cas présent, car le volume de connaissances spéciales requis pour comprendre le brevet en cause n'est pas important. Je définirai ici l'homme du métier comme une personne dotée d'une expérience pratique en tant que charpentier, aidée par un fabricant de métal. A la date du brevet (1996), cette personne ou cette équipe aurait tout au plus de vagues connaissances générales sur les escaliers repliables. A mon avis, la véritable structure de l'ancien modèle Stira, quoique connue de nombreux clients, ne correspondait pas à l'époque aux connaissances générales de base dans la technique.
Les experts
35. M. Paul Thorneycroft pour la société demanderesse et M. Roger Galpin pour la société défenderesse, ont déposé à titre d'experts.
36. Dans l'espèce Alan Nuttall Ltd v. Fri-Jado UK Ltd [2008] EWHC 1311 (Pat), je déclarais, en citant largement le juge Jacob LJ :
[27] Il vaut la peine de rappeler ici quelle est la fonction véritable d'un expert cité à titre de témoin dans une affaire de brevet. Il ne s'agit pas pour lui de jouer les as en élucidation de cas. La véritable fonction de l'expert, et ce qui fait la force de sa déposition, a été exposée par le juge Jacob LJ dans l'affaire SmithKline Beecham Plc v. Apotex Europe Ltd [2004] EWCA Civ 1568.
"[51] Avant de poursuivre, il convient de rappeler la fonction principale d'un expert cité comme témoin dans un litige concernant un brevet – et cette fonction, comme je l'ai formulé dans l'espèce Rockwater (para. 12) est la suivante :
"Sa fonction première est d'éclairer le tribunal en matière de technologie – il explique, c'est celui qui permet au tribunal de devenir techniquement compétent dans le sujet. A cet égard, il importe peu que l'expert ait ou non un niveau de compétence à peu près équivalent à l'homme du métier. Ce qui importe, c'est la qualité de ses explications."
[52] J'ajouterai ceci: inévitablement, lorsque l'on demande à un expert de tirer les enseignements d'un document antérieur, la réponse qu'il fait l'est à titre personnel et n'est donc pas d'une grande utilité. Ce qui compte, c'est ce que l'homme du métier pris en tant que notion théorique, comprend du document. Ce n'est donc pas tant l'opinion personnelle de l'expert, mais les raisons qui sous-tendent cette opinion, que le tribunal peut examiner en prenant pour référence la norme de l'homme de métier non imaginatif pris dans son acception théorique. Il existe ici une analogie avec le test Bolam bien connu, utilisé pour la négligence professionnelle : ce qui compte, ce n'est pas ce que l'expert cité comme témoin dit qu'il aurait fait personnellement, mais de savoir si le comportement dont on allègue qu'il a été négligent est ou n'est pas à la hauteur du comportement qu'aurait eu un professionnel raisonnable.
[53] Par conséquent, en pesant les positions d'experts de parties rivales du point de vue de ce que ces positions nous apprennent ou de ce qui ressort de manière évidente de ce qu'elles nous enseignent, un juge doit soigneusement distinguer l'opinion qu'il se fait des experts en termes de qualité de leur témoignage, de qualité de leur capacité à nous apprendre quelque chose, de qualité des réponses aux questions posées et non pas à d'autres sujets, et de leur capacité d'argumentation, etc., des raisons plus fondamentales pour lesquelles ces experts ont ces positions. En dernier ressort, c'est ce dernier point qui compte. Sont-ce des raisons qui seraient perçues par l'homme du métier ?
[28] Puisque je traite des dépositions à titre d'expert, il convient de compléter la citation du jugement dans l'espèce Rockwater, bien qu'à strictement parler, il s'agisse surtout de la notion d'évidence …. Dans l'affaire Rockwater Ltd v. Technip France SA [2004] EWCA Civ 381, le juge Jacob LJ a poursuivi en ces termes :
[13] Un expert cité comme témoin peut aussi donner son opinion sur une "ultime question" qui n'est pas de nature juridique. C'est ce que j'ai jugé dans l'affaire Routestone v Minories Finance [1997] BCC 180 ; voir aussi l'article 3 du Civil Evidence Act 1972. Quant à l'évidence d'un brevet, Sir Donald Nicholls V-C rendant le jugement de la Cour d'appel dans Mölnlycke v Proctor & Gamble [1994] RPC 49 page 113 a été explicite sur ce point :
"Dans l'application d'un critère prévu par la loi [à savoir si une activité inventive alléguée est évidente] et en faisant ces constatations [quant au caractère évident] le tribunal a quasiment invariablement recourt à une déposition d'expert. L'élément de preuve fondamental est la déposition d'experts dûment qualifiés qui déclarent si, à leur avis, l'activité inventive concernée aurait été évidente pour un homme du métier, eu égard à l'état de la technique".
[14] Toutefois, bien que l'opinion de l'expert soit recevable :
"cela ne signifie en aucune manière que le tribunal doive la suivre. En effet, prise isolément (à moins qu'elle ne soit pas contestée) cette opinion ne serait "qu'un morceau de rhétorique vide" Wigmore, Evidence (Chadbourn rev) paragraphe 1920. Ce qui importe réellement dans la plupart des cas, ce sont les raisons données pour cette opinion. En pratique, un rapport d'expert bien construit renfermant des éléments de preuve sous forme d'opinion, expose cette opinion et les raisons qui la sous-tendent. Si les raisons tiennent la route, il en va de même pour l'opinion. Si les raisons ne tiennent pas la route, l'opinion non plus. Une règle en matière de preuve qui exclue cet élément de preuve fourni par l'opinion ne présente aucun intérêt pratique. Si l'élément de preuve est considéré comme non recevable, les experts vont alors s'efforcer dans leur rapport de se rapprocher le plus possible de l'opinion sans l'exprimer ouvertement. Ils insinuent plutôt qu'ils n'expliquent" (Minories p. 188).
[15] La conclusion de l'expert (évidente ou non) en tant que telle et bien que recevable, n'ayant que peu de valeur, les qualités véritables de l'expert cité comme témoin n'ont donc pas vraiment d'importance. Ce qui importe, ce sont les raisons de son opinion, et ces raisons ne sont pas fonction de la mesure dans laquelle l'expert est proche de l'homme de métier en termes de compétence.
29. En pesant les éléments de preuve dans cette affaire, j'ai tenu compte des qualités et des préjugés personnels qu'ont inévitablement ces témoins – comme d'ailleurs tout un chacun.
37. En l'espèce, la technologie concernée n'est pas d'un niveau tel qu'elle requière globalement beaucoup d'explications d'expert.
38. Je constate malheureusement que la déposition de M. Galpin est motivée dans une très large mesure par une attitude rétrospective. Ce n'est peut-être pas sa faute personnellement. Il se peut que les instructions qui lui ont été données lui aient tracé une ligne de conduite plus ou moins inévitable.
Interprétation de la Revendication 1
39. La Revendication 1 du brevet dit ceci (c'est moi qui souligne) :
"Procédé de fabrication d'un escalier repliable selon les activités inventives suivantes :
Fabrication d'un cadre d'assemblage rectangulaire pour adaptation et montage dans une ouverture de plafond rectangulaire de dimensions prédéterminées, ce cadre extérieur étant pourvu de deux sections latérales espacées reliées entre elles par des sections d'extrémité situées entre les extrémités associées des sections latérales ;
Fabrication d'un cadre intérieur de support d'escalier monté pivotant sur le cadre extérieur permettant le déplacement de l'escalier entre une position emboîtée dans le cadre extérieur et une position d'utilisation abaissée dépliée vers le bas depuis le cadre extérieur, le cadre intérieur étant pourvu de deux sections latérales espacées reliées par deux sections d'extrémité associées et espacées, reliant les sections latérales aux sections d'extrémité en sorte que chaque section latérale est espacée selon une distance prédéterminée pour venir se loger entre les sections latérales du cadre extérieur et à l'intérieur de celles-ci, le cadre intérieur étant dans la position emboîtée dans le cadre extérieur ;
Préparation d'un escalier dépliable qui est repliable entre une position relevée rangée pour venir s'emboîter dans le cadre extérieur et une position d'utilisation dépliée ;
Montage du cadre intérieur pour venir s'emboîter dans le cadre extérieur par fixation d'une charnière entre une section d'extrémité du cadre extérieur et une section d'extrémité du cadre intérieur qui permet ainsi un montage pivotant du cadre intérieur sur le cadre extérieur ;
Fixation d'un bras support de pliage entre chaque section latérale du cadre intérieur et la section latérale associée sur le cadre extérieur, chaque bras étant monté pivotant sur chaque cadre et se pliant à moitié de sa hauteur pour permettre un fonctionnement entre une position complètement dépliée correspondant à la position d'utilisation dépliée vers le bas du cadre intérieur et une position repliée correspondant à la position du cadre intérieur emboîté dans le cadre extérieur,
chaque bras étant pourvu d'un mécanisme de compensation pour maintenir le bras en position repliée, ce qui maintient le cadre intérieur dans la position emboîtée dans le cadre extérieur ;
et montage d'une extrémité intérieure de l'escalier entre les sections d'extrémité du cadre intérieur, en sorte que l'on peut actionner l'escalier entre les positions repliée et dépliée lorsque le cadre intérieur est dans la position d'utilisation."
40. Cette revendication est particulièrement longue, mais je peux la résumer pour en faciliter la compréhension. Ce que l'on revendique, c'est un procédé de fabrication d'un escalier repliable dans lequel
- on fabrique un cadre extérieur pour "adaptation et montage dans" une ouverture de plafond donnée
- on fabrique un cadre intérieur (portant l'escalier) en reliant les sections latérales aux sections d'extrémité "en sorte que chaque section latérale est espacée selon une distance prédéterminée pour venir se loger entre les sections latérales du cadre extérieur"
- on fabrique un escalier repliable qui peut venir se ranger en position repliée dans le cadre extérieur
- on relie par charnière une section d'extrémité du cadre intérieur à une section d'extrémité du cadre extérieur
- on monte des bras support pliables pourvus d'un mécanisme de compensation, dont une extrémité est montée pivotante sur la section latérale du cadre intérieur, l'autre extrémité étant montée pivotante sur la section latérale du cadre extérieur
- et on monte une extrémité de l'escalier entre les sections d'extrémité du cadre intérieur, en sorte que l'escalier puisse être replié lorsqu'il est en position d'utilisation.
41. A mon avis, le seul point d'interprétation qui prête vraiment à discussion, ce sont les mots que j'ai mis en italiques dans la revendication exposée ci-dessus.
42. Selon M. James Mellor QC, avocat de la société demanderesse, ces mots veulent dire ceci. Dans le procédé de fabrication, la distance séparant les sections latérales du cadre intérieur et du cadre extérieur, respectivement, est telle que les bras de pliage ne sont pas soumis à une contrainte trop forte, notamment sur leurs pivots. L'avocat déclare que cela découle de l'objet de l'invention tel qu'indiqué dans le texte (voir paragraphes 25 et 27 plus haut). Il admet que les bras ne doivent pas nécessairement se trouver dans un plan vertical et d'ailleurs, le mode de réalisation préféré tel que décrit à la figure 4 (voir plus haut) montre très clairement que les parties inférieures de ces bras ne sont pas courbées de manière visible pour permettre le libre mouvement de l'escalier. Cela, d'après M. Mellor, n'invalide en rien son raisonnement.
43. M. Richard Davis, avocat de la société défenderesse, estime que l'expression "une distance prédéterminée" n'impose aucune limite à cette distance. Il cite le juge Jacob LJ dans l'espèce Nikken Kosakusho Works v. Pioneer Trading Company [2005] EWCA Civ 906 :
2. Le juge Mann a résumé l'invention objet du brevet aux paragraphes 2-6. Elle s'applique à un mandrin de machine outil à grande vitesse. L'auteur propose de pratiquer une rainure dans une bride, comme le montre le dessin figurant dans le jugement. La partie concernée de la revendication 1 figure au paragraphe 7. Les mots principalement à l'origine du différend sont les suivants : "rainure annulaire de profondeur prédéterminée", soulignés lors de la formulation de la revendication.
3. Je dois dire que le fait qu'un avocat en matière de brevets puisse rédiger une revendication en ces termes ou que l'Office des brevets les accepte, défie tout entendement. L'expression "profondeur prédéterminée" appelle immédiatement la question suivante : prédéterminée par qui ? Et qu'est-ce que cela veut dire ? Cela a certaines conséquences dans l'affaire qui nous occupe car cela aurait pu ou aurait dû entraîner une rectification possible à un stade précoce.
4. Le juge Mann a dû s'efforcer de tirer le meilleur parti possible de cette formulation. Il a décidé que cela signifiait "une rainure dont la profondeur a été décidée à l'avance par le fabricant" (paragraphe 29 du jugement). Il n'a pas été fait appel sur ce point.
44. Je dois avouer que cette question m'a posé beaucoup de problèmes. En fin de compte, j'en conclus que je ne peux pas accepter intégralement l'argumentaire de l'une ou l'autre partie.
45. Concernant l'espèce Nikken, si l'on considère le brevet dans son ensemble, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de comprendre l'intérêt d'une rainure ayant une profondeur prédéterminée et de comprendre aussi selon quel critère cette profondeur devait être prédéterminée. C'est dans cet état d'esprit, je crois, que le juge Jacob LJ a écrit que cela appelait immédiatement les questions suivantes : prédéterminée par qui, et qu'est-ce que cela veut dire ?
46. Je dois dire ici que j'ai vu les expressions "prédéterminé" et "préfixé" un trop grand nombre de fois dans les revendications de brevets délivrés pour que je puisse me les remémorer, et il en est de même a fortiori de l'expérience du juge Jacob LJ dans les affaires de brevets. Je ne crois donc pas que sa critique s'applique au mot "prédéterminé" en tant que tel. Je ne dispose pas de moyen pratique de rechercher dans les revendications des brevets européens qui ont été délivrés, mais j'ai consulté à titre d'exercice la base de données en ligne de l'Office américain des brevets, où l'on peut faire une recherche électronique dans les textes des revendications de brevets délivrés depuis 1975. Je m'attendais à trouver de nombreux brevets où figure le mot "prédéterminé" dans une ou plusieurs revendications. Je n'en ai pas moins été stupéfait : le mot figure dans plus de 658 000 brevets !
47. Je n'ai pas été en mesure de faire semblable recherche auprès de l'Office européen des brevets, mais cette pratique du mot "prédéterminé" est certainement acceptée par l'OEB, à la condition que le critère qui permet d'en comprendre la signification soit suffisamment clair. Dans les revendications jugées par de nombreuses décisions des Chambres de recours, le mot "prédéterminé" est utilisé et il ne fait l'objet d'aucune objection, pourvu que l'intention soit claire. (Ces décisions sont trop nombreuses pour que l'on puisse toutes les examiner. On peut néanmoins consulter par exemple les décisions T 1241/04 and T 0463/01). D'ailleurs, dans l'édition 2007 du Guide du déposant, Annexe III, disponible sur le site Internet de l'OEB, il existe un modèle de demande de brevet – comme si l'on voulait dire "nous allons maintenant vous montrer comme il faut s'y prendre" – et l'on trouve le mot "prédéterminé" dans la revendication 1. Ce mot se trouve également dans les recommandations pour les candidats à l'Examen européen de qualification sous la forme de réponses acceptables aux questions de l'examen. Ce document se trouve également sur le site Internet de l'OEB.
48. Je ne peux pas accepter l'affirmation selon laquelle, dans le contexte de ce brevet, les mots "prédéterminé" ou "préfixé" n'ont aucune signification et aucun effet. Tout lecteur qui est homme du métier estimerait que le titulaire du brevet utilise l'un ou l'autre de ces mots afin de dire quelque chose à ce lecteur et celui-ci tâcherait de trouver cette signification à la lumière de la totalité du brevet.
49. Par ailleurs, je ne peux pas non plus accepter intégralement l'argumentaire de M. Mellor. En effet, cela signifierait que, pour qu'un tiers fabricant puisse déterminer si le procédé est inclus ou non dans les revendications du brevet en cause, il décide de façon objective si une contrainte "trop importante" risquerait d'être imposée aux bras métalliques. Or, à ma connaissance, il n'y a pas de norme dans ce secteur à ce propos ni de scénario catastrophe. Cela voudrait dire qu'avant de commencer à fabriquer son produit, il faudrait d'une manière ou d'une autre qu'il connaisse les habitudes du client ciblé. Combien de fois le produit doit-il être utilisé : une fois par an ou une fois par jour ? Qui gravira l'échelle : une personne légère et précautionneuse ou un homme impétueux de 100 kg ? Un tiers fabricant a le droit de savoir avec une certitude raisonnable si ce qu'il se propose de faire constitue une violation de brevet. C'est un principe qui sous-tend la législation et c'est d'ailleurs aussi ce que dit le protocole interprétatif de l'article 69 de la Convention sur le brevet européen. Quoi qu'il en soit, et comme le fait remarquer M. Davis à juste titre, la revendication ne parle pas d'éviter une "trop grande" contrainte. Si cela avait été le cas, je ne crois pas que cela aurait été admis par l'Office de brevets. En effet, cela ne correspondrait à aucune norme connue sur laquelle on puisse statuer.
50. A mon avis, on peut toutefois déterminer ce que veut dire cet élément de la Revendication 1, du point de vue de sa formulation en anglais et compte-tenu de l'utilisation exposée dans le corps du brevet. On remarquera, et cela est essentiel, qu'il s'agit d'une revendication concernant un procédé de fabrication d'escaliers repliables, fabriqués à la chaîne, et que la notion de quelque chose qui a été déterminé à l'avance intervient deux fois dans le brevet.
51. La première fois, c'est lorsqu'il est dit que le cadre extérieur est destiné à être adapté et monté dans une ouverture de plafond rectangulaire "de dimensions prédéterminée". Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela ne peut vouloir dire qu'une chose : dans le processus de fabrication, on fait correspondre les dimensions du cadre extérieur avec les dimensions de l'ouverture de plafond dans la maison6http://www.bailii.org/cgi-bin/markup.cgi?doc=/ew/cases/EWHC/Patents/2009/1221.html&query=title+(+Folding+)+and+title+(+Attic+)&method=boolean - note6#note6 dans laquelle l'escalier doit être installé. (Plus précisément peut-être, mais je n'ai pas à juger de cette question, cela correspond à la séparation entre les poutres du plafond.) Les sophistes diront que ces dimensions ont donc été prédéterminées par le constructeur de la maison qui repose peut-être en paix dans un cimetière depuis une centaine d'années. Cela ne constitue pas à mes yeux une objection.
52. La seconde fois, c'est lorsqu'il est dit que les sections latérales du cadre intérieur sont reliées aux sections d'extrémité "en sorte que chaque section latérale est espacée selon une distance prédéterminée pour venir se loger entre les sections latérales du cadre extérieur et à l'intérieur de celles-ci, le cadre intérieur étant dans la position emboîtée dans le cadre extérieur". La question qui vient immédiatement à l'esprit est celle-ci : prédéterminée par qui ? La seule réponse sensée est : le fabricant, ou la personne à laquelle il laisse prendre cette décision.
53. La question suivante est : quel est le critère pour prédéterminer cette distance ? On ne peut pas dire que la distance choisie est n'importe quelle distance, car le mot "prédéterminé" n'aurait alors aucun sens et ne serait d'aucun effet. Comme dans n'importe quel document, la signification de ce mot doit être dégagée par son contexte. Dans l'affaire Kirin-Amgen Inc v. Hoechst Marion Rousell Ltd [2004] UKHL 45 Lord Hoffmann déclare, au paragraphe 19 :
"Pour les besoins de la présente affaire, la disposition la plus importante est l'article 69 de la CBE qui concerne les actions en contrefaçon introduites devant les juridictions nationales de tous les Etats contractants :
"L'étendue de la protection conférée par le brevet européen ou la demande de brevet européen est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications."
54. Et au paragraphe 30 de ce même jugement :
"On a fini par admettre que l'auteur d'un document, par exemple un contrat ou un fascicule de brevet, s'exprime afin de communiquer dans un but pratique et qu'une règle d'interprétation qui donne à son message un sens différent de celui qui aurait été compris par les personnes auxquelles ce message s'adresse en réalité, risque d'annihiler les intentions de l'auteur. C'est dans ce contexte qu'il faut lire le passage bien connu du discours de Lord Diplock dans l'espèce Catnic Components Ltd v Hill & Smith Ltd [1982] RPC 183, 243. Lord Diplock déclare qu'il faut aussi appliquer la nouvelle démarche à l'interprétation des revendications de brevets :
"Un fascicule de brevet doit faire l'objet d'une interprétation tenant compte de l'intention qui anime le brevet plutôt qu'une interprétation purement littérale résultant de l'analyse méticuleuse des mots telle que les juristes ont trop souvent tendance à la pratiquer en raison de la formation qu'ils ont reçue."
Au paragraphe 48, il est dit encore :
"Le principe d'interprétation tel qu'exposé dans l'affaire Catnic est donc à mon avis précisément tout à fait conforme au Protocole. Celui-ci a pour but de faire bénéficier le titulaire du brevet de toute l'étendue du monopole, mais pas plus, qu'une personne raisonnable qui est un homme du métier et qui lit les revendications dans leur contexte, estimerait que le titulaire a l'intention de revendiquer".
55. Comment la personne à laquelle est présenté le brevet comprend-elle l'expression espacée selon une distance prédéterminée ? A mon avis, cette personne va lire le brevet dans son ensemble afin de trouver la raison pour laquelle cette distance est prédéterminée. Cette raison apparaît de manière évidente d'après les passages que j'ai cités aux paragraphes 25 et 27 plus haut. Le but est de diminuer l'obligation de trop courber les bras en métal.
56. Selon moi donc, "espacée selon une distance prédéterminée" signifie que c'est le fabricant (ou la personne à laquelle le fabricant laisse le soin de décider) qui détermine la séparation entre les sections latérales du cadre extérieur et du cadre intérieur, afin de permettre l'adaptation à différentes largeurs d'ouvertures dans le plafond tout en évitant de trop courber ou plier les bras métalliques.
57. La différence entre cette interprétation et celle qui est avancée par M. Mellor est que, dans le premier cas, le tiers fabricant sait – car il s'agit d'un fait objectif – s'il est dans les limites de la revendication. En effet, il peut dire s'il fixe la distance de manière prédéterminée afin de ne pas trop courber les bras métalliques puisqu'il le fait lui-même. Cela dépend de ses propres intentions. Comme l'a exprimé le juge Bowen LJ dans sa fameuse remarque de l'affaire Edgington v. Fitzmaurice (1885) 29 Ch D 459 - 483
"l'état d'esprit d'un homme est un fait tout comme l'état de sa digestion. Il est certes très difficile de prouver l'état d'esprit d'un homme à un moment donné, mais si l'on peut déterminer cet état d'esprit, cela constitue un fait comme n'importe quelle autre chose".
58. Par conséquent, bien qu'il puisse être difficile pour le titulaire du brevet de prouver l'intention nécessaire, c'est à lui qu'incombe la charge de la preuve, et non pas au tiers fabricant.
59. Certes, un tiers – disons par exemple un intermédiaire revendeur – n'est peut-être pas en mesure de déterminer l'état d'esprit du fabricant auprès duquel il aura choisi d'acheter l'un de ces escaliers repliables. Je ne crois pas pour autant que cette situation soit fréquente et il n'est pas rare que, dans une affaire concernant un produit fabriqué selon un certain procédé, l'intermédiaire revendeur ne connaisse pas le procédé de fabrication du produit qu'il vend.
60. La revendication a une portée limitée. En effet, une distance fortuite entre les sections latérales ne rentrerait pas dans la revendication. Si le fabricant cherchait à résoudre le problème en faisant varier la largeur de ses escaliers, par exemple, cela ne rentrerait pas non plus dans la revendication.
61. Il existe un vieux préjugé ou une vieille tradition en matière de droit des brevets qui veut que les termes désignant une intention ne doivent pas être utilisés dans les revendications de brevets (voir Eli Lilly & Co's Application [1975] RPC 438, 444). On a dit7 que cela remontait au début du dix-neuvième siècle, mais on peut douter que cela soit la règle de droit en vertu de la Loi de 1977 et de la Convention sur le brevet européen. En effet, ce concept a été abandonné à propos de nombreux brevets pharmaceutiques dont les revendications sont formulées selon le type dit "suisse". Ce que ces revendications veulent réellement dire (et personne ne prétend plus le contraire) est "l'utilisation d'une substance X connue pour la production d'un médicament pour le traitement d'une maladie Y", au sens de dans le but de, ou avec l'intention de traiter la maladie Y. Dans ce cas, le droit a évolué ; il n'y a aucun doute là-dessus. Dans une récente décision de la Cour d'appel, ce n'est même pas l'intention de traiter une maladie ou une affection différente qui était le point principal du litige, mais l'intention d'utiliser un traitement avec un dosage différent (Actavis UK Ltd v. Merck & Co Inc [2008] EWCA Civ 444). La véritable raison pour laquelle des revendications de ce type sont admises, c'est que s'il en était autrement, l'inventeur ne pourrait pas du tout protéger son invention. Mais cela suppose que l'on recherche le but ou l'intention du fabricant. Si cela est permis dans les affaires relevant du domaine pharmaceutique, je ne vois pas pourquoi il n'en serait pas de même pour d'autres secteurs d'activité. A mon avis, les adjectifs "prédéterminé" ou "préfixé" sont depuis longtemps utilisés par les rédacteurs de brevets afin d'indiquer une intention, même si cela se fait de manière plus ou moins subreptice. Pourquoi alors ne pas l'admettre ouvertement ?
62. Y a-t-il quelque chose en droit des brevets qui interdise un tel usage ? Rien de tel dans la Loi ou dans la Convention, sauf si une revendication ainsi caractérisée s'applique à "un plan, un principe ou une méthode dans l'exercice d'activités intellectuelles … considérés en tant que tels" [article1(2)(c) de la Loi sur les brevets de 1977 ; article 52(2)(c) de la Convention sur le brevet européen]. Or, la fabrication d'escaliers repliables conformément à la revendication 1 et, ce faisant, la détermination d'une distance entre les sections latérales respectives dans le but d'éviter de trop plier les bras support, ne constitue pas en soi un plan, un principe ou une méthode dans l'exercice d'activités intellectuelles.
Antériorisation ou évidence de l'invention par rapport aux escaliers Stira ancien modèle
63. Après avoir interprété la revendication 1, je dois maintenant juger si les anciens escaliers Stira antériorisaient l'invention que cette revendication définit, ou si l'invention aurait été évidente pour un homme du métier examinant un exemplaire d'un escalier Stira ancien modèle. Il ne fait pas de doute que l'ancien escalier Stira, bien que ne figurant pas dans les connaissances générales de base (comme je l'ai jugé), n'en fait pas moins partie de l'état de la technique, étant donné que de nombreux escaliers ont été livrés à de nombreux clients, et ont d'ailleurs été exposés en public.
64. Le droit en matière d'antériorisation est trop bien connu pour qu'il soit nécessaire de donner ici des explications. On dira pour l'essentiel que, pour qu'une chose qui relève du domaine de la revendication contestée soit considérée comme bénéficiant de l'antériorité, il faut que cette chose ait été divulguée avant la date pertinente, à savoir dans le cas présent, le 5 novembre 1996.
65. Je n'ai aucun doute sur le fait que l'ancien modèle d'escalier Stira n'est pas une antériorisation de la revendication 1 du brevet qui fait l'objet du litige. Il ne peut pas en être ainsi, car la revendication ne concerne pas un produit, mais un procédé de fabrication. J'ai jugé que le procédé de fabrication de l'ancien modèle d'escalier Stira n'a pas été plaidé comme étant l'état de la technique et il n'a pas été démontré que ce procédé avait été divulgué auprès du public ou utilisé ailleurs. De manière plus fondamentale, le procédé même de fabrication de l'ancien modèle d'escaliers Stira ne constitue pas davantage une antériorisation. En effet, ce procédé ne comportait aucune distance prédéterminée entre les sections latérales du cadre intérieur et les sections latérales du cadre extérieur, qui aurait eu pour but d'éviter une courbure excessive des bras support métalliques. Au contraire, la distance variait d'un escalier à un autre en fonction de l'ouverture dans le plafond de la maison du client. De plus, les anciens escaliers étaient fabriqués sans que l'on se soucie du fait ou que l'on soit conscient que les bras supports risquaient de céder. Par la suite, lorsque l'on s'est rendu compte que ces bras devenaient défectueux, on a continué de fabriquer les escaliers comme auparavant, du moins pour ce qui concerne la séparation entre lesdites sections latérales. Ce n'est qu'une fois que le nouveau modèle d'escalier (conçu pour d'autres raisons) a été testé en usine pendant un certain temps, que l'on a compris qu'il fallait prédéterminer la distance de séparation entre les sections latérales afin d'éviter le problème ou, en d'autres termes, qu'il fallait varier la séparation entre les sections latérales du cadre intérieur et les côtés de l'échelle supérieure.
66. La règle de droit en matière d'évidence est la suivante : on ne peut pas valablement breveter une invention si, compte tenu de l'état de la technique, cette invention supposée aurait été évidente pour un homme du métier à la date concernée. L'état de la technique, comme je l'ai expliqué, inclut tout ce qui a été mis à la disposition du public, même d'une seule personne, si cette personne est libre en droit d'utiliser l'information comme elle l'entend – en la décrivant dans un document, en l'exposant à la vue du public, ou par le bouche à oreille. Il existe dans le monde entier un énorme réservoir de techniques, mais on ne peut pas combiner deux états de la techniques disparates, à moins que, pour une raison ou une autre, cette combinaison ne soit évidente pour un homme du métier.
67. En déterminant si une invention aurait été évidente ou non, on peut facilement se leurrer, par exemple en adoptant une démarche rétrospective. On a donc pris l'habitude d'aborder la question étape par étape, comme cela a été exposé pour la première fois dans l'affaire Windsurfing [1985] FSR 59, 73. La Cour d'appel l'a récemment réexposé dans Pozzoli Spa v. BDMO SA [2007] EWCA Civ 588, paragraphe 23. Selon les propres mots du juge Jacob LJ :
Je reformulerai les questions posées dans l'affaire Windsurfing de la manière suivante :
(1)
(a) qui est "l'homme de métier" théorique ?
(b) quelles sont les connaissances générales de base de ladite personne ?
(2) quel est le concept inventif de la revendication en question ou si cela ne peut pas se faire facilement, comment l'interpréter ?
(3) existe-t-il, le cas échéant, des différences entre la matière citée comme faisant partie de "l'état de la technique" et le concept inventif de la revendication ou la revendication telle qu'interprétée ?
(4) ces différences, considérées sans aucune connaissance de l'invention alléguée telle qu'elle est revendiquée, constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes pour l'homme du métier, ou requièrent-elles un certain degré d'invention ?
68. Que signifie déterminer "le concept inventif de la revendication" ? Dans cette même affaire Pozzoli Spa, Jacob LJ l'explique aux paragraphes 17 et 18 :
"Ce qui est devenu l'étape (2), la détermination du concept inventif, doit aussi être quelque peu explicité. Comme je le faisais remarquer dans Unilever v Chefaro [1994] RPC 567 page 580 :
C'est le concept inventif de la revendication en question qui doit être pris en compte, et non pas un concept généralisé issu du brevet dans son ensemble. Des revendications différentes peuvent avoir des concepts inventifs différents, et c'est d'ailleurs généralement le cas. La première étape dans la détermination du concept est probablement une question d'interprétation : qu'est-ce que la revendication veut dire ? On pourrait penser qu'il n'y a pas de deuxième étape : le concept, c'est ce que la revendication couvre, un point c'est tout. Toutefois, cette démarche est trop rigide, car si l'on ne fait qu'interpréter la revendication, on ne fait pas la distinction entre les parties qui sont importantes et les parties qui, bien que limitant la portée de la revendication, ne le sont pas. Le but de cet exercice est d'essayer de déterminer l'essentiel de la revendication.
Ce que l'on cherche à faire, c'est éliminer le verbiage inutile, ce que le juge Mummery LJ décrit comme "faire la synthèse".
69. Le juge Jacob LJ, toutefois, poursuit en déclarant que l'on ne doit pas perdre trop de temps à déterminer le concept inventif si cela doit conduire à des débats annexes complexes : dans ce cas, il faut se contenter d'interpréter la revendication. C'est la raison pour laquelle l'étape (2) de la méthode exposée dans l'espèce Pozzoli est formulée comme elle l'est.
70. Appliquant cette méthode à la question de l'évidence de la revendication 1 du brevet en cause par rapport à l'ancien modèle d'escalier Stira, mon raisonnement est le suivant :
L'homme de métier théorique. Pour moi, il s'agit d'un fabricant menuisier qui emploie un fabricant de métal ou a accès à un fabricant de métal.
Les connaissances générales de base de cet homme de métier théorique. Cet homme a une connaissance solide de la charpenterie. Il peut avoir quelques vagues notions des escaliers de grenier repliables en général, mais il n'en possède pas les détails.
Le concept inventif de la revendication 1. Je pense l'avoir déterminé au paragraphe 40 ci-dessus, mais pour ce qui nous occupe à l'instant, je me limiterai à la description suivante. Dans la fabrication en série d'escaliers de grenier repliables, on fabrique un cadre intérieur qui porte l'escalier et sur lequel les extrémités inférieures des bras supports sont montés en pivot ; lors de la fabrication du cadre, on varie les longueurs des sections d'extrémité en sorte d'avoir une distance prédéterminée entre les sections latérales du cadre intérieur et les sections latérales du cadre extérieur qui s'adapte à l'ouverture dans le plafond du client. Il faut particulièrement prédéterminer cette distance afin que les bras supports n'aient pas besoin d'être trop courbés.
Les différences entre ce concept inventif et l'ancien modèle d'escalier Stira. L'examen d'un ancien modèle d'escalier Stira ne fait pas ressortir de concept selon lequel l'espace entre les côtés de l'échelle et le cadre intérieur doit varier pour obtenir la distance prédéterminée que nous venons juste de décrire.
Ces différences seraient-elles évidentes pour un homme de l'art sans le bénéfice de la rétrospective ? A mon avis, non. En effet, dans l'ancien modèle d'escalier Stira, les côtés du cadre intérieur sont fixés sur les côtés de l'échelle par une cornière vissée sur les deux côtés. Cela ne donne pas à l'homme de métier les clés lui permettant de penser dans la bonne direction. En effet, cela ne lui suggère pas que l'on peut libérer les côtés du cadre intérieur pour que, en faisant varier les longueurs des extrémités du cadre intérieur au stade de la fabrication, les côtés puissent rattraper la distance prédéterminée telle que décrite.
71. Je ne peux donc pas accepter la validité des arguments fondés sur l'ancien modèle d'escalier Stira.
72. Je vais examiner maintenant la validité des arguments fondés sur un escalier test du nouveau modèle Stira, qui en était encore à l'époque au stade de la mise au point.
Le ministre et le photographe
73. Ayant obtenu son accréditation ISO, M. Burke a décidé d'en faire largement état car il pensait que cela impressionnerait les architectes, les constructeurs, etc. Dans cette intention, il invita le ministre irlandais du Commerce et du Tourisme à venir dans l'usine de la société demanderesse et il invita aussi un photographe du journal Irish Times. A ce stade, on testait un escalier Stira nouveau modèle dans une certaine partie de l'usine pour voir jusqu'à quel point l'escalier pouvait résister à un mauvais traitement. Toutefois, l'escalier n'était pas en train d'être testé le jour de la visite et n'était bien sûr pas encore en production. J'appelle cet escalier "l'escalier test". La visite n'avait pas pour but de faire la publicité du nouveau modèle d'escalier, mais de faire largement connaître l'accréditation ISO.
74. M. Burke m'a déclaré qu'à ce stade, il n'avait pas encore conscience de l'intérêt que présentait le nouveau modèle d'escalier, à savoir que l'on pouvait faire varier la distance entre les sections latérales, en sorte que les bras support en métal ne soient pas trop courbés. J'accepte cette explication. En effet, il est tout à fait évident que M. Burke n'a cherché à prendre aucune précaution de sécurité lors de la visite du ministre et du photographe. Comme il le dit dans sa déposition : "le photographe avait toute latitude pour photographier tout ce qu'il voulait". S'il avait été conscient des avantages réels du nouveau modèle d'escalier, je crois que le demandeur aurait voilé l'escalier ou n'aurait pas invité les visiteurs dans la partie de l'usine où se trouvait l'escalier, ou encore, aurait déposé une demande de brevet. Le demandeur n'aurait pas permis au photographe de le photographier en personne devant l'escalier test, comme il l'a fait. La demande de brevet n'a pas été déposée avant le 5 novembre 1996.
75. Un certain jour avant le 18 janvier 1996, le ministre et le photographe ont effectivement visité l'usine. Nous le savons parce que cette visite a fait l'objet d'un article dans un numéro de l'Irish Times du 18 janvier 1996. Plusieurs photographies ont été publiées. L'une d'entre elles montre M. Burke en personne, se tenant debout devant l'escalier test. Cet escalier test ne servait au photographe qu'à simple titre d'arrière-plan.
76. Plusieurs questions se posent. L'invention objet du brevet en cause est-elle (1) détruite par une antériorisation ou (2) évidente eu égard à
- la photographie publiée dans l'Irish Times
- ou la divulgation de l'escalier test au ministre ou au photographe en personne ?
Divulgation par la photographie dans le journal
77. La photographie ne représente pas le prototype en entier, mais seulement les parties inférieures. En effet, la photographie avait pour but de représenter M. Burke en personne et le prototype n'était qu'un arrière-plan commode, rien de plus. Il y a d'autres photographies mais elles n'ont rien à voir avec l'escalier test, et le texte de l'article ne parle pas du prototype d'escalier non plus. A mon avis, si M. Burke avait un tant soit peu souhaité faire de la publicité à l'escalier test ou attirer l'attention sur lui, l'article en aurait parlé.
78. Une photographie doit être interprétée par un homme du métier. J'ai déjà jugé que la configuration de l'ancien modèle d'escalier Stira ne fait pas partie des connaissances générales de base. Rien n'empêche une personne du métier de regarder la photographie publiée dans l'Irish Times. Pour déterminer ce qu'une telle personne aurait discerné de la photographie, il importe de prendre deux choses en compte. En premier lieu, l'homme du métier théorique est un fabricant menuisier, et non pas un fabricant d'escaliers de grenier repliables, comme je l'ai déjà jugé. En second lieu, il ne faut pas se laisser abuser par une démarche rétrospective. Nous savons parfaitement bien que cet escalier, s'il n'était pas un prototype, était certainement un précurseur du type de produit qui est maintenant fabriqué conformément à l'invention revendiquée par le brevet en cause. De toutes les manières, nous savons que c'était un dispositif ayant pour but de simuler un escalier de grenier repliable. L'homme du métier théorique qui aurait regardé la photographie n'aurait pas pu avoir cette connaissance. Tout ce qu'il aurait pu savoir peut-être, c'est qu'il aurait pu s'agir d'une échelle montée de façon informelle dans un but ou dans un autre, peut-être pour accéder à une quelconque installation dans l'usine.
79. A mon avis, l'homme du métier aurait discerné ceci : il s'agissait d'une certaine catégorie d'échelle, peut-être d'une échelle repliable. L'homme de métier aurait remarqué qu'il y avait une paire de bras. Il y a une partie sombre dans le haut de la photographie. Nous savons aujourd'hui qu'elle simule une ouverture de plafond, mais ce à quoi les extrémités supérieures de ces bras sont reliées, cela n'est selon moi pas apparent sinon rétrospectivement. On voit sur la photographie l'une des sections latérales du cadre intérieur, mais je doute que la fonction de cette section latérale ait été apparente pour l'homme du métier. Par contre, ce que l'on ne voit pas, c'est l'existence d'une quelconque séparation entre cette section latérale et le côté correspondant de l'échelle. Quoi qu'il en soit, la photographie ne divulgue pas le point important, à savoir que ce qu'il fallait faire, c'était faire varier la largeur du cadre intérieur en fonction de la largeur du cadre extérieur, elle-même prédéterminée par la largeur de l'ouverture de plafond dans la maison du client. Je juge donc que la photographie n'est pas une antériorisation de l'invention objet de la revendication 1.
80. Passant maintenant au caractère évident ou non, je ne répéterai pas ici les trois premières questions posées dans l'affaire Pozzoli. Après avoir attentivement pris connaissance des dépositions des experts, j'en conclus qu'en termes factuels, sans le bénéfice de la rétrospective, la conception de l'escalier test n'aurait pas été évidente pour un homme du métier examinant la photographie dans l'Irish Times. Quoi qu'il en soit, le principe de la distance "prédéterminée" ne pouvait pas lui être suggéré par la photographie.
Divulgation auprès du ministre ou du photographe
81. La société défenderesse se fonde toutefois sur la divulgation du prototype lui-même au ministre et au photographe, nonobstant ce qui apparaît de la photographie publiée ensuite. Je constate comme un fait que le photographe aurait pu regarder toutes les parties du prototype s'il avait voulu, et qu'il était libre de le faire. Il en est de même pour le ministre, mais je crois qu'il se trouvait dans la partie principale de l'usine et qu'il discutait à ce moment-là avec les employés – c'étaient des électeurs potentiels. Je constate aussi comme un fait qu'aucune condition de confidentialité n'était imposée, en sorte que du point de vue juridique, le photographe et le ministre étaient libres de communiquer à d'autres tout ce qu'ils pouvaient voir et qu'ils étaient en mesure de se rappeler. Je constate par ailleurs qu'il n'y a pas de preuve que le photographe ou le ministre aient réellement inspecté le prototype d'une manière un tant soit peu approfondie, et il me semble improbable qu'ils aient pu avoir un quelconque intérêt ou une quelconque motivation à le faire. (D'autres visiteurs occasionnels de l'usine auraient aussi pu examiner le prototype, mais il n'est pas prouvé qu'il y ait eu de tels visiteurs).
82. Je dois trancher une question, à savoir si, au vu des faits ci-dessus, le concept de l'escalier test avait été mis à la disposition du public avant la date de priorité du brevet. Je dis "avant la date de priorité" car ce n'est que plus tard que M. Burke a pris conscience de la véritable valeur du prototype qu'il avait sous les yeux et qu'il a demandé à bénéficier de la protection d'un brevet.
83. Il ne fait pas de doute qu'en termes de droit, si l'escalier test avait été exposé dans un lieu public, une rue par exemple, où tout un chacun aurait pu s'arrêter pour l'examiner, on aurait considéré que sa conception avait été mise à la disposition du public. Dans l'espèce Lux Traffic Controls Ltd v. Pike Signals Ltd [1993] RPC 107, 132-135, un prototype de feux de circulation a fait l'objet d'essais sur le terrain. Il n'était pas prouvé qu'un public quelconque – et encore moins un expert des feux de circulation – se soit arrêté pour en déduire le nouveau mode de fonctionnement. Malgré cela, le juge a estimé que le nouveau mode de fonctionnement avait été mis à la disposition du public. Le principe est le même que celui du livre obscur sur les rayons d'une bibliothèque publique que personne n'a en fait jamais consulté. Le droit, comme je l'ai dit, doit tracer une ligne de démarcation quelque part. Il le fait en adoptant la règle selon laquelle, dans la mesure où le public a le droit de se trouver où il est, ce public est réputé avoir le droit d'accéder à l'information. De la même manière, s'il est prouvé que toutes sortes de catégories de public peuvent pénétrer dans les locaux d'une usine privée et qu'aucune obligation de confidentialité n'est imposée, la loi considérera que tout ce que l'on peut voir dans ces locaux fait désormais partie de l'état de la technique. Dans ce cas, le droit ne peut pas se mettre à spéculer sur les personnes qui ont vu la chose et celles qui ne l'ont pas vue.
84. Néanmoins, dans notre cas, l'escalier test ne se trouvait pas du tout dans un lieu public et il n'était visible que pour un nombre restreint et défini de personnes : le ministre et le photographe. Il n'y avait pas d'homme du métier et il n'est pas prouvé que le ministre et le photographe étaient intéressés à la fabrication d'escaliers de grenier repliables – cela semble improbable – ou qu'ils aient manifesté un quelconque intérêt pour l'escalier test (qui ne se trouvait pas dans la partie principale de l'usine). Même s'il en avait été ainsi, M. Davis pour la société défenderesse soutient qu'ils étaient libres d'examiner l'escalier test si l'envie leur en avait pris, et qu'ils étaient libres de parler à quiconque dans le monde entier du souvenir qu'ils avaient de cet escalier, en sorte que l'on doit considérer que la conception de l'escalier avait été mise à la disposition du public.
85. C'est un point intéressant, et qu'il n'est pas facile de trancher. Pour prendre ma décision, je dois garder à l'esprit que cette décision est à double tranchant. En effet, la société demanderesse et M. Burke n'auraient pas été très contents si un concurrent avait par la suite de son côté mis en place l'invention et l'avait brevetée. Pourtant, en droit, ce qui s'est passé le jour de la visite du ministre ne peut pas être considéré comme une divulgation antérieure.
86. L'article 54 de la Convention sur le brevet européen porte sur tout ce qui a d'une manière ou d'une autre "été mis à la disposition du public" (Note du traducteur : nous avons traduit littéralement ce que dit l'anglais ; la traduction française de la Convention dit effectivement "rendu accessible au public" comme le dit le juge dans la phrase suivante). D'après ce que je comprends, les textes français et allemand de la Convention donnent à penser que cela doit être pris dans le sens de "rendu accessible au public". Même s'il devait en être ainsi, il me semble que si des informations disponibles et pouvant être vues dans des locaux privés par une catégorie restreinte et définie de visiteurs, doivent faire partie de l'état de la technique autrement que par une fiction juridique, il faut que cette information soit effectivement communiquée à au moins un esprit humain, libre en droit de divulguer à son tour cette information à quiconque d'autre lui semblera bon. Que l'information ait été susceptible de faire l'objet d'une communication, mais ne l'ait pas été en fait, n'est pas suffisant.
87. Plusieurs exemples ont été donnés comme argumentaire. Je vais les adapter et les compléter. Dirait-on qu'une formule chimique absconse affichée dans des locaux privés est "rendue accessible au public" s'il n'y avait aucune personne présente dans ces locaux, si ce n'est un enfant qui ne pouvait pas la comprendre ou une dame qui n'avait pas ses lunettes sur le nez, ou encore un homme dont toute l'attention était attirée par la retransmission de la finale de la Coupe à la télévision ? Je prendrai l'exemple fameux du Dr Watson qui n'avait pas remarqué qu'il y avait 17 marches menant à la pièce vers laquelle il montait des centaines de fois parce que, comme le dit Sherlock Holmes, "Vous voyez, mais vous n'observez pas"8. En termes de science du savoir contemporaine bien établie, le système oculaire cérébral de l'homme n'est pas une caméra de cinéma qui enregistre tout – s'il avait cette faculté, ce système serait complètement submergé par le travail de traitement des données. En fait, l'œil humain ne peut se focaliser que sur une toute petite partie du champ visuel (la vision fovéale). Pour cela, il faut que le globe oculaire pivote pour pointer la surface précise que l'on veut focaliser, et il faut à son tour que le cerveau soit motivé pour ce faire, un processus qui est dans une large mesure inconscient. Dire que l'on "observe" un vaste champ visuel est une illusion d'optique9. C'est la raison pour laquelle les pilotes des avions de chasse doivent apprendre à forcer leur globe oculaire à scruter tout le ciel, et cela requiert une énorme dose de volonté. C'est l'intérêt qui motive notre cerveau pour qu'il fasse pivoter notre globe oculaire en sorte de se focaliser sur un endroit précis. J'aurais un avis très différent si l'une des personnes présentes dans les locaux avait été intéressée à la fabrication d'escaliers de grenier repliables.
88. En résumé, je dirai donc qu'il n'y a pas de présomption irréfragable en droit selon laquelle une information qui peut être perçue par des personnes se trouvant dans des locaux privés est de fait perçue par elles, si les circonstances sont telles qu'il est peu probable que lesdites personnes soient intéressées par le sujet. Sinon, il faudrait inventer une fiction juridique qui n'est pas nécessaire.
89. Le ministre et le photographe n'ont pas témoigné. Même s'ils l'avaient fait, il semble peu probable qu'au cas où une personne quelconque les aurait arrêtés à la sortie de l'usine et leur aurait demandé de décrire l'escalier test, ils auraient été en mesure de décrire l'existence d'un cadre intérieur dont les sections latérales sont espacées des côtés de l'échelle. Si je dis cela, c'est qu'il n'y a aucune raison pour qu'un être humain normal, qui n'est pas intéressé par la fabrication d'escaliers repliables, accorde une quelconque importance à cette caractéristique.
90. J'admets toutefois que je pourrais me tromper sur ce point en droit. Je vais donc examiner cet aspect de l'affaire en posant qu'en théorie, ce que ces deux visiteurs ont vu suffisait pour que la conception de l'escalier telle que matérialisée par l'escalier test fasse partie de "l'état de la technique". Or, l'escalier test n'était pas un prototype universel du processus de fabrication. Il ne pouvait pas révéler à ces visiteurs que ce qu'il fallait faire, c'était de faire varier la longueur des sections d'extrémité du cadre intérieur en sorte d'obtenir la "distance prédéterminée" par rapport aux sections latérales correspondantes du cadre extérieur, comme l'exige la revendication 1 du brevet. On ne peut donc pas dire que l'escalier test antériorisait la revendication 1.
91. Toutefois, cela rendait-il le processus évident pour un homme du métier ? La réponse à cette question dépend de la réponse correcte à la dernière des questions posées dans l'affaire Pozzoli. Il fallait que l'homme du métier décide de faire varier les longueurs des sections d'extrémité pendant la fabrication, pour la raison expliquée au paragraphe précédent. Il a fallu à M. Burke et ses collaborateurs un temps très important – au moins 6 mois d'après son témoignage – pour songer à faire cela (je reconnais cependant que ce n'est pas en soi une preuve très concluante, étant donné qu'il arrive que l'on passe à côté de ce qui est évident.) Pour moi, la différence n'était pas évidente. Les considérations qui suivent motivent ma décision, mais à des degrés différents.
- La dimension de l'escalier test était de 60 centimètres. On ne peut donc pas dire que ses bras métalliques ne se dépliaient pas suffisamment. Par conséquent, l'escalier test ne se présentait pas de telle manière que l'homme du métier puisse penser à l'idée de distance"prédéterminée".
- Certes, on pouvait aisément faire varier la séparation entre les sections latérales si l'on avait pensé à changer les longueurs des sections d'extrémité pour les adapter pendant la fabrication, mais ces sections latérales n'en restaient pas moins solidement reliées aux sections d'extrémité. Encore fallait-il à l'esprit humain concevoir l'idée que les longueurs apparemment fixes des sections d'extrémité n'avaient pas nécessairement besoin d'être fixes. A mon avis, il aurait fallu un certain degré d'imagination pour penser que les sections d'extrémité étaient en quelque sorte "adaptables" et non pas fixes.
- On ne peut pas décemment prétendre que quelque chose est évident si l'on ne possède pas suffisamment de témoignage incontestable d'expert (Panduit Corp v. Band-It Co Ltd [2002] EWCA Civ 465). Je n'ai malheureusement pas trouvé que les raisons exposées par les experts des défendeurs étaient persuasives à cet égard. Le rapport d'expert n'explique pas, du moins pas suffisamment à mon avis, pourquoi l'homme du métier serait amené à passer de l'escalier test au processus décrit dans la revendication 1. En outre, comme je l'ai déjà dit, je trouve que ce rapport est entaché d'une grande dose de rétrospectivité.
- Le nouveau modèle d'escalier finalement mis en production en usine aurait peut-être pu faire penser au processus décrit dans la revendication 1, mais je doute que ce raisonnement soit la bonne méthode pour juger du caractère évident de l'invention.
- Un homme du métier pourrait être facilement amené à tester toutes sortes d'autres remèdes pour empêcher la défaillance des bras métalliques, comme par exemple le renforcement des bras, une meilleure lubrification, etc. C'est d'ailleurs ce que la société demanderesse a essayé de faire, mais sans succès en fin de compte. Un autre remède aurait pu consister, du moins je le suppose, à faire passer un axe métallique horizontalement à travers l'échelle (comme dans le brevet Lundh ci-dessous), la longueur de cet axe étant suffisante pour remédier au problème de dépliement insuffisant des bras.
92. Je ne peux donc pas accepter l'affirmation selon laquelle l'invention objet de la revendication 1 est annulée par une antériorité ou était évidente, eu égard à la présence du ministre et du photographe.
Brevet Lundh
93. Le brevet WO 83/01638 (Lundh) a été publié le 11 mai 1983. Il concerne le genre d'escalier de grenier repliable objet du présent litige, mais les extrémités inférieures des bras support métalliques sont reliées fixement entre elles par un axe qui passe à travers les montants de l'échelle supérieure. Je n'ai pas besoin de décrire plus avant l'invention du brevet Lundh. En effet, si l'on ne peut pas accepter l'argumentation des défendeurs sur le modèle ancien d'escalier Stira qui constitue un état de la technique plus proche, les défendeurs ne peuvent pas avoir gain de cause sur le fondement du brevet Lundh. On notera en particulier que l'escalier Lundh n'a pas de cadre intérieur et que, pour obtenir un produit susceptible d'être fabriqué selon le processus de la revendication 1 du brevet en cause, il faudrait encore faire des modifications supplémentaires au titre desquelles on devrait renoncer à certains des avantages particuliers que le brevet Lundh cherchait à obtenir. Je ne peux pas accepter la proposition selon laquelle le brevet Lundh antériorise l'invention ou rend cette invention évidente pour un homme du métier.
Contrefaçon
94. On n'a guère essayé de contester la contrefaçon. Les preuves rapportées par M. Burke et M. Heraghty me convainquent que ce dernier a copié le nouveau modèle de l'escalier Stira à tous égards pertinents pour les besoins de la présente affaire. La déposition de M. Burke en ce sens n'a pas été contestée par M. Heraghty. Ce dernier était notamment conscient qu'en reliant les extrémités inférieures des bras support repliables aux sections latérales du cadre intérieur, on évitait ainsi d'avoir à courber les bras vers l'intérieur.
95. Il appert que la société défenderesse fabriquait des escaliers de grenier de deux types. Le premier type (que j'appellerai le petit escalier) avait 55 centimètres de largeur mesurés à l'ouverture dans le plafond. Ce premier type n'est pas une contrefaçon du brevet. Les bras métalliques sont directement fixés sur les côtés de l'échelle.
96. L'autre type (que j'appellerai le grand escalier) était fabriqué dans une certaine gamme de largeurs (60, 65, 70 et 75 centimètres) et les bras métalliques étaient montés pivotant sur le cadre intérieur. Sur les échantillons d'escalier mis à disposition pour examen par l'expert de la société demanderesse, M. Thorneycroft, la distance respective entre les sections latérales des cadres intérieur et extérieur était telle que les bras métalliques étaient (selon sa description) maintenus "en ligne". Au paragraphe 24 de sa déposition, M. Heraghty déclare qu'il a contacté un certain nombre de fabricants pour voir s'ils pouvaient fournir les pièces métalliques dont sa société avait besoin pour fabriquer des petits et grands escaliers de combles "équivalents" et au paragraphe 25, il déclare que sa société a fabriqué "le petit escalier de combles équivalent et le grand escalier de combles équivalent".
97. J'en déduis selon toute probabilité que le premier défendeur, agissant selon les instructions de M. Heraghty, a adopté les mêmes dispositions d'escalier aux mêmes fins et que, ce faisant, il a contrevenu à la revendication 1 du brevet, cela ne s'appliquant toutefois pas à la version de 55 centimètres de l'escalier. Il s'ensuit que la fourniture d'escaliers fabriqués selon le procédé de la revendication 1 est aussi une contrefaçon du brevet en vertu de l'article 60(1)(c) de la Loi sur les brevets (Article 64(2) de la Convention sur le brevet européen). Il n'est pas nécessaire dans ce brevet de faire appel aux revendications de produits caractérisés par leur procédé d'obtention et je n'en ai donc pas tenu compte.
98. Lors d'une brève audience le 8 juin 2009 pour examiner le projet de jugement, les défendeurs ont allégué que les faits n'établissaient pas la contrefaçon pour certains des modèles d'escalier. M. Davis a déclaré que la question devrait être étudiée sous l'angle de ses conséquences pour les dommages-intérêts. J'ai estimé qu'une procédure moins disproportionnée était possible, à savoir autoriser les clients de M. Davis à nier les faits dans une déclaration sous serment si telle était leur volonté. En l'absence de négation des faits, ceux-ci seraient considérés tels qu'exposés plus haut. Si les faits étaient niés, les débats se poursuivraient. En tout état de cause, M. Heraghty a raisonnablement et honnêtement décliné cette déclaration sous serment. Il s'ensuit donc le résultat suivant.
99. Il n'est pas contesté que si le premier défendeur est reconnu coupable de contrefaçon, le second défendeur qui a dirigé tous les actes du premier défendeur, est aussi coupable de contrefaçon. Il existe d'abondantes sources qui corroborent ce point, même si les limites du principe ne sont peut-être pas entièrement claires. Je n'ai pas à trancher sur ce point ici.
Conclusion
Je conclus que le brevet en cause, même s'il est peut-être de portée limitée, est valable et qu'il a fait l'objet d'une contrefaçon, sauf pour la version 55 centimètres de l'escalier fabriqué par le premier défendeur. Jugement est donc rendu en faveur de la société demanderesse.
1 J'ai téléchargé cette image du site Web d'un fabricant américain, Memphis Folding Stairs, Inc., of 2727 Faxon Ave., Memphis, TN 38182-0305 en vertu de l'article 45 du Copyright, Designs and Patents Act 1988, et j'exprime ma gratitude à cette société pour le grand pouvoir d'explication de leur image.
2 Les principales revendications du brevet en cause ne se limitent pas à un nombre spécifique de ces échelles ; pour les besoins du présent litige, ce nombre n'a aucune incidence.
3 Une distance de 75 centimètres peut sembler beaucoup : c'est que dans certaines maisons, les poutres de plafond sont séparées de 37 centimètres environ, écart trop étroit pour installer un escalier. Dans certains cas, il faut alors enlever une poutre (et combler de manière appropriée) pour aménager un vide de 75 centimètres environ.
4 A l'exception des endroits froids comme la Scandinavie, où les gens ne veulent pas geler l'hiver. Le brevet Lundh cité dans cette affaire vient de Suède.
5 Je concède que la Revendication 1 s'applique à "une procédure de fabrication d'un escalier repliable" [singulier] mais il faut, à mon avis, rejeter cette interprétation littérale laquelle est incompatible avec le sens général de l'ensemble du brevet.
6 Ou peut-être, un certain nombre de maisons ayant des ouvertures de plafond de même dimension.
7 Je n'ai toutefois pas été en mesure de constater qu'il en était ainsi : l'espèce très ancienne Stead v. Anderson (1847) 4 C.B. 806, 2 WPC 151, citée dans l'affaire Eli Lilly, ne corrobore pas cette affirmation. Dans le cas en question, le titulaire du brevet n'avait pas cherché à définir son invention en référence à l'intention de l'utilisateur.
8 Conan Doyle, Un scandale en Bohême.
9 Le cerveau "se représente facticement", en d'autres termes "truque", les parties de la scène qui ne sont pas vues par le globe oculaire.